La ressemblance était ahurissante, songea Mandralisca.
Venghenar Barjazid, celui qui était mort, aux machines démoniaques qui permettaient de contrôler l’esprit, avait été un petit homme à l’air mauvais, dont les yeux n’étaient pas tout à fait de taille ni de couleur identiques, ils n’étaient d’ailleurs pas disposés au même niveau sur son visage, dont les lèvres, de travers du côté gauche, dessinaient un perpétuel sourire narquois, dont la peau sombre, boucanée et épaissie par une vie d’exposition au soleil implacable de Suvrael, était ridée et plissée comme celle du canavong.
Mandralisca trouva ce nouveau Barjazid tout aussi joliment repoussant que son frère aîné l’avait été. Une intuition puissante lui apprit, au premier coup d’œil, qu’il venait de trouver un allié important dans la lutte pour le contrôle du monde qui se profilait.
Celui-ci était d’apparence tout aussi méprisable et décharnée, le visage aussi déplaisant que son défunt frère. Ses yeux aussi étaient dépareillés et mal alignés, et avaient le même éclat dur, ses lèvres étaient également déformées en une grimace railleuse ; lui aussi avait la peau plissée et noircie de qui a vécu trop longtemps sur l’aride Suvrael brûlée par le soleil. Il avait l’air un tantinet plus grand que Venghenar, peut-être, et un peu moins sûr de lui. Mandralisca supposa qu’il avait la cinquantaine ; plus âgé désormais que Venghenar ne l’était lorsqu’il avait apporté l’ensemble de ses appareils à Dantirya Sambail.
Et lui aussi semblait avoir apporté de la marchandise. Il était entré dans la pièce avec une valise de toile aux empiècements de cuir, informe, pleine à craquer, usée au milieu, qu’il posa avec grand soin à côté de lui en prenant le siège que Mandralisca lui proposait. Mandralisca lança un rapide coup d’œil oblique à la valise. Les objets devaient s’y trouver, il en était certain ; une nouvelle collection de jouets utiles que le Barjazid avait apportés pour les lui vendre.
Mais Mandralisca n’avait pas pour habitude de se presser pour engager de quelconques négociations. Il était primordial, pensait-il, de déterminer d’abord qui aurait l’avantage. Et ce serait celui qui aurait la plus grande volonté de retarder l’entrée dans le vif du sujet.
— Votre Grâce, dit Barjazid avec une petite révérence obséquieuse. Quel plaisir de vous rencontrer enfin ! Feu mon frère m’a dit le plus grand bien de vous.
— Nous avons bien travaillé ensemble, en effet.
— Mon plus fervent espoir est que vous en disiez autant de moi.
— Le mien également… Comment avez-vous su où me trouver ? Et pourquoi pensiez-vous que j’aurais des raisons de vouloir vous recevoir ?
— En réalité, je croyais que vous étiez mort depuis longtemps, ce même jour où mon frère est mort à Stoienzar. Puis la nouvelle m’est parvenue que vous vous étiez échappé, et étiez sain et sauf, vivant quelque part dans la région.
— La nouvelle de ma situation est parvenue jusqu’à Suvrael ? demanda Mandralisca. Je trouve cela surprenant.
— Les nouvelles voyagent. Votre Grâce. Et je sais également comment obtenir des renseignements. J’ai appris que vous étiez là, au service des cinq fils de l’un des frères du Procurateur, et qu’ils pourraient envisager de recouvrer l’autorité sur Zimroel, que leur célèbre oncle avait autrefois cédée ; et j’ai eu l’impression que je pourrais vous assister dans cette entreprise. Je vous ai donc envoyé un message en ce sens.
— Et vous avez pris tout votre temps pour venir ici, continua Mandralisca. Votre lettre indiquait que vous seriez là il y a un an, quasiment. Que s’est-il passé ?
— Il y a eu des retards sur le chemin, dit Khaymak Barjazid.
La réponse rapide sembla un peu trop désinvolte à Mandralisca.
— Vous devez comprendre, Votre Grâce, que la route est longue de Suvrael jusqu’ici.
— Pas longue à ce point. J’ai interprété votre lettre comme une volonté de me rencontrer immédiatement. Manifestement, je me suis trompé.
Barjazid le jaugea du regard. Le bout de sa langue apparut un instant, dardant comme celle d’un serpent.
— Je suis passé par Alhanroel, Votre Grâce, dit-il doucement. Le calendrier de la navigation facilitait ce trajet. De plus, j’ai un neveu, mon seul parent vivant, au service du Coronal sur le Mont du Château. Je voulais le revoir avant de venir ici.
— Le Mont du Château, si je me souviens bien, est à plusieurs milliers de kilomètres du port le plus proche.
— Le Mont du Château n’était pas sur le chemin, je l’admets. Mais je n’avais pas eu le plaisir de parler au fils de mon frère depuis de nombreuses années. Si je dois vous faire allégeance, ici à Zimroel, comme c’est mon espoir, je n’en aurai sans doute plus l’occasion.
— J’ai entendu parler de ce neveu, fit Mandralisca. Il était aussi au courant de la visite de Khaymak Barjazid au Mont du Château ; mais l’homme avait marqué un bon point en le révélant de lui-même. Mandralisca joignit les mains et regarda Barjazid d’un air songeur au-dessus de ses doigts.
— Votre neveu a trahi son propre père, n’est-ce pas ? C’est grâce à l’aide inestimable de votre neveu que Prestimion a pu affaiblir Dantirya Sambail, et le rendre vulnérable à l’attaque qui a coûté la vie au Procurateur. On pourrait même dire que la mort de votre frère dans cette même bataille était de la responsabilité directe de votre neveu. Quelle sorte d’amour pouvez-vous ressentir pour une telle personne, parente ou pas ? Pourquoi vouliez-vous lui rendre visite ?
Barjazid se tortilla, mal à l’aise.
— Dinitak n’était qu’un enfant lorsqu’il a fait cela. Il était sous l’influence du prince Dekkeret, et s’est laissé emporter par un élan d’enthousiasme juvénile envers lord Prestimion, ce qui a eu des conséquences que je sais qu’il n’aurait pu prévoir. Je voulais découvrir si, au cours des années écoulées, il s’était aperçu de ses erreurs : si une réconciliation était possible entre nous.
— Et… ?
— Il était stupide de ma part de croire une telle chose. Il est toujours l’homme de Prestimion et de Dekkeret, jusqu’au bout des ongles. Il leur appartient corps et âme. J’aurais dû savoir que je ne pouvais pas attendre de lui le moindre sens de la famille. Il a même refusé de me voir.
— Que c’est triste, fit Mandralisca sans même essayer de prendre un ton compatissant. Vous avez fait tout ce chemin pour aller au Château pour rien !
— Monsieur, je n’ai pas pu aller au-delà de High Morpin. Sur l’ordre explicite de mon neveu, on m’a interdit d’approcher davantage du Château.
Une histoire très touchante, pensa Mandralisca. Mais pas entièrement convaincante.
Il était assez facile de trouver une explication plus plausible au long détour de Khaymak Barjazid jusqu’au Mont du Château. Vraisemblablement, l’idée lui était venue, après avoir décidé de proposer ses services aux Cinq Lords, qu’il pourrait peut-être obtenir un meilleur prix ailleurs. Il était incontestable que cet homme transportait des marchandises de valeur dans cette valise usée. Il était tout aussi évident qu’il cherchait à les vendre au plus offrant ; et les poches les mieux remplies de la planète étaient celles de lord Prestimion.
Si Dinitak Barjazid avait consenti à écouter cinq petites minutes les cajoleries de son oncle, cette conversation n’aurait pas lieu, Mandralisca le savait. Il est heureux pour nous, se dit-il, que le jeune Barjazid ait le bon goût de ne rien vouloir avoir à faire avec son oncle peu recommandable.
— Une aventure malheureuse, déclara-t-il. Mais au moins, vous ne l’aurez pas sur la conscience. Et maintenant… peut-être un peu plus tard que je ne pensais que vous le feriez… vous vous manifestez, enfin, ici.
— Personne ne regrette plus que moi ce retard, Votre Grâce. Mais, en effet, je suis là, dit-il en souriant, révélant une rangée de vilains chicots. Et j’ai apporté avec moi certains objets auxquels je faisais allusion dans ma lettre.
Mandralisca jeta un nouveau regard vers la valise.
— Qui sont là-dedans ?
— Oui.
Il prit cela comme le signal qu’il attendait.
— Très bien, mon ami. Pensez-vous que nous soyons arrivés au moment de commencer à parler affaires ?
— Nous avons déjà commencé, Votre Grâce, répondit calmement Khaymak Barjazid, sans faire un mouvement vers la valise.
Mandralisca lui accorda quelques points pour cela. Barjazid connaissait aussi les dangers d’un trop grand empressement, et testait sa capacité à faire attendre Mandralisca. Il était rare qu’il se laisse ainsi dominer.
Très bien. Il concéderait cette petite victoire à Barjazid. Il attendit, sans rien ajouter.
De nouveau, le bout de la langue sortit rapidement.
— Vous savez, je pense, qu’avant que mon regretté frère n’entre au service du Procurateur Dantirya Sambail, il était guide à Suvrael, entre autres professions. Auparavant, il avait passé quelques années au Château, en tant qu’aide du duc Svor de Tolaghai, un ami proche de Prestimion, qui n’était alors que prince de Muldemar. À cette époque, au Château, il y avait aussi un Vroon du nom de Thalnap Zelifor, qui…
Mandralisca ressentit une bouffée d’irritation. Voilà qui dépassait les bornes. Ayant pris l’avantage, Barjazid se délectait trop manifestement de son contrôle de la conversation.
— Où nous ramène toute cette histoire ? demanda-t-il. Jusqu’à lord Stiamot, c’est cela ?
— Si vous voulez m’accorder votre indulgence encore un moment, monsieur.
De nouveau, il s’autorisa à se taire. Il y avait une onctuosité prodigieuse dans la formulation de Barjazid qui forçait l’admiration de Mandralisca. Cet homme était un adversaire à la hauteur.
Barjazid continua, imperturbable :
— Si vous êtes déjà au courant de ces sujets, pardonnez-moi. Je veux seulement clarifier mon propre rôle dans les affaires de mon frère, qui ne vous sont peut-être pas familières.
— Allez-y.
— Permettez-moi de vous rappeler que ce Thalnap Zelifor, sorcier de profession, ainsi que le sont généralement les gens de son peuple, fabriquait des appareils capables de pénétrer les secrets de l’esprit d’une personne. Prestimion, lorsqu’il devint Coronal, exila le Vroon pour une raison ou une autre à Suvrael, et confia à mon frère le soin de l’y escorter. Malheureusement, le Vroon mourut en route ; mais il avait eu la bonté de donner d’abord à mon frère des instructions dans l’art d’utiliser ses appareils, qu’il avait pour la plupart emportés du Château.
— Jusque-là vous ne m’apprenez rien de nouveau.
— Mais vous n’aurez sans doute pas su que, ayant un certain don pour les sciences mécaniques, j’ai aidé mon frère à expérimenter ces machines et à comprendre leur fonctionnement. Plus tard, j’en ai même conçu des modèles améliorés. Tout ceci se passait dans la cité de Tolaghai, à Suvrael, il y a de nombreuses années. Puis survint l’épisode… peut-être le connaissez-vous, monsieur… où le prince Dekkeret, alors tout jeune homme et pas encore prince, se rendit à Suvrael et fit une rencontre plutôt désagréable avec mon frère et son fils, qu’il conduisit au Château en tant que prisonniers, avec la plupart des équipements lisant dans les esprits.
— Votre frère me l’a dit, oui.
— De même, vous savez que mon frère, s’échappant du Château, s’enfuit dans l’ouest d’Alhanroel et fit cause commune avec Dantirya Sambail.
— Oui, dit Mandralisca. J’étais présent quand il arriva. J’étais également là quand Prestimion, utilisant un de ces appareils que lui avait apporté votre neveu Dinitak, permit à une armée, sous le commandement de Gialaurys et Septach Melayn, de localiser notre camp et de tuer à la fois le Procurateur et votre frère, et, il s’en fallut de peu, moi aussi. Les appareils lisant dans les esprits tombèrent tous entre les mains de Prestimion. J’imagine qu’il les garde en sécurité quelque part dans le Château.
— Très vraisemblablement, oui.
À nouveau, Mandralisca jeta un regard, plus appuyé cette fois, sur la valise abîmée et pleine à craquer de Khaymak Barjazid. Le récit de l’histoire ancienne avait assez duré : le petit homme sournois poussait son avantage trop loin. Mandralisca ne se laisserait pas manipuler plus longtemps.
— C’est un prologue suffisant, je pense, dit-il d’une voix brusque et froide. De nombreuses tâches m’attendent aujourd’hui. Montrez-moi ce que vous avez pour moi. Maintenant.
Barjazid sourit. Il posa la valise sur ses genoux et l’ouvrit. Il en sortit une liasse de parchemins qu’il déroula et étendit sur le couvercle ouvert.
— Ce sont les plans originaux des différents appareils de Thalnap Zelifor qui permettent de contrôler les esprits. Ils sont restés en ma possession à Suvrael depuis que mon frère a été emmené prisonnier au Mont par Dekkeret.
— Puis-je les voir ? demanda Mandralisca en tendant la main.
— Bien sûr. Votre Grâce. Voici les schémas de trois modèles successifs de l’appareil, chacun d’une puissance supérieure au précédent. Ceci est le premier. Voilà celui que mon neveu déroba et livra à lord Prestimion pour qu’il l’utilise contre mon frère. Et celui que mon frère lui-même portait, lors de la bataille finale où Prestimion perça ses défenses.
Mandralisca feuilleta les parchemins. Barjazid ne risquait rien en les lui montrant : ils n’avaient aucun sens pour lui.
— Et ceux-là ? demanda-t-il en désignant d’autres feuilles encore dans les mains de Khaymak Barjazid.
— Les plans de nouveaux modèles, encore plus puissants, dont je parlais il y a un moment. Au cours des années passées, j’ai continué à jouer avec les concepts de base du Vroon. Je crois avoir réalisé des progrès importants dans le domaine de la technique.
— Vous croyez seulement ?
— Je n’ai pas encore eu l’occasion de faire les tests.
— De peur d’être repéré par les gens de Prestimion ?
— En partie, oui. Mais aussi… ces appareils coûtent très cher à fabriquer, monsieur… Vous devez garder à l’esprit que je ne suis pas un homme riche…
— Je vois.
On les invitait à financer les recherches de Barjazid.
— Donc, la vérité est que vous n’avez pas de modèle en état de fonctionnement.
— J’ai ceci, fit Barjazid, sortant un piètre casque métallique de sa valise.
C’était une dentelle chatoyante de délicats fils rouge et or tressés ensemble, avec une triple rangée de cordons plus épais en bronze sur le sommet. Sa conception était beaucoup plus simple que les souvenirs qu’avait Mandralisca de celui porté par l’autre Barjazid lors de l’ultime bataille de Stoienzar. Probablement, en partie, parce que la conception était plus subtile. Mais cet objet semblait trop simple. Il paraissait incomplet, inachevé.
— Que peut-on en faire ? demanda Mandralisca.
— Sous sa forme actuelle ? Rien. Les connexions nécessaires ne sont pas encore en place.
— Et si elles l’étaient ?
— Si elles l’étaient, le porteur de ce casque pourrait atteindre n’importe qui sur la planète, et lui glisser des rêves dans l’esprit. Des rêves très puissants, Votre Grâce. Des rêves effrayants. Des rêves douloureux, s’il le voulait. Des rêves qui briseraient la volonté d’une personne. Qui la feraient se jeter à terre et implorer grâce.
— Vraiment, fit Mandralisca.
Il promena ses doigts sur le réseau de dentelle, l’explorant, le caressant. Il le mit sur sa tête, le déploya, remarquant à quel point il était léger, à peine perceptible. Il l’enleva et le plia une fois, puis deux jusqu’à ce qu’il tienne dans son poing fermé. Il le soupesa dans le creux de sa main. Il eut un signe de tête appréciateur, mais ne dit rien. Une minute passa, peut-être plus.
Khaymak Barjazid observa toute la scène avec ce que l’on ne pouvait interpréter autrement que comme une inquiétude et une angoisse croissantes.
— Pensez-vous avoir l’utilité d’un tel appareil, Votre Grâce ? demanda-t-il enfin.
— Oh oui ! Oui, certainement. Mais fonctionnera-t-il ?
— On peut le mettre en état de marche. Tous les instruments décrits sur ces plans peuvent être mis en œuvre. Il faut simplement de l’argent.
— Oui, bien sûr.
Mandralisca se leva, se dirigea vers la porte, s’arrêta pour regarder longtemps l’éclat du matin dans le désert. Il faisait doucement passer le casque de Barjazid d’une main à l’autre. Quelle impression cela procurerait-il, se demandait-il, de pouvoir envoyer des rêves à ses ennemis ? Des rêves douloureux, avait dit Barjazid. Des cauchemars. Pires que des cauchemars. Une ribambelle d’images terrifiantes. Des choses voletant, suspendues à de fins fils métalliques. Une armée sans fin de gros insectes noirs marchant sur le sol, leurs pattes bruissant horriblement. Des doigts transparents chatouillant les canaux de l’esprit. De lentes spirales de peur à l’état pur figeant et déformant l’esprit torturé. Et… peu à peu… un sanglot, un gémissement, une supplique de grâce…
— Accompagnez-moi dehors, dit-il à Barjazid par-dessus son épaule, sans le regarder.
Ils avancèrent sur la falaise, jusqu’à un point d’où l’on pouvait voir au loin plusieurs des dômes des palais des Lords.
— Savez-vous ce que sont ces édifices ? demanda Mandralisca.
— Ce sont les résidences des Cinq Lords. Le garçon qui m’a conduit ici me l’a dit.
— Ainsi, vous savez qu’ils se font appeler les Cinq Lords ? Que savez-vous d’autre à leur sujet ?
— Qu’ils sont les fils de l’un des frères de Dantirya Sambail. Qu’ils ont dernièrement revendiqué le pouvoir de certains secteurs du cœur de Zimroel. Qu’ils ont pris le titre de Lords de Zimroel.
— Vous saviez tout cela lorsque vous m’avez écrit ?
— Tout, excepté leur titre de Lords de Zimroel.
— Pourquoi ce genre de nouvelles aurait-il atteint Suvrael ?
— Je vous ai dit, Votre Grâce, avoir quelque talent pour obtenir des renseignements.
— Apparemment, oui. Le Coronal lui-même, pour autant que je sache, ignore ce qui se passe dans cette partie de Zimroel.
— Mais lorsqu’il le découvrira… ?
— Eh bien, j’imagine que ce sera la guerre, répondit Mandralisca en se retournant pour être face au petit homme. Je suggère que nous parlions sans détour, maintenant. Ces Cinq Lords de Zimroel sont stupides et pervers. Je les méprise au plus haut point. Quand vous les connaîtrez, vous en ferez autant. Il y a cependant des millions de gens, ici à Zimroel, qui les considèrent comme les héritiers légitimes de Dantirya Sambail et suivront leur bannière, une fois que celle-ci sera déployée, dans une guerre d’indépendance contre le gouvernement d’Alhanroel. Que je crois que nous pouvons remporter, avec votre aide.
— J’en serais ravi. C’est Prestimion et ses gens qui ont détruit mon frère.
— Dans ce cas, vous aurez votre revanche. Dantirya Sambail a tenté par deux fois de renverser Prestimion, mais parce qu’il était déjà maître de Zimroel, il a essayé les deux fois de porter cette insurrection à Alhanroel. C’était une erreur. Le Coronal et le Pontife ne peuvent être battus sur leur propre territoire par des envahisseurs venus de Zimroel. Alhanroel est trop grande pour être conquise de l’extérieur, et les lignes d’approvisionnement ne peuvent être assurées sur des milliers de kilomètres. Mais l’inverse est également vrai. Aucune armée venue de l’autre continent ne pourrait jamais soumettre tout Zimroel.
— Vous comptez donc établir Zimroel en nation indépendante ?
— Pourquoi pas ? Pourquoi devrions-nous être assujettis à Alhanroel ? Quel avantage avons-nous à être gouvernés par un roi et un empereur qui vivent dans l’autre moitié du monde ? Je proclamerai l’un des cinq frères, le plus intelligent, Pontife de Zimroel. L’un des autres sera son Coronal. Et nous serons enfin libérés d’Alhanroel.
— Il existe un troisième continent, fit Barjazid. Avez-vous des projets en tête, concernant Suvrael ?
— Non, répondit Mandralisca.
La question le prit au dépourvu. Il prit conscience qu’il n’avait accordé aucune réflexion à Suvrael.
— Mais si elle souhaite l’indépendance, j’imagine que cela peut se régler assez facilement. Prestimion n’est pas assez fou pour vouloir envoyer une armée dans vos horribles déserts, et s’il le faisait, la chaleur les tuerait tous en six mois, de toute façon.
Une lueur avide apparut dans les yeux de Barjazid.
— Suvrael aurait alors son propre roi.
— Elle pourrait. Elle pourrait, en effet, dit-il comprenant brusquement où Barjazid voulait en venir, et un large sourire fendit son visage. Bravo, mon ami ! Bravo ! Vous venez de fixer le prix de votre assistance, n’est-ce pas ? Khaymak Premier de Suvrael ! Eh bien, qu’il en soit ainsi ! Je vous félicite, Votre Altesse !
— Je vous remercie, Votre Grâce, répondit Barjazid en lui adressant un chaleureux sourire de reconnaissance et de camaraderie. Un Pontife de Zimroel… un roi de Suvrael… Et dans quel rôle vous voyez-vous vous-même, comte Mandralisca, une fois que ces frères seront installés sur leurs trônes ?
— Moi ? Je serai leur conseiller privé, comme je le suis actuellement. Ils auront toujours besoin que quelqu’un leur dise quoi faire. Et c’est moi qui le ferai.
— Ah ! Oui, bien sûr.
— Nous nous comprenons, je pense.
— Je le crois, oui. Quelle est la prochaine étape ?
— Eh bien, il faut que vous nous fabriquiez vos machines démoniaques. Elles nous permettront de commencer à rendre la vie dure à Prestimion.
— Très bien. Je suggère d’établir un atelier immédiatement à Ni-moya, et…
— Non, intervint Mandralisca. Pas Ni-moya. C’est ici que vous accomplirez votre travail, Votre Altesse.
— Ici ? J’ai besoin d’un équipement particulier… de matériaux… d’ouvriers qualifiés, peut-être. Dans un avant-poste désert et lointain comme celui-ci, je ne peux vraiment…
— Vous pouvez et vous le ferez. Un homme de Suvrael tel que vous ne devrait pas avoir de problème à s’adapter aux conditions du désert. Nous vous apporterons tout ce dont vous aurez besoin de Ni-moya. Mais vous devez vous joindre à nous maintenant, mon ami. C’est votre foyer, désormais. C’est ici que vous allez habiter, vivre et travailler, jusqu’à ce que la guerre soit gagnée.
— On dirait à vous entendre que vous ne me faites pas confiance. Votre Grâce.
— Je ne fais confiance à personne, mon ami. Pas même à moi.