9

 

Par la fenêtre de son bureau dominant le front de mer, Akbalik observait l’arrivée de la flotte royale dans le port de Stoien. Trois vaisseaux rapides sur lesquels flottaient le pavillon du Coronal et celui de la Dame de l’île.

— Il faut que je descende et que je sois sur le quai quand ils débarqueront. J’y vais. Il le faut.

— Votre jambe, prince…, murmura Odrian Kestivaunt.

— Tant pis pour ma jambe ! Ma jambe n’est pas une excuse ! Le Coronal arrive avec la Dame. Ma place est sur le quai.

— Permettez-moi au moins de changer le cataplasme, prince, insista le petit Vroon avec douceur. Nous avons largement le temps.

La requête était raisonnable. Akbalik prit place sur le tabouret placé près de la fenêtre et présenta son mollet blessé au Vroon. Akbalik avait de la peine à suivre les déplacements des tentacules qui donnaient l’impression de voler ; Kestivaunt retira prestement le bandage de la veille, dénudant la plaie enflammée. Son aspect ne faisait qu’empirer : rouge, gonflée, elle ne cessait de s’étendre le long de la jambe malgré les soins du Vroon. Kestivaunt la nettoya avec un liquide bleu pâle frais et légèrement astringent, palpa délicatement de l’extrémité d’un tentacule la région entourant la plaie dont il écarta doucement les lèvres pour regarder à l’intérieur.

Vous me faites mal ! lança Akbalik entre ses dents serrées.

— Veuillez me pardonner, prince. Il faut que je regarde…

— S’il y a des bébés crabes des marais qui s’y développent ?

— Je vous ai dit, prince, qu’il est peu probable que celui qui vous a pincé ait été assez âgé pour…

— Ouille ! Pour l’amour du Divin, Kestivaunt, faites attention ! Changez le cataplasme et cessez d’appuyer partout, voulez-vous ? Vous prenez plaisir à me torturer !

Le Vroon s’excusa de nouveau et se pencha sur la blessure. Akbalik ne voyait plus ce que faisait la petite créature, mais c’était moins douloureux que précédemment. Il appliquait une émanation mentale à l’aide de ses fichus tentacules, un charme Vroon pour guérir la blessure ? Peut-être. Une pincée d’herbes séchées, encore un peu de ce liquide bleu rafraîchissant. Puis un bandage propre. C’était mieux, oui. Pour l’instant, en tout cas. Un répit dans les élancements furieux, dans la douleur atroce, dans l’impression abjecte que de minuscules vrilles d’infection et de pourriture remontaient le long de sa jambe pour atteindre l’aine, le ventre, le cœur pour finir.

— Terminé, annonça le Vroon.

Akbalik se leva. Il fit précautionneusement passer son poids sur la jambe blessée, grimaçant un peu, retenant son souffle. Des ondes de douleur se propageaient dans tout son côté gauche, remontaient dans le cou pour atteindre la joue, la pommette, les dents. Il revit pour la millième fois le grand crabe des marais pourpre, la créature hideuse à la carapace en dôme, aux yeux protubérants, gros comme la moitié d’un flotteur, se dresser devant lui dans le bourbier. Il se revit éviter adroitement le monstre, satisfait de la vivacité de ses réflexes, s’éloignant du danger si rapidement qu’il n’avait absolument pas remarqué la présence de l’autre crabe, pas plus grand que la paume de la main, tapi au creux d’une touffe de remuglon en fleurs, qui avançait sournoisement vers sa jambe une pince tranchante comme un rasoir…

— Ma canne ! s’écria-t-il. Où est passée cette fichue canne ? Ils sont déjà entrés dans le port !

Le Vroon montra la canne appuyée contre le mur, près de la porte, à sa place habituelle. Akbalik se dirigea vers la porte en claudiquant, saisit la canne et sortit. En arrivant sur le trottoir, il s’arrêta sous le soleil éclatant, prit une longue inspiration. Il ne voulait pas avoir l’air d’un estropié. Le Coronal dépendait de lui. Avait besoin de lui.

Il y avait à peine une cinquantaine de mètres à couvrir sur une large place pavée entre le bâtiment des douanes où se trouvait le bureau d’Akbalik et l’entrée des quais. Il se mit en marche lentement, prudemment, serrant de toutes ses forces le pommeau de sa canne. Il avait l’impression d’avoir cinquante kilomètres à parcourir.

À mi-chemin, son attention fut attirée par une forte odeur de fumée. Il tourna la tête vers le nord, vit un panache noir s’élever dans le ciel immaculé, puis une petite langue rouge léchant les murs d’une construction basse posée au sommet d’une plate-forme de brique haute d’une vingtaine de mètres. Il entendit les sirènes. Les cinglés avaient encore frappé ; c’était le premier incendie depuis trois ou quatre jours. Pourquoi fallait-il que ce soit aujourd’hui, au moment précis où le navire du Coronal allait accoster ?

Un cordon de douaniers Hjorts interdisait l’accès au débarcadère. Sans se donner la peine de présenter sa plaque d’identité, Akbalik les écarta impérieusement de son chemin d’un revers de main. Sans leur accorder un regard, il poursuivit sa route en clopinant vers le quai royal, pavoisé pour l’occasion de drapeaux vert et or.

Trois navires, oui, le grand yacht de croisière Lord Hostirin et deux escorteurs. La garde d’honneur du Coronal avait descendu l’échelle de coupée et s’alignait le long du quai. Un petit groupe de fonctionnaires municipaux rassemblé juste derrière eux formait un comité d’accueil, le maire Bannikap au premier rang. « Prestimion ! Prestimion ! Lord Prestimion ! Vive lord Prestimion ! » Les acclamations habituelles. Comme il devait en être las !

Il apparut au bastingage, Varaile à ses côtés, la Dame Therissa légèrement en retrait, à moitié cachée par son fils. Derrière eux Akbalik vit sortir de l’ombre la haute silhouette de Maundigand-Klimd, le mage bicéphale de Prestimion. Il était étrange de voir que Prestimion, qui rejetait autrefois la sorcellerie en bloc, ne semblait plus pouvoir aller nulle part sans être accompagné de son mage Su-Suheris. Dans le groupe qui s’avançait, Akbalik découvrit aussi le jeune Dekkeret, marchant près de la Dame Varaile. Pour une surprise, c’était une surprise ! Que pouvait bien faire Dekkeret à bord d’un navire en provenance de l’île ? Akbalik le croyait encore à Suvrael, cherchant dans les rigueurs du désert et de la chaleur le pardon du Divin pour la mort de la montagnarde, ou, ce qui était plus vraisemblable, déjà de retour au Château.

Mais Suvrael ne lui avait peut-être pas permis d’assouvir le désir de pénitence, d’expiation qui le rongeait quand Akbalik l’avait vu pour la dernière fois, à Zimroel. Cette exigeante quête spirituelle avait peut-être conduit le jeune homme du sinistre continent méridional au sanctuaire de la douce Dame pour finir de réparer les dégâts causés à son âme. Où Prestimion l’avait rencontré à l’occasion de la visite qu’il faisait à sa mère. Oui, se dit Akbalik, c’est ce qui a dû se passer.

Il pressa l’allure, grimaçant de douleur à chaque pas. Se frayant un chemin au milieu des badauds, il prit position juste devant la garde d’honneur. C’était la cité de Bannikap, certes, mais c’est à la demande d’Akbalik que le Coronal était là et il voulait se dispenser des niaiseries officielles. Il n’avait pas la patience d’attendre, avec cette douleur atroce qui lui labourait la jambe.

— Monseigneur ! s’écria-t-il. Monseigneur ! Le Coronal le vit, lui adressa un petit signe amical. Akbalik forma le symbole de la constellation, puis, quand la Dame apparut, il la salua avec le geste d’hommage qui lui était réservé. Ils commencèrent à descendre. Bannikap fit un pas en avant, actionnant déjà les mâchoires pour articuler le préambule de son discours de bienvenue. D’un regard noir, Akbalik le réduisit au silence et fut le premier à s’avancer vers le Coronal.

Prestimion lui ouvrit les bras. Ne sachant que faire de sa canne, Akbalik la glissa sous son bras et reçut gauchement l’accolade du Coronal.

— Qu’avez-vous là ? demanda Prestimion.

— Une légère blessure à la jambe, monseigneur, répondit Akbalik en s’efforçant de prendre un ton détaché. Gênante, mais pas particulièrement grave. Il y a des choses beaucoup plus importantes dont nous avons à parler.

— Oui, fit Prestimion. Dès que j’en aurai terminé avec les formalités d’usage.

Il indiqua le maire Bannikap d’un petit signe de tête et adressa un clin d’œil à Akbalik.

Akbalik se tourna vers la Dame pour lui présenter ses hommages, fit de même avec Varaile. Dekkeret lui adressa un sourire emprunté, gêné ; il restait en retrait.

Akbalik crut remarquer que la Dame Varaile était en état de grossesse ; ses vêtements semblaient le confirmer. Et elle avait déjà cet air radieux qu’arborent les femmes enceintes. Intéressant, se dit-il, que Prestimion soit père si peu de temps après être monté sur le trône. Et en ces temps troublés, de surcroît. Il fallait pourtant s’y attendre. C’était un Prestimion nouveau, mûri par les responsabilités, visiblement avide de stabilité, de continuité, dans la plénitude de l’âge.

La Dame Therissa était superbe : sereine, gracieuse, tranquille. Tout ce qu’était Akbalik avant sa funeste expédition au cœur de la péninsule. Il se sentait rasséréné par la simple proximité de la Dame.

— Est-ce de la fumée que je sens ? demanda Prestimion.

— Un bâtiment est en flammes à quelques centaines de mètres d’ici. Il y en a eu beaucoup ces derniers temps. Des déments transportent des bottes d’herbe séchée sur les toits et y mettent le feu, expliqua Akbalik en baissant la voix. C’est devenu le dernier passe-temps à la mode. Le maire vous en dira plus.

Bannikap, un personnage rougeaud et corpulent, vaguement apparenté au duc Oljebbin et tout aussi suffisant, se dressait devant Prestimion d’une manière que le Coronal, en raison de sa petite taille, ne devait certainement pas apprécier. Mais pas moyen d’échapper au protocole ; c’était l’heure de gloire de Bannikap. Akbalik s’inclina. Il souffla à Prestimion qui considérait pensivement le panache noir de fumée s’élevant dans le ciel qu’il le retrouverait plus tard dans sa suite du Pavillon de Cristal et s’éloigna en claudiquant.

Le Pavillon de Cristal devait son nom à un mur continu de fenêtres. La construction relativement récente, bâtie par le duc Oljebbin sous le règne de Prankipin, isolée au centre de Stoien, se dressait sur une plate-forme colossale de brique chaulée. Du somptueux triplex de lord Prestimion, tout en haut du bâtiment, on embrassait du regard toute la cité, ce qui permettait malheureusement de voir les colonnes de fumée s’élevant d’une dizaine de foyers d’incendie.

— Il y en a tous les jours, des incendies ? demanda Prestimion.

Akbalik et le Coronal étaient assis devant des assiettes contenant des cubes de viande de dragon de mer fumée. Varaile, fatiguée par une traversée qui n’avait pas été de tout repos, s’était retirée dans sa chambre. La Dame Therissa occupait une autre suite, quatre étages plus bas. Akbalik ignorait où étaient passés Dekkeret et le Su-Suheris.

— Presque tous les jours, monseigneur. Il est pourtant rare qu’il y en ait autant à la fois.

— Encore la folie ?

— La folie, oui. C’est la saison sèche ; les combustibles ne manquent pas. Les jolies plantes grimpantes qui fleurissent tout l’été forment des monceaux de tiges séchées. Les déments les transportent sur les toits et y mettent le feu. Je ne sais pas pourquoi. J’imagine que si les incendies sont plus nombreux aujourd’hui, c’est qu’ils ont entendu dire que le Coronal et la Dame arrivaient et que cela les a excités.

— Bannikap a essayé de m’expliquer que les dégâts sont souvent minimes.

— Le plus souvent ; pas toujours. Un gros effort a été fait ces deux dernières semaines pour démolir les bâtiments les plus gravement endommagés et tout nettoyer pour que vous n’ayez pas à les voir pendant votre séjour. Quand vous verrez un petit jardin public assez grand pour qu’un bâtiment ait pu y loger, avec des massifs de fleurs fraîchement plantés, vous pouvez être sûr qu’il y a eu un grave incendie… Puis-je avoir un peu plus de vin, monseigneur ?

— Bien sûr, fit Prestimion en poussant le flacon vers Akbalik. Dites-moi ce que vous avez fait à votre jambe.

— Il vaudrait mieux parler de Dantirya Sambail, monseigneur.

— Nous y viendrons. La jambe d’abord.

— Je me suis blessé en traquant Dantirya Sambail. Il se déplace fréquemment dans l’enfer où il s’est réfugié, ne reste jamais plus de quelques jours au même endroit, se balade à son gré dans la jungle. Il est devenu très habile pour brouiller les pistes. On ne peut jamais savoir où il sera ; j’imagine qu’il utilise les pouvoirs d’un mage pour étendre autour de lui un voile d’ignorance. Le mois dernier, je suis parti à sa recherche avec quelques centaines d’hommes : une mission de reconnaissance pour m’assurer qu’il ne nous avait pas filé entre les doigts. J’ai vu l’endroit où il avait établi un campement, mais il était parti depuis un ou deux jours.

— Il sait donc que nous sommes sur ses traces.

— Comment pourrait-il ne pas le savoir ? Et si nous perdons sa piste plus d’un jour ou deux, nous aurons à résoudre le vieux problème de l’aiguille dans la botte de foin. Il est extraordinairement rusé et nous a toujours échappé. Pour ce qui est de la jambe…

— Oui, la jambe.

— Nos éclaireurs avaient dit qu’ils croyaient avoir repéré le Procurateur dans les terres, à trois cents kilomètres de Karasat, sur la côte méridionale, entre Maximin et Gunduba, si ces noms signifient quelque chose pour vous. Nous avons donc appareillé de Stoien pour entreprendre des recherches. On dit toujours, monseigneur, que le désert de Suvrael est l’endroit le plus inhospitalier de la planète, loin devant le Valmambra. Mais non, c’est cette jungle du sud d’Alhanroel qui remporte la palme. Je ne suis jamais allé à Suvrael et je ne connais pas le Valmambra, mais je vous assure qu’ils ne peuvent être pires que cette région de la péninsule. Elle est remplie de créatures qui ont dû émigrer de Suvrael à la recherche d’un lieu encore plus horrible. Je le sais. J’en ai rencontré une.

— Quelque chose vous a mordu ?

— Un crabe des marais, oui. Pas un des gros, ajouta-t-il en écartant largement les bras. Il faut voir la taille de ces monstres, monseigneur. Non, c’était un tout petit, un bébé, caché derrière moi, qui m’a ouvert la jambe d’un coup de pince. La pire douleur que j’aie jamais ressentie, due, paraît-il, à une sorte de venin acide. Ma jambe a quintuplé de volume ; cela va un peu mieux maintenant.

Le front plissé, Prestimion se pencha pour regarder de plus près.

— Comment vous soignez-vous ?

— J’ai un secrétaire Vroon, du nom de Kestivaunt, très capable. C’est lui qui s’en occupe. Il a ses remèdes et fait un peu de magie Vroon… Si la magie ne marche pas, l’onguent à base d’herbes devrait être efficace.

Un spasme atrocement douloureux parcourut la jambe d’Akbalik. Il serra les dents et détourna la tête, résolu à ne pas montrer à Prestimion comme il souffrait. Il valait mieux changer de sujet.

— Voulez-vous me dire, monseigneur, ce que faisait Dekkeret avec vous sur l’île ? J’imaginais qu’après en avoir fini avec ce qui l’avait mené à Suvrael… son expiation, sa rédemption à la suite du drame des Marches de Khyntor, il aurait depuis longtemps regagné le Château.

— C’est ce qu’il a fait. À la fin de l’été dernier, en ramenant quelqu’un avec qui il avait eu maille à partir dans le désert. Vous souvenez-vous d’un certain Venghenar Barjazid ?

— Un petit bonhomme à la mine chafouine, qui était au service du duc Svor ?

— Lui-même. Quand j’ai envoyé le Vroon Thalnap Zelifor en exil, j’ai confié à ce Barjazid le soin de l’escorter jusqu’à Suvrael. Une des nombreuses erreurs que j’ai commises, Akbalik, depuis que je me suis mis en tête que j’avais les qualités pour devenir Coronal.

Akbalik écouta avec une inquiétude croissante Prestimion lui conter l’histoire dans ses grandes lignes. Barjazid qui s’était débarrassé du Vroon pour s’approprier le matériel permettant de contrôler les esprits ; les expériences auxquelles il s’était livré sur d’infortunés voyageurs dans le Désert des Rêves Volés de Suvrael ; les mésaventures de Dekkeret dans ce même désert ; la capture de Barjazid ; le retour de Dekkeret au Château avec ses prisonniers et le matériel.

— Il a demandé une audience dès son arrivée, poursuivit Prestimion. Comme je n’étais pas au Château ce jour-là, c’est Varaile qui l’a reçu ; il a soigneusement expliqué le pouvoir de ces appareils et le danger qu’ils représentaient. Elle a essayé de m’en parler à mon retour, mais je reconnais que je n’ai écouté que d’une oreille. Encore un mauvais point pour moi, Akbalik. Quoi qu’il en soit, Barjazid a réussi à s’enfuir du Château et il est en route pour la péninsule de Stoienzar où il mettra ses appareils en service pour le compte de Dantirya Sambail. Voilà ce que Dekkeret est venu m’annoncer en toute hâte sur l’île et voilà pourquoi je suis venu si rapidement à Stoien en personne. Si ces deux-là parviennent à s’unir…

— Je suis sûr que c’est déjà fait, monseigneur.

— Comment le savez-vous ?

— J’ai dit que le Procurateur échappait avec une grande facilité à nos éclaireurs, qu’un mage jetait un sortilège autour de lui pour le rendre invisible. Mais si ce n’était pas un mage ? Si c’était ce Barjazid ? Si ses appareils sont aussi puissants que Dekkeret l’affirme…

La douleur irradia de nouveau dans son côté gauche ; il réprima un frisson.

— Une chance pour nous qu’il soit allé à Suvrael, reprit Akbalik. J’avais pourtant essayé de l’en dissuader… Quel est votre plan, monseigneur ?

— Vous savez, je pense, que Septach Melayn et Gialaurys font marche vers la péninsule à la tête d’une armée. Ils se lanceront sur la piste de Dantirya Sambail en partant de la côte occidentale. Mon intention est de lever à Stoien une seconde armée qui s’engagera dans la péninsule pour le prendre à revers. Ma mère guidera les mouvements de nos troupes ; elle pense connaître le moyen d’utiliser le matériel de l’île pour le retrouver. Pendant ce temps, pour l’empêcher de s’échapper quand l’étau se refermera sur lui, nous bloquerons les ports sur tout le littoral, au nord comme au sud.

— Puis-je vous demander, monseigneur, qui commandera l’armée de Stoien ?

— Eh bien, moi, répondit Prestimion, visiblement surpris par la question.

— Non, monseigneur, je vous en conjure !

— Pourquoi ?

— Vous ne devez pas vous aventurer dans la jungle de Stoienzar. Vous ne pouvez savoir à quel point cette région est horrible. Je ne parle pas seulement de la chaleur et de l’humidité ni des insectes longs comme la moitié du bras qui bourdonnent du matin au soir autour de votre tête. Je parle des périls, monseigneur, des terribles dangers qui sont partout. Vous êtes-vous demandé pourquoi la région n’est pas habitée ? Ce n’est qu’un vaste marécage où les bottes s’enfoncent jusqu’à la hauteur des chevilles à chaque pas. Partout sont tapis des monstres venimeux, les crabes des marais, dont la morsure est mortelle, à moins d’avoir, comme moi, la chance d’être blessé par un tout petit. Les arbres eux-mêmes sont des ennemis ; il y a une espèce dont les graines explosent quand elles sont mûres, projetant en tout sens de longs fragments qui pénètrent aussi profondément dans les chairs qu’un poignard lancé avec force. Il y a un autre arbre, le palmier mangazona, dont les feuilles sont tranchantes comme…

— Je sais tout cela, Akbalik. Mais c’est à moi qu’il incombe de conduire nos troupes. Croyez-vous qu’un peu d’inconfort me fasse peur ?

— Nombre de soldats perdront la vie dans la traversée de ces marécages. J’en ai vu mourir et j’ai failli connaître le même sort. Je pense que vous n’avez pas le droit d’aller risquer votre vie là-bas, monseigneur.

Un éclair de colère brilla dans la prunelle de Prestimion.

— Pas le droit ? Pas le droit ? Vous allez trop loin, Akbalik ! Même le neveu du prince Serithorn n’a pas à dire au Coronal ce qu’il doit faire ou ne pas faire.

La réprimande de Prestimion frappa Akbalik comme un soufflet. Son visage s’empourpra ; il marmonna une excuse en formant précipitamment le symbole de la constellation. Pour reprendre son calme, il but une grande goulée de vin. Il fallait s’y prendre autrement.

— Votre mère sera-t-elle vraiment en mesure de vous aider dans cette guerre, monseigneur ? reprit-il d’une petite voix.

— Elle le croit. Elle pense même pouvoir neutraliser le pouvoir mental dont Barjazid fera usage.

— Vous pensez donc – pardonnez-moi encore, monseigneur – l’emmener avec vous dans la jungle de Stoienzar ? La Dame de l’île traversera à vos côtés ces marécages mortels ? Vous voulez vraiment lui faire courir un tel péril ?

Il vit aussitôt qu’il venait de marquer un point. Prestimion était pris de court ; il n’attendait visiblement pas un coup venant de cette direction.

— J’aurai besoin de l’avoir près de moi au long de la chaîne des événements. C’est elle qui aura la vision la plus claire des mouvements du Procurateur.

— L’efficacité des pouvoirs de la Dame ne dépend pas de la distance, si je ne me trompe, poursuivit Akbalik. Il n’est pas nécessaire de l’emmener sur le lieu des opérations. Elle peut rester en sécurité à Stoien pendant que se déroule la campagne dans la jungle. Vous aussi, monseigneur. Vous pouvez élaborer des stratégies ensemble : vos décisions seront rapidement transmises sur le front. De grâce, monseigneur, écoutez-moi jusqu’au bout, poursuivit-il vivement en voyant que Prestimion s’apprêtait à l’interrompre. Lord Stiamot menait peut-être son armée au combat il y a sept mille ans, mais un tel risque de la part du Coronal est inacceptable aujourd’hui. Restez à Stoien, supervisez de loin les opérations avec l’aide de la Dame. Permettez-moi de conduire les troupes impériales contre le Procurateur. Vous n’êtes pas remplaçable, moi si. Et j’ai déjà un peu l’expérience des conditions que l’on trouve dans la jungle de Stoienzar. Laissez-moi partir à votre place.

— Vous ? Non, Akbalik. Jamais.

— Monseigneur…

— Vous croyez m’avoir abusé avec votre jambe ? Je vois bien que vous souffrez le martyre. Vous êtes à peine capable de marcher, certainement pas de partir en mission dans la jungle. Et comment pouvez-vous savoir si l’infection ne va pas empirer avant que vous ne commenciez à guérir ? Non, Akbalik. Vous avez peut-être raison d’estimer qu’il n’est pas prudent que je parte à la tête de nos troupes, mais il n’est pas question que ce soit vous.

Quelque chose d’inflexible dans la voix du Coronal fit comprendre à Akbalik qu’il était inutile de protester. Il demeura assis en silence, massant sa jambe douloureuse juste au-dessus de la plaie.

— Je vais suivre votre conseil, reprit Prestimion, et essayer de diriger les opérations de Stoien : nous verrons comment cela se passe. Pour ce qui vous concerne, je vous relève du service actif. La Dame Varaile va repartir au Château dans quelques jours – elle attend un heureux événement, le saviez-vous, Akbalik ? – et je vous confie le soin de l’escorter jusqu’au Mont.

— Mes félicitations, monseigneur. Mais, avec tout le respect que je vous dois, confiez cette mission à Dekkeret. Il est préférable que je reste à vos côtés pour vous aider dans la conduite de cette campagne. Ma connaissance de la jungle…

— Pourrait être utile, c’est un fait. Mais si vous perdez votre jambe, vous serez bien avancé. Il serait idiot de rester à Stoien ; ce n’est qu’une petite ville de province. Nous avons les meilleurs médecins de la planète au Château ; ils vous remettront sur pied en un rien de temps. Pour ce qui est de Dekkeret, j’ai besoin de lui ici. Il est le seul qui comprenne quelque chose à la manière dont fonctionne l’appareil de Barjazid.

— Je vous en conjure, monseigneur…

— Je vous conjure, Akbalik, de ne pas perdre votre salive. Ma décision est prise. Je vous remercie pour tout ce que vous avez accompli à Stoien. Vous allez escorter la Dame Varaile jusqu’au Château et faire soigner votre jambe.

Prestimion se leva. Akbalik l’imita, en faisant un effort qu’il fut incapable de dissimuler. Sa jambe blessée refusait de le soutenir. Le Coronal passa le bras autour de ses épaules et l’aida à trouver son équilibre.

De l’extérieur leur parvint un son strident de sirènes ; des gens hurlaient dans la rue. Akbalik se tourna vers la fenêtre : une nouvelle colonne de fumée noire montait au ciel dans le quartier sud de la cité.

— Les choses ne cessent d’empirer, fit Prestimion à mi-voix. Un jour, Akbalik, poursuivit-il, nous sourirons en repensant à ces temps troublés. Mais j’aimerais que le présent nous donne un peu plus matière à sourire.

 

Ce n’est que le lendemain, en fin d’après-midi, qu’Akbalik eut l’occasion de s’entretenir avec Dekkeret. Il n’avait pas vu le jeune homme depuis deux ans, depuis cette soirée dans une taverne de montagne, à Khyntor, où ils avaient vidé des flacons du vin doré qui réchauffe le cœur. La soirée où Dekkeret lui avait fait part de son intention de se rendre à Suvrael.

— Tu te juges trop durement, avait dit Akbalik. Il n’est de péché si grave qu’il mérite de s’embarquer pour Suvrael.

Et il avait exhorté Dekkeret à faire à la place un pèlerinage dans l’île, s’il éprouvait réellement le besoin de purifier son âme. Que la bienheureuse Dame guérisse son esprit. Il était stupide d’interrompre sa carrière tout le temps que durerait un séjour à Suvrael.

Dekkeret était quand même parti à Suvrael ; il avait aussi vu l’île, même s’il n’y était resté que très peu de temps. Et ces pérégrinations ne semblaient pas avoir nui à sa prometteuse carrière.

— Vous souvenez-vous de ce que nous nous étions promis, fit Dekkeret, dans la taverne de Khyntor, la dernière fois que nous nous sommes vus. Que nous nous retrouverions sur le Mont deux ans plus tard, à mon retour de Suvrael. Que nous partirions ensemble nous amuser à High Morpin. Les deux années se sont écoulées, Akbalik, sans que nous ayons eu la possibilité d’aller à High Morpin.

— Les événements ne nous l’ont pas permis. Je me suis retrouvé à Stoien à l’époque où nous étions convenus de nous revoir. Et toi…

— Je suis bien allé à l’île du Sommeil, fit Dekkeret en riant, mais pas en qualité de pèlerin. Pouvez-vous imaginer, Akbalik, à quel point ma vie me paraît étrange. Moi qui espérais simplement devenir un chevalier du Château, au mieux obtenir un modeste poste ministériel sur mes vieux jours, voilà que je voyage aux côtés du Coronal et de son épouse, en compagnie de la Dame elle-même, que je suis plongé au cœur des affaires d’État les plus complexes, les plus délicates…

— Oui. Ton ascension est rapide, Dekkeret. Tu seras Coronal un jour, crois-moi.

— Moi ? Ne dites pas de bêtises, Akbalik ! Quand tout cela sera terminé, je redeviendrai un simple chevalier-novice. C’est vous qui serez peut-être Coronal ; tout le monde le murmure. Confalume a une dizaine ou une douzaine d’années à vivre, lord Prestimion deviendra Pontife et le prochain Coronal pourrait bien…

— Silence, Dekkeret ! Pas un mot de plus !

— Pardonnez-moi si je vous ai offensé. Je pense sincèrement que vous êtes un candidat tout à fait acceptable pour succéder…

— Suffit ! Pas une seconde l’idée ne m’a traversé l’esprit que je pourrais devenir Coronal ; je n’espère pas et je ne veux pas le devenir. Pour commencer, j’ai exactement le même âge que Prestimion. Son successeur viendra de ta génération, pas de la mienne. D’autre part…

Akbalik s’interrompit en secouant la tête.

— Pourquoi perdons-nous notre temps à une conversation aussi stupide ? Le prochain Coronal ?… Faisons de notre mieux pour servir celui qui règne aujourd’hui. Dans quelques jours, je vais raccompagner la Dame Varaile au Château. Toi, tu resteras ici pour conseiller lord Prestimion sur les effets du matériel de Barjazid. Je veux que tu me promettes quelque chose, Dekkeret.

— J’écoute. Tout ce que vous voudrez.

— Promets-moi que si le Coronal se met en tête de s’aventurer dans la jungle à la recherche de Dantirya Sambail malgré tout ce que je lui ai dit, tu feras tout pour l’en dissuader. Tu lui diras que c’est de la folie, qu’il ne faut absolument pas le faire, que pour son épouse, sa mère, son futur enfant et même pour toute la planète, il doit demeurer hors d’atteinte des mille dangers de cet endroit infernal. Veux-tu me le promettre, Dekkeret ? Même s’il doit sortir de ses gonds, même si tu dois mettre ta carrière en péril, dis-le-lui. Répète-le-lui.

— D’accord. Je le promets.

— Merci.

Un silence s’installa entre eux. Empruntée depuis le début, la conversation semblait s’être essoufflée.

— Puis-je vous poser une question personnelle, Akbalik ? reprit Dekkeret.

— Bien sûr.

— Cela me tracasse de vous voir traîner la patte. Votre jambe vous fait beaucoup souffrir, n’est-ce pas ?

— Ma jambe, ma jambe, ma jambe ! On croirait entendre Prestimion ! Ma jambe guérira, Dekkeret, je ne vais pas la perdre ! Dans les marais de Stoienzar, un petit crabe ridicule m’a pincé, la plaie s’est infectée et comme c’est très douloureux, je marche avec une canne depuis quelques jours, voilà tout. La blessure est en voie de guérison et tout ira bien. D’accord ? Tout est dit sur ma jambe. Parlons de quelque chose de plus gai, veux-tu ? Ton séjour à Suvrael, par exemple…

 

Il était encore tôt et l’odeur âcre de la fumée polluait la pureté de l’air limpide : le premier incendie du jour, se dit Prestimion. C’était le matin du départ de Varaile pour le Château. Un convoi de sept flotteurs attendait devant le Pavillon de Cristal, un véhicule luxueux pour Varaile et Akbalik, quatre plus modestes pour leur escorte et deux autres pour les bagages. Plus tôt Varaile aurait retrouvé la sécurité du Château, loin des troubles qui ravageaient tant de cités, mieux ce serait. Prestimion espérait pouvoir la rejoindre avant la venue au monde du petit prince – il porterait le nom de Taradath, en mémoire de l’oncle que l’enfant n’aurait jamais connu.

— J’aimerais tellement que tu m’accompagnes, Prestimion, fit Varaile au moment où ils sortaient du Pavillon de Cristal pour se diriger vers les flotteurs.

— Moi aussi. Laisse-moi d’abord en finir avec le Procurateur et je te rejoindrai.

— Tu as l’intention de le poursuivre dans cette jungle ?

— Akbalik me l’interdit formellement. Comment veux-tu que je désobéisse à Akbalik ?… Non, Varaile, je n’irai pas dans la jungle. Je veux que ma mère soit à mes côtés au moment de porter le coup de grâce à Dantirya Sambail et la jungle de Stoienzar n’est pas un endroit pour elle. J’y ai renoncé. Mais, crois-moi, l’idée d’être confortablement installé à Stoien pendant que Septach Melayn, Gialaurys et Navigorn se fraient un chemin dans les forêts de palmiers-scies en traquant…

— Oh ! Prestimion ! coupa Varaile avec un rire argentin. Ne sois pas si puéril. Peut-être que les Coronals dont nous avons lu les aventures dans Le Livre des Changements s’enfonçaient dans les forêts et livraient de terribles batailles aux monstres qu’elles hébergeaient, mais cela ne se fait plus. Crois-tu que lord Confalume serait allé au cœur de la jungle s’il avait eu une guerre sur les bras ? Et lord Prankipin ? Tu n’iras pas, n’est-ce pas ? poursuivit-elle en le regardant au fond des yeux.

— Je viens de t’expliquer pourquoi je ne peux pas y aller.

— Pouvoir et vouloir sont deux choses différentes. Tu pourrais décider, selon le déroulement des opérations, que tu n’as pas vraiment besoin de la Dame Therissa à tes côtés. Dans ce cas, la laisserais-tu à Stoien pour partir dans la jungle, quand Akbalik et moi serons loin ?

La conversation commençait à devenir embarrassante. Il n’avait pas plus envie que quiconque de se frotter à cette jungle abominable et comprenait parfaitement que le Coronal n’a pas à risquer sa vie à la légère. Contrairement à la guerre civile, quand il n’était qu’un simple citoyen cherchant à renverser l’usurpateur, Prestimion était aujourd’hui le souverain consacré. Mais mener une guerre par procuration à trois mille kilomètres de distance, quand ses amis risquaient leur vie au milieu des crabes des marais et des palmiers-scies…

— Si jamais il devient essentiel, absolument inévitable, que j’y aille, déclara enfin Prestimion, j’irai. Sinon, je resterai à Stoien. Crois-moi, Varaile, poursuivit-il en effleurant son ventre de la main, je tiens à être de retour au Château, sain et sauf, avant la naissance de Taradath. Je ne prendrai aucun risque que je ne sois obligé de prendre.

Il serra la main de Varaile dans la sienne, lui embrassa le bout des doigts et l’entraîna vers les flotteurs.

— Il faut partir. Mais où est Akbalik ? Il devrait être là.

— N’est-ce pas lui, Prestimion ? Tout là-bas ?

Elle indiqua l’autre côté de la place. Un homme avec une canne, oui. Il allait très lentement, s’arrêtait tous les trois pas pour reprendre des forces et soulager sa jambe gauche. Prestimion le suivit du regard, la mine sombre. C’était inquiétant, cette blessure infectée d’Akbalik. La sorcellerie Vroon avait ses limites ; Akbalik était un homme important : il devait être confié le plus rapidement possible aux soins des meilleurs médecins du Château. Prestimion se demandait quelle était réellement la gravité de la blessure.

— Il n’est pas près d’arriver, fit-il. Tu devrais aller t’asseoir dans le flotteur, Varaile. Il n’est pas bon pour toi de rester si longtemps debout.

Elle lui sourit, monta dans le flotteur.

À ce moment-là, quelque chose lui revint à l’esprit, une question qu’il voulait lui poser depuis plusieurs semaines.

— Une dernière chose avant que tu partes, Varaile. Te souviens-tu, quand je vous ai raconté dans le Temple Intérieur, à ma mère et à toi, l’histoire de l’oblitération, j’ai dit que le nom du fils de lord Confalume qui s’était emparé du trône était Korsibar. Tu as eu l’air très surprise. Puis-je te demander pourquoi ?

— J’avais entendu ce nom. Mon père l’avait prononcé un jour, dans le courant de ses divagations. Il semblait croire que Confalume était encore Coronal ; quand je lui ai dit que non, qu’il y en avait un nouveau, il s’est écrié : « Ah oui ! Lord Korsibar ! » « Non, père, ai-je dit, le nouveau Coronal s’appelle lord Prestimion. Il n’y a pas de lord Korsibar. » J’ai cru que c’était sa folie qui le faisait parler ainsi. Mais quand tu nous as dit que l’usurpateur dont le nom avait été effacé par tes mages de la mémoire du monde s’appelait Korsibar…

— Je vois, fit Prestimion en sentant un frisson d’appréhension le parcourir. Le père de Varaile connaissait ce nom. Il se souvenait de Korsibar. Est-il possible que les effets de l’oblitération commencent à s’estomper, que le véritable passé remonte à la surface ?

Il n’avait pas vraiment besoin de cela maintenant. Peut-être seuls ceux qui étaient le plus profondément atteints par la folie étaient-ils capables de ces retours en arrière ? Et nul ne pouvait prendre très au sérieux ce qu’ils disaient. « Dans le courant de ses divagations », venait de dire Varaile en parlant de son père. Il n’en devrait pas moins garder cela présent à l’esprit. Et il consulterait un des mages : Maundigand-Klimd ou, peut-être, Heszmon Gorse.

C’était un problème sur lequel il se pencherait plus tard. Akbalik était enfin arrivé, arborant un large sourire peu convaincant.

— Je vois que tout le monde est prêt ! s’écria-t-il avec un entrain forcé.

— Tout le monde est prêt et attend, fit Prestimion. Comment va cette jambe ?

Elle donnait l’impression d’être encore plus gonflée que la veille. Peut-être n’était-ce qu’une illusion.

— La jambe ? Elle va bien, monseigneur. Un petit élancement de temps en temps. Encore quelques jours et…

— Oui, un petit élancement, fit Prestimion. J’ai cru observer plusieurs de ces petits élancements tandis que vous traversiez la place. Dès votre arrivée au Château, ne perdez pas de temps pour la faire examiner, voulez-vous ?

Il détourna la tête pour ne pas voir avec quelle difficulté Akbalik montait dans le flotteur.

— Bon voyage ! cria-t-il.

Varaile et Akbalik lui firent des signes de la main. Les rotors du véhicule se mirent à bourdonner. Les autres flotteurs du convoi commencèrent eux aussi à se mettre en marche. Prestimion demeura un long moment immobile sur la place quand les véhicules eurent disparu.