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— Dis-moi franchement, fit Septach Melayn. T’attendais-tu à revenir un jour dans cette région ?

— Pourquoi pas, répondit Gialaurys.

Ils entraient de nouveau dans la forêt pluviale de Kajith Kabulon, dans ce voyage vers le sud qui les avait vus traverser Bailemoona, Ketheron et Arvyanda en suivant le même itinéraire que deux ans plus tôt. Contrairement au précédent voyage où ils accompagnaient Prestimion dans une expédition modeste, ils étaient cette fois à la tête d’une force imposante.

— Nous sommes au service du Coronal, poursuivit Gialaurys. Quand Prestimion nous dit d’aller quelque part, nous y allons. Si cela implique de faire dix voyages à Ketheron dans une année ou de traverser quinze fois le Valmambra, qu’est-ce que cela change pour nous ?

— Une réponse pesante à une question légère, mon ami, fit Septach Melayn en riant. Je voulais seulement dire que la planète est si vaste qu’on ne s’attend pas à visiter deux fois le même endroit. Sauf, bien entendu, pour les allers et retours dans les cités du Mont. Et nous voilà dans la chaleur humide de la forêt de Kajith Kabulon pour la deuxième fois en trois ans.

— Ma réponse est la même, grommela Gialaurys. Nous sommes ici parce que le Coronal lord Prestimion nous a envoyés dans la péninsule de Stoienzar et que le plus court chemin du Château à la péninsule passe par Kajith Kabulon. Je ne comprends pas le sens de ta question. Mais ce ne serait pas la première fois que tu ouvres la bouche pour le simple plaisir de faire du bruit. N’est-ce pas, Septach Melayn ?

— Croyez-vous, lança Navigorn, en partie pour apaiser la tension de plus en plus perceptible, que quelqu’un ait vécu assez longtemps pour voir toute la planète ? Je ne veux pas seulement dire partir d’ici pour aller sur la côte opposée de Zimroel ; les Coronals le font tous quand ils accomplissent leur Grand Périple. Mais aller partout, dans chaque province, chaque cité, relier la côte orientale d’Alhanroel à la côte occidentale de Zimroel et descendre du pôle nord jusqu’à la pointe méridionale de Suvrael.

— Il faudrait cinq cents ans, je pense, fit Septach Melayn. Plus longtemps, je le crains, que nous ne vivrons. Mais Prestimion n’est Coronal que depuis peu et nous avons déjà, Gialaurys et moi, parcouru les territoires du levant, puis nous sommes descendus jusqu’à Sippulgar et nous avons maintenant le grand plaisir de visiter la magnifique péninsule…

— Tu m’insupportes, Septach Melayn, lança Gialaurys. Je crois que je vais voyager dans un autre flotteur.

Mais il ne fit pas mine d’arrêter le véhicule ; ils poursuivirent leur route ensemble. La voûte de feuillage devenait plus dense. C’était un univers de verdure dont l’uniformité n’était rompue de loin en loin que par les taches de couleur éclatante des lichens sur les troncs, écarlates le plus souvent, parfois d’un jaune plus vif encore que le jaune soufre de Ketheron. Ce n’était que le début de l’après-midi, mais le soleil n’était déjà plus visible à travers l’entrelacement des lianes unissant les cimes des arbres au fut mince qui bordaient la route. Le roulement incessant de la pluie sur les feuilles mettait les nerfs à rude épreuve ; une petite pluie, d’une intensité constante, qui tombait sans discontinuer, heure après heure.

Une longue file de flotteurs s’étirait devant eux. Chacun portait sur ses flancs le symbole du Labyrinthe ; ce n’était pas officiellement une armée, seulement une force de maintien de la paix engagée dans une opération de police et placée – toujours officiellement – sous le commandement du Pontificat. Il n’y avait pas d’armée sur Majipoor, seulement des troupes pontificales chargées du maintien de la paix. Le Coronal n’avait à sa disposition d’autres troupes que celles qui constituaient la garde du Château. L’armée que Korsibar avait lancée contre Prestimion pendant la guerre civile était une version gonflée, probablement inconstitutionnelle, de la garde du Coronal ; celle que Prestimion avait levée pour détrôner l’usurpateur une milice composée de volontaires.

Un spécialiste du droit constitutionnel, un rat de bibliothèque plongé du matin au soir dans l’étude des Synodes, des Canons et des Décrétales aurait probablement trouvé à redire à la légalité de cette brigade. Septach Melayn avait réquisitionné ces troupes en présentant à Vologaz Sar, le légat du Pontife au Château, un décret signé de sa main en sa qualité de Haut Conseiller, de celle du Grand Amiral Gialaurys agissant au nom de lord Prestimion et, pour faire bonne mesure, de Navigorn et du prince Serithorn.

— Il faut naturellement que je fasse contresigner cela au Labyrinthe, avait dit Vologaz Sar.

— Absolument. Mais nous devons nous mettre immédiatement en route pour la péninsule de Stoienzar et nous lèverons des troupes pontificales dans les différentes unités qui seront sur notre trajet. Si vous voulez bien apposer votre signature pour nous autoriser à lever des troupes d’une manière strictement provisoire, en attendant l’approbation officielle du Pontife…

Là-dessus, Septach Melayn lui avait présenté une copie du décret, identique au premier document.

— C’est tout à fait irrégulier, Septach Melayn !

— En effet, je pense qu’on peut dire cela… Il vous faut signer ici, je pense, juste au-dessus du sceau pontifical que nous avons déjà apposé, pour vous épargner la peine de le faire.

En échange de la coopération du légat, Septach Melayn avait annoncé qu’il le dispensait de fournir des officiers des forces pontificales pour prendre part aux opérations contre Dantirya Sambail. Il avait expliqué qu’il serait plus simple que la responsabilité du commandement reste concentrée entre les mains des hommes de confiance du Coronal. L’énormité de la requête acheva le pauvre Vologaz Sar qui abandonna toute résistance.

— Comme vous voudrez, marmonna-t-il en signant à l’endroit indiqué.

 

Ils en étaient au quatrième jour de la traversée de la forêt de Kajith Kabulon. Après avoir quitté la route principale qui les aurait conduits à la capitale de la province et au palais d’osier du prince Thaszthasz, ils progressaient lentement sur une voie secondaire au sol spongieux qui suivait la direction de l’ouest. Dans cette partie de la forêt tout poussait avec une exubérance tropicale. Des amas de mousses rougeâtres garnies d’épines pendaient en festons si lourds sur les arbres qu’il était difficile de comprendre comment ils n’étaient pas étouffés. Des touffes de lichen cramoisi s’accrochaient au moindre rocher ; de longs filaments visqueux de moisissures bleutées étaient enroulés sur les bas-côtés comme des serpents endormis. La pluie était omniprésente.

— Cela n’arrête donc jamais ? lança Navigorn, le seul des trois à ne pas connaître Kajith Kabulon. Par la Dame, cette pluie va me rendre fou !

Septach Melayn le considéra pensivement. Les étranges accès de convulsions dont était pris Navigorn par intervalles depuis les premiers temps de l’épidémie de folie le faisaient encore souffrir de loin en loin, en particulier lorsqu’il était tendu. Le roulement ininterrompu de la pluie allait-il déclencher une nouvelle crise ? Ce serait gênant dans l’espace exigu qu’ils partageaient.

Il aurait sans doute été plus sage que Navigorn reste au Château pour assurer encore une fois la régence, au lieu de s’exposer aux aléas de cette expédition. Mais il avait insisté pour les accompagner. Il avait encore le sentiment que sa réputation était entachée par l’évasion de Dantirya Sambail des tunnels de Sangamor. L’évasion étrangement similaire de Venghenar Barjazid et de son fils de la même prison – bien qu’on ne pût en aucune manière l’imputer à Navigorn –, avait ravivé ses sentiments de honte et de culpabilité. Dantirya Sambail ne serait pas une source d’ennuis si Navigorn avait su le garder enfermé dans les tunnels. Dans le but manifeste de se racheter, il avait insisté pour partir. C’est au pauvre Serithorn, le prince frivole, qu’était échue la responsabilité de diriger le gouvernement en leur absence, avec l’aide de Teotas, le frère cadet de Prestimion. Mais le climat de la forêt pluviale commençait à peser sur Navigorn. Septach Melayn regarda aussi loin en avant qu’il le pouvait, dans l’espoir d’apercevoir un rayon de soleil.

— Que dirais-tu d’une petite chanson, Amiral ? fit-il en se tournant vers Gialaurys. Une balade entraînante pour passer agréablement le temps ?

Sans attendre une réponse, il entonna un air vieux de dix mille ans.

 

Lord Vargaiz arrive chez les Changeformes,

Demande un bon flacon de leur vin.

Ils apportent pour étancher sa soif

Une coupe de jus de la baie de glagga.

 

Gialaurys, dont la voix eût fait honte au grand crapaud du Mont Kunamolgoi, croisa les bras en roulant des yeux furibonds en direction de Septach Melayn, comme s’il avait, lui aussi, succombé à la folie. Navigorn joignit en souriant sa voix à celle de Septach Melayn.

 

Le jus du glagga, croyez-moi, mes amis,

Est à boire avec précaution.

L’intrépide Vargaiz but la coupe d’un trait

Dans le repaire des Changeformes.

 

J’aime le goût de votre vin,

Dit le Coronal en souriant.

On peut dire qu’il descend bien, mais…

 

— Si tu voulais bien cesser de beugler un moment, fit Gialaurys, nous pourrions réfléchir à la route à prendre. Il semble y avoir un embranchement devant nous. Ou bien la seule chose qui compte est de chanter à tue-tête ?

Septach Melayn regarda par-dessus son épaule. Le guide Vroon Galielber Dorn voyageait avec eux, mais le petit être était roulé en boule à l’arrière du véhicule, souffrant de quelque mystérieuse maladie. Le climat humide de Kajith Kabulon ne semblait pas du tout lui convenir.

— Dorn ? s’écria Septach Melayn. Quelle direction ?

— Gauche, répondit le Vroon sans hésitation mais d’une voix faible.

— Mais nous allons vers l’ouest ; si nous prenons à gauche, cela nous mènera dans la direction opposée.

— Si vous connaissez la réponse, pourquoi posez-vous la question ? grogna le Vroon. Faites comme cela vous chante. Mais en tournant à gauche, nous arriverons à Stoienzar.

Avec un gémissement, il s’enfouit sous une pile de couvertures.

— Ce sera donc à gauche, fit Septach Melayn avec un petit haussement d’épaules.

Il modifia le cap du véhicule. Quelle confusion si tout le convoi devait s’engager sur la mauvaise route ; mais on ne discutait pas avec un guide Vroon. De fait, au bout de quelques centaines de mètres, la voie de gauche commença à former une boucle pour revenir dans la direction d’origine. Septach Melayn vit que ce crochet était destiné à contourner un lac rond et boueux, envahi par une abondante végétation aquatique, qui bloquait la route dans la bonne direction.

L’amas de plantes flottant sur le lac avait un aspect sinistre des enchevêtrements formant des bosses, des feuilles évoquant des cornes d’abondance, des tiges visqueuses entortillées, tout était d’un bleu foncé sur le bleu-vert des eaux du lac. D’énormes mammifères aquatiques se déplaçaient lentement au milieu de cette végétation dont ils se nourrissaient. Septach Melayn n’en avait jamais vu de semblables. Leur corps rosâtre tubulaire était presque totalement immergé. Seuls l’arrondi de leur dos et les périscopes de leurs yeux pédonculés étaient visibles ; quelques-uns montraient aussi leurs profondes narines dilatées. Ils taillaient d’immenses trouées dans la masse des plantes aquatiques qui se tortillaient violemment quand les animaux les avalaient, mais n’avaient pas d’autre réaction. Au bout du lac de nouvelles pousses se hâtaient déjà de combler les vides ouverts par les animaux.

— Il y a une drôle d’odeur, vous ne trouvez pas ?

Les vitres du flotteur étaient fermées, mais les odeurs du lac pénétraient par bouffées à l’intérieur. Il n’y avait pas à s’y tromper. C’était comme s’ils respiraient les émanations d’une cuve de distillerie : le lac était en fermentation. À l’évidence, la respiration de ces plantes aquatiques produisait de l’alcool et le lac avait fini par se transformer en une gigantesque cuve de vin.

— Que diriez-vous d’une dégustation ? lança Septach Melayn d’un ton badin. Ou cela nous retarderait-il trop de faire une courte halte ?

— Tu t’approcherais de ces monstres rosés pour une gorgée de vin ? fit Gialaurys. Oui. Oui, tu en serais bien capable. Eh bien, tu vas être servi : agenouille-toi là-bas et bois tout ton soûl.

Il tira sur la manette de contrôle du rotor et le véhicule s’immobilisa.

— Ton hostilité permanente commence à me sortir par les yeux, Amiral Gialaurys.

— Ton humour me sort par les yeux depuis un bon bout de temps, Haut Conseiller, répliqua Gialaurys.

— Messieurs, fit Navigorn en remettant le flotteur en marche. Je vous en prie, messieurs…

Ils poursuivirent leur route. La pluie avait cessé ; ils sortaient enfin de la forêt de Kajith Kabulon. Et le soleil réapparut, brillant avec une force tropicale juste devant eux, dans une direction qui ne pouvait être que l’ouest. Sippulgar la dorée et la côte de l’Aruachosia se trouvaient au sud, sur les rives de la Mer Intérieure. Devant eux s’étirait la péninsule de Stoienzar où s’était réfugié Dantirya Sambail.

 

L’heure n’était plus aux chamailleries. Ils s’engageaient dans un territoire inconnu de tous et, à chaque kilomètre, le paysage se faisait plus étrange, plus menaçant. La route s’était réduite à la largeur d’une piste, laissant à peine le passage pour les flotteurs. Par endroits, elle était complètement envahie par la végétation et il leur fallait s’arrêter pour s’ouvrir une voie à l’aide des lanceurs d’énergie. Au bout d’un moment, la route sembla avoir complètement disparu et les flotteurs se frayèrent un chemin dans la muraille végétale, avec de fréquentes interruptions pour couper des lianes ou dégager des troncs d’arbres qui bouchaient le passage. Il ne pleuvait pas, mais cette contrée était encore plus humide que la forêt de Kajith Kabulon. Tout était enveloppé dans un épais brouillard ; des vapeurs s’élevaient du sol qui projetait des jets au moindre rayon de soleil. Des plantes parasites pelucheuses pendaient comme des suaires de chaque branche. Les arbres eux-mêmes avaient un aspect cauchemardesque. L’un d’eux, qui semblait donner naissance à une véritable forêt, lançait à la verticale des milliers de fines pousses partant d’une unique et épaisse tige qui courait le long du sol comme un gros câble noir sur plus d’un kilomètre. Les racines d’un autre, dirigées vers le ciel, s’élevaient à quatre ou cinq mètres et s’agitaient comme si elles voulaient faire signe aux oiseaux de passage. Il y avait une troisième espèce qui semblait avoir fondu et coulé à la base : le tronc sortait d’une masse ligneuse informe, telle une tumeur botanique, large d’une quinzaine de mètres et plus haute qu’un homme.

Ce n’étaient pourtant que des curiosités de la nature, qui ne présentaient aucun danger pour les voyageurs. Il y en avait d’autres, aux particularités plus agréables, comme cet arbre dont la multitude de fleurs d’un jaune éclatant pendaient comme des lanternes à l’extrémité de longues tiges souples ou un autre dont les téguments gris-bleu s’entrechoquaient au plus petit souffle d’air pour produire un tintement harmonieux. Un peu plus loin, ils tombèrent sur une vaste forêt d’arbres qui fleurissaient tous au même moment, à l’aube. C’est Septach Melayn, le plus matinal, qui assista à la scène. « Venez voir ! » s’écria-t-il, réveillant les autres, tandis que des fleurs écarlates géantes s’ouvraient partout en même temps. Tout le long du jour, ils traversèrent la merveilleuse forêt d’arbres en fleurs, mais, le crépuscule venant, tous les pétales commencèrent à tomber avec la simultanéité de la floraison. Le lendemain, à l’aube, il n’y en avait plus un seul et le sol était couvert d’un tapis rosé.

À mesure que l’expédition progressait vers le couchant, ces moments de beauté se faisaient plus rares et ce qu’ils voyaient devenait de plus en plus menaçant.

Il y eut d’abord quelques manculains qui se glissaient dans les broussailles : des créatures solitaires à long nez, aux nombreuses pattes, lentes et craintives, aux étroites oreilles rouges. Couvertes de la tête à la queue par de longues épines jaunes, pointues comme des stylets, dont l’extrémité noire, se brisant au moindre contact, s’enfonçait profondément dans la chair, comme si elles avaient une volonté propre.

Puis des insectes velus tout ronds, avec une double rangée d’yeux malveillants, qui dévoraient un petit mikkinong dont une des pattes fragiles était blessée, le réduisant en quelques instants à un tas d’os. Ensuite, dans une clairière, les voyageurs découvrirent un essaim de créatures d’énergie, chacune ayant la forme d’un éclair brillant pas plus gros que le pouce. Se rendant compte qu’elles avaient été repérées, elles formèrent des fils horizontaux longs de deux mètres qui dansaient dans l’air en groupes inaccessibles. Un officier imprudent s’étant aventuré trop près, elles se jetèrent sur lui avec un bourdonnement joyeux, l’enveloppant dans un nuage de traits mobiles de lumière ; quand elles s’éloignèrent, il ne restait de lui que quelques cendres noircies.

Les créatures d’énergie ne réapparurent pas. Mais la chaleur et l’humidité, écrasantes depuis que l’expédition avait pénétré dans la péninsule, ne faisaient qu’empirer. Ils n’étaient plus loin de la côte. La brise soufflait directement de Suvrael, de sorte que la chaleur ardente du continent méridional se mêlant aux vapeurs qui s’élevaient de la mer chaude séparant les deux continents transformait l’air des basses terres de la péninsule en une soupe salée.

Les insectes de toutes sortes y étaient gigantesques ; avec leurs pattes velues et leurs mâchoires claquantes, ils grouillaient sur le sol boueux et sablonneux. Ils virent les premiers crabes des marais, de sinistres crustacés au dôme pourpre, d’une taille invraisemblable, à demi submergés dans le terrain marécageux. Il y avait aussi des bouquets des célèbres plantes animales de Stoienzar, enracinées sur place, qui fabriquaient leur nourriture par photosynthèse, mais qui avaient aussi des bras charnus se déplaçant lentement et des rangées d’yeux brillants dans la section supérieure de leur corps tubulaire et des bouches minces comme des fentes juste au-dessous. Il y en avait de toutes les tailles, qui se tournaient d’une manière inquiétante au passage des voyageurs dans leurs flotteurs. À en croire Galielber Dorn, elles saisissaient tous les petits animaux passant à portée de leurs mains pour les dévorer.

— Il faudrait les détruire par le feu ! grommela Gialaurys avec une grimace de dégoût.

Mais ils savaient qu’ils auraient besoin de leurs lanceurs d’énergie pour un usage plus important. Ils entraient dans le pays des palmiers manganozas, des arbres disgracieux, poussant de guingois les uns contre les autres en laissant si peu d’espace entre eux qu’ils formaient un mur quasi impénétrable. Ces arbres avaient de longues palmes recourbées, groupées en plumets, entièrement bordées de cellules cristallines extraordinairement tranchantes. La plus légère brise suffisait à faire frémir ces palmes, un effleurement à faire couler le sang ; un coup de vent plus fort et ces palmiers étaient capables de trancher une main, un bras et même une tête.

Les conditions de leur progression devenaient effroyables. Il n’y avait plus de route, plus de piste ; le seul moyen de se frayer un chemin dans la forêt de palmiers-scies était de les brûler à coups de lanceurs d’énergie, mais chaque décharge utilisée dans cette forêt était perdue pour les combats contre les forces de Dantirya Sambail.

Septach Melayn se dit qu’ils finiraient par être contraints d’avancer à pied, en se préparant à des embuscades et à des combats au corps à corps avec les hommes du Procurateur. L’ennemi devait bien connaître le pays maintenant, contrairement à eux qui le découvraient. L’avantage était assurément dans l’autre camp.

Mais il garda ses appréhensions pour lui. « C’est l’endroit idéal pour établir le camp de Dantirya Sambail, se contenta-t-il de dire. Un endroit qui lui ressemble : tout ici est aussi opiniâtre, ignoble et dangereux que lui. »