On était au milieu de la journée, brillante et chaude, lorsque parvint la convocation de se rassembler sur le pré pour la conférence qui avait amené le Coronal en ce lieu. Quand Dekkeret arriva sur le site, une large plaine verdoyante éloignée de la maison principale, bordée de trois côtés par une forêt sombre et dense et sur le quatrième par un agréable ruisseau, il vit qu’une table de conférences faite de larges planches de bois noir poli, fixées sur une base de poutres épaisses jaunâtres terminée en pointe, avait été dressée parallèlement au ruisseau. Un alignement bien ordonné de papiers et de parchemins y était disposé, maintenus par des sphères de cristal pour les empêcher de s’envoler dans la douce brise, ainsi que des encriers, des plumes de milufta et différents autres articles pour écrire. Dekkeret vit également un assortiment de flacons de vin, des vins d’une demi-douzaine de couleurs différentes, et une rangée de coupes attendant d’être remplies. Une fois que le traité aurait été présenté et, ainsi que Gaviral l’espérait si manifestement, accepté, on pensait que les parties signataires célébreraient vraisemblablement l’événement séance tenante.
Le Lord Gaviral, resplendissant dans un justaucorps métallique qui ressemblait presque à une armure complète et des jambières écarlates magnifiquement ouvragées passepoilées de fils dorés, était déjà sur place, debout près de la table. Ses frères Gavahaud et Gavilomarin, superbement habillés eux aussi, le flanquaient.
Quant à Mandralisca, il se tenait tout à côté de son maître, vêtu à présent non plus du cuir noir ajusté de la nuit précédente, mais d’un costume beaucoup plus tape-à-l’œil : une veste rouge et vert arrivant au genou avec un large col plat agrémenté de fourrure blanche de steetmoy et des manches tombantes qui étaient fendues pour permettre à ses bras de passer, sur des chausses gris foncé du plus fin tissu, avec une large ceinture de mailles à la taille soutenant une bourse à glands fantaisie. C’était le genre de costume à l’élégance affectée qu’aurait pu choisir Septach Melayn, pourtant le spectacle du visage pâle, dur et sinistre de Mandralisca s’élevant au-dessus du col évasé atténuait plus qu’un peu l’extravagance de la tenue. Les trois compagnons de Mandralisca, le petit aide de camp rondelet aux jambes arquées, le grand jeune homme blond et Barjazid, efflanqué et l’air malfaisant, se trouvaient à peu de distance derrière lui.
Dekkeret avait revêtu sa robe officielle vert et doré pour la réunion, ainsi que le mince diadème doré qu’il ceignait souvent à la place de la couronne à la constellation. Gialaurys, à côté de lui, portait une armure complète, mais sans casque. Septach Melayn s’était contenté d’un pourpoint et de jambières claires. Le symbole en spirale du Labyrinthe sur sa poitrine était son seul ornement. Dinitak portait son habituelle tunique très simple, et Fulkari avait également choisi une mise sans apprêt. Une rangée de gardes de Dekkeret, triés sur le volet, se tenaient à quelque distance en retrait. Gaviral avait aussi une garde d’honneur derrière lui, à la même distance.
— Une journée propice, monseigneur ! s’écria Gaviral, alors que Dekkeret s’approchait. Une journée où l’harmonie sera réalisée !
Sa voix était joyeuse mais paraissait forcée et tendue : en outre il avait quelque chose de crispé dans son allure, ses lèvres remuaient et son regard cillait constamment. Eh bien, songea Dekkeret, l’enjeu d’aujourd’hui est considérable pour lui : il a amené le Coronal lord loin à l’intérieur de ce territoire inconnu, pour exiger de lui des concessions sans précédent, et le Coronal a donné tout lieu de croire qu’il écoutera les revendications des Sambailid avec sérieux et y accédera peut-être, mais il n’a aucune assurance certaine de ce que le Coronal a réellement en tête. Et je n’en ai pas non plus à son sujet, pensa Dekkeret. Nous jouons tous deux un jeu très serré.
— L’harmonie, oui. Espérons que c’est ce que nous créerons ici aujourd’hui, dit Dekkeret à Gaviral, en lui accordant son sourire le plus chaleureux.
Tout en parlant, il laissa ses yeux se fixer sur ceux de Gaviral, qui étaient injectés de sang et troublés ; mais le Sambailid détourna rapidement la tête, et s’appliqua à arranger les papiers et le matériel pour écrire disposés sur la table, comme s’il était une sorte de secrétaire plutôt que le prétendu Pontife de Zimroel. Le regard de Dekkeret se déplaça vers Mandralisca, qui eut une réaction totalement différente, et le dévisagea froidement et fixement, plein de menace et d’aversion, ce que Dekkeret admira pour sa sincérité non dissimulée, faute d’autre chose.
— Boirons-nous à une conclusion fructueuse de nos discussions, Votre Seigneurie, avant de nous mettre au travail, de vous exposer nos propositions et d’écouter vos réponses ? demanda Gaviral.
— Je ne vois aucune raison de ne pas le faire, répliqua Dekkeret, et les coupes de vin furent remplies.
Une fois de plus, il ne put s’en empêcher, Dekkeret surveilla subrepticement pour vérifier que sa coupe et celle de Gaviral étaient remplies avec le même flacon, et une fois de plus elles le furent. De fait, les coupes étaient remplies sans aucune distinction de haut en bas de la table et il aurait été difficile d’avoir recours au poison, à moins que Gaviral ne se soucie pas de perdre certains de ses hommes en même temps que ses visiteurs.
Gaviral porta le même toast aux bonnes relations et à l’entente que la veille, et ils burent tous une petite gorgée de vin, toute symbolique. Mandralisca, comme la fois précédente, ne but pas.
— Nous avons préparé ce document pour que vous l’étudiiez, monseigneur, dit ensuite Gaviral… Voici notre conseiller privé, comme vous le savez, le comte Mandralisca. Il vous montrera le texte, dont il est l’auteur, et répondra à toute question qui pourrait être soulevée, clause par clause.
Dekkeret acquiesça d’un signe de tête. Mandralisca, suivi comme à l’accoutumée par ses trois favoris, fit ostensiblement le tour de la longue table pour rejoindre Dekkeret. Dekkeret vit alors que l’aide de camp portait un rouleau de parchemin coincé sous le bras, qu’il prit et tendit à Mandralisca. Le conseiller privé le déroula, le tint devant lui et l’examina comme s’il souhaitait s’assurer que l’aide de camp avait bien apporté le bon ; puis enfin, apparemment satisfait, il se pencha et le posa sur la table devant Dekkeret.
— Si vous voulez bien vous donner la peine, monseigneur, dit Mandralisca, d’un ton étrange où se mêlaient, pensa Dekkeret, une obséquiosité voulue et une rage à peine maîtrisée.
Un grand silence se fit alentour, tandis que Dekkeret commençait à lire le document.
Lire ce parchemin n’était pas une mince affaire. Le texte était très serré et prolixe, la calligraphie en était enjolivée et d’un style particulièrement ancien, avec force fioritures irritantes et volutes décoratives. Il requérait une attention soutenue, confinant presque au déchiffrement. Dekkeret, avançant péniblement, découvrit bientôt qu’il s’ouvrait sur un préambule interminable et truffé de circonlocutions, laissant entendre que, peut-être, les Sambailid ne réclamaient rien de plus que l’autonomie de la province et la remise en vigueur du titre de Procurateur. Mais s’ensuivaient d’autres clauses qui contredisaient cela, des clauses paraissant faire valoir qu’ils revendiquaient en réalité bien davantage : en fait la fin de toute autorité impériale sur tout le continent de Zimroel, une complète indépendance, un retrait total du régime existant.
— Y a-t-il un problème, monseigneur ? demanda Mandralisca, se balançant près de l’épaule de Dekkeret et se penchant tout contre lui.
— Un problème ? Non. Mais je trouve qu’il y a un certain manque de clarté dans vos déclarations d’ouverture. Je vais les réexaminer, je pense.
Fronçant les sourcils, il reprit au début, cherchant à démêler une clause d’une autre, séparant chaque déclaration de son contraire soigneusement accouplé. C’était une tâche qui réclamait la plus grande concentration, et Dekkeret s’efforçait d’y consacrer l’attention la plus grande.
Pas si grande, cependant, qu’il manquât de voir du coin de l’œil l’éclat brillant de la lame que Mandralisca venait soudain de tirer de la bourse à pompons à sa ceinture, ni d’entendre le halètement de peur immédiat de Fulkari. Mais tout arriva si vite qu’il ne put rien faire d’autre que de se pencher sur le côté, pour s’écarter du coup qui venait dans sa direction par l’arrière.
C’est alors, en une fraction de seconde, que le garçon aux cheveux longs, le propre assistant de Mandralisca, tendit la main en avant, s’empara prestement de la coupe de vin près de Dekkeret et en lança le contenu dans les yeux de son maître. En même temps, de son autre main, il eut un geste vif pour saisir le bras qu’abattait Mandralisca. Mandralisca, esquivant la main du garçon, virevolta à l’aveuglette, et d’un geste furieux passa la dague en travers de la gorge du garçon, provoquant un jaillissement rouge. Le garçon parut s’effondrer et disparut. Ensuite, au milieu du tumulte général, Septach Melayn apparut aux côtés de Dekkeret, l’épée tirée à la main, et dans un terrible rugissement ordonna à Mandralisca de s’écarter de la présence du Coronal.
Mandralisca, à demi aveuglé, le vin dégoulinant sur son visage, recula effectivement, mais seulement jusqu’à l’endroit où se tenait le Lord Gavahaud, bouche bée de saisissement et de terreur. Du fourreau de Gavahaud, il arracha l’épée d’apparat minutieusement ciselée dont le vaniteux Sambailid avait agrémenté son costume, et se retourna rapidement, continuant à cligner des yeux pour essayer d’en faire disparaître le vin en faisant face à Septach Melayn qui se ruait sur lui.
— Tenez, dit froidement Septach Melayn, s’arrêtant et lui jetant un mouchoir qu’il gardait dans sa manche. Essuyez-vous le visage. Je ne vais pas tuer un homme incapable de voir clair.
Il laissa à Mandralisca, surpris, le temps d’éponger le vin, puis s’avança de nouveau, maniant sa rapière en mouvements vifs.
Dekkeret, encore abasourdi et dérouté par tout ce qui venait d’avoir lieu, se leva à moitié de son fauteuil à la table de conférences. Mais aucune intervention n’était possible. Septach Melayn et Mandralisca étaient déjà à l’œuvre, se déplaçant régulièrement sur le pré en combattant. Dekkeret n’avait jamais vu deux épées bouger avec une telle rapidité. Septach Melayn était l’homme le plus vif qui soit avec une épée ; mais Mandralisca lui rendait botte pour botte, parade pour parade, une démonstration effrénée d’escrime entre virtuoses, feintes, pivots, déplacements, toujours à la vitesse de l’éclair. Il n’était aucun coup auquel Septach Melayn ne puisse répondre et le dévier, mais cependant… cependant… voir Septach Melayn tenu en échec, incapable de percer la défense de son adversaire…
Puis Mandralisca, se détournant abruptement de Septach Melayn, se baissa et ramassa une poignée du sol doux et meuble de la prairie et la jeta au visage de Septach Melayn. Contrairement à Septach Melayn, il n’éprouvait aucun scrupule à se battre contre un homme qui ne voyait pas clair. La motte de terre éclata en atterrissant sur Septach Melayn et il en reçut dans les yeux, dans les narines, dans la bouche ; il resta un instant déconcerté, à tousser, cracher et se frotter les yeux, Mandralisca se précipita en avant en une attaque forcenée et déchaînée, dirigeant sa lame vers le centre de la poitrine de Septach Melayn.
Dekkeret observait avec horreur. Leur vitesse transformait l’épée de Mandralisca et celle de Septach Melayn en taches floues. Pendant un instant, il fut impossible de voir ce qui se passait. Puis Dekkeret aperçut Septach Melayn parant l’attaque désespérée de Mandralisca et écartant l’épée de Mandralisca d’un grand mouvement vers le haut dont il avait le secret. Un instant plus tard, Septach Melayn allongea une botte qui atteignit Mandralisca à la gorge.
Les deux hommes restèrent une seconde figés.
Il y avait une expression totalement singulière, quelque chose d’étrange qui était presque un air de triomphe sur le visage de Mandralisca lorsqu’il mourut. Septach Melayn retira son épée du corps basculant de Mandralisca et se retourna pour être face à la table de conférences et à Dekkeret. Mais alors, Dekkeret prit conscience que, à un moment donné dans la mêlée finale, Septach Melayn avait également été blessé. Le sang ruisselait sur le devant de son pourpoint, un filet d’abord, puis davantage, au point que le petit emblème doré du Labyrinthe fut intégralement caché par le flot abondant.
La prairie tout entière avait désormais sombré dans le chaos, des troupes Sambailid dissimulées étaient sorties de leurs cachettes dans la forêt, les propres gardes de Dekkeret s’étaient précipités en avant pour le protéger, et le reste des soldats de Dekkeret arrivait également à présent, de la lisière du champ où ils avaient attendu un signal de leur roi, se joignant au combat lorsqu’ils entendirent l’ordre hurlé par Dekkeret. Au milieu de tout ceci, le Coronal courut vers Septach Melayn, qui chancelait et vacillait, mais parvenait encore, on ne sait comment, à rester sur ses pieds.
— Monseigneur, commença Septach Melayn. Puis il s’interrompit, car un spasme de douleur parut le prendre ; mais il se ressaisit un peu et reprit en souriant :
— La bête est morte, non ? Que j’en suis heureux.
— Oh, Septach Melayn…
Dekkeret l’aurait bien rattrapé à ce moment-là, car il semblait être sur le point de tomber. Mais Septach Melayn l’écarta d’un geste.
— Prenez ceci, monseigneur, dit-il en tendant son épée à Dekkeret. Utilisez-la pour vous défendre contre ces barbares. Je n’en aurai plus besoin.
Puis il ajouta, après un regard vers Mandralisca à terre :
— J’ai accompli ce pour quoi j’avais été mis au monde.
Septach Melayn tituba alors et se mit à basculer. Dekkeret le saisit par les épaules et le maintint debout en une étreinte affectueuse. Il avait l’impression que Septach Melayn ne pesait presque rien, en dépit de sa grande taille. Dekkeret le tint de la sorte suffisamment longtemps pour entendre un léger petit soupir émaner de lui, puis le râle de la mort. Il l’allongea ensuite doucement sur le sol.
Se retournant, Dekkeret embrassa la scène de folie tout autour de lui d’un seul regard. Un essaim de ses gardes se tenait en un cercle d’épées autour de Fulkari ; elle était sauve. Un second groupe formait un mur autour de lui. Gialaurys se dressait comme une montagne à côté de la table de conférences, enserrant la gorge du Lord Gaviral d’une énorme main et le Lord Gavahaud de la même manière de l’autre. Dinitak avait trouvé un poignard quelque part et le brandissait contre la poitrine de son oncle, et Khaymak Barjazid avait les mains levées bien haut pour montrer qu’il était le prisonnier de son neveu. Partout sur le champ, les guerriers Sambailid, se rendant désormais compte que leurs chefs étaient pris, jetaient leurs armes et levaient les mains en gestes identiques de reddition.
Puis Dekkeret baissa les yeux et vit le garçon qui avait jeté le vin au visage de Mandralisca, couché pratiquement à ses pieds, avec le petit aide de camp grassouillet de Mandralisca agenouillé au-dessus de lui. Le sang ruisselait de la terrible blessure à la gorge.
— Est-il vivant ? demanda Dekkeret.
— À peine, monseigneur. Il ne lui reste que quelques instants.
— Il m’a sauvé de la mort, fit Dekkeret, et un frisson sinistre le secoua alors qu’un souvenir d’un autre jour, il y avait longtemps, à Normork, lui revenait en mémoire, un autre Coronal faisait face à la lame d’un assassin, et le balancement irréfléchi, fortuit, de cette lame avait pris la vie de sa cousine et, d’une étrange façon, l’avait simultanément placé sur le chemin du trône.
Ainsi tout s’était à nouveau reproduit, une vie sacrifiée pour qu’un Coronal puisse vivre. Dekkeret, tournant son regard vers Fulkari, vit à la place le fantôme de Sithelle, frémit et se retrouva au bord des larmes.
Mais le garçon était encore en vie, plus ou moins. Ses yeux étaient ouverts et il dévisageait Dekkeret. Pourquoi, se demanda Dekkeret, s’était-il mystérieusement retourné contre son maître de cette façon fatale dans ce moment décisif ? Et il obtint immédiatement la réponse, exactement comme s’il avait posé la question à voix haute. Car le garçon déclara dans le plus léger des murmures.
— Je ne pouvais pas en supporter davantage, monseigneur. Savoir qu’il avait l’intention de vous tuer ici, aujourd’hui… de tuer le roi du monde…
— Chut, mon garçon, fit Dekkeret. N’essaye pas de parler. Il faut te reposer.
Mais il ne parut pas avoir entendu.
— Et savoir aussi que j’avais suivi la mauvaise voie dans la vie, que je m’étais idiotement choisi le plus malfaisant des maîtres…
Dekkeret s’agenouilla à côté de lui et lui répéta de se reposer ; mais c’était inutile, désormais, car la faible voix était réduite au silence et les yeux grands ouverts étaient aveugles. Dekkeret leva la tête vers l’aide de camp.
— Quel était son nom ?
— Thastain, monseigneur. Il venait d’un endroit appelé Sennec.
— Thastain de Sennec. Et le vôtre ?
— Jacomin Halefice, Votre Seigneurie.
— Emmenez-le au pavillon, en ce cas, Halefice, et faites préparer son corps pour son enterrement. Nous lui ferons des funérailles de héros, à ce Thastain de Sennec. Du genre que l’on ferait pour un duc ou un prince qui est tombé en se battant pour son seigneur. Et il y aura un grand monument érigé à son nom à Ni-moya, cela j’en fais le serment.
Il se rendit ensuite jusqu’à l’endroit où gisait Septach Melayn. Gialaurys, agrippant toujours les deux Sambailid comme s’ils étaient de vulgaires sacs de blé, y était également allé, traînant ses deux captifs avec lui, et baissait les yeux sur le corps de son ami. Il pleurait de terribles grosses larmes silencieuses qui coulaient comme des rivières sur son visage large et charnu.
— Nous allons l’emmener loin de cet endroit haïssable, Gialaurys, et le ramènerons au Château, où est sa place, dit doucement Dekkeret. Vous transporterez son corps là-bas et veillerez à ce qu’il reçoive une sépulture digne de celles de Dvorn et de lord Stiamot, avec une inscription disant : « Ici repose Septach Melayn, dont la noblesse faisait l’égal de n’importe quel roi qui vécut jamais. »
— Je le ferai, monseigneur, répondit Gialaurys, d’une voix qui paraissait elle-même venir d’outre-tombe.
— Et nous trouverons également un barde à la cour, je vous charge aussi de cette tâche, Gialaurys, pour écrire un poème épique sur sa vie, que les écoliers, dans dix mille ans, connaîtront par cœur.
Gialaurys acquiesça d’un signe de tête. Il fit signe à deux gardes de se charger de ses prisonniers, tomba à genoux, prit Septach Melayn dans ses bras et l’emporta lentement hors du pré.
Dekkeret désigna ensuite le corps de Mandralisca, le visage dans l’herbe.
— Emportez ça, dit-il au capitaine des gardes, et veillez à ce que ce soit brûlé, à l’endroit quel qu’il soit où les ordures de cuisine de cette maison sont brûlées, et faites enfouir les cendres dans la forêt, là où personne ne les trouvera jamais.
— Je le ferai, monseigneur.
Dekkeret rejoignit enfin Fulkari, qui était debout, blême et accablée à côté de la table de conférences.
— Nous en avons terminé ici, madame, dit-il doucement. Ceci a été une triste journée, oui. Mais nous n’en connaîtrons jamais de plus triste, je pense, avant d’arriver au terme de notre vie.
Il glissa ses bras autour d’elle. Elle tremblait comme si elle s’était tenue dans un vent glacial. Il la serra contre lui le temps que le tremblement se calme quelque peu avant de reprendre.
— Viens, mon amour. Nous avons terminé ce que nous avions à faire, et j’ai d’importants messages à envoyer à Prestimion.