Un piège dans la vil e Nora Roberts Chapitre 1 Instinctivement, Jonah Blackhawk se méfiait des policiers. Cela remontait à sa plus tendre enfance, quand il passait une partie de son temps à les fuir, à les éviter ou à se faire malmener par eux, chaque fois qu'il n'était pas assez rapide pour leur échapper. À douze ans déjà, il avait acquis des talents de voleur plus qu'honorables, étant passé maître dans l'art du pick-pocket. Il connaissait les receleurs qui lui permettaient d'écouler les marchandises qu'il avait dérobées. Il avait aussi découvert le jeu et les moyens de forcer la chance pour plumer les pigeons qui croyaient pouvoir rouler aisément un enfant comme lui. Il n'avait d'ail eurs pas tardé à monter une petite maison de jeux, centralisant les paris sportifs et dégageant ainsi une marge confortable qui lui permettait de placer ses propres mises tout en bénéficiant des meil eurs tuyaux. Malgré ces prédispositions, il n'avait jamais rejoint l'un des gangs qui pul ulaient dans les milieux qu'il fréquentait. C'était en partie parce qu'il se plaisait à se considérer plus comme un entrepreneur que comme un vulgaire criminel. Mais surtout, il n'aimait pas l'idée de travail er en bande, préférant rester son propre maître. Il tenait à endosser seul la responsabilité de ses actes et les bénéfices qu'il tirait de ses activités. En réalité, Jonah Blackhawk avait toujours eu un problème avec l'autorité, quel e qu'el e fût. Cela lui avait d'ail eurs attiré de graves ennuis, à treize ans déjà, il s'était mis à dos le syndicat du jeu local qui voyait d'un très mauvais oeil un simple gamin leur prendre des parts de marché de plus en plus importantes sans jamais rien leur reverser. Un soir, il avait été victime d'une mise en garde à la façon du milieu, trois hommes de main l'avaient sauvagement tabassé après lui avoir expliqué gentiment qu'il ferait bien de se montrer plus partageur. Ce jour-là, Jonah avait compris les risques inhérents à sa profession. Il avait brusquement décidé de changer d'air et de partir pour un autre État. Mais avant même d'avoir pu mettre ce projet à exécution, il s'était fait arrêter par la police. Il avait d'abord cru s'en tirer avec quelques semaines de maison de redressement et l'habituel e litanie de sermons sur l'honnêteté et la Justice. Mais au lieu de cela, il avait été pris en main par un policier qui, sans expliquer ses motivations, s'était mis en tête de réformer sa conduite. Ce policier se nommait Boyd Fletcher. Au lieu de l'expédier en prison, il avait envoyé Jonah dans un programme de réhabilitation pour jeunes criminels. Pendant deux ans, il avait dû fréquenter des cours d'éducation civique, discuter avec des assistantes sociales, effectuer des tâches d'intérêt col ectif... Évidemment, il avait commencé par se révolter et ne s'était pas rendu aux convocations dans l'espoir que l'on finirait par le placer dans une maison de redressement dont il sortirait au bout de six mois. Mais Boyd était al é le chercher chaque fois, le forçant à suivre le programme. Jonah avait alors décidé de se résigner en attendant d'être libéré de cette corvée. Puis, presque malgré lui, il avait commencé à se prendre au jeu, s'investissant de plus en plus dans les activités qui lui étaient proposées. Il était entré dans une équipe sportive, était retourné à l'école, s'était intéressé à la vie de son quartier... Durant toute cette période, Boyd lui avait plus ou moins servi de tuteur, lui dispensant conseils et félicitations, réprimandes et encouragements. Une étrange relation s'était instaurée entre eux au fil du temps, faite d’un mélange de respect, de camaraderie et d'un sentiment presque filial. Finalement, lorsque Jonah avait émergé du programme de réhabilitation, il avait décidé de poursuivre ses études au lieu de retourner dans la rue. Il avait même fini par décrocher une bourse pour entrer à l'université. À trente ans, il était devenu un citoyen respectable de sa communauté. Le plus ironique, c'est qu'il exerçait à présent légalement les activités pour lesquel es il avait été condamné des années plus tôt. Ses boîtes de nuit et son club de jeu avaient même fait de lui un homme plutôt fortuné. Mais malgré la parfaite légalité dans laquel e il travail ait, il n'avait jamais réussi à se sentir à l'aise au milieu des policiers. Pour lui, ils représentaient toujours «l'autre camp», celui avec lequel on ne pactisait pas et c'était toujours avec appréhension qu'il mettait les pieds dans un commissariat. Ce jour-là pourtant, il avait bien été obligé de s'y rendre pour répondre à l'appel de Boyd. Assis bien droit sur une chaise, il se retenait de faire les cent pas, sachant que cela ne ferait que le rendre plus nerveux encore. Pour tromper son anxiété, il se mit à observer la secrétaire de son ami. C'était une jeune femme charmante aux cheveux roux et bouclés qui lui décochait de temps à autre des regards mi-intimidés mi-encourageants. Pas question pourtant d'engager la conversation, l'idée même de sortir avec un policier lui faisait froid dans le dos. Et, de toute façon, cette fil e était beaucoup trop proche de Boyd... Détournant les yeux, il entreprit donc de fixer le mur qui lui faisait face, réfléchissant aux investissements qu'il projetait de réaliser dans son nouveau club. Déçue, la secrétaire retourna à son travail. Ce n'était pourtant pas tous les jours qu'el e avait l'occasion de croiser un homme aussi séduisant... Blackhawk était grand et bien bâti et possédait un visage fascinant. Ses cheveux étaient noirs et épais et ses pommettes hautes révélaient le sang indien qui coulait dans ses veines. Ses yeux noirs à l'expression indéchiffrable accentuaient encore son charme. La veste de couturier et les chaussures qu'il portait révélaient un compte en banque bien rempli. C'était plus qu'il n'en fal ait pour rendre un homme irrésistible à ses yeux. Pourtant quelque chose lui disait que Jonah n'était pas une personne facile à aborder. Depuis qu'il s'était instal é là pour attendre que le commissaire le fasse entrer, il n'avait pas bougé un muscle, ne trahissant aucune émotion. On aurait dit une superbe statue posée là par erreur... Comme el e rassemblait son courage pour lui adresser la parole, le téléphone retentit sur son bureau. El e sursauta, décrocha et écouta quelques instants avant de reposer le combiné. — Monsieur Blackhawk, le commissaire Fletcher est prêt à vous recevoir... D'un geste gracieux, presque félin, Jonah se leva, lui décochant un sourire qui la fit fondre. — Merci beaucoup, mademoisel e. Le coeur battant, el e le précéda jusqu'à la porte de Boyd qu'el e lui ouvrit, se sentant soudain aussi gauche qu'une col égienne à son premier rendez-vous amoureux. Lorsqu'il eut disparu à l’intérieur, el e poussa un profond soupir, secoua la tête, et retourna à son travail, songeant qu'el e venait peut-être de laisser échapper l'homme de sa vie. — Jonah ! s'exclama Boyd en se levant de son fauteuil pour venir à sa rencontre. Les deux hommes se serrèrent chaleureusement la main et Boyd frappa affectueusement l'épaule de Blackhawk. — Merci d'être venu. — Il n'y a pas de quoi. Je ne pouvais pas refuser l'invitation d'un commissaire divisionnaire... La première fois qu'ils s'étaient rencontrés, Boyd était encore un jeune lieutenant prometteur aux cheveux blonds, travail ant dans un bureau minuscule et encombré. Aujourd'hui, il se tenait dans un magnifique cabinet qui dominait la vil e de Denver et ses cheveux avaient pris une couleur argentée. Pourtant, ses yeux verts avaient toujours le même éclat, trahissant la détermination sans fail e et l'intel igence aiguë qui l'habitaient. — Un café ? suggéra Boyd. — Avec plaisir. — Assieds-toi, lui conseil a le commissaire avant d'al er leur préparer deux tasses. Il avait apporté sa propre machine à café pour ne pas avoir à supporter la boisson atroce qu'on trouvait dans tous les commissariats. Un breuvage qu'il avait dû absorber pendant de longues années et dans lequel il s'était bien juré de ne plus jamais tremper ses lèvres jusqu'à la fin de sa vie. — Je suis désolé de t'avoir fait attendre, s'excusa-t-il. Mais j'avais un appel urgent. Ces politiciens, je crois que je ne pourrai jamais les supporter... Et ne t'avise pas de dire que j'en suis devenu un moi-même, ajouta-t-il en voyant un sourire ironique se peindre sur les lèvres de Jonah. — Je n'aurais jamais osé dire une tel e chose, répondit celui-ci avant d'avaler une longue gorgée de café. En tout cas, pas devant vous... — Tu as toujours été un malin, déclara, Boyd en s'asseyant en face de Jonah. Il contempla longuement son bureau avant de secouer la tête. — Je n'avais jamais pensé finir ma carrière de cette façon... — La rue vous manque ? — Tous les jours, répondit Boyd. Mais d'un autre côté, j'avais probablement fait le tour de ce qu'il y avait à voir. Et je me plais à croire que je suis plus utile ici désormais. Comment marchent tes affaires ? — Plutôt bien... Ma nouvel e boîte de nuit attire une clientèle très respectable. Des gens fortunés qui viennent de plus en plus loin pour s'asseoir à nos tables. D'ail eurs, nous avons sérieusement augmenté la qualité de nos prestations et donc nos prix... — Moi qui pensais y emmener Cil a un de ces jours... — Ne vous en faites pas, si vous venez, vous serez mes invités... — Nous verrons cela. En attendant, voici la raison pour laquel e je t'ai fait venir, Jonah. J'ai un problème que tu pourrais peut-être m'aider à résoudre. — Je vous écoute. — Au cours des derniers mois, nous avons constaté une vague de cambriolages. Il s'agit surtout de liquide et de produits faciles à écouler, chaînes hi-fi, postes de télévision, bijoux... — Est-ce que tous les vols ont eu lieu dans le même quartier ? demanda Jonah ne sachant pas où Boyd voulait en venir. — Pas du tout. Ils ont lieu aussi bien dans des appartements en centre-vil e que dans des maisons en banlieue. Mais le scénario est toujours le même et nous sommes arrivés à la conclusion que les responsables étaient des professionnels rodés à ce genre de pratiques. Ils ont frappé six fois au cours des huit dernières semaines et toujours sans commettre la moindre erreur. — Je ne vois pas très bien en quoi cela me concerne, dit Jonah. Même du temps où j'ai commis quelques bêtises, je n'ai jamais touché au cambriolage. C'est en tout cas ce qui est écrit sur mon casier judiciaire que vous connaissez par coeur, ajouta-t-il avec un sourire ambigu. — Exact, reconnut Boyd en souriant à son tour. Nous ne t'avons jamais coincé pour cela. Mais la question n'est pas là. Les victimes n'ont qu'une chose en commun, ils étaient tous dans un bar le soir des cambriolages. Brusquement, Jonah recouvra son sérieux et une lueur dangereuse passa dans ses yeux noirs. — S'agissait-il de l'un des miens ? — Dans cinq cas sur six. Jonah porta sa tasse de café à ses lèvres, prenant le temps de réfléchir à ce que Boyd venait de lui confier. Lorsqu'il parla enfin, le ton de sa voix, calme, presque détendu, contrastait avec l'expression glaciale de son regard. — Est-ce que vous pensez que j'ai quelque chose à voir avec tout ça ? — Honnêtement, cela ne m'a même pas traversé l'esprit. Je te connais depuis des années et je sais pertinemment que, même si tu as commis des erreurs autrefois, cette période de ta vie est révolue. Jonah hocha la tête, réconforté par cette déclaration. Il y avait peu de gens dont l'opinion lui importait mais Boyd en faisait partie. Et il se sentait rasséréné par la confiance que le policier avait fini par placer en lui après ses années de lutte pour s'en sortir. — Vous pensez donc que quelqu'un se sert de mon club pour repérer des victimes potentiel es, conclut-il. Cette idée ne me plaît pas du tout. — C'est le contraire qui m'aurait étonné. — Et de quel établissement s'agit-il ? — Du Blackhawk. — C'est logique, la clientèle est généralement assez riche. Rien à voir avec cel e du Fast Break, mon cercle de jeu... Mais cela ne me dit pas ce que vous attendez de moi exactement... — J'aimerais que tu coopères avec mes services et notamment avec l'inspecteur chargé du dossier. Jonah poussa un juron et passa nerveusement une main dans ses cheveux. — Vous voulez que je col abore avec des flics ? Je connais leurs méthodes, Boyd. Si vous les lâchez chez moi, je n'aurai bientôt plus un seul client. — Ils sont pourtant déjà venus enquêter, objecta Boyd, un sourire amusé aux lèvres. — Sûrement pas pendant que j'étais là, répliqua Jonah. Je les repère à des kilomètres... — Ils sont venus de jour, en effet, et tu n'étais pas là, précisa Fletcher. Moi, j'ai toujours préféré les rondes de nuit, généralement, el es sont beaucoup plus instructives. T'ai-je déjà dit que c'était au cours de l'une d'el es que j'ai rencontré ma femme Cil a ? — Vous me l'avez raconté au moins une centaine de fois, répliqua Jonah, devinant que l'autre essayait de l'amadouer. — Eh bien, je vois que tu es toujours aussi direct ! Mais c'est quelque chose que j'ai toujours apprécié chez toi. — Vraiment ? Je me rappel e pourtant qu'une fois vous m'avez menacé de m'agrafer les lèvres... — Quel e mémoire ! El e te sera utile lorsqu'il s'agira de repérer nos suspects. Si tu acceptes de travail er avec nous, évidemment... Jonah soupira, il ne pouvait rien refuser à Boyd. Certainement pas après tout ce que ce dernier avait fait pour lui dans le passé... Pourtant, cette décision lui coûtait plus que tout. — Je vous aiderai, promit-il. Dans la mesure de mes moyens, en tout cas. À cet instant, le téléphone qui se trouvait sur le bureau de Boyd sonna. — Ce doit être l'inspecteur dont je t'ai parlé, expliqua-t-il avant de décrocher. Oui, Paula ? dit-il à l'intention de sa secrétaire. Très bien, faites-la entrer... Il raccrocha et se tourna de nouveau vers Jonah. — Malgré sa jeunesse, j'ai une entière confiance en cet inspecteur. — Ne me dites pas qu'en plus, je vais devoir faire équipe avec un bleu, soupira Jonah qui commençait déjà à regretter d'avoir accepté la proposition de Boyd. Ce dernier sourit mais, avant qu'il ait eu le temps de répondre, la porte s'ouvrit sur une ravissante femme blonde. Le visage impassible, luttant pour ne rien laisser deviner de sa surprise, Jonah la regarda entrer. El e était grande, avec des cheveux mi-longs coiffés à la diable et des yeux dorés qui évoquaient la couleur du whisky. Et, surtout, el e possédait la plus admirable paire de jambes qu'il ait jamais contemplée. Mais il était suffisamment psychologue pour ne pas se fier à ces considérations esthétiques. Dans le regard de la jeune femme, il discerna un mélange étonnant de calme et de volonté farouche. Cette impression contrastait nettement avec la féminité et la sensualité qui se dégageaient d'el e, la rendant plus attirante encore. Réalisant le tour que prenaient ses pensées, Jonah s'en fit le reproche intérieurement. Il devait se souvenir qu'el e était avant tout un policier et qu'à ce titre, el e appartenait à une espèce dont il valait mieux se méfier. — Commissaire, dit-el e en faisant un signe de tête à l'attention de Boyd. — Tu es pile à l'heure, constata ce dernier. Jonah, je te présente... — Al ison Fletcher, compléta ce dernier à la grande surprise des deux autres. Ce n'est pas très difficile à deviner, ajouta-t-il en haussant les épaules. Vous avez le visage de votre père et les yeux de votre mère... — Vous êtes perspicace, monsieur Blackhawk, remarqua Al ison en lui tendant la main. El e-même avait immédiatement reconnu l'ami de son père qu'el e avait vu des années plus tôt, lorsqu'il était encore au lycée. Son père l'avait emmenée à un match de base-bal auquel Jonah participait et el e avait été impressionnée par la maestria et l'énergie qu'il déployait sur le terrain. Mais el e avait également lu son dossier et savait qu'il avait un passé plus que douteux. Bien sûr, les délits pour lesquels il avait été inculpé remontaient à des années mais el e ne croyait pas vraiment en la réhabilitation. D'expérience, el e avait appris que certaines personnes naissaient honnêtes tandis que d'autres seraient toujours des criminels. Très peu nombreux étaient ceux qui passaient d'un groupe à l'autre. D'ail eurs, il suffisait de considérer la proportion de récidivistes pour s'en rendre compte... Pourtant, el e se força momentanément à suspendre sa méfiance instinctive, songeant qu'ils auraient besoin de toute la coopération de Jonah pour venir à bout de cette enquête. Et son père semblait persuadé que l'on pouvait se fier à lui pour cela... — Tu veux un café, Al y ? suggéra Boyd. — Non merci, répondit-el e en prenant place sur la chaise voisine de cel e de Blackhawk. — Bien... Jonah a accepté de nous venir en aide, expliqua Boyd. Je lui ai parlé des cambriolages mais tu es plus au fait des détails. — Eh bien, il y a eu six vols au cours de ces huit dernières semaines. La valeur cumulée des marchandises s'élève déjà à huit cent mil e dol ars. La plupart du temps, il s'agit de petits objets, principalement des bijoux. Dans un cas, pourtant, la Porsche de la victime a été volée. Trois des maisons visitées étaient munies de systèmes d'alarme perfectionnés qui ont été désactivés. Les portes n'ont jamais été forcées et, chaque fois, la résidence était vide au moment des faits. — Vous avez donc affaire à un professionnel, conclut Jonah. Quelqu'un qui est capable de crocheter une serrure, de désactiver un système d'alarme, de démarrer une Porsche et surtout qui a les contacts nécessaires pour écouler la marchandise volée... — Justement... À notre grande surprise, aucun des objets dérobés n'a été retrouvé dans les filières classiques des receleurs que nous connaissons. Il est possible qu'ils les écoulent dans d'autres vil es et nous effectuons des recherches dans ce sens. Mais, comme je vous l'ai dit, la plupart des objets sont assez difficiles à repérer et cette piste paraît plus qu'aléatoire. Par contre, nous savons que c'est dans votre club que les victimes ont été repérées... Nous savons d'autre part que certains de vos employés ont un passé douteux. Jonah lui jeta un regard glacial. — Wil iam Sloane organisait des paris clandestins mais c'était il y a longtemps. Quant à Frannie Cummings, el e faisait le trottoir. Ni l'un ni l'autre ne sont des cambrioleurs. D'ail eurs, ils sont parfaitement en règle avec la loi, à présent. Je crois à la réhabilitation, inspecteur Fletcher. — Je comprends, concéda la jeune femme. Mais vous devez admettre que nous ne faisons que notre travail. S'ils sont innocents, ils n'auront pas de problèmes mais nous devons nous en assurer. D'autant plus que la seule chose que nous savons au sujet des coupables, pour le moment, c'est qu'ils fréquentent régulièrement votre club. — Je connais les gens qui travail ent pour moi, protesta Jonah avant de se tourner vers Boyd. Bon sang, tout ceci devient parfaitement ridicule... — Jonah, comme l'a dit Al y, nous ne faisons que notre travail, nous devons explorer toutes les pistes. — Peut-être, mais je refuse que vous harceliez mon personnel parce que certains d'entre eux ont commis quelques erreurs, il y a des années. — Personne ne les harcèlera, répondit Al y. Si tel était le cas, vous ne seriez pas là, nous n'avons pas besoin de votre autorisation pour questionner des suspects. — Des suspects ? répéta Jonah, furieux. — Que vous le vouliez ou non, c'est ce qu'ils sont. Tout comme vous ou toute personne fréquentant le club, par la même occasion. D'ail eurs, si vous êtes tel ement convaincu de leur innocence, pourquoi vous inquiéter ? — Calmez-vous, tous les deux, intervint Boyd qui sentait croître à chaque seconde la tension entre sa fil e et son ami. Jonah, je comprends que cette situation soit très déplaisante pour toi et crois bien que j'apprécie ta coopération à sa juste valeur. Mais, quels qu'ils soient, les cambrioleurs se servent de toi et de ton club et nous devons tout faire pour que cela cesse. — Je suis d'accord mais je ne veux pas que vous fassiez passer un interrogatoire en règle à mes employés. Je connais vos méthodes... — Pas si bien que cela, apparemment, ironisa Al y en se demandant pourquoi Jonah protégeait autant ses employés. Était-ce par simple amitié ? Ou bien avait-il une liaison avec l'ancienne prostituée ? C'était l'une des choses qu'il lui faudrait découvrir. — Nous ne voulons pas prendre le risque d'alerter les coupables, reprit-el e. S'ils savent que nous interrogeons le personnel, ils changeront de club et nous serons de retour à la case départ. Il nous faut donc avoir un policier en civil sur les lieux pour déterminer qui repère les victimes potentiel es... — Vous ? — Oui, moi. Vous n'aurez qu'à dire que vous m'avez engagée comme serveuse. Je peux commencer dès ce soir, si vous êtes d'accord... — Vous voulez que votre fil e serve dans mon club ? s'exclama Jonah en se tournant vers Boyd qui souriait maintenant d'un air narquois. — Le commissaire veut qu'un inspecteur enquête sous couverture et c'est moi qui suis chargée de l'enquête. — Attendez une minute, l'interrompit Jonah. Je me fiche de vos raisons, j'ai juste promis à votre père de l'aider. C'est vraiment ce que vous voulez que je fasse ? — Oui, acquiesça Boyd. — Très bien. Dans ce cas, vous pouvez commencer dès ce soir, conclut Jonah. Soyez à 5 heures au Blackhawk, nous passerons en revue les détails de votre nouvel emploi. — Je te revaudrai ça, promit Boyd. — Vous ne me devez rien du tout, répondit son ami en haussant les épaules. Se levant, il se dirigea vers la porte, s'arrêtant juste un instant pour se tourner vers Al y. — Au fait, les serveuses du Blackhawk sont toutes habil ées en noir. Chemisier ou sweat-shirt noir et jupe noire de rigueur. Courte de préférence, ajouta-t-il avant de quitter la pièce. Al y poussa un profond soupir et se détendit quelque peu. — Ton ami ne me plaît pas du tout, papa, déclara-t-el e posément. — Ne t'en fais pas, il a des manières un peu rudes mais tu ne tarderas pas à découvrir qu'au fond, c'est un type bien. Je crois même que vous devriez vous entendre, tous les deux... — J'en doute, j'ai rarement rencontré quelqu'un d'aussi désagréable. Est-ce que tu as vraiment confiance en lui ? — Autant que j'ai confiance en toi, répondit Boyd avec une ambiguïté qui n'échappa pas à la jeune femme. — Tout ce que je sais, c'est que l'auteur des cambriolages doit être intel igent, audacieux et avoir un certain nombre de contacts dans le milieu. Et ce Blackhawk présente ces trois caractéristiques. Rien ne dit que tu ne te trompes pas du tout au tout sur son compte. — Si tu ne me crois pas, fie-toi à l'intuition de ta mère, el e apprécie beaucoup Jonah. — Mouais, soupira Al y à demi convaincue. Quoi qu'il en soit, je placerai tout de même quelques hommes en civil parmi les consommateurs. Au cas où... — Fais comme tu l'estimes nécessaire. L'important pour moi est que tu résolves cette affaire. L'une des personnes cambriolées est un ami du maire et ce dernier insiste pour que nous coincions le responsable dans les plus brefs délais. — Eh bien... Cela fait cinq jours que les cambrioleurs ne sont pas passés à l'action. Si l'on considère le succès de leurs entreprises précédentes, je doute qu'ils s'en tiennent à de si beaux débuts. Ils récidiveront donc probablement bientôt... Se levant, el e al a se verser une tasse de café. — Pourtant, reprit-el e, rien ne dit qu'ils choisiront le club de Blackhawk une fois encore. Et nous ne pouvons pas couvrir tous les bars de la vil e... — C'est juste. Et c'est pour cela que tu dois te concentrer sur celui de Jonah. Si cela ne donne rien, nous aviserons. L'important c'est d'explorer méthodiquement chaque piste avant de passer à la suivante. — Je sais. Je l'ai appris à bonne école... En attendant, je vais repasser chez moi pour me trouver une jupe noire. — Pas trop courte, tout de même, dit Boyd tandis qu'el e se dirigeait à son tour vers la sortie. Il était 4h10 lorsque Al y arriva enfin chez el e. El e avait dû passer une demi-heure à expliquer leur rôle aux hommes qui seraient chargés de la surveil ance du Blackhawk, ce qui l'avait retardée. Pourtant, el e était bien décidée à se trouver au club à 5 heures précises. Quelque chose lui disait que Jonah ne manquerait pas une seule occasion de lui faire des reproches. Dès le premier regard qu'il lui avait jeté, el e avait compris qu'il appartenait à cette espèce de personnes qui détestaient la police. Il y en avait beaucoup. Il s'agissait généralement de gens qui avaient quelque chose à se reprocher mais tel n'était pas toujours le cas. Certaines étaient simplement al ergiques à l'uniforme et à l'autorité. Et Jonah en faisait clairement partie. El e devrait donc marcher sur des oeufs pour ne pas perdre son soutien. Il était une pièce maîtresse de l'enquête et, s'il décidait brusquement de révéler sa véritable identité à son personnel, tout serait à recommencer... Gagnant sa chambre, Al y se débarrassa de son arme et de ses vêtements et ouvrit son armoire à la recherche d'une tenue appropriée. El e écarta ses nombreux jeans, les robes que ses parents lui avaient offertes, les T-shirts, les survêtements et constata sans surprise qu'el e n'avait guère le choix. Le seul article correspondant aux exigences de Jonah était une mini-jupe qu'el e avait achetée dès années plus tôt, lorsqu'il lui arrivait encore de sortir en boîte de nuit. Comme cette époque lui semblait loin à présent... Au cours de ces derniers mois, el e avait travail é d'arrache-pied, bien décidée à décrocher la plaque d'inspecteur dont el e avait toujours rêvé. Très jeune, el e avait décidé qu'el e serait policier. Et cette vocation, loin de s'amenuiser avec les années, s'était au contraire renforcée. El e était entrée à l'académie après les études à la faculté que ses parents lui avaient expressément recommandé de terminer. S'il n'avait tenu qu'à el e, el e serait directement rentrée dans les rangs des forces de l'ordre mais el e avait cédé à leurs exigences. Et, à terme, cela s'était révélé plus que payant. Grâce à son niveau universitaire, el e avait décroché un poste d'inspecteur avant la plupart de ses camarades de promotion, sans même que son père ait à intervenir en sa faveur. D'ail eurs, cela n'avait rien de surprenant, el e était un bon flic et le savait parfaitement. El e avait même réussi à s'imposer comme l'égale de ses col ègues masculins dans un milieu qui restait très sexiste, malgré les progrès d'intégration de ces dernières années. El e ne rechignait jamais à la tâche, ne refusait aucune enquête et n'hésitait pas à prendre des risques lorsque c'était nécessaire. Bien sûr, cela n'avait guère facilité les choses sur le plan de sa vie personnel e mais el e s'en souciait peu, trop passionnée par son métier pour regretter un temps libre dont el e n'aurait su que faire de toute façon. Constatant avec satisfaction que sa jupe lui al ait encore parfaitement, la jeune femme enfila des col ants et un chemisier noir et jeta un coup d'oeil critique dans la glace. Sa tenue mettait un peu trop en valeur ses jambes à son goût mais el e conviendrait sans doute pour son nouvel emploi. Qui sait ? Cela lui permettrait peut-être de déstabiliser Blackhawk ? L'homme était beaucoup trop froid et contrôlé à son goût, ce qui le rendrait certainement très difficile à manipuler. Or el e avait besoin de toute sa coopération pour mener à bien la mission que son père lui avait confiée. Ce dernier lui avait beaucoup parlé de Jonah. Apparemment, dès l'enfance, il avait démontré d'impressionnants talents de pick-pocket qui, combinés à une vivacité étonnante, faisaient de lui un voleur redoutable. Mais il avait trop d'ambition pour se cantonner à une tel e activité. Très vite, il avait investi ses économies pour développer un réseau de paris clandestins. À douze ans, il dirigeait une véritable petite entreprise de jeu il égal... Apparemment, ses aptitudes de gestionnaire s'étaient développées une fois qu'il avait eu renoncé à ses activités il égales. Partant de rien, il avait fondé deux clubs qui prospéraient, attirant une clientèle de plus en plus importante. El e-même connaissait le Fast Break où el e s'était rendue à plusieurs reprises en compagnie de col ègues. El e appréciait la qualité de son service et de ses Margaritas ainsi que le nombre impressionnant de flippers mis à la disposition des consommateurs. El e ne connaissait pourtant pas le Blackhawk dont el e savait qu'il était destiné à une clientèle plus huppée. Mais le club était lui aussi très fréquenté, ce qui tendait à démontrer que Jonah avait su s'adapter aux exigences de ce nouveau milieu. Il n'avait pourtant pas voulu rompre avec ses racines, engageant des personnes qu'il avait dû rencontrer autrefois. Et il paraissait très attaché à el es, comme l'avait prouvé la vivacité avec laquel e il avait réagi à ses insinuations... Gagnant sa sal e de bains, la jeune femme brossa énergiquement ses cheveux, puis el e se maquil a, songeant qu'une serveuse séduisante devait empocher de plus gros pourboires. Et c'était bien ce qu'el e était censée attendre de son nouvel emploi. El e ajouta à sa tenue quelques bijoux sans grande valeur et se contempla dans la glace, satisfaite de découvrir sa nouvel e apparence. Seule ombre au tableau, ses vêtements ne lui permettraient pas de dissimuler son pistolet. El e le glissa donc dans son sac à main avant de revêtir une veste de cuir qui compléterait son déguisement. Jetant un coup d'oeil à sa montre, el e réalisa qu'il était déjà 4h20. Cela lui laissait juste le temps d'arriver à l'heure au Blackhawk si la circulation n'était pas trop dense. Mais lorsqu'el e ouvrit sa porte, el e se trouva nez à nez avec Dennis Overton, son ex-petit-ami, qui s'apprêtait tout juste à sonner, une bouteil e de vin blanc à la main. — Demis ? Qu'est-ce que tu fais là ? demanda-t-el e en s'efforçant de maîtriser la pointe d'agacement qui perçait dans sa voix. — Je passais dans le quartier et je me suis dit que nous pourrions prendre un verre, toi et moi... — J'al ais justement sortir. — Dans ce cas, je t'accompagne, déclara Dennis au désespoir de la jeune femme. El e ne tenait pas à le blesser, sachant qu'il avait beaucoup de mal à se remettre de leur rupture survenue deux mois auparavant. Mais il ne cessait de la harceler, l'appelant à toute heure, lui envoyant des lettres ou des bouquets de fleurs, s'arrangeant pour tomber sur el e «par hasard» au détour d'une rue ou d'un rayon de supermarché. — Nous en avons déjà discuté, objecta-t-el e calmement. Je ne crois pas que ce soit une bonne chose... — Voyons, Al y, cela n'engage à rien. Tu me manques beaucoup, tu sais... Il avait de nouveau dans les yeux cette lueur triste qui l'avait si souvent fait céder, autrefois. Mais el e savait à présent que son regard pouvait également trahir une jalousie féroce, une colère, une haine, même, qui le rendaient tout bonnement impossible à vivre. Plus d'une fois, el e lui avait pardonné ses scènes aussi déplacées qu'injustifiées mais il avait fini par lasser sa patience. Comment aurait-el e pu supporter ses incessantes sautes d'humeur qui frisaient la névrose ? Et quel respect pouvait-el e avoir pour un homme qui ne lui en témoignait aucun, n'hésitant pas à la persécuter des mois après la fin de leur malheureuse liaison ? — Je suis désolée, Dennis, insista-t-el e en contrôlant sa colère grandissante. Je suis très pressée. — Mais cela ne prendra que cinq minutes, plaida-t-il en lui barrant la route. Juste un verre en souvenir du bon vieux temps... — Je n'ai pas cinq minutes à t'accorder, répliqua-t-el e. Le sourire pitoyable de Dennis disparut instantanément tandis qu'une étincel e de rage passait dans ses yeux. — C'est bien cela, le problème, déclara-t-il, menaçant. Tu n'as jamais eu cinq minutes à me consacrer ! Nous faisions toujours ce que tu voulais quand tu le voulais. Tu ne tenais aucun compte de mes envies... — Eh bien, dans ce cas, tu dois être heureux d'être enfin débarrassé de moi, rétorqua-t-el e sans se laisser impressionner. — Je suppose que tu vas retrouver un autre homme, n'est-ce pas ? Ce serait bien ton genre... — Même si c'était le cas, je ne vois pas en quoi cela te concernerait, s'exclama Al y, excédée. Tu n'as pas à savoir ce que je fais, ni avec qui je sors ! Combien de fois devrai-je te le répéter ? J'en ai assez de te voir surgir à l'improviste chaque fois que cela te chante ! Fiche le camp et oublie-moi une bonne fois pour toutes ! — Je veux te parler, insista-t-il en lui prenant le bras. El e se dégagea vivement, réalisant que Dennis avait complètement perdu le contrôle de lui-même. Il tremblait de rage, prêt à la frapper. — Écarte-toi de mon chemin, ordonna-t-el e de cette voix très basse qu'el e utilisait lorsqu'el e avait affaire à des délinquants. — Ou sinon ? Tu vas me tirer dessus ? Me mettre en état d'arrestation ? Ou appeler ton père pour qu'il me fasse enfermer ? — Je ne le redirai pas, Dennis, écarte-toi ou tu risques de le regretter. Une fois de plus, l'attitude de Dennis changea du tout au tout. — Je suis désolé, Al y, la supplia-t-il, les yeux humides et la bouche tremblante. Je suis juste déprimé de te voir aussi rayonnante alors que je suis au bout du rouleau. Donne-moi une nouvel e chance. Juste une. Cette fois, cela marchera, je te le promets. — Écoute, Dennis, déclara la jeune femme sans se laisser impressionner par son désespoir apparent. Cela n'a jamais marché entre nous. Alors rentre chez toi et essaie de te convaincre que tout est bien fini. Sans attendre sa réponse, Al y s'éloigna à grands pas, pestant intérieurement contre ce fâcheux contretemps. Chapitre 2 Il était déjà 5h15 lorsque Al y arriva au Blackhawk. Le club ne se trouvait qu'à quelques pâtés de maisons de chez el e et el e avait finalement décidé de venir à pied, pensant qu'el e gagnerait ainsi du temps. Cela s'était révélé être une erreur. La distance était bien plus grande qu'il n'y paraissait et les chaussures à talons qu'el e portait n'avaient pas facilité les choses. El e pénétra dans l'établissement, observant attentivement la disposition des lieux. Un bar gigantesque occupait le mur du fond, s'incurvant en demi-cercle pour offrir plus de place aux consommateurs qui étaient instal és sur de hautes chaises chromées aux confortables coussins de cuir. Derrière une impressionnante rangée de bouteil es, on avait placé un grand miroir qui reflétait toute la sal e. Cel e-ci était décorée avec sobriété et élégance, meublée de profonds fauteuils club qui entouraient de petites tables de bois sombre. Il se dégageait de l'ensemble une impression de confort et de discrétion que paraissaient apprécier les clients nombreux en ce début de soirée. Il s'agissait pour la plupart de cadres des grandes entreprises voisines. Certains discutaient affaires tandis que d'autres se détendaient après leur journée de travail, se laissant bercer par les airs de jazz qui passaient en sourdine pour ne pas gêner les conversations. Deux serveuses s'activaient autour des tables et Al y remarqua avec une pointe de colère que toutes deux, si el es étaient bien vêtues de noir, portaient des pantalons. Le barman, un homme assez jeune et plutôt beau garçon, discutait avec un trio de jeunes femmes assises devant lui. Nul e part, cependant, el e ne vit Frannie Cummings. El e al ait devoir questionner Blackhawk sur les horaires de ses employés. — Vous avez l'air un peu perdue, dit une voix sur sa droite. Se retournant, Al y se retrouva face à Wil iam Sloane. El e avait vu une photographie de lui dans son dossier mais el e eut du mal à le reconnaître. Le voyou mal rasé était devenu un homme élégant et distingué. Il portait un costume trois pièces gris souris qui lui donnait une apparence de parfaite respectabilité et arborait un sourire affable. — Je m'appel e Al ison, expliqua-t-el e, feignant une pointe de nervosité. Je devais retrouver M. Blackhawk à 5 heures mais j'ai peur d'être un peu en retard... — Ce n'est pas grave, répondit-il gentiment en lui tendant la main. Je me nomme Wil Sloane. Jonah m'a parlé de vous. Il m'a demandé de vous conduire dans son bureau. Si vous voulez bien me suivre... Al y lui emboîta le pas tandis qu'il se dirigeait vers l'escalier menant au premier étage. Tandis qu'ils traversaient la pièce, la jeune femme remarqua qu'au milieu de chaque table étaient incrustés des motifs abstraits ciselés en métal argenté légèrement terni. Des lumières tamisées dispensaient dans la boîte une lumière agréable qui évoquait cel e des bougies. Des fils métal iques couraient sur les murs formant des arabesques qui scintil aient doucement. Par endroits étaient disposés des sculptures tail ées dans le même bois que les tables ainsi que des tableaux abstraits qui jetaient quelques touches colorées sur la surface uniformément noire. L'ensemble formait un étrange mélange d'art déco et contemporain. — C'est un endroit superbe, dit-el e d'un ton admiratif. — Jonah voulait que ce soit le plus beau club de la vil e, expliqua Wil . Il a engagé les architectes et les décorateurs les plus renommés de l'État et leur a laissé carte blanche. Ensuite, il a choisi le projet qu'il préférait. Rien n'a été laissé au hasard... Avez-vous déjà travail é dans une boîte de nuit ? — Dans aucune qui ressemble à cel e-ci en tout cas, répondit-el e évasivement. Parvenus en haut de l'escalier, ils se trouvèrent face à une porte dépourvue de poignée. Wil pianota brièvement sur le digicode qui se trouvait à sa droite et le panneau coulissa, révélant un couloir décoré dans le même esprit que la pièce principale. — Vous êtes nouvel e venue à Denver ? demanda Wil en gagnant une porte qui s'ouvrait sur la droite. — Non, je suis née ici. — Moi aussi. Je suis un ami d'enfance de Jonah, précisa Wil en souriant. On peut dire que nous avons fait un sacré bout de chemin, lui et moi... Poussant la porte, il s'effaça pour laisser la jeune femme pénétrer dans le repaire de Blackhawk. C'était une pièce immense et confortablement meublée. Un gigantesque canapé était instal é face à un écran qui couvrait le mur du fond. On était en pleine retransmission d'un match de base-bal . Le son était coupé et Al y, machinalement, regarda le score : les Yankees et Toronto étaient toujours à égalité à la fin de la première période. Détournant les yeux, el e avisa les étagères impressionnantes qui couvraient deux des murs. Surprise, el e se dit que si el e s'était attendue à ce que Jonah soit fanatique de sport, el e n'aurait jamais imaginé cependant qu'il fût un lecteur aussi boulimique. Dans le coin opposé de la pièce se trouvait le bureau de Blackhawk sur lequel trônait un ordinateur dernier cri. Jonah y était instal é dans un confortable fauteuil de cuir, discutant avec l'un de ses fournisseurs. — Je vous rappel erai, dit-il enfin. Mais je tiens à ce que vous me livriez dès demain... Peu importe comment vous vous y prenez, vous vous y êtes engagé. Raccrochant, il se tourna vers Al ison et lui fit signe de s'asseoir. — Merci de l'avoir amenée, Wil . — Pas de problème, répondit ce dernier en regagnant la porte. À tout à l'heure, Al ison... — Vous êtes en retard, constata Jonah lorsque son ami fut sorti. — Je suis désolée, j'ai été retenue. El e jeta un coup d'oeil à l'écran sur lequel défilaient les images filmées par la caméra située derrière le bar, au rez-de-chaussée. Jonah en profita pour admirer les jambes magnifiques de la jeune femme, impressionné une fois de plus par le mélange de féminité et de force qui se dégageait d'el e. — Est-ce que vous conservez les bandes de surveil ance ? demanda-t-el e. — El es sont recyclées tous les trois jours. — J'aimerais beaucoup visionner cel es que vous avez encore. Je remarquerai peut-être quelque chose d'intéressant... — Il vous faudra un mandat pour cela, répondit posément Jonah. — Je pensais que vous étiez prêt à coopérer, rétorqua la jeune femme en fronçant les sourcils. — Jusqu'à un certain point... D'ail eurs, j'aimerais connaître la façon dont vous comptez procéder. — C'est très simple, je me ferai passer pour une serveuse que vous venez d'engager et j'en profiterai pour interroger discrètement le personnel et pour surveil er les al ées et venues d'éventuels suspects. La seule chose que vous aurez à faire, c'est de me laisser travail er tranquil ement. — C'est hors de question. Je tiens à être mis au courant de l'avancement de l'enquête. Ce club m'appartient et je veux être informé de ce qui s'y passe exactement. Avez-vous déjà travail é comme serveuse ? — Non. Mais cela ne doit pas être bien difficile... Je prends les commandes, je les transmets et je sers. Il n'y a pas besoin d'avoir fait de longues études pour cela. — J'imagine en effet que c'est ce que pensent la plupart des gens qui n'ont jamais fait ce métier. Mais la réalité est un peu différente. Je crois que vous al ez apprendre plus de choses que vous ne l'imaginez, inspecteur. Beth vous enseignera les rudiments du service. En attendant, vous vous occuperez de servir et de desservir les tables. Al ison serra les dents, réalisant qu'il ferait tout pour lui rendre la vie difficile. Mais, connaissant son antipathie pour la police, el e s'y était préparée. D'ail eurs, peu importait la nature exacte des tâches qu'el e effectuerait. L'important pour el e était de mettre la main sur ces cambrioleurs. Ensuite, el e pourrait dire à Jonah tout ce qu'el e pensait de lui. — Vous travail erez de 6 heures à 2 heures du matin. Vous avez droit à une pause de quinze minutes toutes les deux heures. Le personnel n'est pas autorisé à boire pendant le service. Si un consommateur se montre trop entreprenant à votre égard, parlez-en à Wil ou à moi directement. — Je peux très bien m'en charger toute seule, protesta Al y. — C'est hors de question. Ici, vous n'êtes pas un flic mais un membre du personnel. Et c'est à moi de faire respecter l'ordre dans mon propre club. — Est-ce que ce genre de chose arrive souvent ? s'enquit la jeune femme. — Non. Ce n'est pas le style de la clientèle... Pourtant il arrive qu'après quelques verres d'alcool les esprits s'échauffent et qu'un type devienne un peu trop insistant. Mais les habitués savent que je suis intraitable à ce sujet et évitent de dépasser les bornes. Jetant un regard de côté, Jonah observa le batteur des Yankees qui venait de réussir un coup magnifique. — En ce qui concerne la fréquentation de l'établissement, reprit-il, le club se remplit vers 8 heures pour le dîner. La piste de danse ouvre à 9 heures. Le coup de feu se situe donc entre 9 et 10 lorsque vous devez à la fois vous occuper des simples consommateurs et des derniers dîneurs. Il se tut un instant et observa attentivement Al ison avant de hocher la tête, apparemment satisfait. — Votre tenue est parfaite, commenta-t-il. Personne ne penserait que vous êtes un flic... Et j'aime beaucoup votre jupe. — J'aimerais que vous me donniez les horaires de vos employés, demanda Al ison sans tenir compte de ce compliment. À moins qu'il ne vous fail e un mandat pour cela aussi ? — Non, je vais les imprimer et je vous les donnerai avant la fin de la soirée. Mais j'aimerais que vous sachiez une chose. C'est moi qui embauche le personnel du club et je ne le fais qu'après avoir acquis la certitude qu'il s'agit de gens honnêtes. Bien sûr, tous ne viennent pas de famil es aussi aisées que la vôtre. La plupart sont originaires de milieux défavorisés. S'emparant d'une télécommande qui se trouvait sur son bureau, Jonah fit pivoter la caméra du bar et le visage du barman apparut sur l'écran. — Lui, c'est Pete, expliqua Blackhawk. Il a été élevé par ses grands-parents quand sa mère l'a abandonné. Lorsqu'il avait quinze ans, il a été arrêté pour détention de cannabis. Considérant sa situation familiale, le juge a fait acte de clémence et aucune charge n'a été retenue contre lui. Malgré cela, il a été parfaitement honnête avec moi et m'a avoué les faits lors de son entretien d'embauche. — Comment savez-vous que tous vos employés sont aussi francs ? demanda Al y. — Parce que les autres ne tardent pas à se couper et, s'il se révèle qu'ils m'ont menti, ils sont renvoyés sans autre forme de procès. Vous voyez cette petite brune, là ? C'est Beth. Son mari était un véritable salaud qui la battait comme plâtre. El e a trois enfants de seize, douze et dix ans et travail e pour moi depuis cinq ans. Au début, el e arrivait régulièrement avec un oeil au beurre noir ou une lèvre fendue. Dieu merci, il y a deux ans, el e s'est enfin décidée à quitter son mari... — Et il n'a pas cherché à la récupérer ? s'étonna Al y. — Je lui ai personnel ement expliqué ce qu'il lui en coûterait s'il tentait quoi que ce soit contre el e, répondit Blackhawk avec un sourire entendu. — Je vois, acquiesça Al y que cela ne surprenait guère. Est-ce qu'il s'en est sorti en un seul morceau ? — Presque... Bon, vous ferez connaissance directement avec les autres. Vous pouvez laisser votre sac ici, si vous voulez. — Non, merci... — Je suppose que vous avez mis votre arme de service dedans. Faites en sorte qu'el e y reste. Il y a une pièce réservée aux employés derrière le bar, vous pourrez y mettre vos affaires. Beth et Frannie ont la clé. Quant au reste de l'établissement, les serveurs n'y ont pas accès. Seuls Wil et moi avons les codes. — Je vois que vous contrôlez parfaitement votre petit monde, commenta Al y. — C'est une nécessité. Beaucoup d'argent circule dans un club comme le mien et je ne tiens pas à être victime d'une indélicatesse... Quel e sera votre couverture ? — C'est simple, je cherchais un emploi et vous m'en avez offert un. Disons que je vous ai rencontré au Fast Break... — Vous vous y connaissez en sport ? demanda-t-il soudain de but en blanc. — Assez pour penser que chaque minute passée hors d'un terrain est une minute de perdue, répondit-el e en haussant les épaules. — Dans ce cas, vous êtes la femme de ma vie. Vous êtes pour les Yankees ou pour Toronto ? — Eh bien... Les Yankees ont d'excel ents batteurs cette saison et ils réussissent de superbes strikes. Mais ils ont plus de mal à rattraper les bal es de leurs adversaires. Les Jays de Toronto ont des batteurs beaucoup moins réguliers mais ils peuvent jouer bril amment en contre. J'avoue que je préfère leur technique, plus audacieuse, ils n'hésitent pas à prendre des risques et ne se reposent pas sur leurs qualités. J'aime beaucoup ça... — Seulement dans le sport ou également dans la vie ? — Le sport est la vie, Blackhawk. — Cette fois, je vous épouse, ironisa-t-il en lui ouvrant la porte. Ils regagnèrent le rez-de-chaussée qui était à présent noir de monde. Le volume de la musique avait été augmenté pour couvrir le bourdonnement accru des conversations, et de nombreux consommateurs se pressaient autour du bar où Pete s'activait sans relâche. Le club semblait être un lieu très convivial. Les gens s'abordaient assez librement, flirtant ou engageant la conversation avec d'autres clients sans que cela ne paraisse le moins du monde déplacé. Visiblement, la méfiance n'était pas de mise et Al y comprit combien il avait dû être aisé pour les cambrioleurs de réunir les informations dont ils avaient besoin pour commettre leurs forfaits. El e-même avait déjà repéré trois portefeuil es négligemment posés sur le comptoir et un attaché-case abandonné dans un coin. Sans compter le nombre de sacs à main suspendus aux dossiers des fauteuils... En fait, des voleurs avisés auraient probablement pu récupérer papiers d'identité et clés de domicile sans prendre le moindre risque. — Les gens sont tel ement inconscients, soupira-t-el e. Ils refusent de croire que quoi que ce soit puisse leur arriver... Regardez ce type près du bar, avec son sourire de présentateur télé et son brushing. Jonah repéra l'homme qui avait posé devant lui un portefeuil e rempli de grosses coupures et de cartes de crédit. — Je crois qu'il essaie de séduire la rousse, à sa droite. Ou la blonde qui l'accompagne... À mon avis, peu lui importe laquel e. Je pense qu'il finira avec la blonde. — Comment le savez-vous ? — Simple question d'expérience. En travail ant dans un bar, vous vous rendrez vite compte que les gens sont terriblement prévisibles, la plupart du temps. Vous voulez parier avec moi ? — Trop tard, répondit Al y en voyant la blonde changer de siège pour s'instal er près de l'homme. Félicitations... — Ce n'était pas très difficile à deviner, remarqua Jonah en haussant les épaules. D'ail eurs, si vous voulez mon avis, la fil e non plus n'est pas difficile... Reprenant sa progression, Jonah entraîna Al y jusqu'au pupitre où Beth et Wil vérifiaient les réservations des clients. — Salut, patron, fit Beth en se tournant vers eux. Apparemment, nous al ons avoir une grosse soirée, deux services au minimum... Et je viens de recevoir une réservation pour le milieu de la semaine. Il s'agit d'un groupe important. — Voilà qui tombe bien, je viens d'engager quelqu'un pour vous aider. Al ison Fletcher, je vous présente Beth Dickerman. Beth, voici, Al ison. El e a besoin d'une formation. — Ravie de faire ta connaissance, fit Beth en tendant la main à Al y. Et bienvenue à bord ! — Merci. — Montre-lui tout ce qu'il y a à savoir. En attendant qu'el e soit au point, el e s'occupera de servir et de desservir. — D'accord, dit-el e en entraînant Al y en direction du bar. Viens avec moi, je vais te présenter tout le monde... As-tu déjà servi dans un restaurant ? — Non, jamais. — Ce n'est pas grave, tu apprendras vite. Voici Frannie : c'est el e qui est responsable du bar. Frannie, je te présente Al ison. Jonah vient de l'engager pour nous donner un coup de main. — Salut, fit Frannie qui agitait un shaker d'une main tout en servant une rangée de verres de whisky de l'autre. — Ce beau gosse derrière el e, c'est Pete. Pete adressa à Al y un signe de tête amical. — Et ne t'avise pas de flirter avec lui, conseil a Beth. Pete est ma propriété exclusive. N'est-ce pas, mon beau ? — Ne t'en fais pas, ma jolie, tu es cel e qu'il me faut... Éclatant de rire, Beth contourna le bar pour pousser la porte qui menait au bureau réservé au personnel. — Je plaisante, expliqua-t-el e à Al y. Pete a une femme merveil euse. Ils vont bientôt avoir un bébé. Mais j'adore le taquiner... Salut, Jan, ajouta-t-el e à l'intention de la jeune femme qui se trouvait dans le bureau. — Salut, Beth, répondit cel e-ci. Jan était une superbe brune à la silhouette voluptueuse qu'el e savait mettre en valeur, la minijupe qu'el e portait était encore plus courte que cel e d'Al y, dévoilant une superbe paire de jambes. Son T-shirt était suffisamment moulant pour révéler de façon plus qu'explicite sa généreuse poitrine. El e devait avoir une vingtaine d'années et arborait plusieurs piercings provocants. — Al y est nouvel e. — Ah ouais ? fit Jan avec un sourire de bienvenue qui contrastait avec son regard inquisiteur. C'était l'expression caractéristique d'une femme mesurant les charmes d'une éventuel e rivale, et Al y se fendit de son sourire le plus naïf pour désamorcer toute compétition. — Jan travail e au bar, expliqua Beth, mais el e nous aide aussi en sal e lorsque la cadence devient trop infernale. — Apparemment, ce sera le cas, ce soir, remarqua Jan tandis qu'un concert d'éclats de rire leur parvenait de l'autre côté de la porte. Bon, je ferais mieux d'y al er. Bienvenue parmi nous, Al y. Et bonne chance pour cette première soirée. — Merci, répondit la jeune femme avant de se retourner vers Beth. Tout le monde a l'air si sympathique, remarqua-t-el e, impressionnée par la cordialité qui semblait régner en ce lieu. — C'est parce que Jonah veil e à ce que nous formions une famil e unie. C'est un bon patron, il a toujours un mot gentil pour chacun et sait reconnaître le travail bien fait. En plus, il n'hésite jamais à venir en aide à ses employés dans le besoin. — Tu travail es pour lui depuis longtemps ? — Cela doit faire six ans... Avant, je servais au Fast Break, son autre club. Lorsqu'il a ouvert ici, il m'a demandé si je voulais le suivre parce que c'était plus près de chez moi. Tiens, tu n'as qu'à utiliser ce casier, il suffit d'appuyer deux fois sur le zéro pour introduire une nouvel e combinaison. Ici, tes affaires seront en sécurité. — Génial, commenta Al y en plaçant son sac dans la petite armoire. El e enfila ensuite le tablier de rigueur et se tourna vers Beth. — Je crois que je suis prête. — Tu ne veux pas al er te rafraîchir un peu avant de plonger dans l'enfer ? — Non, merci. Je suis un peu nerveuse mais ça ira. — Ne t'en fais pas, tu seras bientôt si occupée que tu n'auras pas le temps de t'inquiéter de quoi que ce soit. Beth avait vu juste, en quelques minutes, Al y se trouva plongée dans un véritable tourbil on d'activité dont el e émergea vers dix heures, pour sa pose réglementaire. El e avait travail é sans s'arrêter, instal ant les couverts, plaçant les gens, aidant au bar et absorbant une multitude d'informations et de conseils sur son nouveau métier. C'était une tâche épuisante et el e avait les pieds dans un triste état. Dès le lendemain, se promit-el e, el e opterait pour des chaussures plus confortables que cel es qu'el e avait malencontreusement choisies ce soir-là. Sa tête bourdonnait du bruit des conversations et de la musique. Les disques avaient en effet été remplacés par un groupe qui jouait beaucoup plus fort. Vers 9 heures, comme le lui avait annoncé Jonah, le rythme s'était encore accéléré. Les gens mangeaient, buvaient, discutaient, dansaient et les serveuses paraissaient devoir être dotées d'un pouvoir d'ubiquité pour répondre à toutes les commandes. Exténuée, Al y décida de profiter du quart d'heure de liberté dont el e disposait pour passer en revue les clients. La plupart appartenaient à un milieu très aisé, les robes de couturiers n'étaient pas rares, pas plus que les montres et les bijoux de prix, les sacs de designers, ou les portables dernier cri. Nombreux étaient ceux qui payaient en liquide et un flot de bil ets passaient de main en main. El e avisa alors un couple d'une trentaine d'années qui était instal é à une table non loin de l'endroit où el e se trouvait. L'homme lui fit un signe et el e s'approcha. — Excusez-moi, ma bel e, pourriez-vous nous servir une autre tournée de ce délicieux cocktail ? Reconnaissant les deux inspecteurs en civil chargés de surveil er les lieux, el e se pencha vers l'homme et lui glissa : — Pourquoi n'irais-tu pas te le servir toi-même, Hickman ! — Tu sais que tu es charmante en serveuse, Al y ? ironisa la femme. — C'est ça, moquez vous de moi ! La prochaine fois, c'est moi qui resterai assise à siroter des verres pendant que vous vous farcirez le sale boulot. Vous avez remarqué quoi que ce soit d'inhabituel ? — Rien du tout, répondit Hickman en prenant la main de sa partenaire. Mais je crois que Carson et moi sommes en train de tomber amoureux. — Tu prends tes rêves pour des réalités, répliqua Lydia en le pinçant. — Vous feriez mieux de garder les yeux ouverts au lieu de faire les idiots, intervint Al y. Et j'espère pour vous que ces cocktails sont sans alcool. — Quel e peau de vache, entendit-el e Hickman murmurer tandis qu'el e s'éloignait. — Beth, fit Al y, les gens de la table seize veulent deux nouveaux verres. — Je m'en occupe. Va prendre ta pause, Al y. Al ison hocha la tête et gagna l'office où plusieurs cuisiniers s'agitaient dans une atmosphère envahie de fumée tandis qu'une multitude d'odeurs aussi délicieuses que diverses saturaient l'air surchauffé. Du coin de l'oeil, Al y vit Frannie s'éclipser par la porte de derrière et, après avoir attendu quelques minutes, el e lui emboîta le pas. Dehors, il faisait beaucoup plus frais et la jeune femme inspira profondément, rassérénée par le silence qui régnait sur le parking. — Tu prends ta pause ? demanda Frannie qui tirait sur une cigarette, adossée contre un mur. — Oui, répondit Al y en feignant d'être surprise. Je ne savais pas que tu étais là... — J'avais besoin de ma dose de nicotine. Tu en veux une ? — Non, merci. Je ne fume pas... — C'est une bonne chose. Moi, je n'arrive pas à arrêter. Et le bureau des employés est non fumeur... Alors, je viens ici. Comment se passe cette première soirée ? — J'ai les pieds en sang ! — Oui, ce sont les risques du métier... Dès que tu auras touché ta première paie, je te suggère d'acheter des sels spéciaux pour les bains de pieds. Il y a un truc à l'eucalyptus qui fait des merveil es. — Merci du conseil, répondit Al y en observant attentivement Frannie. C'était une femme attirante, même si les rides qui se dessinaient au coin de ses yeux la faisaient paraître plus vieil e que ses vingt-huit ans. Ses épais cheveux roux étaient coupés au carré et son maquil age était léger. El e ne portait aucun bijou et seuls ses vêtements et ses chaussures trahissaient un certain souci d'élégance. — Cela fait longtemps que tu travail es ici ? demanda Al ison pour relancer la conversation. — Eh bien... Lorsque j'étais plus jeune, je traînais pas mal dans les bars. Au bout d'un moment, je me suis dit qu'il était temps de me trouver un emploi stable et Jonah m'a proposé une place de serveuse au Fast Break. Ensuite, je l'ai suivi dans ce nouveau club... — Ça te plaît ? — Assez, oui. On rencontre parfois des gens intéressants. — Je n'ai pas eu le temps de discuter avec qui que ce soit tel ement j'étais débordée, objecta Al y. — Ne t'en fais pas, tu t'y feras. D'ail eurs, tu m'as l'air d'être le genre de fil e capable de réussir tout ce qu'el e entreprend. — Vraiment ? — Travail er dans un bar finit par développer le sens de l'observation et de la psychologie. Et, en te regardant, je n'ai pas l'impression que tu te contenteras très longtemps de ce travail... — Peut-être. Mais il faut bien que je paie mon loyer en attendant. — Ça, c'est certain. D'ail eurs, tu as fait le bon choix, si tu es intel igente et travail euse, Jonah s'en apercevra et ne tardera pas à te confier de vraies responsabilités. Mais je suppose que tu le sais déjà, ajouta-t-el e en jetant à Al y un regard ambigu. Sois honnête avec lui et il le sera avec toi. Bon... Je ferais mieux de rentrer avant que Pete ne soit complètement débordé. Al y la suivit des yeux, réalisant qu'el e venait d'être mise en garde. Frannie ne lui pardonnerait certainement pas de se servir de Jonah et ferait tout pour le protéger. Cela confirmait l'hypothèse selon laquel e il existait peut-être une liaison entre eux... D'autre part, Frannie était également la personne idéale pour aider les cambrioleurs à repérer leurs proies. El e travail ait au bar et devait entendre nombre de conversations intéressantes. De plus, c'était el e qui encaissait les règlements et el e avait donc accès aux cartes bleues et aux pièces d'identité. Al y devrait l'avoir à l'oeil. Jonah, de son côté, avait décidé de faire sa propre enquête. Il connaissait suffisamment les habitudes du milieu pour savoir quel genre de victimes les cambrioleurs rechercheraient. Il avait même déjà repéré trois proies idéales. Il avait également remarqué les deux policiers qui se trouvaient à la table seize et s'approcha d'eux d'un air désinvolte. — Comment se passe votre soirée ? demanda-t-il cordialement. — Très bien, répondit la jeune femme blonde en lui adressant un sourire rayonnant. C'est notre première sortie depuis des semaines et nous nous amusons beaucoup. Votre club est superbe ! — Je suis heureux qu'il vous plaise, répondit Jonah en posant la main sur l'épaule de Hickman. Mais la prochaine fois, ajouta-t-il à l'intention de ce dernier, évitez de porter les chaussures réglementaires de la police. Ce n'est pas très discret. Bonne soirée... Tandis qu'il s'éloignait, il entendit la jeune femme éclater de rire et se moquer de son compagnon. — Comment vous en sortez-vous ? demanda Jonah qui avait rejoint Al y. — Disons que je n'ai encore cassé aucune assiette. — Est-ce une façon de me demander une augmentation ? — Non, merci. Je crois que je vais m'en tenir à mon travail de jour. Je préfère nettoyer les rues que les tables. C'est beaucoup moins épuisant. — Ne vous en faites pas, à 11 heures la cuisine ferme et les choses se calment un peu. — Al éluia ! — Vous avez interrogé Frannie ? — Comment le savez-vous ? — Vous êtes sortie et rentrée juste après el e. — Ne vous en faites pas, je ne lui ai pas braqué une lampe en plein visage et je ne me suis pas servie de l'annuaire pour la frapper... — Bien. Au fait, Al ison, je suis désolé de vous décevoir mais Toronto a perdu deux à huit. — Bah, la saison ne fait que commencer et ils auront des chances de se rattraper, répondit-el e avant de prendre la direction de la cuisine. Tandis qu'el e traversait la piste de danse, el e sentit une main lui effleurer les fesses de façon suggestive. Sachant que Jonah observait la scène, el e s'immobilisa et se tourna vers le responsable, lui décochant un regard si glacial que l'autre recula en bafouil ant une excuse et se fondit dans la foule. — El e sait y faire, apparemment, commenta Beth à laquel e l'incident n'avait pas échappé. — Oui, acquiesça Jonah. Je n'aurais pas aimé être à la place de ce type. — En plus, el e ne rechigne pas au travail, ajouta la serveuse. Et el e ne se plaint pas... Franchement, je crois que je commence à beaucoup apprécier ta nouvel e petite amie, Jonah. Ce dernier jeta un regard stupéfait à Beth qui s'éloignait déjà pour prendre une commande. Comment avait-il été assez bête pour ne pas s'attendre à cela ? Lorsque Pete fit retentir la cloche du bar, signalant ainsi la fermeture, Al y fail it lui sauter au cou. El e était debout depuis 8 heures du matin et il était plus de 2 heures. Entre-temps, el e n'avait pas arrêté. À présent, son seul désir était de rentrer chez el e et de s'effondrer sur son lit pour profiter au mieux des cinq malheureuses heures de sommeil qui lui restaient. — Bravo, lui dit Beth tandis qu'el e se débarrassait de son tablier. Tu as été géniale. — Merci. Je suis morte... — C'est vrai que tu as l'air fatiguée, acquiesça Jan. — Contrairement à toi, remarqua Al y. — C'est à cette heure que je trouve mon second souffle. Il m'arrive même d'al er en boîte après... — Je ne sais pas comment tu fais, je ne sens même plus mes pieds. — Oh, avec les années, on finit par avoir la plante des pieds à toute épreuve. Surtout quand on porte des talons hauts comme les miens. — Pourquoi est-ce que tu n'optes pas pour des tennis ? — Parce que plus la serveuse est sexy et plus les pourboires sont importants. Il faut mettre tous les atouts de son côté pour arrondir les fins de mois. — Je vois. Bonne nuit, les fil es... — Bonne nuit, répondit Beth. Wil , ouvre-lui la porte. — Pas de problème. Tu es sûre que tu ne veux pas prendre un dernier verre avant de partir, Al y ? — Non, merci. Je suis lessivée. — C'est vrai que tu as commencé fort, je n'avais encore jamais vu autant de monde. Frannie, tu me sers un cognac ? — C'est déjà fait, répondit cel e-ci. — J'aime boire un coup après le travail, expliqua Wil tandis qu'il accompagnait Al y jusqu'à la porte. Jonah nous autorise à le faire et c'est lui qui régale. Tu es sûre que tu ne veux pas ? — Merci, Wil , mais il faut vraiment que j'ail e dormir. — O.K., à demain, dans ce cas. Fais de beaux rêves. Al y sortit et se retrouva nez à nez avec Jonah qui se trouvait sur le parking. — Où êtes-vous garée ? demanda-t-il. — Je suis venue à pied, répondit-el e. — Dans ce cas, je vous raccompagne. — Ce n'est pas la peine, je peux marcher. D'ail eurs, ce n'est pas si loin... — Peut-être, mais il est plus de 2 heures du matin, objecta Jonah. — Bon sang, Blackhawk, je suis policier, au cas où vous l'auriez oublié. — Et les policiers sont à l'épreuve des bal es, de nos jours ? Avant qu'el e ait pu répondre, il prit son menton entre ses doigts, la forçant à le regarder. Al ison se figea brusquement, prise de court par l'intimité inattendue de ce geste. — Vous êtes l'une de mes employées et la fil e de l'un de mes amis. Alors, que vous le vouliez ou non, je vous raccompagne. — D'accord, s'inclina-t-el e à contrecoeur. De toute façon, j'ai les pieds dans un triste état... El e fit mine d'écarter sa main mais il s'empara de son bras avant qu'el e ait pu le faire. À ce moment, Beth sortit à son tour. — Bonne nuit, les amoureux ! s'exclama-t-el e. Profitez-en bien... — C'est bien notre intention, répondit Jonah en riant. Bonne nuit, Wil , bonne nuit, Frannie, ajouta-t-il en les avisant sur le pas de la porte, leur verre à la main. Tous deux comprirent le message et effectuèrent une retraite stratégique en direction du bar. — Qu'est-ce qui vous prend ? — Quoi ? Je disais juste bonsoir à mes employés... Venez, je suis garé de l'autre côté de la rue. — Vous me prenez pour une idiote ? Vous leur avez délibérément fait croire que nous avions une liaison, vous et moi. — C'est vrai. Mais ce n'est pas moi qui en ai eu l'idée, c'est Beth. Et je pense que cela simplifie les choses. — J'avoue que je ne vois pas très bien en quoi ! — Réfléchissez. Ne trouveriez-vous pas bizarre que je décide du jour au lendemain d'engager une nouvel e serveuse sans même en avoir parlé auparavant ? D'autant que vous n'avez aucune expérience. Mais comme votre physique est, disons, loin d'être désagréable, il est raisonnable de croire que je vous ai embauchée parce que je voulais vous faire une faveur personnel e. — Vous auriez pu dire que j'étais quelqu'un de votre famil e, ou une vieil e amie, protesta Al y. — Personne ne m'aurait cru. Wil et Frannie me connaissent depuis des années et ils ne vous ont jamais vue. D'ail eurs, il y a des avantages certains à cette nouvel e donne, personne ne s'étonnera que vous passiez me voir dans mon bureau de temps à autre. — D'accord, soupira Al y. Si tordu que cela paraisse, je reconnais que c'est assez bien trouvé. — Heureux de te l'entendre dire, Al ison. Puis-je vous suggérer que nous nous tutoyions, désormais ? — Étant donné que nous sortons ensemble, cela me parait préférable, en effet. Où est ta voiture ? Ils traversèrent la rue déserte pour rejoindre le véhicule de Jonah, un superbe coupé Mercedes. Comme Al y faisait mine de gagner la porte du côté passager, Blackhawk la retint par le bras, la forçant à se retourner pour lui faire face. — Tu sais, murmura-t-il, il pourrait y avoir plus d'un avantage à cette situation, remarqua-t-il d'un ton léger. Al y le dévisagea avec colère, réalisant ce qu'il lui proposait à mi-mots. — Je ne crois pas, dit-el e d'une voix glaciale. — Al ons, Beth nous regarde et, malgré son passé difficile, c'est une insatiable romantique. El e espère que nous al ons nous embrasser, j'en suis sûr. Tu ne voudrais pas que nous la décevions ? En parlant, il avait posé la main sur les hanches de la jeune femme et s'était rapproché d'el e. Malgré sa fureur, Al y sentit une pointe de désir monter en el e. Il y avait quelque chose en Jonah qui l'attirait et la repoussait à la fois, une sorte de charisme qui émanait de lui, une force de brute qu'el e sentait couver comme une braise ne demandant qu'à s'enflammer. Luttant contre sa propre curiosité, el e se raidit et lui jeta un regard dédaigneux. — J'ai bien peur que nous ne la décevions, dans ce cas, répondit-el e. — El e ne sera pas la seule à être désappointée, commenta Jonah en la relâchant. Mais ne t'en fais pas, je n'ai pas pour habitude de flirter avec les flics. Ni avec les fil es de mes amis, d'ail eurs. — Me voilà donc doublement protégée contre ton charme irrésistible, rail a-t-el e en s'efforçant d'étouffer la pointe de déception qu'el e éprouvait. — Oui, et c'est heureux pour nous deux, répondit Jonah. Parce que j'avoue que je te trouve excessivement séduisante. Sans relever cette insolence, Al y contourna la voiture et prit place sur le siège passager, tentant vainement de comprendre ce qu'el e venait d'éprouver. Pas un instant, el e n'aurait envisagé de sortir avec un homme tel que Jonah : il était beaucoup trop arrogant à son goût. Mais, quels que soient les sentiments qu'il lui inspirait, force était de reconnaître qu'il éveil ait en el e un certain trouble. Et cela ne lui faciliterait certainement pas la tâche. L'important, se répéta-t-el e, c'était de se concentrer sur son enquête. Et el e ne devait jamais oublier que Blackhawk était un suspect parmi d'autres, quoi que puisse en penser son père. — Où est-ce que je te dépose ? demanda Jonah en s'instal ant au volant. El e lui donna son adresse et il ouvrit de grands yeux. — Mais c'est à plus de deux kilomètres ! s'exclama-t-il. Pourquoi n'as-tu pas pris ta voiture ? — Parce qu'on était en pleine heure de pointe. Il était plus rapide de venir à pied. — C'est ridicule ! Al y serra les dents, agacée par cette nouvel e marque d'insolence. Mais, alors qu'el e s'apprêtait à répliquer vertement, son téléphone portable se mit à sonner. El e le prit et constata qu'il s'agissait du commissariat. Jonah coupa le moteur qu'il venait d'al umer et attendit qu'el e ait terminé son appel. — Bien, dit-el e enfin, pas de problème, je m'en occupe tout de suite... C'est un nouveau cambriolage, expliqua-t-el e à Jonah en raccrochant. — À quel e adresse ? — Ramène-moi à la maison et je prendrai ma voiture. — Ce serait une perte de temps, Al ison. Alors ? Cette adresse ? Chapitre 3 Jonah déposa Al y devant une bel e maison située en proche banlieue, dans un quartier chic proche de l'autoroute. El e devait se situer à moins de vingt minutes du centre-vil e mais bénéficiait des avantages d'un isolement relatif, grand jardin, rue calme, voisinage discret. C'était la cible idéale pour des cambrioleurs... Les Chambers était un couple d'avocats d'une trentaine d'années sans enfants qui avaient consacré leur argent à s'assurer une existence paisible et confortable. Mais, en un soir, tout ce qu'ils avaient accumulé au cours de ces dernières années s'était envolé : bijoux, oeuvres d'art, garde-robe, disques, vin... Cette fois encore, les voleurs n'avaient rien laissé au hasard. — Ils m'ont pris mes boucles d'oreil es en diamant et ma montre Cartier, déclara Maggie Chambers, effondrée sur le canapé, au milieu du salon dévasté. Il y avait aussi des lithographies de Dali et de Picasso sur ce mur, ajouta-t-el e en désignant une alcôve vide. Et une sculpture de Erté que nous avions achetée il y a deux ans à une vente aux enchères... Ils ont même dérobé la col ection de boutons de manchette de Joe. Certains étaient de véritables antiquités, d'autres des pièces précieuses en diamant ou en rubis... — Tout était assuré, ajouta Joe Chambers qui paraissait un peu sonné. — Qu'est-ce que cela change ? protesta sa femme. C'est notre vie qu'ils ont volée... Tout ce qui faisait le charme de notre maison, tous nos souvenirs... Ils ont même volé la BMW, ajouta-t-el e en luttant pour retenir ses larmes. Une voiture neuve qui avait à peine cinq mil e kilomètres au compteur. C'était ma voiture... — Je sais combien c'est difficile, dit doucement Al y. — Vraiment? demanda Maggie en levant des yeux accusateurs vers el e. Avez-vous déjà été cambriolée, inspecteur ? — Non, admit Al y. Mais j'ai travail é sur de nombreux cas de cambriolages et d'agressions... — Ce n'est pas la même chose ! — Chérie, je t'en prie, intervint Joe Chambers en posant doucement la main sur l'épaule de son épouse. El e ne fait que son travail... — C'est vrai, soupira Maggie. Je suis désolée. Inspirant profondément, el e passa fiévreusement une main dans ses cheveux. — Je ne veux pas passer la nuit ici, déclara-t-el e. — Ne t'en fais pas, nous trouverons un hôtel. Avez-vous besoin d'autre chose, inspecteur ? — Eh bien... Vous m'avez dit que vous étiez sortis toute la soirée. Puis-je savoir où, exactement ? — Au Starfire Club, avec des amis. Maggie vient de gagner une affaire très importante et nous avions décidé de célébrer cela. Nous avons dîné, dansé et nous ne sommes pas rentrés avant deux heures du matin, ainsi que je l'ai indiqué à votre col ègue. — Est-ce que quelqu'un d'autre que vous a la clé de la maison ? — Notre femme de ménage. — Et connaît-el e également le code de l'alarme ? — Bien sûr, répondit Joe. Mais je ne pense pas qu'el e ait quoi que ce soit à voir avec le cambriolage, el e travail e pour nous depuis plus de dix ans et fait presque partie de la famil e... — Je vais tout de même devoir l'interroger. Pouvez-vous me donner son nom complet et son adresse ? Joe Chambers les lui dicta et el e entreprit alors de le questionner sur la soirée que sa femme et lui avaient passée au Starfire Club. Hélas, les Chambers n'avaient rien remarqué d'anormal, cette soirée avait été des plus joyeuses jusqu'à ce qu'ils reviennent chez eux... Al y finit donc par s'avouer vaincue et, jugeant qu'el e avait fait le maximum, prit congé, non sans avoir dressé la liste des principaux objets dérobés. L'assurance lui transmettrait l'inventaire définitif mais el e doutait qu'il puisse lui apprendre quoi que ce soit. L'équipe scientifique qui travail ait encore sur place lui confirma ce dont el e avait l'intuition, les cambrioleurs étaient des professionnels et n'avaient laissé aucune trace de leur passage. Lorsqu'el e ressortit enfin de la maison des Chambers, un vent frais s'était levé, faisant tournoyer quelques feuil es mortes dans le jardin désert. Le quartier était silencieux et aucune lumière ne bril ait aux fenêtres. Le lendemain, ils ne trouveraient probablement pas de témoin du déménagement nocturne qui venait d'avoir lieu quelques heures auparavant. Jonah l'attendait, appuyé contre le capot de sa voiture, une tasse de café à la main. Il était en pleine discussion avec l'un des policiers dépêchés sur place. Lorsqu'el e les rejoignit, il lui tendit la tasse encore à moitié pleine qu'el e accepta avec reconnaissance. — Il y a une épicerie ouverte à quelques centaines de mètres, indiqua Jonah lorsqu'el e l'eut vidée d'un trait. Je peux al er t'en chercher un autre, si tu veux... — Ce n'est pas la peine, merci. Dites-moi, ajouta-t-el e en se tournant vers le policier, c'est vous qui êtes arrivé le premier ? — Mon partenaire et moi, acquiesça le jeune homme. — Je veux que vous me transmettiez votre rapport avant 11 heures, demain matin, ordonna-t-el e. — Bien, madame, dit le policier avant de regagner sa voiture de service. — Tu n'avais pas besoin de m'attendre, dit-el e à Jonah. J'aurais pu rentrer avec eux... — Souviens-toi que je suis indirectement concerné par cette affaire. Est-ce que ces gens étaient à mon club ? — Pourquoi me le demandes-tu alors que nous savons tous deux que tu as obtenu toutes les informations en interrogeant ce malheureux flic ? — D'accord, soupira Jonah tandis qu'ils reprenaient place dans la voiture. C'est au Starfire que cela s'est passé. Est-ce qu'ils s'étaient déjà manifestés là-bas ? — Non. Il n'y a que ton club qui ait été plusieurs fois pris pour cible. Et étant donné ce que j'ai vu ce soir, je dirais qu'ils y retourneront tôt ou tard. C'est une véritable mine de gogos. — Voilà qui me rassure... Quel genre de marchandises ont-ils dérobé, cette fois ? — Une BMW, des oeuvres d'art, de la hi-fi haut de gamme et de nombreux bijoux. — Je ne comprends pas pourquoi des gens aussi riches n'achètent pas de coffre-fort. — Ils en avaient un dans leur penderie. Avec le numéro de la combinaison inscrit sur un petit papier dans le tiroir de leur bureau... — Voilà de quoi vous décourager d'être honnête, commenta Jonah en souriant. — Ils avaient aussi un système d'alarme dernier cri qu'ils prétendent avoir enclenché en partant. Mais la femme ne semblait plus aussi persuadée que son mari de l'avoir fait. Comment leur en vouloir ? Dans un tel quartier, ils devaient sans doute se sentir en sécurité. Pourtant, ils sont tous deux avocats, ils devraient savoir qu'il n'y a pas d'endroit vraiment sûr... — Des avocats ? répéta Jonah. Dans ce cas, je ne me fais pas de souci pour eux, ils trouveront bien d'autres pigeons pour se renflouer à coup d'honoraires prohibitifs. Al y sourit tandis que Jonah démarrait. Du coin de l'oeil, il la vit se renverser contre son siège et fermer les yeux, lui laissant tout le loisir de l'observer. Plus il la regardait et plus il la trouvait attirante. En cet instant, notamment, el e paraissait abandonnée, confiante et laissait percer une fragilité qu'el e dissimulait soigneusement en temps normal derrière une barrière de cynisme et d'arrogance affectée. Au repos, son visage paraissait d'une douceur et d'une ingénuité touchantes et l'on aurait eu beaucoup de mal à imaginer qu'el e passait la majeure partie de ses journées à traquer les criminels de la vil e. Ses lèvres étaient légèrement entrouvertes et Jonah se laissa al er à imaginer leur contact contre les siennes. S'arrêtant à un feu rouge, il tira le frein à main et se pencha vers Al y pour abaisser son siège. Immédiatement, el e se redressa, sa tête cognant contre cel e de Blackhawk. — Qu'est-ce que tu étais en train de faire ? demanda-t-el e, les yeux emplis de méfiance. — Détends-toi, je n'étais pas en train de te sauter dessus. En général, j'aime que les femmes avec lesquel es je fais l'amour soient réveil ées. Je voulais juste mettre ton siège en position al ongée. Tu seras plus à l'aise pour dormir... — Je ne dormais pas, mentit-el e, gênée par sa propre défiance. — Tu imagines que je vais te croire ? — Je me fiche de ce que tu penses, je réfléchissais. — Eh bien, tu réfléchiras demain. De toute façon, ton cerveau doit fonctionner au ralenti en ce moment... Depuis combien de temps n'as-tu pas dormi ? — J'ai commencé ma journée à 8 heures, avoua-t-el e. — Et il est presque 4 heures du matin. Tu devrais peut-être passer en service de nuit, le temps de résoudre cette enquête. — Le problème, c'est que ce n'est pas la seule sur laquel e je travail e, répondit-el e. En fait, el e avait déjà décidé de déléguer les autres. Si el e continuait à dormir trois heures par nuit, el e ne serait bientôt plus en état de faire son travail. Mais cela ne concernait certainement pas Jonah. — Je suppose en effet que Denver ne serait pas aussi sûre sans toi, ironisa ce dernier. — Exactement, approuva-t-el e, trop fatiguée pour répondre à ses sarcasmes. Faire régner l'ordre est une tâche difficile mais il faut bien que quelqu'un le fasse. Tu peux te garer là, ajouta-t-el e en désignant le trottoir, j'habite juste au coin. Jonah ne tint aucun compte de sa remarque, avançant jusqu'au seuil de son immeuble. — Merci de m'avoir ramenée, dit-el e en récupérant son sac. Sans un mot, il sortit pour lui ouvrir la portière. — Un véritable chevalier servant, commenta-t-el e en se levant. El e était épuisée et vacil a légèrement sur ses jambes que des heures de service avaient rendues aussi mol es que du coton. — Je t'accompagne jusqu'à ta porte, déclara Jonah. — Ce n'est pas la peine, Blackhawk. Cette soirée n'était pas un rendez-vous galant. El e s'éloigna à grands pas mais il la suivit. — Est-ce la fatigue qui te rend aussi irritable ? lui demanda-t-il. Non... Je suppose que c'est naturel, chez toi. — Pas du tout. Simplement, je ne t'apprécie pas, voilà. — Eh bien, ça a le mérite d'être clair. J'avais peur que ce ne soit une façon de lutter contre l'incoercible attraction que j'exerce sur toi... — Très drôle, dit-el e tandis qu'ils pénétraient dans l'ascenseur. Jonah l'observa attentivement, remarquant les cernes qui se dessinaient sous ses beaux yeux dorés. À sa propre surprise, il fut envahi par une infinie tendresse à l'égard de la jeune femme. Lorsqu'ils parvinrent devant la porte de cel e-ci, il lui tendit la main. — Bonne nuit, Al y. — À toi aussi... Ils se regardèrent durant quelques instants, vaguement mal à l'aise, puis el e ouvrit sa porte et entra avant de refermer le battant. Jonah resta immobile, se forçant à réprimer le brusque désir qu'il avait de la suivre. Cette femme était dangereuse pour sa santé mentale, décida-t-il en se détournant enfin. Et s'il voulait garder le contrôle de la situation, il devrait absolument lutter contre la fascination croissante qu'el e exerçait sur lui. Quatre heures et demie plus tard, tout en avalant sa cinquième tasse de café noir, Al y concluait le briefing qu'el e avait organisé au quartier général de la police. — Nous al ons passer le voisinage au peigne fin, déclara-t-el e. Avec un peu de chance, quelqu'un aura vu quelque chose. Nous ne savons pas à quel e heure les cambrioleurs sont passés à l'action mais il y avait peut-être encore un voisin réveil é... Il faut absolument que nous obtenions une description du véhicule des coupables. En ce qui concerne la BMW, son signalement a été donné à toutes les patrouil es et nous avons peut- être une chance de mettre la main dessus. Son supérieur, le lieutenant Kiniki, hocha la tête. — Je tiens également à ce que deux hommes se rendent au Starfire sous couverture pour effectuer une surveil ance discrète de l'endroit. En attendant, Hickman et Carson, vous vous occuperez de passer au crible tous les receleurs connus. — Nous l'avons déjà fait et cela n'a rien donné, objecta Hickman. Nous avons aussi mis la pression sur certains de nos informateurs mais personne ne semble rien savoir de ces cambriolages. Quels que soient les coupables, ce sont certainement des nouveaux venus dans la bel e et grande famil e du crime de Denver. — Continuez à cuisiner toutes vos balances, conseil a Kiniki. Ils finiront bien par prendre contact avec quelqu'un de la région... Et s'ils marchent vraiment sur les plate-bandes du milieu local, personne n'hésitera à les donner. Qu'avons-nous sur la piste de l'assurance ? — Rien d'exaltant, répondit Al y en haussant les épaules. Sur neuf cambriolages, nous avons cinq compagnies différentes. Nous recherchons d'éventuel es connexions mais jusqu'ici, c'est une impasse. En ce qui concerne les victimes, aucune n'avait de lien avec les autres. En résumé, il y a quatre banques différentes, neuf médecins différents et neuf employeurs différents. Deux des femmes fréquentaient le même salon de coiffure mais el es n'étaient pas coiffées par le même employé. Rien non plus du côté des services d'entretien ou des garagistes. Deux des victimes ont recruté le même traiteur au cours des six derniers mois et nous vérifions une éventuel e implication. Mais, à mon avis, c'est un tuyau crevé. En fait, le seul point commun reste que tous les couples étaient de sortie le soir des cambriolages. — À ce propos, rien de particulier au Blackhawk hier ? — Non. Il y avait un monde fou, répondit Al y. Toutes sortes de gens mais surtout des hauts revenus... On trouve aussi bien des couples que des célibataires et des groupes. Par contre, le système de sécurité est excel ent. Il y a une caméra qui filme le bar et j'essaie d'obtenir les cassettes. Celui qui gère l'endroit, en dehors de Blackhawk, s'appel e Sloan. Il a accès à toutes les pièces et garde son petit monde à l'oeil. Le revers de la médail e, c'est que les gens ne prennent aucune précaution. Il y a un vestiaire mais la plupart gardent leurs effets avec eux. J'ai vu des tas de sacs à main ou de manteaux abandonnés sans précaution sur des dossiers de chaise. — C'est vrai, approuva Lydia. La plupart des gens sont des habitués et passent d'une table à l'autre sans se soucier de leurs affaires. En plus, c'est un endroit idéal pour draguer et les contacts se nouent et se dénouent très facilement, ce qui rend notre surveil ance difficile. En plus, bon nombre de femmes ont les yeux rivés sur Blackhawk lorsqu'il est dans la sal e. — Il est si séduisant que cela ? demanda Kiniki en souriant. — Sur une échel e de un à dix, je dirai qu'il atteint facilement le score de neuf, répondit Lydia. Et en plus, il est célibataire cela suffit à distraire de nombreuses femmes. — C'est intéressant, murmura Al y en se levant pour gagner le tableau où étaient affichées les données dont ils disposaient déjà. Regardez la liste, un point commun m'avait échappé. Parmi les victimes, il n'y a pas un seul homme célibataire. Il est possible que les cambrioleurs repèrent les sacs à main... Cela leur assurerait un accès aux clés, aux papiers et même parfois à des photographies révélatrices. — Si c'est vrai, remarqua Hickman, c'est que nous avons affaire à une personne dotée de talents de pick-pocket. Quelqu'un capable de subtiliser un portefeuil e et de le remettre à sa place sans que personne s'en aperçoive. Si cela se trouve, il en profite même pour prendre des empreintes des clés du domicile des victimes. — Mais pourquoi prendre le risque de remettre les affaires volées, dans ce cas ? demanda Kiniki en fronçant les sourcils. Il pourrait se contenter de partir avec... — C'est toute la finesse du procédé, répondit Al y. De cette façon, les victimes ne se doutent de rien jusqu'au dernier moment, ce qui laisse tout le temps aux cambrioleurs de visiter le domicile repéré. Dans le cas contraire, ils prendraient le risque de trouver les propriétaires de retour chez eux et sur leurs gardes. — Et le plus fort, renchérit Hickman, c'est qu'ils ne prennent absolument aucun risque. S'ils ont bien un informateur dans les clubs, celui-ci a le temps de les prévenir lorsque les victimes demandent leur addition. — Oui, acquiesça Al y. Et il s'écoule en général une vingtaine de minutes entre le moment où les clients demandent la note et celui où ils partent effectivement. Ce qui laisse tout le temps aux voleurs pour plier bagage. — Très malin, commenta Kiniki. Il faudra vérifier si cela se passe comme cela dans les autres bars. En attendant, nous devrions rester en observation au Blackhawk. Si ce que vous dites est vrai, ce bar est un véritable Eldorado pour les pick-pockets. Félicitations, inspecteurs, continuez à travail er dans ce sens. Quant à toi, Fletcher, prends quelques heures de repos, tu as une mine terrible... Al y décida de prendre son supérieur au mot et s'instal a sur le petit canapé de son bureau pour faire la sieste, demandant juste à ce qu'on la réveil e lorsque les rapports qu'el e attendait seraient arrivés. Une heure et demie plus tard, Hickman vint la secouer doucement pour la réveil er. — C'est toi qui as volé mon sandwich au fromage ? demanda-t-il, les sourcils froncés. — Quel sandwich ? dit la jeune femme d'une voix innocente en se passant une main dans les cheveux. — Arrête ton char, Fletcher, je sais que tu les aimes autant que moi ! Avoue ton crime et je serai peut-être clément. — Il n'y avait pas ton nom dessus, répondit-el e, se sachant découverte. — Si... — Tu t'appel es vraiment Boulangerie Pineview ? Mon pauvre vieux, tu as raison de te faire surnommer Hickman... — Très drôle. Tu me dois un sandwich. — Un demi sandwich. Je n'en ai mangé que la moitié au cas où tu ne l'aurais pas remarqué. Est-ce que les rapports de la police locale sont arrivés ? — Ouais... Ainsi que ton mandat pour les cassettes de la vidéo de surveil ance. — Très bien. Dans ce cas, j'y vais. Si tu as besoin de me joindre, appel e-moi sur mon portable. — D'accord. Mais rapporte-moi un nouveau sandwich au fromage. — Un demi-sandwich, promit-el e en riant. Hickman grommela et quitta la pièce, lui laissant les documents qu'el e attendait. El e les parcourut du regard avant d'enfiler sa veste en cuir. Mais comme el e al ait sortir, son père entra dans le bureau. — Bonjour, Al y. Tu as une minute ? s'enquit-il en souriant. — Bien sûr, dit-el e en s'emparant de son sac à main. Cela ne te dérange pas que nous discutions, en route. Je partais justement voir Jonah Blackhawk. — Très bien, je te suis... Ils traversèrent le couloir sous le regard attentif des policiers qui s'y trouvaient. Al y savait que certains d'entre eux jalousaient son badge d'inspecteur acquis si rapidement. Et les mauvaises langues disaient qu'el e l'avait obtenu grâce à la position élevée de son père. Mais el e-même connaissait suffisamment l'étendue de ses propres capacités pour se laisser affecter par de tels racontars. D'ail eurs, quiconque connaissait Boyd savait que ce n'était pas le genre d'homme à tolérer des passe-droits, même pour sa propre famil e. — Ça te dérange si nous prenons les escaliers? demanda-t-el e. Un peu d'exercice m'aidera à me réveil er. — Pas de problème. C'est pour quoi, ce mandat ? — Pour réquisitionner les cassettes vidéo du système de surveil ance de Blackhawk. Je les lui ai demandées hier soir mais il a refusé de me les donner. Apparemment, il ne m'apprécie pas beaucoup. Boyd poussa la porte menant aux escaliers de service et tous deux commencèrent la longue descente en direction du rez-de-chaussée. — Au son de ta voix, je crois deviner que vous ne vous êtes pas très bien entendus, tous les deux. — C'est vrai. Je crois que nous nous exaspérons mutuel ement. — Cela ne me surprend pas du tout. Vous aimez tous les deux faire les choses à votre propre façon. — Pourquoi les faire autrement ? — C'est bien ce que je dis, acquiesça Boyd en souriant. Sa fil e avait toujours eu un sacré caractère et il savait mieux que quiconque combien el e pouvait se montrer butée une fois qu'el e avait décidé quelque chose. — À ce propos, j'ai eu un nouvel entretien avec le maire... — Je te plains. — Tu peux. Comment avance l'enquête ? — Il y a eu un nouveau cambriolage, hier soir. Même mode opératoire que les précédents. Cette fois, le butin était plus que conséquent. Mme Chambers m'a adressé une liste des objets, ce matin. Tout était assuré et il y en a pour près de deux cent vingt-cinq mil e dol ars. — C'est leur plus gros coup à ce jour. — Oui. Et j'espère que le succès va leur monter à la tête. Pour le moment, tant qu'ils ne commettent pas d'erreurs, nous ne pouvons pas faire grand-chose. À part retrouver le lieu où ils entreposent les marchandises volées, le véhicule qu'ils utilisent et la BMW, bien sûr. Mais ce ne sera pas facile. — En ce qui concerne la voiture, el e est probablement déjà en pièces détachées. — Je ne pense pas, objecta Al y. — Pourquoi cela ? — Parce que la personne qui commet les cambriolages a du goût. C'est un esthète, capable de reconnaître un Dali et une sculpture d'Erté en laissant les oeuvres mineures au mur... Et il s'agit de quelqu'un de compétent. Lors du deuxième cambriolage, on a soigneusement choisi les livres les plus précieux de la bibliothèque. Et hier, c'était des boutons de manchette. Notre coupable est même très regardant. Au cours de la troisième affaire, il aurait pu prendre une pendule qui valait près de cinq mil e dol ars mais il l'a laissée, probablement parce qu'il la trouvait laide. Il en va de même pour les voitures. Ils n'en ont pris que deux, les plus chères et les plus rares. — Je vois, nous avons affaire à une version moderne d'Arsène Lupin... — Exactement. Un homme de goût, talentueux, intel igent mais arrogant. Et je compte bien sur cette arrogance pour parvenir à le coincer. — J'espère que tu y arriveras très vite, Al y. La pression que le maire exerce sur moi augmente à chaque nouveau cambriolage. En parlant, ils étaient parvenus au rez-de-chaussée qu'ils traversèrent pour gagner la voiture de la jeune femme, garée non loin de là sur le parking réservé. — En plus, ajouta Boyd, la presse s'est emparée de l'affaire et cela ne fait qu'accroître sa nervosité. — Tout ce que je peux te dire, c'est qu'ils agiront probablement dans la semaine. Leur technique est rodée et ils gagnent à tous les coups. Je ne vois pas pourquoi ils s'arrêteraient en si bon chemin. Et je suis certaine qu'ils reviendront tôt ou tard au Blackhawk. — Pas si sûr. Le Starfire leur a permis de ferrer un plus gros poisson. — Oui. Mais le Blackhawk est plus sûr pour eux. Or dans quelques nuits, je connaîtrai suffisamment les visages des habitués pour repérer les nouveaux venus suspects. — D'accord. Entre-temps, je tâcherai de faire patienter le maire. — J'avais une question à te poser... — Je t'écoute. — Depuis combien de temps connais-tu Jonah Blackhawk ? Quinze ans ? — Dix sept, précisément. — Comment se fait-il qu'il ne soit jamais venu à la maison ? Je ne l'ai jamais vu à une soirée chez vous ni à l'un de tes traditionnels barbecues... — Ce n'est pas faute de l'avoir invité. Mais il ne voulait pas venir. Il m'a toujours remercié très gentiment pour mon invitation avant de me dire qu'il était occupé. — En dix-sept ans ? Ce doit effectivement être quelqu'un de débordé... Je sais bien qu'il n'apprécie pas trop les policiers mais il y a des limites. — Justement, objecta Boyd, certaines personnes, dont Jonah, tracent des limites inamovibles entre les gens et s'interdisent de les franchir. Il accepte de venir me voir au commissariat, il est toujours d'accord pour faire du sport avec moi ou al er boire une bière mais le fait de venir dans ma maison est différent à ses yeux. Ce serait comme entrer dans un monde qui n'est pas le sien. Ce serait franchir la limite... Et je n'ai jamais pu le convaincre du contraire. — C'est étonnant, commenta Al y. Il ne m'a pas semblé être le genre d'homme à souffrir d'un complexe d'infériorité. — C'est parce que tu le connais mal. Jonah est un personnage excessivement complexe. Moi-même je ne suis pas certain de connaître toutes les facettes de sa personnalité... Lorsque son père eut tourné les talons, Al y composa le numéro du club de Jonah. El e ne s'attendait pas à ce qu'il s'y trouve mais, à sa grande surprise, ce fut lui qui décrocha. — Fletcher à l'appareil, dit-el e. Je ne pensais pas que tu travail ais aussi la journée... — Il y a des exceptions à toutes règles, inspecteur. Que puis-je faire pour toi ? — M'ouvrir la porte dans dix minutes lorsque je serai en bas. — Pas de problème. Qu'est-ce que tu portes aujourd'hui ? Malgré el e, el e éclata de rire, impressionnée par son aplomb. — Mon badge, répondit-el e. Chapitre 4 Jonah raccrocha et tenta d'imaginer Al y uniquement vêtue de son badge de policier. À sa grande honte, il n'eut aucun mal à évoquer une image dont l'érotisme le laissa pantois. Il tenta de se ressaisir. Que lui arrivait-il donc ? Il s'agissait de la fil e de Boyd, pas d'une pin-up de catalogue ! Mais c'était plus fort que lui, cette femme lui faisait un effet tout bonnement démoniaque, exerçant sur ses sens une fascination aussi inexplicable qu'incontestable. Depuis qu'il était réveil é, il n'avait cessé de penser à el e. El e était toujours là, en lisière de ses pensées et de ses préoccupations, comme un fantôme qui ne demandait qu'à lui apparaître, terriblement envoûtant. Pourtant, el e était la fil e de Boyd. Et un policier, qui plus est... Cela aurait dû suffire à doucher toutes ses ardeurs. El e entrait dans le cercle des personnes intouchables, des fruits défendus. Était-ce pour cela qu'el e ne lui semblait que plus attirante ? Chaque fois qu'il fermait les yeux, il revoyait la courbe volontaire de son menton qui contrastait délicieusement avec la plénitude langoureuse de ses lèvres. Il pouvait presque sentir son parfum, aussi léger qu'entêtant. L'odeur de sa peau... Dire qu'el e n'était même pas son type ! Il avait toujours eu un faible pour les brunes pulpeuses et voilà qu'il se serait damné pour une blonde à la silhouette longiligne. C'était absurde. D'ail eurs, el e ne lui avait pas caché qu'el e le trouvait détestable. El e était froide et cassante. El e était arrogante, à la limite de la suffisance. Mais malgré cela - ou peut-être, lui soufflait son instinct, à cause de cela - il la désirait. C'était sans doute parce qu'il l'avait vue dormir, la veil e. Il avait deviné alors les trésors de douceur et de tendresse dont el e était capable malgré ses airs revêches. «Arrête ! se dit-il en se massant furieusement les tempes. El e ne s'intéresse à toi que parce que tu es utile à son enquête. Lorsque cel e-ci sera résolue, el e retournera dans son monde qui se trouve à des années lumière du tien. Et il ne restera de votre improbable rencontre que quelques souvenirs frustrants.» Percevant un ronronnement de moteur dans le parking en contrebas, Blackhawk se leva et gagna la fenêtre. Au moins, songea-t-il, el e avait eu l'intel igence de prendre sa voiture, aujourd'hui. Une bel e voiture, d'ail eurs, et qu'el e conduisait avec la grâce nerveuse qui paraissait la caractériser en toutes choses. Quelques instants plus tard, el e traversa le parking désert pour sonner à sa porte. — Bonjour, inspecteur, dit-il dès qu'il lui eut ouvert la porte. Superbe engin, ajouta-t-il en désignant sa rutilante Stingray rouge et blanche. C'est le nouveau modèle de rigueur dans la police ? Ou bien est-ce un cadeau de ton père ? — N'essaie même pas de me charrier sur ce thème. Tu ne serais pas à la hauteur de tous les flics qui l'ont fait avant toi. — Je peux toujours m'entraîner, suggéra-t-il avec un sourire moqueur. Très beau tissu, ajouta-t-il en caressant la veste de son tail eur. — Bien. Nous aimons donc tous deux les tail eurs italiens. Magnifique ! Même si ce n'est pas précisément le moment de comparer nos garde-robes. Je peux entrer ? Une fois de plus, Jonah ne résista pas à la tentation de la provoquer. Il adorait voir la lumière qui envahissait ses beaux yeux dorés lorsqu'el e se mettait en colère. — Est-ce que je pourrais voir ton badge ? demanda-t-il le plus naturel ement du monde. — Laisse tomber, Blackhawk. — Al ons, je sais que c'est la procédure. Tu dois me montrer ton badge pour que je sois sûr que tu es bien un policier. El e fronça les sourcils, agacée, et sortit son insigne qu'el e lui plaça juste sous les yeux. — Là, tu es content ? — Numéro 31628, lut-il. Je vais m'acheter un bil et de loto et je le jouerai. Qui sait ? Malheureux en amour, heureux au jeu... — Pendant que nous en sommes aux formalités, tu voudras certainement consulter ceci également, ajouta-t-el e en lui tendant son mandat. — Je suis impressionné. Vous travail ez de plus en plus vite. J'ai vraiment bien fait d'opter pour une vie honnête. Al ez, viens. Je vais te les donner. Tu as l'air reposée, ajouta-t-il tandis qu'ils traversaient la sal e pour se diriger vers son bureau. — Je le suis, merci. — Comment avance l'enquête ? — El e ne recule pas, dit Al y évasivement. — Je vois. Pas très communicative au réveil... Bien, nous y voici, dit-il en ouvrant la porte de son bureau qui était à présent inondé de soleil. — Donne-moi les cassettes et je te signe un reçu. — Tu es donc si pressée ? — L'heure tourne et les cambrioleurs courent toujours. Blackhawk hocha la tête avant de se diriger vers la pièce attenante à son bureau. Après une infime hésitation, Al y lui emboîta le pas et se retrouva dans une chambre à coucher. Un lit immense trônait en son centre, recouvert d'une couverture noire. Il était placé sur une petite estrade et évoquait des promesses de délices et de volupté. Instinctivement, la jeune femme regarda le ciel du lit, s'attendant à y trouver un miroir. — Cela aurait été trop trivial, commenta Jonah qui avait lu dans ses pensées. — Pas plus que cette couche royale, ironisa la jeune femme. On voit qu'el e n'a pas été conçue pour que l'on y dorme. — Dans ce cas, el e remplit parfaitement sa fonction, répliqua Jonah, sarcastique. Al y haussa les épaules et parcourut la pièce, observant les photographies en noir et blanc qui étaient encadrées au mur. La plupart représentaient des scènes de nuit ou des lieux plongés dans la pénombre. Toutes étaient très bel es et Al y reconnut plusieurs artistes. Visiblement, Jonah était un connaisseur. — J'ai une copie de cel e-ci, dit-el e en désignant un cadre dans lequel on voyait un vieil homme au chapeau de pail e al ongé sur le bord d'une route fissurée, un sac en papier à la main. C'est un cliché de Shade Colby. J'aime beaucoup ce qu'il fait. — Moi aussi. Et j'aime aussi le travail de sa femme, Bryan Mitchel . Cel e-ci a été prise par el e. Al y observa le couple de personnes âgées se tenant par la main à l'arrêt d'un autobus. — Un contraste intéressant, commenta-t-el e. Le désespoir et l'amour... — Ce sont deux aspects indissociables de l'existence. — Je ne te savais pas philosophe, commenta-t-el e. Continuant sa visite, el e avisa une porte qui devait conduire à une sal e de bains et une autre qui semblait être cel e d'un placard. Une troisième était entrouverte. — Qu'y a-t-il là-dedans ? demanda-t-el e, curieuse. D'un geste, il l'invita à entrer. El e s'exécuta et tomba en arrêt devant une magnifique sal e de sport équipée de tout le matériel dernier cri : rameurs, tapis de course, appareils de musculation... — Houah ! s'exclama-t-el e, impressionnée. Jonah la regarda parcourir la pièce, observant chacun des appareils avec admiration. Voilà qui en disait long sur el e, songea-t-il un lit à baldaquin ne lui inspirait qu'un commentaire méprisant tandis qu'une sal e de sport la ravissait. Bizarrement, cela ne le surprenait pas le moins du monde... — Tu as même un sauna ! s'écria-t-el e en découvrant la petite cabine qu'il avait fait instal er. — Tu veux l'essayer ? suggéra-t-il en riant. El e lui jeta un regard noir. — Cette pièce représente une dépense incroyable alors que tu pourrais t'inscrire à n'importe quel club de sport, commenta-t-el e. — Le problème, c'est que les clubs de sport ont d'autres membres, répondit-il. Et, surtout, ils ont des horaires fixes, ce qui est loin d'être mon cas... — Je vois que monsieur a ses exigences, remarqua-t-el e. — Pourquoi pas, puisque je peux me le permettre ? demanda Blackhawk en se dirigeant vers un réfrigérateur dont il tira une bouteil e d'eau. Tu en veux ? — Non, merci. Et à présent, pourrais-tu me donner les cassettes ? — Ah oui, j'oubliais, l'heure tourne... Il dévissa le bouchon et avala une grande goulée d'eau fraîche. — Tu sais ce que j'aime lorsque l'on travail e la nuit ? — Je crois que je peux le deviner, répondit Al y en jetant un coup d'oeil insistant au lit géant. — Tu marques un point. Mais il y a autre chose de beaucoup plus important : la nuit, il est toujours l'heure que l'on veut qu'il soit. Dans la journée, chaque heure est réservée à une activité particulière, mais la nuit on peut faire ce que l'on veut quand on veut. Mon heure préférée, c'est 3 heures du matin. Pour la plupart des gens, c'est un moment difficile. S'ils ne dorment pas, ils commencent à réfléchir, à s'inquiéter de ce qu'ils vont faire le lendemain, et le jour suivant... Ils passent leur vie à se le demander jusqu'au jour où ils s'aperçoivent que leur vie prend fin. — Où veux-tu en venir ? — À ceci, comme ces gens, je crois que tu te préoccupes trop de ce qui va se passer et pas assez de ce qui est en train de se passer. Pourtant, en fin de compte, la seule chose que nous ayons à nous, c'est le moment présent... — Eh bien, disons que je préférerais faire quelque chose de plus productif de mon moment présent que de philosopher avec toi. Alors donne-moi ces cassettes ! — Attends une minute, comment veux-tu chasser des prédateurs nocturnes si tu penses comme quelqu'un qui vit le jour ? Al y fronça les sourcils, surprise. — Que veux-tu dire ? — Eh bien, les gens que tu recherches vivent la nuit. — Et alors ? — Alors, demande-toi ceci : ils repèrent leurs proies de la façon la plus habile qui soit. C'est incontestable. Mais pourquoi prennent-ils le risque d'agir aussitôt ? Il serait beaucoup plus sage d'attendre, de surveil er les al ées et venues de leurs victimes et de déterminer le moment propice pour frapper. Moment qui se situerait probablement durant le jour puisque la plupart de ces victimes travail ent. Alors pourquoi frappent-ils sans attendre ? — Parce qu'ils sont arrogants ? — En partie, peut-être. Mais je ne crois pas que cela soit la raison principale. — Parce qu'ils aiment le risque, alors ? suggéra encore Al y. — Exact. Comme toutes les personnes nocturnes, ils vivent dans l'instant. Ils ne cherchent pas l'efficacité à terme mais l'excitation du moment. Al y hocha la tête, se demandant si Jonah parlait d'expérience. Avait-il, lui aussi, éprouvé cette sensation autrefois ? — C'est la raison pour laquel e les gens de la nuit sont toujours plus dangereux, reprit Blackhawk. Ils agissent à l'instinct. — Est-ce que c'est ton cas ? demanda-t-el e, curieuse. — Oui. — Je me le tiendrai pour dit, remarqua-t-el e avant de se détourner. Mais il ne lui en laissa pas l'occasion, l'attrapant par le bras pour la retenir auprès de lui. — Qu'est-ce qui te prend ? dit-el e, agacée. — Je ne sais pas encore... Pourquoi n'as-tu pas envoyé un policier en uniforme pour chercher ces cassettes ? — Parce que c'est mon enquête. — Ce n'est pas la véritable raison. Al y ne répondit pas, se demandant brusquement ce qui l'avait poussée à venir. Jonah avait raison, rien ne la forçait à le faire et el e se serait épargné un temps précieux en envoyant quelqu'un à sa place. Mais el e n'avait pas résisté à l'idée de venir le voir. Et, dans ses yeux, el e vit qu'il le savait parfaitement. — Lâche-moi ! s'exclama-t-el e, exaspérée par son insolence. Je n'ai encore jamais frappé un civil innocent mais je peux faire une exception ! — Essaie, dit-il en riant. Se retournant brusquement, el e lui décocha un coup de coude dans la poitrine mais il para le coup avec grâce, décalant sa prise vers le poignet de la jeune femme. D'instinct, el e effectua un balayage du pied, espérant le déstabiliser. Mais il avait déjà réajusté son centre de gravité en conséquence et el e eut l'impression de heurter un tronc d'arbre. Faisant un pas de côté, il se servit de son élan pour la plaquer contre la porte, se pressant contre el e. Un mélange de colère et de désir monta brusquement en Al y et el e fut tentée de lui envoyer un violent coup de poing dans la mâchoire. Pourtant, el e se reprit, songeant que cela n'aurait fait que compliquer les choses. Le sarcasme était une protection beaucoup plus sûre contre cet homme aussi dangereux que séduisant. — La prochaine fois que tu veux danser, tu n'as qu'à m'inviter dans les formes, dit-el e d'un ton qui se voulait léger. Mais Jonah ne sourit pas. Dans ses yeux, el e vit passer une ombre troublante et les battements de son coeur redoublèrent. — Bon sang, Jonah, qu'est-ce que tu veux, au juste ? Blackhawk hésita un instant. Mais la tentation était trop grande. — Au diable les principes ! s'exclama-t-il, rageur. Il n'avait plus la force de penser aux conséquences de ses actes ni de respecter les règles de conduite qu'il s'était fixées et qui lui paraissaient soudain dénuées de tout fondement. — Je veux savoir, dit-il en lâchant sa bouteil e d'eau dont le contenu se déversa sur le sol du gymnase. Levant les bras de la jeune femme au-dessus de sa tête, il posa ses lèvres sur les siennes. Le corps d'Al y frémit contre le sien sans qu'il sache si c'était de rage ou de désir. Mais peu lui importait, d'une façon ou d'une autre, il se damnait par ce baiser et il entendait en tirer le plus grand plaisir possible. Mordil ant la lèvre inférieure de la jeune femme comme il avait si souvent rêvé de le faire, il la força doucement à ouvrir la bouche pour pouvoir l'embrasser plus à son aise. Un grognement sourd s'échappa de la gorge d'Al y, révélant une soif aussi primitive et sauvage que la sienne. L'odeur de la jeune femme, le contact de sa peau sous ses doigts, la chaleur de son corps contre le sien, tout contribuait à décupler l'envie que Jonah avait d'el e. Lâchant ses poignets, il laissa ses mains descendre le long de ses bras sans qu'el e cherche à se dégager. Doucement, ses paumes glissèrent le long de ses épaules tandis qu'ils se dévoraient de baisers sans cesse plus sauvages. Mais, comme il se préparait à toucher sa poitrine haletante, il sentit brusquement la crosse de son revolver qui émergeait du holster qu'el e portait sous sa veste. Ce contact suffit à dissiper brutalement la chaleur qui avait envahi ses veines. Aussitôt, il recula, sentant un frisson glacé le parcourir. Qu'était-il en train de faire ? Avait-il complètement perdu la raison ? Al y ne dit mot, se contentant de le fixer de ses yeux dorés qui paraissaient légèrement troubles. Ses bras restaient dressés au-dessus de sa tâte, comme s'il la tenait toujours. Jamais el e n'avait été plus désirable qu'en cet instant, offerte et consentante, et Jonah comprit que leur baiser n'avait en rien atténué le besoin qu'il avait d'el e. — C'était une erreur, murmura-t-il pourtant avec un manque évident de conviction. — Je sais. — Une grave erreur, répéta-t-il comme pour mieux s'en persuader. En guise de réponse, Al y plongea ses mains dans les cheveux de Jonah et l'attira de nouveau contre el e, l'embrassant avec une ferveur accrue. Cette fois, ce fut son corps à lui qui fut parcouru d'un frémissement, comme si el e venait de l'électrocuter. Et cela ne fit qu'augmenter la fougue de la jeune femme. El e pressa ses lèvres contre les siennes avec une ardeur qui confinait à la rage, en se disant qu'il leur fal ait al er au bout de ce qu'ils avaient commencé. Sinon, la frustration serait si grande qu'el e risquait d'en perdre la raison. Jonah avait éveil é en el e une faim insatiable qui l'habitait tout entière, la consumait. Et peu importe que ce ne soit ni raisonnable ni conforme à la procédure. El e le voulait. Leurs lèvres et leurs langues se mêlaient et se confondaient et el e avait l'impression de fusionner tout entière avec lui dans cette étreinte. Jamais encore el e n'avait éprouvé une tel e saturation des sens. El e avait l'impression que chacune de ses impressions était démultipliée à l'infini, éveil ant au creux de son ventre un vide que lui seul pourrait remplir. Lorsqu'il glissa ses mains sous son T-shirt, el e gémit, se cambrant pour offrir sa poitrine à ses caresses. Lorsqu'il la toucha enfin, el e crut qu'el e al ait mourir de plaisir. — Je te désire depuis la première minute où je t'ai vue, murmura Jonah sans cesser d'effleurer la pointe de ses seins à travers le tissu de son soutien-gorge. — Je sais, répondit-el e d'une voix rauque en l'embrassant de plus bel e. Il entreprit de lui ôter sa veste, impatient de la tenir nue dans ses bras. Mais lorsque ses yeux se posèrent sur son arme de service, une petite voix lui souffla qu'il était en train de commettre une folie. Il fail it envoyer au diable sa conscience, laisser son corps enfiévré suivre la voie que lui dictait son instinct. Mais il aurait alors renié tout ce en quoi il avait toujours cru. — Al y, souffla-t-il doucement. Il ne faut pas... El e vit le désir refluer dans ses yeux, se muant en une expression distante et maîtrisée qui dissipa son propre désir comme le vent souffle une bougie. — D'accord, dit-el e en luttant pour retrouver le contrôle de sa respiration hachée. D'accord... Il recula d'un pas, continuant à la regarder d'un air indéchiffrable. — C'était une expérience intéressante, déclara-t-el e en rajustant sa veste. Intense, en tout cas... J'ai besoin d'une minute pour reprendre mes esprits. El e ferma les yeux et fit quelques pas, les jambes flageolantes. El e était incapable de comprendre ce qui venait de se passer. C'était trop fort, trop violent pour s'apparenter à un simple baiser. Mais el e aurait tout le temps de réfléchir à cela plus tard. Pour le moment, l'important était de conserver un semblant de maîtrise de soi et de dignité. — De toute façon, nous savions tous les deux que nous avions ceci en nous, dit-el e froidement. Et il valait mieux que cela sorte un jour... — Je suis d'accord avec la première proposition mais je réserve mon jugement en ce qui concerne la seconde, déclara Jonah en ramassant la bouteil e d'eau. Regagnant le bureau à la suite de la jeune femme, il la jeta dans la poubel e et glissa ses mains dans ses poches pour dissimuler leur tremblement. — Qu'est-ce qu'on fait, maintenant ? demanda-t-il enfin. — On fait comme si rien ne s'était passé. Voilà qui serait plus facile à dire qu'à faire, songea Jonah. El e venait de lui entrouvrir les portes d'un paradis inconnu et voilà qu'il devait agir comme si son univers tout entier ne venait pas de basculer. — Très bien, dit-il pourtant, tentant de sauver la face. Il récupéra les cassettes vidéo dans le tiroir de son bureau et les lui tendit. — Je suppose que c'est uniquement pour cela que tu es venue, ajouta-t-il. Al y les glissa dans son sac à main, se forçant à ne penser qu'à une seule chose à la fois. — Je vais te donner un reçu. — C'est inutile. — C'est la procédure légale, insista-t-el e en sortant le formulaire qu'el e commença à rédiger. — Dans ce cas, ironisa-t-il, je m'en voudrais de déroger aux sacro-saintes règles de la procédure. Sans relever ses sarcasmes, el e finit de remplir le reçu qu'el e lui tendit. — Bien, dit-il en l'empochant. Je ne voudrais pas te retenir. Je sais que ton temps est précieux. — Oh, arrête de jouer à ce petit jeu, Blackhawk ! Tu as fait le premier pas et j'ai fait le second. Nous sommes à égalité, en ce qui me concerne. Sur ce, el e sortit en claquant la porte. Al y n'était décidément pas faite pour devenir serveuse. El e s'en rendit compte au moment même où el e déversa sur la tête d'un client le cocktail qu'el e venait de lui apporter. Mais c'était sa faute, il n'avait pas à lui mettre la main aux fesses en lui proposant une petite partie fine avec l'un de ses amis. Bien sûr, ledit client fit connaître son mécontentement avec force cris et protestations mais, avant qu'el e n'ait pu lui casser le bras comme el e en avait l'intention dans le mince espoir de lui apprendre les rudiments de la politesse, Wil s'interposa et jeta l'homme dehors non sans lui avoir intimé l'ordre de ne jamais remettre le pied dans l'établissement. Après cet épisode malencontreux, la jeune femme surprit plusieurs regards intrigués et se maudit pour avoir mis en danger sa couverture sur un coup de tête. El e était trop impulsive pour ce genre de missions, sans doute. Après tout, el e ne s'était pas engagée dans la police pour servir des verres et nettoyer des assiettes... El e éprouvait pourtant désormais un respect et une admiration sans borne pour les serveurs du monde entier qui avaient la patience de supporter les caprices et les mauvaises plaisanteries de leurs clients en échange d'un misérable pourboire. — Je déteste ces gens, confia-t-el e à Pete tandis qu'il remplissait les verres de bière qu'el e venait de lui commander. — Mais non. Ce n'est qu'une impression... — Dans ce cas, el e est sacrément tenace ! Je les trouve mal élevés, ennuyeux et insupportables à la fois. Et ce sont les pires qui semblent s'être donné rendez-vous au Blackhawk. — Dire qu'il n'est encore que 6h30, commenta le barman en riant. — 35, corrigea-t-el e. Chaque minute compte. El e avisa alors Jan qui paraissait danser entre les tables, distribuant les commandes et les bons mots sans se laisser troubler par les regards salaces qui glissaient sur el e. — Comment fait-el e, je me le demande ? soupira-t-el e avec une pointe d'envie. — C'est une véritable mercenaire, blondinette, el e est née pour cela et pas toi. Bien sûr, tu travail es dur mais tu n'as pas le feu sacré... — Ni les mêmes courbes qu'el e, grommela Al y en soulevant son plateau. À cet instant, el e se figea, repérant l'homme qui venait d'entrer dans le club. — Pete, demande à Jan de servir la table huit. J'ai quelque chose d'important à faire, dit-el e en faisant mine de s'éclipser. Hélas, Dennis l'avait déjà repérée et fendait la foule pour venir à sa rencontre. Sans lui laisser le temps de compromettre sa couverture, Al y vint à sa rencontre et le prit par le bras, l'entraînant à travers la cuisine jusqu'à la porte de derrière. — Bon sang, Dennis ! s'exclama-t-el e tandis qu'il se contentait de la regarder, stupéfait. — Mais qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-il. Pourquoi m'as-tu amené ici ? — Parce que je suis en plein milieu d'une affaire et que tu risques de compromettre ma couverture, expliqua-t-el e. Je t'avais pourtant demandé de ne plus me suivre ! — Je ne vois pas du tout de quoi tu parles, répondit-il en feignant l'innocence. Je ne savais vraiment pas que tu étais là... — Écoute-moi bien, Dennis, dit-el e d'une voix où couvait une fureur glaciale. Notre histoire est terminée depuis des mois. Il n'y a aucune chance, tu m'entends, absolument aucune, pour que nous recol ions les morceaux. Par contre, si tu continues à agir de cette façon, je porte plainte pour harcèlement et je te promets que je ferai de ta vie un véritable enfer. Les lèvres de Dennis se plissèrent en une fine ligne pâle tandis qu'un éclat meurtrier passait dans ses yeux. — C'est un endroit public, déclara-t-il froidement. J'ai tout de même le droit d'entrer prendre un verre dans un bar sans avoir à me demander si tu n'es pas en train d'y jouer les serveuses ! — Tu te trompes : compromettre une action policière peut te valoir une arrestation pour complicité avec des malfaiteurs. Cette fois, tu es al é trop loin et j'appel erai le bureau du procureur dès demain ! — Ne fais pas ça, plaida Dennis. Je t'assure que je ne savais pas. Je passais par là et je me suis dit... — Arrête de mentir, Dennis, lui intima Al y en serrant convulsivement les poings. Je ne supporte plus ta petite comédie. — Oh, Al y, je t'en prie, gémit-il. Tu me manques tel ement... Je pense à toi tout le temps, je n'arrive pas à m'en empêcher. Je sais que je n'aurais pas dû te suivre. Mais c'est plus fort que moi. Je voulais te parler, entendre ta voix... S'approchant d'el e, il la prit dans ses bras et se serra contre el e, lui arrachant un frisson de dégoût irrépressible. — Ne me touche pas, lui ordonna-t-el e en le repoussant durement. Mais il n'obéit pas, s'agrippant à el e comme une pieuvre. — Ne t'en va pas. Tu me tues lorsque tu deviens glaciale, comme cela... Al y aurait pu l'envoyer à terre en moins de trois mouvements mais el e s'en abstint, refusant d'en arriver là. — Dennis, ne me force pas à te faire du mal. Écarte-toi et laisse-moi tranquil e une fois pour toutes. Sinon, nous risquons tous les deux de regretter ce qui va se passer ici... — Reviens avec moi, supplia-t-il. S'il te plaît... Je te jure que tout ira bien. — Tu te trompes, Dennis. Maintenant, va-t'en... À cet instant, quelqu'un poussa la porte de la cuisine et Al y se retourna, se retrouvant nez à nez avec Jonah. — Je vous conseil e de faire ce qu'el e demande, dit-il d'une voix où couvait une menace sourde. Et de le faire vite... Al y ferma les yeux, envahie par un mélange particulièrement désagréable d'embarras et de colère. De quel droit se permettait-il d'intervenir dans ce qui était visiblement une affaire personnel e ? — Je peux me charger de cela toute seule, dit-el e. — Peut-être, mais il me semble avoir été clair. Ceci est mon établissement et tout ce qui s'y passe me concerne. Lâchez-la, ordonna-t-il à Dennis. — Ceci est une conversation privée, répliqua celui-ci. — Plus maintenant. Rentre, Al y... — Mêlez-vous de vos affaires, cracha Dennis, rageur. Foutez le camp d'ici. — Mauvaise réponse, répondit Jonah en s'avançant vers eux. D'un geste, Al y se dégagea de l'étreinte de Dennis et s'interposa entre les deux hommes. Dans les yeux de Jonah el e percevait une lueur glacée qui n'augurait rien de bon. — Je t'en prie, ne lui fais pas de mal, murmura-t-el e. Jonah s'arrêta brusquement, touché par sa détresse inattendue. — Rentre, répéta-t-il en posant doucement la main sur son épaule. Je m'en occupe. — Alors c'est ça ? s'exclama Dennis. Tu m'avais dit qu'il n'y avait personne d'autre. Mais j'aurais dû savoir que tu me mentais. Je suppose que tu couchais avec lui depuis le début, espèce de garce ! Avant même qu'el e ait pu réagir, Jonah se jeta sur Dennis. Il avait bougé à une vitesse stupéfiante et el e le vit plaquer son ex-petit-ami contre le mur que ce dernier heurta avec un bruit sourd. Se jetant sur Jonah, el e essaya de l'écarter. Mais il tint bon, ne bougeant pas d'un pouce malgré la force avec laquel e el e tirait sur son bras pour lui faire lâcher prise. El e aurait aussi bien pu vouloir déplacer un roc... — Je n'aime pas les hommes qui bousculent les femmes et les insultent, dit-il froidement avant d'assener un prodigieux coup de poing dans le ventre de Dennis qui en eut le souffle coupé. Je ne le tolérerai pas dans mon établissement, ajouta-t-il en frappant de plus bel e. Est-ce que tu comprends ça, espèce de salopard ? Enfin, il s'écarta et Dennis s'effondra sur le sol, recroquevil é en position foetale et se tenant le ventre. — Je crois qu'il a compris, commenta Jonah en haussant les épaules. — Formidable ! s'exclama Al y, furieuse. Tu viens juste de passer à tabac l'un des assistants du procureur. — Et alors ? — Aide-moi à le relever. — Pas question, déclara Jonah en prenant le bras de la jeune femme pour l'empêcher d'aider Dennis. Il est venu ici tout seul comme un grand et il repartira de la même façon. — Mais on ne peut pas le laisser sur le trottoir, protesta-t-el e. — Il se relèvera tout seul, n'est-ce pas, Dennis ? Jonah s'agenouil a auprès de lui, le dévisageant avec une froideur qui fit frissonner la jeune femme. — Tu vas te lever et partir bien tranquil ement. Ensuite, tu ne remettras plus jamais de ta vie les pieds dans mon club. Et tu prendras garde à rester loin d'Al ison. Si tu la rencontres un jour par hasard, tu tourneras les talons et tu partiras dans la direction opposée. Dans le cas contraire, tu auras de nouveau affaire à moi et cette fois, je ne serai pas aussi gentil. C'est compris ? Dennis se redressa péniblement en hoquetant, ses yeux emplis de larmes, bril ant d'une haine aussi pure que le diamant. — Prenez-la, cracha-t-il en se relevant. El e se servira de vous et finira par vous laisser tomber lorsque cela ne l'amusera plus. C'est ce qu'el e a fait avec moi. Alors, prenez-la, je vous la laisse... Sur ce, il s'éloigna en boitant, la main crispée sur son ventre. — Eh bien, commenta Jonah, on dirait bien que tu es à moi, maintenant. Mais si tu veux te servir de moi, nous ferions bien de rentrer, je ne voudrais pas choquer nos clients... — Ce n'est pas drôle, répondit tristement Al y. L'observant, il perçut toute la pitié qu'el e éprouvait envers Dennis et se sentit vaguement coupable d'avoir agi comme il l'avait fait. — Je suis désolé, dit-il. Tu devrais venir dans mon bureau le temps de recouvrer tes esprits. — Je vais bien, répondit-el e d'une voix blanche. Et je ne veux pas en parler pour le moment... — Comme tu voudras, dit-il en posant doucement ses mains sur les épaules de la jeune femme. Mais tu devrais tout de même prendre une pause. — J'espère que cela n'a pas mis en danger ma couverture, murmura-t-el e. — Non. Pete m'a juste dit qu'un type était rentré et que tu l'avais emmené dehors, furieuse. Il se doutait qu'il pouvait s'agir d'un de tes ex. — Dans ce cas, nous nous en tiendrons à la vérité. Dennis était mon petit ami et il me harcelait. — D'accord. Mais cesse de te faire du souci pour lui. Tu n'es pas responsable de ce qu'il ressent. — Bien sûr que si... On est responsable des sentiments que l'on inspire. El e se tut et se tourna vers Jonah, un pâle sourire aux lèvres. — Merci quand même. J'aurais pu m'en sortir seule, mais merci d'avoir été là. — Il n'y a pas de quoi. Instinctivement, Jonah se rapprocha d'el e et la prit dans ses bras, la serrant tendrement contre lui. Lorsqu'el e leva les yeux vers lui, il y lut le désir qu'il lui inspirait et fut parcouru d'un délicieux frisson. Mais, alors qu'il al ait poser ses lèvres sur cel es de la jeune femme, la porte de la cuisine s'ouvrit de nouveau. — Oups, désolée, fit Frannie qui se tenait sur le seuil, un briquet dans une main et une cigarette dans l'autre. El e fit mine de battre en retraite, mais Al y se dégagea de l'étreinte de Jonah. — Ne t'en fais pas, j'al ais rentrer. Je suis déjà en retard... Après avoir jeté un dernier regard à Jonah, el e pénétra dans le club. * ** Frannie attendit que la porte se referme et s'adossa contre le mur pour al umer sa cigarette. — Eh bien, murmura-t-el e. — Comme tu dis, soupira Jonah en secouant la tête, comme s'il émergeait d'un rêve. — El e est très bel e. — C'est vrai. — Et intel igente, en plus. Ça se voit. — Oui... — En fait, je dirais qu'el e est exactement ton type. — Tu crois ? demanda Jonah, surpris. — Bien sûr. El e a le même genre de classe que toi. On le sent lorsqu'on discute avec el e. Jonah se sentait plus troublé qu'il ne l'aurait voulu par ces commentaires. Frannie le connaissait depuis des années et el e était probablement l'une des personnes qui le comprenait le mieux. — Nous verrons bien où tout cela nous conduit, déclara-t-il, philosophe. Frannie haussa les épaules comme si, pour el e, la question était déjà réglée. — Ta veste est froissée, remarqua-t-el e. C'était grave ? — Non, rien d'important. Un de ses ex qui n'appréciait pas de n'être qu'un ex. — Je me doutais que c'était quelque chose de ce genre. En tout cas, si cela t'importe, el e me plaît bien, cette petite. Jonah s'avança vers Frannie et posa doucement la main sur sa joue. — Bien sûr que cela m'importe, murmura-t-il, touché par cette déclaration inattendue. Chapitre 5 Six jours après le cambriolage qui avait eu lieu chez les Chambers, Al y fut convoquée par le lieutenant Kiniki. El e s'était déjà changée pour partir au club et se présenta donc habil ée en serveuse, ce qui ne manqua pas de faire sourire son supérieur. — Nous n'avons pu localiser encore aucun des articles volés, lui expliqua-t-el e, à contrecoeur. Nous continuons à interroger régulièrement nos informateurs mais ils ignorent tout de ce gang. Même ceux d'Hickman sont incapables de dégotter quoi que ce soit. La personne qui dirige ces opérations doit être supérieurement intel igente et particulièrement discrète. — Et tu n'as aucune piste, au Blackhawk ? — Non... Je ne peux pas t'en dire plus qu'au premier jour. Après avoir visualisé les cassettes de surveil ance, je garde à l'oeil plusieurs habitués mais aucun d'eux n'a encore fait la moindre tentative. Le seul point positif, c'est que ma couverture est parfaite. — Tant mieux. J'espère juste que cela ne va pas s'éterniser. Je ne voudrais pas que tu passes ta vie à servir des cocktails dans un bar. Kiniki se tut un instant et feuil eta un dossier d'un air absent. Nerveuse, Al y réalisa qu'il cherchait ses mots, ce qui n'était pas dans ses habitudes. — En ce qui concerne Dennis Overton, commença-t-il enfin, laissant planer ses paroles dans le bureau qui parut soudain se charger d'une tension sourde. En remplissant une plainte adressée au bureau du procureur, Al y avait compris que le sujet finirait par être abordé au sein de sa hiérarchie. Pourtant, el e s'était efforcée de reculer cette échéance pour s'épargner de pénibles explications. — Je suis désolée d'avoir dû en arriver là, soupira-t-el e. Je tiens cependant à préciser que cela n'a pas porté atteinte à ma couverture, ajouta-t-el e aussitôt. Au contraire, même, cela l'a renforcée... — Ce n'est pas ce qui me préoccupe. Ce que je veux savoir, c'est pourquoi tu n'as pas rapporté l'attitude déplacée de Dennis auparavant. Tu aurais pu m'en parler ou contacter directement le procureur... «Ou mon père», compléta mentalement la jeune femme qui savait Kiniki trop diplomate pour le suggérer. — Il s'agissait d'une affaire personnel e, répondit-el e évasivement. Jusqu'à ce dernier incident, Dennis ne se manifestait qu'en dehors de mes heures de travail. Et j'ai pensé que je pourrais résoudre cela toute seule sans impliquer nos hiérarchies respectives. — J'ai parlé avec le procureur. Dans la plainte que tu as déposée, tu indiques que Dennis a commencé à te harceler au cours de la première semaine d'avril. Depuis, il n'a cessé de te téléphoner chez toi et ici, il est passé à de nombreuses reprises à ton appartement, il t'a suivie au cours de déplacements personnels et professionnels... — Pas professionnels, objecta-t-el e. Du moins, pas jusqu'à ce dernier soir. Kiniki la regarda attentivement et el e jugea préférable de se taire, attendant qu'il lui dise ce qu'il avait en tête. — Peu importe, Fletcher. Tu es bien placée pour savoir que ce genre d'attitude est répréhensible par la loi, el e tombe sous le coup des textes sur le harcèlement sexuel. — C'est exact, reconnut-el e. D'ail eurs, lorsqu'il est apparu évident que Dennis n'amenderait pas sa conduite, qu'il ne se laisserait pas décourager et qu'il était susceptible de mettre en danger mon enquête, j'en ai référé à ses supérieurs. — Mais tu n'as pas porté plainte comme c'était ton droit le plus strict. — Non. — Tu es consciente que cela t'empêche d'obtenir une interdiction de visite ou une clause de restriction. — J'ai pensé qu'une admonestation de son supérieur suffirait à le dissuader... — Une admonestation du procureur ou de Jonah Blackhawk ? Al y lui jeta un coup d'oeil interrogatif. El e n'avait évidemment pas fait mention de cet épisode dans sa lettre au procureur. — Dennis a déclaré que Blackhawk l'avait attaqué sans provocation dans un accès de jalousie. — C'est ridicule ! s'exclama Al y, dégoûtée. Je n'ai même pas parlé de cet incident parce que cela ne me paraissait pas nécessaire. Mais si Dennis insiste pour se ridiculiser, j'écrirai un rapport complet sur ce qui s'est réel ement produit. — Fais-le. Je veux une copie sur mon bureau demain après-midi. — Cela pourrait faire perdre son emploi à Dennis, objecta Al y. — Cela te pose un problème ? — Non, soupira-t-el e. Mais il faut que tu saches que Dennis et moi sommes sortis ensemble pendant trois mois, reconnut-el e à contrecoeur. Jusqu'à ce qu'il commence à se conduire de façon étrange... El e s'interrompit, hésitant à discuter de sa vie privée. Mais cel e-ci avait fait brusquement irruption dans sa vie professionnel e et il ne servait à rien de se voiler la face. — Il est devenu possessif et jaloux, reprit-el e. Cela frôlait l'obsession. Chaque fois que j'étais en retard ou que j'annulais l'un de nos rendez-vous, il m'accusait de voir un autre homme. La situation est devenue rapidement insupportable et j'ai décidé de rompre. Depuis ce moment, il n'a pas cessé de m'appeler et de me suivre, me suppliant de revenir et me promettant de s'amender. Mais comme je le rabrouais chaque fois, il a commencé à piquer des crises de larmes ou de rage... C'est pourquoi je me sens un peu responsable de cette situation. — C'est l'une des remarques les plus stupides que je t'aie jamais entendu proférer, protesta Kiniki. Si une victime de tels procédés venait te trouver en t'expliquant la situation, lui dirais-tu qu'el e en est responsable ? Al y ne répondit pas : el e n'avait effectivement jamais considéré la situation sous cet angle. — C'est bien ce que je pensais, reprit Kiniki. Tu suivrais la procédure classique et enregistrerais une plainte. Alors agis de même lorsque tu es concernée. — D'accord. Kiniki se tut quelques instants, hésitant à franchir la limite qui séparait leur relation professionnel e de leurs liens affectifs. — Al y, dit-il enfin, est-ce que tu as parlé de cette situation à ton père ? — Je ne veux pas qu'il soit mêlé à cette histoire, répondit-el e. Et franchement, je te serais reconnaissante de ne pas lui en parler. — C'est ton droit. Je pense que c'est une erreur mais je respecterai ta volonté. Par contre, si Dennis t'approche encore une fois, je veux que tu me le signales et je ferai en sorte qu'il ne recommence plus jamais. Malgré el e, Al y sourit à cette déclaration. — Qu'y a-t-il de si drôle ? demanda Kiniki en fronçant les sourcils. — Eh bien... Jonah m'a dit exactement la même chose que toi. Je suppose que c'est une preuve d'affection typiquement masculine... — C'est ça, rigole ! En attendant, je veux que tu me trouves les coupables de ces cambriolages. Al ez, fiche le camp... Consciente du fait que la plupart des serveuses n'avaient pas les moyens de s'offrir une Corvette, Al y se garait généralement à deux pâtés de maisons du Blackhawk et finissait le trajet à pied. Cela lui laissait le temps de se remettre dans la peau de son personnage tout en profitant des charmes de Denver au printemps. El e aimait cette vil e, ses immeubles qui se dressaient fièrement vers le ciel, se découpant contre les montagnes proches. Ses parents possédaient une petite maison sur les hauteurs dans laquel e el e avait séjourné à plusieurs reprises. Mais el e ne tardait pas à s'y ennuyer, préférant la richesse sans cesse renouvelée de la cité au calme quelque peu monotone des grands espaces. Ici, tout était possible. Toutes sortes de gens se pressaient dans les rues, se croisant sans se connaître, vivant dans des mondes aussi différents qu'incompatibles et pourtant unis par leur appartenance à cette vil e complexe. Car Denver était un point névralgique situé aux confins de l'Est policé et de l'Ouest sauvage. On y voyait aussi bien des hommes portant des tenues de cow-boy que des jeunes cadres dynamiques sanglés dans leurs costumes Armani. Les magnats du bétail rencontraient ceux de la finance dans des boîtes de nuit sans qu'aucun d'entre eux ne semble déplacé. Et lorsque le soleil bril ait comme aujourd'hui, que les oiseaux chantaient dans les arbres, Al y avait vraiment l'impression de vivre dans l'endroit le plus exaltant du monde. D'un pas léger, el e pénétra dans le club et avisa Jonah qui se tenait négligemment accoudé au bar, sirotant un verre d'eau pétil ante tout en écoutant l'un de ses habitués se plaindre de la journée infernale qu'il venait de passer. Mais dès qu'el e entra, il leva les yeux pour observer la jeune femme, la faisant frissonner malgré el e. C'était plus fort qu'el e, cet homme éveil ait au creux de son ventre un trouble incoercible qui se communiquait à tout son être. Sa simple présence faisait naître en el e un mélange d'impatience et de nervosité qu'el e était incapable de maîtriser. Pourtant, il ne l'avait plus jamais touchée depuis le soir où Dennis avait fait intrusion au Blackhawk. En fait, il avait même paru l'éviter, ne lui parlant que lorsque c'était nécessaire. C'était sans doute mieux ainsi, songeait-el e sans pourtant réussir à se départir d'une pointe de dépit. Tant que cette enquête se poursuivrait, toute relation personnel e risquait de nuire à son investigation. Mais il y avait quelque chose de terriblement frustrant à le voir chaque jour, à le désirer sans pouvoir faire le moindre pas vers lui. Repoussant ces tristes pensées, la jeune femme soupira et al a enfiler son tablier après s'être contentée de saluer Jonah d'un léger signe de tête. Jonah avait parfois l'impression de devenir fou. Bien sûr, ce n'était pas la première fois qu'il désirait une femme. Il connaissait tout de cette faim lancinante qui faisait bouil ir son sang et naître en lui une sensation de manque et d'attente. Mais jamais encore cette impression n'avait été aussi puissante, aussi douloureuse. Il était constamment obsédé par son image, victime d'un supplice de Tantale qui se prolongeait indéfiniment sans lui laisser de répit. Il ne parvenait pas à se débarrasser du souvenir de son parfum ni de celui de ses lèvres pressées contre les siennes. Il pouvait encore sentir le contact de sa peau brûlante sous ses mains. Et cela le rendait faible, il le savait. C'était quelque chose qu'il détestait parce que, pour la première fois depuis de longues années, il se savait vulnérable. Il aurait tout donné pour que cette enquête prenne fin, pour qu'Al y quitte définitivement sa vie et retourne dans son monde. Alors, il pourrait recouvrer le contrôle de ses sens en déroute et reprendre son existence comme si rien ne s'était produit. — Heureusement qu'il n'y a pas de policier dans le coin, fit la voix de Frannie derrière lui, le tirant brusquement de ses sombres méditations. — Pourquoi ? demanda-t-il en s'efforçant de conserver un ton parfaitement détaché. — Parce que tu te ferais arrêter pour harcèlement, répondit-el e. Je ne t'ai jamais vu regarder une femme de cette façon. — Vraiment ? dit-il, rassuré et ennuyé tout à la fois. Je ferais peut-être bien de me surveil er un peu plus, dans ce cas... — À mon avis, murmura Frannie à Wil tandis que Jonah s'éloignait, c'est el e qui le tient à l'oeil. — Oui, approuva Wil en souriant. Et lui, il est sacrément mordu. — C'est vrai. Pour une fois, il a affaire à plus forte partie que lui, répondit Frannie en lui adressant un clin d'oeil. — C'est bizarre. Le patron n'avait jamais eu de problèmes avec les femmes avant... — Eh bien, je crois que cel e-ci lui fait payer des années de facilité. Si tu veux mon avis, el e lui ferait faire n'importe quoi... — Il faut dire qu'el e est plutôt mignonne, reconnut Wil . — C'est pire que cela, el e l'a harponné, je te dis. Il est amoureux et je crois qu'il n'est pas près d'en guérir... — Tu le penses vraiment ? demanda Wil en se caressant pensivement la barbe. Lui-même ne comprenait rien aux femmes qu'il considérait généralement comme des créatures aussi merveil euses que dangereuses et qu'il fal ait approcher avec précaution. — Il me faut deux Margaritas avec de la glace pilée et du sel, deux pintes de bière et un Coca citron, déclara alors Jan qui les avait rejoints, son plateau à la main. Par jeu, el e passa une main dans les cheveux de Wil qui rougit, terriblement gêné. Le charme et la féminité agressive de la jeune femme le mettaient toujours terriblement mal à l'aise et el e le savait pertinemment. — Bon, je crois que je ferais mieux d'al er m'assurer que tout va bien, dit-il en prenant la fuite. — Arrête de le taquiner, dit Frannie à Jan. Tu sais bien qu'il marche à chaque coup... — C'est plus fort que moi, avoua la serveuse avec un regard malicieux. Il est trop chou... Dis donc, je vais à une fête, ce soir, après la fermeture. Ça te dit de venir ? — Non, merci. Je crois que je vais rentrer bien sagement chez moi pour rêver de Brad Pitt... — Rêver ne mène nul e part, répondit Jan en haussant les épaules. Ce qu'il te faut, c'est un homme. — Crois-tu que je ne le sais pas ? soupira Frannie en remplissant les chopes de bière commandées. Al ison rapporta deux plateaux jusqu'au bar. Cela faisait à peine trente minutes qu'el e avait commencé à travail er et el e avait déjà rempli trois pages de commandes. La nuit serait longue... Avisant Jonah qui approchait, el e se prépara mentalement à résister à son charme. — Al ison, il faut que je te parle... Est-ce que tu pourrais passer à mon bureau durant ta pause ? — Il y a un problème ? demanda-t-el e, légèrement inquiète. — Non, éluda-t-il. Ça ne prendra pas longtemps... — D'accord. Mais tu devrais en parler à Wil pour qu'il accepte de me laisser monter. Il est intraitable à ce sujet. — Écoute, le mieux serait peut-être que tu montes maintenant. — Je ne peux pas, j'ai des clients assoiffés qui m'attendent. Mais je te rejoins dès que j'ai une minute. El e s'éloigna à grands pas, se demandant ce que Jonah pouvait bien lui vouloir. El e avait remarqué quelque chose d'étrange dans sa voix, une sorte d'hésitation qui ne lui ressemblait guère... Chassant ces questions de son esprit, el e gagna le bar pour passer ses commandes. Mais Pete était au beau milieu de l'une des plaisanteries alambiquées dont il avait le secret et el e jugea préférable de ne pas l'interrompre. El e en profita pour scruter la sal e et étudia les gens qui étaient massés autour du comptoir. Il y avait là un couple d'une vingtaine d'années qui semblait passer une fol e soirée, riant aux éclats à chaque bon mot de Pete. Trois hommes en costume discutaient de la saison de base-bal , apparemment en désaccord complet sur leurs pronostics. Des garçons flirtaient avec une blonde solitaire qui paraissait d'humeur à se laisser séduire, leur décochant des sourires étincelants de blancheur et des coups d'oeil qui auraient enflammé une pierre. À une table toute proche, un couple d'une trentaine d'années faisait assaut de souvenirs, riant à des al usions qu'ils étaient probablement les seuls à pouvoir saisir. Al y remarqua les al iances à leurs doigts et sourit. Il était rare de rencontrer un couple marié aussi épanoui dans un bar, songea-t-el e. Mais ces gens-là paraissaient tout simplement heureux d'être ensemble et de partager un moment privilégié. Apparemment, ils devaient appartenir à un milieu aisé. Leurs vêtements et les bijoux de la jeune femme indiquaient des cadres supérieurs ou des entrepreneurs chanceux. Juste derrière eux, un autre couple se chuchotait des confidences tout en se dévorant des yeux. Eux aussi paraissaient très complices... Brusquement, Al y ressentit une pointe de jalousie. El e leur enviait cette complicité naturel e, cette capacité de faire abstraction du monde entier pour ne plus voir que la personne assise en face d'eux. Ils jouissaient d'une confiance et d'une attention de tous les instants et n'en mesuraient probablement pas la valeur. Ses parents avaient réussi à conserver cette proximité au cours des années. Il suffisait de les regarder pour comprendre qu'un amour et une tendresse infinis les unissaient, forgés par toute une vie commune. Al y n'avait jamais ressenti une chose pareil e. Ses liaisons étaient généralement brèves et el e ne s'engageait jamais beaucoup sur le plan affectif, donnant toujours la priorité à son travail. Derrière el e, un éclat de rire ponctua la chute de la plaisanterie de Peter. El e en profita pour lui transmettre ses commandes et, en attendant qu'il les serve, el e se concentra sur ce qu'el e était venue faire dans ce bar : observer. El e passa de nouveau en revue les clients avant de se focaliser sur Jan. La jeune serveuse prenait la commande d'une femme d'une quarantaine d'années, lui prodiguant des conseils qui paraissaient avoir le don de la faire rire aux éclats. — Plus c'est fort, et mieux ce sera, l'entendit déclarer Al y. Puisque je n'aurai pas de table avant 8 heures, autant en profiter pour me détendre un peu... Jan hocha la tête et inscrivit sa commande tandis que le compagnon de la femme portait la main de cel e-ci à ses lèvres pour y déposer un petit baiser délicieusement démodé. Une fois de plus, Al y se sentit tirail ée par la jalousie. Et comme el e continuait de les fixer, el e remarqua un détail qui lui avait échappé, le sac à main de la cliente avait changé de place. Il pendait toujours à sa chaise mais sous un angle différent. Et la fermeture éclair, hermétiquement close quelques instants seulement auparavant, bâil ait légèrement. Le coeur battant, Al y se tourna vers Jan et la suivit du regard tandis qu'el e évoluait dans la sal e surpeuplée, se demandant si la serveuse pouvait être la voleuse qu'el e recherchait. Mais cela n'avait aucun sens, Jan avait passé la nuit au Blackhawk lors du précédent cambriolage. Or les victimes avaient été repérées au Starfire... Al y se tourna donc de nouveau en direction de la table du couple. Et cette fois, el e avisa la femme brune qui se trouvait à la table voisine : discrètement, el e était en train de glisser dans son propre sac à main le portefeuil e et le trousseau de clés qu'el e venait de subtiliser. Bingo ! — Tu rêves, Al y ? demanda Pete en lui tapotant l'épaule. Ta commande est prête... — Je m'en occupe tout de suite, répondit précipitamment Al y, s'efforçant de conserver son calme. À ce moment précis, la pick-pocket se leva et, s'emparant de son sac à main, se dirigea vers les toilettes des dames. Se tournant vers Wil qui se trouvait près d'el e, Al y lui tendit son plateau. — Désolée, mais j'ai un besoin pressant, dit-el e. Est-ce que tu pourrais servir ceci à la table huit ? Je reviens tout de suite. Sans attendre la réponse de Wil , el e se rua à son tour vers les toilettes. À l'intérieur, el e repéra aussitôt la cabine occupée, la voleuse devait être en train de prendre les empreintes des clés. Ressortant aussitôt, el e tomba sur Beth qui lui jeta un regard chargé de reproches. — Les clients te réclament, Al y. Où est ton plateau ? — Désolée, Beth. C'était une urgence... Ne t'en fais pas, j'y retourne. D'un pas rapide, el e se dirigea vers la table à laquel e étaient instal és les policiers en civil. — Notre suspect est une femme blanche de trente-cinq à quarante ans, débita-t-el e rapidement. El e a les yeux et les cheveux bruns et sortira des toilettes des dames dans une minute. El e porte un blazer bleu marine et un pantalon blanc bouffant. El e est assise à droite du bar avec un homme d'une quarantaine d'années, yeux bleus, cheveux gris, portant un pul vert. Gardez-les à l'oeil mais n'intervenez pas. Nous suivons le plan. Sans attendre de réponse, el e s'éloigna et al a récupérer un plateau. L'homme au pul vert venait de ranger son téléphone portable et était en train de régler l'addition en liquide. Il paraissait parfaitement détendu, mais Al y le vit jeter plusieurs fois un regard à sa montre et vers la porte des toilettes. Finalement, la femme qui l'accompagnait en sortit. Au lieu de se rasseoir, el e s'empara de son châle qui se trouvait sur le dossier de sa chaise et le drapa autour de ses épaules, masquant ainsi ses mains. Al y la vit ensuite adresser un signe de tête à son compagnon et tous deux se dirigèrent vers la sortie. Le sac à main avait de nouveau changé de position et était fermé. C'était tout bonnement de la prestidigitation. Avec une pointe d'admiration, Al y songea que la fil e avait des doigts de fée. El e se préparait à les suivre lorsqu'el e aperçut Jonah qui se trouvait non loin de là. En quelques pas, el e le rejoignit et se pencha pour lui murmurer à l'oreil e : — Je les ai repérés. Deux officiers vont les suivre. Nous voulons qu'ils ne se doutent de rien et commencent le cambriolage pour pouvoir les prendre sur le fait. J'ai besoin d'un peu de temps avant de prévenir les victimes. Ensuite, je les emmènerai dans ton bureau. C'est d'accord ? — D'accord, acquiesça Jonah, passablement éberlué. — En attendant, il faut que tout semble naturel. Reste dans les parages, je te ferai signe lorsque je serai prête. Dis alors à Beth que tu as besoin de moi pour qu'el e prenne en charge mes tables. Je veux que tout se passe comme si de rien n'était. — Je m'en occupe. — Et donne-moi le code de la porte du haut. — Deux, sept, cinq, huit, cinq. — C'est parti... Al y reprit son plateau et recommença à servir, s'efforçant de maîtriser l'excitation qu'el e sentait monter en el e. Au bout de quinze minutes, el e vit la femme qu'el e surveil ait se lever pour al er aux toilettes et fit signe à Jonah qui al a aussitôt trouver Beth. Gagnant les toilettes à son tour, Al y vérifia qu'el es étaient désertes et aborda la cliente. — Inspecteur Fletcher, dit-el e en lui montrant son badge. Police de Denver. — Que me voulez-vous ? demanda l'inconnue avec méfiance. — J'ai besoin de votre aide et de cel e de votre mari dans le cadre d'une enquête. Si vous voulez bien me suivre... — Je n'ai rien fait, protesta-t-el e. — Non, madame, ne vous inquiétez pas, je vous expliquerai tout. J'aimerais juste que vous me suiviez. — Je n'irai nul e part sans Don. — Je vais chercher votre mari. En sortant, montez l'escalier et gagnez le palier du premier étage. Je vous y retrouverai avec lui. — Mais de quoi s'agit-il, exactement ? — Je vous l'expliquerai, répondit patiemment Al y. Faites-moi confiance. Sans attendre, el e quitta les toilettes et gagna la table où Don sirotait son verre de whisky d'un air songeur. — Monsieur ? fit Al y en se penchant vers lui. Votre épouse veut vous voir. El e est au premier étage. — El e va bien ? demanda-t-il, inquiet. — Oui, ne vous en faites pas. Al y ramassa des verres qu'el e plaça sur son plateau tandis que Don se dirigeait vers les escaliers. Au bout de quelques instants, el e prit le même chemin et rejoignit le couple qui attendait sur le palier du premier étage. — Inspecteur Fletcher, dit-el e à Don en lui montrant son insigne. Je dois vous parler en privé, à vous et à votre épouse. Composant le code, el e ouvrit la porte et s'effaça pour les laisser entrer. — Vous n'avez pas le droit de nous traiter de cette façon, protesta la femme, indignée. — Lynn, calme-toi. Je suis sûr que tout va bien... — Asseyez-vous, leur dit Al y en refermant la porte du bureau. — Je ne veux pas m'asseoir, protesta Lynn. Al y haussa les épaules. — J'enquête sur une série de cambriolages qui ont eu lieu dans les environs de Denver au cours de ces dernières semaines, expliqua-t-el e. — Est-ce que vous trouvez que nous avons l'air de cambrioleurs ? demanda Lynn, méprisante. — Non. Vous avez l'air d'un charmant petit couple des classes supérieures. Exactement le genre des victimes qui ont été cambriolées jusqu'ici. Il y a moins de vingt minutes, une femme vous a pris vos clés et votre portefeuil e. — C'est impossible, mon sac était près de moi tout le temps. Regardez, ajouta-t-el e en l'ouvrant. — Ne touchez pas vos clés ! — Mais vous disiez qu'el e me les avait volées... — Lynn, vas-tu te taire, bon sang ? Inspecteur, que se passe-t-il, exactement ? — Les cambrioleurs agissent toujours de la même façon. Ils s'emparent des clés des victimes, en prennent des empreintes et les replacent là où ils les ont trouvées. De cette façon, leurs cibles ne peuvent se douter de ce qui est en train de se produire. Pendant ce temps, leur maison est cambriolée. Et c'est exactement ce que j'essaie de vous éviter en ce moment même. Maintenant, asseyez-vous et écoutez-moi. Cette fois, Lynn ne songea pas à discuter et s'effondra dans le siège le plus proche tandis que Don prenait place auprès d'el e. — Puis-je connaître vos noms et adresses ? demanda Al y. — Don et Lynn Barnes. Nous habitons au 12 Crescent Drive. Vous voulez dire que quelqu'un se trouve dans notre maison en ce moment même ? — Non. Je ne pense pas qu'ils soient aussi rapides. Y a-t-il quelqu'un chez vous, en ce moment ? — Non. Nous vivons seuls. Bon Dieu, c'est incroyable... — Je vais contacter mes col ègues et leur donner vos coordonnées. Donnez-moi une seconde. Se détournant, el e décrocha le téléphone au moment même où Jonah les rejoignait. — Monsieur et madame Barnes, dit-il, puis-je vous offrir un verre ? Je réalise que cette situation doit être terriblement éprouvante... — Je ne refuserais pas un bourbon sec, acquiesça Don, sonné. — Madame Barnes ? — Je ne comprends pas, murmura cel e-ci. — Un cognac vous fera le plus grand bien, déclara Jonah en gagnant le bar qui se trouvait près de son bureau. Il remplit deux verres qu'il leur tendit avant de se servir lui-même. — Vous pouvez avoir confiance en l'inspecteur Fletcher, reprit-il. Et pendant qu'el e s'occupe de votre affaire, je vous suggère de vous détendre. La police veil era à ce qu'il n'arrive rien de fâcheux. — Monsieur Barnes, déclara Al y en raccrochant le téléphone, deux de nos équipes seront sur place dans quelques instants. Avez-vous réservé pour dîner ? — Oui, à 8 heures. — Dans ce cas, ils croiront avoir tout leur temps... Madame Barnes, nous al ons arrêter ces gens. Je vous promets qu'ils ne vous voleront rien et qu'ils n'abîmeront pas votre maison. Mais j'ai besoin de votre entière coopération. Je veux que vous et votre mari retourniez en bas et agissiez comme si de rien n'était. Dans une heure, je pense que toute cette histoire sera définitivement réglée... — Mais je veux rentrer chez moi protesta Lynn. — Nous vous y ramènerons. Mais nous avons besoin d'une heure pour les prendre sur le fait. Or il est possible qu'un membre de la bande se trouve toujours en bas pour s'assurer que vous ne partez pas avant l'heure prévue. S'il se doute de quelque chose, ils annuleront l'opération et nous ne pourrons pas les arrêter. — Peu importe, au moins je serai certaine que ma maison ne sera pas cambriolée ! — C'est juste. Mais quelqu'un d'autre le sera et, cette fois, les voleurs seront sur leurs gardes. — Écoute, Lynn, dit son mari, c'est une véritable aventure. Nous aurons à raconter quelque chose de passionnant à nos amis ! Viens, descendons et offrons-nous une bonne cuite pour ne plus penser à tout cela... — Jonah, descends avec eux et fais passer le mot : Mme Barnes avait un peu trop bu et el e ne se sentait pas bien. Maintenant, el e est rétablie. Quant à vous, monsieur Barnes, buvez tant que vous voudrez pour fêter l'arrestation de vos cambrioleurs. — La maison vous offre cette soirée en compensation du dérangement, ajouta Jonah, diplomate. Je dirai en effet que Mme Barnes était malade et que je l'ai conduite dans mon bureau pour qu'el e puisse s'étendre quelques instants, ajouta-t-il à l'intention d'Al y. — Parfait, déclara cel e-ci. J'ai encore un ou deux coups de téléphone à passer et je redescends. Par contre, je devrai probablement m'absenter pour le reste de la soirée. Dis aux autres que j'ai un problème familial... — Bonne chance, Al y, souhaita Jonah en lui adressant un sourire d'encouragement. Chapitre 6 Al y descendit en courant récupérer son sac et sortit en vitesse, adressant au passage un signe de la main à Frannie qui l'interpel ait. Jonah se chargerait de tout lui expliquer, songeait-el e. D'ail eurs, si leur plan fonctionnait, ce soir, el e n'aurait sans doute plus besoin de jouer les serveuses au Blackhawk... Au pas de course, el e traversa le parking et gagna sa voiture garée à quelques centaines de mètres de là. Il fal ait absolument qu'el e parvienne à Crescent Drive avant que la fête ne commence ! Mais la chance semblait s'être brusquement retournée contre el e, les quatre pneus de sa voiture étaient crevés. Décochant un coup de pied rageur contre les jantes, el e maudit Dennis Overton. Il avait encore bien choisi son jour pour cette petite vengeance mesquine. Fouil ant son sac, el e récupéra son téléphone portable et appela le Central pour demander qu'on lui envoie une voiture de patrouil e. Rageant contre ce temps perdu, el e attendit en faisant les cent pas. Cinq minutes plus tard, la voiture de police surgit au bout de la rue, toutes sirènes hurlantes. Sortant son badge, el e s'approcha du chauffeur qui jeta un coup d'oeil à sa voiture : — Des problèmes, inspecteur ? — On dirait bien, répondit-el e en montant à l'arrière. Foncez aussi vite que vous pouvez vers le nord. Crescent Drive... Je vous dirai quand couper les gyrophares. — Pas de problème, répondit le policier en démarrant sur les chapeaux de roues. Que se passe-t-il exactement ? — Nous sommes sur le point de coincer la bande des cambriolages. Contactez les services techniques et demandez leur d'envoyer une dépanneuse chercher mon véhicule. Je ne tiens pas à le laisser là toute la nuit. Le policier s'exécuta et el e donna le numéro d'immatriculation de sa Corvette tout en sortant son holster qu'el e ceignit, se sentant aussitôt plus complète. Dans quelques minutes, le mystère serait définitivement levé... À un pâté de maisons de chez les Barnes, la voiture de patrouil e se rangea auprès de deux autres qui se trouvaient déjà sur place. Al y remercia son chauffeur et al a directement trouver Hickman. — On en est où ? demanda-t-el e sans autre forme de procès. — Ils ont pris leur temps pour venir. Ils conduisaient un mini van. Balou et Dietz les ont suivis tout le long. Apparemment, ils respectaient scrupuleusement la limitation de vitesse, s'arrêtant à chaque stop. Ensuite, j'ai pris la suite de la filature sur la route 36. Ils se sont arrêtés à une station d'essence et la femme a passé un coup de téléphone avant de monter à l'arrière. El e trafiquait quelque chose mais je n'ai pas pu voir quoi... — El e devait fabriquer un double des clés. Je suis sûre qu'ils ont tout le matériel nécessaire dans le van. — Lorsqu'ils sont arrivés, une patrouil e était déjà en planque sur place. Ils se sont garés non loin de la maison et sont entrés à l'intérieur comme si de rien n'était. — Barnes m'a pourtant dit qu'il y avait un système d'alarme... Eh bien, il ne s'est pas déclenché. Cela fait dix minutes qu'ils sont à l'intérieur. Le lieutenant a insisté pour que nous t'attendions. Entre-temps, nous avons bouclé le quartier et encerclé la maison. — Dans ce cas, il est temps de passer à l'action. — Alors en sel e, déclara Hickman en lui tendant un talkie-walkie. — Ça va me changer du métier de serveuse... Ensemble, ils avancèrent en direction de la maison, rejoignant les autres policiers qui étaient embusqués derrière les arbres et les haies des alentours. — Bienvenue à bord, lui souffla Kiniki. On peut dire que ces voleurs ont du cran... Al y observa la maison : les lumières du rez-de-chaussée et du premier étage étaient al umées et el e aperçut une ombre qui se profilait derrière une fenêtre. — Ils sont surtout très malins, répondit-el e. — Balou et Dietz, vous passez par l'arrière, commanda Kiniki. Dès que nous avancerons, dites à tous les hommes d'en faire autant et placez deux voitures de patrouil e pour bloquer la rue. Al y hocha la tête et relaya les ordres dans son talkie-walkie. Quelques instants plus tard, l'assaut commençait. Comme prévu, les policiers s'avancèrent tous en même temps. Mais, au moment où ils traversèrent la rue, un bruit de verre brisé se fit entendre, suivi de trois coups de feu. — Dietz est touché, entendit Al y dans son oreil ette. Appelez une ambulance. Le suspect est un homme blanc muni d'un fusil à pompe. Il est passé par la porte de derrière et se dirige vers l'est à pied. Al y étouffa un juron, pressant le pas pour courir jusqu'à la maison où el e arriva en même temps que les hommes qui portaient le bélier. En quelques secondes, ils enfoncèrent la porte et la jeune femme entra, le coeur battant à tout rompre. Hickman se glissa également à l'intérieur pour la couvrir mais el e lui fit signe de monter les escaliers. Quelque part, quelqu'un hurlait. S'avançant prudemment, Al y évolua d'une pièce à l'autre, se forçant à prendre son temps et à ne pas céder à l'excitation du moment. Les cambrioleurs étaient armés et el e ne pouvait se permettre aucune erreur. À l'extérieur, el e entendit de nouveaux coups de feu, plus lointains. El e fail it ressortir pour se diriger dans cette direction mais avisa alors un rideau qui bougeait légèrement, comme si quelqu'un venait de le déplacer. Retenant son souffle, el e fit mine de n'avoir rien remarqué et se concentra sur les informations dont el e disposait. Une odeur de parfum. Un parfum de femme. Comptant jusqu'à trois, el e se précipita sur le rideau qu'el e écarta, révélant un petit salon plongé dans l'obscurité. Dans un coin, el e discerna une silhouette embusquée derrière une plante verte. — Police ! hurla-t-el e. Pas un geste ! La femme parut hésiter un instant puis se mit à courir, se jetant à travers une fenêtre dans un fracas de verre brisé. Sans hésiter, Al y la suivit dans le jardin tout en signalant sa position à l'équipe. La femme s'était déjà relevée et courait en direction de la clôture. Derrière el e, Al y entendit des bruits de pas dans la maison et el e força l'al ure tout en criant les sommations d'usage. La femme s'arrêta brusquement, ayant aperçu les policiers qui se trouvaient dans la rue. Comme un animal pris au piège, el e regarda autour d'el e, cherchant une issue. Mais il n'y en avait aucune. Al y s'approcha, ralentissant l'al ure. El e reconnut la pick-pocket du bar au moment où cel e-ci se tournait vers el e. Et el e avisa aussi l'arme que cel e-ci tenait à la main. — Lâchez votre arme ! s'écria-t-el e en tirant en l'air. Un deuxième coup de feu résonna aussitôt et Al y réalisa que la femme venait de lui tirer dessus. El e avait senti la chaleur de la bal e passer à quelques centimètres de sa tête. Instinctivement, el e tira. La femme s'effondra avec une sorte de soupir étranglé et le revolver qu'el e tenait à la main roula sur l'herbe. Une tache de sang était apparue sur sa robe, au niveau de la poitrine et commençait à se répandre sur le tissu. En quelques pas, Al y la rejoignit. Par réflexe, el e écarta l'arme de son agresseur du pied avant de se pencher vers el e. — Un suspect à terre, dit-el e dans son talkie-walkie. El e prit alors le pouls de la femme qui lui parut battre faiblement. Plaçant ses mains sur la blessure, Al y appuya fortement pour atténuer l'hémorragie. C'est à ce moment qu'Hickman la rejoignit. El e l'entendit dire quelque chose mais fut incapable de discerner le moindre mot. Son esprit paraissait envahi par un étrange bruit blanc alors que tout autour d'el e semblait se dérouler au ralenti. — Al y ? répéta Hickman en lui ôtant sa veste. Est-ce que tu es blessée ? — Appel e une ambulance, murmura la jeune femme qui sentait le sang couler entre ses doigts, poisseux et brûlant. — El e arrive. Lève-toi... — Je ne peux pas, balbutia Al y. Il faut que j'arrête le saignement... — Al y, murmura doucement Hickman en rengainant son revolver. Tu ne peux plus rien pour el e. El e est morte... Al y se releva, se forçant à lutter contre la nausée qui l'assail ait. El e regarda les ambulances arriver et les infirmiers placer les corps de la femme et de Dietz sur des civières. Le policier était toujours vivant et les médecins commencèrent aussitôt à procéder aux premiers soins tandis que les infirmiers plaçaient la femme dans un sac de plastique noir. — Fletcher, appela la voix de Kiniki derrière el e. — Dans quel état est Dietz ? lui demanda-t-el e d'une voix monocorde. — Pour le moment, ils ne peuvent rien dire. Je vais à l'hôpital pour en apprendre plus. — Et le deuxième suspect ? — Il a également été touché mais les médecins disent qu'il s'en sortira. Il faudra attendre quelques heures avant de pouvoir le questionner... — Est-ce que je pourrai assister à l'interrogatoire ? — C'est ton enquête, répondit Kiniki. Al y, ajouta-t-il, empli de sol icitude, je sais exactement ce que tu ressens. Mais demande-toi dès maintenant si tu aurais pu agir autrement. — Je ne sais pas..., avoua la jeune femme. — Hickman et Carson étaient là. Ils m'ont dit que tu t'étais clairement identifiée et que tu avais tiré un coup de sommation. Malgré cela, el e t'a tiré dessus. El e aurait pu te tuer. Tu n'avais donc pas d'autre choix que de répondre. C'est exactement ce que tu diras demain devant la commission d'enquête et c'est exactement ce qui s'est passé. Tu veux que j'appel e ton père ? — Non, merci. Je lui en parlerai demain, après la commission. — Dans ce cas, tu ferais mieux de rentrer chez toi et de te reposer. Je t'appel erai dès que j'aurai du nouveau pour Dietz. — Je préférerais al er à l'hôpital avec toi, si tu es d'accord. Je ne veux pas laisser tomber Dietz. Et puis, je serai là quand nous serons autorisés à interroger le suspect. Kiniki parut hésiter puis hocha la tête, songeant qu'il valait peut-être mieux pour el e s'occuper l'esprit. — D'accord, dit-il. Al ons-y... * ** Jonah sentait la panique le ronger, accélérant les battements de son coeur et couvrant son dos d'une désagréable sueur glacée. Jamais encore il ne s'était senti aussi malade d'angoisse. Bien sûr, il avait toujours détesté les hôpitaux. Ils lui rappelaient trop les derniers mois de la vie de son père et le fait que lui-même aurait pu finir de la même façon si Boyd n'avait pas été là pour lui tendre la main. Mais le pire était l'incertitude. Son contact lui avait juré qu'Al y n'était pas blessée. Pourtant, il savait que quelque chose avait mal tourné et qu'el e se trouvait à l'hôpital et cela ne lui disait rien de bon. Il avait donc décidé de venir s'assurer lui-même de l'état de la jeune femme, laissant Wil gérer le bar. Lorsqu'il arriva dans la sal e d'attente du premier étage, il aperçut Al y et se sentit aussitôt rassuré. El e n'était pas blessée. Par contre, el e paraissait fatiguée et tendue. Des cernes noirs soulignaient ses beaux yeux dorés et el e était très pâle, se tordant nerveusement les mains. Jonah la rejoignit et s'agenouil a devant el e, la regardant avec tendresse. — On dirait que tu as passé une sale soirée, commenta-t-il d'une voix très douce en posant sa main sur cel e de la jeune femme. — Tu peux le dire, murmura-t-el e, sans même s'étonner de sa présence. Un de mes col ègues est dans un état critique. Les médecins ne savent même pas s'il s'en sortira. — Je suis désolé. — Moi aussi. Le docteur a refusé que j'interroge le suspect que nous avons interpel é. Un certain Richard Fricks... Ce salaud a abattu un flic et il dort tranquil ement tandis que Dietz lutte pour rester en vie et que sa femme prie dans la chapel e de l'hôpital. Ce n'est pas juste. El e soupira et secoua la tête. — En plus, reprit-el e, j'ai tué quelqu'un ce soir. Une femme. D'une bal e en plein coeur, comme à l'exercice... — Sale journée, conclut Jonah en l'aidant à se lever. Viens, je te ramène chez toi. Il n'y a plus rien que tu puisses faire pour le moment... — Hickman a dit la même chose... Vous avez sans doute raison. El e se laissa entraîner jusqu'à l'ascenseur, heureuse de ne plus être seule. Le souvenir de ce qui venait de se passer ne cessait de la hanter, comme un film tournant en boucle dans son esprit. — Je peux demander à une voiture de patrouil e de me ramener, dit-el e lorsqu'ils furent sortis de l'hôpital. — Je vais le faire, dit Jonah en la prenant par la tail e. — Comment as-tu su que j'étais là ? — Un flic est passé pour dire aux Barnes que tout était terminé. Je l'ai interrogé et il a fini par m'avouer qu'il y avait eu du grabuge et que tu étais ici. Pourquoi n'as-tu pas appelé ton père ? — Je lui en parlerai demain, lorsque je me sentirai mieux. Je n'avais pas le courage de tout lui expliquer ce soir... — C'est idiot ! s'exclama Jonah en s'arrêtant brusquement. Imagine que ce soit quelqu'un d'autre qui le lui annonce ! Tu imagines dans quel état il sera en apprenant la nouvel e ? Il risque de se faire un sang d'encre... — Tu as raison, soupira-t-el e. Je n'y avais pas réfléchi... Ils gagnèrent la voiture de Jonah où la jeune femme s'instal a avant de composer le numéro de ses parents sur son téléphone portable. Tandis que son compagnon démarrait, el e attendit patiemment qu'ils décrochent, se demandant ce qu'el e al ait pouvoir leur dire exactement. — Al ô ? fit la voix de Cil a. — Maman, c'est moi. Désolée de vous déranger si tard mais il fal ait que je parle à papa au sujet d'une affaire en cours. — Pas de problème, je te le passe. — Al y ? Ça va ? demanda son père quelques instants plus tard. — Oui, répondit la jeune femme en s'efforçant de maîtriser le tremblement de sa voix. Je vais bien et je suis en train de rentrer chez moi. Nous avons résolu l'affaire des cambriolages, ce soir. Mais les choses ont mal tourné, un des policiers a été blessé et est à l'hôpital. L'un des suspects s'y trouve aussi et nous pourrons sans doute l'interroger dès demain... — Et toi ? Tu n'as pas été blessée ? — Non, rassure-toi. Mais ils étaient armés et j'ai dû ouvrir le feu. Une femme est morte... — Je viens tout de suite, déclara Boyd. — Non, ce n'est pas la peine. Reste auprès de maman pour la rassurer. De toute façon, je suis épuisée et j'ai vraiment besoin d'une bonne nuit de sommeil. Nous discuterons de tout cela demain, d'accord ? — Si c'est ce que tu veux... — Oui, je t'assure. — Qui a été touché ? — Len Dietz... Il est dans un état critique et Kiniki est toujours à l'hôpital à attendre de ses nouvel es. — Je vais l'appeler tout de suite. Essaie de dormir et n'hésite pas à appeler si ça ne va pas. Nous pouvons passer quand tu veux... — Je sais. Mais ce n'est pas la peine, promis. Je t'appel erai demain matin. El e raccrocha et replaça le téléphone dans son sac à main. Puis el e ferma les yeux, tenant de chasser de son esprit les visions obsédantes qui y étaient gravées. Lorsqu'el e les rouvrit, Jonah venait de se garer devant son immeuble. — Merci de m'avoir raccompagnée, dit-el e, reconnaissante. Il hocha la tête et descendit pour lui ouvrir sa portière. — Je suis complètement sonnée, avoua-t-el e. Quel e heure est-il ? — Cela n'a pas d'importance. Donne-moi ta clé... El e s'exécuta et le suivit à l'intérieur. — Je devrais peut-être al er travail er, dit-el e. Cela m'éviterait de penser à ce qui s'est passé. Je pourrais enquêter sur cette Madeline Fricks, découvrir qui el e était et comment el e s'est retrouvée mêlée à cette histoire. El e avait trente-sept ans, tu sais... El e vivait à Englewood. — Assieds-toi, Al y, lui conseil a Jonah. — Oui, répondit-el e d'un air absent en contemplant le salon dans lequel el e se trouvait. Il était exactement dans l'état où el e l'avait laissé en partant, le matin même. Et cela ne semblait pas juste. Quelque chose avait changé en el e et cela aurait dû se refléter sur cet endroit, songea-t-el e. Jonah, voyant qu'el e restait immobile, les yeux dans le vague, la souleva prestement et la porta jusqu'à sa chambre où il l'instal a sur son lit. Le fait qu'el e ne proteste pas contre ce traitement constituait une preuve suffisante du choc qu'el e avait ressenti, réalisa-t-il. — Al onge-toi un peu, lui dit-il. Y a-t-il quelque chose à boire ici ? — Oui, des trucs, répondit-el e vaguement. — Bien. Je vais al er te chercher un de ces trucs. — Ça va, je t'assure, protesta-t-el e faiblement. Il ne releva pas et regagna le salon. Dans le bar, il trouva une bouteil e de cognac pleine qu'il déboucha. Il en servit un verre et le rapporta à la jeune femme qui était toujours assise sur son lit, ses jambes repliées et les bras autour de ses genoux. — Je tremble, dit-el e d'une voix blanche. Si j'avais quelque chose à faire, je ne tremblerais pas comme ça... — Tiens, bois ça, dit-il en lui tendant le verre de cognac. El e but une gorgée et toussa, faisant la grimace. — Je déteste le cognac. Quelqu'un m'en a offert une bouteil e à Noël dernier mais je n'en bois jamais. — Al ez, Fletcher, ne fais pas l'enfant. Bois, cela te fera du bien. Soupirant, el e s'exécuta et se mit à tousser de plus bel e. Mais Jonah remarqua que ses joues retrouvaient déjà quelques couleurs. — Nous avions encerclé la maison, commença-t-el e sans le regarder. Il y avait un cordon de sécurité tout autour et ils n'avaient aucune chance de s'enfuir. Toutes les issues étaient bloquées. El e avala une nouvel e gorgée de cognac sans même s'en apercevoir. — Mais ils ont quand même essayé, reprit-el e. Nous venions d'entrer lorsque Fricks est sorti par-derrière en tirant. Il a descendu Dietz... Certains d'entre nous ont foncé dans cette direction mais moi, j'ai suivi la procédure. J'ai continué à explorer la maison avec Hickman. Fermant les yeux, el e revit la scène avec un réalisme effrayant. — J'entendais des coups de feu et des cris, au-dehors. Finalement, j'ai fail i ressortir, croyant qu'ils étaient tous les deux déjà partis. Et puis j'ai vu ce rideau qui tremblait. Je me suis approchée jusqu'au petit salon. Et je l'ai vue, dès que je suis entrée. El e avait probablement l'intention de partir dans la direction opposée à cel e de son complice pour profiter de sa diversion. El e avait un revolver... Je lui ai demandé de poser son arme mais el e a préféré sauter par la fenêtre. Alors, je l'ai suivie... Rouvrant les yeux, Al y secoua la tête. — El e n'avait pas le choix et el e le savait. El e était cernée de toutes parts... Alors, el e a dû décider de vendre sa peau chèrement et m'a tiré dessus. Je n'ai même pas eu peur en sentant la bal e passer près de moi. C'est bizarre mais je ne voyais que son visage et la lune qui bril ait dans ses cheveux noirs. Et j'ai tiré... — Tu n'avais pas le choix, toi non plus, remarqua Jonah d'une voix très douce. — Je le sais bien. Intel ectuel ement, c'est évident. J'ai repassé la scène des centaines de fois dans ma tête pour en arriver à la même conclusion. Mais cela ne change rien. On ne m'avait pas préparée à ça, à l'Académie. Ils ne peuvent pas nous dire ce que l'on ressent lorsqu'on tue quelqu'un... Une larme roula doucement le long de sa joue et el e l'essuya presque rageusement. — Je ne sais même pas pourquoi je pleure. Ni pour qui... — Cela ne fait rien, souffla Jonah en la prenant doucement dans ses bras. Il la serra très fort contre lui tandis qu'el e sanglotait comme une enfant. Une femme avait fail i la tuer et el e pleurait parce qu'el e avait tiré pour se défendre. Décidément, songea-t-il avec une pointe d'amertume, il ne comprendrait jamais rien aux policiers... Al y finit par s'endormir, vidée par le trop-plein d'émotions. Ce n'est que deux heures plus tard qu'el e rouvrit les yeux. Jonah était toujours auprès d'el e, la tenant étroitement serrée dans ses bras. Durant quelques instants, el e resta parfaitement immobile, faisant le point sur ce qui venait de se passer. El e avait un léger mal de tête qui l'empêchait de se concentrer et se sentait vaguement embarrassée par la crise de larmes qui s'était emparée d'el e. Mais, d'un autre côté, el e se sentait nettement plus vail ante qu'en revenant de l'hôpital et n'était pas assez ingrate pour ne pas y voir l'oeuvre de Jonah. Réfléchissant à ce qu'il convenait de faire à présent, el e réalisa que Blackhawk lui avait enlevé ses chaussures ainsi que les armes qu'el e portait à l'aissel e et à la chevil e. Il l'avait d'ail eurs désarmée de plus d'une façon, ce soir, se dit-el e. Et le plus surprenant, c'était qu'el e ne se sentait pas fragilisée par cette intimité nouvel e qui les unissait. Au contraire, el e aimait le contact de ses bras autour d'el e et celui de son souffle sur sa nuque. El e aurait pu rester ainsi durant des heures s'il ne s'était pas aperçu de son réveil. — Tu te sens mieux ? demanda-t-il, empli de sol icitude. — Beaucoup mieux, merci. Et c'est à toi que je le dois. Dans l'obscurité, el e sentit le visage de Jonah se rapprocher du sien et ses lèvres se posèrent sur les siennes. Cette fois, leur baiser fut étonnamment doux, ne ressemblant en rien à ceux qu'ils avaient échangés dans le gymnase privé du Blackhawk. Mais il n'en était que plus troublant, songea la jeune femme en laissant glisser sa main de la poitrine de Jonah à son visage. Il changea de position, pressant son corps contre celui d'Al y et el e se sentit aussitôt excitée par la force qui se dégageait de lui. Sa poitrine pesait contre la sienne tandis que ses lèvres continuaient à la tourmenter, faisant naître au creux de ses reins un désir croissant. Il la serrait avec passion, comme lorsqu'el e avait pleuré contre lui et el e se sentait en sécurité dans ses bras. Jonah sentit une fièvre incoercible s'emparer de lui. Pendant deux heures, il était resté al ongé à ses côtés, hanté par un désir brûlant qui ne lui laissait aucun repos. Le simple contact de la jeune femme enflammait ses sens, faisant battre son coeur à tout rompre et éveil ant le douloureux besoin qu'il avait d'el e. Mais il n'avait pas le droit de lui faire l'amour juste pour satisfaire ses sens. — Ce n'est pas le bon moment, marmonna-t-il en s'éloignant brusquement d'el e pour s'asseoir au bord du lit. — Écoute, murmura Al y, si tu crois que ce serait tirer avantage de la situation, tu te trompes. — Vraiment ? — Oui. Je sais parfaitement quand et à qui je veux dire non. Et même si j'apprécie le fait que tu m'aies ramenée à la maison et que tu m'aies consolée, je ne suis pas assez reconnaissante pour m'offrir à toi pour autant. J'ai une trop haute idée de moi-même et du sexe. — Je vois que tu te sens mieux, constata-t-il en riant. — Justement, dit-el e en se serrant contre lui. Et j'ai très envie de faire l'amour avec toi, Jonah. Malgré lui, Blackhawk sentit les battements de son coeur redoubler et son sang se changer en lave. — C'est très tentant, avoua-t-il d'une voix que le désir rendait rauque. Mais la réponse est non. Al y le regarda avec stupeur, tentée de lui décocher une volée de coups ou d'insultes. Mais el e n'aurait alors pas mieux agi que Dennis et cette comparaison suffit à l'en empêcher. — Est-ce que je peux au moins savoir pourquoi ? articula-t-el e. Étant donné les circonstances, tu peux au moins me faire l'aumône d'une explication... — Il y a deux raisons, commença Jonah en al umant la lampe de chevet. La lumière révéla le visage très pâle de la jeune femme et ses cheveux blonds emmêlés qui lui donnaient un air à la fois fragile et terriblement sensuel. — Dieu, que tu es bel e, murmura-t-il. — Et c'est pour cela que tu ne veux pas faire l'amour avec moi ? demanda-t-el e, flattée et excitée à la fois par ce compliment inattendu. — Je n'ai pas dit que je ne voulais pas, corrigea-t-il. J'en ai tel ement envie que c'en est douloureux. Et c'est bien cela qui m'ennuie. Tendrement, il caressa une mèche de ses cheveux, la regardant droit dans les yeux. — Je n'arrête pas de penser à toi, Al y, avoua-t-il. Beaucoup trop souvent à mon goût... J'aime avoir l'il usion de maîtriser ma vie. Et je n'ai pas encore décidé si je pouvais vraiment courir le risque de m'engager. Or je sais parfaitement que si nous faisons l'amour, je le serai plus que je ne l'ai jamais été pour une multitude de raisons. — Eh bien, s'exclama-t-el e, passablement stupéfiée par cette déclaration, je dois dire que je suis impressionnée par ton self-contrôle. — Je n'aime pas me jeter la tête la première dans les situations inextricables, c'est tout. — C'est fascinant, remarqua-t-el e. Moi qui étais convaincue que tu agissais toujours à l'instinct. Je croyais que tu étais le genre d'homme à prendre ce qu'il voulait quand il le voulait sans se soucier des conséquences. N'est-ce pas ainsi que tu me décrivais les gens de la nuit ? — Il faut croire que j'ai changé. À présent, je préfère évaluer les conséquences de mes actes avant de prendre une décision. Ce doit être le résultat de mes années de gestion honnête, ajouta-t-il avec ironie. — En d'autres termes, je te rends nerveux, ironisa-t-el e. — C'est ça, rigole. Je ne peux pas t'en vouloir... — Mais tu as dit qu'il y avait deux raisons. Quel e est la seconde ? — C'est facile, dit-il en lui prenant délicatement le menton. Je n'aime pas les flics... Sur ce, il effleura les lèvres de la jeune femme d'un baiser. Mais, au moment où il al ait s'écarter d'el e, el e se pressa contre lui et sentit son corps frissonner contre le sien. Et cette sensation la remplit d'un mélange de joie et de fierté. — C'est bon, dit-il en reculant prestement. Je sonne la retraite. — Lâche ! — N'espère pas que je céderai à la provocation, répondit-il en se levant. Al y le regarda enfiler ses chaussures et la veste qu'il avait posée sur une chaise. El e se sentait bien. Fabuleusement bien, même... — Al ez, reviens ! appela-t-el e. Viens te battre comme un homme ! Il la contempla quelques instants, agenouil ée sur le lit, les cheveux en batail e, une lueur de défi bril ant dans ses superbes yeux dorés. Jamais el e ne lui avait semblé aussi attirante qu'en cet instant où il pouvait encore sentir le goût de sa bouche dans la sienne. Rassemblant son courage, il secoua la tête et gagna la porte. — Si tu savais combien je m'en voudrai, demain matin, dit-il en quittant la pièce. Un éclat de rire cristal in lui répondit et, malgré lui, il sourit. Chapitre 7 Al y se réveil a à six heures et, après avoir pris une douche rapide et s'être habil ée, el e se prépara à partir pour le commissariat. Mais, en ouvrant la porte de son appartement, el e se retrouva nez à nez avec ses parents qui étaient venus lui rendre visite. Avant même qu'el e ait pu prononcer le moindre mot, sa mère la prit dans ses bras et la serra fortement contre el e. — Tout va bien, maman, ne t'en fais pas, murmura Al y. Mais Cil a ne pouvait retenir les larmes qu'el e s'était empêchée de verser depuis que Boyd lui avait exposé la situation, la veil e. C'était idiot, songea-t-el e, mais el e se sentait soulagée de constater par el e-même qu'Al y était indemne. Finalement, el e s'écarta pour la contempler, un sourire rayonnant aux lèvres. — Tu as de la chance que ton père m'ait retenue, dit-el e. Sans cela, je serais venue te voir dès hier. — Je ne voulais pas que tu t'inquiètes. — Cela fait partie de la condition de mère, tu t'en apercevras peut-être un jour... Une condition que je remplis à la perfection, semble-t-il. — Comme tout ce que tu fais, maman, répondit Al y en riant. Sur le visage de sa mère, el e vit les larmes refluer pour se noyer dans un sourire rayonnant. Cil a avait les mêmes yeux que sa fil e et, en cet instant, ils étincelaient d'amour et de fierté. Passant une main dans ses épais cheveux noirs, el e décocha à sa fil e un clin d'oeil malicieux. — J'ai fait de l'inquiétude un art, dit-el e. C'est une question de pratique, déjà, je me faisais du souci chaque fois que ton père partait en mission. Maintenant, c'est ton tour... — Eh bien, détends-toi, répondit sa fil e en posant un baiser sur sa joue. Je vais parfaitement bien, maintenant, je t'assure. — Je dois dire que tu as bonne mine. — Entrez, tous les deux, je vais vous préparer un café. — Non, tu al ais partir et nous ne voulons pas te retenir, protesta Cil a. Je voulais juste te voir... De toute façon, j'ai du travail, je dois faire passer un entretien à un nouveau directeur des ventes. Ton père me déposera. Comme cela, tu pourras utiliser ma voiture pour la journée. — Comment sais-tu que je n'ai plus la mienne ? — J'ai quelques contacts dans la police, répondit Boyd en riant. Ils m'ont dit qu'el e serait prête dans l'après-midi. — J'aurais pu m'en occuper, protesta Al y. — Dis donc, s'exclama Cil a, j'espère que je n'ai pas élevé ma fil e pour qu'el e pense que son père va rester les bras croisés lorsqu'el e a des ennuis. Si c'est le cas, je suis très déçue. Boyd décocha un sourire moqueur à Al y qui rougit, comprenant qu'el e venait de faire preuve d'arrogance. C'était un défaut dont el e prenait de plus en plus conscience ces derniers temps. Surtout depuis qu'el e avait compris qu'el e faisait peur à Jonah... Il était peut-être temps d'opter pour un peu plus d'humilité. — Je suis désolée, papa, dit-el e. Merci beaucoup. — Ce n'est rien. — Maintenant, la question est de savoir qui va al er faire sa fête à Dennis Overton, reprit Cil a en fronçant les sourcils. Peut-être pourrions-nous y al er tous ensemble. Dans ce cas, je veux être la première à taper sur cette ordure ! — On dirait qu'el e a des tendances violentes, dit Al y à son père. — À qui le dis-tu, soupira Boyd, feignant le désespoir. Du calme, chérie. Nous laisserons les choses se régler dans un cadre légal. Maintenant, Al y, dit-il tandis que tous trois se dirigeaient vers le rez-de-chaussée, je veux que tu passes à l'hôpital en premier. Tu as un suspect à interroger. — Et la commission d'enquête sur mon intervention d'hier ? — El e aura lieu ce matin même. Je veux que tu tapes un rapport complet sur ce qui s'est passé pour 10 heures précises. Hickman a déjà fini le sien et il donne une image très claire de ce qui s'est passé exactement. Tu n'as pas à te faire de souci. — Je ne m'inquiète pas, répondit la jeune femme. Je sais que j'ai fait ce que j'avais à faire. Bien sûr, j'ai eu des moments difficiles, hier soir. Mais je crois que je suis en paix avec moi-même, à présent. L'idée de ce que j'ai fait ne me plaît pas mais je sais aussi que c'était inévitable. — Tout de même, tu n'aurais pas dû rester seule, remarqua Cil a. — Eh bien... En fait, je ne l'étais pas. Un ami est passé me voir quelque temps. Boyd ouvrit la bouche et la referma aussitôt. Après qu'Al y l'avait appelé la veil e, il avait contacté Kiniki et ce dernier lui avait dit que Jonah raccompagnait sa fil e chez el e. Bien sûr, le fait qu'el e le désigne comme «un ami» en disait long sur l'évolution de leurs relations. Mais Boyd n'avait aucune idée de ce qu'il était censé en penser. Après en avoir fait plusieurs fois le tour à la recherche d'une place libre, Al y se gara sur le parking de l'hôpital. Dès qu'el e descendit de son véhicule, el e aperçut Hickman. — Bel e voiture, commenta-t-il en souriant. Tous les flics n'ont pas une Mercedes comme voiture de dépannage... — C'est cel e de ma mère, expliqua patiemment Al y, habituée à ce genre de rail eries. — Ah, ta mère..., soupira Hickman qui l'avait déjà rencontrée à plusieurs reprises. Je crois que si el e n'était pas mariée au commissaire... — Tu n'aurais aucune chance, compléta Al y en riant. — Eh bien, on dirait que tu as remonté la pente depuis hier. — Je vais bien. À ce propos, je sais que tu as déjà rempli ton rapport et je tenais à te dire que j'étais reconnaissante pour ton soutien. — Je n'ai fait qu'écrire ce qui s'était passé, répondit Hickman en haussant les épaules. Si ça peut te rassurer, j'étais sur le point de tirer lorsque tu l'as fait. En fait, je l'aurais probablement fait avant si j'avais été plus près. — Merci... Tu as des nouvel es de Dietz ? — Oui. Il est toujours entre la vie et la mort. Il a réussi à passer la nuit et les médecins disent que c'est bon signe. Mais je t'assure que si je fais partie de ceux qui interrogent le suspect, il va le sentir passer. — Tu attendras ton tour. — Tu sais déjà comment tu comptes procéder avec lui ? — J'y ai réfléchi, déclara-t-el e tandis que tous deux pénétraient dans le hal de l'hôpital. La fil e a passé un coup de téléphone sur son portable, ce qui signifie qu'il y a encore au moins une personne impliquée. D'instinct, je dirais même deux. Quelqu'un qui travail e au club et quelqu'un qui supervise toute l'opération. Notre suspect sait que, pour avoir tiré sur un flic, il va prendre une peine maximum, peut-être même la peine de mort. Sa femme est morte, sa combine foutue... Franchement, il n'a plus rien à perdre. — On pourrait dire le contraire, il n'a plus grand-chose à gagner non plus en parlant. — Si, la vie. Nous pouvons lui promettre une condamnation à perpétuité au lieu de l'empoisonnement qui l'attend. En discutant, ils avaient atteint la porte de la chambre de Fricks devant laquel e se tenait un policier en faction. Al y lui montra son badge et entra. À l'intérieur, Fricks était al ongé, le visage très pâle, presque gris. Ses yeux étaient pochés mais ouverts et son regard passa de Al y à Hickman. Puis il entreprit de contempler le plafond. — Je n'ai rien à dire tant que je n'aurai pas un avocat, dit-il. — Eh bien, voilà qui va rendre notre tâche plus facile, déclara Hickman en souriant d'un air faussement cordial. C'est curieux, ajouta-t-il en se tournant vers Al y, il n'a pas la tête d'un tueur de flics... — C'est peut-être parce qu'il n'en est pas encore un, répondit-el e. Après tout, Dietz a une chance de s'en sortir. Non pas que cela change grand-chose pour lui, reprit-el e en haussant les épaules. Il est bon pour la peine capitale. Effraction, cambriolage, possession d'arme sans permis, tentative de meurtre sur un policier... Et encore, je passe la détention d'objets volés, le recel, le vol de voiture... — Je n'ai rien à dire, répéta obstinément Fricks. — Alors taisez-vous, répliqua Al y. Vous avez raison, un avocat vous rendra sans doute de bons et loyaux services. Mais je n'aime pas discuter avec ces gens-là... Qu'en dis-tu, Hickman ? — Moi, tu sais, les avocats... Chaque fois que l'on essaie de parvenir à un accord avec ces gens-là, ils nous emberlificotent à coup d'argumentations juridiques. Franchement, ça ne vaut pas le coup. — C'est vrai, admit Al y. Ces types me débectent. — Tu sais, remarqua Hickman comme s'il venait d'y penser, il serait beaucoup plus simple de laisser toute la responsabilité retomber sur Fricks. À mon avis, même le meil eur avocat du monde ne pourra pas le sortir du guêpier dans lequel il s'est fourré. Et lorsqu'ils en auront fini avec lui, nous serons décorés par le maire pour avoir mis fin à la vague de cambriolages. C'est beaucoup plus simple et plus efficace, à mon avis... — Peut-être... Mais il faut replacer les choses dans leur contexte. Après tout, Fricks a perdu un être cher, hier soir. C'est peut-être pour cela qu'il se montre si peu coopératif... Fricks ferma les yeux mais pas avant que la jeune femme ait eu le temps de voir une lueur douloureuse passer dans son regard. Il était humain, après tout, et paraissait aimer son épouse. C'était la clé, songea-t-el e, l'unique moyen, sans doute de le faire parler. — La situation n'est pas plus plaisante pour lui que pour nous, soupira-t-el e. Il a perdu sa femme et est lui-même condamné à mort. Et, pendant ce temps, ceux qui sont derrière ces cambriolages vont s'en tirer sans être inquiétés. En plus, ils récupèreront sa part et cel e de Madeline... — Ne prononcez pas son nom, cracha Fricks. Vous ne lui arrivez pas même à la chevil e. — Je suis touchée, vraiment. Franchement, Hickman, c'est beau de voir que même un tueur de flic peut être amoureux. Cela ne changera pas grand-chose pour lui, bien sûr. Après tout, cela n'a pas aidé Bonny et Clyde. Mais j'ai un faible pour les romances. Alors je vais vous dire une chose, Fricks, si votre femme était encore de ce monde, el e ne voudrait certainement pas vous voir mourir pour un crime dont vous n'êtes que partiel ement responsable. El e se tut un instant, attendant que l'idée fasse son chemin dans l'esprit du cambrioleur. — Vous devez savoir que si vous nous révélez qui est derrière tout ça, nous irons trouver le procureur pour lui demander de faire acte de clémence à votre égard. Il n'est pas trop tard pour être pris de remords, Richard. Et cela vous évitera de finir entre quatre planches. — Si je parle, je suis un homme mort, répondit Fricks. — Ne vous en faites pas, il n'y a pas d'endroit plus sûr que nos prisons. Et vous aurez une protection policière lorsque vous sortirez. C'est la procédure. — J'aimais ma femme, vous savez, murmura Fricks tandis que des larmes coulaient de ses yeux fermés le long de son visage. — Je sais, murmura Al y en s'asseyant près de lui. Je vous ai vus ensemble, au Blackhawk. J'ai vu la façon dont vous vous regardiez. Il y avait quelque chose de très spécial entre vous... — El e est morte. — Mais vous avez essayé de la sauver. C'est pour cela que vous êtes sorti le premier par l'arrière, n'est-ce pas ? Vous essayiez de détourner notre attention quitte à vous faire prendre pour lui permettre de passer discrètement par devant. Vous n'avez pas hésité à tirer sur un policier pour faire diversion, tout en sachant que vous vous condamniez ainsi à mort. Pourtant, cela n'a pas marché... C'est el e qui est morte. Mais el e vous aimait, aujourd'hui, el e refuserait sans doute de vous voir mourir à votre tour alors qu'il vous reste des années à vivre. El e voudrait que vous viviez pour el e, pour que quelqu'un garde d'el e un autre souvenir qu'un simple nom dans les colonnes des faits divers. Si vous ne le faites pas pour vous, faites-le donc pour el e... — Personne n'aurait dû être blessé, soupira Fricks. Les armes étaient une simple précaution pour faire peur au cas où quelqu'un nous surprendrait. — Je vous crois. Lorsque la police a débarqué, vous avez paniqué et vous avez ouvert le feu sans réfléchir. Si nous arrivons à en convaincre le procureur, cela peut faire toute la différence à votre procès. — C'est el e qui a paniqué, reprit Fricks. Jusqu'alors, tout avait toujours fonctionné comme sur des roulettes et el e a dû réaliser brusquement ce que nous risquions... Alors j'ai improvisé. Improvisé ? En pensée, Al y revit le corps ensanglanté de Dietz et les infirmiers qui l'emmenaient vers l'hôpital. Pourtant, el e se força à conserver son calme, se répétant que Fricks possédait la clé qui les mènerait aux véritables responsables de cette boucherie. — Je sais que vous ne vouliez faire de mal à personne, reprit-el e d'une voix très douce. Vous vouliez gagner du temps pour qu'el e puisse s'enfuir. El e attendit un moment tandis que Fricks se remettait à pleurer. — Comment avez-vous réussi à désamorcer le système d'alarme ? demanda-t-el e enfin. — Je m'y connais en électronique, répondit-il. J'ai travail é dans une entreprise qui en fabriquait. D'ail eurs, la plupart du temps, les gens ne pensent pas à l'enclencher avant de sortir. Et quand nous tombions sur un système que je ne connaissais pas, nous annulions l'opération et remettions cela au lendemain... Où est Madeline ? Est-ce que je pourrai la voir ? — Je vous l'ai dit, si vous m'aidez, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous faciliter les choses. Vous pourrez alors la voir si tel est votre désir. Mais je dois savoir qui vous a appelé au club, Richard. Et qui vous a signalé que quelque chose n'al ait pas. Si personne ne vous l'avait dit, je sais que nous serions arrivés à temps pour vous prendre par surprise. Était-ce la même personne ? Était-ce el e que Madeline a appelée du garage pendant que vous al iez chez les Barnes ? — Je veux l'immunité, répondit simplement Fricks. — Ce fils de pute veut l'immunité ! s'exclama Hickman. Tu lui tends la main et il veut le bras tout entier. À mon avis, ça n'en vaut pas la peine. Laisse-le se faire condamner à mort si ça lui chante. — Voyons, Hickman. Tu vois bien qu'il est perturbé. Tu le serais aussi si tu étais al ongé sur un lit d'hôpital sans même pouvoir organiser un enterrement décent pour ta femme. — El e voulait être incinérée, intervint Fricks. El e y tenait beaucoup... — Nous pouvons faire en sorte que ce soit le cas. Mais, encore une fois, il faut que vous vous montriez plus coopératif avec nous. — Je veux l'immunité. — Soyez raisonnable, Richard. Aucun tribunal n'accepterait de vous innocenter après ce que vous avez fait. Nous pouvons al éger la peine mais pas l'annuler. Les gens crieraient au scandale et vous lyncheraient purement et simplement. Alors je pourrais vous promettre n'importe quoi simplement pour vous faire parler mais ce ne serait pas juste. Je veux être parfaitement honnête avec vous. — Tu perds ton temps, Al y. Nous n'avons pas besoin de lui. Une fois qu'il sera mort, nous remonterons jusqu'à ses complices sans son aide. Cela ne nous prendra que quelques jours... — Il a raison, vous savez, approuva Al y. Dans quelques jours, nous aurons les réponses à nos questions, d'une façon ou d'une autre. Mais vous nous feriez gagner un temps précieux en parlant. Et vous prouveriez que vous regrettez vraiment d'avoir tiré sur ce policier. Alors, j'interviendrai en votre faveur. Je vous promets que je mouil erai ma chemise pour vous et que j'obtiendrai l'indulgence du procureur. Et je ferai en sorte que vous puissiez rendre les derniers hommages à votre femme dans des conditions décentes. — Tout cela, c'est à cause de son frère, déclara Fricks en rouvrant les yeux qui, cette fois, étaient emplis de haine. Il l'a convaincue de monter ce coup avec lui. El e l'aimait beaucoup et aurait fait n'importe quoi pour lui. Il lui a dit que ce serait une véritable aventure, que ce serait terriblement excitant. Il a tout organisé, tout planifié et c'est à cause de lui qu'el e est morte. — Où pouvons-nous le trouver ? — Il a une maison à Littleton. Une grande baraque sur le lac. Il s'appel e Matthew Lyle. Mais je vous préviens, il cherchera probablement à me tuer pour ce qui est arrivé à sa soeur. Ce type est complètement fou, complètement obsédé par el e. Et il me tiendra pour seul responsable de ce qui s'est passé. — Ne vous en faites pas, il n'aura pas l'occasion de s'approcher de vous, promit Al y en sortant un calepin. Dites-m'en plus sur ce Lyle... Il était 4 heures de l'après-midi. Jonah était instal é à son bureau, essayant désespérément de travail er. Il avait déjà essayé d'appeler Al y trois fois, deux fois chez el e et une fois au commissariat et il lui avait laissé des messages. Mais el e ne faisait pas mine de le rappeler et cela le rendait passablement furieux. Il avait décidé en fin de compte qu'il avait eu tort, la veil e, en repoussant la jeune femme. Il aurait dû rester et laisser s'accomplir l'inévitable. Loin de l'aider à retrouver la paix de l'esprit, le fait de repousser cette échéance n'avait fait que renforcer l'effet de manque qu'il ressentait. C'était plus fort que lui, il avait Al y dans la peau. Chaque fois qu'il avait un instant à lui, il pensait à el e. Bien sûr, il était toujours convaincu que coucher avec el e serait une erreur. Mais ce serait toujours moins douloureux que cette sensation de vide qui le rongeait... À présent, pourtant, il n'en était plus si sûr. Comment aurait-il pu s'engager vis-à-vis d'une femme qui n'avait même pas la décence de le rappeler ? El e lui devait pourtant bien cela. Il lui avait ouvert son club, lui offrant sa col aboration, sa confiance, son amitié et peut-être même un peu plus que cela. Il avait trahi ses propres amis pour lui faciliter la tâche, leur cachant le fait qu'el e travail ait pour la police. Alors il estimait qu'el e lui devait des réponses. Mais, comme il s'apprêtait à téléphoner une fois de plus, la jeune femme entra dans son bureau. El e était habil ée très différemment des autres jours et il réalisa que ce devait être sa tenue de travail. Après tout, se rappela-t-il douloureusement, el e était flic. Reposant le combiné, il l'observa tandis qu'el e prenait place en face de lui. — Il faudra que je songe à changer ce code, dit-il enfin. — J'ai pensé que tu voudrais être tenu au courant de l'évolution de l'enquête, déclara-t-el e. — Et tu avais raison. El e fronça les sourcils, réalisant que quelque chose n'al ait pas. Mais el e s'en soucierait plus tard, le plus important, pour le moment, c'était de régler les problèmes les plus urgents. — Fricks nous a donné son complice, expliqua-t-el e. Il s'agit d'un certain Matthew Lyle alias Lyle Matthew, alias Lyle Delaney. Un spécialiste du détournement de fonds par informatique. Son casier judiciaire est interminable mais, la plupart du temps, il a réussi à passer entre les gouttes. Preuves insuffisantes, accords avec la police, séjours en établissement psychiatrique et j'en passe. Nous nous sommes rendus chez lui, il y a quelques heures mais il avait déjà vidé les lieux. El e se tut, se massant doucement les tempes pour chasser le mal de crâne qui commençait à la tarauder. — Par contre, il n'a pas eu le temps de faire disparaître les preuves de son implication. La maison était remplie d'objets volés. Apparemment, ils avaient écoulé peu de choses. Probablement rien si l'on considère qu'il a dû en garder une petite partie pour financer sa cavale. L'endroit ressemblait à une sal e des ventes. Par contre, tu risques de te retrouver privé d'une serveuse, ce soir. — Je ne pensais pas que tu reviendrais travail er ici, objecta Jonah. — Je ne parle pas de moi mais de Jan. D'après Fricks, Lyle et el e sont intimes. C'est el e qui repérait les proies au Blackhawk et qui a contacté les cambrioleurs lorsqu'el e s'est aperçue que les Barnes étaient montés dans ton bureau. D'habitude, el e les prévenait lorsque les victimes demandaient l'addition, ce qui leur évitait d'être surpris. — Vous l'avez arrêtée ? — Non. Apparemment, el e n'est pas rentrée chez el e, hier soir. À mon avis, en apprenant ce qui s'était passé chez les Barnes, el e s'est rendue chez Lyle et ils ont filé ensemble. Mais nous finirons par les coincer. — Je n'en doute pas. Et je suppose que cela marque la fin de notre col aboration sur ce dossier. — Oui, dit-el e en se dirigeant vers la fenêtre. Par contre, je vais devoir prendre les dépositions des membres de ton personnel et j'ai pensé que ce serait plus facile pour eux si je le faisais ici. Puis-je utiliser ton bureau pour cela ? — Oui. — Bien. Dans ce cas, je vais commencer par toi, dit-el e en sortant son calepin. Dis-moi ce que tu sais de Jan. — Eh bien... El e travail e ici depuis un an environ. C'est une serveuse très douée et la plupart des habitués l'apprécient beaucoup. El e a le chic pour se rappeler les noms et les petits détails de la vie de chacun. Je la considérais comme quelqu'un de fiable et d'efficace. — Avais-tu une relation plus personnel e avec el e ? — Non. — Savais-tu qu'el e vivait dans le même immeuble que Frannie ? — Oui, et alors ? — Comment l'as-tu engagée ? — El e s'est présentée d'el e-même. Ce n'est pas Frannie qui l'a introduite ici, si c'est ce que tu veux savoir. — Bien, fit-el e en sortant une photographie de son sac. As-tu déjà vu cet homme ? Jonah observa le cliché de police qui représentait un individu d'une trentaine d'années aux cheveux noirs. — Non. C'est Lyle ? — Oui. Pourquoi es-tu si sec avec moi ? — Parce que je suis irrité, répondit-il froidement. Je déteste faire l'objet d'un interrogatoire policier. — Je n'y peux rien, soupira Al y. Je suis flic et je dois faire mon travail. J'ai pensé qu'il serait préférable que ce soit moi qui vienne interroger tout le monde plutôt qu'un quelconque policier en uniforme. Et le fait que j'aie un sérieux faible pour toi n'a rien à voir avec cela. Cela t'irrite peut- être mais je n'y peux rien. Jonah la regarda attentivement mais ne répondit pas. — Maintenant, reprit-el e, j'aimerais que tu m'envoies les autres. Je commencerai par Wil . Et reste dans le coin, j'aurai peut-être d'autres questions à te poser. Jonah se leva et contourna le bureau, une lueur de colère glacée dans les yeux. Pendant quelques instants, il resta immobile devant el e puis la prit par le revers de sa veste et la força à se lever pour le regarder dans les yeux. Une dizaine de sentiments contradictoires se bousculaient en lui mais il s'efforça de parler d'une voix calme. — Si cela continue, dit-il, je crois que tu vas me rendre complètement cinglé. La relâchant, il s'éloigna à grands pas, claquant la porte derrière lui. — Je ne suis donc pas la seule, soupira-t-el e, pourtant pas vraiment rassurée par cette idée. — Alors comme ça, tu es flic ? demanda Frannie en al umant une cigarette sur laquel e el e tira une profonde bouffée. J'aurais pu le deviner avant si je ne connaissais pas Jonah aussi bien. D'ordinaire, il déteste les flics autant que moi. Al y hocha la tête, remarquant que Frannie feignait une assurance qu'el e était loin de ressentir. — Il y a plus, indiqua-t-el e à la serveuse. Jonah a dû te parler des cambriolages et de mon travail sous couverture. Mais il n'a pas mentionné le résultat de notre enquête, Jan faisait partie de la bande qui les commettait. — Je suppose que je dois te croire, maintenant que tu portes ce badge, soupira Frannie. — Oui. À présent, dis-moi depuis combien de temps tu la connaissais ? — À peu près un an et demi. Je l'ai croisée pour la première fois devant la machine à laver commune de notre immeuble. El e travail ait dans un bar et moi aussi, alors nous avons lié connaissance. Nous sortions quelquefois toutes les deux. Ou nous passions l'une chez l'autre. Je l'aimais plutôt bien. Et quand Jonah a ouvert ce nouveau club, je l'ai aidée à décrocher une place. Est-ce que cela fait de moi sa complice ? — Non. T'a-t-el e parlé de son petit ami ? — Eh bien... El e aimait les hommes en général et ils le lui rendaient bien. — Frannie, soupira Al y, je sais que tu n'aimes pas la police mais ces cambriolages ont fait deux victimes. L'un de mes amis se trouve en ce moment à l'hôpital, suspendu entre la vie et la mort. Les médecins ne savent pas s'il s'en sortira. Une autre femme est morte à cause de cette histoire. Alors tout ce que je te demande, c'est de m'aider à éviter que les choses n'ail ent encore plus loin. Frannie regarda Al y très attentivement puis hocha la tête. — El e parlait d'un type en particulier, de temps à autre. Mais el e n'a jamais mentionné son nom. Je crois qu'el e aimait faire des mystères à son sujet. El e a juste dit que, grâce à lui, el e pourrait bientôt arrêter de jouer les serveuses. Frannie se leva et, gagnant le bar, se servit un verre d'eau qu'el e but. — Je ne l'ai pas vraiment crue, reprit-el e enfin. El e parlait toujours beaucoup à tort et à travers. Surtout lorsqu'il s'agissait des hommes. El e ne cessait de me parler de ses conquêtes. — L'as-tu déjà vue avec ce type ? demanda Al y en lui montrant la photographie de Lyle. — Oui, répondit Frannie après avoir étudié le cliché. Je l'ai vu dans notre immeuble une fois ou deux. Je me suis dit que ce n'était pas son genre de mec. Il est plutôt petit et légèrement enveloppé. Un type ordinaire, quoi... D'habitude, Jan préférait les play-boys. Surtout lorsqu'ils avaient une carte de crédit bien approvisionnée. Frannie vint se rasseoir et regarda Al y droit dans les yeux. — Ne te méprends pas sur son compte, pourtant. C'est une fil e gentil e comme tout. El e est jeune et devrait sans doute mûrir un peu. Mais el e n'est pas méchante. — Cela ne l'a pourtant pas empêchée de vous utiliser, toi et Jonah, observa Al y. A-t-el e mentionné un endroit particulier où el e se rendait avec ce type ? — El e a parlé d'une maison sur le lac, une fois ou deux. Mais je n'ai pas fait attention, je te l'ai dit, el e adorait se vanter. La plupart du temps, ce n'était que du vent... Al y poursuivit son interrogatoire pendant une quinzaine de minutes sans obtenir d'information supplémentaire. — Si tu te rappel es quoi que ce soit, conclut-el e en tendant à Frannie sa carte professionnel e, n'hésite pas à m'appeler. — Bien sûr..., inspecteur Fletcher. — Pourrais-tu demander à Beth de monter un instant ? — Pourquoi ne la laisses-tu pas tranquil e ? El e ne sait rien. — C'est juste parce que je prends mon pied en torturant des innocents, répondit Al y, agacée. — Écoute, je n'aime pas la façon dont tu t'es introduite ici pour nous espionner. Je sais parfaitement comment vous agissez, dans ces cas-là. Vous contrôlez les casiers de tout le monde et exhumez nos erreurs passées en espérant les retourner contre nous. Je pense que tu as dû être très déçue d'apprendre que la coupable était Jan et pas l'ex-prostituée. — Tu te trompes, je t'aime bien, Frannie. — Conneries..., marmonna cel e-ci, déstabilisée. — Pourquoi ne serait-ce pas le cas ? Tu as été prise dans une spirale dont la plupart des fil es ne voient jamais la fin. Pourtant, tu t’en es sortie. Tu as un métier respectable que tu fais bien. La seule chose qui me chagrine, chez toi, c'est que tu aies une liaison avec Jonah. — Quoi ? s'exclama Frannie, sidérée. — Il se trouve que j'ai un faible pour lui et que je suis jalouse, c'est tout. Mais c'est un problème purement personnel qui n'a rien à voir avec le fait que je sois flic. — Je ne te comprends vraiment pas, soupira Frannie en al umant une nouvel e cigarette. Je croyais que cette histoire de liaison avec Jonah, c'était pour la galerie ? — Au début, oui... Mais, maintenant, je crois que je ressens vraiment quelque chose pour lui. Mais cela ne regarde que moi. En ce qui te concerne, je n'éprouve qu'une admiration sincère. Je suis impressionnée par la façon dont tu t'es amendée. Je ne me suis jamais trouvée dans des circonstances similaires, j'ai toujours été aimée et protégée par ma famil e. Mais je ne suis pas certaine que j'aurais eu la force d'agir comme toi, si j'avais été à ta place. — Bon sang, j'étais bien décidée à te détester mais tu ne me facilites pas la tâche. Il y a plusieurs choses que tu dois savoir. La première, c'est que je n'ai pas de liaison avec Jonah. Nous n'en avons jamais eu. Il n'a jamais couché avec moi lorsqu'il fal ait payer pour le faire ni lorsque je me serais donnée à lui pour rien. Ce n'est pourtant pas faute de le lui avoir proposé. — Est-il donc aveugle ? demanda Al y qui sentit pourtant une joie profonde l'envahir. Ne voit-il pas que tu l'aimes ? — Oui, je l'aime. Mais pas comme tu le penses. Plus maintenant, en tout cas. C'est mon meil eur ami, mon seul ami avec Wil . Nous avons grandi tous les trois et nous nous connaissons depuis que nous sommes enfants. — Je sais, admit Al y. Cela se voit, d'ail eurs. — Lorsque je travail ais dans la rue, Jonah venait me voir régulièrement. Il me payait pour la nuit mais, au lieu de coucher avec moi, il m'emmenait boire un café ou manger un morceau. Rien de plus. Il a toujours été un tendre. — Tu es sûre que nous parlons bien du même homme ? — Oui. Si quelqu'un compte vraiment pour lui, il est prêt à tout pour l'aider. Il continue à te tendre la main chaque fois que tu retombes. Tu peux la mordre, cela ne l'empêche pas de la tendre de nouveau. On ne peut pas vraiment lui résister. En tout cas pas très longtemps. J'ai essayé mais cela n'a pas marché... Avec un soupir, Frannie porta son verre d'eau à ses lèvres et le finit. — Il y a quelques années, j'ai fait le point sur ma vie. J'avais vraiment atteint le fond du caniveau... Je vendais mon corps depuis l'âge de quinze ans et cela commençait à se voir. J'étais vidée, finie. Alors je me suis dit qu'il ne me restait plus qu'à tirer le rideau sur cette sale histoire qu'était devenue ma vie. J'ai décidé de m'ouvrir les veines... Tendant son poignet, Frannie montra la cicatrice qui l'ornait. — Je n'ai pu couper que celui-là, dit-el e. Et pas très profondément, encore... — Qu'est-ce qui t'a arrêtée ? — Le sang, d'abord, avoua Frannie en riant. Il y en avait beaucoup et ça m'a fait peur. C'est ridicule pour quelqu'un qui veut se tuer, je suppose. Alors me voilà, debout dans ma sal e de bains, pissant le sang et commençant à paniquer pour de bon. Finalement, j'ai appelé Jonah. Je ne sais vraiment pas ce qui se serait passé s'il n'avait pas été chez lui. Mais il était là et il est venu aussitôt pour me conduire à l'hôpital. Lorsque je suis sortie, il m'a forcée à entrer en cure de désintoxication et a payé tous les frais. Frannie se tut, caressant doucement sa cicatrice comme si cela l'aidait à remettre de l'ordre dans ses souvenirs. — Ça a été l'horreur... Mais il était là tous les jours pour m'encourager et me soutenir. Finalement, lorsque je suis sortie, il m'a demandé pour la centième fois peut-être si je voulais travail er pour lui. Et cette fois, j'ai dit oui... Il m'a beaucoup aidée, à cette époque, m'avançant de l'argent pour rembourser mes dealers et mon souteneur. Alors j'ai pensé que je devais le remercier et je lui ai offert tout ce que j'avais à lui offrir : mon corps. Je crois que c'est la seule fois où je l'ai vu se mettre vraiment en colère... Il avait une plus haute opinion de moi que moi-même. Et c'était la première fois de ma vie que cela m'arrivait. Frannie sourit et haussa les épaules. — Franchement, Al y, si je savais quoi que ce soit de plus au sujet de Jan, je te le dirais. Ne serait-ce que parce que c'est ce que veut Jonah. Je ferais n'importe quoi pour lui. — À sa place, je crois que je serais tombé amoureux de toi, il y a très longtemps, murmura la jeune femme, émue par cette confession inattendue. — L'amour ne fonctionne pas de cette façon. Il ne se mérite pas, il s'impose comme une évidence. Il n'y a qu'a voir comment Jonah te regarde pour le comprendre. Jamais personne ne m'a regardée comme cela. — Tu te trompes, répondit Al y en souriant. Regarde Wil attentivement lorsque tu lui serviras son verre de cognac, ce soir. Tu pourrais être très surprise. — Wil ? Al ons donc... — Tu m'as dit autrefois que le métier de serveur développait le sens de l'observation. Eh bien, tu avais raison, j'ai fait de gros progrès eu psychologie au cours de mon séjour au Blackhawk. Et je te promets que Wil a plus qu'un petit faible pour toi. Maintenant, envoie-moi Beth. Mais laisse-moi quelques minutes, le temps que je retrouve mon coup de poing américain... Frannie éclata de rire et hocha la tête. — D'accord, dit-el e. Mais je pense toujours que tu te trompes. Wil sait ce que j'étais. — Sans doute. Mais il sait aussi qui tu es devenue... À 7 heures, Al y avait bouclé tous ses interrogatoires et se sentait affamée. El e n'avait pas eu le temps de déjeuner et décida qu'il était grand temps de remédier à cet état de fait. De toute façon, el e n'était officiel ement plus de service et les maigres informations qu'el e avait récoltées pouvaient attendre le lendemain pour être soigneusement compilées dans son rapport. El e téléphona pourtant à Hickman pour lui faire part de l'évolution de ses investigations. Lui-même n'avait pour le moment toujours aucune idée de l'endroit où pouvait se trouver Lyle. Mais il continuait d'interroger ses contacts dans l'espoir que l'un d'eux pourrait leur apprendre quelque chose. Par contre, l'état de Dietz s'était amélioré et les médecins commençaient à se montrer un peu plus optimistes. C'est ce qu'el e expliqua à Jonah lorsqu'il la rejoignit enfin. — Ils pensent qu'il va s'en sortir mais ils ne savent pas encore s'il y aura des séquel es, ajouta-t-el e. — Je suis heureux d'apprendre qu'il va mieux. — Merci de m'avoir laissée utiliser ton bureau. Je peux te dire officiel ement qu'aucun de tes employés n'est suspecté de quoi que ce soit à l'heure actuel e. — À l'heure actuel e ? répéta Jonah. — Oui. Je ne peux pas m'avancer plus. Tout semble indiquer que Jan était la seule à travail er pour les cambrioleurs et qu'el e a agi de son propre chef. Mais il y a autre chose que je tenais à te dire. — Je t'écoute. — Je ne suis plus de service. Est-ce que je peux avoir un verre ? — Il se trouve justement que je suis propriétaire d'un bar qui se situe au rez-de-chaussée. — Je pensais à quelque chose de plus intime, déclara Al y. Je sais que tu gardes une bouteil e de vin blanc dans ton mini-bar et je me demandais si nous ne pouvions pas l'ouvrir. Jonah soupira et al a sortir la bouteil e qu'il ouvrit. Il remplit un verre qu'il tendit à la jeune femme. — Tu ne trinques pas avec moi ? demanda-t-el e. — Moi, je suis toujours de service, répondit-il posément. Et je ne bois jamais pendant mes heures de travail. — Oui, je l'ai remarqué. Tu ne bois pas, tu ne fumes pas et tu ne frappes pas tes clients... Pas durant tes heures de travail, du moins. Al y ôta sa veste et se débarrassa de son holster qu'el e rangea dans son sac à main. — J'espère que cela ne te dérange pas, dit-el e avec un sourire. Mais je déteste séduire un homme lorsque je porte une arme. Sur ce, el e s'avança vers lui d'un pas assuré. Chapitre 8 Al y avait beau s'être débarrassée de son arme, el e était loin d'être sans défense, songea Jonah. Une femme avec des yeux et un sourire comme les siens ne l'était jamais. Et le pire était qu'el e le savait pertinemment. Son sourire avait tout de celui d'un chat contemplant la cage ouverte d'un canari. Mais il était bien décidé à ne pas se rendre sans combattre. — Tu devrais boire ton vin, conseil a-t-il en effectuant un repli stratégique prudent pour maintenir la distance qui les séparait. Je suis très flatté que tu te sois mis en tête de me séduire mais je n'ai pas le temps, pour le moment. — Oh, cela ne prendra pas si longtemps, promit-el e. Le refus de Jonah avait dû décourager plus d'une femme dans le passé mais el e-même le considérait comme un défi qu'el e était impatiente de relever. Portant son verre de vin à ses lèvres, el e le vida d'un trait avant de le reposer sur la table basse. El e s'approcha alors de nouveau de lui, l'agrippant par le col de sa chemise pour le forcer à rester immobile. — J'aime beaucoup ce que je vois quand je te regarde, Jonah, dit Al y. Mais cela ne me suffit plus. Je veux plus que cela. Tous les muscles de Jonah parurent se contracter au même instant tandis qu'un brusque accès de désir montait en lui. — Je vois que tu ne t'embarrasses pas de préliminaires, observa-t-il, luttant de toutes ses forces contre lui-même. — Tu as dit que tu étais pressé, répliqua-t-el e du tac au tac avant de commencer à mordil er doucement sa lèvre inférieure. Alors je fais en sorte de gagner du temps. — Je n'aime pas les femmes aussi agressives, objecta Jonah qui se sentait perdre pied. — Et tu n'aimes pas les officiers de police. — Exactement... — Dans ce cas, tu es sur le point de passer un sale quart d'heure, rail a-t-el e en laissant glisser ses lèvres le long du cou de Blackhawk. Je veux que tu me touches. Je veux être à toi, Jonah. Et, cette fois, je ne suis pas disposée à accepter un nouveau refus. Rassemblant toute la volonté qui lui restait, Jonah fit un pas en arrière. Mais Al y ne se laissa pas décourager aussi facilement et le suivit. Il se demanda vaguement si cela tombait sous le coup de l'abus de pouvoir et du harcèlement. Mais el e paraissait ne pas s'en soucier le moins du monde, le caressant avec une insistance et une audace croissantes. — Je t'ai dit que je n'étais pas intéressé, protesta-t-il d'une voix faible. — Je sens ton coeur qui bat la chamade, dit-el e. Et je sais que tu me désires autant que je te désire. Alors pourquoi résister ? — Certains d'entre nous ont appris à maîtriser leurs pulsions... El e avisa la lueur trouble qui couvait dans son regard et sourit, moqueuse. — Et certains s'en fichent, dit-el e en riant. Mais puisque tu résistes aux forces de l'ordre, je crois que je vais devoir me montrer plus convaincante. — C'est ridicule, Fletcher. Tu ferais mieux de rentrer chez toi... Peut-être s'imaginait-il s'être exprimé d'une voix ferme et autoritaire, songea Al y avec un sourire. Mais il était incapable de dissimuler l'envie qu'il avait d'el e. Et el e n'était pas décidée à se laisser arrêter par ses maudits à priori et ses principes inflexibles. Cette fois, el e irait jusqu'au bout. — Quel e est cette réponse que tu me fais tout le temps ? Voyons voir... Non ? Sur ce, el e l'attrapa par la ceinture, le forçant à se rapprocher d'el e. — Arrête ce cirque ! protesta Jonah, aussi furieux qu'excité. Mais, loin de se laisser intimider, Al y lui sauta dessus, nouant les jambes autour de sa tail e et les bras autour de son cou. — Est-ce que tu aurais peur de moi ? demanda-t-el e en couvrant son visage de petits baisers. Un grand garçon comme toi ? Se penchant vers lui, el e posa sa bouche sur cel e de Jonah qu'el e agaça délicieusement. Il sentait ses lèvres brûlantes effleurer les siennes et lutta de toutes ses forces pour ne pas l'embrasser. — Tu cherches vraiment les ennuis ! s'exclama-t-il d'une voix mal assurée. — Et j'espère bien que je vais en trouver, répondit-el e en riant. El e continua à le provoquer jusqu'à ce que Jonah perde tout contrôle. Partagé entre colère et désir, il la porta jusqu'au lit sur lequel il la projeta presque violemment. — Al y, je ne peux pas... Mais el e commençait déjà à déboutonner son chemisier, le narguant sans pitié. Interdit, Jonah la regarda faire, fasciné par la courbe de sa poitrine qui gonflait son soutien-gorge. El e se rapprocha alors de nouveau de lui et le prit dans ses bras. Il eut brusquement l'impression que quelque chose se brisait dans son esprit et, cette fois, fut incapable de s'opposer à la fougue qui le poussait vers el e. Tous deux retombèrent sur le lit, se dévorant de baisers ardents, leurs mains courant fiévreusement sur leurs corps qui tressail aient. Il y avait quelque chose de sauvage dans cette étreinte, quelque chose de primitif qui les libérait, annihilant toute retenue. Leurs lèvres se mêlaient, leurs dents se heurtaient tandis qu'en eux montait une envie irrépressible. Puis, soudain, les mains de Jonah se glissèrent dans le dos de la jeune femme, dégrafant son soutien-gorge pour libérer ses seins dont les tétons se dressaient fièrement vers le ciel. El e le vit s'immobiliser un instant, la contemplant avec passion puis il se serra de nouveau contre el e et sa bouche se posa sur l'un de ses mamelons, lui arrachant un gémissement de pur bonheur. Hors d'haleine, la jeune femme lutta pour garder son souffle. Jamais el e n'avait éprouvé de tel es sensations. Chacune de ses terminaisons nerveuses paraissait à vif, décuplant le plaisir que lui prodiguait Jonah. El e avait l'impression de tituber au bord d'un gouffre sans fond qu'el e avait parfois entrevu mais jamais approché. Et puis el e bascula. Les mains de Blackhawk s'étaient mises à courir sur sa chair chauffée à blanc, éveil ant autant de brasiers qui se propageaient à chacun de ses membres. La raison abdiqua en el e pour laisser place à une joie inouïe qui balaya toute pensée. Jonah faisait assaut de caresses, lui révélant des faiblesses qu'el e ne se connaissait pas, jouant de son corps comme un musicien d'un instrument dont il parvenait à arracher des notes tremblantes d'extase. Les gémissements d'Al y s'étaient mués en une sorte de feulement sourd, très rauque, qui paraissait émaner du plus profond de son être. Et lorsque Jonah remonta le long de son corps pour l'embrasser, el e répondit avec une violence indomptable, plantant ses ongles dans son dos et lui arrachant un cri où la douleur le disputait au plaisir. Il avait l'impression de vivre un rêve éveil é, conscient qu'il commettait un péché mortel dont il serait incapable de se relever. C'était plus fort que lui, chacun des mouvements de la jeune femme, chacune de ses caresses le poussait un peu plus loin sur le chemin de sa propre damnation dans laquel e il se noyait avec délice. Jamais il n'avait vécu une expérience aussi sensuel e, aussi torride. L'envie qu'il avait d'el e était si puissante qu'il en avait mal. Al y était la femme la plus désirable qu'il lui eût jamais été donné de voir. Tout le fascinait en el e, les courbes gracieuses de son corps, la douceur de ses lèvres, la lueur dansante qui bril ait dans ses yeux dorés... Au-delà de toute rémission, il se laissait guider par un instinct infail ible qui lui permettait de satisfaire chacune de ses envies. El e commença alors à déboutonner sa chemise, avide de le voir, de le toucher. Luttant contre les boutons qui lui résistaient, el e finit par l'arracher, découvrant le torse puissant de Jonah qu'el e couvrit de baisers. Finalement, ne pouvant y résister, el e entreprit de dénouer sa ceinture et, après quelques instants qui lui parurent une éternité, il fut enfin nu devant el e. El e n'avait plus aucune réserve, plus aucune pudeur, souhaitant simplement découvrir chaque facette de lui. Le prenant dans sa main, el e commença à le caresser avec une ardeur croissante et, bientôt, sa bouche se joignit à ses doigts pour décupler en lui le désir qu'il éprouvait. Jonah plongea la main dans ses cheveux blonds, s'abandonnant à ses caresses qui le faisaient frémir jusqu'au plus profond de lui-même. Il sentait les lèvres de la jeune femme contre lui et cette intimité aurait suffi à el e seule à le terrasser. Il se força à dédoubler son esprit, prenant de la distance comme s'il n'était que le spectateur de cette scène terriblement érotique. Mais, très vite, il comprit qu'il ne résisterait plus très longtemps à pareil traitement. Doucement, il repoussa Al y et entreprit à son tour de défaire le pantalon qu'el e portait, bien décidé à lui rendre au centuple les caresses qu'el e lui avait prodiguées. Une fois encore, il ne put s'empêcher de s'arrêter un instant lorsqu'el e fut entièrement exposée à ses regards. El e était parfaite, songea-t-il, mieux encore que dans ses rêves les plus fous. Son corps paraissait sculpté par les plus habiles des artistes, révélant des trésors de sensualité qu'il entreprit d'explorer, descendant toujours plus bas jusqu'à ce que sa bouche se pose enfin sur la fleur humide de sa féminité qui exhalait le plus entêtant des parfums. Al y se raidit et, se renversant en arrière, s'offrit à lui, le laissant découvrir la partie la plus secrète de son être. El e poussa un cri rauque tandis qu'un premier orgasme la terrassait. Mais Jonah ne lui laissa pas le temps de recouvrer ses esprits, se laissant guider par ses gémissements et se faisant de plus en plus audacieux à mesure qu'augmentait leur intensité. Une nouvel e vague de chaleur la submergea tandis qu'un tremblement convulsif naissait en el e, incoercible. — Viens, Jonah, murmura-t-el e d'une voix brisée. Mais il avait décidé de prendre son temps, fasciné par les réactions de la jeune femme. Suivant un itinéraire compliqué, il se mit à embrasser chaque parcel e de sa peau, mordil ant sa chair à vif, la sentant onduler sous lui. Il ne pouvait se rassasier d'el e, en oubliait presque son propre désir qui le faisait pourtant souffrir le martyre. Tandis qu'il l'embrassait avidement, il glissa ses doigts en el e, faisant naître un nouveau spasme qui se propagea en lui. Et tandis qu'el e connaissait une nouvel e apothéose, il continua à la soumettre à une impitoyable et délicieuse torture. Les ongles d'Al y se plantèrent une fois encore dans son dos, le labourant sans ménagement. Et cette souffrance contrastait avec le plaisir qu'il ressentait à la savoir pleinement sienne. Pas un instant, el e n'avait fermé les yeux, le dévorant du regard. Et dans ses prunel es, il devinait comme un voile qui masquait à présent la flamme qu'il y avait éveil ée. El e paraissait hors d'atteinte, perdue dans un monde auquel il n'avait pas encore accès. Incapable de résister plus longtemps, il la serra très fort dans ses bras et entra très délicatement en el e. Il se sentit alors glisser dans un fourreau de soie humide qui s'ouvrait pour l'accueil ir sans retenue et, bientôt, il fut là tout entier, et el e cria son nom tandis qu'il commençait à bouger doucement en el e. Al y répondait à chacune de ses impulsions, se cambrant pour mieux le laisser glisser au creux de son corps incandescent. Leurs gestes étaient lents et amples, faisant croître à chaque instant leur désir. La jeune femme sentait son coeur battre à tout rompre tandis que Jonah accélérait ses mouvements, lui arrachant des bribes incohérentes de mots qui se mêlaient en une musique primale. Ils se dévoraient de baisers, roulaient sur le lit défait, incapables de maîtriser leurs élans. À un moment, el e se retrouva juchée sur lui et posa les mains sur ses épaules, l'empêchant de se retourner. El e le sentait grandir en el e, comme un pilier brûlant autour duquel tournoyait sa propre joie. Haletante, el e montait et redescendait, toujours plus vite, ne pouvait dompter cette vague immense qui montait en el e et ne semblait jamais devoir s'arrêter. — Al y..., murmura Jonah d'une voix suppliante. En l'entendant prononcer son nom, el e sentit brusquement la vague déferler sur el e, l'emportant sur son passage dans un maelström tourbil onnant de sensations presque insoutenables. Et Jonah était avec el e, relâchant le peu de contrôle qui lui restait pour l'accompagner dans cette ultime délivrance qui ressemblait au néant. C'en était fini de lui. Jonah le comprit dès qu'il commença à émerger de l'hébétude qui avait suivi leur étreinte frénétique. Jamais il ne se remettrait de cette fil e. Jamais il ne parviendrait à faire comme si rien ne s'était passé. El e venait de balayer définitivement une vie entière de prudence sentimentale et il était à présent profondément, désespérément amoureux d'el e. Et il avait fal u qu'il choisisse la femme la plus incompatible qui soit avec tout ce que représentait son existence. El e avait désormais le pouvoir de le réduire en miettes, el e contrôlait ses émotions les plus intimes, el e habitait ses pensées les plus secrètes... Et, à son contact, il se sentait terriblement exposé. Refusant de se laisser al er à cette faiblesse, il se promit d'ériger de nouvel es défenses pour éviter qu'Al y ne le blesse. Décidant de commencer sur-le-champ, il roula de côté, s'éloignant d'el e. Mais ce fut peine perdue, el e le suivit, col ant son corps contre le sien, ce qui ne manqua pas de faire renaître son désir. Bien sûr, il aurait dû se sentir flatté par le plaisir qu'el e avait pris en faisant l'amour avec lui. C'est probablement ce qu'il aurait éprouvé avec n'importe quel e autre femme. Mais, cette fois, l'intensité de leur étreinte le terrifiait plus qu'autre chose. — Je suppose que tu as obtenu ce que tu voulais, dit-il d'une voix sèche. — Et même plus que cela, acquiesça-t-el e en lui caressant doucement le dos. El e passa une jambe en travers de son corps, comme pour mieux le retenir et Jonah sentit son inquiétude redoubler. — J'aime beaucoup ton corps, Jonah, murmura-t-el e. Tu as du sang indien, n'est-ce pas ? — Oui, mais très dilué. Mon grand-père était apache. — Cela te donne une jolie couleur de peau. — Je préfère la tienne, visage pâle, plaisanta-t-il sans grande conviction. — Dis-moi, puisque nous en sommes au stade des compliments et des gentil esses, pourrais-tu me faire une faveur ? — Laquel e ? — Je suis affamée. — Tu veux un menu ? — Non. Juste ce qu'il y a dessus. N'importe quoi fera l'affaire. Comme cela, je pourrai récupérer mes forces. Je vais al er prendre une douche pendant que tu commanderas. — Qui t'a dit que j'en avais fini avec toi ? demanda Jonah en riant. — Très bien. Fais de moi ce que tu veux. Un marché est un marché... Lorsque Jonah eut satisfait son désir et celui de la jeune femme, cel e-ci gagna la sal e de bains d'une démarche mal assurée et referma la porte derrière el e pour reprendre son souffle. Jamais encore el e n'avait dû lutter à ce point pour conserver un semblant de dignité. El e avait l'impression que son corps s'était disloqué avant d'être maladroitement reconstitué. Tous ses muscles étaient endoloris, tous ses nerfs insensibilisés, comme si el e venait d'être traversée par une décharge massive d'électricité. Curieusement, cette sensation n'était pas du tout désagréable. Au contraire, el e se sentait comme purifiée, profondément transformée. Comment en aurait-il été autrement ? Jusqu'à présent, el e avait toujours envisagé le fait de faire l'amour comme une forme d'occupation plaisante entre deux adultes consentants, quelque chose de détendant, comme un bon repas ou une légère ivresse... Mais el e venait brusquement de découvrir une dimension inconnue de cet acte. Jonah avait éveil é en el e des sensations qui lui étaient inconnues et dont la puissance la fascinait et la terrifiait tout à la fois. Rien dans leur étreinte ne pouvait être qualifié de «plaisant» ou «d'apaisant». Il s'agissait au contraire de l'expérience la plus intense qu'el e ait jamais vécue. Quelque chose de sauvage et d'incontrôlable qui l'avait fait sortir d'el e-même. Quelque chose de mystique qui évoquait plus les descriptions de voyage astral qu'el e avait lues sous la plume des chamans ou des médiums. Une transe... Repoussant ces pensées qui la mettaient vaguement mal à l'aise, Al y se força à observer la pièce dans laquel e el e se trouvait. Une fois de plus, Jonah n'avait pas regardé à la dépense. Un bassin immense trônait dans un coin, ressemblant plus à un jacuzzi qu'à une baignoire. Cette vision était des plus tentantes mais el e eut peur que Blackhawk ne décide brusquement de la rejoindre. Et el e n'était pas certaine de survivre à un troisième assaut... Détournant les yeux, el e avisa un lavabo, noir comme chacun des meubles de la pièce. Il était immaculé et, nul e part, el e ne vit de signe que quelqu'un utilisait régulièrement cette sal e de bains. Brusquement, el e eut envie de fouil er les armoires pour en apprendre plus sur Jonah. Quel e mousse à raser utilisait-il ? Quel parfum ? Quel dentifrice ? Pourtant, un reste de pudeur la retint. Il était hors de question de se conduire comme une adolescente romantique alors qu'il pouvait entrer à tout instant. Se dirigeant vers la glace qui surmontait le lavabo, el e se contempla longuement, cherchant sur son visage des traces de ce qui venait de se passer. Ses yeux paraissaient comme voilés et sa bouche était légèrement tuméfiée par les baisers dévorants qu'ils avaient échangés. Ses cheveux blonds étaient emmêlés et, sur sa peau, el e distingua une trace de morsure bleutée au niveau de son épaule droite. Comment Jonah la voyait-il ? se demanda-t-el e. Il paraissait toujours si maîtrisé, si distant... Pourtant, il la désirait. Il le lui avait prouvé de façon plus que convaincante. Mais était-ce tout ? Ou bien se mêlait-il à cette attraction d'autres sentiments ? Probablement pas, songea-t-el e. Par deux fois, après qu'ils avaient fait l'amour, el e l'avait senti se replier sur lui-même, se renfermer dans cette tour d'ivoire qu'il ne quittait que si rarement. C'était comme s'il avait peur de s'impliquer, peur de se laisser al er à ce qu'il ressentait. À moins qu'il ne s'agisse d'une forme de contrôle de soi absolu. Aucune de ces deux possibilités ne lui souriait particulièrement. Pourtant, el e n'avait aucunement le droit de se plaindre. C'était entièrement sa faute si Jonah avait fini par coucher avec el e. El e l'avait honteusement séduit, ne lui laissant aucune chance de la repousser, malgré les efforts héroïques qu'il avait déployés. De quel droit aurait-el e exigé de lui des sentiments qu'el e-même n'était pas encore certaine d'éprouver ? C'était un comportement aussi stupide que typiquement féminin. — Et alors ? s'exclama-t-el e pour el e-même. Je suis une femme, non ? Gagnant la vaste cabine de douche, el e fit couler un jet d'eau brûlant et s'abandonna à ce contact rassérénant. El e décida de ne pas laisser à Jonah une seule chance de la repousser. L'intensité de ce qu'el e avait ressenti avec lui était bien trop grande pour qu'el e y renonce aussi facilement. Et s'il essayait de lui faire comprendre que cela n'avait été que l'affaire d'une nuit, il trouverait à qui parler ! El e attendait beaucoup plus d'une relation amoureuse. Et el e parviendrait bien à le convaincre que l'affection était au moins aussi importante dans un couple que la simple satisfaction des sens. Une idée terrifiante interrompit brusquement le cheminement de ses pensées. En réfléchissant de la sorte, n'était-el e pas en train de se conduire exactement comme Dennis ? Avait-el e le droit d'exiger ce que quelqu'un n'avait pas envie de lui donner ? Certainement pas... Et, si el e ne voulait pas trahir ses plus intimes convictions, il valait sans doute mieux pour el e relativiser ce qui venait de se passer. Après tout, el e avait el e-même fixé les règles du jeu, ne présentant les choses que sous un angle purement sexuel. Jamais il n'avait été question d'engagement. En fait, el e n'avait même pas clairement dit à Jonah qu'el e voulait sortir avec lui, juste qu'el e le désirait physiquement. Et si el e laissait à présent ses sentiments peser dans la balance, cela ne regardait qu'el e. D'ail eurs, connaissant Jonah, el e savait qu'il fuirait à toutes jambes à la moindre ébauche de chantage affectif. Satisfaite de cette conclusion, la jeune femme quitta la douche pour se trouver nez à nez avec Jonah qui lui tendit une serviette. Réprimant un sursaut, el e s'efforça de ne pas prêter attention à sa nudité. — La plupart des gens chantent dans leur douche, remarqua-t-il. Tu es la première personne que j'entends se parler à haute voix. — Je ne me parlais pas, protesta-t-el e en rougissant, se demandant avec angoisse ce qu'il avait pu entendre. — C'est vrai. Il s'agissait plutôt de marmonnements inintel igibles, admit-il à son grand soulagement. — En tout cas, la plupart des gens frappent avant d'entrer dans une sal e de bains, rétorqua-t-el e vivement. — C'est ce que j'ai fait mais tu ne m'as pas entendu puisque tu te parlais... Je me suis dit que tu aurais besoin de ça, ajouta-t-il en lui tendant un peignoir de soie. — Merci, répondit-el e en tenant sa serviette pudiquement nouée pour couvrir sa poitrine. — Le dîner sera prêt dans une minute. J'ai enlevé ton arme de service que tu avais laissée sur le bureau et je l'ai mise dans la chambre. J'ai aussi demandé à ce que l'on dépose le plateau sur le bureau sans nous déranger, ajouta Jonah en caressant doucement l'omoplate de la jeune femme. El e avisa alors le désir qui renaissait en lui et il secoua la tête, paraissant sincèrement désolé. — Je ne devrais pas avoir encore envie de toi après tout ce que nous venons de faire mais c'est plus fort que moi. — Ce n'est pas si grave, murmura Al y en relâchant son étreinte sur la serviette qui tomba à ses pieds. Très doucement, el e caressa son torse et laissa sa main descendre jusqu'à ce qu'el e se pose sur son sexe qui se dressait fièrement. Jonah émit une sorte de gémissement étouffé et caressa l'un de ses seins, ravivant instantanément la flamme de la jeune femme. Tous deux se buvaient du regard. — Dis-moi que toi aussi tu me désires, murmura Jonah. El e avança d'un pas et se nicha dans ses bras, sentant une étrange émotion l'envahir. — Je n'ai jamais désiré personne comme je te désire, avoua-t-el e. Je veux que tu me fasses encore l'amour. — Al ison, souffla Jonah en posant son front contre celui de sa partenaire. Je n'arrive plus à penser à quoi que ce soit à part toi... Dans sa voix, par-delà le besoin qu'il avait d'el e, el e perçut une note de désespoir qu'el e ne comprit pas. Mais, avant qu'el e n'ait eu le temps de lui poser la moindre question, il la souleva pour l'emmener vers la chambre. * ** — Je dois dire que la cuisine de ton club est excel ente, commenta Al y en dévorant à bel es dents le plat qu'el e avait devant el e. La plupart des bars servent des menus médiocres mais toi, tu n'as pas lésiné sur la chose. Amusé, Jonah lui proposa un verre de vin qu'el e refusa d'un signe de tête. — Je ne peux pas, je conduis. — Eh bien, tu n'as qu'à boire et rester, suggéra-t-il, brisant une autre de ses règles. Après tout, il n'en était plus à cela près. En une soirée, il avait anéanti le code de conduite qu'il s'était efforcé de respecter durant des années. — Je le ferais si je le pouvais, avoua-t-el e. Mais il faut que je rentre chez moi pour me changer, je commence à 8 heures et je ne peux décemment pas me présenter avec les habits que je portais ce soir, ajouta-t-el e en désignant leurs vêtements roulés en boule abandonnés un peu partout dans la pièce. Après ce que tu as fait à mon chemisier, je vais même devoir t'emprunter une de tes chemises. Jonah hocha la tête et porta son propre verre de vin à ses lèvres. — Demande-moi de revenir demain et de rester, reprit-el e. Il la regarda attentivement, comme s'il cherchait à lire en el e et sourit. — Reviens demain et reste toute la nuit, répéta-t-il. — D'accord. Oh ! Regarde ça ! s'exclama-t-el e en désignant l'écran géant sur lequel était diffusée la retransmission d'un match de base-bal qu'ils regardaient d'un oeil distrait. Il a réussi à atteindre la dernière base ! — Non, il lui manquait un demi-pas, corrigea Jonah, amusé par son enthousiasme presque enfantin. — N'importe quoi ! Ils ont touché la base exactement au même moment. Dans ce cas-là, c'est le batteur qui marque. Tiens, tu vois ? Jonah hocha la tête sans chercher à discuter. Jamais il ne s'était senti aussi bien de sa vie. Et Al y paraissait être du même avis. — Du sexe, un bon repas et un match de base-bal sur écran géant, soupira-t-el e. Que demander de plus ? — Rien. En fait, je crois que cela correspond à ma vision du paradis... — Eh bien, puisque nous sommes au paradis, puis-je te poser une question capitale ? — Bien sûr. — Est-ce que tu comptes finir tes frites ? Jonah secoua la tête et les lui tendit, la regardant manger avec un insatiable appétit. C'est alors que le téléphone sonna. Décrochant, il écouta quelques instants puis tendit le combiné à Al y. — C'est pour toi. — J'ai laissé ton numéro au cas où l'on voudrait me joindre d'urgence, expliqua-t-el e. Fletcher, j'écoute... Brusquement, el e pâlit et se redressa sur le canapé. — Quoi ? s'exclama-t-el e. Quelques instants s'écoulèrent avant qu'el e ne raccroche. — Ils ont retrouvé Jan, dit-el e. — Où est-el e ? — En route pour la morgue. Je dois absolument y al er. — Je viens avec toi. — Ce n'est pas la peine... — El e travail ait pour moi, répondit simplement Jonah qui commençait déjà à enfiler ses vêtements. Jonah avait vu son compte d'horreur, du temps où il traînait encore dans les rues de Denver. En fait, à quinze ans, il croyait même avoir tout vu. Mais il découvrait aujourd'hui une nouvel e facette de la mort qui ne lui était pas familière. Ici, il ne s'agissait pas des cadavres sanglants des victimes de combats de rue. Ni des corps déchiquetés par les rafales de mitrail ettes après les règlements de compte des gangs. Non. C'était une succession de couloirs glacés et aseptisés, des rangées de tiroirs où des centaines d'anonymes reposaient, prêts à être disséqués pour les besoins de la police. Il y avait dans cette froideur quelque chose de plus terrifiant encore que la mort el e-même. Un infirmier les conduisit jusqu'à l'un de ces tiroirs qu'il ouvrit, révélant le visage de Jan. Jonah sentit une brusque vague de pitié le submerger. — Je vais devoir te demander de signer le formulaire d'identification, murmura Al y tandis que l'infirmier refermait le tiroir. Je pourrais le faire moi-même mais ce sera plus simple si c'est toi qui la reconnais officiel ement puisqu'el e travail ait pour toi. Jonah hocha la tête et signa le papier que lui tendit Al y. Puis tous deux regagnèrent le hal d'entrée. — Je vais al er discuter avec le médecin légiste, expliqua-t-el e. Je ne sais pas pour combien de temps j'en aurai... — Je t'attends. — Merci. Il y a du café dans la sal e d'attente, au bout de ce couloir. Il est dégoûtant mais il est chaud et fort. Si jamais tu changes d'avis, n'hésite pas à rentrer. Prends ma voiture et je demanderai à une patrouil e de me ramener. — Je serai là, promit Jonah. Al y ne fut pas longue. Lorsqu'el e ressortit, Jonah l'attendait toujours, une tasse de café à moitié vide à la main. El e le rejoignit à grands pas, heureuse qu'il soit resté. — Comment est-el e morte ? demanda-t-il en se levant. Al y hésita un instant, songeant qu'el e n'avait théoriquement pas le droit de le lui dire. — Al ons, insista-t-il, qu'est-ce que cela change ? Ne me dis pas que tu es aussi à cheval sur la procédure. — El e a été poignardée, répondit enfin la jeune femme. Plusieurs coups avec une lame longue et dentelée. Son corps a ensuite été abandonné au bord de l'autoroute 85 à quelques kilomètres seulement de Denver. Lyle a laissé son sac à main pour être certain que nous l'identifierions rapidement. — Tu dis tout cela si froidement, remarqua Jonah. On dirait que tout cela n'est qu'une sorte de puzzle pour toi. Al y prit une profonde inspiration, se forçant à ne pas répliquer. El e savait que la mort de Jan leur avait causé un véritable choc à tous deux et il n'aurait servi à rien de se disputer à ce sujet. — Nous ferions mieux de sortir, déclara-t-el e en l'entraînant vers le parking. Lorsqu'ils parvinrent sous le porche de l'hôpital, el e laissa l'air frais de la nuit calmer sa colère et sa frustration. — Apparemment, reprit-el e, Lyle l'a tuée dans un accès de rage. — Et où est la tienne ? insista Jonah, révolté. Est-ce que tu ne te sens pas furieuse contre lui ? — Arrête de me crier dessus, répondit-el e sèchement. Alors qu'el e faisait mine de s'éloigner, Jonah la saisit par le bras, la forçant à se retourner pour lui faire face. — Tu veux vraiment savoir si je suis en colère ? cracha-t-el e. Eh bien, écoute, d'après les estimations concernant l'heure de la mort, el e a dû se faire poignarder pendant que nous étions tranquil ement en train de baiser dans ton appartement. Crois-tu vraiment que ce soit une pensée qui me réconforte ? — Je suis désolé, murmura Jonah. El e haussa les épaules et tenta de se dégager mais il la prit dans ses bras et la serra contre lui. — Je suis désolé, répéta-t-il en couvrant ses cheveux de baisers. Je n'aurais pas dû dire cela... Je sais très bien que nous n'aurions rien pu faire pour l'aider. Personne ne le pouvait. — C'est vrai, reconnut Al y, la mort dans l'âme. Mais deux personnes sont mortes à cause de Lyle. Et je dois le retrouver avant qu'il ne fasse d'autres victimes. C'est pour cette raison que je ne peux me permettre aucune faiblesse. Et la colère en est une pour un policier. Est-ce que tu peux seulement le comprendre ? — Oui, souffla Jonah en caressant doucement sa nuque. Ils restèrent ainsi enlacés durant de longues minutes, se réconfortant l'un l'autre. — J'aimerais dormir avec toi, cette nuit, dit enfin Jonah. — Moi aussi, répondit Al y, rassérénée par la tendresse qu'el e percevait dans sa voix. Ils se séparèrent et gagnèrent la voiture de la jeune femme. Tandis que Jonah la contournait pour s'instal er sur le siège passager, Al y s'assit au volant. — Je vais devoir me lever tôt, demain, remarqua-t-el e en démarrant. — Moi, non. — Dans ce cas, tu seras chargé de faire le lit et la vaissel e du petit déjeuner. C'est à prendre ou à laisser. — Est-ce que cela signifie que tu te chargeras du café ? — Oui. — Dans ce cas, je suis d'accord. Ils restèrent silencieux durant tout le trajet, plongés dans leurs pensées. — Je vais avoir une dure journée, demain, déclara Al y lorsqu'el e s'engagea enfin dans le parking souterrain de son immeuble. Cela ne t'embête pas si j'arrive un peu tard chez toi ? — Non, pas du tout, répondit Jonah avant de sortir pour ouvrir la portière de la jeune femme. — Quel e galanterie ! s'exclama-t-el e, moqueuse. Tu as pris des cours de charme ? — Oui. J'étais premier de la classe, répondit-il en appelant l'ascenseur. Évidemment, certaines femmes peu sûres d'el es-mêmes se sentent dévalorisées par la galanterie d'un homme qui tire leur chaise ou leur ouvre les portes. Mais je te fais confiance, tu es assez assurée pour le supporter sans t'en sentir blessée au plus profond de ta féminité. — Naturel ement, répondit-el e en riant. Il lui prit la main et el e secoua la tête. — Tu es vraiment un drôle de personnage, Jonah. Chaque fois que je crois te cerner, je découvre un aspect inattendu de ta personnalité qui paraît complètement antithétique des autres. Mais j'avoue que cela me plaît plutôt. — Ravi de vous satisfaire, mademoisel e. — Dis-moi, tu jouais au base-bal , autrefois, n'est-ce pas ? — Oui. C'est grâce à cela - et à ton père, bien sûr - que j'ai pu entrer à l'université. — Moi, je faisais surtout du basket-bal . Est-ce que tu sais y jouer ? — Un peu. Je ne suis pas un spécialiste. — Ça te dirait de faire quelques paniers, dimanche ? — Pourquoi pas ? À quel e heure ? — Eh bien, disons deux heures... Nous pourrions al er... Comme les portes de l'ascenseur s'ouvraient à son étage, la jeune femme s'interrompit brusquement et sortit son arme. — Recule-toi ! ordonna-t-el e. Et surtout, ne touche à rien ! Stupéfait, Jonah chercha ce qui pouvait déclencher une tel e réaction. Puis il avisa les marques d'effraction sur la porte de la jeune femme. Quelqu'un l'avait forcée. À pas de loup, el e s'avança dans cette direction et décocha un violent coup de pied dans le battant, dévoilant le couloir qui menait dans le salon. Al umant la lumière, el e s'avança, avant de s'apercevoir que Jonah l'avait suivie. — Je t'avais dit de rester où tu étais ! Tu es fou ou quoi ? — L'une des choses que j'ai apprises à mes cours de charme, c'est de ne jamais utiliser une femme comme bouclier. — Il se trouve que, dans ce cas, c'est la femme qui possède un badge de la police et tient un Colt 45, s'exclama-t-el e. — C'est vrai. Mais, si tu veux mon avis, nous nous disputons pour rien. Je crois que le cambrioleur est parti depuis longtemps. Al y hocha la tête mais tint bon, el e ne comptait pas lui faire courir le moindre risque. — Dans ce cas, je n'ai rien à craindre. Alors reste là et laisse-moi inspecter les lieux. Puis el e commença à inspecter l'appartement. Jonah l'attendit sagement et, au bout de quelques instants, el e revint et décrocha le téléphone pour appeler la police. — Ici Fletcher. Je voudrais que vous m'envoyiez une équipe scientifique au plus vite. Il s'agit d'une effraction à mon domicile. El e raccrocha et se tourna vers Jonah, rengainant enfin son arme. Ce dernier contemplait le salon entièrement dévasté. L'intrus n'avait rien épargné. La chaîne hi-fi avait été réduite en miette, les étagères renversées, des livres déchirés, l'ordinateur démembré... Quelqu'un avait déployé une énergie formidable pour détruire systématiquement tout ce qui pouvait l'être. Le canapé lui-même avait été éventré, répandant sur le sol des flots de mousse qui étaient imbibées d'alcool provenant des bouteil es de whisky brisées qui avaient constitué la réserve d'Al y. Seul le plafonnier était encore en état de marche, jetant une lumière lugubre sur ce champ de ruines. — C'est une surprise de ton ami Dennis ? demanda-t-il. — Je ne pense pas. Je crois que nous venons de découvrir pourquoi Lyle se trouvait dans le sud de Denver. Viens voir. Jonah suivit la jeune femme jusque dans sa chambre qui n'avait pas été épargnée, l'armoire avait été vidée, ses habits réduits en lambeaux. On avait même répandu un flot de peinture rouge sur le lit et une phrase écarlate était écrite sur l'un des murs : «Fais de beaux rêves.» — Je ne sais pas comment il a fait mais Lyle a découvert que c'est moi qui ai tué sa soeur, déclara Al y. — Ce doit être Jan qui lui a dit que tu étais l'inspecteur chargé de l'enquête. El e a dû te voir entraîner les Barnes dans mon bureau pour leur parler. Ensuite, ils sont revenus, nerveux et agités. El e a certainement trouvé cela étrange et a appelé Fricks. Après votre intervention, el e a dû comprendre quel était ton rôle dans cette histoire. — Peut-être, concéda Al y. El e a également dû remarquer que je m'étais éclipsée peu après avoir parlé aux Barnes... Quittant la chambre, Al y se dirigea vers la cuisine pour constater l'ampleur des dégâts. Mais la pièce était intacte. — Apparemment, il n'a pas dû juger nécessaire de détruire ma vaissel e, constata-t-el e avec un sourire ironique qui se figea aussitôt. Mon Dieu..., murmura-t-el e en se dirigeant vers le plan de travail. — Qu'y a-t-il ? demanda Jonah, alarmé. — Mon couteau à pain, expliqua-t-el e d'une voix blanche en désignant le râtelier dont l'un des portants était vide. Une lame longue et dentelée... Jonah, il l'a tuée avec mon propre couteau à pain ! Ce n'est qu'alors que tous deux remarquèrent la tache sombre qui maculait le carrelage dans un coin de la pièce... Chapitre 9 Al y refusait de se laisser impressionner par la mise en scène de Lyle. En s'attaquant à son appartement, il avait cherché à lui faire peur. En utilisant l'un de ses couteaux pour assassiner Jan, il espérait qu'el e se sentirait coupable. Mais el e ne pouvait se laisser al er à de tels états d'âme. El e savait combien cela se serait révélé néfaste pour le bon déroulement de l'enquête. L'angoisse et la colère obscurciraient son jugement, l'empêchant de se conduire en policier. Car, comme le lui avait souvent répété Kiniki, son rôle était de se mettre dans la peau du meurtrier et non dans cel e de la victime. Si désagréable que cela soit dans le cas de Lyle... Lorsque l'équipe de la police scientifique quitta l'appartement, la jeune femme considéra d'un oeil désolé le salon dévasté. Et quand Jonah lui proposa de s'instal er chez lui en attendant la fin de l'enquête, el e accepta avec reconnaissance. El e n'avait pas la force de remettre les lieux en état et, de toute façon, il faudrait certainement plusieurs jours pour le faire. Bien sûr, emménager avec Jonah constituait un pas de géant dans leur relation et il était douteux qu'ils eussent pris une tel e décision en d'autres circonstances. Mais, étant donné la situation, c'était probablement la chose la plus raisonnable à faire. El e rassembla donc les affaires dont el e aurait besoin et tous deux regagnèrent le club à présent fermé pour s'accorder une nuit de repos plus que méritée. Ils dormirent serrés l'un contre l'autre, heureux d'avoir quelqu'un avec qui partager ces heures sombres. Le lendemain matin, Al y se rendit directement au commissariat où Kiniki l'attendait. — Nous avons doublé la garde devant la chambre de Fricks, indiqua-t-il après avoir écouté le rapport de la jeune femme. Lyle n'a plus aucune chance d'arriver jusqu'à lui sans être pris. — Oh, il est bien trop malin pour essayer, répondit Al y. À mon avis, il attendra que notre surveil ance se relâche, ce qui finira certainement par se produire. Alors, il réglera son compte à Fricks en profitant probablement d'un transfert de prisonnier... Al y jeta un regard pensif à travers la vitre dépolie du bureau de son supérieur. Derrière, on devinait les silhouettes des policiers qui s'activaient dans la sal e principale. Le bourdonnement de leurs voix lui parvenait, parfois interrompu par une exclamation ou un éclat de rire. Au fond, songea-t-el e, la vie continuait. L'affaire sur laquel e el e travail ait n'était que l'une des centaines qu'ils traitaient chaque année. Pourtant, cel e-ci resterait probablement pour la jeune femme cel e qui lui aurait le plus appris... — Jan Norton était une proie facile, ajouta-t-el e en se tournant de nouveau vers Kiniki. Pour el e, tout ceci n'était qu'une aventure captivante, un moyen d'échapper à la grise réalité quotidienne. El e devait se croire en parfaite sécurité avec Lyle, sans réaliser que ce type est un véritable sociopathe. L'un des voisins que j'ai interrogés m'a dit qu'il les avait vus dans l'immeuble, se tenant par la main. El e a dû l'aider à mettre mon appartement à sac. Ensuite, Lyle a probablement estimé qu'el e ne lui servait plus à rien et ne ferait que rendre sa cavale dangereuse. Et il ne voulait pas prendre le risque de la laisser se faire prendre et interroger. Alors il l'a tuée de sang-froid. La jeune femme haussa les épaules, el e pouvait aisément imaginer la scène et se l'était jouée au moins une centaine de fois dans sa tête aux petites heures du matin, alors que Jonah dormait auprès d'el e et qu'el e-même cherchait vainement à retrouver le sommeil. — Ce type est froid et calculateur, reprit-el e. Chacun de ses actes est soigneusement pensé avant d'être exécuté. Mais il a une fail e, tout me pousse à croire qu'il a une aversion poussée pour les riches et les puissants. En analysant son casier judiciaire, j'ai constaté que la plupart des délits dont il s'est rendu responsable, qu'il s'agisse de piratage informatique ou de cambriolages, concernent des gens fortunés. Il a même été renvoyé de l'entreprise d'informatique dans laquel e il travail ait pour s'en être pris à ses supérieurs hiérarchiques. Kiniki hocha la tête, apparemment convaincu par ses déductions. — La fortune et l'autorité, reprit-el e posément. Ce sont deux choses qui paraissent agacer Lyle au plus haut point. Il éprouve un besoin compulsif de faire payer aux gens fortunés et puissants le fait que lui-même n'ait jamais réussi à être des leurs. Il doit penser qu'étant au moins aussi intel igent qu'eux, il mériterait de se trouver à leur place... Al y se rappela ce qu'el e avait lu dans le dossier de Matthews et poursuivit : — Il a grandi dans une famil e modeste. Ses parents n'étaient pas pauvres mais ils ne gagnaient pas assez d'argent pour vivre confortablement. Son père a traversé plusieurs périodes de chômage prolongé, passant souvent d'un emploi à un autre le reste du temps. Puis sa mère a dû se lasser de cette situation et s'est remariée. Le beau-père de Lyle le détestait, c'était un homme arrogant et dominateur, traits qu'il a apparemment transmis à son beau-fils. La plupart de ses anciens col aborateurs disent qu'il est remarquablement intel igent et qu'il possède un talent inné en matière de technologie. Par contre, tous s'accordent à reconnaître qu'il n'a aucun don pour les contacts humains. Il est arrogant, agressif et solitaire. D'après son dossier, la seule personne qui soit restée proche de lui au cours des années était sa soeur... Al y soupira, revoyant la jeune femme au clair de lune, un revolver à la main. Malgré el e, une pointe de culpabilité l'envahit et el e dut se forcer à hausser les épaules. — Sa soeur jouait de ses faiblesses tout en flattant son ego. D'une certaine façon, ils étaient complémentaires... Maintenant qu'el e est morte, Lyle doit avoir l'impression qu'on lui a arraché une partie de lui-même. — À ton avis, où peut-il être, à l'heure actuel e ? — Pas très loin... Il n'en a pas encore fini avec moi. Et il voudra probablement se venger de Blackhawk et des Barnes ensuite. — Je suis d'accord avec toi, acquiesça Kiniki. D'ail eurs, j'ai demandé à ce que l'on surveil e M. et Mme Barnes en permanence. Reste à savoir ce que nous al ons faire dans ton cas et celui de Blackhawk... — Je ne compte prendre aucun risque inutile, répondit Al y. Mais je dois continuer à faire semblant d'agir comme si de rien n'était. Si je demande une protection ou si j'arrête de sortir de chez moi, Lyle risque de disparaître pour attendre son heure. Il a mon nom, mon adresse et probablement des photographies qu'il a trouvées chez moi. Pour lui, rien ne presse, il doit même prendre plaisir à me faire peur. D'ail eurs, je ne crois pas que je serai sa première cible... — Tu penses qu'il s'attaquera d'abord à Blackhawk ? — Oui. Parce que c'est un homme. Mais une chose est certaine, Jonah refusera toute protection policière, soupira la jeune femme. — Nous pouvons toujours lui col er deux hommes qui le surveil eront à distance. — Oui, mais il les remarquera, même s'ils gardent leurs distances. Il repère les flics à des kilomètres... Et s'il les voit, il fera tout pour les semer. C'est une question de principes chez lui. Moi, par contre, je suis assez proche de lui pour le garder à l'oeil. — Cela risque de t'empêcher de poursuivre l'enquête, objecta Kiniki. — Je ne crois pas. Si Lyle sait que Blackhawk et moi sommes ensemble, il décidera certainement de faire d'une pierre deux coups. Alors, je pourrai le coffrer tout en assurant la sécurité de Jonah. — C'est une tactique risquée mais je suppose qu'el e a effectivement des chances de fonctionner. Par contre, il y a une chose que je ne comprends pas. Comment Lyle a-t-il su que c'était toi qui avais tué sa soeur ? — Nous ne sommes pas encore certains qu'il le sache, remarqua Al y. Par contre, Jan a dû lui dire que je travail ais au Blackhawk sous couverture et il en a probablement déduit que c'est moi qui supervisais l'opération. — Exact... Bien, je vais donc mettre deux hommes sur le dos de Blackhawk durant les soixante-douze prochaines heures. S'il ne s'est rien produit d'ici là, nous aviserons. En ce qui concerne Dennis Overton, à présent, tu dois savoir que nous avons retrouvé ses empreintes sur les jantes de ta voiture. En fouil ant sa voiture, nous avons découvert un couteau de chasse dont il a fait l'acquisition récemment. La lame correspond aux marques sur les pneus. Nous en avons référé au bureau du procureur qui l'a mis à pied. Mais ils ont besoin que tu portes plainte pour justifier son licenciement. — Mais... — Cette fois, je n'admettrai pas de refus, l'interrompit Kiniki. Si tu ne portes pas plainte, il s'en tirera sans un avertissement et avec de juteuses indemnisations. Par contre, si tu le fais, le procureur demandera un examen psychiatrique. De cette façon, Dennis pourra être soigné correctement et apprendre à dominer son caractère obsessionnel. Et nous éviterons probablement à une pauvre fil e de faire l'objet d'une nouvel e fixation. — Très bien, soupira Al y. Je m'en occupe... — Fais-le dès maintenant. Tu as déjà un fou aux trousses et je pense qu'il vaut mieux éviter que Dennis ne te complique la vie. Al y hocha la tête et Kiniki lui fit signe qu'el e pouvait disposer. Déprimée à l'idée de remplir une plainte contre son ex-petit-ami, el e regagna son bureau et se laissa tomber sur son fauteuil. Bien sûr, son supérieur avait raison, el e ne pouvait laisser passer une attitude tel e que cel e de Dennis. Mais rien ne parviendrait à la convaincre qu'el e-même n'avait pas sa part de responsabilité dans cette histoire. Jamais el e n'avait su voir que quelque chose n'al ait pas chez lui. Jamais el e n'avait été assez attentive pour comprendre que ses sautes d'humeur trahissaient plus qu'un simple défaut de caractère. Et la désinvolture dont el e avait fait preuve à son égard n'avait fait qu'empirer les choses. Dennis avait fini par perdre complètement les pédales. — Alors, Fletcher ? On a des problèmes ? demanda Hickman qui venait de pénétrer dans la pièce. S'approchant d'el e, il s'assit sur le bord de son bureau, la regardant avec sympathie. — Le patron te fait des misères ? — Non, soupira Al y. Mais je dois rédiger une plainte et cela ne me plaît guère... — Bizarre. Moi c'est ce que je préfère... — Sans doute parce que tu es un véritable pervers... — J'adore quand tu me flattes comme cela. — D'accord, fit la jeune femme en souriant malgré el e. Si je te dis que tu n'es qu'un dégénéré dont le QI avoisine celui d'une amibe protoplasmique, est-ce que tu accepterais de me rendre un service ? — Tout ce que tu veux, bébé. Tu n'as qu'à demander. — Eh bien... Je dois rédiger une plainte contre Dennis Overton. Et j'aimerais que ce soit toi qui te charges de l'interpel ation. Il te connaît et je pense que ce sera plus facile pour lui si c'est toi qui le fais. — D'accord, Al y. Mais si c'est pour lui que tu te mets dans tous tes états, ce n'est vraiment pas la peine. Ce type est un bouffon. — Je sais, acquiesça-t-el e tandis que Hickman se dirigeait vers la porte du bureau. Mais je ne peux pas m'en empêcher... Deux heures plus tard, Al y se rendit dans le bureau de son père. Lorsqu'il la vit entrer, il se leva pour venir la serrer dans ses bras sans dire un mot. — C'est bon de te voir, fit-il enfin en s'efforçant de dissimuler le soulagement qu'il éprouvait en sa présence. Al y prit place dans l'un des fauteuils tandis que son père leur servait deux cafés. — Tu sais que ta mère s'inquiète beaucoup pour toi, après tout ce qui s'est passé, dit-il. — Je m'en doute. Je suis désolée que ce soit le cas... Mais, étant donné l'évolution de l'enquête, je n'ai guère d'autre choix que de m'exposer un minimum pour faire sortir Lyle de sa cachette. Je crois qu'il ne tardera pas à passer à l'action. Il n'a plus personne, désormais. Or tout indique qu'il a besoin de quelqu'un pour l'admirer et flatter son ego. S'il est seul, s'il n'a plus personne avec qui jouer, il va craquer. — Je suis d'accord. Et je pense qu'il va reporter sa frustration sur la première personne qu'il pourra rendre responsable de ses malheurs, en l'occurrence, toi. — C'est vrai. Il a déjà fait le premier pas en entrant chez moi par effraction. Mais, ce faisant, il s'est exposé. Il n'a même pas pensé à mettre des gants et ses empreintes digitales sont partout dans la maison. Le chagrin et la colère le rendent imprudent. — Et d'autant plus imprévisible. Alors pourquoi te promènes-tu toute seule ? — Il ne m'attaquera pas pendant la journée. C'est un prédateur nocturne. Je te promets que je ne prends pas plus de risques qu'il n'est vraiment nécessaire, papa. D'ail eurs, je voulais également te dire que j'avais porté plainte contre Dennis. — Très bien. Ce n'est pas le moment pour toi d'être distraite par le harcèlement de ce clown. Je suis passé chez toi, ce matin, et j'ai pu constater de mes propres yeux que tu avais déjà suffisamment d'ennuis avec Lyle. — Oui. Je pense qu'il va me fal oir envisager de réaménager en profondeur, approuva-t-el e avec un petit sourire. — En attendant, tu ne peux pas rester là-bas. Reviens vivre à la maison le temps que tu aies mis la main sur Lyle... — C'est gentil mais j'ai déjà pris mes dispositions, répondit la jeune femme, comprenant qu'ils en venaient à la partie la plus délicate de leur entrevue. Portant la tasse de café à ses lèvres, el e but, se demandant pour la centième fois ce que son père penserait de sa liaison. — Je resterai chez Jonah, ajouta-t-el e enfin. — Mais tu ne vas tout de même pas camper dans le club en attendant que... Il s'interrompit brusquement, lisant dans les yeux de sa fil e la vérité qu'il avait jusqu'ici refusé de considérer. — Oh..., fit-il simplement. Il passa nerveusement la main dans ses cheveux. — Je couche avec lui, précisa Al y. — Bien, je... Je suppose que tu es une adulte responsable, commença-t-il avant de se taire de nouveau. Et merde... — Qu'y a-t-il ? Tu ne m'as jamais dit que du bien de lui... — Oui, évidemment. Ce n'est pas cela... C'est juste qu'il est un homme et que tu es ma fil e. C'est ça, souris ! J'ai quand même le droit de réagir en père, non ? — Évidemment. Mais... Ce n'est pas la première fois que je sors avec un garçon, tu sais... — Hélas, oui, je le sais. Mais Blackhawk ! Je suppose que c'est parce que je le connais depuis si longtemps que cela me semble... bizarre. — J'aimerais beaucoup l'amener au barbecue que tu organises ce week-end, tu sais... — Propose-le-lui. Mais, à mon avis, il ne viendra pas. — Oh, si, répondit Al y avec un sourire confiant. Cette fois, il viendra. La jeune femme passa la majeure partie de la journée à s'occuper de deux autres enquêtes dont el e avait la charge. Il s'agissait d'un cas de harcèlement sexuel qu'el e régla dans la journée et d'une attaque à main armée dans une épicerie dont on ne retrouverait probablement pas les coupables de sitôt. Il était près de 8 heures lorsqu'el e se gara enfin sur le parking qui faisait face au club de Jonah. Tandis qu'el e se dirigeait vers l'entrée, el e repéra la voiture de patrouil e banalisée que Kiniki avait envoyée pour surveil er l'endroit. À n'en pas douter, Blackhawk avait dû la remarquer lui aussi, songea-t-el e avec une pointe d'amusement. Pénétrant dans le bar, el e avisa aussitôt Hickman qui se tenait au comptoir, le visage décoré d'un formidable oeil au beurre noir. À grands pas, el e le rejoignit, l'observant avec curiosité, Hickman n'était pourtant pas le genre d'homme à se laisser taper dessus... — C'est un petit souvenir de ton grand ami Dennis Overton, expliqua-t-il, lisant la question muette dans les yeux d'Al y. — Tu veux dire qu'il a résisté à l'arrestation ? s'exclama-t-el e, sidérée. — Il a commencé par s'enfuir à toutes jambes, déclara Hickman en tendant son verre à Franny pour qu'el e le remplisse. J'ai dû le courser sur près d'un kilomètre. Mais avant que j'aie pu lui passer les menottes, il m'a décoché un coup de coude en plein visage. Et il est inutile de te moquer de moi, nos col ègues ne se sont pas gênés pour le faire et je crois que je ne pourrai plus encaisser un seul sarcasme de plus ! — Je suis désolée, répondit Al y en déposant un léger baiser sur la joue de Hickman. Merci de t'en être occupé pour moi. Je te revaudrai ça. Du coin de l'oeil, el e vit Jonah qui descendait les escaliers, observant avec une pointe d'ironie le visage de Hickman. Puis il se dirigea vers Wil et s'entretint avec lui durant quelques instants tandis qu'Al y commandait une bière. — Je n'aurais jamais cru que ce type pouvait courir si vite, reprit Hickman en soupirant. Et lorsque j'ai enfin réussi à le maîtriser, il s'est mis à gigoter dans tous les sens, se tordant sur le sol comme une carpe et pleurant toutes les larmes de son corps en s'accusant des pires maux. Je n'ai jamais vu un type aussi fêlé ! — Hélas, ce genre de revirement est une véritable marque de fabrique, chez lui. — Ouais... Eh ben, il aura toute la nuit pour pleurer en cel ule parce que je compte bien rajouter à ta plainte une autre pour résistance aux forces de l'ordre. Franchement, Al y, qu'est-ce que tu as bien pu lui trouver ? — J'avoue que, rétrospectivement, je me le demande moi-même, répondit Al y avant de se tourner vers Franny. Est-ce que tu peux mettre les verres de Hickman sur mon ardoise ? demanda-t-el e. — D'accord. Mais cela va te coûter cher. Apparemment, il est bien parti pour vider le fût de bière. Tous trois éclatèrent de rire tandis que Wil les rejoignait. — C'est la première fois que nous avons des flics ici, commenta-t-il en souriant avant de décocher un coup d'oeil complice à Frannie. Vous voulez un peu de glace pour votre oeil, inspecteur ? — Non, merci, soupira Hickman en se tournant vers le nouveau venu. Vous n'aimez pas les policiers ? — Disons que, depuis cinq ans, je n'ai plus rien contre eux. Mais dites-moi, est-ce que le sergent Maloney travail e toujours à la soixante-troisième ? Il m'a coffré deux fois mais c'est un type plutôt réglo. — Oui, répondit Hickman, visiblement surpris par la franchise de Wil . Il travail e toujours à la brigade des moeurs. — Eh bien, si vous le voyez, saluez-le de ma part et dites-lui que je serais ravi de prendre un verre avec lui, un de ces jours, en souvenir du bon vieux temps. — Je n'y manquerai pas, répondit Hickman en souriant. — Bien. En attendant, le patron m'a demandé de porter deux repas à vos amis dans la Ford, de l'autre côté de la rue. Il a dit qu'ils finiraient par mourir de faim s'ils restaient là toute la nuit à se tourner les pouces. — Je suis certaine qu'ils apprécieront le geste, approuva Al y en riant. — C'est vraiment le moins que nous puissions faire, répondit Wil avec un sourire malicieux avant de disparaître en direction de la cuisine. — J'ai deux ou trois choses à faire, s'excusa Al y auprès d'Hickman. Mets de la glace sur ton oeil, lui conseil a-t-el e avant de gagner la sal e du personnel pour retrouver Beth. — Tu aurais une minute ? — Eh bien, soupira la jeune serveuse, nous sommes vendredi soir et il va y avoir un monde fou. En plus, il nous manque deux serveuses... Al y perçut aussitôt la froideur qui se lisait dans la voix de Beth mais el e refusa de se laisser éconduire de la sorte. — Je ne peux pas attendre ta pause, objecta-t-el e. — De toute façon, je ne sais même pas si je vais pouvoir en prendre une, répondit Beth avec une pointe d'agressivité. — Écoute, j'attendrai que tu aies un instant. Je n'en ai que pour une minute... — Comme tu voudras, répliqua Beth en, s'éloignant. — El e a l'air plutôt à vif, remarqua Wil qui avait entendu la fin de leur échange. — Tu es vraiment partout ! s'exclama Al y qui ne l'avait pas remarqué. — C'est mon métier, tout voir, tout entendre et faire en sorte de mettre de l'huile dans les rouages de cette boîte lorsque c'est nécessaire. En ce qui concerne Beth, je pense qu'el e est plus affectée qu'el e ne veut le dire par la mort de Jan. Après tout, el es travail aient ensemble et c'est Beth qui l'avait formée. — Tu crois qu'el e me considère comme responsable ? — Je ne sais pas. Peut-être en partie... Mais el e finira par admettre que ce n'est pas vraiment ta faute. Après tout, ce n'est pas toi qui as forcé Jan à se mettre en ménage avec ce Lyle... Et el e a trop de respect pour le patron pour penser qu'il puisse se tromper à ce point sur ton compte. Mais dis-moi, le groupe commence à jouer dans une heure. Veux-tu que je te prépare une table ? Il va y avoir un monde fou et, dans quelques minutes, il n'y aura sans doute plus une place de libre... — Non, merci. C'est gentil mais je vais rester au bar avec Hickman. — Si tu changes d'avis, tu n'auras qu'à me faire signe, d'accord ? — D'accord. Et merci pour tout, Wil , ajouta la jeune femme en posant la main sur son épaule. — Il n'y a pas de quoi. Je te l'ai dit, je n'éprouve plus que le plus grand respect pour les flics. Depuis cinq ans, en tout cas... Al y al a s'instal er au bar et discuta avec Hickman jusqu'à ce que les musiciens commencent à jouer. Comme l'avait prédit Wil , le club était bondé et les serveuses ne chômaient pas. Mais l'activité ralentit un peu tandis que les clients écoutaient le groupe et Beth put alors se libérer pour rejoindre Al y. — J'ai dix minutes de pause, lui cria-t-el e pour couvrir la musique. Je peux t'en consacrer cinq. Al y hocha la tête et l'entraîna vers le vestiaire des employés. — Encore des questions, inspecteur Fletcher ? demanda la jeune serveuse en dévisageant Al y d'un air ouvertement méfiant. — Je serai directe avec toi, tu as conscience de ce qui est arrivé à Jan ? — Tout à fait, répondit Beth sans se départir de son agressivité. — J'ai prévenu sa famil e. Ses parents seront à Denver demain et ils voudront probablement récupérer ses affaires. Alors je voudrais récupérer cel es qui se trouvent ici dans son armoire. — Je n'ai pas la combinaison du verrou, objecta Beth. — Moi si. El e l'avait écrite dans son carnet d'adresses. — Dans ce cas, je ne vois pas pourquoi tu aurais besoin de moi, tu n'as qu'à les récupérer toute seule. — Il me faut un témoin. Je vais dresser une liste du contenu du placard et j'aimerais que tu puisses garantir que je n'ai rien oublié et rien rajouté. — C'est donc seulement de cela qu'il s'agit, pour toi ? Une procédure de routine ? — Tu ne comprends pas, plus vite j'en aurai fini avec la routine et plus vite je découvrirai l'homme qui l'a tuée. — El e ne représentait rien pour toi. Nous non plus, d'ail eurs. Tu nous as menti depuis le début... — C'est vrai. Et je ne peux même pas te présenter des excuses à ce sujet parce que c'était ce que j'avais à faire. Et, dans des circonstances similaires, je referai exactement la même chose. Sans attendre la réponse de Beth, Al y gagna le placard de Jan qu'el e ouvrit. — À ta connaissance, quelqu'un d'autre que Jan possédait-il la combinaison ? demanda-t-el e à Beth qui l'avait suivie. — Non. Al y retira le sac qui se trouvait à l'intérieur et l'ouvrit. — Je reconnais son parfum, murmura Beth d'une voix étranglée. Bon sang, quoi qu'el e ait pu faire, el e ne méritait pas de finir comme ça ! Assassinée et jetée sur le bord de l'autoroute comme un déchet... C'est horrible. — C'est vrai, approuva Al y. El e ne méritait pas cela. Et je t'assure que je suis bien décidée à le faire payer très cher au coupable. — Tu sembles prendre cette affaire à coeur, remarqua Beth, surprise par la colère qu'el e avait senti couver dans la voix d'Al y. — C'est parce que je crois en la Justice. Sans el e, nous ne serions que des animaux livrés à nos plus bas instincts. Et aussi parce que j'ai parlé à ses parents et que j'ai senti qu'ils avaient le coeur brisé par ce qui était arrivé à leur fil e. Ouvrant le sac, Al y commença à sortir son contenu, posant chaque article sur la table avant de noter leur description. — Deux tubes de rouge à lèvres, du fond de teint, trois eye-liners... — Laisse-moi t'aider, suggéra Beth en sortant son carnet de commande. Je vais prendre des notes pendant que tu feras l'inventaire. — Merci, Beth, fit Al y, reconnaissante. — Il n'y a pas de quoi. Tu sais, j'aimais bien la fil e que tu étais censée être. Je me suis sentie insultée en découvrant que tu étais de la police... — Eh bien, disons que c'est comme si nous avions une deuxième chance de nous connaître, à présent, remarqua Al y en souriant. — Je suppose, acquiesça Beth en lui rendant son sourire. Al y commanda un repas qu'el e mangea au bar sans quitter Jonah des yeux. Le vendredi soir, les clients étaient plus nombreux que le reste de la semaine et ils se montraient souvent plus chahuteurs, sachant qu'ils n'auraient pas à se lever pour al er travail er le lendemain matin. Cela rendait particulièrement difficile la surveil ance que la jeune femme s'était promis d'effectuer. Jonah ne prenait aucune précaution particulière, discutant avec les clients aussi librement que d'ordinaire. Et il serait difficile de lui faire admettre que, jusqu'à ce que Lyle soit en prison, il vaudrait mieux pour lui se montrer prudent. Pourtant, el e était bien décidée à essayer. En attendant, el e se cantonnait au café, se considérant en service. Finalement, incapable de rester assise à ne rien faire, el e demanda un plateau à Frannie et entreprit d'aider Beth à prendre les commandes. — Je croyais que je t'avais licenciée, remarqua Jonah comme el e passait près de lui. — Tu ne m'as pas licenciée, c'est moi qui ai démissionné, objecta-t-el e. Pete, ajouta-t-el e à l'intention du barman, il me faudrait deux pressions, un Campari, un Merlot et un Coca... — Pas de problème, blondinette... — Tu ferais mieux de monter te reposer, lui conseil a Jonah, plein de sol icitude. Tu as l'air épuisée. — Pete, ce type fait des remarques désagréables sur mon apparence et, en plus, il vient de me mettre une main aux fesses ! — Si tu veux, je peux lui casser la figure. Attends juste que j'aie les mains libres... — Tu as entendu ? demanda Al y à Jonah. Mon nouveau petit ami a des biceps en béton. Alors tu ferais mieux de faire attention à ce que tu dis ! Blackhawk sourit et lui prit doucement le menton entre ses doigts pour l'embrasser tendrement. — Sache que je ne compte pas te payer ces heures supplémentaires, dit-il enfin. — Oh, ce genre de pourboire me convient parfaitement, répondit-el e, luttant contre le désir qu'el e avait de se jeter sur lui sans autre forme de procès. Sur ce, el e s'éloigna avec ses commandes et continua à servir jusqu'à l'heure de la fermeture. Tandis que Wil fermait le club et que les musiciens rangeaient leur matériel, el e s'assit à une table dans la grande sal e déserte et retira ses chaussures pour poser ses pieds sur la banquette qui lui faisait face. Sans même s'en rendre compte, el e s'endormit... À l'autre bout de la pièce, Wil termina son traditionnel cognac avant de se tourner vers Jonah. — Tu as besoin de quelque chose avant que je parte ? — Non, merci. — Apparemment, Al y est crevée... — Oh, ne t'en fais pas, d'ici peu, el e sera sur pied, prétendant qu'el e n'a jamais été aussi en forme. Il y avait une tel e tendresse dans sa voix que Wil s'abstint sagement de répondre. Cette fois, il n'y avait aucun doute, le patron était accro. Et quel e ironie que ce soit un flic qui l'ait mis KO de la sorte... Finalement, Wil se dirigea vers le vestiaire et il avisa Frannie qui s'y trouvait déjà. — Il est mordu, dit-il en riant. Complètement fini... — Ce n'est que maintenant que tu t'en rends compte ? s'étonna Frannie. — Je ne pensais pas que c'était à ce point. Tu crois que cela marchera entre eux ? — Je ne suis pas vraiment la mieux placée pour juger une relation aussi... romantique. Tout ce que je sais, c'est qu'ils vont très bien ensemble. Ils ont la tête aussi dure l'un que l'autre... — Vise un peu ça ! s'exclama Wil en regardant la sal e du bar. Je n'ai jamais vu quelqu'un regarder une fil e endormie avec tant d'admiration. Tu sais, ajouta-t-il en se tournant vers Frannie, je crois que l'on peut lire beaucoup dans les yeux d'un homme lorsqu'il observe une femme. Frannie soutint son regard, comme si el e cherchait à lire en lui et il rougit, détournant les yeux. Mais, cette fois, el e avait vu l'admiration qu'il ne parvenait pas à dissimuler et el e sentit son coeur battre la chamade. Cela ne lui était pas arrivé depuis de très longues années et la sensation n'avait rien de déplaisant. — Je suppose que tu rentres chez toi ? demanda-t-el e, la gorge serrée par une émotion qu'el e avait le plus grand mal à maîtriser. C'était ridicule, songea-t-el e, voilà qu'el e avait peur d'un homme. Un homme aussi inoffensif et dévoué que Wil ... Décidément, Al y avait vu juste. — Oui, répondit-il. Et toi ? — Eh bien, je pensais commander une pizza et regarder un vieux film d'horreur sur le câble. — Tu as toujours adoré les série B, remarqua Wil en souriant avec une indéniable tendresse. — Oui... Il n'y a rien de tel qu'une tarentule géante ou qu'un vampire assoiffé de sang pour vous rappeler que vos problèmes ne sont, en définitive, pas si graves que cela. Mais c'est beaucoup moins drôle tout seul... Cela te dit de venir avec moi ? — Euh, moi ? répondit Wil , stupéfait par cette proposition inattendue. Tu es sûre que c'est à moi que tu parles ? — Absolument certaine. — Eh bien... Je suppose que peu de choses au monde pourraient me faire plus plaisir, en cet instant, avoua-t-il avec un sourire radieux. Et... Frannie ? — Oui ? — Je pense que tu es une femme merveil euse. Je voulais juste te le dire au cas où j'oublierais plus tard... — Si tu l'oublies, je te le rappel erai, répondit-el e, émue. — Bon, eh bien, on y va, alors... Jonah regarda Wil et Frannie quitter le club bras-dessus bras-dessous. Tous deux souriaient jusqu'aux oreil es en lui disant bonsoir et il se demanda ce qu'ils pouvaient bien manigancer. Haussant les épaules, il se dirigea vers la cabine du DJ qui occupait le fond du bar et régla les lumières de la sal e avant de choisir un disque qu'il plaça dans le lecteur. Lorsque les premières notes retentirent, il sourit et revint jusqu'à la table de la jeune femme qui dormait toujours. Se penchant vers el e, il l'embrassa tendrement. Al y se sentit flotter entre deux eaux tandis qu'el e reprenait lentement conscience. El e sentait le contact des lèvres de Jonah contre les siennes, chaudes, douces et infiniment tentantes. Ouvrant les yeux, el e lui rendit son baiser, constatant que le club était plongé dans l'obscurité. Mais un mil ier de points lumineux bril aient sur les murs et le plafond, lui donnant l'il usion de se trouver sous un ciel étoilé. — Danse avec moi, murmura Jonah en l'aidant à se relever sans cesser de l'embrasser. Ils dansèrent quelques instants, enlacés, avant qu'el e ne réalise soudain quel e était la musique. — Les Platters, murmura-t-el e, stupéfaite. C'est bizarre... — Tu n'aimes pas ? Je peux mettre quelque chose d'autre, si tu veux... — Non, non, au contraire, j'adore ce morceau. Ce qui est bizarre, c'est que c'est la chanson de mes parents. Tu sais que ma mère était DJ sur la radio KHIP avant de devenir manager. C'est la chanson qu'el e a jouée pour mon père le jour où el e a accepté de l'épouser. C'est une très jolie histoire... — Maintenant que tu me le dis, je me souviens avoir entendu Boyd la mentionner une fois ou deux... — Tu devrais voir la façon dont ils se regardent lorsqu'ils dansent sur cet air. Ils sont si émouvants... Machinalement, el e passa la main dans les cheveux de Jonah. — Tout le monde est parti ? demanda-t-el e tendrement. — Oui, il n'y a plus que toi, répondit Jonah. Et il réalisa alors combien c'était vrai, il n'y avait plus qu'el e désormais. Chapitre 10 Pour la première fois depuis plusieurs semaines - plusieurs mois, peut-être - Al y n'avait aucune envie de quitter le cocon réconfortant de son lit pour attaquer la journée. Longuement, el e resta al ongée dans la semi-pénombre, observant le corps de Jonah étendu auprès d'el e. On était dimanche. Le samedi soir avait drainé vers le club une foule de clients encore plus importante que cel e du vendredi, et Al y avait de nouveau aidé Beth. Cela lui donnait une bonne raison pour rester au Blackhawk où el e pouvait veil er discrètement sur Jonah. Heureusement, ce dernier ne s'en était pas aperçu. Il avait fini par accepter à contrecoeur la présence des deux policiers stationnés devant le club mais aurait vu d'un très mauvais oeil sa petite amie jouer les gardes du corps. Et el e avait soigneusement évité de s'appesantir sur les risques qu'il courait, craignant qu'il ne devine la raison de sa présence près de lui. Au fond, songeait-el e, el e ne faisait que lui retourner la faveur qu'il lui avait faite en acceptant de l'accueil ir pendant que son appartement était rénové. Il lui fournissait un endroit où dormir et el e lui assurait une protection rapprochée. Et cet accord tacite leur permettait à tous deux de satisfaire la faim grandissante qu'ils avaient l'un de l'autre. À cette pensée, la jeune femme sentit pointer le désir toujours prêt à renaître lorsqu'el e était près de Jonah. Se penchant vers lui, el e caressa doucement sa poitrine avant de la couvrir de petits baisers. Au bout de quelques instants, Jonah ouvrit les yeux et entreprit de répondre à ses provocations avec une habileté diabolique. Doucement, el e le repoussa, le forçant à s'al onger sur le dos avant de se placer au-dessus de lui, le laissant entrer lentement en el e. Tous deux furent parcourus d'un violent frisson tandis qu'el e commençait à bouger contre lui, le coeur battant, les veines charriant un feu liquide qui rendait sa peau brûlante. Se renversant en arrière, el e s'abandonna aux vagues de plaisir qui la traversaient tout entière, s'insinuant au creux de chacun de ses membres et lui faisant graduel ement perdre tout contrôle. Finalement, Jonah se redressa et la serra passionnément dans ses bras tandis que tous deux luttaient contre eux-mêmes, repoussant le moment de leur délivrance pour monter toujours plus haut. El e sentit ses mains se poser sur ses fesses, accompagnant chacun de ses mouvements. Jamais encore el e ne s'était abandonnée aussi complètement à un homme. Il y avait dans leurs étreintes une forme de possession qu'el e avait pourtant toujours fuie, craignant peut-être qu'el e n'aliène sa volonté. Mais, à présent, el e la recherchait, en tirait un plaisir décuplé. Les mains de Jonah couraient sur son corps, effleurant ses seins sur lesquels sa bouche se posa, enveloppant délicatement l'un de ses mamelons qu'il entreprit d'agacer de la langue. Une fois de plus, el e ne fut plus que sensations. Son être tout entier vibrait à l'unisson de celui de Jonah tandis que tous deux se perdaient dans un tourbil on de jouissance. Et, soudain, ils frémirent, terrassés par leur plaisir au même instant. Mais Jonah ne lui laissa pas le temps de se remettre, la renversant sur le dos, il la couvrit de baisers, caressant sa chair dont il paraissait ne pas pouvoir se repaître. Il continua de la sorte jusqu'à ce que leur désir s'éveil e une fois de plus et il pénétra alors de nouveau en el e. Cette fois, ils firent l'amour beaucoup plus doucement, presque précautionneusement. Jonah murmurait à son oreil e des mots d'une tendresse infinie qui augmentaient encore le bien-être qui s'était emparé de la jeune femme. El e noua ses jambes autour de sa tail e et ses bras autour de son torse et ils restèrent ainsi immobiles, appréciant ce moment d'intimité absolue où ils paraissaient ne faire plus qu'un. Ils échangèrent un baiser langoureux qui réveil a leur fougue. Leurs gestes s'accélérèrent et leur étreinte culmina bientôt en un ultime moment de bonheur qui les fit retomber, pantelants, serrés l'un contre l'autre comme s'ils avaient peur de se perdre. Jamais Jonah ne s'était senti aussi proche d'Al y qu'en cet instant où il avait l'il usion de la posséder tout entière. Ce n'était plus de sexe qu'il s'agissait mais d'amour. Un amour qu'il sentait grandir en lui chaque jour et qui devenait presque douloureux. Parfois, il avait l'impression que la jeune femme partageait ce sentiment. Il croyait le lire dans ses yeux, le deviner dans ses gestes. Mais, d'autres fois, il se disait que ce n'était peut-être que le reflet de son propre besoin. El e n'envisageait peut-être leur liaison que comme une aventure, une simple passade sans lendemains. Après tout, ils n'avaient jamais fait de projets, jamais parlé d'amour... Et Jonah avait peur d'aborder le sujet. La simple idée de confesser ses sentiments à Al y le terrifiait parce qu'il craignait qu'el e ne mette fin à leur relation si el e ne les partageait pas. El e lui avait démontré à maintes reprises qu'el e était pourvue d'un sens du devoir sans fail e et el e considérerait qu'une liaison aussi déséquilibrée ne pourrait que le faire souffrir. Alors, el e partirait et il n'était plus très sûr de pouvoir le supporter... Ils passèrent une matinée délicieuse, commençant par s'entraîner dans la sal e de gym de Jonah tout en discutant âprement leurs pronostics quant aux résultats à venir des ligues de base-bal et de footbal . Puis ils partagèrent un pantagruélique petit déjeuner en regardant les matchs en cours, faisant assaut d'encouragements et de huées comme deux enfants facétieux. Cette vie leur semblait parfaitement naturel e, comme s'ils vivaient ainsi depuis des années, partageant une intimité de tous les moments. Ils décidèrent alors d'al er jouer au basket-bal et Al y décida de se changer, enfilant un T-shirt long et sa paire de baskets fétiche. Lorsqu'el e sortit de la sal e de bains, Jonah était déjà prêt. D'un oeil admiratif, il contempla les jambes interminables de la jeune femme. — Si tu espères que ce short miniature suffira à me déconcentrer sur le terrain, tu te trompes, remarqua-t-il en souriant. — Je n'ai pas besoin de recourir à de tels artifices, répondit-el e. Je suis assez douée pour te ridiculiser. — Tu ne sais pas ce que tu dis, petite... Mais si tu m'embrasses, je te promets de me montrer clément. — Pas la peine de me ménager, répondit-el e en riant. Alors cesse de frimer et viens prendre une leçon de modestie. — Al ons-y, cher inspecteur ! Ils descendirent quatre à quatre l'escalier du club pour gagner la voiture de Jonah. — Tu me laisses conduire ? demanda-t-el e. — Pas question. — Tu sais pourtant que je conduis très bien, protesta-t-el e. — Eh bien, dans ce cas, tu n'as qu'à t'acheter ta propre Jaguar. Ils s'engouffrèrent dans le véhicule et Jonah démarra. — Alors ? Où comptes-tu te faire ridiculiser ? — Tu veux dire où est-ce que je compte t'infliger la plus cuisante et lamentable défaite de ta misérable existence ? Je te guiderai. À moins que tu ne préfères me laisser conduire, bien sûr. Ce serait plus facile... — Bien tenté, Fletcher, mais c'est non. Où al ons-nous ? — Prends la direction de Cherry Lake. — Cherry Lake ? Mais c'est à l'autre bout de la vil e ! Il doit y avoir au moins vingt terrains entre ici et là-bas... — Il fait trop beau pour jouer en sal e et il y a un superbe terrain là-bas. Jonah haussa les épaules sans chercher à la contredire et el e en profita pour détourner la conversation. — Qu'est-ce que tu fais, d'ordinaire, le dimanche ? — Eh bien... Je vais voir des matchs ou des galeries de peinture. Et je séduis des fil es, ajouta-t-il avec un sourire provocant. Al y abaissa ses lunettes de soleil et le regarda attentivement. — Quel genre de match ? — Cela dépend de la saison. Je m'intéresse aussi bien au hockey qu'au footbal , au base-bal et au basket. — Et quel genre de galerie ? — Cela dépend... Une exposition temporaire s'il y en a une ou bien le musée d'art moderne... — Oui, j'ai cru remarquer que tu étais un grand amateur d'art, acquiesça-t-el e. Il suffit de regarder comment tu as aménagé le club pour s'en rendre compte. — Je dois dire que c'était passionnant. Je regrette presque que ce soit terminé... — Et quel genre de fil es ? — Des fil es faciles. — Es-tu en train de me dire que je suis une fil e facile ? s'exclama la jeune femme en riant. — Oh, non... Loin de là ! Cela veut peut-être dire que j'avais besoin de me renouveler... — Quel e chance j'ai eue ! plaisanta Al y. J'ai aussi constaté que tu avais une bibliothèque très complète. C'est bizarre parce que je ne t'imaginais pas du tout en lecteur assidu lorsque je t'ai rencontré. — Eh bien, c'était une erreur, inspecteur. J'adore lire dès que j'ai un peu de temps devant moi. Je passe parfois des journées entières à dévorer un bouquin qui m'intéresse. — Prends à droite sur la vingt-cinquième... Et modère ta vitesse, il y a beaucoup de policiers sur cette section de l'autoroute qui ne demanderaient pas mieux que de mettre une contravention à un homme aussi sexy conduisant une Jaguar. Tu es une véritable provocation ambulante... — Ne t'en fais pas pour moi, j'ai de bons contacts au sein de la police, répondit Jonah en souriant. — Parce que tu t'imagines que je vais faire sauter tes PV alors que tu ne me laisses même pas conduire ton précieux bolide ? — Pas besoin de passer par un vulgaire sous-fifre quand on connaît personnel ement le commissaire... Jonah s'interrompit brusquement, réalisant ce que la jeune femme avait en tête. — Tu as bien dit Cherry Lake ? — Exact. Avisant une aire de repos, Jonah s'y engagea brusquement et arrêta la voiture pour se tourner vers el e. — Ta famil e vit à Cherry Lake, dit-il en lui jetant un regard suspicieux. — C'est exact. Et nous avons un terrain de basket-bal . Un demi-terrain, devrais-je dire... Malgré la pression que mes frères et moi avons exercée sur mes parents, ils ne nous ont accordé que cela. Il y a aussi un barbecue dont mon père assure le bon fonctionnement... Nous nous y retrouvons un week-end sur deux. — Pourquoi ne m'as-tu pas dit que nous al ions chez tes parents ? demanda Jonah, furieux. — Qu'est-ce que cela change ? — Il est hors de question que j'impose ma présence à ta famil e. Alors je vais te déposer là-bas et, ensuite, je rentrerai chez moi. — Attends une minute, protesta la jeune femme, bien décidée à avoir gain de cause. Tu ne t'imposes pas du tout ! Il est tout à fait naturel que je vienne chez mes parents avec mon petit ami. Nous al ons juste manger un morceau et jouer au basket, je ne vois pas où est le problème. — Peu importe. Je ne passerai pas un dimanche après-midi avec ta famil e. Un point, c'est tout. — C'est parce que c'est une famil e de flics ? demanda-t-el e durement. — Cela n'a rien à voir ! — Alors si je comprends bien, je suis tout juste bonne à réchauffer ton lit ? — C'est ridicule, répondit Jonah, très pâle. Tu sais très bien que ce n'est pas vrai... — Alors pourquoi te mets-tu en colère à la simple idée de passer quelques heures avec mes parents ? — Tout d'abord parce que tu me forces la main, Al y. Et je déteste ça. — Je ne pensais pas avoir à le faire, Jonah ! mentit-el e. En fait, cela me paraissait la chose la plus naturel e du monde... Mais je commence à comprendre qu'il s'agit de quelque chose de plus grave. C'est pour cela que tu n'avais jamais répondu aux invitations de mon père. Il t'a pourtant demandé des dizaines de fois de venir... — Justement. Je n'ai pas ma place dans ta famil e. Je dois beaucoup à ton père, Al y. Et lui ne me doit rien. Et, aujourd'hui, en guise de remerciement, je couche avec sa fil e... — Et alors ? Il est au courant. Jonah lui jeta un regard où la stupeur se disputait à l'angoisse. — Eh bien quoi ? Tu pensais qu'en l'apprenant, il al ait débarquer chez toi avec un 357 Magnum et t'abattre d'une bal e entre les deux yeux ? Est-ce pour cela que tu crains de l'affronter ? — Ce n'est pas drôle, Al y. Je sais que, pour toi, tout ceci est très facile... Tout est simple dans le monde duquel tu viens, les choses sont réglées comme du papier à musique. Tu ne peux pas imaginer dans quel monde je vivais, moi, avant de rencontrer ton père. Et, s'il n'avait pas été présent, je ne serais peut-être même pas là à l'heure actuel e pour t'en parler... Et je ne veut pas le payer en retour en trahissant sa confiance. — Cette fois, c'est toi qui m'insultes ! En refusant d'admettre notre liaison, c'est comme si tu en avais honte. Alors que moi, je suis fière de te présenter à ma famil e. Quant à ton existence passée, je crois que je m'en fais une idée assez précise. Mon père est flic et je le suis moi-même. Nous sommes chaque jour confrontés à la rue et à ses vices. Franchement, je doute que tu aies vu autant d'horreurs que j'en ai vu moi-même. Alors cesse de te draper dans ton passé de criminel. Quel es que soient nos origines, nous sommes ce que nous faisons de notre vie. Mon père me l'a appris et je suis certaine, en te voyant, qu'il te l'a enseigné aussi. — Je te déteste ! s'exclama Jonah en sortant de la voiture. — Moi aussi ! répondit-el e en le laissant s'éloigner. Il avait besoin de temps pour digérer ce qu'el e venait de lui dire et el e se demanda si les sentiments qu'il éprouvait pour el e l'emporteraient sur sa fierté. Finalement, il revint vers el e et la dévisagea gravement. — Écoute, dit-il, je te propose un marché. Si tu me débarrasses de cette filature ridicule, je veux bien al er chez tes parents. — D'accord, fit la jeune femme en dissimulant mal sa joie. El e quitta la Jaguar, se dirigea vers la voiture noire qui les avait suivis tout le long du parcours, et échangea quelques mots avec le chauffeur. Lorsqu'el e fut de retour, el e sourit à Jonah. — Je leur ai dit de prendre le reste de l'après-midi. C'est le mieux que je puisse faire... En ce qui concerne la façon dont je t'ai forcé la main, ajouta-t-el e, j'avoue que je n'aurais pas dû me conduire de cette façon. Je suppose qu'il aurait mieux valu que je t'en parle directement. — Tu sais très bien que non, j'aurais refusé de te suivre dès le début, avoua Jonah avec un demi-sourire. — N'empêche que je suis désolée. Mais ma famil e compte beaucoup pour moi. Alors je veux que l'homme avec lequel je sors s'entende bien avec eux. — Je ne peux pas te promettre que je m'entendrai avec eux, dit Jonah tandis qu'Al y réintégrait le véhicule. Mais je tiens à ce que tu saches que je n'ai pas honte de notre liaison. Au contraire, je suis fier de sortir avec une femme comme toi, quoi que j'aie pu t'en dire lorsque nous nous sommes rencontrés. — Alors laisse à ma famil e une chance de te prouver que tu pourrais très bien les apprécier, eux aussi. C'est tout ce que je te demande. — Bon sang, Al y ! Quel e négociatrice tu fais ! — C'est exactement ce que dit mon frère Bryant. Je suis certaine que vous vous entendrez à merveil e, tous les deux. Jonah démarra et reprit la route de Cherry Lake. — Il y a une chose que j'ai oublié de te dire, reprit la jeune femme que la situation commençait à amuser. — Je t'écoute. — Eh bien... La réunion de famil e d'aujourd'hui est un peu... élargie. Il y aura plus de monde que d'habitude. Des oncles et des tantes, quelques cousins venus de l'Est, un ancien partenaire de mon père... Jonah lui jeta un regard noir et el e leva une main en signe de conciliation. — Tu sais, ce sera plus facile pour toi. Au milieu de ce groupe, tu pourras te faire aussi discret que tu le voudras et éviter les immanquables questions d'usage. Blackhawk fit mine de lui assener un coup de poing et Al y sourit de plus bel e. — Tu as l'air tendu, dit-el e malicieusement, tu es sûr que tu ne préférerais pas que je conduise ? — Je préférerais surtout t'assommer et te mettre dans le coffre jusqu'à ce que nous atteignions notre destination, répliqua-t-il. — D'accord, d'accord, ce n'était qu'une suggestion en l'air... Le silence retomba entre eux. — Tu sais, ce ne sont que des gens comme les autres, dit la jeune femme doucement. Plutôt gentils, même. — Je n'en doute pas. — Écoute, si tu ne peux vraiment pas le supporter, je te promets que nous nous en irons au bout d'une heure. Je n'aurai pas de mal à inventer un prétexte quelconque. Cela te va ? — Non. Si je ne me sens pas à l'aise au bout d'une heure, je partirai et toi, tu resteras. Je ne veux surtout pas t'empêcher de voir ta famil e. — Très bien. Je crois que je ferais bien de te donner un petit aperçu des personnes qui seront là. Il y a mes parents que tu connais. Tu as déjà dû rencontrer mes frères. Bryant travail e pour les Fletcher Industries, il est détective privé pour le compte de la compagnie. Il voyage beaucoup et passe la majeure partie de son temps à jouer les redresseurs de torts, ce qu'il adore. Mon autre frère, Keenan, est pompier comme mon oncle Ry qui sera là lui aussi. Ryan Piasecki est inspecteur de police. Il est chargé de la lutte contre les incendies criminels. Il est marié à la soeur de mon père, Nathalie Fletcher. C'est el e qui dirige les Fletcher Industries pour lesquel es travail e Bryant. — Ce sont eux qui fabriquent des sous-vêtements ? — Pas des sous-vêtements, de la lingerie fine. — Ils ont de superbes catalogues... — Je ne savais pas que tu t'intéressais à la mode féminine. — Oh, ce ne sont pas les produits qui m'intéressent mais les mannequins ! Al y éclata de rire et poursuivit sa présentation. — Ryan et Nathalie ont trois enfants de quatorze, douze et huit ans, si mes souvenirs sont bons. Et il y aura aussi la soeur de ma mère, Deborah. El e est procureur et a épousé Gage Guthrie. — Le type qui passe pour être aussi riche que la reine d'Angleterre ? — Peut-être pas aussi riche mais oui, c'est lui. Ils ont quatre enfants de seize, quatorze, douze et dix ans. C'est ce que l'on peut appeler de la régularité... Enfin, il y aura Althea Grayson, l'ancienne partenaire de mon père. El e est mariée à Colt Nightshade, un détective privé. C'est un type assez insaisissable qui travail e toujours en indépendant. Tu devrais bien t'entendre avec lui. Ils ont deux enfants de quinze et douze, non, treize ans. — En gros, je vais passer l'après-midi avec une bande d'adolescents... — Oui. Tu n'aimes pas les enfants ? — Je ne sais pas. Je n'en ai jamais rencontré. — Après cette journée, tu en sauras probablement plus sur eux que tu ne l'aurais voulu... — Je n'arriverai jamais à retenir tous ces noms, remarqua Jonah. — Tiens, c'est là. Prends à gauche à la prochaine. C'est la troisième maison. Tout en conduisant, Blackhawk s'était fait une idée très précise du quartier où vivait Boyd. Ici, tout respirait le confort et la tranquil ité. Les maisons étaient grandes, les jardins soigneusement entretenus, les voitures luxueuses... Pas du tout le genre d'environnement auquel il était habitué ! Car il était un fervent adepte du centre-vil e. Il aimait les grandes rues, la foule, l'anonymat. Il pouvait alors se fondre dans le décor et échapper aux regards, aux jugements et aux critiques. Mais ici, tout le monde devait se connaître. Les parents se rencontraient dans les clubs de sport, aux réunions dominicales ou à l'église. Il n'y avait aucune place pour les brebis égarées. Ici tout n'était que luxe, calme et volupté. Et lui était un intrus. — C'est cette maison, lui signala Al y, cel e avec le cèdre et les claies de bois. Apparemment, tout le monde est déjà arrivé, on dirait un véritable parking public... De fait, il y avait déjà plusieurs véhicules garés devant la superbe maison de Boyd. C'était une construction moderne qui al iait à la perfection style, confort et sobriété. El e était très bien ensoleil ée et entourée de parterres de fleurs soigneusement entretenus qui lui donnaient un aspect accueil ant et joyeux. Malgré lui, Jonah frissonna. — Je veux revenir sur un point concernant notre accord, dit-il. J'exige en plus un certain nombre de faveurs érotiques que je te communiquerai en temps voulu. Cette épreuve les justifie pleinement ! — D'accord, concéda Al y en éclatant de rire. Tu n'auras qu'à demander... El e se pencha pour ouvrir la portière mais il la retint, ne se sentant pas encore prêt à affronter ce qui l'attendait. — Est-ce que tu veux une avance pour te convaincre ? demanda-t-el e en riant de plus bel e. Mais avant qu'il ait eu le temps de répondre, une jeune fil e aux longs cheveux noirs accourut dans leur direction en poussant un cri de joie. Al y sortit de la voiture et la fil e se jeta dans ses bras, manquant la faire tomber à la renverse. — Enfin tu es là, Al y ! Tout le monde est arrivé. Sam a déjà poussé Mick tout habil é dans l'eau et Bing a poursuivi le chat du voisin qui est monté dans un arbre. Keenan a dû al er le chercher et il s'est fait griffer. Maman est en train de le soigner dans la cuisine. Tiens, salut ! ajouta-t-el e en avisant la présence de Jonah qu'el e dévisagea avec admiration avant de lui décocher un sourire charmeur. Je m'appel e Addy Guthrie et vous devez être Jonah. Tante Cil a a dit que vous viendriez avec Al y. Il paraît que vous êtes propriétaire d'une boîte de nuit ? Quel genre de musique est-ce que vous passez ? — Jonah, je te présente Addy. El e ne se tait que cinq minutes par an. Nous avons chronométré... Sam travail e avec Piasecki, et Mick est le frère d'Addy, expliqua la jeune femme. Quant à Bing, c'est le chien de la famil e, il est aussi laid que dépourvu de manières et s'accorde donc parfaitement avec nous tous. N'essaie pas de retenir tous les noms que tu entendras ou tu risques très vite d'avoir mal à la tête. — Est-ce que je pourrai venir à votre boîte de nuit ? demanda Addy en prenant la main de Jonah. Bon sang, vous êtes vraiment grand. Et très beau, aussi. Félicitation, Al ison. — Addy, protesta cel e-ci. Tais-toi ! — Tout le monde me dit toujours ça, soupira Addy en haussant les épaules. — Et est-ce que tu les écoutes ? demanda Jonah, amusé malgré lui. — Pas du tout ! Soudain, deux adolescents débouchèrent en courant à toutes jambes, d'imposants fusils à eau à la main. Ils disparurent non sans avoir copieusement arrosé le trio qui traversait la pelouse pour contourner la maison. Jonah se retrouva alors face à la famil e d'Al y. Une bel e femme blonde était en conversation avec une superbe rousse tandis qu'un groupe d'hommes s'affrontait au cours d'une impitoyable partie de basket-bal . D'autres adolescents en mail ots de bain étaient rassemblés autour d'une table couverte de victuail es. — La piscine est de l'autre côté. El e est couverte et nous l'utilisons toute l'année. Un des hommes sur le terrain de basket traversa brusquement la ligne des défenseurs et fonça sur le panier. Projetant la bal e, il marqua sous les bravos et les huées des autres. Puis, avisant Al y, il se précipita dans sa direction et la prit dans ses bras pour la serrer contre lui, la soulevant littéralement de terre. — Eh ! protesta-t-el e. Repose-moi, imbécile, tu es couvert de sueur ! — Tu le serais aussi si tu menais ton équipe vers une deuxième victoire consécutive. Reposant Al y, il essuya sa main sur son short et la tendit à Jonah. — Je suis Bryant, incontestablement le plus bril ant des trois enfants Fletcher. Ravi que vous ayez pu venir. Vous voulez une bière ? — Volontiers. Bryant observa attentivement Jonah, jaugeant sa tail e et sourit. — Vous ne jouez pas au basket, par hasard ? — Je connais les règles. — Parfait. Nous al ons avoir besoin de nouvel es recrues. Servez-vous des bières pendant que je vais faire un sort à ces petits canapés. Si j'attends une seconde de plus, les enfants les auront tous dévorés. — Suis-moi, dit Al y en prenant le bras de Jonah. Et ne te laisse pas impressionner par le monde. El e l'entraîna jusqu'à une deuxième table qui ployait sous le poids des boissons qui y étaient disposées. Y prenant deux bières, el e en tendit une à Jonah avant de l'escorter sous la véranda. Ils traversèrent un vaste salon et parvinrent dans la cuisine où se trouvaient Cil a, que Jonah connaissait de vue, et un jeune homme aux cheveux noirs qui tentait vainement de repousser la femme qui était en train de le soigner. — Je survivrai, tante Deb. Maman, dis-lui de me lâcher les baskets ! — Ne fais pas l'enfant, Keenan ! répondit Cil a, sans se détourner du congélateur qu'el e fouil ait. Bon Dieu, je le savais ! Nous al ons manquer de glace. Je l'avais bien dit à ton père mais, comme d'habitude, il n'a pas voulu me croire. — Keenan ! s'exclama Deborah en pansant l'une des blessures de son neveu. Arrête de bouger. Là ! Parfait, maintenant tu as droit à un bonbon. — Je suis entouré de tarés, soupira Keenan. Et à ce propos, voilà la plus fol e de tous. Salut, Al y ! — Salut, Keenan. Bonjour, Deb. Je vous présente Jonah Blackhawk. Jonah, voici ma tante Deborah et mon frère Keenan. Je crois que tu connais déjà ma mère. — Oui. Ravi de vous revoir, madame Fletcher. À cet instant, une véritable armée déferla dans la cuisine, hurlant des cris de guerre. À peine étaient-ils ressortis qu'un énorme chien très laid entra à son tour et se jeta sur Al y pour lui lécher la figure à grands coups de langue. Brusquement, Jonah se détendit, songeant qu'au fond, l'après-midi ne serait peut-être pas aussi horrible qu'il l'avait craint. Jonah était bien décidé à partir au bout d'une heure. Il tenait à respecter ses engagements mais ne comptait pas s'éterniser pour autant. Il avait décidé qu'il ferait poliment la conversation avant de trouver un prétexte quelconque pour effectuer une retraite stratégique et rentrer chez lui. Mais, sans même qu'il s'en rende compte, il se retrouva enrôlé dans une équipe de basket au milieu des oncles, des cousins et des neveux d'Al y et il oublia le délai qu'il s'était fixé. Bryant l'avait recruté dans son équipe alors qu'Al y se trouvait dans cel e de Keenan. En la regardant jouer, Jonah fut stupéfait par son adresse et sa rapidité. Mais lui-même avait grandi dans la rue, apprenant le basket qui se pratiquait dans le ghetto. C'était un jeu moins subtil mais nettement plus efficace qu'il mettait aujourd'hui en pratique, se déplaçant avec une vivacité qui déstabilisait tous ses adversaires. Les seuls qui parvenaient à le contrer étaient Ryan, Keenan et Al y. La jeune femme était la plus efficace en défense, sachant pertinemment que, face à el e, il hésiterait à passer en force. Sur le bord du terrain, Nathalie et Althea observaient le jeu d'un oeil admiratif. — J'aime bien la façon dont il joue, ce Jonah, remarqua Nathalie. — Il paraît que c'était un vrai voyou lorsqu'il était plus jeune. Mais Boyd l'a toujours adoré. Ouil e, ça doit faire mal... — Oui. À mon avis, Ryan va boiter demain. Mais ça lui apprendra à s'attaquer à un type qui doit être à peu près deux fois moins âgé que lui. Tu as remarqué qu'il avait un très joli postérieur ? — Ryan ? C'est ce que j'ai toujours pensé ! — Eh ! Je t'interdis de parler comme cela de mon mari. C'est à Jonah que je faisais al usion. — Est-ce que Ryan sait que tu passes ton temps à reluquer les petits jeunes ? — Évidemment. Il est d'accord tant que je le laisse regarder les fil es. — Pas bête... En attendant, je dois avouer que je suis d'accord avec toi, Jonah a des fesses superbes. Aïe ! Le voilà qui recommence... Et panier ! — Magnifique, vraiment..., murmura Nathalie d'un ton pensif. Althea éclata de rire et Nathalie lui décocha un regard noir. — Tu es vraiment une obsédée ! Je parlais de basket-bal , idiote. Al ez viens, al ons demander des informations à Cil a au sujet de ce mystérieux garçon. — Excel ente idée ! s'exclama Althea. * ** — Je ne sais rien du tout ! protesta Cil a qui disposait de la glace dans un baquet où el e avait placé une quantité impressionnante de canettes de bière. Fichez-moi le camp, toutes les deux ! — Al ons, plaida Nathalie. Tu dois bien avoir entendu parler de quelque chose... Après tout, c'est le premier petit ami qu'Al y amène à une fête de famil e. Cil a resta silencieuse, faisant le geste de fermer une fermeture éclair sur la bouche. — Laissez tomber ! s'exclama Deborah en riant. Cela fait une heure que j'essaie de lui extorquer des informations et je n'en ai toujours obtenu aucune. — C'est parce que tu es procureur, déclara Althea en haussant les épaules. J'ai toujours pensé que les procureurs étaient trop mous avec les accusés. Saisissant Cil a par le col de son chemisier, el e la secoua : — Alors ? Tu vas parler ? Crache le morceau O'Roarke ou je te fais jeter au trou pour vingt ans ! Je te préviens que j'en ai fait chanter des plus résistantes que toi. — Tu perds ton temps, le flic ! répondit Cil a en riant. Je ne suis pas un indic. Et de toute façon, je ne sais rien. Mais je suis bien décidée à en apprendre davantage, ajouta-t-el e en voyant Al y qui entraînait Jonah dans leur direction. Je crois d'ail eurs que cela ne va pas tarder... Fichez le camp, les fil es. Deborah, Althea et Nathalie ne se firent pas prier, s'éloignant en riant gaiement. — Ce n'est rien, protestait Jonah. — Si. Tu saignes. Les règles sont les règles, si un joueur saigne, il doit se faire soigner. — Une autre victime, s'exclama Cil a en se frottant les mains. Amène-le-moi... Il s'est cogné, expliqua Al y. — Oui, contre un coup de poing, précisa Jonah en lui jetant un regard accusateur. Lorsque tu marques un joueur, tu n'es pas censée lui décocher un crochet du gauche. — Dans cette famil e, si, répondit-el e du tac au tac. — Voyons ce qu'el e vous a fait, fit Cil a en observant la lèvre fendue de Jonah. Eh bien ! El e ne vous a pas raté... Al y, va aider ton père à préparer le barbecue. — Mais, maman... — Vas-y ! lui intima Cil a avant de prendre Jonah par la main pour l'entraîner vers la cuisine. Où ai-je bien pu ranger mes instruments de torture ? D'un tiroir, el e sortit une trousse de premiers secours et fit asseoir Jonah sur un tabouret. — Ne bougez pas. Et je vous préviens, je ne tolère aucune jérémiade de la part de mes patients, lui dit-el e en riant. El e sortit une compresse qu'el e plongea dans une petite fiole d'antiseptique. — Alors, comme ça, el e vous a frappé ? — Oui. — El e tient de son père. Je vous suis reconnaissante de ne pas lui avoir retourné la politesse ! — Je ne frappe jamais une femme. Jonah tressail it tandis que Cil a épongeait le sang qui coulait toujours de sa lèvre à l'aide de la compresse. — Je suis heureuse de l'apprendre. Où en êtes-vous, exactement, tous les deux ? — Je vous demande pardon ? — Vous savez... Est-ce juste une histoire de sexe ou bien êtes-vous vraiment amoureux l'un de l'autre ? Jonah poussa un juron, sans savoir si c'était à cause de cette question sans détour ou du picotement douloureux de l'antiseptique sur ses lèvres. — Désolé, murmura-t-il. — Oh, j'ai déjà entendu ce mot auparavant... Est-ce que c'est votre réponse ? — Madame Fletcher..., gémit Jonah, terriblement mal à l'aise. — Appelez-moi Cil a, l'interrompit-el e aussitôt, le regardant droit dans les yeux. Je vois que je vous ai embarrassé. Ce n'était pas mon intention, je vous assure. Là... C'est presque fini. Tenez cette poche de glace durant une minute. Cil a prit place sur le banc qui faisait face à Jonah, sachant qu'el e avait tout au plus deux minutes avant que quelqu'un ne surgisse dans la cuisine et ne les interrompe. — Boyd ne pensait pas que vous viendriez, aujourd'hui, remarqua-t-el e. Moi si. Al ison est une femme à laquel e il est très difficile de dire non lorsqu'el e a une idée en tête. — À qui le dites-vous... — Je ne sais pas quel es sont vos intentions à son égard, Jonah, mais je vous aime bien. Ce que Boyd m'a raconté à votre sujet et ce que je vois aujourd'hui me plaisent beaucoup. Alors je veux vous raconter quelque chose. Cil a se tut quelques instants, tandis que Jonah la contemplait avec un mélange de stupeur et de fascination. — Il y a très longtemps, j'ai rencontré un policier. C'était un type irritant, arrogant et sûr de lui et j'étais bien décidée à ne pas répondre à ses avances. Surtout, je ne voulais pas m'impliquer dans une relation avec lui. Parce que ma mère était dans la police, qu'el e était morte en service, et que je ne m'en étais jamais vraiment remise. Je ne tenais pas du tout à revivre la même chose... Cil a prit une profonde inspiration, aujourd'hui encore troublée par ces souvenirs. — Quoi qu'il arrive, j'avais décidé que jamais je ne m'impliquerais affectivement avec un flic. Je ne savais que trop comment ils vivaient, comment ils pensaient, comment ils mouraient... Et regardez-moi ! Mariée à un commissaire et mère d'un inspecteur ! El e sourit pensivement en regardant par la fenêtre Al y et son père qui s'activaient auprès du barbecue. — C'est étrange, non ? Aujourd'hui, malgré mes peurs, malgré mes angoisses, je n'échangerais pour rien au monde ma vie avec cel e d'une autre. Jonah ne répondit rien et el e lui tapota doucement la main. — Je suis contente que vous soyez venu, aujourd'hui, dit-el e. — Pourquoi ? — Parce que cela m'a donné une chance de vous voir avec Al y. Et une chance de vous voir, vous, ce qui n'a pas été le cas durant de longues années. Pourtant, vous connaissez Boyd depuis dix-sept ans, au moins ! Et, franchement, je suis heureuse de connaître l'homme que vous êtes devenu. Cil a se leva, laissant Jonah sans voix, et al a chercher une pile de steaks hachés dans le congélateur. — Pourriez-vous donner ceci à Boyd ? lui demanda-t-el e en les lui tendant. Si nous ne nourrissons pas les enfants toutes les deux heures, ils ont tendance à devenir incontrôlables. — Je m'en charge, répondit Jonah en prenant le plateau sur lequel el e avait posé la viande. Vous savez, ajouta-t-il, el e vous ressemble beaucoup. — Oui. Je suppose qu'el e a hérité de toutes les déplorables qualités que nous avons Boyd et moi. Ce qui fait d'el e une femme têtue et qui ne sait pas tenir sa langue. Se hissant sur la pointe des pieds, Cil a déposa un petit baiser sur sa blessure au coin de sa bouche. — Cela fait partie du traitement, expliqua-t-el e en souriant. — Merci, répondit-il, plus ému qu'il ne voulait se l'avouer. Je vais devoir rentrer mais je tenais à vous remercier pour tout, Cil a... — Il n'y a pas de quoi. Revenez quand vous voudrez. En souriant, Cil a le regarda partir. — À toi de jouer, Boyd, murmura-t-el e. Chapitre 11 — Tout est dans le mouvement de poignet, déclara doctement Boyd en retournant une énorme tranche de steak. — Je croyais que tout était dans le temps de cuisson, objecta Al y, accoudée au mur qui abritait le barbecue du vent. — Eh bien, le temps de cuisson est décisif, c'est certain. Mais le poignet est aussi important. L'art du barbecue est souvent sous-estimé et il faut des années pour le maîtriser complètement. — D'accord, d'accord, soupira Bryant, habitué à ces tirades. Mais la question importante est quand est-ce qu'on mange ? — Il faut compter deux minutes pour un hamburger et dix de plus pour un steak, répondit Boyd en regardant Jonah qui se dirigeait vers eux. Ah, des rations supplémentaires ! Excel ente idée. — Et si je veux un hamburger et un steak ? reprit Bryant sans se laisser détourner de son objectif. — Tu es le dixième sur ma liste d'attente, répondit Boyd en retournant un autre steak. Il aperçut alors sa femme qui se trouvait sous le porche. El e lui désigna Jonah et lui fit un signe de tête qu'il comprit aussitôt. Il avait repoussé assez longtemps l'inévitable échéance et devait parler à Blackhawk. Cette idée le mettait plutôt mal à l'aise mais il n'était pas le genre d'homme à se défiler. — Tu peux poser les morceaux de viande sur la gril e, dit-il à Jonah qui s'exécuta. Comment va cette lèvre ? — Je survivrai, je crois, répondit Jonah en jetant un regard amusé à Al y. D'autant que, malgré la conduite totalement anti-sportive de mon adversaire, j'ai réussi à marquer ce panier qui nous a permis de gagner. — C'était juste un coup de chance, protesta la jeune femme. Je demande une revanche après le repas. — C'est toujours pareil, soupira Bryant. Chaque fois qu'el e perd, el e demande une revanche. Mais lorsqu'el e gagne, el e vous rebat les oreil es durant des jours entiers. — Je ne vois pas ce que cela a de contradictoire, remarqua Al y en riant. — Et le pire, c'est que je n'ai jamais pu lui taper dessus parce qu'el e est une fil e. Maman prétend que ce serait déloyal. — El e disait la même chose pour Keenan. Cela ne t'empêchait pas de t'en prendre à lui. — Oui. À ce propos, j'avais envie de me battre contre lui, en souvenir du bon vieux temps. — Je pourrai regarder ? demanda Al y. — Bien sûr... — Très bien. Maintenant que vous êtes aussi grands l'un que l'autre, le match risque d'être intéressant. — Dites donc, vous deux, protesta Boyd. Votre mère et moi aimerions pouvoir donner l'il usion que nous avons réussi à faire de vous des enfants équilibrés et mûrs et pas une bande de sauvages. J'espère que tu n'as pas perdu toutes tes il usions en découvrant la véritable nature de ma fil e, Jonah. Al y émit un reniflement méprisant et Boyd se tourna vers son fils, la mine soudain très sérieuse. — Le grand moment est venu, Bryant ! — La fin du monde ? — Non, un moment plus important encore, je te confie la responsabilité de veil er sur le barbecue sacré et je te remets les instruments du pouvoir. Il lui tendit cérémonieusement la fourchette et la spatule. — Eh, dis donc, pourquoi ce ne serait pas moi ? demanda Al y en poussant son frère de côté. — Ah... Combien de fois ai-je entendu prononcer ces mots depuis que tu as appris à parler ? Jonah avait maintenant le plus grand mal à conserver son sérieux devant ces relations familiales aussi complices que débridées. — Alors ? insista Al y, une expression mutine sur le visage. — Al ison, mon trésor, il y a certaines choses qu'un homme ne peut transmettre qu'à son fils. Fils, ajouta Boyd solennel ement en posant la main sur l'épaule de Bryant, c'est entre tes mains que repose la réputation des Fletcher, désormais. Ne me déçois pas. — Papa, je ne peux te dire à quel point je suis honoré de reprendre le flambeau. Je te promets que je ferai honneur à mon nom et que tu n'auras pas à rougir de la cuisson de nos steaks. Je protégerai le barbecue sacré contre toute intrusion indésirable comme tu l'as toujours fait, ajouta Bryant en jetant un regard de défi à sa soeur. — Bien, aujourd'hui, tu deviens un homme. — Il ferait beau voir, ironisa Al y. — Al ons, protesta Boyd en levant un sourcil, tu n'es qu'une fil e, Al y. Il va fal oir t'y faire. Sur ce, il entraîna Jonah à l'écart tandis qu'une dispute fraternel e éclatait autour du barbecue, bientôt envenimée par l'arrivée de Keenan. — Nous n'avons pas eu l'occasion de discuter, dans toute cette agitation, remarqua Boyd. Comment vas-tu ? Jonah soupira intérieurement, se demandant comment il al ait pouvoir s'éclipser discrètement si tout le monde continuait à vouloir lui parler de la sorte. Pourtant, il fit contre mauvaise fortune bon coeur et sourit. — Je vais bien. Et je vous remercie de votre hospitalité. Mais je crois que je vais devoir rentrer au club... — Je suppose que ton travail est très accaparant, acquiesça Boyd en le guidant vers une petite cabane instal ée au fond du jardin. Est-ce que tu t'y connais en bricolage ? — Pas vraiment, dit Jonah tandis que Boyd déverrouil ait la porte. La cabane était savamment aménagée, des étagères chargées d'outils en tout genre étaient instal ées le long des murs et plusieurs établis occupaient la pièce. Quelques projets en cours de construction étaient posés dessus dans l'attente de leur finition. — C'est impressionnant, dit-il. Qu'est-ce que vous fabriquez, ici ? — Eh bien, je fais surtout beaucoup de bruit. J'ai construit cet endroit pour avoir un lieu bien à moi. Ensuite, je me suis mis à construire diverses choses, des sièges, une cabane à oiseaux, une niche... Les deux hommes se turent tandis que Jonah examinait les objets, impressionné par la qualité de leur facture. Apparemment, Boyd ne faisait jamais rien à moitié... — Bon, soupira ce dernier au bout d'un moment. Je crois que nous ferions mieux d'en venir directement au fait. De cette façon, nous pourrons nous détendre et al er manger tranquil ement. Que se passe-t-il exactement entre ma fil e et toi ? Jonah sentit son estomac se resserrer. Évidemment, il s'était attendu à la question mais la brutalité avec laquel e son ami l'avait posée le prit au dépourvu. — Eh bien... Nous sortons ensemble. Boyd hocha la tête et se dirigea vers un réfrigérateur dont il sortit deux bières. Il en tendit une à Jonah et tous deux burent en silence. — Que puis-je vous dire d'autre ? soupira enfin Jonah. — Je ne sais pas. Que ce ne sont pas mes oignons ou quelque chose dans ce goût-là. — Mais ce sont vos oignons, justement, protesta Jonah. Al y est votre fil e. — C'est incontestable. Boyd se tut de nouveau, se demandant où lui-même voulait en venir. — Je crois, dit-il enfin, que j'essaie de te demander ce que vous comptez faire, tous les deux. — Je ne sais pas... En fait, la seule chose que je sais, c'est que je n'aurais jamais dû sortir avec el e. — Pourquoi cela ? demanda Boyd, surpris. — Que voulez-vous de moi, au juste ? demanda Jonah en passant nerveusement une main dans ses cheveux. — Tu m'as posé exactement la même question, la première fois que nous nous sommes vus. Tu avais treize ans, à l'époque. Et ta lèvre était ouverte, exactement comme aujourd'hui. — Je m'en souviens. — Je m'en doute. Tu as toujours eu une mémoire phénoménale... Et tu dois donc te rappeler ce que je t'ai dit en ce temps-là. — Vous m'avez demandé ce que je voulais, moi. — Exact. — La réponse est différente aujourd'hui, j'ai exactement ce que je désire. Une existence décente et honnête qui me permet de gagner ma vie. Et je sais pourquoi les choses sont ainsi, c'est grâce à vous, Fletcher. Tout a commencé quand vous m'avez aidé à voir quel es étaient mes possibilités. Vous m'avez forcé alors que vous n'aviez aucune raison de le faire. Jonah s'interrompit mais Boyd continuait à le regarder fixement, paraissant passablement interdit. — Vous avez changé ma vie. Ou plutôt, vous m'avez donné une raison de vivre. Je sais très bien où je serais aujourd'hui si vous n'aviez pas été là. Et je sais ce que je vous dois. Je n'aurais jamais dû abuser de votre confiance en sortant avec Al y. — Mon Dieu ! s'exclama enfin Boyd, stupéfait. Je crois que tu te fais une trop haute idée de ce que j'ai fait pour toi. Tout ce dont je suis responsable, c'est d'avoir botté les fesses d'un gamin de la rue pour le remettre dans le droit chemin. — Vous avez fait de moi ce que je suis, protesta Jonah d'une voix étranglée par l'émotion. — Non, ce n'est pas vrai. C'est toi qui t'es fait tout seul. Je suis juste très fier de t'avoir donné un petit coup de pouce au moment où tu en avais besoin. Boyd se détourna, luttant contre le brusque accès de tendresse qui s'était emparé de lui. Ce n'était pourtant pas pour cela qu'il avait voulu voir Jonah. En fait, rien ne l'avait préparé à cette déclaration qui lui donnait brusquement l'impression d'être le père de Blackhawk. — La seule chose que tu me doives, reprit-il, c'est une honnêteté sans fail e. Alors, réponds à cette question, sors-tu avec Al y parce qu'el e est ma fil e ? — Non, protesta Jonah. Au contraire, je sors avec el e malgré cela. J'ai même arrêté d'y penser sans quoi je n'aurais jamais pu le faire. Boyd hocha la tête, rassuré par cette réponse. Mais il réalisa à quel point Jonah souffrait et se sentit terriblement désolé pour lui. — Et quel e est la nature de votre relation ? demanda-t-il pourtant. — Bon sang, Fletcher ! s'exclama Jonah. — Je ne te demande pas ce que vous faites, intervint Boyd, mal à l'aise. Je préfère ne pas mettre de mots là-dessus. Mais ce que je veux savoir, c'est ce que vous ressentez l'un pour l'autre. — Eh bien... Je tiens beaucoup à el e. — Parfait, approuva Boyd sans pourtant réussir à dissimuler sa déception. — Bon Dieu ! Vous ne me ménagez pas... Je l'aime, voilà tout. Je suis fou amoureux d'el e ! ajouta-t-il en se détournant, résistant à l'envie qu'il avait de lancer sa bouteil e de bière contre le mur le plus proche. Jamais un aveu ne lui avait autant coûté, mais Boyd avait raison, il lui devait la vérité. — Je suis désolé, murmura-t-il enfin. Mais je ne peux pas le dire autrement, je suis amoureux de votre fil e. — C'est bien ce qui m'avait semblé. — Et comme vous savez qui je suis, vous devez penser que je ne suis pas assez bien pour el e. — C'est exact, approuva Boyd. Jonah ne réagit pas, comme s'il s'était attendu à cette réponse et s'y était depuis longtemps résigné. — Al y est ma fil e, reprit Boyd, et je considérerai toujours que personne n'est assez bien pour el e. Mais disons que, si je devais faire un portrait du gendre idéal, tu lui correspondrais probablement en grande partie. Et je ne vois pas pourquoi tu as l'air si surpris, je ne savais pas que tu avais une si piètre opinion de toi-même. — C'est parce qu'el e vaut cent fois mieux que moi, murmura Jonah. Il faudrait être aveugle pour ne pas s'en rendre compte. — C'est l'effet que font les femmes aux hommes qui les aiment, répondit Boyd en haussant les épaules. Lorsqu'on rencontre cel e qui nous convient, on se sent toujours complètement à côté de la plaque. — El e est tel ement bel e... — Oui. Et intel igente. Et forte. Et volontaire. — Ça, c'est certain, soupira Jonah avec un demi-sourire en caressant sa lèvre tuméfiée. — Alors mon conseil est le suivant. Au lieu de battre ta coulpe inutilement, dis-lui ce que tu éprouves pour el e. El e le mérite autant que moi. Et de toute façon, el e finira bien par s'apercevoir que tu lui caches quelque chose. C'est un flic, après tout. — Je ne crois pas qu'el e attende plus de notre relation que ce que nous partageons déjà, objecta Jonah. — Tu pourrais bien avoir des surprises, Jonah. Au cas où tu ne l'aurais pas déjà remarqué, ma fil e est une personne plutôt imprévisible... Jonah éclata de rire et Boyd le prit par les épaules, l'entraînant vers le jardin. — Une dernière chose, dit-il gravement. Si jamais tu lui fais le moindre mal, je te tuerai de mes propres mains et je t'assure que l'on ne retrouvera jamais ton corps. — Marché conclu. — Très bien. Alors ? Quel e cuisson, ce steak ? Al y regarda les deux hommes sortir de la cabine à outils et, pour la première fois depuis qu'ils y étaient entrés, el e se détendit. Son père tenait Jonah par les épaules et tous deux riaient, apparemment détendus. De deux choses l'une, ou bien ils s'étaient contentés de prendre une bière entre hommes ou bien Jonah avait su trouver les réponses satisfaisantes à l'interrogatoire de Boyd. Quel e qu'ait pu être la teneur de leur discussion, el e se sentait heureuse de les voir aussi proches. Comme el e l'avait dit à Blackhawk, l'opinion de ses parents comptait beaucoup à ses yeux. Et el e aurait été terriblement blessée si l'homme qu'el e aimait ne s'était pas entendu avec sa famil e. — Alors ? dit Cil a, la tirant de ses pensées. Tu rêves ? — Maman, je crois que je suis amoureuse de lui, murmura-t-el e. — Je sais. À mon avis, vous êtes les seuls ici à ne pas vous en être aperçus plus tôt. Mais la question primordiale reste cel e-ci, aurons-nous assez de glace ? — Mais comment le sais-tu ? reprit Al y, sidérée par la perspicacité de sa mère. Je viens tout juste de m'en rendre compte moi-même... — Mais c'est parce que je te connais, ma chérie. Et je vois bien la façon dont tu te conduis avec lui. Dis-moi, est-ce que cette révélation te rend heureuse ou est-ce qu'el e te terrifie ? — Les deux. — Très bien, approuva Cil a en déposant un petit baiser sur la joue de sa fil e. C'est la meil eure façon de commencer. Moi, en tout cas, je l'aime bien... — Tu sais qu'il ne voulait pas venir ? — Je m'en doutais. Mais apparemment, tu as eu gain de cause. — Oui. Et je suppose qu'il faudra me montrer encore plus convaincante quand je lui dirai que je veux l'épouser... — Tu es la digne fil e de ton père ! s'exclama Cil a en riant. Et je suis prête à prendre le pari que tu l'emporteras encore. — Dans ce cas, je vais al er préparer le terrain, déclara Al y en se dirigeant vers Boyd et Blackhawk. El e traversa la pelouse et s'approcha de Jonah, prenant son visage entre ses mains pour l'embrasser avec passion. Il gémit, lui rappelant l'état de sa lèvre qui avait enflé mais el e ne se laissa pas décourager aussi facilement. — Al ons, Blackhawk, conduis-toi comme un homme! s'exclama-t-el e avant de l'embrasser de plus bel e. Malgré lui, Jonah répondit à son baiser, la serrant dans ses bras avec tendresse. — Papa ? fit Al y lorsqu'ils se séparèrent enfin. Je crois que maman cherche des glaçons. — Keenan ! s'exclama Boyd en repérant son fils qui se trouvait non loin de là. Va chercher de la glace chez l'un de nos voisins. — Sûrement pas ! s'exclama Keenan en riant. Boyd se précipita dans sa direction tentant un placage que son fils évita habilement. — Alors ? demanda Al y à Jonah en les suivant des yeux. Qu'est-ce que vous vous êtes raconté dans cette cabane ? — Des trucs de garçons, répondit Jonah avec un sourire malicieux. El e l'embrassa de nouveau et il se dégagea maladroitement. — Tu espères peut être que je vais me laisser faire ? Je ne tiens pas à être réduit en bouil ie par ta famil e ! — Ne t'en fais pas. Personne ne nous reprochera quelques baisers. Je ne sais pas si tu as remarqué mais ni mes parents ni mes oncles et tantes n'ont d'inhibition dans ce domaine. — J'ai cru le comprendre, en effet. Mais ce n'est pas une raison pour les imiter. — Tu es timide ? s'exclama Al y en riant. Comme c'est mignon ! Dis-moi, est-ce que tu t'amuses, au moins ? — À un incident près, répondit Jonah en effleurant sa lèvre, je passe une excel ente journée. Tu avais raison, ta famil e est adorable. — Oui. J'oublie parfois à quel point c'est important de les avoir. Je dépends d'eux pour un mil ier de petites choses... Nous sommes liés par tant de souvenirs. Des réunions comme cel es-ci, des randonnées dans les montagnes, des jeux, des... Al y s'interrompit brusquement et claqua des doigts, le visage il uminé. — Qu'y a-t-il ? demanda Jonah. — Eh bien... Les gens sont toujours attirés vers les lieux où ils ont grandi. Cela les ramène à leurs souvenirs d'enfance. C'est pour cela que beaucoup d'entre eux finissent par retourner dans leur vil e natale, par repasser devant l'appartement ou la maison où ils ont vécu. Avec l'âge, on idéalise ces moments... Et ce doit être particulièrement vrai pour quelqu'un qui vient de perdre un parent proche. — Quelqu'un comme Lyle ? demanda Jonah, comprenant où el e voulait en venir. — Exactement. La question est de savoir où il a grandi avec sa soeur. Où ont-ils vécu leurs années de complicité ? C'est là qu'il sera revenu en pèlerinage, le temps de se ressourcer et de mettre au point un plan. Il est rentré chez lui... Sans attendre, la jeune femme se précipita en direction de la maison, suivie de près par Jonah. — Comment n'y ai-je pas pensé plus tôt ? C'est stupide de ma part, murmura-t-el e en composant le numéro du commissariat. Carmichael ? C'est Fletcher. J'aurais besoin que tu me trouves une adresse. Cel e de l'ancien domicile de Matthew Lyle. La dernière et les autres, également... Toutes cel es que l'on connaît sans limite dans le temps. El e s'interrompit, se forçant à se rappeler les éléments du dossier qu'el e avait eu entre les mains. — Il est né dans l'Iowa et sa famil e a pas mal bougé dans cet État. Par contre, je ne me souviens plus quand il est arrivé à Denver. Ses parents sont morts. Dès que tu sais quelque chose, appel e-moi chez mon père ou sur mon portable, d'accord ? À tout à l'heure. — Tu crois vraiment qu'il est rentré chez lui? demanda Jonah. — Il a besoin de se rapprocher de sa soeur pour retrouver sa confiance en lui. El e comptait beaucoup à ses yeux et son équilibre psychique dépendait largement d'el e. Son profil psychologique indique une étrange relation d'interdépendance. Lyle se posait en protecteur mais en réalité, el e lui servait d'intermédiaire avec le monde extérieur. Et el e est le seul facteur de stabilité dans sa vie... Leurs parents se disputaient beaucoup et ont fini par divorcer. Lyle détestait son beau-père qui était... Al y fronça les sourcils, se concentrant pour se rappeler ce détail. — ... un ancien marine. C'était un homme très dur et apparemment il ne ménageait pas Lyle et sa soeur. Une bonne partie des complexes de Lyle doit provenir de sa vie de famil e. Son beau-père le tyrannisait, sa mère le laissait faire et son père était bien trop faible pour protéger ses enfants. Lyle a toujours été bril ant et son QI est nettement supérieur à la moyenne. Il s'est donc complètement replié sur lui-même, et la seule personne avec laquel e il est resté en contact était sa soeur. Lorsqu'el e s'est mariée, il a commencé à avoir des problèmes avec la Justice. Probablement parce qu'el e n'était plus aussi disponible pour lui et qu'il cherchait des exutoires à sa colère... Pourtant, chaque fois, el e est venue témoigner en sa faveur et l'a soutenu envers et contre tout... La sonnerie du téléphone l'interrompit et el e décrocha prestement : — Fletcher à l'appareil, tu as appris quelque chose ? Tout en écoutant ce que lui disait son interlocuteur, la jeune femme s'empara du bloc-notes qui se trouvait sur la table basse et commença à prendre des notes. — Non, je ne pense pas qu'il ait quitté l'État... Il a encore des choses à faire ici. Attends un instant. Est-ce que tu pourrais demander à mon père de me rejoindre ? ajouta-t-el e en se tournant vers Jonah. Ce dernier al a chercher Boyd et les deux hommes rejoignirent Al y qui s'était instal ée devant l'ordinateur de son père et compulsait les fichiers de police auxquels el e avait accédé par réseau. — Il y a dix ans, expliqua-t-el e aux deux hommes, Lyle avait donné comme adresse une boîte postale. Il l'a conservée pendant six ans alors qu'il possédait déjà la maison sur le lac qu'il a achetée il y a neuf ans, après le mariage de sa soeur avec Fricks. De plus, sa soeur a utilisé la même boîte postale pendant cette période. Par contre, je ne sais pas où Fricks vivait... J'ai demandé à Carmichael de le découvrir. — Beau boulot, commenta Boyd, visiblement très fier de sa fil e. — J'aurais dû y penser plus tôt, soupira cel e-ci. Lyle a un sens très aigu de la propriété, il suffit de voir comment il avait aménagé sa maison pour s'en rendre compte... Le téléphone sonna de nouveau et Al y décrocha. Quelques secondes plus tard, son visage s'il umina. — Bingo ! s'exclama-t-el e. Carmichael, tu es génial. Je te revaudrai ça. El e raccrocha et se tourna vers Boyd. — Un certain Lyle Madeline possède un loft en centre-vil e, lui dit-el e. — Très bien ! Appel e Kiniki et demande-lui de rassembler une équipe d'intervention. Et dis-lui que je viens avec vous. En moins d'une demi-heure, l'équipe se retrouva devant l'immeuble où était situé l'appartement. Boyd le fit encercler, plaçant des policiers devant chaque issue. Puis un groupe d'hommes revêtus de gilets pare-bal es entra dans le bâtiment, silencieusement guidé par Al y qui avait étudié la disposition des lieux et en connaissait le moindre recoin. Ils parvinrent devant la porte de Lyle et el e leur fit signe de l'enfoncer. Dès qu'el e fut ouverte, la jeune femme pénétra à l'intérieur, suivie par ses hommes qui se séparèrent aussitôt pour explorer l'endroit. Très rapidement, ils eurent la certitude que l'appartement était désert. — Il a pourtant séjourné ici, remarqua Al y en désignant les assiettes sales qui se trouvaient près de l'évier. S'approchant d'une plante verte posée dans le salon, el e plongea le doigt dans la terre et hocha la tête. — El e est encore humide, ce qui signifie qu'il s'occupe de la maison. Il reviendra probablement bientôt. Poursuivant leur exploration des lieux, ils découvrirent un véritable arsenal dans la chambre à coucher, trois revolvers, un fusil d'assaut et plusieurs caisses de munitions. — Il y a aussi des bal es de neuf mil imètres, observa Al y. Je ne vois pas d'arme de ce calibre, ce qui signifie qu'il doit être continuel ement armé. — Inspecteur Fletcher ? fit l'un des hommes en lui montrant un couteau à pain qui était posé sur une commode. Il se pourrait que ce soit l'arme du crime. — Embal ez-la, commanda Al y en reconnaissant son propre couteau. Sur la table de nuit, el e avisa une pochette d'al umettes frappées du logo du Blackhawk. — C'est bien ce que je pensais, soupira-t-el e en se tournant vers son père. Jonah est probablement sa prochaine cible. La seule question est de savoir quand il compte frapper... La nuit était déjà tombée lorsque Al y rejoignit enfin Jonah au club. El e lui expliqua ce qu'ils avaient découvert et le prévint qu'il figurait certainement sur la liste noire de Lyle. — Il vaudrait probablement mieux que tu fermes pour vingt-quatre heures, lui conseil a-t-el e. Quarante-huit, tout au plus, le temps que Lyle revienne à son appartement et que nous le coincions... — Il n'en est pas question. — Je pourrais t'obliger à fermer, protesta-t-el e vivement. — Non. Même si tu parviens à obtenir une autorisation, il te faudra plus de quarante-huit heures, ce qui rend l'opération inutile. Al y s'assit sur la chaise la plus proche, bien décidée à conserver son calme. C'était fondamental si el e voulait avoir une chance de convaincre Jonah. Inspirant profondément, el e lutta contre la colère et l'angoisse qui montaient en el e. — Écoute-moi un instant, commença-t-el e. — Non, l'interrompit Jonah en levant la main, cette fois, c'est toi qui vas m'écouter. Je pourrais faire ce que tu me demandes, c'est un fait. Mais quel serait le résultat ? Lyle réaliserait que je me méfie et se planquerait pour attendre un moment plus propice. Et, contrairement à ce que tu dis, je doute qu'il soit assez bête pour retourner à l'appartement s'il sent que nous connaissons aussi bien ses intentions. Alors, plutôt que de jouer au chat et à la souris avec lui, je préfère prendre le risque de le débusquer une bonne fois pour toutes. — Très bien, j'admets que tu marques un point. Mais cette tactique te fait courir des risques inutiles. Nous avons mis son immeuble sous surveil ance. Même s'il s'en approche sans y entrer, nous le repérerons. C'est l'affaire d'un jour ou deux. En attendant, tout ce que tu as à faire, c'est de fermer le bar et de t'accorder deux jours de vacances. Mes parents ont une superbe maison dans les montagnes où tu pourras t'instal er, si tu veux. — Avec toi ? demanda Jonah, tenté malgré lui. — Non. Je dois rester en vil e jusqu'à ce que cette affaire soit classée. — Dans ce cas, je reste aussi. — Mais tu es un civil ! protesta Al y. — Justement. Tant que nous ne vivons pas dans un État policier, je suis libre d'al er et de venir à ma guise et de gérer mes affaires comme je l'entends. Une bordée de jurons fleuris monta aux lèvres de la jeune femme qui s'abstint prudemment de les proférer, sachant que Jonah ne ferait qu'en rire. — Écoute, c'est mon métier de te maintenir en vie justement pour que tu puisses continuer à gérer tes affaires comme tu l'entends. — C'est vraiment ce que tu penses ? Que tu me sers de bouclier ? Est-ce pour cela que tu ne te sépares jamais de ton pistolet, sauf lorsque nous sommes enfermés ici tous les deux ? Et que, même dans ces circonstances, tu le gardes toujours à portée de main ? Al y resta silencieuse et Jonah contourna le bureau pour venir se placer en face d'el e. — Je n'aime pas beaucoup les implications de tout cela, déclara-t-il. — Ne me dis pas comment je dois faire mon travail, répondit-el e durement. — Je ne le ferais pas si tu renonçais à me dire comment vivre ma vie ! s'emporta Jonah. — D'accord ! s'exclama-t-el e, furieuse et frustrée à la fois. Oublie ce que j'ai dit. Nous al ons la jouer à la manière forte, il y aura des gardes vingt-quatre heures sur vingt-quatre en bas et des policiers en civil au bar à tout moment. Et tu en engageras d'autres pour aider aux cuisines. — Cela ne me plaît pas du tout. — Dommage car c'est à prendre ou à laisser. Mais si tu refuses, je te fais mettre en résidence surveil ée pour ta propre sécurité. Et il y aura tel ement de monde pour monter la garde que même un petit malin comme toi n'arrivera pas à passer entre les mail es du filet. J'ai l'autorité pour le faire et mon père m'aidera parce qu'il t'apprécie beaucoup. Alors, je t'en prie, montre-toi raisonnable. — Très bien, soupira Jonah. J'accepte. Mais pour quarante-huit heures seulement. Et en attendant, je ferai savoir dans le milieu que je recherche Lyle. — Ce n'est pas prudent. — Peut-être, mais ce sera plus efficace que d'attendre bêtement qu'il attaque le premier. — D'accord, dit Al y. — Combien tu paries que je reconnaîtrai tous les policiers en civil que tu placeras dans le bar ? — Rien du tout ! Je ne sais pas comment tu fais mais je suis certaine que tu gagnerais, répondit la jeune femme en souriant. Au fait, je suppose qu'il est inutile de te demander de rester à l'étage, ce soir. — Oui. Sauf si tu restes avec moi, bien sûr. — C'est bien ce que je pensais. Tous deux se dirigèrent vers les escaliers. — Sois prudent, lui conseil a Al y. Il y a de fortes chances pour qu'on le coince à l'appartement, mais s'il réussit à s'échapper ou qu'il se doute de quelque chose, il viendra certainement ici pour en finir avec nous deux. Et ce sera très bientôt... — Ne t'en fais pas. Wil est un gardien hors pair et il le repérera avant même que tes petits camarades ne le voient. — À ce propos, je ne veux pas que toi et ton personnel preniez le moindre risque. Si Lyle est repéré, fais-le-moi savoir. Jonah hocha la tête et s'arrêta, contemplant attentivement la jeune femme. — Qu'y a-t-il ? demanda-t-el e. — Eh bien, quand cette affaire sera résolue, est-ce que tu accepterais de prendre quelques jours de vacances ? — Pour faire quoi ? demanda-t-el e. — Pour partir tous les deux. — Je pourrais me laisser convaincre. Tu as une idée de l'endroit où tu veux m'emmener ? — Non, c'est toi qui choisis. — Voilà un homme entreprenant et conciliant ! Je vais y réfléchir. El e fit mine de descendre mais Jonah la retint par le bras. — Al y... — Oui ? Jonah hésita puis songea que le moment était probablement mal choisi. Il avait trop de choses à lui dire, à lui expliquer. Et ce n'était pas le bon moment pour le faire. El e devait rester parfaitement concentrée et la révélation qu'il avait à lui faire risquait de la déstabiliser. — Rien... Je t'en parlerai plus tard... Chapitre 12 Traditionnel ement, il y avait peu de monde au Blackhawk le dimanche soir. Pourtant, ce soir-là, les clients étaient un peu plus nombreux que d'ordinaire. Beaucoup avaient profité de cette bel e journée ensoleil ée pour sortir se promener et certains avaient décidé de s'arrêter au club au retour pour boire un verre ou deux avant de rentrer chez eux. Al y était postée près de la sortie et surveil ait discrètement les entrées et les sorties, comptant les clients. De temps en temps, el e al ait téléphoner aux hommes qui surveil aient l'immeuble de Lyle. Pourtant personne jusqu'alors ne correspondait au signalement de ce dernier. Une heure avant la fermeture du Blackhawk, il n'avait encore été aperçu nul e part. Nerveuse, la jeune femme redoubla d'attention, scrutant la foule qui diminuait de minute en minute. Où pouvait-il bien se trouver ? Il n'avait plus d'endroit où al er, était cerné de toutes parts. Cela aurait dû suffire à le faire craquer... — Inspecteur ? dit Jonah en posant une main sur son épaule. Un de mes informateurs m'a parlé d'un homme qui posait des questions à mon sujet. Sa description correspond à cel e de Lyle. — Quand et où ? demanda Al y, le coeur battant à tout rompre. — Tout à l'heure. À mon autre club. — Le Fast Break ? Mince... Nous n'avons personne là-bas. Je pensais que ce n'était pas le genre d'endroit qu'il fréquentait. — Si ce n'est qu'à présent, il ne cherche plus des pigeons à cambrioler mais un homme à descendre, dit Jonah. Le barman du Fast Break vient de m'appeler et m'a dit qu'un homme posait des questions sur mon compte. Apparemment, il voulait surtout savoir si je comptais me rendre là-bas. — Et le barman est sûr qu'il s'agit de Lyle ? — Non. Je ne lui avais pas parlé de lui, pensant comme toi que Lyle viendrait directement ici. Mais le signalement correspond, à ceci près que l'homme portait une fausse barbe et des lunettes. Le barman a remarqué qu'il paraissait très nerveux et sursautait à la moindre occasion. — Il doit être au bord de la crise de nerfs. La découverte de son appartement a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase... Appel e ton barman et dis-lui que je lui envoie deux policiers en civil, au cas où. Jonah hocha la tête et sortit son portable pendant qu'Al y faisait signe à deux des policiers en civil pour qu'ils la rejoignent. — Lyle aurait été repéré au Fast Break, leur dit-el e. Il porterait une fausse barbe et des lunettes. Al ez-y et restez sur place jusqu'à la fermeture au cas où il déciderait de revenir. Et transmettez ce nouveau signalement aux autres. Les deux hommes hochèrent la tête et sortirent du bar à grands pas. Jonah rangea son portable et le replaça dans la poche de sa veste. — À mon avis, cela ne sert à rien, Lyle ne prendra pas le risque d'y retourner. — Je sais, concéda Al y. Et cela veut dire qu'il ne va pas tarder à arriver ici. Sois prudent ! — Toi aussi, répondit Jonah en faisant mine de se diriger vers une table d'habitués toute proche. Mais, au même instant, un fracas de vaissel e brisée se fit entendre dans la cuisine, suivi d'une série de cris. Instantanément, Al y tira son arme de service et fonça vers la porte. Mais avant qu'el e ait eu le temps de l'atteindre, el e s'ouvrit brusquement, laissant apparaître Lyle. Il ne portait plus ses lunettes mais avait gardé sa fausse barbe. Ses yeux étaient écarquil és et ses pupil es dilatées comme s'il était sous l'effet d'une quelconque drogue. Al y comprit tout de suite qu'en réalité, il était en pleine crise de démence. Il avait à la main un 9 mil imètres dont le canon était pointé directement sous le menton de Beth qu'il tenait devant lui fermement comme un bouclier. — Que personne ne bouge ! hurla-t-il alors que les clients se ruaient vers la sortie en criant de peur. — Restez calme ! ordonna Al y en gardant son arme braquée sur Lyle. El e ne voyait plus que lui, ignorant volontairement le visage terrifié de Beth. — Lyle, dit-el e doucement, calme-toi et laisse-la partir. — Non ! Je vais la tuer ! Je vais faire exploser sa sale tête ! — Si tu le fais, je tire et tu mourras aussi. Qu'est-ce que cela te rapportera ? — Pose ton arme et lance-la dans ma direction sinon c'est une femme morte. — Non, répondit Al y. Je ne le ferai pas et les autres ne le feront pas non plus, ajouta-t-el e en désignant les policiers en civil qui entouraient à présent Lyle. Est-ce que tu as compté le nombre d'armes qui sont braquées sur toi, Lyle ? Regarde bien et sois raisonnable, ne nous force pas à te transformer en passoire et relâche cette fil e. — Je vais la tuer et ensuite je te tuerai, répliqua Lyle, une lueur de folie dans le regard. Peu importe ce qui m'arrivera après. Derrière Al y, quelque part, une femme sanglotait. Du coin de l'oeil, el e vit que Wil faisait discrètement sortir les clients les uns après les autres, leur laissant le champ libre. — Madeline n'aurait jamais accepté que tu te laisses tuer, déclara Al y d'une voix très douce. — Ne prononce pas son nom ! Ne t'avise pas de prononcer le nom de ma soeur ! s'écria Lyle en enfonçant le canon de son arme dans le menton de Beth, lui arrachant un cri de douleur. Al y réfléchissait à cent à l'heure. Sa soeur s'était retrouvée exactement dans la même situation que lui, cernée, sans espoir de s'en sortir. Et el e n'avait pas hésité à tirer. Lyle ferait-il de même ? Si seulement el e pouvait le forcer à détourner son arme de Beth ne serait-ce qu'un seul instant... À la tourner vers el e... — El e t'aimait, dit-el e doucement. Et el e est morte pour toi. — El e était tout ce que j'avais, hurla Lyle qui vacil ait dangereusement, au bord de la folie. Je la vengerai. Je tuerai le flic qui l'a tuée et je tuerai Blackhawk. Al y vit Jonah s'avancer et Lyle tourner son regard vers lui, un éclair de haine dans les yeux. — Regarde-moi ! cria-t-el e. Regarde-moi bien ! C'est moi qui ai tué ta soeur ! Lyle poussa un hurlement et poussa violemment Beth de côté, pointant son arme sur Al y. Au moment où tous les policiers ouvraient le feu, Jonah se jeta devant el e pour la protéger et les deux hommes s'effondrèrent ensemble. La peur au ventre, la jeune femme se précipita vers Blackhawk et s'agenouil a à ses côtés. Dans sa tête, une pensée obsédante avait effacé toutes les autres, il n'avait pas hésité à se sacrifier pour lui sauver la vie. — Espèce d'imbécile, sanglota-t-el e en le palpant pour savoir s'il était blessé. Tu es devenu fou ? Jonah respirait et el e bénit mentalement le Ciel de l'avoir épargné. — Je vais bien, dit-il. Arrête de me tripoter comme ça. — Tu aurais pu te faire tuer ! protesta Al y, la gorge serrée, en proie à mil e sentiments contradictoires. — Toi aussi, répondit-il en se redressant péniblement. — J'avais mon gilet... — Peut-être mais ta tête n'est pas encore assez dure pour être à l'épreuve des bal es. Jonah jeta un coup d'oeil à ce qui restait de Lyle. Un policier, agenouil é près du corps, secoua la tête. — Il est mort. — Je dois al er calmer mes clients, déclara Jonah en se relevant. — Tu ne vas calmer personne, protesta la jeune femme. Tu es couvert de sang. C'est le tien ou le sien ? — Le sien, en grande partie. — Qu'est-ce que ça veut dire «en grande partie» ? s'exclama-t-el e, alarmée. — Je vais m'occuper de mon personnel et de mes clients, dit-il en la repoussant. Fais ton boulot et laisse-moi faire le mien. Se dirigeant vers Beth qui se trouvait auprès d'un officier de police, il la serra contre lui. — Tout va bien, maintenant, Beth. Tout va bien... La jeune serveuse se mit à sangloter sur son épaule tandis qu'il la berçait doucement, comme une enfant. — Ouais, murmura Al y avec amertume en regardant le corps déchiqueté de Lyle. C'est sûr, tout va bien... Assise à une table dans le bar désert, Al y regardait l'équipe de la police scientifique qui rembal ait son matériel et se préparait à quitter les lieux. Les clients étaient partis depuis longtemps et le corps de Lyle avait été emporté par les hommes du coroner. La jeune femme ignorait quel e heure il pouvait être, sachant juste qu'el e avait besoin de dormir, d'oublier ce qui venait de se passer. Demain, el e aurait l'esprit plus clair pour réfléchir à tout cela. À ce moment-là, Hickman vint la rejoindre et s'assit en face d'el e. — Il s'est vraiment jeté dans la gueule du loup, cette fois. — Oui, reconnut Al y. Malgré toute son intel igence, il n'a pas réussi à surmonter la douleur que lui causait la mort de sa soeur et la peur que nous lui inspirions. Il a foncé dans le tas... — Apparemment, il avait enfilé une blouse pour se faire passer pour un cuisinier et une fausse barbe pour ne pas être reconnu. Ça a marché, d'ail eurs, alors que le policier qui l'avait repéré al ait donner l'alarme, il s'est jeté sur Beth. — J'ai vu son visage lorsqu'il a réalisé qu'il était cerné, il était stupéfait. Apparemment, il n'avait pas imaginé une seule seconde que nous pouvions lui avoir tendu un piège ici. Il devait penser entrer dans le bar, tuer Jonah puis prendre les clients en otage pour exiger qu'on lui livre le flic qui avait tué sa soeur. Il croyait vraiment que nous le ferions... Ensuite, il pensait sans doute s'enfuir avec un otage. — Finalement, son arrogance l'a perdu, comme tu l'avais prédit. En parlant de cela, j'ai trouvé plutôt audacieux la façon dont tu lui as balancé que tu avais descendu sa soeur ! — Je ne sais pas pourquoi il ne m'a pas reconnue tout de suite. — Peut-être qu'il ignorait que c'était toi qui l'avais effectivement tuée. — Ou peut-être qu'il ne savait pas précisément à quoi je ressemblais... — Nous ne le saurons jamais, conclut Hickman en haussant les épaules. Il regarda la trace d'impact que la bal e de Lyle avait laissée dans le sol. — C'est dommage d'abîmer un carrelage comme celui-ci, remarqua-t-il en souriant. Ça doit coûter cher à réparer. — Je ne sais pas si Jonah compte le faire, après tout, cela fera un sujet de conversation passionnant pour ses clients. — Exact... Heureusement que Lyle était surexcité, à cette distance, la bal e aurait probablement été arrêtée par le gilet pare-bal e mais tu aurais tout de même été blessée. — Tu as déjà pris une bal e de cette façon ? — Moi non. Mais Deloy, lui, en a reçu une. Il avait un bleu de la tail e d'un bal on de foot. En plus, il a été projeté en arrière sur plusieurs mètres et s'est salement cogné la tête sur le sol. Il a frôlé la commotion cérébrale. — C'est toujours mieux que de se faire descendre. — Ça, c'est certain. Bon... Je vais rentrer. On se voit demain ? — Oui. Beau boulot, inspecteur. — J'en ai autant à ton service, inspecteur. À ce propos, ton petit ami est dans la cuisine. Il est en train de se faire soigner. Il s'éloigna et Al y se précipita vers la cuisine. Là, el e découvrit Jonah, assis sur un tabouret, torse nu, en train de se faire panser par Wil tout en buvant un verre de cognac. — Attendez une minute, vous deux ! s'exclama-t-el e, furieuse. Laissez-moi voir cela... Repoussant Wil , el e défit le bandage et effleura la profonde coupure faite par la bal e qui l'avait frôlé. — Aïe ! s'exclama Jonah en la repoussant. Ça va pas la tête ? — Pose ce verre immédiatement. Je t'emmène à l'hôpital. — Pas question, répondit Jonah en avalant une nouvel e rasade de cognac. — Mais tu es complètement débile ou quoi ? Tu viens de te faire tirer dessus ! — Mais non... La bal e n'a fait que transpercer le gras du bras. Laisse faire Wil . Il a l'habitude de ce genre de choses et, en plus, il est beaucoup plus doux que toi. — Mais la blessure pourrait s'infecter. — Tu crois vraiment que c'est la première fois que ça m'arrive ? — C'est vrai, Al y, plaida Wil en renouant le pansement. Je l'ai bien nettoyée et il n'y a aucun risque. Franchement, nous avons vu bien pire, autrefois. N'est-ce pas, Jonah ? — Exactement. Et maintenant, j'ai de nouveau une cicatrice d'avance sur toi. — Comme c'est mignon ! s'exclama Al y avec humeur. Un concours de blessures de guerre ! S'emparant de la bouteil e de cognac, el e avala une grande gorgée avant de la reposer violemment sur la table. — Je croyais que tu détestais le cognac ? dit Jonah. — Je déteste le cognac. — Pourquoi ne prends-tu pas un verre de vin, dans ce cas ? dit Wil . — Non, merci, ça va très bien, mentit Al y qui sentait ses mains trembler convulsivement. Bon sang, Blackhawk, tu te rends compte que c'est probablement une de mes bal es qui t'a éraflé ? — Oui. Mais j'ai décidé qu'étant donné les circonstances, je ne porterais pas plainte. — C'est vraiment très aimable à toi. Maintenant, tu vas m'écouter... — Frannie est rentrée avec Beth, l'interrompit Jonah pour faire diversion. El e se remet doucement, même si el e est encore sous le choc. Avant de partir, el e m'a demandé de te remercier. — Et voilà ! s'exclama Wil en décochant une claque dans le dos de Jonah. Ton bras est comme neuf. Par contre, ajouta-t-il, il n'y a plus grand-chose à tirer de ta chemise. Tu veux que j'ail e t'en chercher une autre là-haut ? — Ce n'est pas la peine, répondit Jonah en pliant prudemment son bras. Beau travail, Wil ! Tu n'as pas perdu la main. — Question d'habitude. Je tenais à te féliciter, moi aussi, Al y, ajouta Wil . Sans toi, la soirée aurait pu virer au carnage. Mais tu t'en es sortie bril amment. — Question d'habitude, répondit la jeune femme en souriant. — Bon. Je vais fermer. Bonne nuit, vous deux. Tandis que Wil quittait la pièce, Al y s'assit en face de Jonah qu’el e contempla en silence. — Tu t'es immiscé dans une opération de police, dit-el e au bout d'un moment. — Je sais que je n'aurais pas dû, mais je ne voulais pas que ce taré te tue. Alors je n'ai pas réfléchi et je suis intervenu. Il se resservit un cognac et la jeune femme secoua la tête avec humeur. — Est-ce que tu comptes rester assis ici et continuer à te soûler ? Il haussa les épaules et s'approcha d'el e, passant les bras autour de son cou. — Ne t'avise jamais de me refaire une tel e frayeur ! lui dit-el e d'une voix tremblante. — Je ne le ferai plus si tu me promets toi aussi de me ménager... Bon sang, je sens que je vais rêver de cette scène pendant des mois. Jamais je n'avais eu aussi peur de ma vie. — Je sais. — Je suis capable de le gérer, Al y. Je sais que c'est en cela que consiste ton métier. Mais avant tout, il y a une chose que je veux que tu saches. — Quoi ? Jonah se leva et vida son verre de cognac d'un trait pour se donner du courage. — Y a-t-il encore des flics ici ? — À part moi, tu veux dire ? — Évidemment. — Non. Nous sommes seuls. — Alors assieds-toi. — Oh là ! Ça a l'air vraiment sérieux, dit-el e en reprenant place sur sa chaise. — Ma mère m'a laissé tomber lorsque j'avais seize ans, commença-t-il sans trop savoir ce qu'il comptait lui dire au juste. Je ne pouvais pas lui en vouloir, mon père était un homme très dur et el e en avait assez de lui. — El e t'a laissé seul avec lui ? — Plus ou moins. À l'époque, je me débrouil ais déjà par moi-même. Et puis, il y avait ton père. — Il compte beaucoup, pour toi, n'est-ce pas ? — Plus que tu ne peux l'imaginer. C'est lui qui m'a forcé à al er à l'école. C'est lui qui me réprimandait lorsque j'en avais besoin et qui me soutenait le reste du temps. Il a été le premier à me dire que je valais quelque chose, à deviner ce que je pouvais devenir... Je ne connais personne qui le vail e. — Je sais..., dit-el e en posant une main sur la sienne. — Laisse-moi finir, protesta Jonah en la retirant doucement. Je suis al é à l'université sur les conseils de Boyd. J'ai décroché une bourse et j'ai suivi des cours de management. J'avais vingt ans lorsque mon père est mort d'un cancer. Sa fin a été longue et très pénible, pour lui comme pour moi. Lorsqu'il est parti, je me suis senti soulagé. — Je peux le comprendre. — Ce que j'essaie de t'expliquer, c'est que nous venons de deux mondes radicalement différents. — Pas tant que cela. Tu as eu une enfance malheureuse et moi une enfance bénie. Mais, en fin de compte, nous avons tous les deux été élevés par Boyd Fletcher. Il est devenu ton père comme il était déjà le mien. Et ne me regarde pas comme cela, il suffit de voir comment tu parles de lui pour s'en rendre compte. — Peut-être... Mais tu te trompes en disant que j'ai eu une enfance malheureuse. Difficile, peut-être, mais el e me convenait tout à fait, à l'époque. Je n'étais pas une victime, Al y. J'étais un battant et j'utilisais tous les moyens à ma disposition, légaux ou non pour m'en sortir. Je volais, je jouais, je trichais, j'arnaquais et je ne le regrette pas aujourd'hui. Bien sûr, les choses auraient été différentes si j'avais été éduqué dans ton milieu. Mais cela n'a pas été le cas. — Et aujourd'hui ? — Aujourd'hui, je n'ai pas changé tant que cela. Je ne vole plus et je n'arnaque plus parce que je n'en ai plus besoin. C'est l'unique raison. — Est-ce que tu espères une seule seconde que je vais te croire, Jonah ? Tu peux toujours jouer les durs, me décocher des regards courroucés ou faire de l'humour. Au fond, tu as le coeur tendre. Tu es même un véritable saint-bernard. Jonah la dévisagea avec stupeur et el e ne put s'empêcher de sourire. Se levant, el e al a chercher une bouteil e de vin blanc dans le réfrigérateur et l'ouvrit avant de se servir un verre. — Crois-tu que je n'ai pas effectué des recherches sur ton compte ? Que je n'ai pas enquêté sur tes amis ? Tu attires à toi tous ceux qui sont meurtris par la vie et tu les prends sous ton aile. Tu as tiré Frannie de la rue, tu lui as donné un emploi et une dignité. Tu as payé les dettes de jeu de Wil avant qu'on ne lui explose les deux genoux en guise de représail es et tu lui as donné un travail, à lui aussi. — Ce sont des amis d'enfance, protesta Jonah. — Soit ! Mais ce n'est pas le cas de Beth. Pourtant, à chaque Noël, tu offrais des cadeaux à ses enfants lorsqu'el e n'avait pas assez d'argent pour le faire. Ensuite, il y a Maury, l'un de tes chefs cuisiniers, tu lui as prêté une somme d'argent très importante parce que sa mère était malade et qu'il avait besoin de lui payer une infirmière. — Ça suffit ! s'exclama Jonah en rougissant. Al y secoua la tête et, après avoir avalé une gorgée de vin, reprit son énumération. — Tu as également payé deux mois d'université à Sherry, une serveuse qui ne travail e même plus chef toi, lorsqu'el e s'est retrouvée à court d'argent. Et Peter, le barman ? Qui lui a payé une nouvel e voiture lorsqu'il s'est fait emboutir par un type qui n'avait pas d'assurance ? Je crois bien que c'est encore toi... — Qu'est-ce que cela prouve ? demanda Jonah. J'ai de l'argent et j'investis dans les hommes. C'est une façon de m'assurer leur fidélité. — Tu crois vraiment que je vais croire des âneries pareil es ? — Tu commences à m'exaspérer sérieusement, Al y ! s'exclama-t-il, partagé entre la colère et l'embarras. — Oh, vraiment ? s'exclama-t-el e, provocante. Eh bien, vas-y, joue les durs, fais-moi taire de force, si tu en es capable ! — Fais attention à ce que tu dis, la menaça-t-il sans grande conviction. — Je crois que je tremble de peur, répliqua-t-el e en riant. — Un mot de plus et je te jure que je te fais ravaler tes rail eries, dit-il en se levant brusquement. El e s'approcha de lui et se pressa contre son corps, effleurant son torse du bout des doigts. — Tu n'y peux rien, Jonah, souffla-t-el e, tu es un grand sentimental. La repoussant, il se dirigea vers la porte de la cuisine. — Où vas-tu ? — Enfiler une chemise. Il est inutile de poursuivre cette conversation. — Très bien. Mets une chemise pour que j'aie le plaisir de la déchirer. J'ai un faible pour les hommes blessés qui jouent les durs mais sont aussi tendres que de la guimauve. En riant, el e se jeta sur lui et se jucha sur son dos, manquant le renverser. — Je suis fol e de toi, Blackhawk ! — Fiche le camp ! s'exclama-t-il. Va arrêter quelqu'un ou faire je ne sais quoi d'autre. Je crois que j'ai eu mon compte de flics pour la journée ! — Al ons, nous savons pertinemment tous les deux que tu n'en auras jamais assez de moi, répondit-el e en lui mordil ant le lobe de l'oreil e. Ose seulement dire le contraire... Jonah avisa alors l'impact de la bal e sur le sol du bar dans lequel ils venaient de pénétrer. Et il se souvint brusquement qu'il avait fail i la perdre. Incapable de résister à l'émotion qui lui serrait la gorge, il força Al y à descendre de son dos et la serra contre lui, l'embrassant avec une passion qui confinait au désespoir. — Voilà qui est mieux, Jonah, remarqua-t-el e, haletante, lorsqu'il la laissa enfin respirer. Maintenant, fais-moi l'amour. La soulevant de terre, il la porta jusqu'à l'une des profondes banquettes qui se trouvait non loin de là et l'y déposa précautionneusement avant de se serrer contre el e, noyant dans son odeur les images insupportables qui l'assail aient. Il avait besoin de la sentir en vie. Tant qu'el e serait dans ses bras, plus rien d'autre n'aurait d'importance. Lorsqu'il l'embrassa de nouveau, toute sa colère, toute son angoisse se muèrent brusquement en passion torride, et il entreprit de la déshabil er fébrilement tandis qu'el e faisait de même avec lui. Il voulait se perdre en el e, s'abandonner entièrement à l'amour qu'il ressentait et qu'il ne savait exprimer que par gestes. Ils firent l'amour très rapidement, presque dans l'urgence, comme pour se prouver qu'ils étaient encore en vie. Et le plaisir les balaya ensemble, emportant avec lui le monde et ses terreurs. Ensuite, ils restèrent longuement nichés l'un contre l'autre, le souffle court et les yeux emplis d'étoiles. — Serre-moi fort, murmura Al y en pressant son visage contre son épaule. Mais el e sentit alors le liquide chaud et poisseux qui coulait le long de ses joues et jura. — Ta blessure s'est rouverte, dit-el e en se dégageant doucement. Je vais refaire le pansement. — Ce n'est pas la peine, protesta t il. — Mais cela ne prendra qu'une minute. — Al y, laisse tomber, dit-il en enfilant ses vêtements. Je m'en occuperai tout à l'heure... La jeune femme perçut une certaine froideur dans sa voix et comprit qu'il avait déjà repris de la distance. — Rhabil e-toi, dit-il en lui tendant ses habits froissés. En silence, el e s'exécuta. — Je pense vraiment que nous devrions poursuivre notre conversation de tout à l'heure. Tu ne m'as toujours pas dit ce que tu voulais... — Ce n'est pas grave, répondit froidement Jonah. Malgré el e, la jeune femme sentit de grosses larmes rouler le long de son visage. — Al y, je t'en prie, ne pleure pas, supplia Jonah d'une voix incertaine. — Je suis surprise que tu ne me dises pas que tu n'en vaux pas la peine, remarqua-t-el e, furieuse contre lui et contre el e-même. Très doucement, il essuya ses pleurs et le sang qui maculait son visage. — Ne pleure pas, répéta-t-il. — Espèce d'imbécile ! s'exclama-t-el e en reniflant. El e lui décocha un violent coup de poing dans la poitrine qu'il encaissa sans broncher. — Tu es amoureux de moi, dit-el e. Mais tu refuses de l'admettre. Cela ne fait pas de toi un dur mais un être sans coeur ! — Mais tu ne m'écoutais pas, protesta Jonah. — Et toi non plus. Comme ça, nous sommes à égalité. — Eh bien, écoute-moi, maintenant. Nous n'avons rien en commun, toi et moi... — Espèce de salaud ! Si tu comptes me parler d'argent, je te gifle. — Je ne parle pas d'argent, répondit Jonah en haussant les épaules. Je suis sûr que j'en ai plus que toi. Je ne te parle même pas de nos enfances respectives, si différentes soient-el es. Je te parle de ta famil e. Tu as des racines, des liens émotionnels qui te relient à un tas de gens, un passé dont tu es fière... Je n'ai rien de tout cela. — C'est faux. Tu as une famil e, Frannie, Wil , Beth, mon père... Tous comptent autant à tes yeux que mes tantes, mes cousins ou mes neveux... Mais je vois ce que tu veux dire, tu penses peut-être qu'une fil e comme moi devrait épouser quelqu'un de bien, quelqu'un qui vient d'une bonne famil e et pratique une profession aussi honorable que cel e de banquier, d'avocat ou de médecin ? — Plus ou moins... — C'est intéressant. C'est logique. D'ail eurs, il se trouve que je connais justement un type qui remplit toutes ces conditions, le parti parfait, en somme. Il se nomme Dennis Overton. Tu te souviens de lui, j'en suis sûre. Franchement, j'ai déjà donné... Al y finit de boutonner son chemisier et regarda Jonah dans les yeux. — Il est inutile de te trouver des excuses aussi minables si tu n'as pas le cran de m'avouer ce que tu ressens pour moi, Blackhawk. Maintenant, cette enquête étant close, je crois que je vais rentrer... À un de ces jours ! Se détournant, el e se dirigea vers la porte mais Jonah fut plus rapide et lui bloqua le passage. — Tu ne partiras pas d'ici tant que nous n'aurons pas terminé de parler, dit-il. — Je t'ai dit tout ce que j'avais à te dire. — Moi pas. Alors tais-toi et écoute. — Si tu me dis encore une fois de me taire, je... Il ne la laissa pas finir, l'embrassant presque avec violence. — Si tu crois que c'est facile, dit-il enfin. Je n'ai jamais été amoureux auparavant... Malgré el e, Al y sentit son coeur battre plus fort. Pourtant, el e s'efforça de rester impassible. — D'accord, dit-el e. Je t'écoute. — Je crois que j'ai perdu la tête dès le moment où je t'ai vue entrer dans le bureau de ton père. Et depuis, les choses n'ont fait qu'empirer... — Jusque-là, ça me plaît. Continue... — Tu vois ? Ce genre d'attitude aurait sans doute le don d'exaspérer n'importe qui. — Mais pas toi. C'est l'une des choses qui te plaît chez moi. — Apparemment, soupira-t-il. Tout ce que je sais, Al y, c'est que je t'aime. Voilà, c'est tout. — C'est tout ? Est-ce que tu n'es pas censé en tirer des conclusions plus concrètes, me faire des propositions ? — Très bien. Instal e-toi ici et vis avec moi. — Un accès permanent au sauna et à la sal e de gym ? Ça marche ! Jonah se détendit brusquement et éclata de rire. — Qu'est-ce que tu me proposes encore ? demanda-t-el e avec aplomb. — Personne ne t'aimera comme moi, je te le promets. En fait, je pense que personne ne pourrait s'entendre avec toi plus d'une journée d'affilée. Mais moi, si. — J'en ai autant à ton service. Mais cela ne suffit pas. — Mais qu'est-ce que tu veux d'autre ? s'exclama Jonah, stupéfait. — Je veux que tu m'épouses. — Tu le penses vraiment ? demanda-t-il, interdit. — Je dis toujours ce que je pense, au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, répondit-el e. Bien sûr, je pourrais te le demander moi-même mais étant donné que tu es le genre d'homme à ouvrir les portes aux femmes et à acheter des cadeaux aux enfants pour Noël... — Oublie cette histoire, tu veux bien... — D'accord. Disons donc que tu es un homme attaché aux conventions. Alors je pensais que tu tiendrais à faire la demande toi-même. — Bon sang, Al y. Nous sommes dans un bar en plein milieu de la nuit et, de but en blanc, tu me demandes de te demander de t'épouser. Je ne vois pas ce que cela a de très conventionnel. — Moi, ça me convient parfaitement. — Moi aussi. Mais je veux d'abord que tu me dises ce que tu ressens pour moi. — Je t'aime, Jonah, répondit gravement Al y. Je t'aime comme je n'ai jamais aimé personne avant toi. — Tu m'aimes, je t'aime. C'est un bon début... Marions-nous et nous verrons bien où cela nous mènera... Épilogue Avec un hurlement de rage, Al y se leva du canapé. — Corner ? Mais la bal e n'est même pas sortie ! Cet arbitre est nul ! Au lieu de décocher un coup de pied dans la télévision comme el e le faisait parfois, el e décocha une série de coups de poing dans l'épaule de Jonah. — Tu es énervée parce que ton équipe perd et que tu vas me devoir un dîner, dit-il en riant. — Pas du tout ! répliqua-t-el e avec aplomb. Mon équipe ne perdra pas, même si l'arbitre est aveugle ou corrompu. Et dois-je te rappeler que ce pari était il égal ? Tu n'as pas de licence pour être bookmaker. Jonah haussa un sourcil et détail a le peignoir sous lequel el e était nue. — Tu n'as pas ton badge, remarqua-t-il. Tu ne peux donc pas m'arrêter... — Rappel e-toi, Jonah, qu'au propre ou au figuré, je porte toujours mon badge. Dis-moi, reprit-el e, brusquement prise d'un doute, tu n'aurais pas regardé l'enregistrement du match en cachette avant de prendre le pari, par hasard ? — Certainement pas ! protesta-t-il. — Tu ne connaissais pas le résultat, tu en es bien sûr ? — Promis, juré ! Le regard malicieux de Jonah ne lui disait rien de bon. Ils avaient enregistré le match de footbal le lundi précédent, se promettant de ne pas le visionner avant le week-end. — Je ne te fais pas confiance. Tu as toujours été un tricheur ! — Eh ! s'exclama Jonah. Nous avons passé un marché et je ne reviens jamais sur ma parole. Il appuya sur la touche pause de la télécommande et caressa doucement la cuisse de la jeune femme. — Dis-moi, puisque tu es debout, tu pourrais peut-être en profiter pour remplir nos verres. — Je l'ai déjà fait la dernière fois. — C'est parce que tu étais déjà debout. Si tu restais tranquil ement assise à regarder le match, tu ne te ferais pas piéger à chaque fois. — D'accord, soupira-t-el e en ramassant leurs verres. Mais ne t'avise pas de regarder la suite sans moi. — Je n'oserais pas. Al y se dirigea vers la cuisine. Il lui arrivait parfois de regretter l'appartement de Jonah au-dessus du Blackhawk. Mais leur nouvel e maison leur convenait parfaitement. Comme leur mariage, d'ail eurs, songeait-el e en remplissant leurs verres de bière. En dix-huit mois, leur vie à tous deux avait radicalement changé et chaque jour qui passait était plus heureux encore que la veil e. Ils étaient en train de construire quelque chose de mystérieux, de beau et de solide, quelque chose dont ils pourraient être fiers et qui n'appartiendrait qu'à eux. Revenant dans le salon, el e fut surprise de le trouver désert. Mais el e devina aussitôt où el e trouverait Jonah. Posant les verres, el e traversa la maison jusqu'à leur chambre. Poussant la porte, el e découvrit une scène qui fit battre son coeur un peu plus vite. Debout dans le clair de lune qui filtrait à travers la fenêtre, Jonah berçait doucement leur enfant. Rayonnante, la jeune femme se sentit envahie d'un immense amour. — Tu l'as réveil ée, lui reprocha-t-el e gentiment. — El e l'était déjà, mentit-il sans vergogne. — Tu l'as réveil ée parce que tu ne peux pas te passer d'el e. — Et pourquoi pas ? dit-il en déposant un léger baiser sur le front de sa fil e. El e est à moi, non ? — Il suffit de regarder ses yeux pour s'en rendre compte, dit Al y avec tendresse. Jonah observa le petit visage du bébé qui le fixait de ses immenses yeux noirs, et sourit. L'idée avait quelque chose d'exaltant parce qu'il signifiait qu'à travers Sarah, ses yeux verraient le monde d'une tout autre façon qu'à travers lui. Ils sauraient discerner la joie et le bonheur auxquels il avait été si longtemps aveugle. — Est-ce qu'el e a faim ? demanda Al y en s'approchant d'eux. — Non, répondit Jonah avec un sourire. C'est une créature de la nuit, comme ses parents. Tournant la tête, il embrassa Al y - sa femme - songeant qu'il ne s'était jamais senti aussi bien qu'en cet instant. Sentant Sarah bouger contre sa poitrine, il la tendit à Al y qui la prit délicatement contre son épaule. La jeune femme avait été stupéfaite par la facilité avec laquel e Jonah s'était coulé dans son nouveau rôle de père. Peut-être fal ait-il y voir l'influence de Boyd ? — Je crois qu'il serait temps de faire son éducation sportive, dit Jonah. — El e risque de s'endormir devant la télévision, remarqua Al y. — Toi aussi, à mon avis. — Dans ce cas, je te propose un marché je la garde jusqu'à la mi-temps et ensuite, c'est ton tour. — Marché conclu, répondit Jonah. Main dans la main, ils retournèrent dans le salon, conscients qu'ils vivaient les moments les plus heureux de leur existence.