Dans la cité de Stoien, il restait encore au moins une heure avant l’aube. Prestimion avait à peine fermé l’œil de la nuit. Debout devant la grande fenêtre voûtée de sa chambre, au dernier étage du Pavillon de Cristal, il gardait les yeux fixés sur l’orient, comme s’il avait pu, par la seule force de son regard, hâter le lever du soleil.
C’est là-bas, à l’est, dissimulé à sa vue par l’obscurité qui enveloppait comme un linceul la côte occidentale d’Alhanroel, que se jouait l’avenir de Majipoor. Que s’écrivait l’histoire du règne du Coronal lord Prestimion. Toute la période qui porterait son nom pour la postérité serait déterminée par l’issue des événements des prochaines semaines. Et il était là, à Stoien, à des milliers de kilomètres du lieu de l’action, passif, permettant à d’autres d’agir en son nom. Réduit à un rôle marginal dans la réalisation de son propre destin. Comment avait-il pu permettre cela ?
Il y avait d’un côté Dantirya Sambail, tapi comme une araignée venimeuse au centre de la toile qu’il s’était tissée dans la jungle impitoyable de la péninsule de Stoienzar, se préparant à lancer l’offensive de subversion et déstabilisation qu’il préparait depuis son évasion des tunnels de Sangamor. De l’autre Septach Melayn, Gialaurys et Navigorn qui se frayaient un chemin vers lui à la tête d’une armée, tandis qu’une autre traversait d’ouest en est la péninsule pour établir la jonction avec la première – une seconde armée à la tête de laquelle aurait dû être le Coronal ou, à défaut, Akbalik ou Abrigant, mais qui avait été placée sous le commandement d’un capitaine des forces pontificales dont Prestimion ne parvenait jamais à retrouver le nom.
Un Prestimion exaspéré d’être coincé à Stoien, de ne pas pouvoir se rapprocher – avec sa mère – de la zone des périls. Abrigant était à Muldemar où il exerçait les responsabilités qui lui étaient échues quand son frère aîné avait ceint la couronne du Coronal. Quant à Akbalik, sur qui Prestimion avait commencé à s’appuyer au point d’envisager de faire de lui son successeur, il devait se trouver en ce moment au cœur du continent, en route vers le Château, épuisé, malade, peut-être menacé de mort par sa blessure reçue dans la jungle.
Prestimion avait feint d’avoir besoin d’Akbalik pour escorter Varaile jusqu’au Château où elle attendrait la naissance de son enfant comme Akbalik avait essayé de faire croire à Prestimion que sa blessure n’était pas aussi grave qu’elle pouvait le paraître. Ni l’un ni l’autre ne s’était laissé abuser. Quantité de capitaines auraient pu accompagner Varaile jusqu’au Mont. La raison pour laquelle Akbalik voyageait avec elle au lieu de jouer un rôle clé dans l’assaut contre le camp de Dantirya Sambail était que le venin du crabe des marais s’insinuait un peu plus chaque jour dans son corps et que les seuls médecins capables de le sauver se trouvaient à l’autre bout du continent. Si Akbalik meurt…
Prestimion chassa cette pensée avec irritation. Il avait assez de problèmes sur les bras pour ne pas se préoccuper d’événements contingents. D’autres amis très chers risquaient leur vie en ce moment alors que lui était cloîtré dans cette chambre, frustré de devoir rester derrière les lignes où sa personne sacrée serait à l’abri des dangers. Et Dantirya Sambail, sentant que le moment de vérité était proche, s’apprêtait probablement à surgir de sa cachette avec une furie diabolique.
Mais, par-dessus tout, il y avait l’épidémie de folie qui continuait implacablement de se propager, ce dérèglement pernicieux qui menaçait de mettre en péril la santé mentale de toute la population et dont Prestimion, aussi irréprochables qu’aient été ses mobiles, portait seul la responsabilité. Quel monde avait-il créé, ce jour de funeste mémoire à Thegomar Edge, pour le fils que Varaile allait bientôt mettre au monde ? Que serait l’héritage du Coronal lord Prestimion à la planète sinon le souvenir d’une époque où régnait le plus affreux chaos ? Les pitoyables rodomontades du Procurateur de Ni-moya étaient dérisoires en comparaison. Il était facile d’imaginer la défaite prochaine de Dantirya Sambail pris en tenailles par les deux armées, mais la folie… la folie… Il était toujours désespérément en quête d’une solution.
On frappa à la porte de la chambre.
Prestimion s’écarta de la fenêtre. Qui pouvait bien le déranger à une heure si matinale ? Pour quelle autre raison que l’annonce d’une nouvelle catastrophe ?
— Oui ? Qu’est-ce que c’est ?
— Monseigneur, fit la voix de Nilgir Sumanand dans le couloir. Pardonnez-moi de vous déranger, mais le prince Dekkeret demande à vous voir et dit que cela ne peut attendre. Il affirme que c’est une affaire très urgente, poursuivit l’aide de camp d’un ton légèrement dubitatif.
— Non, non, pas prince Dekkeret ! fit une autre voix agacée. Dekkeret tout court !
Prestimion se rembrunit. Il avait les cheveux ébouriffés, les yeux rouges et le visage défait après sa nuit sans sommeil.
— Dites-lui d’attendre un moment, voulez-vous, pendant que je me rafraîchis.
— Je peux lui faire savoir, si tel est votre désir, qu’il serait préférable qu’il revienne dans le courant de la matinée.
Dans le couloir, Dekkeret semblait expliquer quelque chose à Nilgir Sumanand d’une voix basse et sur un ton d’insistance. Prestimion se força à contenir son agacement. S’il n’intervenait pas, cela pourrait durer toute la matinée. Il traversa la pièce à grands pas, ouvrit la porte. Nilgir Sumanand, le visage ensommeillé, battit des paupières en signe d’excuse. Derrière lui Dekkeret se dressait comme un mur.
— Vous voyez, monseigneur, fit Nilgir Sumanand, il m’a tiré du lit et a demandé avec insistance…
— Je comprends, coupa Prestimion. Ce n’est pas un problème. Vous pouvez vous retirer, Nilgir Sumanand.
Prestimion fit signe à Dekkeret de le suivre dans la chambre.
— Sachez, monseigneur que je regrette profondément de vous déranger à une heure indue, commença Dekkeret. Mais, compte tenu de la gravité de la situation et de l’importance de ce que j’ai à annoncer, j’ai estimé qu’il était préférable de ne pas attendre…
— Très bien, Dekkeret, venez-en au fait. Si j’entends encore un mot d’excuse, j’explose ! Dites-moi simplement ce dont il s’agit.
— Quelqu’un du camp du Procurateur est arrivé cette nuit. Je pense que vous serez très intéressé de voir ce qu’il a apporté. Vraiment très intéressé, monseigneur !
— Croyez-vous ? fit Prestimion d’un ton funèbre.
Il regrettait déjà de s’être laissé déranger de la sorte. À l’évidence, Dantirya Sambail avait envoyé un message. Un ultimatum, peut-être. En tout état de cause, Dekkeret aurait pu attendre un peu plus longtemps.
Mais le jeune homme vibrait d’une excitation qu’il avait de la peine à contenir ; cela n’arrangeait pas les choses. Prestimion se sentit soudain presque paralysé par une fatigue écrasante. La nuit blanche, la tension des dernières semaines, les doutes qui le rongeaient, tout cela avait sapé ses forces. Et quelque chose dans la pétulance du jeune Dekkeret, dans son désir naïf et malhabile de plaire accentuait la fatigue de Prestimion. Il était encore assez jeune, mais, à cet instant, il se sentit aussi vieux que Confalume. Comme si Dekkeret, débordant d’énergie et d’enthousiasme, l’avait vidé de la vitalité qui lui restait.
Il serait cruel et stupide de congédier le jeune homme sur-le-champ. Et il devait au moins prendre connaissance du message du Procurateur ; d’un geste las, il fit signe à Dekkeret de poursuivre.
— Quand nous étions dans le Temple Intérieur, monseigneur, vous avez dit que vous aviez ceint le bandeau d’argent de votre mère la Dame et regardé dans l’esprit de la population de la planète comme elle le fait chaque nuit. C’est comme être un dieu, avez-vous dit. Ce cercle d’argent permet à la Dame d’être partout au même moment. Puis vous avez ajouté qu’il y a des limites à la puissance de celui qui le porte. La Dame est en mesure d’entrer dans l’esprit d’un rêveur, de jouer un rôle dans son rêve en y glissant certaines de ses pensées, en donnant un conseil, en apportant la consolation. Mais donner forme au rêve, créer un rêve et l’implanter dans un esprit endormi, non. Donner au dormeur des ordres auxquels il ne pourra se soustraire, non. Ai-je bien compris, monseigneur ?
Prestimion acquiesça de la tête. Sa patience était à bout et il faisait un effort surhumain pour se contrôler.
— Je vous ai dit ensuite, monseigneur, poursuivit Dekkeret, que l’appareil que Venghenar Barjazid a utilisé contre moi à Suvrael est bien plus puissant que ce dont dispose la Dame et que s’il s’alliait avec Dantirya Sambail, ils feraient trembler le monde à eux deux. Nous avons récemment découvert, monseigneur, que Barjazid a rejoint le camp du Procurateur et commencé à utiliser son matériel diabolique.
— Ce que vous me racontez, Dekkeret, je le sais déjà. Où voulez-vous en venir ? Vous avez dit qu’il y a un message de Dantirya Sambail.
— Non, monseigneur, je n’ai pas dit cela. Il ne s’agit pas d’un message du Procurateur, mais d’un messager venu de son camp. Puis-je lui demander d’entrer, monseigneur ? Il attend dans le couloir.
De plus en plus surprenant. Prestimion acquiesça d’un geste négligent de la main.
Dekkeret ouvrit la porte et appela quelqu’un dans le couloir.
C’était un garçon de quinze ou seize ans, mince, avec un regard dur et beaucoup d’assurance. Ses traits avaient quelque chose d’étrangement familier : les lèvres minces, la mâchoire étroite. Il avait l’apparence d’un jeune mendiant, hâlé, vêtu de haillons, les joues et le front portant les marques d’égratignures récentes, de celles que l’on se fait en essayant de traverser un roncier. Au bout de sa main gauche pendait un sac gonflé de grosse toile.
— Monseigneur, fit Dekkeret, je vous présente Dinitak Barjazid, le fils de Venghenar Barjazid.
— Si c’est une plaisanterie, Dekkeret…, bredouilla Prestimion, pris par surprise.
— Pas du tout, monseigneur.
Prestimion examina le garçon qui lui rendit son regard avec une curieuse expression où semblaient se mêler à part égale le respect et le défi. Eh oui, par le Divin, c’était le portrait craché de son père ! C’était le visage de Venghenar Barjazid que Prestimion avait devant lui. La détermination farouche de Barjazid père, son énergie ardente se reflétaient sur les traits du garçon. Mais il manquait à ce visage quelques caractéristiques du père. Il était insuffisamment rusé ; il n’exprimait pas la fourberie subtile de Venghenar Barjazid ; il n’avait pas dans l’œil cette lueur de traîtrise. Le temps, sans doute, les y placerait. À moins que Barjazid n’eût créé avec ce garçon un modèle amélioré de lui-même, qui parvenait à mieux dissimuler la méchanceté qui l’habitait.
— Voulez-vous m’expliquer ? reprit Prestimion. Ou allons-nous rester plantés comme cela sans rien dire ?
Mais on ne bousculait pas Dekkeret, semblait-il. Le jeune homme était décidé, à l’évidence, à avancer à son rythme.
— Je connais bien ce garçon, monseigneur. Je l’ai rencontré à Suvrael, à l’occasion de ce voyage dans le désert où son père s’amusait à jouer avec mon esprit. Quand je me suis emparé de l’appareil à voler les rêves en disant que je l’emportais au Château pour le montrer au Coronal et à son Conseil, ce garçon a exhorté son père à coopérer. « Nous devrions y aller, a-t-il dit, c’est la chance de notre vie. »
— L’occasion rêvée d’introduire leur méchanceté au Château.
— Non, monseigneur, pas du tout. Le père, il est vrai, est un être retors qui n’a que le mal en tête. Mais le fils est très différent.
— Vraiment ?
— Il va vous le prouver, monseigneur.
Les paupières de Prestimion se fermaient malgré lui. Il avait une seule envie : se débarrasser de ces deux-là afin de pouvoir prendre un peu de repos. Mais non : il était obligé d’aller jusqu’au cœur de ce mystère.
Il fit signe au jeune Barjazid de parler.
— Monseigneur…, commença le garçon.
Il regarda Prestimion, puis Dekkeret, se retourna vers Prestimion. Il est curieux de constater, se dit Prestimion, comme son visage change selon la personne qu’il regarde. Pour le Coronal, il prenait une expression de profond respect, presque de soumission. Mais elle était fugace, mécanique, la réaction automatique d’un sujet en présence du Coronal de Majipoor et rien d’autre. Et Prestimion crut y percevoir un ressentiment sous-jacent, un refus masqué de reconnaître pleinement le pouvoir que le Coronal avait sur lui.
Mais quand Dinitak Barjazid regardait Dekkeret, la lumière qui s’allumait dans son œil était celle de l’adoration. Il semblait fasciné par la force de Dekkeret, son charisme, son énergie vibrante. Peut-être est-ce parce qu’ils sont proches en âge, se dit Prestimion. Il voit en moi un représentant de la génération précédente. Une désolante démonstration de l’érosion de sa propre vigueur juvénile, déjà sensible après quelques années au faîte du pouvoir.
— Quand nous sommes arrivés, mon père et moi au Château, poursuivit le jeune Barjazid, j’espérais que nous pourrions vous offrir la machine à rêves, nous mettre à votre service et nous rendre utiles. Mais, à la suite d’une erreur, nous nous sommes retrouvés emprisonnés ; mon père en a conçu une profonde amertume. Nous avons réussi à nous enfuir avec l’aide d’un vieil ami de mon père. Mais aussi avec le soutien de partisans du Procurateur de Ni-moya ; il a de l’influence chez les gardes du Château.
Prestimion échangea un regard avec Dekkeret, mais garda le silence.
— Nous avons donc cherché à rejoindre le Procurateur qui semblait être notre seul allié, poursuivit le jeune Barjazid. Nous avons réussi à trouver son campement dans la péninsule de Stoienzar. Et nous avons appris que son intention est de faire la guerre à Votre Seigneurie et à Sa Majesté le Pontife pour devenir le maître du monde.
Comme la fin de cette phrase sonne bien, se dit Prestimion : devenir le maître du monde. Ce garçon s’exprime avec élégance ; il a dû répéter son texte pendant des semaines.
Mais il avait du mal à fixer son attention ; une nouvelle vague de fatigue déferlait sur lui. Il se rendit compte qu’il était en train de se balancer d’un pied sur l’autre pour rester éveillé.
— Monseigneur ? fit le jeune Barjazid. Vous ne vous sentez pas bien ?
— Un peu fatigué, c’est tout.
Rassemblant toutes ses forces, il parvint à chasser le sommeil qui le gagnait. Il était très habile de la part de ce garçon d’avoir remarqué au beau milieu de son récit que les forces lui manquaient.
— Quel âge avez-vous, jeune homme ? demanda-t-il en se versant de l’eau.
— Seize ans le mois prochain, monseigneur.
— Seize ans. Intéressant… Vous disiez donc que Dantirya Sambail veut devenir le maître du monde.
— Quand nous avons entendu cela, j’ai dit à mon père : « Il n’y a pas d’avenir pour nous ici. Nous allons au-devant des ennuis. » Et puis je lui ai dit : « Nous ne devons pas jouer un rôle dans cette rébellion. Le Coronal va écraser Dantirya Sambail et nous subirons le même sort. » Mais mon père est rempli de colère et d’amertume. Il n’est pas foncièrement méchant, mais c’est un homme en colère ; son âme déborde de haine. Je n’en connais pas la raison, monseigneur. Quand j’ai suggéré de quitter le campement de Dantirya Sambail, il m’a frappé.
— Frappé ?
Prestimion vit une étincelle de fureur passer dans les yeux du jeune Barjazid.
— Oui, monseigneur. Il m’a envoyé un coup de pied comme à un animal qui lui aurait mordillé la jambe. Il m’a traité d’imbécile, d’enfant ; il m’a dit que j’étais incapable de voir où se trouvait notre intérêt ; il m’a dit… peu importe ce qu’il a dit, monseigneur. Ce n’était pas joli, joli. Ce soir-là, je me suis enfui du campement et enfoncé dans la jungle.
Il lança un coup d’œil à Dekkeret ; Prestimion surprit dans son regard la même lueur de vénération.
— J’avais entendu dire, monseigneur, que le prince Dekkeret était à Stoien. J’ai décidé d’aller le trouver et de me mettre à son service.
— À son service, fit Prestimion, pas au mien. Comme cela doit être flatteur, Dekkeret… Prince Dekkeret, devrais-je dire, puisqu’il semble que tout le monde vous prend pour un prince. J’imagine qu’il me faudra vous conférer ce titre dès notre retour au Château.
Une expression de surprise se peignit sur le visage habituellement impassible de Dekkeret.
— Monseigneur, je n’ai jamais aspiré à…
— Non. Non. Pardonnez ce sarcasme, Dekkeret.
Je dois vraiment être très fatigué, songea Prestimion, Pour faire des remarques de ce genre.
— Poursuivez votre récit, reprit-il se tournant vers Dinitak Barjazid. Vous vous êtes donc enfoncé dans la jungle…
— Oui, monseigneur. Ce n’est pas un lieu des plus agréables. Mais je faisais ce que j’avais à faire… Dois-je lui montrer maintenant, prince Dekkeret ?
— Allez-y.
Le garçon se pencha pour ramasser le sac de toile qu’il avait posé à ses pieds. Il en sortit un objet circulaire composé de tiges et de fils de différents métaux délicatement entrelacés, or, argent, cuivre, un ou deux autres peut-être. Une rangée de pierres précieuses et de cristaux, saphirs, serpentines, émeraudes et, semblait-il, hématites, étaient incrustés sur la surface intérieure de l’armature d’ivoire. Son aspect rappelait celui de la couronne royale ou de quelque instrument talismanique de magie, comme la rohilla, mais en beaucoup plus grand. Mais Prestimion vit qu’il s’agissait en réalité d’une sorte de casque.
— Ceci, annonça fièrement le garçon en présentant l’objet à Prestimion, est un des trois modèles en service de la machine à rêves. Je l’ai dérobé dans la tente de mon père et l’ai transporté jusqu’ici. Je suis disposé à vous montrer comment il fonctionne, pour l’utiliser contre les rebelles.
Ces mots prononcés d’une voix calme frappèrent Prestimion comme une décharge électrique.
— Puis-je voir ? demanda-t-il quand il eut repris ses esprits.
— Naturellement, monseigneur.
Dinitak Barjazid posa le casque dans les mains de Prestimion. C’était un objet magnifique, luisant, aux lignes élégantes, pas beaucoup plus lourd qu’une plume, qui donnait l’impression de vibrer du pouvoir qu’il renfermait.
Prestimion se souvint qu’il avait déjà vu quelque chose de semblable. Pendant la guerre civile, dans le campement qu’ils avaient établi dans les plaines de Maraitis, à l’ouest du Jhelum, à la veille d’une grande bataille, il était entré dans la tente du Vroon Thalnap Zelifor et l’avait vu travailler sur un objet d’un aspect très voisin. Le Vroon avait expliqué que son appareil lui permettrait, lorsqu’il serait au point, d’amplifier les ondes cérébrales des sujets, de lire leurs pensées les plus intimes et de les remplacer par ses propres pensées. Il avait donc perfectionné son appareil qui était tombé entre les mains de Venghenar Barjazid et maintenant…
Prestimion leva brusquement les mains pour approcher l’appareil de sa tête.
— Non, monseigneur ! s’écria le jeune Barjazid.
— Non ? Pourquoi donc ?
— Il faut d’abord vous entraîner… La puissance de ce que vous avez dans les mains est effrayante. Vous vous feriez du mal, monseigneur, en le portant à votre tête.
— Soit.
Prestimion tendit l’appareil à Dinitak Barjazid comme s’il était sur le point d’exploser.
Se pouvait-il vraiment que ce jeune homme lui eût apporté la seule arme avec laquelle il pouvait espérer mater la rébellion ?
— Quelle est votre opinion ? fit-il en se tournant vers Dekkeret. Faut-il faire confiance à ce jeune homme ? Ou est-ce une nouvelle ruse de Dantirya Sambail ?
— Faites-lui confiance, monseigneur, répondit Dekkeret. Faites-lui confiance, je vous en conjure !