La loi du danger Nora Roberts Prologue De toutes les découvertes faites par l'Homme, le feu était probablement la plus fascinante et la plus ambiguë. Il pouvait purifier ou détruire. Sa chaleur était source de vie mais il pouvait aussi provoquer la mort dans d'atroces souffrances. Le feu était source de vénération et de crainte depuis des mil iers d'années parce qu'au fond, il était synonyme de pouvoir. C'était peut-être pour cette raison qu'il le troublait à ce point. Depuis l'enfance, il avait été inexplicablement attiré par les flammes. Combien de fois lui avait-on répété de ne pas jouer avec des al umettes ? Mais il connaissait chaque expression du feu, chacun de ses visages... Et il les aimait. Il y avait le feu qui brûlait dans les cheminées, le feu rassurant et réconfortant, devant lequel les anciens réchauffaient leurs vieux os, celui que contemplaient rêveusement les amants enlacés. Il y avait le feu de camp qui parlait d'aventure et de nuits étoilées, un feu auprès duquel s'échangeaient des histoires aussi vieil es que lui. Il y avait les feux des SDF, autour desquels se massaient les déshérités, les laissés-pour-compte. Des feux à l'odeur d'ordure dans de grands barils de métal. Des feux qui faisaient parfois la différence entre la vie et la mort, lorsque le froid s'acharnait contre les corps recroquevil és dans les ruel es insalubres. Et puis, il y avait les incendies. Ces odes bril antes aux dieux tout-puissants qui rappelaient parfois aux hommes trop fiers que jamais ils ne contrôleraient le feu. Il suffisait de si peu, une cigarette mal éteinte jetée dans une poubel e, un fer à repasser ou une bougie oubliée, un drap négligemment jeté sur un radiateur, un éclair parfois... Le feu brûlait au hasard, sans distinction de classe. En son sein se consumaient indifféremment les objets les plus précieux et les ordures, les maisons somptueuses et les taudis, les hommes de toutes races et de tous milieux. Comme Dieu, le feu frappait d'une main aveugle. Comme lui, il pouvait détruire ou protéger. Comme lui, il était la vie et la mort, l'alpha et l'oméga. Maîtriser le feu, c'était devenir l'égal de Dieu. Et lui, il maîtrisait le feu. Une fois à l'intérieur du bâtiment, il observa attentivement la disposition des lieux. Une fois de plus, tout était simple, lumineux et terriblement excitant. Il savait exactement ce qu'il devait faire et cette sensation de pouvoir était grisante. Évoluant dans les ténèbres, il gagna le second étage à tâtons. Bientôt, il ferait clair comme en plein jour mais, pour le moment, il ne pouvait prendre le risque d'al umer sa lampe torche. Arrivé devant la porte qui donnait sur la sal e de stockage, il l’arrosa généreusement d'essence avant de la pousser. À l’intérieur, sur de très longues étagères, reposaient les articles de lingerie prêts à être commercialisés. À interval es réguliers, il les aspergea de carburant, y ajoutant parfois de petits tas d'al umettes qui s'enflammeraient, osant ainsi une réaction en chaîne. Il pouvait aisément imaginer la scène, des flammes bondiraient bientôt en liberté, embrasant tout sur leur passage. En quelques secondes, la pièce serait transformée en brasier. Puis les vitres exploseraient et les solives du plafond commenceraient à leur tour à brûler. Avant même que le feu ne se soit communiqué à l'étage inférieur, l'ensemble de l'édifice s'effondrerait sur lui-même, comme un vulgaire château de cartes. Si seulement il avait pu rester là et assister à ce divin spectacle. Si seulement il avait pu entendre le rugissement sourd, les craquements, les grésil ements qui constituaient la mélodie secrète de l'incendie. Hélas, il serait déjà loin et devrait se contenter d'imaginer cette apothéose. Parcourant le bâtiment, il continua à répandre l'essence, s'arrêtant parfois pour respirer son parfum grisant qui lui faisait légèrement tourner la tête, lui transmettant une sorte d'ébriété des plus agréables. Il prenait son temps, sachant que nul ne viendrait le déranger, le gardien de nuit devait lire tranquil ement au rez-de-chaussée et n'effectuerait pas sa ronde avant un quart d'heure au moins. Levant les yeux, il aperçut le réseau argenté du système anti-incendie qu'il avait pris la précaution de désamorcer en même temps que l'alarme. S'ils croyaient qu'il se laisserait piéger par de tels gadgets, ils al aient être surpris... Lorsque les deux jerricans qu'il avait apportés furent vides, il les déposa au fond de la pièce, près du centre du foyer principal. Puis, presque cérémonieusement, il ôta ses gants et sortit une boîte d'al umettes. Il en prit deux et resta quelques instants immobiles, les contemplant rêveusement. Demi petites brindil es appelées à un grand destin. Enfin, lorsqu'il se sentit prêt, il les frotta contre le grattoir et les laissa tomber sur le tas de sous-vêtements imbibés de carburant. Une superbe flamme bleue s'éleva aussitôt et il lui sourit, comme un père à son enfant. — Vas-y, montre-leur, murmura-t-il doucement. Comme si el e lui obéissait, la flamme se communiqua brusquement à la traînée d'essence, se propageant à une vitesse incroyable. Cette fois, l'homme tourna les talons et s'enfuit, aussi silencieusement qu'il était entré. Chapitre 1 Natalie Fletcher pénétra dans son vaste appartement plongé dans l'obscurité. El e était épuisée. Une fois de plus, son dîner avec les responsables du marketing s'était prolongé au-delà de minuit. Et, au lieu de rentrer directement chez el e, el e était ensuite repassée par son bureau pour jeter un nouveau coup d'oeil aux derniers modèles dessinés par ses designers. Évidemment, el e en avait profité pour rédiger quelques remarques qui s'étaient rapidement transformées en un conséquent mémo. Il était à présent près de deux heures du matin et el e se sentait éreintée. C'était d'autant plus ennuyeux qu'el e avait rendez-vous le lendemain matin à 8 heures pour un petit déjeuner avec plusieurs chargés de vente de la côte Est. La jeune femme essaya de se convaincre que cela n'avait aucune importance, le plus important, pour le moment, était de faire en sorte que l'ouverture se passe aussi bien que possible. El e avait déjà consacré beaucoup trop d'énergie à ce nouveau projet pour se permettre de baisser les bras maintenant. D'ail eurs, le jeu en valait la chandel e. Selon toutes les projections, Lady's Choice, la nouvel e branche des Industries Fletcher, permettrait à l'entreprise de faire des bénéfices très confortables dès la première année. Et le mérite en revenait en grande partie à Natalie. El e avait mis en oeuvre toute son expérience pour faire de cette entreprise l'un des fleurons de sa catégorie. Cela valait bien quelques sacrifices sur le plan personnel... Traversant le grand salon dont les fenêtres dominaient la vil e, Natalie gagna directement sa chambre. Dans le miroir qui surmontait sa coiffeuse, el e avisa les cernes sous ses yeux que renforçaient encore la pâleur de ses joues et ses cheveux tirés en arrière. Le manque de sommeil commençait à se faire cruel ement sentir. Pourtant, songea-t-el e ironiquement, les requins étaient censés ne jamais dormir. En al ait-il de même pour ceux qui nageaient dans les eaux troubles du monde des affaires ? Se massant la nuque, la jeune femme gagna la sal e de bains pour y prendre une douche avant de plonger dans les bras de Morphée. Mais el e n'eut pas même le temps de se déshabil er que le téléphone se mit à sonner. El e fut tentée de l'ignorer, puis réalisa que personne ne l'appel erait à une heure si tardive si ce n'était pour lui annoncer quelque chose de réel ement important. Inquiète, el e regagna donc le salon et décrocha, le coeur battant. — Mademoisel e Fletcher ? dit une voix qu'el e ne reconnut pas. — El e-même, répondit-el e en s'efforçant de maîtriser son anxiété. — Jim Banks à l'appareil. Je suis le veil eur de nuit de votre entrepôt sud... — Que se passe-t-il ? demanda la jeune femme. Avez-vous été cambriolé ? — Non. Mais l'entrepôt est en feu. — Mon Dieu ! Y avait-il quelqu'un à l'intérieur ? — Il n'y avait que moi. J'étais en train d'inspecter le rez-de-chaussée lorsque j'ai entendu une explosion à l’étage. Comme une bombe, vous voyez. Et puis tout s'est mis à flamber. J'ai immédiatement appelé les pompiers, puis je me suis dit que je ferais mieux de vous informer aussitôt. — Vous n'êtes pas blessé ? demanda la jeune femme qui entendait des cris et le hurlement des sirènes derrière lui. — Non, je suis sorti dès que j'ai compris que je ne pourrais rien faire seul pour éteindre l'incendie. — Très bien, j'arrive tout de suite... Il fal ut moins d'un quart d'heure à Natalie pour gagner le faubourg sud où se trouvaient la plupart des usines et des entrepôts de la vil e. C'était un endroit morne et gris qui contrastait nettement avec le quartier résidentiel où se trouvait l'appartement de la jeune femme. De loin, el e aperçut l'épais nuage de fumée noire qui signalait l'incendie. S'approchant, el e se gara derrière une impressionnante colonne de camions de pompiers. Plusieurs hommes aux visages noircis s'activaient, maniant haches et lances d'arrosage pour maîtriser le sinistre, craignant sans doute que le feu ne se propage aux bâtiments voisins. Natalie s'avança vers le foyer. La chaleur était intense et les flammes impressionnantes n'avaient toujours pas été éteintes. L'entrepôt était très abîmé. Ses fenêtres avaient explosé, couvrant le sol de petits éclats de verre qui scintil aient à la lueur de l'incendie. Le toit s'était effondré par endroits, laissant échapper des rubans de feu qui paraissaient danser au sommet du bâtiment. Cette vision avait quelque chose de beau et de terrifiant à la fois et Natalie ne put retenir un frisson. — Mademoisel e Fletcher, fit alors un homme, juste derrière el e. Se retournant vers lui, el e comprit à son uniforme qu'il devait s'agir du veil eur de nuit. — Je guis Jim Banks, confirma-t-il en lui tendant la main. Lorsque la jeune femme la prit dans la sienne, el e s'aperçut qu'el e tremblait. — Vous al ez bien ? demanda-t-el e, inquiète. — Oui, mais je n'ai jamais eu aussi peur de ma vie, avoua Banks en jetant un coup d'oeil nerveux à l'entrepôt. — Que s'est-il passé, exactement ? — Eh bien, j'ai entendu cette explosion et je suis monté à l'étage. Le feu s'était déjà répandu partout et je n'ai rien pu faire pour l'éteindre... — Vous auriez pourtant dû entendre l'alarme des détecteurs de fumée, remarqua la jeune femme en fronçant les sourcils. — C'est ce que je me suis dit après coup, mais je vous assure qu'el es ne se sont pas déclenchées... Je suis immédiatement al é prévenir les pompiers mais, apparemment, il était trop tard, ajouta le veil eur de nuit en contemplant d'un air sombre le brasier. Bon sang ! ajouta-t-il, je n'avais jamais vu une chose pareil e et j’espère bien que je ne le reverrai plus jamais ! — Savez-vous qui est le chef des pompiers ? — Non. Ils se sont mis au travail dès leur arrivée et je n'ai pas eu le temps d'en apprendre beaucoup. — Bien... Vous devriez rentrer chez vous, Jim. Je m'occupe de tout. Et si les pompiers ont des questions à vous poser, ils pourront vous appeler. — Merci, mademoisel e Fletcher. Et sachez que je suis désolé pour tout ce gâchis. — Moi aussi, croyez-le, soupira la jeune femme. Jim hocha la tête et, après avoir jeté un dernier regard à l'entrepôt, il s'éloigna à pas lourds en direction de sa camionnette. Le temps que Ryan parvienne sur les lieux du sinistre, une foule de badauds s'était déjà rassemblée. Le feu fascinait les gens parce qu'il représentait l'intrusion de quelque chose de sauvage et d'indomptable au beau milieu de leurs vies policées. Certains prenaient même des paris sur les chances qu'avait l'incendie de se propager. Descendant de son véhicule, Ryan s'approcha de la scène. Les gens s'écartaient sur son passage, impressionnés par l'aura d'autorité qui émanait de lui. Sa haute tail e, sa puissante carrure, son visage impassible et ses yeux gris acier lui conféraient un charisme naturel qui en imposait à la plupart des gens. Ses traits paraissaient sculptés dans le marbre et les lueurs rouges et bleues des gyrophares y faisaient naître des ombres profondes. S'avançant d'un pas souple et élastique qui témoignait de longues années d'exercice, il observa l'incendie, réalisant que les pompiers avaient parfaitement fait leur travail, parvenant à circonscrire les flammes qui ne tarderaient pas à s'éteindre d'el es-mêmes, faute de combustible. Ce serait donc bientôt à lui d'intervenir. Après avoir passé sa veste de protection noire, il enfila une paire de gants ignifugés et mit son casque. Lorsqu'il fut prêt, il al uma une cigarette et tira une profonde bouffée, savourant cet ultime moment de calme qui précédait traditionnel ement son entrée en scène. Pourtant, malgré sa nonchalance apparente, ses yeux balayaient les lieux, retenant chaque détail qui pourrait se révéler utile par la suite. Presque inconsciemment, il prit note de la couleur du ciel, de la direction du vent, de l'inclinaison des flammes, des dommages structurels. Ensuite, il poserait des questions plus précises aux sapeurs-pompiers et effectuerait des tests scientifiques plus poussés. Mais, en général, les informations récoltées sur le terrain étaient cel es qui seraient les plus utiles. Exhalant un nuage de fumée qui se perdit dans cel e que dégageait le foyer, Ryan observa le petit groupe de gens rassemblés non loin de lui. Il n'y avait pas trace du gardien de nuit qui avait appelé les secours. Il lui faudrait donc prendre contact avec lui aussi rapidement que possible. La plupart des personnes présentes trahissaient des sentiments classiques dans ce genre de situations, de l'excitation, comme cel e qui bril ait dans les yeux d'un jeune homme, de la peur dans ceux de sa petite amie qui se pressait contre lui, et surtout le soulagement de ne pas être la victime de ce déluge de feu. Puis il avisa la jeune femme blonde qui se tenait à l’écart du groupe et contemplait le sinistre d'un air indéchiffrable. El e était vêtue d'un beau manteau de velours, portait une luxueuse paire de chaussures et ses cheveux étaient soigneusement tirés en arrière en une coiffure élaborée. Ce n'était pas du tout le genre de femme à se trouver dans un quartier comme celui-ci en pleine nuit. Outre sa tenue élaborée, l'inconnue tranchait avec le reste des gens par sa beauté. L'ovale de son visage aurait pu être celui d'un tableau de la Renaissance et l'incendie al umait dans ses longs cheveux blonds des reflets roux. Ryan ne parvint cependant pas à distinguer la couleur de ses yeux. Ils étaient fixés sur le sinistre et ne trahissaient aucune émotion, à part peut-être une pointe de colère rentrée. La jeune femme était soit insensible, soit habituée à se contrôler en toutes circonstances. La question était de savoir ce qu'el e pouvait bien faire ici à une tel e heure. — Salut, inspecteur, fit alors le lieutenant Holden, le tirant de ses pensées. Vous n'auriez pas une cigarette pour un pauvre pompier trempé ? Ryan sourit et lui en tendit une que l'autre al uma avec reconnaissance. — Un incendie de plus à votre tableau de chasse, observa-t-il en désignant l'entrepôt qui n'était plus à présent qu'une ruine carbonisée et fumante. — Oui. Et je peux vous dire que c'était une véritable saloperie ! Le haut du bâtiment était déjà complètement en feu lorsque nous sommes arrivés vers deux heures moins dix. Les deux derniers étages ont été réduits en cendres et le rez-de-chaussée a été bien abîmé aussi. Je pense qu'une bonne partie du matériel entreposé doit être irrécupérable. — Une idée du point d'origine ? demanda Ryan qui connaissait l'expérience d'Holden. — Probablement le deuxième étage. C'est là que se trouvait le stock de lingerie féminine. — Pardon ? — Oui, c'est ce qu'ils conservaient ici, acquiesça Holden en souriant. Des sous-vêtements et des chemises de nuit. Vous verrez, nous avons réussi à sauver une petite partie des habits et des catalogues. Vous aurez de quoi vous rincer l'oeil ! Avisant alors l'un de ses hommes qui bayait aux corneil es, Holden poussa un juron. — Dis donc, petit ! hurla-t-il. Tu crois vraiment que cet incendie va s'éteindre tout seul ! Ces jeunes, ajouta-t-il à l'intention de Ryan, il faut les garder à l'oeil à chaque instant. Ryan hocha la tête et le regarda s'éloigner avant de revenir à la mystérieuse jeune femme blonde. El e avait quitté son poste d'observation pour aborder l'un des pompiers. — Comment le feu a-t-il commencé ? l'entendit-il demander. — Écoutez, mademoisel e, mon métier, c'est de l'éteindre. Si vous voulez avoir plus d'informations, vous devriez vous adresser à l'inspecteur. — Les civils n'ont rien à faire sur les lieux de l'incendie, dit alors Ryan en s'approchant d'eux. De plus près, il put enfin voir la couleur des yeux de la jeune femme. Ils étaient d'un vert profond, presque la couleur du jade. — Il se trouve que l'entrepôt qui vient de brûler m'appartenait, expliqua-t-el e d'une voix polie mais réservée au coeur de laquel e Ryan perçut un écho un peu rauque qui avait quelque chose de félin. El e se tenait très droite, refusant de se laisser impressionner par la haute tail e de Ryan. Mais ce dernier comprit aussi qu'el e était transie. Cela n'avait rien d'étonnant, le feu était à présent éteint, faisant brusquement chuter la température, et la jeune femme n'était pas habil ée pour affronter le froid mordant qui régnait de nouveau sur les lieux. — Puis-je savoir qui vous êtes ? demanda-t-il, curieux. — Je me nomme Natalie Fletcher. Je suis propriétaire de cet entrepôt et de ce qu'il contient et j'aimerais savoir ce qui s'est passé au juste. Vous pourriez d'ail eurs commencer par me dire à qui j'ai l'honneur ? — Ryan Piasecki. Je suis inspecteur de police, spécialisé dans les incendies criminels. — Vous pensez que le sinistre est d'origine criminel e ? s'exclama Natalie, stupéfaite. — Je n'ai aucune certitude pour le moment mais, si c'est le cas, je le découvrirai très vite. En attendant, je vous conseil e de vous écarter, mademoisel e Fletcher. Je crains que vos chaussures ne résistent pas à un tel traitement, ajouta-t-il en désignant les délicates chaussures de cuir qu'el e portait et qui baignaient dans l'eau pleine de cendres et de gravats. Sans attendre sa réponse, il la prit par le bras et l'entraîna en direction du coupé Mercedes dernier modèle qui était garé non loin de là. — Mais que faites-vous ? protesta-t-el e, furieuse. — Je fais en sorte que vous ne gêniez pas les secours et que vous ne courriez aucun risque, répliqua-t-il posément. Je suppose que ceci est votre voiture ? ajouta-t-il en désignant la Mercedes. — Oui, mais... — Alors, al ez attendre à l'intérieur. — C'est hors de question ! s'exclama-t-el e en tentant vainement de se dégager de l'emprise de Ryan. Voulez-vous me lâcher ? Ryan soupira, comprenant que la façon dont il se conduisait ne faisait qu'accroître la colère naissante de la jeune femme. Se forçant à sourire, il essaya donc de faire montre d'un peu plus de diplomatie. — Écoutez, reprit-il d'une voix radoucie. Vous êtes gelée et vous avez les pieds trempés. Je ne vois pas l'intérêt pour vous de rester ainsi en plein vent. — C'est très aimable à vous, répondit Natalie avec une pointe d'ironie. Mais il se trouve que je viens de voir brûler l'un de mes entrepôts et que j'aimerais connaître l'étendue des dégâts. — Vous ne pensez pas qu'il est un peu tard pour faire l'inventaire de ce qui reste ? demanda Ryan. — Sans doute, concéda-t-el e en plongeant les mains dans les poches de son manteau dans le vain espoir de les réchauffer un peu. — Puis-je savoir ce que vous faisiez dans le quartier, à ce propos ? reprit Ryan. — Je suis venue dès que le veil eur de nuit m'a appelée, expliqua la jeune femme. — Vers quel e heure l'a-t-il fait ? — Disons vers 2 heures... — Ryan hocha la tête, observant attentivement Natalie qui frissonnait malgré el e. Il avisa alors la robe de soirée quel e portait sous son manteau de velours. — C'est une curieuse tenue pour vous rendre sur les lieux d'un incendie en pleine nuit, observa-t-il en haussant un sourcil. — J'avais un dîner d'affaires et je n'ai pas pris le temps de me changer avant de venir. — Votre dîner d'affaires a duré jusqu'à 2 heures du matin ? s’enquit Ryan. — Non. Il s'est terminé à minuit, répondit-el e avec humeur. Pourquoi ces questions ? — Si votre dîner s'est terminé si tôt, pourquoi étiez-vous toujours habil ée à 2 heures ? insista Ryan sans répondre à sa question. — Je ne vois pas en quoi cela vous concerne ! protesta Natalie. — Vous étiez avec quelqu'un ? — Non. Je suis passée par mon bureau pour m'occuper de quelques paperasses... Je venais juste de rentrer chez moi lorsque Jim Banks, le veil eur de nuit de l'entrepôt, m'a appelée. — Vous étiez donc seule entre minuit et 2 heures du matin ? — Oui... La jeune femme fronça brusquement les sourcils, comprenant où il venait en venir. — Vous ne croyez tout de même pas que c'est moi qui suis venue mettre le feu ? — Je ne crois rien, mademoisel e Fletcher. Pour le moment, je me contente de réunir quelques éléments préliminaires dont je pourrais avoir besoin lors de l'enquête. — Dans ce cas, articula Natalie d'une voix où couvait une colère sourde, je vais vous faciliter les choses. La compagnie d'assurance qui couvre ce bâtiment est l'United Security. Cela vous évitera de me poser la question. — Merci de votre coopération, mademoisel e Fletcher, répondit Ryan d'un ton mordant. Puis-je savoir dans quel domaine vous travail ez, au juste ? — Je suis l'une des principales actionnaires de Fletcher Industries, monsieur Piasecki. Vous en avez peut-être déjà entendu parler ? Ryan hocha la tête. Comme tout le monde, il connaissait cette multinationale qui s'était rendue célèbre en acquérant diverses entreprises dans l'immobilier, l'extraction minière et l'import-export. Les actifs de ce conglomérat étaient très importants, incluant des parts importantes dans diverses firmes cotées en Bourse. Fletcher Industries n'avait donc théoriquement aucune raison de chercher à truander son assurance mais Ryan savait que cela ne signifiait rien, même les compagnies les plus prestigieuses se rendaient parfois coupables de crimes minables... — Êtes-vous la dirigeante de Fletcher Industries ? demanda Ryan. — Non. Mais je suis directrice d'un certain nombre de filiales et je supervise plusieurs projets au sein du groupe. Ce hangar contenait une partie importante du stock que nous devons commercialiser à partir du printemps dans plusieurs boutiques et sur un serveur internet. — Quel genre d'articles y étaient entreposés ? — De la lingerie fine, inspecteur. — Soutiens-gorge, négligés, déshabil és de soie, satin ou dentel e, ajouta-t-el e avec un sourire teinté d'ironie. Ryan réalisa alors qu'el e tremblait de froid et paraissait avoir le plus grand mal à empêcher ses dents de claquer. — Écoutez, dit-il d'un ton conciliant. Vous êtes en train de geler sur place. Il vaudrait mieux que vous rentriez chez vous. Je vous contacterai aussitôt que possible. — Mais je veux savoir ce qui est arrivé à mon entrepôt, insista la jeune femme. Et je tiens à connaître l’étendue des dégâts. — Le bâtiment a été quasiment réduit en cendres, répondit Ryan. Le reste doit être inondé. Franchement, je doute fort qu'il reste le moindre sous-vêtement récupérable, mademoisel e Fletcher. La seule chose à faire, c'est appeler votre agent d'assurance dès demain. Maintenant, si vous voulez bien m'excuser, j'ai du travail... — On peut dire que vous avez le chic pour réconforter les victimes, inspecteur. — Ce n'est effectivement pas ma spécialité, répliqua Ryan que la jeune femme commençait à exaspérer au plus haut point. — Vous savez, mon frère est policier à Denver et j'avais jusqu'ici une haute idée de votre profession, déclara Natalie d'un ton très sec. Mais vous êtes parvenu à me faire changer d'avis en une seule soirée ! Sans attendre la réaction de Ryan, el e se détourna et s'engouffra dans sa voiture avant de démarrer sans même un regard en arrière. Un sourire aux lèvres, Ryan la regarda disparaître, songeant que jamais encore, il n'avait vu une femme en colère aussi séduisante. Natalie dormit à peine deux heures avant que le réveil ne la tire d'un sommeil sans rêves. À contrecoeur, el e se traîna jusqu'à la sal e de bains pour prendre une douche glacée qui l'aida un peu à émerger de l'état désagréablement cotonneux dans lequel el e se trouvait. Se drapant ensuite dans un peignoir, el e appela son assistante pour lui demander d'annuler ou de repousser ses rendez-vous de la matinée. Sans attendre, el e appela alors ses parents dans le Colorado pour leur faire part de ce qui s'était passé la veil e. Ils se montrèrent prodigues en consolation et en conseils et el e se sentit quelque peu rassérénée. Enfin, la jeune femme contacta son agent d'assurance et convint de le rencontrer sur le site de l'incendie. À peine avait-el e raccroché que le téléphone retentit. — Salut, Nat ! C'est Deborah ! s'exclama la voix familière de son amie, la bel e-soeur de son frère. J'ai entendu ce qui s'était passé aux informations... — Eh bien ! On peut dire que les nouvel es vont vite, commenta Natalie avec un pâle sourire. — Oui. Je suis vraiment désolée pour toi, tu sais. C'est vraiment aussi grave qu'ils le disent ? — Je ne sais pas, au juste. La nuit dernière, j'ai eu l'impression que tout était parti en flammes mais je dois al er vérifier l'étendue des dégâts tout à l'heure. Qui sait, nous pourrons peut-être sauver quelques articles de la col ection... — Tu veux que je vienne avec toi ? Si tu veux, je peux me libérer. Natalie sourit, touchée par sa gentil esse : entre son mari, son bébé et son poste de substitut du procureur, Deborah devait être débordée. Mais el e était prête à tout mettre de côté pour venir en aide à une amie dans le besoin. — C'est gentil mais ce n'est pas nécessaire, répondit Natalie. Par contre, je t'appel erai dès que j'en saurai plus. — Tu n'as qu'à venir dîner ce soir. Comme cela, tu pourras souffler un peu et te détendre. — Ce sera avec plaisir. — Bien. S'il y 'a quoi que ce soit d'autre que je puisse faire pour toi, n'hésite pas à me le dire. — En fait, il y a quelque chose : pourrais-tu appeler mon frère et Cil a à Denver et leur dire que tout va bien et qu'il est inutile d'arriver par le premier avion ? — Pas de problème. — Oh ! Encore une chose. Que peux-tu me dire d'un inspecteur de police du nom de Ryan Piasecki ? — Piasecki ? répéta Deborah. Attends que je me souvienne... Il travail e sur les incendies d'origine criminel e. Il paraît qu'il est très bon dans sa partie. — Espérons-le. — Pourquoi? Ils soupçonnent un acte malveil ant ? — Je n'en sais rien. La seule chose que je sache, en fait, c'est qu'il était sur les lieux, hier soir. Il s'est montré très désagréable et a refusé de me dire quoi que ce soit. — C'est normal. Il faut un certain temps pour déterminer les causes d'un incendie. Mais je peux faire en sorte d'accélérer la procédure, si tu veux. — Non, ce n'est pas la peine. Pour le moment, du moins... — Bien, dans ce cas, on se voit ce soir. Vers 7 heures ? — Compte sur moi. Et merci pour tout, Deborah. Natalie raccrocha et après s'être habil ée en vitesse, el e décida de partir sans attendre pour l'entrepôt, dans l'espoir de se faire une idée de l'étendue des dégâts avant l'arrivée de l'agent d'assurance. Lorsque la jeune femme se gara devant la barrière que les pompiers avaient instal ée pour tenir les curieux à distance, el e fut frappée de découvrir que l'état du bâtiment était pire encore que dans son souvenir. Les murs étaient calcinés et dégouttant d'humidité, le sol recouvert de débris noircis, de gravats, de morceaux de verre et de métal tordus. L'air empestait l'odeur âcre de la fumée. Natalie se glissa sous le ruban jaune qui délimitait la zone du sinistre et marcha en direction du hangar. — Qu'espérez-vous faire, exactement ? fit une voix très sèche, derrière el e. La jeune femme sursauta et se retourna, se retrouvant face à Ryan qui se dirigeait à grands pas dans sa direction, une expression furieuse sur le visage. — Vous n'avez donc pas vu le ruban ? demanda-t-il avec humeur. — Bien sûr que si ! Mais ceci est ma propriété, inspecteur. Je dois y rencontrer l'agent de l'assurance dans peu de temps et j'estime avoir le droit de constater l'ampleur des dégâts ! — Bon sang ! Mais vous n'avez vraiment que ce genre de chaussures dans votre armoire ? demanda alors Ryan, la prenant totalement au dépourvu. Attendez-moi... Sans lui laisser le temps de protester, il regagna sa voiture qui était garée non loin de là et tira du coffre une paire de bottes qu'il apporta à la jeune femme. — Mettez-les, lui intima-t-il. Sinon, vous risquez de vous blesser et je ne tiens pas à en prendre la responsabilité. — Très bien, soupira Natalie avant d'enfiler les bottes qui étaient bien trop larges pour el e et lui arrivaient au genou, tranchant de façon cocasse avec son tail eur bleu marine très chic. — Vous avez fière al ure, rail a Ryan avec un sourire. Maintenant, ajouta-t-il en recouvrant brusquement son sérieux, je veux qu'une chose soit claire. Vous vous trouvez sur ma scène de crime et je ne tiens pas à ce que vous détruisiez la moindre preuve. Alors je vous demande instamment de ne toucher à rien. Ryan se garda bien de préciser qu'il avait déjà découvert une bonne partie des éléments dont il avait besoin. — Je n'ai pas l'intention de vous causer le moindre problème, protesta Natalie. — C'est ce qu'ils disent tous, grommela Ryan. — Dites-moi plutôt, inspecteur. Les policiers travail ent par deux d'habitude. Pourquoi pas vous ? Est-ce par goût personnel ou bien n'avez-vous trouvé aucun équipier capable de supporter votre mauvais caractère ! — Il y a un peu des deux, répondit Ryan sans se démonter le moins du monde. En attendant, je suis curieux de savoir pourquoi vous vous entêtez à venir ici habil ée de cette façon. — J'ai de nombreux rendez-vous cet après-midi et je n'aurai pas le temps de me changer entre-temps. — Ah, ces jeunes cadres dynamiques, ironisa Ryan. Venez, ajouta-t-il en la prenant par le bras. Mais faites attention où vous mettez les pieds. Ce site n'est pas encore tout à fait sûr. Il la conduisit jusqu'au seuil du bâtiment et el e réalisa qu'une partie de la toiture s'était effondrée sur el e-même, transperçant par endroit le sol des deux étages supérieurs. On pouvait donc voir le ciel par ces ouvertures béantes. Autour d'eux, tout n'était que cendres et morceaux de bois noircis et tordus et Natalie ne put réprimer un frisson en avisant le groupe macabre de mannequins calcinés qui avaient été entassés dans un coin de la pièce. — Ils n'ont pas souffert, rassurez-vous, commenta Ryan auquel sa réaction n'avait pas échappé. — Je sais que tout cela n'est probablement qu'une vaste plaisanterie pour vous..., commença la jeune femme. — Le feu n'est jamais une plaisanterie, l'interrompit Ryan en secouant la tête. Sur ce, il gagna un mur en ruine auprès duquel se trouvaient ses outils, une petite pel e, un appareil photo, et une boîte à outils emplie d'instruments dont l'utilité échappa à Natalie. — Qu'est-ce que vous faites ? demanda-t-el e tandis qu'il s'agenouil ait sur le plancher dont il avait apparemment entrepris d'arracher quelques lattes. Sans répondre, Ryan récupéra un morceau de bois qu'il commença à gratter précautionneusement avec un couteau avant de le sentir. — Savez-vous ce qu'est l'oxydation, mademoisel e Fletcher ? demanda-t-il finalement. — Plus ou moins. — C'est l'union d'un corps chimique avec l'oxygène, expliqua-t-il. Ce peut être un phénomène très lent comme dans le cas de la peinture qui sèche ou très rapide, dans le cas d'un feu. Tenez, sentez ceci, ajouta-t-il en lui tendant le morceau de bois. Natalie s'exécuta. — Que sentez-vous ? demanda Ryan. — Rien de particulier... De la fumée, surtout. — Il y a aussi une odeur d'essence, expliqua Ryan sans la quitter des yeux. Généralement, les liquides s'écoulent par les fentes du plancher. Lorsqu'ils sont piégés dessous, ils ne brûlent pas. Vous voyez cet espace que je viens de dégager ? Natalie hocha la tête, observant la tache noire qui maculait le dessous du plancher. — Ceci est une véritable carte. En l'analysant, je reconstitue toutes les phases de l'incendie. — Êtes-vous en train de me dire que quelqu'un a répandu de l'essence dans l'entrepôt avant d'y mettre le feu ? demanda Natalie. Ryan ne répondit pas, se contentant de ramasser un morceau de tissu brûlé qu'il lui montra. — De la soie, commenta-t-il. Un beau gâchis... Il ramassa le bonnet d'un soutien-gorge miraculeusement intact. — Ce qui me fascine, c'est que l'on ne peut jamais savoir ce qui brûlera et ce qui sortira intact de la fournaise... Natalie sentit une colère glaciale monter en el e. Ryan était en train de se moquer d'el e. — Si quelqu'un a délibérément mis le feu à cet entrepôt, je tiens à en être informée, déclara-t-el e froidement. Ryan l'observa attentivement et se redressa enfin. El e constata alors qu'il portait les mêmes vêtements que la veil e. Apparemment, il avait passé la nuit sur le site à réunir les preuves dont il avait besoin. — Je vous adresserai une copie de mon rapport, dit-il. Mais j'aimerais que vous me disiez à quoi ressemblait cet endroit avant l'incendie... Natalie ferma les yeux, cherchant à se remémorer précisément l'apparence des lieux. Il lui semblait que ces souvenirs remontaient à une éternité. — Il y avait trois étages pour une surface totale de six cent soixante mètres carrés. Les escaliers intérieurs et les balustrades étaient en fer forgé. Les couturières travail aient au troisième étage. — Vous voulez dire qu'il s'agissait de sous-vêtements faits main ? s'étonna Ryan. Dans ce cas, le stock devait représenter une sacrée somme... — C'est exact. Notre objectif est de lancer une boutique de lingerie haut de gamme. Les pièces sont cousues dans une autre usine et assemblées ici où les couturières peuvent assurer les finitions. Le troisième étage était donc constitué d'une grande sal e où se trouvaient les machines à coudre, d'une petite sal e où l'on pouvait prendre le café et des toilettes. Au deuxième étage, le plancher était recouvert de linoléum. C'est là qu'était entreposé le stock. J'y avais un petit bureau dans lequel je pouvais m'instal er lorsque j'étais de passage ici. Enfin, le rez-de-chaussée était réservé au contrôle qualité, à l'embal age et à l'expédition. Nous devions commencer notre activité dans trois semaines, au début du printemps. La jeune femme se tut et contempla tristement les ruines carbonisées qui l'entouraient. — Soixante-dix personnes travail aient dans cette usine, reprit-el e enfin. El es se retrouvent au chômage en attendant que nous reconstruisions une unité de production et vous me dites que cet incendie est criminel ! — Je n'ai pas encore assez d'éléments pour l'affirmer avec certitude, tempéra Ryan qui sentait la colère de Natalie. — Mais vous avez la conviction que c'est le cas, répliqua-t-el e durement. Et vous pensez que c'est moi qui suis venue mettre le feu au milieu de la nuit, n'est-ce pas ? Ryan ne put s'empêcher de sourire en imaginant une tel e scène. Il voyait mal la jeune femme toujours si élégante se glisser discrètement dans l'entrepôt et asperger d'essence le stock de sous-vêtements. — Vous croyez que j'ai engagé quelqu'un pour le faire ? s'exclama Natalie, comme si el e venait de lire dans ses pensées. Vous me croyez capable de risquer la vie de l'un de mes employés juste pour toucher le chèque de l'assurance ? — Je ne sait pas avoua Ryan, soutenant le regard de la jeune femme. En êtes-vous capable ? — N'est-ce pas à vous de le déterminer, inspecteur ? s'écria-t-el e, furieuse. Après tout, c'est vous qui menez cette enquête. Eh bien, sachez que je tiens autant que vous à avoir des réponses. Et je ne vous laisserai aucun répit tant que vous n'aurez pas arrêté celui ou cel e qui a mis le feu à mon usine ! Sur ce, el e se détourna, et s'éloigna à grands pas. En sortant de l'entrepôt, el e avisa une voiture garée près de la sienne. C'était cel e de Donald Hawthorne, le directeur de l'entreprise de confection et l'un de ses plus proches col aborateurs. Le voyant sortir de son véhicule, el e le rejoignit. Sans un mot, il regarda les ruines calcinées de ce qui avait été son usine. — Comment est-ce possible ? murmura-t-il en secouant la tête. J'avais fait vérifier tout le système électrique il y a moins de deux mois... — Je suis désolée, Donald, murmura Natalie en lui prenant doucement la main. El e savait ce qu'il devait ressentir. En une nuit, c'étaient deux années de travail acharné qui étaient parties en fumée. — Est-ce qu'ils ont pu sauver quelque chose ? demanda-t-il d'une voix blanche. — Non. Mais il nous reste le stock de l'autre usine, tenta-t-el e de le réconforter. Tout n'est pas encore perdu... — Je me sens comme un capitaine regardant couler son propre bateau, Natalie, avoua Donald en se tournant enfin vers el e. Le coeur de la jeune femme se serra, pour lui comme pour el e, cette nouvel e compagnie était plus qu'une simple affaire commerciale. C'était la réalisation d'un rêve, une chance pour eux de se lancer dans une aventure résolument nouvel e, loin des tracas et des pesanteurs du siège de la multinationale. Tous deux avaient lutté pour s'assurer qu'ils seraient seuls maîtres à bord et cet incendie menaçait à présent cette fragile construction. Il al ait probablement leur fal oir demander à la maison mère de réinvestir et, dans ce cas, ils risquaient de perdre le contrôle du projet. — Il ne faut pas baisser les bras, déclara Natalie d'un ton décidé. Nous al ons passer les trois prochaines semaines à travail er d'arrache-pied et nous serons prêts pour le printemps. — Tu penses vraiment qu'il nous reste une chance de tenir les délais ? demanda Donald, dubitatif. — Oui. Ce sera juste mais en repoussant l'audit et en faisant quelques heures supplémentaires, je crois que c'est toujours possible. — De toute façon, je ne vois pas comment nous ferions un audit, la plupart des dossiers et des comptes se trouvaient dans l'usine. — Je n'avais pas pensé à cela, acquiesça la jeune femme d'un air sombre. Cela va rendre les choses un peu plus difficiles mais je ne pense pas que ce soit insoluble. Après tout, j'ai conservé un certain nombre de documents en double au siège et notre comptable doit avoir la plupart des comptes... — Tu as contacté l'assurance ? — Oui. J'attends l'agent d'une minute à l'autre. Ensuite, je retourne à mon bureau et je commande le matériel dont nous aurons besoin. Nous rapatrierons une partie du stock de Chicago et d'Atlanta pour compléter le nôtre. Quoi qu'il arrive, Lady's Choice ouvrira au mois de mars ! — Une chose est sûre, si quelqu'un peut accomplir ce miracle, c'est bien toi. — Nous y arriverons ensemble, Donald. En attendant, retourne au siège et commence à passer quelques coups de téléphone. Contacte Melvin et Deirdre, rassure nos distributeurs et nos clients, négocie avec les syndicats. — Je m'en occupe, déclara Donald, visiblement rassuré de pouvoir passer à l'action. Tu peux compter sur moi. — Bien. Je te rejoins dès que possible. De l'intérieur de l'usine en ruine, Ryan observa l'étreinte de Natalie et de Donald avant que ce dernier ne remonte en voiture. Il se demanda s'il s'agissait de son petit ami. Avec son costume trois pièces et ses chaussures vernies, l'homme paraissait être son type. Par acquit de conscience, il nota le numéro de la plaque minéralogique de sa Lincoln et se remit au travail. Chapitre 2 — El e devrait être là d'une minute à l'autre, déclara Deborah Guthrie, les poings sur les hanches. Et je veux entendre toute l'histoire avant qu'el e arrive, Gage. Gage déposa une nouvel e bûche dans la cheminée et se tourna vers son épouse. El e s'était débarrassée de son tail eur pour enfiler une jupe en laine et un pul -over en cachemire bleu marine. Ses cheveux d'un noir d'ébène retombaient sur ses épaules en lourdes boucles bril antes. — Tu sais que tu es vraiment très bel e, Deborah. Je crois que je ne te le dis pas assez souvent... Deborah leva un sourcil moqueur. Gage savait se montrer charmeur lorsqu'il le voulait mais el e n'était pas dupe. — Arrête de temporiser, Gage. Tu as réussi à garder cette histoire pour toi jusqu'à présent mais je veux tout savoir. — Eh ! protesta Gage en levant les mains. Ce n'est pas ma faute si tu étais au tribunal durant toute la journée ! — Tout juste. Mais maintenant, je suis ici. Gage se leva et la rejoignit pour déposer un petit baiser sur les lèvres de sa femme. Malgré el e, el e répondit avec passion à son baiser avant de se rappeler brusquement que son amie al ait arriver d'une minute à l'autre. À contrecoeur, el e s'arracha à cette délicieuse étreinte. — Gage Guthrie ! N'as-tu pas honte de tenter de suborner un magistrat de cette façon ? Maintenant, je tiens à ce que tu me dises tout ! Je sais parfaitement tu étais là-bas. — C'est vrai, soupira Gage en al ant remplir un verre d'eau minérale. De fait, il était arrivé sur place. Mais trop tard ! Gage Guthrie avait une façon très personnel e de se battre contre le côté sombre d'Urbana. Trop longtemps, il avait été un policier résigné à l'existence de l'injustice et du crime. Et puis, il avait été victime de cette fusil ade qui aurait dû lui coûter la vie. Et depuis ce jour, il avait décidé de lutter. Il était devenu Némésis, une ombre de la nuit, un justicier redouté des criminels. Seule Deborah connaissait son secret mais, même à el e, il avait du mal à parler de cette existence secrète. — J'étais là, reconnut-il en se servant un verre de vin. Mais je suis arrivé trop tard pour faire quoi que ce soit... — Ne t'en fais pas, Gage. Même Némésis n'est pas omnipotent. Il est normal que tu ne puisses pas tout faire toi-même... — Je le sais bien. Mais je regrette de ne pas avoir vu l'homme qui a mis le feu. Si tant est qu'il y en ait un ! — À t'entendre, j'ai l'impression que c'est ce tu crois. — Oui, avoua Gage en souriant, je suppose que je suis d'un naturel suspicieux... — Moi aussi. Et je suis vraiment désolée pour Natalie. El e a travail é très dur pour créer cette compagnie. — Ne t'en fais pas pour el e. Il lui en faut beaucoup plus pour se laisser abattre. — Tu as raison... — J'essaierai d'en apprendre plus au cours des jours à venir. À cet instant, la sonnette de la porte d'entrée se fit entendre. Après avoir embrassé son mari, Deborah al a ouvrir. Quelques instants plus tard, el e reparut avec Natalie. — Ciao bel a ! s'exclama Gage en embrassant la jeune femme sur les deux joues. Instal e-toi, ajouta-t-il en se dirigeant vers le bar. Je te prépare un cocktail de ma spécialité. Natalie sourit et prit place dans le confortable canapé, jetant autour d'el e un regard légèrement envieux. Deborah et Gage avaient tout ce qu'ils pouvaient désirer : un couple épanoui, une maison magnifique et un enfant. La vie leur avait souri au-delà de toutes leurs espérances. Bien sûr, el e-même n'avait pas les mêmes attentes, el e avait résolument axé ses ambitions dans le domaine de sa vie professionnel e. — Comment t'en sors-tu ? demanda Deborah. — Eh bien, j'adore les défis et celui-ci en est un de tail e. J'ai décidé de maintenir l'ouverture des magasins à la date prévue. — Comment feras-tu pour compenser la perte de ton stock ? demanda Gage. Et cel e de l'usine el e-même ? — Je peux facilement en trouver une autre. En fait, el e avait déjà négocié l'achat d'un nouvel entrepôt. L'argent de l'assurance couvrirait une partie de l'investissement et le reste serait amorti en deux années. Bien sûr, les deux premiers exercices seraient moins florissants qu'el e ne l'avait initialement envisagé mais ce n'était pas aussi grave qu'el e l'avait pensé en découvrant l'incendie, la veil e au soir. — Quant aux marchandises, reprit-el e, nous commencerons par redistribuer cel es qui ont été produites dans les autres vil es. Ensuite, nous reprendrons la production. Il nous faudra certainement faire quelques heures supplémentaires mais nous y arriverons. Natalie porta à ses lèvres le verre que Gage venait de poser devant el e, avalant une longue gorgée de Pina Colada. — Donald a passé sa journée au téléphone, reprit-el e. C'est un véritable expert en relations publiques et en communication et il n'y a pas meil eur que lui pour obtenir des faveurs. Melvin est parti pour les autres usines afin de faire un état des lieux et de planifier les compensations de stock. Quant à Deirdre, el e a réuni tous les papiers qui avaient échappé aux flammes et el e a commencé à remettre en forme notre comptabilité. J'ai parlé aux responsables des syndicats et aux délégués du personnel et je leur ai promis que nous reprendrions la production sous quarante-huit heures. — Dans ce cas, déclara Gage en levant son verre, buvons à la réussite de ton projet. Lui-même travail ait dans le monde des affaires et il était bien placé pour savoir que Natalie était l'une des meil eures professionnel es qu'il lui ait jamais été donné de rencontrer. El e avait une volonté de fer et était capable de faire face à des difficultés qui auraient désespéré la plupart des gens. — Est-ce que tu as du nouveau au sujet de l'incendie proprement dit ? demanda alors Deborah. — Rien de précis, répondit son amie en fronçant les sourcils. J'ai parlé avec l'inspecteur chargé de l'enquête à plusieurs reprises. Il ne cesse de me poser des questions et de faire des sous-entendus mais il refuse de me dire ce qui s'est passé exactement. — Justement, j'ai pris quelques renseignements sur ce Piasecki, aujourd'hui, remarqua Deborah. Je pensais que cela pourrait t'intéresser... — Merci beaucoup, Deb. Qu'as-tu appris, au juste ? — Piasecki a trente-six ans et est divorcé. Il a été pompier pendant dix ans avant d'être détaché auprès des services de police, il y a cinq ans. Depuis, il s' est distingué par ses états de service mais il s'est également fait quelques ennemis... — Étant donné ses méthodes, cela ne me surprend pas beaucoup. — Il semblerait qu'il ait tabassé un conseil er municipal. Il lui aurait brisé la mâchoire. C'était au cours d'un incendie de classe C dans une usine de produits chimiques. Piasecki se trouvait sur les lieux avec la dix-huitième compagnie de sapeurs-pompiers. Ils avaient été les premiers à intervenir et deux d'entre eux étaient grièvement blessés. À ce moment, l'un des conseil ers municipaux est arrivé avec la presse et a commencé à vanter les mérites de ses équipes alors qu'il avait été le premier à demander la diminution des crédits et la suppression de plusieurs unités. Piasecki n'a pas apprécié... — Je crois que j'aurais agi comme lui, reconnut Natalie à contrecoeur. — Il est également passé devant le conseil de discipline pour avoir fait irruption dans le cabinet du maire et avoir déversé sur son bureau un sac rempli de débris ramassés après l'incendie d'un HLM de la banlieue est. Une inspection venait d'avoir lieu et les services municipaux l'avaient déclarée aux normes alors que le système électrique était défectueux, que les alarmes anti-incendie ne fonctionnaient pas et que certains escaliers de secours étaient bloqués. Vingt personnes avaient péri à cause de ces négligences. — Deborah, je t'avais demandé de trouver des informations sur lui pour me prouver que mon instinct était bon, pas pour me démontrer que ce Ryan Piasecki est un saint ! — Désolée, fit son amie en haussant les épaules. El e-même avait toujours eu un faible pour les hommes qui combattaient le crime de façon atypique et el e avait passé assez d'années à combattre la corruption et les négligences de l'administration pour ne pas jeter la pierre à ce Ryan. En réalité, il lui était même déjà sympathique... — Est-ce que tu as autre chose sur lui ? demanda alors Natalie. — Depuis qu'il travail e à la brigade de lutte contre les incendies criminels, il passe pour être un homme agressif, paranoïaque et invivable. Mais ses supérieurs s'accordent pour lui reconnaître le flair d'un chien de chasse et la ténacité d'un pitbul . Il n'arrête pas de creuser tant qu'il n'est pas certain d'avoir trouvé la solution au problème qui l'occupe. Ensuite, il va jusqu'au bout et ce n'est pas le genre de policier à se dégonfler devant un tribunal. Il semble que son témoignage se soit révélé déterminant dans de très nombreuses affaires. C'est un homme très intel igent et redoutablement perspicace. — Bien, soupira Natalie. Je suppose que je devrais me sentir rassurée de savoir que l'enquête est entre les mains de quelqu'un de compétent. Mais j'avoue que cet homme a le don de me mettre hors de moi... La jeune femme fut interrompue par les cris du bébé de Deborah et cel e-ci se leva en s'étirant. — Je m'en occupe, dit-el e à Gage. Tiens compagnie à Nat. — Je peux venir dire bonjour à Adrianna ? demanda cel e-ci. — Bien sûr. Les deux jeunes femmes quittèrent la pièce tandis que Gage al ait vérifier l'état de leur dîner dans la cuisine. — Tu as une mine superbe, remarqua Natalie. Je ne sais vraiment pas comment tu arrives à gérer tout cela en même temps entre ton travail, les soirées avec ton mari et Adrianna, tu ne dois pas avoir une minute à toi ! — Eh bien, je pourrais te dire que c'est une simple question d'organisation et de priorités. Mais en réalité, je crois plutôt que c'est une histoire de passion, c'est cela qui me donne l'énergie de faire face à toutes mes obligations. Deborah poussa la porte de la chambre de sa fil e et Natalie ne put retenir une exclamation admirative. Les murs étaient couverts de motifs colorés, de princesses et de chevaliers, de dragons et de lutins. Mais Adrianna n'y prêtait aucune attention, exprimant clairement combien el e trouvait injuste d'être laissée seule alors que ses parents s'amusaient sans el e. — Ma chérie, s'exclama Deborah en la prenant dans ses bras. L'enfant cessa aussitôt de pleurer et un charmant sourire se peignit sur ses lèvres. — Maman, articula-t-el e avec ravissement. Le coeur serré, Natalie observa son amie qui al ongeait sa fil e sur la table à langer pour la changer. — El e est un peu plus jolie chaque fois que je la vois, dit-el e en caressant doucement les cheveux du bébé qui avaient la consistance de la soie la plus fine. Adrianna, ravie, se mit à babil er joyeusement. — Nous pensons qu'il serait peut-être temps qu'el e ait un petit frère ou une petite soeur, déclara Deborah. — Déjà ? s'écria Natalie, stupéfaite. — Eh bien, nous ne sommes pas encore décidés mais nous aimerions avoir trois enfants et je ne veux pas que la différence d'âge soit trop importante. Et puis, j'adore être maman, ajouta-t-el e en déposant un petit baiser dans le cou d'Adrianna. — Tu aurais du mal à le cacher, commenta Natalie en riant. Je peux la prendre un instant ? Deborah hocha la tête et la jeune femme souleva précautionneusement le bébé qu'el e serra doucement contre el e. Et, de façon inattendue, ce contact lui parut brusquement le plus naturel du monde. * ** Deux jours plus tard, Natalie se trouvait à son bureau, une pile de dossiers entassés devant el e. Un mal de tête, abominable lui taraudait le crâne et el e ne cessait de se masser les tempes dans le vain espoir de le faire disparaître. — S'ils ne peuvent pas réparer les machines, alors nous devons en racheter d'autres, dit-el e en changeant d'oreil e le combiné du téléphone. Non, je ne peux pas attendre demain... Parce que je veux que toutes les couturières soient au travail le plus vite possible... Je viendrai aujourd'hui vérifier que la nouvel e usine est opérationnel e. Je sais que c'est de la folie mais c'est le seul moyen pour nous d'être prêts à temps. Raccrochant, el e leva la tête vers Donald qui lui faisait signe. — C'est bon, dit-il, ravi. Les premières publicités passeront dans le Times de samedi, une page pleine en trois couleurs. — Ils ont tenu compte des changements que j'avais demandés ? — Oui. Et les catalogues ont tous été expédiés aujourd'hui. Ils sont superbes. — C'est vrai, reconnut la jeune femme en jetant un coup d'oeil à celui qui se trouvait sur son bureau. Melvin ? Melvin Giasky releva les yeux du listing informatique qu'il était en train de consulter. C'était un homme d'une cinquantaine d'années aux cheveux poivre et sel qui ne jurait que par le golf et les costumes anglais. C'était aussi l'un des meil eurs spécialistes de la logistique sur le marché. Comme chaque fois qu'il s'adressait à quelqu'un, il ôta ses lunettes cerclées d'acier et entreprit de les polir soigneusement. — Tout est en ordre, expliqua-t-il. Chicago et Los Angeles sont dans les temps. J'ai rééquilibré le stock malgré les réticences des directeurs régionaux. J'ai bien cru que celui de Chicago al ait se mettre à pleurer lorsque je lui ai annoncé que je devais lui emprunter une partie de sa précieuse production ! Alors je lui ai dit que c'était toi la responsable, comme d'habitude... — Ton courage t'honore, commenta Natalie en riant. — N'est-ce pas ? En attendant, j'ai obtenu tout ce qu'il me fal ait. Ils m'ont demandé de réduire le nombre d'articles proposés à la vente mais je leur ai rappelé que le catalogue était déjà publié et qu'il était trop tard pour faire la moindre modification. Et j'en ai profité pour leur rappeler que nous promettions des délais de livraison sous dix jours et que tu serais inflexible à ce sujet. — Tu as bien fait, approuva Natalie, frappée une fois de plus par les talents de négociateur de Melvin. Sous son apparence bonhomme et sympathique, il cachait un sens aigu des affaires et un pouvoir de persuasion incroyable. — Franchement, reprit-el e, tu aurais fait un bril ant homme politique. — Je n'ai pas encore renoncé à cette possibilité, répondit Melvin du tac au tac. En tout cas, sache que nous avons récupéré l'équivalent de cinquante pour cent du stock perdu au cours de l'incendie. — Bravo ! Deirdre ? Où en es-tu ? — J'ai effectué des simulations pour tenir compte du surcoût généré par le sinistre, expliqua Deirdre Marks en rejetant son épaisse chevelure rousse. Dans ses yeux bleu délavés se lisait une vive intel igence et Natalie la savait capable de traiter les informations à une vitesse stupéfiante. — J'ai réalisé une estimation de la trésorerie pour l’année à venir en prenant en compte les primes que tu as décidé d'accorder pour les heures supplémentaires. Nous serons dans le rouge pendant plusieurs mois. Je t’ai préparé quelques graphiques... — Oui, je les ai vus. Mais tes calculs ne prennent pas en considération la prime que nous versera l'assurance. À mon avis, cela devrait éponger une bonne partie de nos pertes. Et même si nous ne dégageons pas immédiatement de bénéfices, nous avons suffisamment de lignes de crédit pour faire face en attendant de redresser la barre. — C'est probable. Mais je ne fais que te donner mon opinion de comptable. D'un point de vue strictement financier, notre investissement a sérieusement perdu de sa rentabilité. — Je le sais. Mais il ne s'agit pas seulement d'argent. Nous développons une nouvel e branche d'activité et nous ne pouvons espérer en tirer bénéfice immédiatement. Je crois réel ement que nous avons des produits de qualité et un concept de distribution original. Cela devrait nous permettre de nous tail er une bel e part de marché. D'ici dix ans, je suis convaincue que nous aurons dépassé nos compétiteurs et c'est alors qu'il nous faudra analyser notre retour sur investissement. En tout cas, félicitations pour ton rapport, Deirdre. Je n'aurais jamais cru que tu parviendrais à récupérer autant d'informations malgré la perte de nos archives... À cet instant, l'interphone qui se trouvait sur le bureau de la jeune femme se fit entendre. — Oui, Maureen ? fit Natalie en pressant le bouton. — L'inspecteur Piasecki est ici, mademoisel e Fletcher. Il n'a pas de rendez-vous mais il dit que vous accepterez de le recevoir... Natalie étouffa un juron, agacée une fois de plus par la présomption du personnage. Mais el e désirait ardemment savoir ce qu'il avait à lui dire au sujet de l'incendie et il lui restait une quinzaine de minutes avant de devoir partir pour la nouvel e usine. — Faites-le monter, dit-el e. J'ai bien peur que nous ne devions ajourner cette réunion, ajouta-t-el e en se tournant vers ses col ègues. Ryan préférait rencontrer les gens sur lesquels il enquêtait sur leur propre territoire. C'était la raison pour laquel e il était venu jusqu'aux bureaux de Natalie Fletcher. Ceux-ci reflétaient l'apparence extérieure de la jeune femme : élégants, raffinés, meublés avec goût. Le sol était recouvert d'épais et moel eux tapis, les murs décorés de peintures originales. Une délicieuse odeur de café flottait dans la sal e d'attente où Ryan avait patienté. C'était probablement un endroit où il faisait bon travail er. Maureen, la secrétaire de Natalie, était une ravissante jeune fil e qui était instal ée devant un énorme ordinateur dernier cri. El e l'accompagna jusqu'au bureau de sa supérieure qui ne le surprit pas plus que le reste du bâtiment : c'était un endroit coquettement instal é où les meubles anciens côtoyaient les oeuvres d'art moderne soigneusement sélectionnées. Natalie était assise derrière un imposant bureau d'acajou, devant une fenêtre teintée. El e portait un tail eur qui parvenait à être à la fois strict et sexy. À son entrée, el e se leva, comme les trois personnes qui se trouvaient là également. Ryan reconnut aussitôt l'homme qui avait rejoint Natalie à l'usine incendiée. Tiré à quatre épingles, il était plutôt bel homme mais d'un genre policé, presque précieux, qui avait le don d'agacer Ryan. Un autre homme se tenait auprès de lui. Plus âgé, il avait un visage qui faisait immanquablement penser à une tête de hibou et essuyait nerveusement une paire de lunettes cerclées d'acier pour se donner bonne contenance. Enfin, il avisa une grande femme qui devait avoir une quarantaine d'années et ne cherchait visiblement pas à le cacher. El e était vêtue d'un tail eur qui lui donnait un aspect quelque peu masculin, contrastant avec la masse impressionnante de boucles brun-roux qu'el e ne se souciait pas de coiffer. — Inspecteur, fit Natalie en inclinant la tête un peu sèchement. — Mademoisel e Fletcher. — L'inspecteur Piasecki enquête sur l'incendie de l'usine, expliqua la jeune femme à ses col ègues qui l'observaient avec une curiosité non dissimulée. Inspecteur, voici mes trois plus proches col aborateurs : Donald Hawthorne, Melvin Giasky et Deirdre Marks. Ryan les salua tour à tour avant de se tourner vers Natalie. — Je trouve toujours étrange d'instal er les bureaux des administrateurs d'entreprises aux plus hauts étages, commenta-t-il avec un sourire. — Pourquoi cela ? — Parce que ce sont les plus difficiles à évacuer en cas d'incendie. Il est impossible de faire monter une échel e jusqu'au quarante-deuxième étage et les buildings ne sont pas munis d'échel es de secours. De plus, ce genre de fenêtre ne fournit aucune aération permettant aux fumées de s'échapper... — Si cela peut vous rassurer, inspecteur, cet immeuble est en conformité avec la législation en matière de prévention des incendies. Nous avons des détecteurs de fumée, des extincteurs automatiques et des lances à incendie à chaque étage. — Votre usine était également parfaitement en règle, lui rappela Ryan en haussant les épaules. — Inspecteur, êtes-vous ici pour me donner des nouvel es de votre enquête ou pour me faire un cours sur la sécurité ? — L'un n'empêche pas l'autre... — Si vous voulez bien nous excuser, fit Natalie à l'intention de son équipe. Tous trois hochèrent la tête et, après avoir rassemblé leurs affaires, quittèrent la pièce. — Écoutez-moi attentivement, inspecteur, reprit Natalie lorsqu'ils furent sortis. Vous ne m'aimez pas beaucoup et c'est tout à fait réciproque. Mais il se trouve que nous avons un objectif commun. Il m'arrive très souvent de col aborer avec des personnes avec lesquel es je ne m'entends pas sur le plan personnel mais cela ne m’empêche jamais de travail er de façon professionnel e. J'espère que c'est également votre cas. — Ne vous en faites pas pour cela, répondit Ryan en s'instal ant confortablement dans l'un des confortables fauteuils de cuir qui faisaient face au bureau de la jeune femme. — Très bien, dit-el e en l'imitant. Dans ce cas, je vous écoute. — Je viens de remettre mon rapport et, comme promis, je me permets de vous en livrer la conclusion en exclusivité : l'incendie a bien été provoqué. Natalie sentit son estomac se nouer. El e s'était préparée à cette éventualité mais le fait d'imaginer quelqu'un mettant délibérément le feu à l'usine avait quelque chose de réel ement effrayant. — Vous en êtes certain ? demanda-t-el e avant de se reprendre. J'imagine que oui. J'ai appris que vous étiez très consciencieux. — Vous devriez prendre une aspirine avant de vous creuser un trou dans la tête, remarqua Ryan d'un ton légèrement moqueur. Natalie réalisa alors qu'el e se massait convulsivement la tempe, le crâne traversé par une douleur lancinante. Furieuse d'avoir trahi une faiblesse, el e se renfonça dans son siège. — Quel e est la prochaine étape ? — Eh bien, j'ai déjà établi la méthode de l'incendiaire. Il me reste donc à déterminer son motif. — Et s'il n'y en avait pas ? Certaine personnes mettent le feu simplement parce qu'el es sont dérangées... — C'est exact, reconnut Ryan en sortant son paquet de cigarettes. Il s'aperçut alors qu'il n'y avait aucun cendrier dans la pièce et se contenta de jouer avec. — La pyromanie est une option que je ne peux écarter, reprit-il. Mais je dois aussi prendre en compte les motifs plus concrets. Il est toujours possible qu'il s'agisse d'un homme de main payé pour mettre le feu. D'autant que la prime d'assurance est plus que confortable, d'après ce que je sais... — C'est exact. Et ce n'est pas sans raison, j'ai perdu pour un mil ion et demi de marchandise et de matériel. — C'est beaucoup moins que la prime, objecta Ryan. — Encore exact. Mais si vous connaissez le marché de l'immobilier, vous réaliserez que le bâtiment qui a brûlé avait une valeur non négligeable. Franchement, si vous pensez vraiment que cet incendie est une fraude à l'assurance, vous perdez votre temps. — J'ai beaucoup de temps, mademoisel e Fletcher, répondit Ryan en se levant. En attendant, j'aurai besoin que vous fassiez une déposition, demain à mon bureau à 2 heures. — Je peux la faire tout de suite, suggéra Natalie. — Venez demain. Et comprenez bien ceci, si vous col aborez et que je réalise effectivement que vous n'êtes pas responsable de cet incendie, vous pourrez très bientôt toucher le montant de l'assurance. — Très bien, soupira la jeune femme en s'emparant de la carte que Ryan lui tendait. Le plus tôt sera le mieux. Est-ce que ce sera tout, inspecteur ? — Oui, répondit-il avant de laisser son regard glisser sur le catalogue qui se trouvait toujours sur le bureau de Natalie. Sur la couverture figurait un mannequin qui portait l'une des plus bel es créations de Lady's Choice, un bustier rehaussé de dentel e rouge particulièrement affriolant. — C'est un moyen très élégant de vendre du sexe, remarqua Ryan, provocant. — Pas du sexe, inspecteur, de la séduction. Certaines personnes font encore la différence. — C'est votre cas ? — Je ne vois pas en quoi cela vous concerne. — Oh, je me demandais juste si vous croyiez à ce que vous vendez ou si ce n'était pour vous qu'une simple histoire d'argent, répondit Ryan en résistant à la tentation de lui demander si el e-même portait l'un de ses modèles sous son tail eur trop strict. — Dans ce cas, je vais satisfaire votre curiosité. Je crois toujours en ce que je vends. C'est la seule façon de le faire bien. Quant à l'argent, j'aime en gagner et je le fais bien. Prenant le catalogue sur le bureau, el e le lui tendit. — Prenez-le. Qui sait ? Vous vous laisserez peut-être convaincre. Notre marchandise est garantie contre tout défaut et livrable dans les dix jours. Le numéro de téléphone qui permet de passer commande sera opérationnel dès lundi. Au lieu de refuser le catalogue, Ryan hocha la tête et le prit. Il le roula et le plaça dans la poche arrière de son jean. — Je vous remercie, dit-il en souriant. — De rien. Maintenant, si vous voulez bien m'excuser, j'ai un rendez-vous à l'extérieur... El e contourna le bureau, offrant une fois de plus à Ryan le plaisir de contempler ses jambes magnifiques. — Vous voulez que je vous dépose quelque part ? suggéra-t-il. — Non, merci. J'a une voiture, répondit-el e, visiblement surprise par cette marque de galanterie inattendue. Ryan la rejoignit et l'aida à enfiler son manteau, laissant ses mains s'attarder brièvement sur ses épaules. — Vous êtes tendue, mademoisel e Fletcher, constata-t-il. — Non, je suis fatiguée. J'ai eu une semaine très difficile, inspecteur, répliqua-t-el e en se retournant brusquement. El e se retrouva nez à nez avec Ryan et sursauta violemment. — Tendue et nerveuse, reprit ce dernier avec un sourire de prédateur. Il se demanda si el e était aussi troublée que lui par leur brusque contiguïté ou si son contact la répugnait. — Un esprit suspicieux vous dirait que ce sont des signes de culpabilité qui ne trompent pas, ajouta-t-il. Pourtant je ne crois pas que ce soit le cas... Voulez-vous savoir ce que je pense ? — Je suis suspendue à vos lèvres, inspecteur, rail a Natalie. Mais le sarcasme n'avait apparemment aucun effet sur Ryan qui se contenta de poursuivre : — Je pense que vous êtes comme cela, nerveuse et tendue. Mais vous exercez un parfait contrôle sur vous même et, la plupart du temps, cela ne se voit pas. De temps en temps, le masque tombe et c'est une vision fascinante. — Voulez-vous savoir ce que moi, je pense, inspecteur ? — Je suis suspendue à vos lèvres, mademoisel e Fletcher. — Je pense que vous êtes un homme arrogant, étroit d'esprit et exaspérant qui pense beaucoup trop à lui-même. — Je pense que nous avons tous deux vu juste, opina Ryan. — Et vous êtes sur mon chemin... — Encore juste, concéda Ryan qui ne bougea pourtant pas d'un pouce. Vous savez que vous avez un très joli visage ? — Je vous demande pardon ? fit Natalie, complètement prise de court. — Et vous avez énormément de classe, ajouta Ryan, réalisant qu'il l'avait totalement déstabilisée. El e l'observait avec un mélange de stupeur et de curiosité, se demandant sans doute quel e mouche l'avait piqué. — Il est difficile de rester indifférent devant une tel e vision, poursuivit-il, bien décidé à ne lui laisser aucun répit. D'autant que cela fait plusieurs minutes que je vous regarde... — Je ne crois pas que ce genre de remarque soit très appropriée, balbutia Natalie. — Si nous nous connaissions mieux, vous sauriez que cela ne me dérange pas outre mesure. Maintenant, si vous voulez bien satisfaire ma curiosité, j'aimerais vraiment savoir si vous et Hawthorne avez une liaison. Les yeux de la jeune femme s'agrandirent involontairement et el e secoua la tête. — Bien sûr que non ! Réalisant ce qu'el e venait de dire, el e se mordit la lèvre. — Mais je ne vois vraiment pas en quoi cela vous concerne, ajouta-t-el e froidement. — Tout ce qui vous concerne me concerne, répondit Ryan. — Dois-je en déduire que ce piteux simulacre de séduction était juste une façon de m'extorquer des informations ? — Je ne pense pas que cette tentative ait été piteuse, protesta Ryan. Un peu évidente, peut-être, mais pas piteuse. Et, d'un point de vue purement professionnel, cela a parfaitement fonctionné. — Comment le savez-vous ? J'aurais pu vous mentir. — Pour mentir, il faut avoir le temps de penser avant de parler. Et ce n'était visiblement pas votre cas. Quant à ce que je vous ai dit, à titre purement personnel, c'était la plus stricte vérité, je vous trouve très attirante. Mais, rassurez-vous, cela ne perturbera en rien mon enquête. — Je ne vous aime pas du tout, inspecteur Piasecki. — Oui, vous me l'avez déjà dit, répondit Ryan en fermant les boutons du manteau de Natalie sans tenir compte de son regard meurtrier. Nous nous verrons demain à mon bureau, conclut-il en faisant volte-face. Tandis qu'il attendait que l'ascenseur effectue son interminable descente en direction du hal principal, il réfléchissait à ce qu'il venait d'apprendre sur Natalie. El e était indubitablement intel igente, très intel igente même. Mais cela ne l'empêchait en rien de mettre le feu à cet entrepôt. Pourtant, Ryan en doutait fortement. Natalie ne paraissait pas être le genre de femme à recourir à des moyens détournés. Ce qu'el e voulait, el e le gagnait et el e avait suffisamment de confiance en el e pour croire que tout était à sa portée. En étudiant le peu d'éléments qu'il possédait sur son compte, il avait découvert que pas une seule fois el e n'avait été soupçonnée de procédé frauduleux en affaires. Son entreprise dégageait assez de profit par an pour financer le budget de deux ou trois pays en voie de développement. Quant à Lady's Choice, c'était le bébé de Natalie, son projet personnel. El e devait être très attachée à sa réussite et, de toute façon, un éventuel échec n'aurait quasiment aucune répercussion sur le résultat du groupe. Bien sûr, l'incendiaire pouvait être quelqu'un d'autre au sein de la compagnie. Ou un concurrent qui craignait que la nouvel e entreprise ne rogne ses parts de marché. Et ce pouvait être aussi l'oeuvre d'un pyromane, d'un détraqué comme il en avait déjà rencontré... Comme il sortait de l'ascenseur, Ryan fut tiré de ses réflexions par son bipeur. Sans attendre, il se dirigea vers le téléphone le plus proche. Quelque part, un nouveau feu s'était déclenché. Chapitre 3 Natalie dut attendre Ryan dans son bureau durant une quinzaine de minutes. C'était sans doute une technique éprouvée lorsque l'on devait interroger un suspect et el e était bien décidée à ne pas se laisser déstabiliser aussi facilement. Mais le réduit dans lequel l'inspecteur travail ait était à peine plus grand qu'un placard et el e ne pouvait rien faire d'autre que de rester assise à observer ce qui l'entourait. Ryan travail ait au deuxième étagé de l’une des plus vieil es casernes de la vil e, juste au-dessus du hangar principal où étaient garés les camions. Dans la pièce contiguë, une femme tapait sans répit sur une vieil e machine à écrire affreusement bruyante. La seule fenêtre donnait sur un parking craquelé entouré de bâtiments à moitié en ruine et ne laissait passer que quelques maigres rayons de soleil, éclairant des murs d'un jaune pisseux qui avaient autrefois dû être blancs. Tout autour de la pièce étaient affichés des tableaux de liège sur lesquels étaient placardés des photographies d'incendie, des notes de service et un grand nombre de plaisanteries d'un goût douteux sur les Polonais. De larges étagères de métal occupaient le fond de la pièce et Ryan y avait placé pèle-mêle des classeurs, des livres, des brochures diverses et de nombreux trophées de basket bal . Le bureau qui trônait au centre de ce capharnaüm était couvert de rayures et l'un de ses pieds trop courts était soutenu par un livre de Steinbeck. Incapable de résister à la curiosité, Natalie le contourna et observa ce qui se trouvait posé dessus. Aucune photographie personnel e ne donnait le moindre indice sur la vie privée de Ryan. Il y avait seulement quelques trombones tordus, quelques crayons à papier cassés et une masse impressionnante de papiers en désordre. El e les écarta précautionneusement et fail it pousser un hurlement en découvrant la tête décapitée d'une poupée. Ses cheveux blonds et frisés étaient presque entièrement carbonisés et son visage, noirci et à demi fondu, ne laissait plus voir qu'un oeil bleu qui paraissait contempler la jeune femme. — Un souvenir, fit Ryan qui venait d'entrer, la faisant sursauter une nouvel e fois. El e appartenait à une petite fil e de la banlieue est. Lorsque nous l'avons retrouvée, il ne restait pas beaucoup plus d'el e que de sa poupée... — C'est affreux, murmura la jeune femme, incapable de retenir un frisson. — Son père avait arrosé le salon d'essence et mis le feu parce que sa femme venait de demander le divorce. En fin de compte, el e n'en a pas eu besoin... Natalie leva les yeux vers lui, frappée par la froideur de ses paroles. Mais peut-être était-ce le seul moyen de faire face aux horreurs qu'il devait affronter chaque jour. — Vous avez un métier atroce, inspecteur, déclara-t-el e. — C'est pour cela que je l'aime... Asseyez-vous, Ml e Fletcher. Je serai à vous dans un instant. Refermant doucement la porte, il se retourna vers le jeune pompier que Natalie avait aperçu juste derrière lui. À travers la paroi de verre dépoli el e put cependant entendre leur conversation. — Qui vous a dit d'abattre ce mur ? s'exclama Ryan d’une voix où couvait une colère à peine contenue. — J'ai juste pensé... — Justement ! Vous n'avez pas à penser tant que vous êtes en formation ! Vous n'en êtes pas encore capable. Dans le cas contraire, vous auriez su qu'un appel d'air attiserait le feu. Et vous sauriez aussi ce qui se passe lorsque l'on se tient bêtement sur une flaque d'essence. — Mais je ne l'avais pas vue à cause de la fumée, plaida l'apprenti pompier. — Eh bien, il vous faudra apprendre à voir à travers la fumée si vous voulez survivre ! Et la prochaine fois que vous voyez un mur, laissez-le arrêter l'incendie au lieu de le détruire bêtement ! Vous avez vraiment de la chance d'être encore en vie et l'équipe qui a eu le malheur de travail er avec vous aussi. — Je sais, monsieur. — Vous ne savez rien. C'est la seule chose que vous devez retenir lorsque vous êtes face à un sinistre, vous ne savez rien du tout. Maintenant, fichez-moi le camp. — Vous êtes un véritable diplomate, commenta Natalie lorsque Ryan réintégra la pièce. Ce gosse devait avoir à peine vingt ans... — Justement, je fais en sorte qu’il puisse mourir un peu plus vieux. Ryan ferma les stores vénitiens, plongeant le bureau dans la pénombre. — Étant donné vos méthodes, j'aurais peut-être dû venir avec un avocat, remarqua la jeune femme. — Détendez-vous. De toute façon, je n'ai pas le droit de vous arrêter. Juste celui de vous interroger. — Voilà qui me rassure... Combien de temps pensez-vous que cela va prendre ? Cela fait déjà vingt minutes que je vous attends. — J'ai été retenu, éluda Ryan en posant un sac en papier kraft sur son bureau. Vous avez mangé ? — Non, répondit-el e en le regardant débal er un appétissant sandwich. Êtes-vous en train de me dire que vous êtes en retard parce que vous êtes al é acheter votre déjeuner ? — Je l'ai pris sur le chemin. Vous en voulez un bout ? Natalie secoua la tête. — J'ai aussi pris deux cafés, ajouta-t-il en désignant le sachet. La jeune femme prit l'une des tasses en carton et but avec reconnaissance. — Cela vous dérange-t-il que j'enregistre notre conversation ? demanda Ryan. — Au contraire. Tout en continuant de manger, il sortit un magnétophone qu'il instal a sur le bureau. — Dites-moi, vous devez avoir une armoire entière de ce genre de tail eur ? demanda-t-il en désignant celui que portait la jeune femme. Vous arrive-t-il de mettre autre chose ? — Est-ce que cela fait partie de votre interrogatoire ? demanda-t-el e froidement. — Non, concéda-t-il. — Dans ce cas, j'aimerais que nous commencions. Je n'ai pas beaucoup de temps. — Très bien, soupira Ryan en al umant le magnétophone. Cet interrogatoire est mené par l'inspecteur Ryan Piasecki. La personne interrogée est Natalie Fletcher, dans le cadre de l'enquête sur l'incendie volontaire survenu le 12 février à l'entrepôt des Industries Fletcher situé au 21 Harbor Avenue. Mademoisel e Fletcher, vous êtes bien la propriétaire du bâtiment ? — Le bâtiment et son contenu étaient la propriété des Industries Fletcher dont je suis actionnaire et pour lesquel es je travail e. — Depuis combien de temps le bâtiment appartient-il à votre compagnie ? — Cela fait huit ans. Il était utilisé auparavant comme entrepôt de Fletcher Expéditions. — Et maintenant ? — Fletcher Expéditions a été relocalisé, répondit Natalie en se détendant légèrement. L'entrepôt a été aménagé pour servir d'usine à Lady's Choice, une filière de Fletcher Industries spécialisée dans la lingerie fine. — Quels étaient les horaires de travail dans cette usine ? — De 8 heures à 18 heures, du lundi au vendredi. Au cours des derniers mois, nous avions ajouté le samedi matin de 8 heures à midi afin de préparer le prochain lancement de notre gamme. L'entretien se poursuivit durant quelques minutes, portant sur la nature de l'activité, le personnel et les mesures de sécurité. — Vous avez un nombre important de sous-traitants, remarqua Ryan en consultant ses notes. — Oui. Nous travail ons avec plusieurs entreprises locales. — Pas de firmes étrangères ? — Non. La politique de Fletcher Industries est de dynamiser prioritairement le tissu industriel environnant. — Un précepte aussi louable que coûteux, non ? — Nous pensons que le surcoût est compensé par un accroissement de la qualité et un meil eur fonctionnement de la chaîne globale. À terme, cela permet d'améliorer nos ventes. — J'ai cru comprendre que vous étiez vous-même beaucoup investie dans la création de Lady's Choice. Vous avez même placé une partie de votre argent personnel dans cette entreprise. — C'est exact. — Que se passerait-il si vous ne réalisiez pas les bénéfices que vous espérerez ? — Cela n'arrivera pas. Ryan se carra dans son fauteuil et sirota le fond de son café sans quitter Natalie des yeux. — Et sinon ? — Alors j'aurai perdu du temps et de l'argent, répondit la jeune femme en haussant les épaules. — Quand vous êtes-vous rendue à l'usine pour la dernière fois ? — Je suis passée faire une visite de routine trois jours avant l'incendie, répondit Natalie sans se laisser déstabiliser par ce brusque changement de sujet. C'était le 9 février. — Avez-vous remarqué quoi que ce soit d’étrange concernant le stock ? — Non. — Des équipements endommagés ? — Non. — Des défauts dans le système de sécurité ? — Si tel avait été le cas, j'aurais veil é à régler ces problèmes sur-le-champ. Mais tout al ait bien. Nous étions dans les temps et le stock était impeccable. — Vous avez tout regardé ? demanda Ryan. — Bien sûr que non. J'ai passé en revue quelques articles types. Je ne pouvais tout de même pas inspecter le moindre déshabil é moi-même. — Le bâtiment a été inspecté par nos services au mois de novembre. Apparemment, vous étiez parfaitement en règle. — C'est exact. — Dans ce cas, comment expliquez-vous que les alarmes et les extincteurs automatiques ne se soient pas déclenchés, la nuit de l'incendie ? — Je n'en ai aucune idée. — Eh bien, je vais vous le dire, ils ont été sabotés. — Je l'ignorais. Ryan prit une cigarette qu'il al uma avant d'inspirer une profonde bouffée. — Avez-vous des ennemis mademoisel e Fletcher ? — Des ennemis ? répéta-t-el e, incertaine. — Oui, quelqu'un qui vous voudrait du mal sur le plan personnel ou professionnel... — Non, je ne vois pas, dit-el e en passant nerveusement une main dans ses cheveux. Cette idée avait quelque chose d'angoissant. — J'ai des concurrents, évidemment... — L'un d'eux vous a-t-il causé des problèmes particuliers ? Menaces ? Insinuations ? — Non. — Vous n'auriez pas licencié des employés, ces derniers temps ? — Pas chez Lady's Choice. Bien sûr, Fletcher Industries a de nombreuses branches autonomes et il a pu y avoir des licenciements. Mais je n'ai pas entendu parler de problèmes particuliers... Ryan continua à l'interroger pendant quelques minutes puis enregistra l'heure et éteignit le magnétophone. — J'ai parlé à votre agent d'assurance, ce matin, précisa-t-il. J'ai également interrogé votre gardien de nuit et je dois rencontrer quelques-uns de vos employés. — Très bien. Et que pensez-vous de cette affaire ? Me croyez-vous toujours responsable ? — Ce que je crois n'a pas grande importance, mademoisel e Fletcher. Ce qui compte, ce sont les faits. — Cessez de m'appeler Ml e Fletcher, c'est agaçant. Et dites-moi ce que vous pensez. Ryan resta quelques instants silencieux, contemplant la jeune femme. El e paraissait terriblement déplacée dans ce bureau miteux, envahi par les odeurs de la nourriture que préparaient les pompiers au rez-de-chaussée. — Je ne sais pas, Natalie, soupira-t-il enfin. Peut-être suis-je influencé par votre joli minois... Mais, honnêtement, je ne vous crois pas coupable. — Bien. Dans ce cas, j'imagine que je n'ai plus qu'à prendre mon mal en patience et à attendre que vous ayez découvert le fin mot de cette histoire. De toute façon, malgré le peu de sympathie que vous m'inspirez, je suis certaine que vous êtes le mieux placé pour mener cette enquête. — Ce compliment me touche, ironisa Ryan. — Avec un peu de chance, ce sera le premier et le dernier, répliqua Natalie en se levant pour prendre congé. — Avant même qu'el e ait pu récupérer son attaché-case, Ryan avait contourné le bureau pour la rejoindre. — Vous savez, vous devriez souffler, de temps à autre, lui dit-il posément. — Que voulez-vous dire ? — Vous en faites trop et, si vous ne vous détendez pas, vous risquez de craquer. — Il se trouve que j'ai du travail, inspecteur. — Je croyais que nous avions décidé de nous appeler par nos prénoms ? Venez, je vais vous montrer quelque chose. — Mais je n'ai pas le temps, protesta Natalie, furieuse et désarçonnée à la fois. J'ai un rendez-vous. — C'est le cas chaque fois que nous nous rencontrons, remarqua Ryan en souriant. Et je suppose que vous n'êtes pas le genre de femme à arriver en retard ? — Non, en effet. — Mon Dieu, vous frôlez la perfection : bel e, intel igente, ponctuel e. C'est tout ce dont un homme peut rêver, remarqua-t-il en la précédant dans les escaliers qui menaient au rez-de-chaussée. En bas, ils furent assail is par une odeur de chili con carne. Deux hommes vérifiaient l'un des camions tandis qu'un autre remplissait sa citerne. Ryan fut accueil i par des salutations et des regards ironiques tandis que Natalie était dévisagée avec admiration. Quelques sifflements admiratifs se firent entendre. — Ne faites pas attention à eux. Ils n'ont pas l'habitude de voir de si jolies jambes, ici. Venez, ajouta-t-il en l'entraînant jusqu'à l'un des énormes véhicules. Laissez-moi vous aider... Avant même qu'el e ait pu protester, il saisit la jeune femme par la tail e et l'instal a sur la banquette avant du camion. Aussitôt, il sauta à bord et s'assit à côté d'el e, lui laissant tout juste le temps de s'écarter. — Pourquoi m'avez-vous fait entrer là-dedans ? interrogea-t-el e, se demandant s'il n'était pas devenu fou. — Ne me dites pas que vous n'avez jamais rêvé de vous retrouver dans un camion de pompiers ? s'exclama Ryan. Tout le monde en a envie. Alors, qu'en pensez-vous ? Natalie parcourut des yeux le tableau de bord couvert de boutons et de jauges mystérieuses sur lequel était agrafé un poster de Miss Janvier. — C'est intéressant, répondit-el e prudemment. — C'est tout ? — D'accord, avoua-t-el e, c'est plutôt amusant... El e se pencha pour apercevoir l'extérieur à travers le gigantesque pare-brise. — Nous sommes vraiment très haut, remarqua-t-el e, impressionnée. Et ça ? demanda-t-el e en désignant un cordon qui pendait à sa droite. C'est la sirène ? — Oui. Mais je vous déconseil e d'y toucher. À l'intérieur, el e fait un bruit démoniaque et vous seriez à moitié sourde durant votre rendez-vous. — Dommage... Mais dites-moi, vous me montrez tout cela pour m'aider à me détendre ou juste pour m'impressionner ? — Les deux... Est-ce que ça marche ? — Eh bien, vous n'êtes peut-être pas aussi désagréable que vous vous efforcez de le paraître. — Si vous continuez à être aussi gentil e avec moi, je vais finir par tomber amoureux, la prévint Ryan en souriant. Natalie éclata de rire. Ryan avait au moins raison sur un point, el e se sentait à présent vraiment détendue. — Ne vous en faites pas, je doute que cela arrive jamais. El e se tut et observa une fois de plus la cabine. — Qu'est-ce qui a bien pu vous pousser à passer dix ans chez les pompiers ? demanda-t-el e brusquement. — Je vois que vous êtes très bien informée, nota Ryan. Je suis issu d'une famil e de pompiers : mon grand-père et mon père exerçaient déjà le même métier et j'ai suivi leurs traces. Je suppose que j'avais cela dans le sang... — Pourtant, vous avez laissé tomber. — Pas vraiment. J'ai juste pris du galon en essayant de rester proche du terrain. Natalie le regarda attentivement, persuadée qu'il lui cachait quelque chose. — Pourquoi gardez-vous cette tête de poupée ? demanda-t-el e, sans le quitter des yeux. — Je vous l'ai dit, c'est un souvenir. De mon dernier feu. J'ai sorti cette gamine de sa chambre. Son père l'y avait enfermée avec sa mère en les menaçant d'un revolver qui n'était même pas chargé... — C'est affreux, murmura Natalie en songeant qu'el e-même aurait préféré risquer de se faire tirer dessus que d'attendre de mourir brûlée. Comment a-t-il pu faire cela à sa propre famil e ? — Certaines personnes ne digèrent pas très bien leur divorce, répondit Ryan. En tout cas, el es sont restées enfermées dans la chambre. C'était une de ces vieil es bicoques de bois et el e a littéralement flambé. La mère de la fil ette, pour la protéger, s'était al ongée sur el e dans un coin de la pièce. Lorsque je suis arrivé sur les lieux, el e était morte mais sa fil e était encore vivante. Je suis ressorti avec el e au moment où le plancher s'effondrait. — Vous lui avez sauvé la vie, dit Natalie d'un ton qui se voulait réconfortant. — Non. C'est sa mère qui l'a sauvée. Quant au salaud qui avait al umé le feu, il avait sauté du deuxième étage. Il s'était cassé la jambe et avait été sévèrement brûlé mais il s'en est sorti. Natalie réalisa brusquement que, par-delà l'indifférence qu'il affectait, Ryan prenait réel ement à coeur le destin des victimes. Brusquement, l'antipathie qu'il lui avait jusqu'alors inspirée se mua en une forme de respect devant un homme capable de surmonter de si grandes douleurs et la certitude même de sa propre impuissance. — Est-ce pour cela que vous avez décidé de changer de métier ? demanda-t-el e. Pour lutter contre ceux qui al umaient les feux plutôt que contre les incendies eux-mêmes ? — Plus ou moins, reconnut Ryan. Brusquement, une sirène assourdissante résonna dans la caserne. Immédiatement, les hommes qui déjeunaient tranquil ement quelques instants auparavant se ruèrent sur leurs casiers pour enfiler leurs tenues de protection. — Venez, fit Ryan en sautant du camion avant de l'aider à descendre. Il ne faut pas que nous les gênions... Déjà équipés, les pompiers se précipitèrent dans le véhicule qu'ils venaient de quitter. — C'est une usine de produits chimiques, dit l'un d'eux à Ryan. Quelques secondes plus tard, le camion démarrait en trombe, sirènes hurlantes. — Ils sont si rapides, murmura Natalie, impressionnée. — Oui, fit Ryan d'une voix rêveuse en suivant du regard le fourgon qui disparaissait au coin de la rue. — Cela ne vous manque pas ? demanda la jeune femme. — De temps en temps, avoua-t-il en se tournant vers el e. Dans ses yeux, el e vit une lueur étrange qui fit courir un brusque frisson le long de son dos. El e réalisa alors que, sans même qu'el e s'en rende compte, Ryan l'avait prise dans ses bras dans un réflexe protecteur. Brusquement, el e se sentit terriblement mal à l'aise. — Je devrais peut-être y al er, murmura-t-el e, le coeur battant. Il hocha la tête mais ne fit pas mine de relâcher son étreinte. Une étrange excitation monta en Natalie, sans qu'el e sût si c'était l'effet de l'adrénaline ou du contact du corps de Ryan contre le sien. — C'est de la folie, murmura-t-el e, devinant ses intentions avant même qu'il n'amorce le moindre mouvement. — Et alors ? souffla Ryan en se penchant vers el e. El e n'essaya même pas de le repousser, incapable de contrôler le soudain accès de désir qui était monté en el e, comme une vague impétueuse, réduisant à néant toute lucidité. S'abandonnant à cette étreinte, el e se sentit fondre au contact des lèvres de Ryan, comme s'il avait éveil é en el e une flamme incoercible. D'instinct, il paraissait deviner ce quel e attendait, satisfaisant la moindre de ses envies avant même qu'el e ne l'ait formulée pour el e-même. Au contact de ses mains qui couraient sur son corps, el e se sentait terriblement féminine, comme s'il révélait en el e une aptitude au plaisir qu'el e avait longtemps refusé de satisfaire. Sans même s'en rendre compte, el e lâcha brusquement son attaché-case et noua ses bras autour de la tail e de Ryan. Ce dernier luttait contre la passion qui l'emportait. Il avait joué d'audace, voulant savoir ce qu'il éprouverait en embrassant la jeune femme. Mais rien ne l'avait préparé à cela ! Il y avait en el e un mélange terriblement exaltant de force et de douceur qui le prit de court. Ses lèvres brûlantes qui se pressaient avec ferveur contre les siennes lui arrachaient toute trace de raison. Jamais encore il n'avait ressenti une fusion aussi immédiate, aussi inexplicable. Tout ce qui était autour de lui paraissait s'être résorbé dans le néant pour laisser place au mélange d'excitation et de stupeur qui l'habitait. Pendant ce qui leur parut une éternité, ils restèrent enlacés, se pressant l'un contre l'autre comme pour mieux se faire sentir l'intensité de leur désir. Le temps semblait s'être arrêté et tous deux n'étaient plus que sensations. Lorsqu'ils se séparèrent enfin, à bout de souffle, ils se sentaient épuisés, vidés de toute énergie. — Je suis désolé, murmura Ryan en reculant d'un pas. — Désolé ? répéta-t-el e d'une voix tremblante. Inspirant profondément, el e tenta de remettre de l'ordre dans ses pensées. — Vous êtes désolé ? répéta-t-el e. — Oui, reprit-il. C'était totalement hors de propos... Mortifiée, Natalie passa une main dans ses cheveux, sentant un brusque accès de colère s'emparer d'el e. En quelques instants, il venait de faire voler en éclats toute décence et voilà qu'il s'excusait platement comme si tout cela n'avait été qu'une insignifiante erreur. Furieuse, el e le fusil a du regard. — Puis-je savoir si vous traitez tous vos suspects de cette façon, inspecteur ? demanda-t-el e d'un ton glacial. — Non, vous êtes la première, reconnut Ryan, penaud. — Quel e chance j'ai ! s'exclama-t-el e en récupérant son attaché-case. Bien, je crois que je ferais mieux de partir avant de vous gifler. Vous seriez capable de m'arrêter pour atteinte à un agent de la force publique, je suppose... — Attendez, plaida Ryan en lui emboîtant le pas tandis qu'el e se dirigeait à grands pas vers la sortie. Il l'attrapa par le bras, la forçant à se retourner. — Ne rendez pas les choses plus difficiles qu'el es ne le sont déjà, dit-el e. — Je vous ai dit que j'étais désolé. — Que voulez-vous que cela me fasse ? — Écoutez, mademoisel e Fletcher, reprit Ryan avec une pointe d'humeur. On ne peut pas dire que vous vous soyez précisément défendue... — Et c'était une erreur, répliqua-t-el e en s'arrachant à son emprise. Une erreur que je me garderai bien de répéter. — Je ne voulais pas faire cela. — Vraiment ? Dois-je comprendre que c'était encore l'une de vos techniques pour me déstabiliser ? — Pas du tout ! C'est votre faute... À voir la façon dont vous me regardiez, j'ai pensé... — Espèce de sale brute arrogante ! s'écria Natalie, hors d'el e. Vous avez un sacré culot ! Bientôt, vous al ez me dire que c'est moi qui me suis jetée sur vous. — Cela ne risque pas, rétorqua Ryan qui commençait à son tour à perdre son sang-froid. Vous êtes bien trop coincée pour cela ! — Cette fois, je vais vous gifler ! — Mais je n'y peux rien, poursuivit Ryan sans prêter attention à ses menaces. Je vous désire, même si je me déteste pour cela. Natalie se figea, faisant tout son possible pour garder la tête froide. Comment Ryan parvenait-il à se montrer à la fois absurde, énervant, insultant et flatteur ? — C'est probablement la première fois que nous sommes d'accord, inspecteur. Moi aussi, je déteste cela. — Quoi ? Le fait que je vous désire ou que vous me désiriez ? — Les deux. Ils restèrent silencieux, réalisant les implications de ce qu'ils venaient de s'avouer. — Nous ferions mieux d'en discuter..., suggéra enfin Ryan. — C'est hors de question. — Vous tenez vraiment à compliquer les choses, n'est-ce pas ? — Oh, mais la situation est très simple, inspecteur, notre relation n'a aucun avenir. Alors je ne vois aucune raison d'en parler plus avant. — Pourquoi dites-vous cela ? — Natalie le dévisagea de la tête aux pieds, affectant un mépris qu'el e ne ressentait pas. — Cela devrait vous paraître évident, dit-el e. — La seule chose qui le soit, c'est que vous me faites beaucoup d'effet et que je ne vous suis pas indifférent. Alors je ne vois pas pourquoi je ne vous inviterais pas à dîner ce soir... — Je crois que je me suis mal fait comprendre, répondit la jeune femme posément. Il est hors de question que vous m'invitiez quand que ce soit. Ce qui s'est passé à l'instant est... — Terriblement excitant ? suggéra Ryan. — Une aberration, reprit-el e. — En êtes-vous aussi sûre ? Seriez-vous prête à recommencer, juste pour me prouver qu'il ne s'est rien passé de spécial ? demanda Ryan, en riant. Non ? Je vois... Apparemment, vous avez peur de ce qui pourrait arriver, peur de perdre une fois de plus le contrôle de vous-même. Qui sait si vous n'avez pas peur de moi ? — Vos provocations sont ridicules et ne me touchent pas le moins du monde. — Vraiment ? — Vraiment, déclara Natalie, bien décidée à lui prouver qu'il se trompait. D'ail eurs, si vous y tenez tant que cela, vous n'avez qu'à me retrouver ce soir Chez Robert à 8 heures. C'est sur la troisième Avenue... — D'accord, répondit Ryan en s'efforçant de dissimuler son triomphe. — À ce propos, Piasecki, ce n'est pas le genre d'endroit où l'on mange avec les mains. — Je veil erai à m'en souvenir, répondit-il en partant d'un nouvel éclat de rire. Lorsque Natalie rentra dans son appartement, le soir même, il était déjà 7h15. El e avait passé la journée à travail er d'arrache-pied et se sentait vidée. Mais à peine avait-el e poussé la porte qu'el e entendit le téléphone sonner. El e fut tentée de laisser le répondeur s'en charger mais, au bout de quatre sonneries, el e ne put résister et décrocha le combiné. — Natalie ? C'est Boyd, fit la voix joviale de son frère. — Oh, salut, capitaine Fletcher ! Alors ? Comment se passe le combat contre le crime et la corruption ? — Ça dépend des jours... Je suis justement coincé au commissariat pour une affaire. Mais Cil a et les enfants t'embrassent. — Tu les salueras de ma part. — Je t'appelais au sujet de cet incendie, à l'entrepôt. — Comment es-tu au courant ? Je viens à peine d'apprendre que c'était un acte criminel... — C'est la magie de la communication interne, plaisanta Boyd. En fait, je viens de m'entretenir avec l'inspecteur chargé de l'affaire. — Piasecki ? Tu lui as parlé ? — Il y a dix minutes. Apparemment, tu es entre de bonnes mains, Nat. — Pas si je peux l'éviter, murmura-t-el e pour el e-même. — Qu'est-ce que tu dis ? — Rien... Apparemment, il est très doué. Mais ses manières sont un peu abruptes. — C'est parce qu'il travail e à un poste dangereux. Discute un jour avec des démineurs et tu comprendras que Piasecki est un exemple vivant de diplomatie. En attendant, je me fais du souci pour toi, soeurette... — Il n'y a aucune raison, Boyd. C'est toi le policier. Moi je ne suis qu'un P.D.G. bien à l'abri dans sa tour d'ivoire. — Te connaissant, j'en doute. Alors je veux que tu me tiennes au courant de toutes les évolutions de l'enquête, d'accord ? — Pas de problème. Et si tu parles aux parents, dis-leur que je suis en train de régler ce problème. Ils n'ont aucun souci à se faire pour l'avenir de l'entreprise. Je t'épargne les détails... — C'est gentil à toi. Natalie sourit. Son frère avait toujours détesté l'entendre parler affaires avec leur père. Pour lui, il n'y avait rien de plus ennuyeux au monde que les chiffres et les graphiques. — En tout cas, reprit-el e, je suis sur le point d'ajouter un nouveau fleuron à la firme. — En vendant des sous-vêtements ? ironisa Boyd. — De la lingerie fine, frérot. — À ce propos, Cil a et moi avons beaucoup apprécié les articles que tu nous as fait parvenir en avant-première. Je suis très fan du déshabil é rouge... — Je m'en doutais. Tu n'auras qu'à lui offrir la robe de chambre assortie pour la Saint Valentin. — Mets-en une de côté pour moi. Et prends bien soin de toi, Nat. — Ne t'en fais pas. Nous nous verrons peut-être le mois prochain. Je dois partir en repérage pour ouvrir une nouvel e filiale. — Ta chambre est prête. Nous serons tous ravis de te voir. Natalie raccrocha et jeta un coup d'oeil à sa montre. Il lui restait très peu de temps pour se préparer. El e choisit l'une de ses robes les plus sensuel es, bien décidée à prouver à Ryan qu'el e n'avait rien de coincé. Alors qu'el e était en train de se coiffer, le téléphone retentit une fois encore. — Boyd ? dit-el e, en décrochant. Personne ne répondit. Mais el e pouvait entendre une respiration à l'autre bout du fil. — Al ô ? dit-el e, vaguement mal à l'aise. Qui est à l'appareil ? — Minuit, répondit une voix assourdie. — Pardon ? Qui êtes-vous ? — Minuit. L'heure des sorcières. Vous verrez. L'homme éclata de rire puis raccrocha. Natalie reposa le combiné en secouant la tête. Ce devait être l'un de ces détraqués qui passaient leur temps à appeler les gens au hasard pour leur faire peur. Mais el e n'était pas du genre à se laisser impressionner aussi aisément. Jetant un nouveau coup d'oeil à sa montre, la jeune femme s'aperçut qu'il était 7h45. Il lui fal ait absolument partir si el e voulait être à l'heure. Et el e était bien décidée à ne pas avoir une seule minute de retard. Chapitre 4 À 8 heures précises, Natalie arriva Chez Robert. C'était un restaurant français très en vogue que la jeune femme affectionnait particulièrement. El e aimait son côté ancien, ses murs tapissés de rouge, ses bougies qui donnaient à la sal e chaleur et intimité, ses nappes immaculées sur lesquel es bril ait l'argenterie marquée aux armes du lieu. La jeune femme fut accueil ie par un maître d'hôtel obséquieux qui la débarrassa de son manteau. — Mademoisel e Fletcher, c'est toujours un plaisir de vous accueil ir ici, dit-il en s'inclinant respectueusement. Je ne savais pas que vous aviez réservé ce soir. — J'ai rendez-vous avec un ami. Monsieur Piasecki. Le maître d'hôtel consulta son registre et hocha la tête. — Effectivement, nous avons bien une table pour deux au nom de M. Piasecki. Je suppose que ce doit être lui. La réservation est pour 8 heures mais je crois que votre ami n'est pas encore arrivé, mademoisel e. Si vous voulez bien me suivre, je vous accompagne. Natalie le suivit jusqu'à sa table favorite qui était située un peu à l'écart et d'où l'on pouvait voir l'ensemble de la pièce. Le maître d'hôtel l'aida galamment à s'asseoir. — Désirez-vous boire quelque chose en attendant, mademoisel e ? suggéra le maître d'hôtel. — Une coupe de champagne, s'il vous plaît. — Je vous l'apporte tout de suite. Et si je puis me permettre un conseil, nous avons ce soir un délicieux homard frais. — Merci du conseil. Le maître d'hôtel s'éclipsa et Natalie sortit son agenda. El e passa en revue les rendez-vous qu'el e avait pris pour le lendemain. Lorsque Ryan la rejoignit enfin, el e avait déjà vidé sa coupe de champagne. — Heureusement que je ne suis pas un incendie, remarqua-t-el e sans lever les yeux de son planning surchargé. — Je ne suis jamais en retard lorsqu'il s'agit de mon travail, répondit-il en s'instal ant en face d'el e. Natalie releva enfin la tête et eut la surprise de voir que Ryan avait revêtu un costume. La veste noire, très stricte, accentuait l'apparence athlétique de sa silhouette. — Je le mets généralement pour les enterrements, déclara Ryan, lisant la surprise dans les yeux de la jeune femme. — Eh bien, voilà qui promet pour cette soirée... — C'est vous qui avez choisi cet endroit, lui rappela Piasecki en souriant. J'essaie juste de ne pas vous faire honte. Que vaut la cuisine ici ? — El e est excel ente. — Mademoisel e Fletcher, dit alors Robert, le maître des lieux en prenant la main de la jeune femme pour la porter à ses lèvres. Soyez la bienvenue dans notre établissement. Ryan sourit et s'adossa à son fauteuil. Tandis que Natalie et Robert discutaient en français, il al uma une cigarette. Jusque-là, tout se déroulait exactement comme il l'avait imaginé. — Je vous apporte une coupe de champagne, conclut Robert avant de se tourner vers lui. Que prendrez-vous, monsieur ? — Une bière, s'il vous plaît. Bien sûr, acquiesça Robert sans dissimuler sa désapprobation. — Je suppose que vous avez terminé votre petite démonstration ? demanda Ryan à Natalie lorsqu'il eut disparu en direction des cuisines. — Que voulez-vous dire ? — Vous vous demandiez sans doute si je serais mal à l'aise dans un grand restaurant dont le patron vient personnel ement vous faire le baise-main et s'enquérir de la santé de votre famil e. — Je ne vois absolument pas de quoi vous voulez parler, commença Natalie. Attendez une minute, comment savez-vous qu'il parlait de ma famil e ? — Ma grand-mère était canadienne francophone et je parle le français aussi bien que vous. Sans ce petit accent pincé que vous employez, évidemment. Ryan souffla un nuage de fumée qui dériva paresseusement au-dessus des bougies. — C'est curieux, ajouta-t-il. Je ne vous croyais pas aussi snob... — Je ne suis pas snob ! protesta vivement Natalie en se raidissant sur sa chaise. Son vis-à-vis s'abstint de répondre, se contentant de sourire d'un air moqueur et el e se sentit rougir jusqu'à la racine des cheveux. — D'accord, concéda-t-el e, j'avoue que je voulais vous mettre mal à l'aise. Mais c'est uniquement parce que vous avez le don de m'agacer. — Pas seulement, répliqua Ryan en la regardant droit dans les yeux. Il laissa ensuite glisser sou regard le long des épaules de la jeune femme, admirant la coupe superbe de sa robe noire qui contrastait délicieusement avec la couleur de sa peau. Il remarqua quelques taches de rousseur qui constel aient le haut de sa poitrine et sentit monter en lui une brusque bouffée de désir. — Y a-t-il un problème ? finit-el e par demander, visiblement gênée par son petit manège. — Non, pas du tout. Je me demandais si vous aviez également choisi votre robe pour me mettre mal à l'aise. — Je l'avoue, reconnut-el e sans faux-fuyant. — Eh bien, cela fonctionne parfaitement. Que vaut l'entrecôte, ici ? Natalie inspira profondément, comprenant que son propre jeu se retournait contre el e. Ryan avait visiblement décidé de la rendre fol e. — Je pense que vous ne trouverez pas mieux dans toute la vil e, répondit-el e. Mais l'endroit est surtout réputé pour ses poissons et ses fruits de mer. Ouvrant la carte, el e prétendit s'abîmer dans l'étude du menu. La soirée ne se déroulait absolument pas comme el e l'avait prévu. Ryan avait vu clairement le piège qu'el e lui tendait et l'avait habilement retourné contre el e, la faisant passer pour une imbécile. Il était grand temps de mettre un terme à la débâcle. — Je propose une trêve pour la soirée, déclara-t-el e enfin. — Pourquoi ? Je ne savais pas que nous étions en train de nous disputer... — Disons que nous pourrions essayer de passer une soirée agréable, suggéra la jeune femme en portant sa coupe de champagne à ses lèvres. Commencez par me parler de vous. Vous avez un nom étrange mi-irlandais, mi-polonais. Ce n'est pas commun... — Ma mère était d'origine irlandaise et mon père polonaise. — Et vous avez une grand-mère québécoise ? — Du côté maternel. L'autre est d'origine écossaise. — Ce qui fait de vous... ? — Un Américain typique, je suppose. À cet instant, le garçon leur apporta un assortiment de hors-d'oeuvre que Robert avait pris la liberté de leur envoyer des cuisines pour les mettre en bouche. Il prit leur commande et se retira aussi discrètement qu'il était venu. — Vous disiez que vous aviez toujours voulu être pompier ? reprit Natalie, soucieuse de maintenir la conversation à un niveau aussi anodin que possible. — Oui. J'ai quasiment grandi dans la caserne numéro dix-neuf où travail ait mon père. — C'est lui qui vous a poussé à prendre sa suite ? — Non. Et vous ? — Moi ? — Votre compagnie est une entreprise familiale. Avez-vous toujours voulu y travail er ou bien vos parents vous y ont-ils encouragée ? — Il y a un peu des deux, concéda Natalie. Mais je dois avouer que je ne me suis pas fait prier. En fait, c'est mon frère Boyd qui devait reprendre les rênes de l'entreprise. Mais il ne rêvait que d'être policier et n'avait aucune envie de passer sa vie dans un bureau. Alors j'ai fait pression sur mon père jusqu'à ce qu'il accepte que je prenne la place de Boyd. — Il était si réticent que cela ? — Disons qu'il a attendu que je fasse mes preuves. Il ne voulait pas prendre le risque de voir sa précieuse entreprise disparaître. Lorsqu'il a été convaincu de mes capacités, il m'a laissée faire. — Et cela vous plaît ? — Oui. J'adore ce métier. L'intérêt est sans cesse renouvelé, chaque investissement est un pari, chaque négociation un bras de fer. Et cette nouvel e compagnie représente beaucoup pour moi. — En tout cas, votre catalogue a un énorme succès à la caserne. — Vraiment ? dit Natalie, amusée. — Oui... Et comme beaucoup de ces hommes ont une femme ou une petite amie, on peut dire que je contribue à améliorer vos parts de marché. — C'est très généreux à vous. Mais vous-même, comptez-vous passer commande ? — Je n'ai ni femme ni petite amie, répondit Ryan en la regardant dans les yeux. Pour le moment, du moins. — Mais vous avez été marié, n'est-ce pas ? — Brièvement... — Je suis désolée. Ma question était indiscrète... — Pas du tout. D'ail eurs, c'est de l'histoire ancienne. C'était il y a plus de dix ans. Pour résumer cette tragique méprise, je dirais que mon ex-femme est tombée amoureuse de mon uniforme avant de réaliser que je passais trop d'heures dedans à son goût. — Vous avez eu des enfants ? — Non, soupira Ryan. C'est d'ail eurs mon seul regret. Mais nous ne sommes restés ensemble que trois ans. Ensuite, el e s'est remariée avec un plombier et el e a emménagé en banlieue. Se penchant en avant, Ryan écarta une mèche de cheveux qui retombait dans les yeux de Natalie. Au passage, il caressa délicatement son cou, la faisant frissonner malgré el e. — Je commence à aimer vos épaules autant que vos jambes, commenta-t-il. À vrai dire, peut-être que c'est l'ensemble qui me séduit... — Voilà un compliment étrangement tourné, murmura Natalie qui sentit sa gorge se dessécher. Jamais encore un homme ne lui avait fait un tel effet et el e avait de plus en plus de mal à le lui dissimuler. — Vous ne pensez pas qu'étant donné les circonstances, vous devriez garder vos distances ? demanda-t-el e après avoir bu une longue gorgée d'eau. Il est important que vous restiez objectif si vous voulez poursuivre cette enquête. — Ne vous inquiétez pas. Je ne pense pas un seul instant que vous ayez quoi que ce soit à voir avec l'incendie. Cette question étant résolue, une autre se pose à moi avec plus d'acuité encore. Depuis que je vous ai rencontrée, je n'arrête pas de me demander ce que je ressentirais en faisant l'amour avec vous. Natalie sentit son coeur s'embal er et el e bénit le serveur qui choisit cet instant précis pour refaire son apparition avec leurs plats. Le temps qu'il débarrasse, el e avait retrouvé un semblant de calme. — Parlons plutôt de l'incendie, reprit-el e d'un ton qui se voulait posé. Qu'avez-vous découvert, exactement ? — Eh bien, sans entrer dans les détails, j'ai relevé tous les signes d'une destruction volontaire et calculée. Reste à élucider le motif, vengeance, vandalisme, destruction gratuite ou pathologie. — Justement, comment faites-vous généralement pour retrouver un pyromane ? Je suppose que ces individus sont imprévisibles... — La première chose à savoir, c'est qu'il y a très peu de pyromanes. La plupart du temps, les incendiaires ont une raison concrète de passer à l'acte. Même dans les cas pathologiques, la cible est rarement gratuite. Ils choisissent des biens appartenant à des personnes qu'ils considèrent comme leurs ennemis pour une raison ou une autre. — On entend pourtant parler de pyromanes qui brûlent des bâtiments ou des forêts au hasard pour leur plaisir. — C'est surtout parce que la presse raffole de ce genre d'histoires. La plupart du temps, les crimes dont les journalistes veulent nous faire croire qu'ils sont l'oeuvre de pyromanes se révèlent être des événements isolés sans lien les uns avec les autres. Est-ce que je peux goûter votre homard ? — Bien sûr, fit la jeune femme en poussant son assiette dans sa direction. Vous n'avez pas l'air d'aimer beaucoup les journalistes. — Ce ne sont pas les pires ! Si vous voyiez la façon dont les psychiatres réduisent nos efforts à néant chaque fois que l'on parle de pyromanes... En général, ils arrivent lorsque nous avons mis les incendiaires sous les verrous, s'entretiennent une demi-heure avec eux avant de décréter à la barre que l'accusé a commis un acte désespéré parce qu'il en voulait à sa mère ou à je ne sais qui d'autre. Et une fois sur deux, le type est relâché après un court séjour en hôpital psychiatrique ! — Mais vous ne pensez pas qu'il fail e les soigner ? — Je pense que nous sommes tous égaux devant la loi. Si quelqu'un commet un crime, il doit en payer le prix. Cela n'empêche pas qu'il consulte des spécialistes durant sa détention mais je n'accepte pas la tendance qu'ont trop de gens à blâmer les autres pour des fautes qu'ils ont commises. — Je croirais entendre mon frère, remarqua Natalie. — Cela signifie probablement que la plupart des policiers pensent la même chose. Il est très frustrant de voir des criminels que l'on a poursuivis pendant des mois sortir de prison après quelques semaines... Vous voulez goûter un peu de mon steak ? — Non, merci, répondit Natalie, bien décidée à en apprendre plus. Dites-moi juste une chose, vous vous méfiez des psychiatres mais vous-même devez bien avoir étudié ce qu'ils écrivent au sujet des pyromanes. — Ce sujet vous intéresse-t-il donc tant que cela ? demanda Ryan, surpris par la curiosité insatiable de la jeune femme. — Bien sûr. Et particulièrement en ce moment... — D'accord, je vais essayer de vous résumer brièvement ce que disent les experts. D'après eux, il y a plusieurs groupes distincts de pathologies mentales : les états dépressifs, les états délirants, les pathologies d'origine organique, les états névrotiques et les troubles du comportement. C'est dans ce dernier groupe que l'on trouve la kleptomanie et la pyromanie notamment. — Et il s'agit d'une affection courante ? — Très. Mais chez la plupart des gens, il n'y a pas de passage à l'acte. Ce qui fait que le pyromane vraiment actif est assez rare. De plus, comme il obéit à une impulsion irrépressible, il laisse souvent des indices, ce qui le rend assez facilement repérable. Certains médecins pensent même que cette négligence est inconsciente, qu'au fond, ils espèrent être pris. Une fois de plus, Ryan se pencha en avant et ramena l'une des mèches de Natalie derrière son oreil e. Il laissa ses doigts s'attarder dans ses cheveux quelques instants avant de s'enfoncer de nouveau dans son siège. — J'aime vous regarder, dit-il enfin. Et en ce moment même, j'ai une envie terrible de vous embrasser... Dans ses yeux, Natalie lut une lueur de désir qui éveil a aussitôt une irrépressible sensation de chaleur au creux de son ventre. — Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, inspecteur, articula-t-el e avec difficulté. — Pourquoi ne viendriez-vous pas chez moi, ce soir ? suggéra-t-il sans se démonter le moins du monde. — On peut dire que vous n'y al ez pas par quatre chemins, s'exclama Natalie, aussi sidérée que troublée par la brutalité de sa proposition. — Pourquoi le ferais-je ? Vous me désirez autant que je vous désire et je ne vois pas l'utilité de nous mentir à ce propos. Cela ne ferait que nous frustrer inutilement. — Vous êtes incroyable ! s'exclama Natalie en secouant la tête. Jamais je n'ai rencontré pareil goujat. — Peut-être. Mais vous n'avez pas répondu à ma question. — Très bien. Puisqu'il vous faut une réponse, c'est non. J'admets qu'il existe entre nous une attirance que je ne m'explique pas mais je suis toujours convaincue qu'il serait vain d'y céder. Vous et moi sommes trop différents, nous n'avons ni les mêmes idées, ni les mêmes goûts, ni les mêmes modes de vie. La seule chose qui nous rapproche, en fait, c'est que notre vie professionnel e prime sur le reste. Tout cela ne présage rien de bon pour une éventuel e liaison. Alors je ne vois pas l'intérêt de prendre ce risque. Ryan observa attentivement la jeune femme durant quelques instants avant de hocher la tête. — Cela se tient, conclut-il. — Je suis heureuse que nous soyons d'accord, déclara Natalie en se détendant quelque peu. — Je n'ai pas dit que j'étais d'accord, protesta Ryan. J'ai juste dit que votre raisonnement se tenait. Sortant son paquet de cigarettes de sa poche, il en al uma une et tira une profonde bouffée. — J'ai beaucoup pensé à vous, Natalie, reprit-il. Et je vous avoue franchement que je n'aime pas trop ce que vous me faites ressentir... C'est une source de distraction dont je n'ai aucun besoin. — Voilà donc qui règle la question, conclut froidement la jeune femme. — Dieu sait que je déteste la façon dont vous me parlez parfois. En fait, je ne sais même pas si je vous apprécie beaucoup à titre personnel... Mais je n'ai jamais désiré quelqu'un aussi ardemment que vous. Et c'est un sérieux problème. — Un problème qui ne regarde que vous, compléta Natalie d'un ton sec. — J'ai bien peur que ce ne soit notre problème à tous les deux, au contraire. — Je vous ai dit que, de mon côté, la question était définitivement tranchée, il ne se passera rien entre nous. — Peut-être, mais cela ne m'empêchera pas de penser sans cesse à vous comme je le fais depuis que je vous ai vue sur les lieux de l'incendie, répliqua Ryan. J'ai pensé qu'en vous embrassant, je chasserais cette curieuse obsession mais en réalité, cela a eu l'effet inverse. Se penchant brusquement en avant, il prit le visage de la jeune femme entre ses mains et l'embrassa. Natalie tenta de s'écarter de lui mais il la retint, la forçant à lui rendre son baiser. Malgré el e, el e sentit une chaleur intense rayonner au creux de son ventre tandis qu'un désir aussi brutal qu'incoercible s'emparait d'el e. — Vous voyez ? fit Ryan en se dégageant enfin. Il ne s'agit pas uniquement de mon problème. Et ne me dites pas que vous ne ressentez pas la même chose que moi. — Vous avez raison, concéda Natalie d'une voix tremblante. Une fois de plus, el e venait de réaliser à quel point el e était réceptive au contact de Ryan. Son corps tout entier réagissait, balayant toute résistance. Et c'était une expérience terrifiante pour el e qui était habituée à exercer un contrôle presque absolu sur el e-même en toutes circonstances. — Mais cela ne change rien, reprit-el e en s'efforçant de calmer ses sens en émoi. Je ne vais pas sortir avec quelqu'un simplement à cause d'une sorte de pulsion animale. Je dois peser les conséquences d'une tel e décision... — Il ne s'agit pas d'une transaction commerciale, protesta Ryan avec une pointe d'agacement. — Cela ne change rien. Je n'ai jamais agi sans tenter au préalable de déterminer les conséquences de mes actes. — Mais on ne peut pas gérer sa vie de façon comptable ! s'exclama Ryan, stupéfait. — Toute décision comporte un mélange de risque et d'opportunité, objecta la jeune femme. D'ail eurs, je ne vois pas pourquoi je gèrerais mon existence autrement. Cette méthode a fait ses preuves dans ma vie professionnel e. Et il n'y a rien d'absurde à peser le pour et le contre avant de se lancer dans une relation amoureuse. Tout le monde fait cela... — Très bien. Dans ce cas, je pourrais peut-être écrire un prospectus publicitaire vantant mes mérites... — Soyez assuré que j'y porterai une attention soutenue, répondit Natalie, amusée. Je crois que je peux même vous aider à le rédiger, ajouta-t-el e en laissant glisser sur lui un regard malicieux. On pourrait commencer par dire que vous êtes attirant. D'une beauté brute, authentique... — Merci, fit Ryan en tirant sur sa cigarette pour se donner bonne contenance. — Il n'y a pas de quoi, vraiment..., répondit-el e en devinant son embarras. Un menton légèrement fendu, des pommettes hautes et marquées, un beau visage ovale et des yeux noirs plutôt sexy. C'est plus qu'il n'en faut pour faire craquer la majorité des femmes, je suppose. Et vous avez aussi des cheveux superbes. Un peu longs, peut-être, et décoiffés la plupart du temps, mais superbes... Votre corps est plutôt athlétique et vous êtes apparemment assez musclé, ce qui vous permet généralement d'adopter une attitude de dur à cuire. — Où voulez-vous en venir, exactement ? l'interrompit Ryan en écrasant nerveusement sa cigarette. — Eh bien, je vous renvoie l'ascenseur. Vous m'avez dit que j'avais de bel es jambes et le corps qu'il fal ait pour al er avec. Alors je m'en voudrais de ne pas vous retourner la pareil e. Et j'avoue que ce n'est pas difficile, vous êtes effectivement très séduisant. Comme un animal sauvage, comme Némésis. — N'en jetez plus, soupira Ryan. — C'est vrai, poursuivit Natalie en fronçant les sourcils. Il y a beaucoup de points communs entre vous deux L'un comme l’autre, vous combattez le crime et l'injustice d'une façon un peu particulière, en marge des forces de police traditionnel es. En fait, je pourrais presque croire que vous êtes Némésis. Sauf que c'est un personnage assez romantique ce que, visiblement, vous n'êtes pas... Ryan ne répondit pas, se contentant de la fixer en silence et Natalie éclata de rire. — On dirait que cela vous laisse sans voix. Je n'aurais jamais cru qu'il pouvait être si facile de vous réduire au silence. Finalement, Ryan se pencha en avant et prit délicatement le menton de la jeune femme entre ses doigts, la fixant droit dans les yeux. El e avait peut-être gagné une batail e mais il n'était visiblement pas décidé à lui laisser gagner la guerre. — Je crois que je ne suis pas contre le fait que vous me considériez uniquement comme un objet de plaisir, dit-il d'une voix égale. À condition que vous me gardiez jusqu'au petit déjeuner. — C'est hors de question. — Vous êtes impitoyable, mademoisel e Fletcher. — Je le sais. À ce propos, je pense que nous devrions y al er. Ryan héla un garçon qui leur apporta l'addition avec l'air désolé qui convenait à ce genre de circonstances. Natalie tendit la main pour s'en emparer mais Ryan fut plus rapide. — Il est hors de question que je vous laisse payer, protesta-t-el e en le voyant sortir sa carte bleue. El e connaissait les prix pratiqués Chez Robert et imaginait aisément ce qu'ils pouvaient représenter pour un fonctionnaire municipal comme Ryan. — C'est moi qui ai eu l'idée de venir ici et nous savons tous deux que c'était uniquement pour vous impressionner... — Ne vous en faites pas, il me restera encore de quoi payer mon loyer, répondit Ryan en souriant. — Laissez-moi au moins régler la moitié. Sinon je me sentirai terriblement coupable... — Cela vous apprendra à jouer de mauvais tours, répliqua Ryan en signant le reçu que lui tendit le garçon. Une fois qu'ils eurent récupéré leurs manteaux au vestiaire, Robert et son maitre d'hôtel vinrent les saluer et leur souhaiter une bonne nuit. — Vous voulez que je vous raccompagne ? suggéra Ryan. — Non, merci, j'ai ma voiture. — Très bien ! Je n'ai justement pas pris la mienne. C'est vous qui me raccompagnerez... Natalie lui jeta un regard où la méfiance le disputait à l'amusement. — Si c'est encore un de vos tours, autant vous prévenir tout de suite que c'est sans espoir. — Très bien ! s'exclama-t-il, feignant d'être mortel ement vexé. Puisque vous avez si peu confiance en moi, je peux prendre un taxi... — Venez, soupira la jeune femme. Ma voiture est juste au coin de la rue. Où voulez-vous que je vous dépose ? — Sur la vingt-deuxième Rue. C'était à l'autre bout de la vil e, réalisa Natalie avec résignation. Mais venant de Ryan, il ne fal ait sans doute pas s'attendre à ce qu'il en fût autrement... — Il faut d'abord que je passe au magasin, déclara-t-el e. — Quel magasin ? — Celui de Lady's Choice. Les décorateurs ont fini leur travail aujourd'hui et je n'ai pas eu le temps d'y passer avant le dîner. Mais c'est sur le chemin. — Je ne savais pas que les cadres d'entreprises vérifiaient personnel ement la décoration de leurs boutiques à minuit, remarqua Ryan. — Eh bien, moi si. Maintenant, si cela ne vous plaît pas, je peux vous déposer à la première station de bus... — Non, je vous accompagne. Après tout, je serais stupide de rater la visite d'un magasin de sous-vêtements féminins... Les articles sont-ils déjà sur place ? — Une partie. Nous avons transféré environ vingt pour cent de notre stock. Vous pourrez y jeter un coup d'oeil. Tout en devisant, ils étaient arrivés devant le coupé sport de la jeune femme. Ryan laissa échapper un sifflement admiratif et prit place sur le siège passager tandis qu'el e s'instal ait au volant. El e démarra et Ryan eut tout le loisir d'admirer sa conduite souple et sportive tandis qu'ils traversaient la vil e. — Cela fait longtemps que vous habitez à Denver ? demanda-t-el e soudain. — Je suis né ici, répondit-il. Et vous ? — J'ai habité longtemps à Colorado Springs. C'est là que se trouvait le siège de Fletcher Industries avant que nous ne décidions de le transférer ici. J'avoue que j'aime beaucoup cette vil e. — C'est surprenant, commenta Ryan. La plupart des gens ici se plaignent de la surpopulation et de la criminalité. — Fletcher Industries était un empire immobilier, à l'origine, lui rappela la jeune femme. Plus il y a de monde, plus nous avons des chances de faire du profit. Quant à la criminalité... Eh bien, nous avons une très bonne police et un super-héros, Némésis. — Apparemment, il vous intéresse beaucoup. — Bien sûr, c'est un personnage fascinant. Je suis partagée entre l'admiration et l'agacement à son sujet... — L'agacement ? répéta Ryan. — Mon frère est policier, lui rappela Natalie. Et je trouve que ce n'est pas aux citoyens de faire régner la justice. Il y a trop de dérives possibles si on laisse faire de tel es choses, vous ne croyez pas ? — Eh bien, ce mystérieux justicier a au moins le mérite d'être efficace. Franchement, je serais ravi de l'avoir à mes côtés dans certaines affaires... Ils continuèrent à deviser de choses et d'autres jusqu'à parvenir enfin en face du magasin de Natalie. Cel e-ci se gara juste devant la vitrine sur laquel e était inscrit Lady's Choice en lettres d'or. Le bâtiment lui-même était aussi gracieux que raffiné, tout de marbre et de verre. La poignée de la porte était faite de métal finement ouvragé et représentait une superbe couronne de roses. — Qu'en pensez-vous ? demanda la jeune femme. — C'est plutôt réussi, commenta Ryan. — Ce sera notre magasin principal, expliqua la jeune femme. Je voulais qu'il soit à la fois classique, impressionnant et sensuel. Se dirigeant vers l'entrée, el e composa un numéro d'identification sur le digicode de l'alarme avant d'ouvrir la porte. Al umant le plafonnier, el e s'effaça pour laisser Ryan découvrir une vaste sal e couverte de moquette mauve. Les murs étaient ornés de lourdes tentures qui conféraient au lieu une certaine noblesse. Une confortable banquette ornait le fond de la pièce, près de laquel e étaient disposées de petites tables basses. Les rayonnages étaient encore vides. — Les marchandises devraient être placées en rayon la semaine prochaine, expliqua Natalie en suivant le regard de Ryan. Ensuite, nous instal erons la vitrine. Ryan se dirigea vers un mannequin qui portait un superbe corsage et une paire de bas assortis. — Je me demande combien peut coûter un tel ensemble. — Cent cinquante dol ars, environ, répondit Natalie. — Cent cinquante dol ars ? répéta Ryan, stupéfait. Pour un morceau de tissu qui se déchirerait à la première occasion ? — Notre marchandise est de très bonne qualité, protesta la jeune femme. — Ce doit être à peu près votre tail e, remarqua Ryan d'un air faussement innocent. — Ne rêvez pas, répliqua-t-el e. Bon, je vais al er vérifier quelques papiers pendant que je suis là. Je n'en ai que pour quelques minutes. — Je viens avec vous, déclara-t-il en la suivant dans les escaliers. — C'est à cet endroit que se trouve le bureau du gérant, expliqua-t-el e comme ils atteignaient le palier. Une partie du stock se trouve également là ainsi que des cabines d'essayage. Nous comptons aussi instal er un rayon spécial pour les sous-vêtements de mariée... — Taisez-vous ! s'exclama brusquement Ryan. — Qu'y a-t-il ? À cet instant, il leva la main et el e vit dans ses yeux une vive lueur d'inquiétude qu'il lui communiqua aussitôt. — Vous avez un extincteur ? demanda-t-il brusquement. — Bien sûr, dans la réserve, juste à droite... Ryan se précipita dans cette direction et s'empara précipitamment de l'extincteur qui se trouvait dans un coin, bien en vue. — Mais qu'est-ce que vous faites ? demanda Natalie, sidérée. — Descendez tout de suite, ordonna-t-il. Il y a le feu. — Mais c'est impossible, protesta-t-el e. — Il y a une odeur d'essence et de fumée, expliqua sèchement Ryan en se dirigeant vers la porte du bureau. Maintenant, al ez-vous-en. La jeune femme vit alors des volutes de fumée monter par l'interstice situé sous la porte. Terrifiée, el e recula tandis que Ryan ouvrait le battant. Une langue de flammes s'échappa brusquement de la pièce et il l'évita de justesse en se plaquant contre le mur avant de se ruer à l'intérieur, l'extincteur en avant. Chapitre 5 Natalie avait l'impression de vivre un cauchemar éveil é. Figée sur place, el e vit Ryan pousser la porte qui s'ouvrit sur un mur de fumée d'où émergeaient des langues de feu. Une odeur âcre la saisit à la gorge tandis qu'el e le regardait disparaître dans la pièce, comme happé par une brume épaisse. Un brutal accès de panique s'empara d'el e à l'idée qu'il puisse être blessé et, sans réfléchir, el e se précipita à sa suite, le coeur battant la chamade. Ryan avait arraché l'un des rideaux et paraissait combattre au corps à corps contre les flammes qui zigzaguaient sur le plancher, faisant fondre la moquette qui dégageait une atroce odeur de plastique brûlé. Immédiatement, Natalie se mit à tousser, suffoquée par l'épaisse fumée noire qui lui irritait les poumons. Brusquement, el e vit un tas de dossiers s'enflammer d'un seul coup, juste devant Ryan. En hurlant, el e se précipita sur lui pour éteindre les flammes qui s'accrochaient à sa veste. — Fichez le camp ! s'exclama-t-il en se retournant vers el e. — Ryan ! Pour l'amour de Dieu, laissez tomber ! Vous al ez vous faire tuer... — Reculez ! s'exclama-t-il en frappant à coups redoublés sur le bureau recouvert de papiers. Il savait que, s'il parvenait à éviter que l'incendie ne se communique à cette zone éminemment inflammable, il pourrait ensuite aisément venir à bout des autres foyers. Il se mit donc à lutter de plus bel e, repoussant lentement les flammèches qui couraient comme des feux fol ets le long des plinthes. Enfin, il parvint à maîtriser la source principale du brasier. Soulagé, il lança l'extincteur à la jeune femme. — Aspergez ce que vous pouvez ! ordonna-t-il en réalisant à quel point el e était terrifiée. Pourtant, lui-même savait que le plus gros du travail était fait. Il ne lui restait plus qu'à s'attaquer aux foyers secondaires. Arrachant les rideaux embrasés, au prix d'une cuisante douleur, il les jeta à terre et les piétina un par un. Plus tard, il souffrirait le martyre mais, pour le moment, il n'avait pas le temps de s'attarder à ces considérations. Arrachant l'extincteur des mains de Natalie, il aspergea copieusement l'armoire que léchaient quelques flammes à présent isolées et réalisa avec satisfaction que tout était éteint. D'un geste, il se débarrassa de sa veste fumante et secoua la tête. — Encore un incendie criminel, dit-il. Jamais un tel feu n'aurait pu prendre ici sans intervention extérieure. Il n'y a pas assez de combustible... Nous ferions mieux de redescendre. Natalie était incapable de bouger. Ses jambes étaient cotonneuses et el e sentait ses bronches oppressées par la fumée. Brusquement, el e se mit à tousser convulsivement. L'accès était si violent qu'el e fut prise d'un vertige et dut s'appuyer contre un mur, le temps de reprendre ses esprits. En quelques enjambées, Ryan la rejoignit et la souleva dans ses bras pour la porter à l'extérieur et jusqu'au bas des marches. — Je vous avais dit de sortir, lui rappela-t-il en la déposant précautionneusement sur le sol. Vous auriez dû m'écouter ! Natalie essaya de répondre mais ne put que tousser piteusement. Sa tête continuait à tourner et el e avait l'impression que la voix de Ryan était étouffée, comme si el e lui parvenait de très loin. Finalement, il la força à s'asseoir et poussa sa tête pour qu'el e soit au niveau de ses genoux. — Ne vous évanouissez pas maintenant ! s'exclama-t-il sèchement en appuyant sur sa nuque. Respirez lentement et de plus en plus profondément. Là, c'est bien... Tandis que la jeune femme luttait pour conserver sa lucidité, il al a ouvrir la porte du magasin et el e sentit une vague d'air frais pénétrer dans la pièce. El e frissonna violemment mais Ryan était déjà de retour et commençait à lui masser énergiquement le dos. — C'était vraiment stupide de votre part ! s'écria-t-il, sentant la peur qu'il avait éprouvée pour el e se muer naturel ement en colère. Vous avez eu de la chance de vous en sortir avec une simple nausée ! Vous auriez pu être gravement brûlée. Je vous avais dit de sortir ! — Mais vous êtes entré, articula-t-el e d'une voix rauque, sentant ses forces lui revenir lentement. — Je suis un pompier entraîné, ce qui n'est pas votre cas ! déclara-t-il en aidant la jeune femme à se redresser sur son siège. Il considéra gravement son beau visage qui était à présent d'une pâleur cadavérique. — Vous avez la nausée ? — Non, dit-el e. Plus maintenant... — La tête qui tourne ? — Non, ça va mieux. Sa voix était aussi rauque que si l'on avait passé sa gorge au papier de verre. — Je vais al er vous chercher un verre d'eau... — Ce n'est pas la peine, dit-el e en se laissant al er contre le dossier de son fauteuil. Tout est al é si vite... Vous êtes sûr que l'incendie est vraiment éteint ? — C'est mon métier de savoir ces choses-là, la rassura Ryan. Je ferais mieux de vous emmener à l'hôpital. — C'est inutile, protesta-t-el e en se redressant. Je vous assure que je vais bien, à présent. À cet instant, el e avisa les mains de Ryan qui étaient sévèrement brûlées par endroit, laissant des cloques se former sur la chair à vif. — Mon Dieu ! s'exclama-t-el e, horrifiée. — Ce n'est rien, la rassura-t-il. J'ai vu bien pire... Mais de grosses larmes commençaient déjà à rouler le long des joues de la jeune femme à mesure qu'el e prenait toute la mesure de ce qui venait de se produire. — Arrêtez, supplia Ryan qui n'avait jamais pu supporter de voir une femme pleurer. Ne sachant comment réagir, il étreignit Natalie et l'embrassa. Il sentit alors les bras de la jeune femme se nouer autour de lui avec une force qui le surprit. Et el e lui rendit son baiser avec une passion et une ferveur qui n'avaient d'égales que la peur qu'el e venait d'éprouver. — Tu te sens mieux ? demanda-t-il doucement lorsqu'ils se séparèrent enfin. — Je vais bien. Mais il faut que je m'occupe de tes mains. Il doit y avoir une trousse de premiers secours dans l'entrepôt. — Je peux m'en occuper. — Bon sang, Ryan, tu ne comprends pas ? Il faut que je fasse quelque chose. Je ne supporte pas de me sentir aussi impuissante. Ryan la regarda se diriger d'un pas chancelant vers la porte de la réserve. Il aurait dû se lever pour al er aérer la pièce du haut avant de se mettre en quête des indices que l'incendiaire avait peut-être laissés derrière lui. Mais il n'en fit rien. Avant tout, il fal ait qu'il veil e à ce que la jeune femme rentre chez el e. Cel e-ci ne tarda pas à revenir avec la trousse de secours qu'el e ouvrit. Il la laissa appliquer un baume apaisant sur ses brûlures, comprenant que cela l'aiderait à reprendre ses esprits. — Tu es fou d'être entré dans cette pièce comme cela, murmura-t-el e en bandant ses mains. — Il n'y a pas de quoi, vraiment, répondit-il, ironique. — Ne te moque pas de moi, protesta-t-el e en levant vers lui son petit visage blême. Je te suis réel ement reconnaissante. Mais cela ne valait pas le coup de risquer ta vie pour sauver ce bureau, Ryan. — Si j'avais pensé que je courais un tel risque, je n'y serais pas al é, tenta-t-il de la rassurer. — En tout cas, murmura-t-el e d'une voix mal assurée, je te dois une nouvel e veste. — Je déteste les vestes, répondit il. Et si tu veux vraiment me témoigner ta reconnaissance, arrête de pleurer. — D'accord, dit-el e en s'essuyant les yeux. Mais j'ai eu si peur... — C'est fini, maintenant. Attends-moi une minute, je vais al er ouvrir la fenêtre pour que la fumée puisse s'échapper. — Je viens avec toi. — Pas question, dit-il d'un ton qui n'admettait pas de réplique. Reste assise tranquil ement ici. S'il te plaît... Tandis qu'il s'activait à l'étage, Natalie profita de ces instants de répit pour se rendre dans les toilettes du magasin. Là, el e se passa le visage sous l'eau et fit disparaître les traces de suie qui maculaient ses joues. Se sentant un peu rassérénée, el e regagna la pièce principale au moment même où Ryan descendait. — C'est le même incendiaire qu'à l'usine, n'est-ce pas ? fit-el e, le prenant au dépourvu. Il ne peut pas s'agir d'une coïncidence. — Il s'agit très probablement du même homme, reconnut Ryan. Mais nous en reparlerons demain. Je te raccompagne chez toi... — Mais je... — Si tu me répètes une seule fois que tu vas très bien et que tu es capable de te débrouil er seule, je t'assomme, l'interrompit Ryan. Tu es malade, effrayée et victime d'une intoxication à la fumée. Normalement, je devrais t'emmener à l'hôpital. Je ne pense pas que ce soit utile mais voici ce que nous al ons faire, je vais te raccompagner chez toi et j'en profiterai pour faire mon rapport au commissariat. Puis tu passeras une bonne nuit de sommeil et, demain matin, tu iras voir un médecin. Ensuite seulement, nous commencerons à discuter de l'incendiaire et de ce qu'il convient de faire à son sujet. — Ce n'est pas la peine de t'énerver, protesta Natalie. — Je ne m'énerverais pas si tu acceptais de m'écouter de temps en temps ! répliqua vertement Ryan. Maintenant, mets ton manteau. — Ce magasin est à moi, objecta la jeune femme. Si je veux rester, c'est mon droit le plus strict... — Natalie, soupira-t-il, je suis fatigué. J'ai beaucoup de travail si je veux trouver cet incendiaire et je ne pourrai pas le faire tant que tu seras dans mes pattes. Alors pour une fois, montre-toi coopérative, je t'en prie. — D'accord, dit-el e enfin, lui tendant les clés de la voiture et du magasin. Faisons les choses à ta façon. Mais j'espère simplement que tu trouveras des indices qui nous mèneront à ce salaud ! * ** Pour Ryan, la nuit avait été longue. Après avoir raccompagné Natalie, il était repassé à la caserne et avait récupéré ses outils. Ensuite, il était retourné au magasin et avait travail é d'arrache-pied pour déterminer ce qui s'était passé précisément, la veil e au soir. Lorsque la jeune femme arriva le lendemain matin, il finissait de récupérer les derniers indices. — Bonjour, déesse aux longues jambes ! s'exclama Ryan qui était assis en tail eur sur le tapis carbonisé. Natalie regarda la pièce d'un air désespéré et soupira. Les murs étaient noircis de fumée, la moquette brûlée par endroits et les rideaux réduits à l'état de torchons calcinés. C'était l'élégant bureau qui trônait dans un coin qui avait le plus souffert et était probablement irrécupérable. Malgré la fenêtre ouverte, une odeur âcre de fumée persistait. — Pourquoi est-ce que les choses ont toujours l'air pire le lendemain ? demanda la jeune femme. — Ce n'est pas si grave que cela, objecta Ryan. Il suffira de quelques réparations et d'un peu de peinture et il n'y paraîtra plus rien. Natalie caressa doucement le papier peint qu'el e avait choisi el e-même. Une plaque se détacha du mur et lui resta dans la main. — Le Ciel t'entende... Ryan la regarda attentivement, admirant la courbe de son menton décidé et la douceur veloutée de son cou que révélait la coiffure qu'el e avait adoptée ce jour-là. El e portait l'un de ses sempiternels tail eurs qui lui donnait un air trop sérieux. — Tu as réussi à dormir ? demanda-t-il gentiment. — Oui. Plutôt bien, étant donné les circonstances, répondit-el e sans mentionner l'horrible cauchemar qui l'avait éveil ée en sursaut au beau milieu de la nuit. Et toi ? — Je n'ai pas eu le temps... As-tu contacté ton assureur ? — Je le ferai dès qu'il sera à son bureau. Est-ce que tu vas devoir m'interroger de nouveau ? — Je ne pense pas que cela nécessaire. Dis-lui que je lui enverrai un double de mon rapport dès demain. À cet instant, ils furent interrompus par Gage qui entra dans le bureau et serra la jeune femme dans ses bras. — J'ai appris ce qui s'était passé, dit-il en jetant un coup d'oeil à la pièce dévastée. Je suis venu voir s'il y avait quoi que ce soit que je puisse faire pour toi... — Merci, dit-el e, touchée par sa gentil esse. Ryan, ajouta-t-el e en se tournant vers ce dernier qui était toujours assis par terre, je te présente Gage Guthrie. Gage, voici l'inspecteur Ryan Piasecki. — J'ai entendu dire beaucoup de bien de votre travail, déclara Gage en tendant la main à Ryan qui se leva pour la serrer. — Moi aussi, j'ai entendu parler de vous, reconnut-il avant de se tourner vers Natalie. Je ne savais pas que vous étiez amis. — Nous sommes même un peu plus que cela, précisa la jeune femme. Gage est marié à la soeur de la femme de mon frère. — Est-ce que le feu a été provoqué par la même personne ? demanda alors Gage, curieux. — Je ne peux pas divulguer cette information, s'excusa Ryan. — Officieusement, précisa Natalie sans tenir compte de son avertissement silencieux, c'est ce qu'il pense. Lorsque nous sommes arrivés hier soir... — Parce que tu étais là ? s'exclama Gage, stupéfait. — Oui, il fal ait que je vérifie quelques petites choses. Heureusement, ajouta-t-el e, j'étais accompagnée par un pompier expérimenté... Gage hocha la tête, pestant intérieurement de ne pas avoir pu l'aider. Mais au même moment, il se trouvait en patrouil e à l'autre bout de la vil e. — Si tu as besoin de quoi que ce soit, dit-il, je peux mettre à ta disposition une partie des ressources de Guthrie International. — Merci de tout coeur, Gaie. Je le ferai si cela se révèle nécessaire. Mais pour le moment, je pense que nous pouvons encore nous en sortir seuls. Par contre, j'aimerais que tu convainques Deborah de ne pas parler à sa soeur de ce qui vient de se passer. Sinon, Boyd risque de débarquer avec armes et bagages pour assurer personnel ement ma protection... — Trop tard, répondit Gage. En plus, Deb a également appelé Althea, l'ex-partenaire de Boyd. — El e n'aurait pas dû ! Althea est enceinte. Je ne veux pas que Colt et el e se fassent du souci inutilement alors qu'ils ne devraient penser qu'à leur bébé. — Que veux-tu ? Tu es entourée de gens qui t'aiment, répondit Gage en souriant. Alors fais bien attention à toi. Au revoir, inspecteur, ajouta-t-il en se tournant vers Ryan. J'ai été ravi de faire votre connaissance. — Moi de même. — Embrasse Deborah et Adrianna de ma part, dit Natalie. Et arrête de t'inquiéter pour moi. Lorsqu'il eut quitté la pièce, la jeune femme se tourna vers Ryan, une lueur presque suppliante dans le regard. — Il faut vraiment que nous retrouvions le coupable, dit-el e. Trop de gens s'angoissent au sujet de cette histoire. — Malheureusement, ce n'est pas cela qui fera avancer l'enquête, répondit Ryan en al umant une cigarette. La seule chose que tu puisses faire pour les rassurer, c'est redoubler de prudence. — Je ne veux pas de conseil ! s'emporta Natalie. Je veux des réponses. Quelqu'un s'est introduit ici hier soir et a tenté de faire brûler la boutique. Je veux savoir comment et pourquoi. — Je peux déjà te dire comment. En examinant les débris, j'ai découvert que le feu avait été déclenché à environ soixante centimètres de la porte du bureau grâce à des chiffons imbibés d'essence et à des papiers probablement trouvés dans la pièce. La porte d'en bas ne présentant aucun signe d'effraction, j'en déduis que l'homme devait connaître le moyen d'entrer. Ryan s'était exprimé d'une voix glaciale, comme s'il présentait un rapport officiel. — J'ai l'impression que tu es en colère, remarqua Natalie. — C'est exact, je le suis. Je trouve que tu pousses le bouchon un peu loin ! Tu voudrais que je résolve cette enquête parce que beaucoup de gens s'inquiètent et parce que tu veux pouvoir vendre tes sous-vêtements à temps. Mais tu oublies l'essentiel, ce qui est en jeu, ici, c'est ta sécurité et cel e d'autres personnes qui pourraient avoir à souffrir de ces incendies à répétition. — Je ne l'oublie pas, protesta la jeune femme. J'essaie juste de ne pas y penser parce que cela m'effraie. D'après ce que tu dis, il est évident que quelqu'un me veut du mal et qu'il s'agit d'une personne suffisamment proche pour ne pas avoir à forcer la porte de la boutique. — Eh bien, tu commets une grave erreur en t'efforçant de ne pas avoir peur, la peur est la meil eure al iée de la prudence. Maintenant, j'aimerais que tu me dises qui sont tes ennemis. — Je n'en sais rien. Franchement, si j'en avais la moindre idée, je te le dirais tout de suite.. Mais je ne vois pas qui peut être l'homme qui s'acharne de cette façon contre mon entreprise. — Quoi qu'il en soit, je pense que le commanditaire et l'incendiaire son deux personnes distinctes. L'homme qui a mis le feu au bureau a une grande expérience des feux et savait pertinemment comment répartir les matières inflammables pour augmenter les dégâts. Une chose est certaine, en tout cas, après son échec d'hier, il recommencera probablement. — Voilà qui est rassurant... — Justement ! Je ne veux pas te rassurer. Je veux te faire prendre conscience des risques que tu cours. Combien de personnes travail ent pour Lady's Choice ? — Environ six cents à Urbana, répondit Natalie d'une voix nettement moins assurée. — Pourrais-tu me faire parvenir une liste du personnel ? Je vais la faire entrer dans l'ordinateur central. Ensuite, je vérifierai quels sont les incendiaires connus dans la région qui utilisent la même technique que notre homme... — Tu me tiendras au courant ? Je serai au bureau la majeure partie de la journée. Et mon assistante saura où me joindre si je sors. — Pourquoi ne prendrais-tu pas une journée de congé ? suggéra Ryan d'un ton radouci. Tu pourrais faire un peu de shopping ou bien al er au cinéma... — Tu plaisantes ? — Écoute, Natalie, moi aussi je me fais du souci pour toi, avoua-t-il. — Je sais... Mais je ne peux vraiment pas m'absenter pour le moment, Ryan. J'ai beaucoup trop de choses à faire pour préparer notre lancement. À commencer par envoyer une équipe de nettoyage et des décorateurs pour refaire cette pièce. — Pas tant que je ne t'aurai pas donné le feu vert, objecta aussitôt Ryan. — Bizarrement, je me doutais que tu dirais cela. En attendant, est-ce que je peux emporter quelques dossiers ? Je les avais transférés du bureau central il y a quelques jours pour travail er ici mais maintenant... — Vas y, il n'y a pas de problème. La jeune femme traversa la sal e pour gagner le placard dans lequel étaient rangées les archives. Ryan la suivit des yeux, admirant une fois de plus ses jambes magnifiques que soulignaient les hauts talons qu'el e portait. — Comment vont tes mains ? demanda-t-el e, le tirant de sa contemplation. — Pas trop mal, merci. Tu es al ée voir un médecin ? — Je n'en ai pas besoin. D'ail eurs, je déteste les docteurs... — Trouil arde ! — Peut-être... En tout cas, je vais très bien, ma gorge me fait un peu mal mais cela passera. Et si tu veux me faire la leçon, commence par arrêter de fumer. Ryan rangea la cigarette qu'il s'apprêtait à sortir de son paquet. — Un point pour toi, dit-il. Jetant un coup d'oeil autour de lui, il hocha la tête. — Je crois que j'en ai fini avec cette sal e. Je vais al er porter mes indices au laboratoire. Tu as ce qu'il te fal ait ? — Oui. Heureusement, d'ail eurs... Deirdre a déjà suffisamment de mal à réaliser l'audit dont j'ai besoin avant de partir pour Washington. — Tu comptes al er dans l'est ? s'exclama Ryan. — Oui, je veux y instal er une filiale de Lady's Choice, expliqua-t-el e en rangeant ses dossiers dans son attaché-case. Mais ce n'est pas pour tout de suite. Il me reste beaucoup à faire ici avant de partir... — Écoute, déclara Ryan, terriblement gêné, j'aimerais beaucoup que nous nous voyions en dehors de cette affaire avant que tu ne partes... Il la vit se raidir tandis qu'une brusque lueur de nervosité passait dans ses beaux yeux verts. — Nous sommes tous les deux très pris, pour le moment, objecta-t-el e. Il vaudrait mieux que nous mettions de côté nos affaires personnel es pour nous concentrer sur la masse de travail qui nous attend. — Ce serait effectivement la chose la plus sage à faire, reconnut Ryan. Mais je ne peux pas m'empêcher d'avoir envie de te voir, de te toucher, de faire l'amour avec toi... Natalie sentit un brusque accès de chaleur l'envahir. Une fois de plus, Ryan l'avait prise complètement au dépourvu, éveil ant en el e une réponse aussi passionnel e qu'instinctive. Jamais encore el e ne s'était sentie aussi exposée, aussi vulnérable. — Je sais très bien ce que tu veux, souffla-t-el e. Mais je ne suis pas certaine de ce que moi, je veux. Je suis une personne rationnel e et sensée et je n'aime pas me conduire de façon irréfléchie. Et chaque fois que je suis avec toi, c'est exactement ce qui se produit. — Pourrions-nous au moins dîner ensemble ce soir ? — Je ne peux pas. Je vais devoir travail er tard, répondit-el e en luttant contre une envie irrésistible de dire oui. — Je peux t'attendre. — Mais je ne finirai certainement pas avant minuit... — Dans ce cas, dit-il en s'approchant lentement d'el e, nous nous verrons à minuit. Il l'attira doucement contre lui et el e se laissa al er, comprenant qu'il était inutile de résister au désir qui la rongeait de l'intérieur. Mais alors qu'il posait ses lèvres sur les siennes, el e recula brusquement. — Minuit ! s'exclama-t-el e, la gorge serrée. — Qu'y a-t-il ? demanda Ryan en fronçant les sourcils. — J'avais complètement oublié, s'exclama-t-el e. Quel e heure était-il lorsque nous sommes arrivés ici, hier soir ? — Je ne sais pas... Un peu plus de minuit. — Bon sang ! Pendant que je me préparais, j'ai reçu un coup de téléphone anonyme. Une voix d'homme qui m'a juste dit quelque chose comme «minuit, l'heure des sorcières». Sur le coup, je n'y ai pas prêté attention... — Mais pourquoi ne m'en as-tu rien dit ? s'exclama Ryan, sidéré. — Parce que je pensais qu'il s'agissait juste d'un de ces plaisantins qui passent des coups de téléphone à des gens pris au hasard dans l'annuaire... Comment aurais-je pu deviner qu'il s'agissait d'une menace ? — À quel e heure as-tu reçu cet appel ? demanda Ryan qui avait sorti son carnet pour prendre des notes. — Il devait être près de 7h30. Je me souviens que j'étais pressée parce que je ne voulais pas arriver en retard... — As-tu entendu des bruits en arrière-plan ? Natalie ferma les yeux, cherchant vainement à se souvenir. — Non, dit-el e enfin. Je ne crois pas... La seule chose que je peux te dire, c'est qu'il s'agissait d'un homme. Mais il avait une voix un peu féminine. Après m'avoir parlé, il a eu une sorte de gloussement... — La voix te semblait-el e réel e ou trafiquée ? — Authentique, je dirais. El e n'avait rien de métal ique, en tout cas. — Es-tu sur liste rouge ? — Non, répondit Natalie en réalisant brusquement les implications de ce qu'el e disait. — Tâche d'établir une liste des personnes ayant ton numéro de téléphone personnel, fit Ryan. — D'accord. Je peux te donner le nom de tous ceux à qui je l'ai donné mais pas de tous ceux qui ont pu l'obtenir... Dis-moi, Ryan, demanda la jeune femme au comble de l'inquiétude, est-ce que les incendiaires professionnels téléphonent souvent à leurs victimes avant de mettre le feu à l'un de leurs bâtiments ? Ryan hésita longuement avant de répondre. — Non, avoua-t-il enfin. Il y a fort à parier pour qu'il s'agisse de quelqu'un de détraqué. Viens, je vais te conduire à ton bureau. — Ce n'est pas la peine... Ryan inspira profondément, se forçant 'à conserver son sang-froid. — Écoute-moi bien attentivement, dit-il d'une voix glacée. Tu es en danger, Natalie. Alors, à partir de maintenant, je veux que tu suives scrupuleusement les conseils que je te donne. À commencer par me laisser t'accompagner à ton bureau, d'accord ? Cette fois, Natalie dut sentir combien il était sérieux et el e hocha la tête. — D'accord. Mais j'aurai probablement besoin de ma voiture dans la journée. Alors il te faudra trouver un autre moyen de revenir ici... — Deuxième règle, reprit Ryan en secouant la tête, tu ne te déplaces plus jamais sans être accompagnée. — C'est ridicule, protesta la jeune femme. J'ai une entreprise à gérer... — Il est hors de question que tu te promènes toute seule, insista Ryan. Sinon, j'appel e directement le commissariat central et je leur demande de te mettre une voiture de patrouil e aux fesses. Et si tu persistes à ne pas col aborer, je fais boucler ce magasin sous prétexte que j'ai besoin d'approfondir mes recherches d'indices. — C'est une menace ? demanda-t-el e d'un ton glacial. — Exactement. Alors trouve-toi un chauffeur en qui tu puisses avoir confiance et fais en sorte qu'il t'accompagne dans tous tes déplacements. Sinon, je ferme la boutique pendant deux semaines et tu peux dire adieu à ton lancement ! Natalie comprit qu'il était sérieux et jugea préférable de s'incliner. — Très bien, soupira-t-el e, je prendrai un chauffeur. Mais je tiens à te rappeler que l'incendiaire s'en est pris aux bâtiments, pas à moi personnel ement. — Il t'a appelée chez toi. Cela devrait te suffire... Même si cette simple idée la mettait hors d'el e, Natalie devait bien s'avouer que Ryan avait réussi à lui faire peur. Heureusement, des années d'apprentissage du contrôle de soi l'aidaient à le cacher aux yeux de ses col aborateurs et el e s'était lancée à corps perdu dans le travail. À midi, el e avait trouvé une équipe de nettoyage, convoqué un décorateur et fait face à la colère des directeurs de ses filiales de Chicago et d'Atlanta qui se plaignaient de la réquisition de leurs stocks. El e avait même eu le temps d'appeler sa famil e et ses amis pour les rassurer. — Maureen, appela-t-el e à l'interphone.Où sont les comptes d'exploitation que je vous avais demandés ? — J'ai appelé la comptabilité mais ils ont un problème informatique... — Dites-leur que c'est une priorité, dit Natalie en s'efforçant de dompter la colère qui montait en el e. Merci, Maureen. Se renversant en arrière, la jeune femme inspira profondément et ferma les yeux. El e devait absolument se reprendre si el e voulait pouvoir faire face à là réunion qui l'attendait cet après-midi. Mais à cet instant, quelqu'un frappa à la porte et el e vit Melvin passer la tête par l'embrasure. — Tout va bien ? dit-il. — Oui, entre. — Je suis venu les mains pleines, déclara-t-il en entrant. Il portait un plateau sur lequel étaient disposés deux tasses fumantes et un grand saladier. — Du café ? s'exclama Natalie, avec reconnaissance. Melvin, tu es un ange ! — Et il y a mieux, ajouta-t-il. J'ai envoyé ma secrétaire nous chercher une salade de poulet. Il faut que tu manges, Natalie. Sinon, tu vas t'effondrer avant la fin de la journée... — C'est vraiment gentil de penser à moi... — Pas du tout, plaisanta Melvin, c'est complètement intéressé de ma part. Tant que tu manges, je sais que tu ne travail es pas et, surtout, que tu ne fais pas travail er tes col aborateurs. — Je suis désolée de vous mettre sous pression de cette façon, s'excusa la jeune femme. — Il n'y a pas de quoi. Étant donné les circonstances, nous comprenons tous qu'il faut redoubler d'efforts. À ce propos, est-ce que tu as vu le magasin ? — Oui. Ce n'est pas aussi grave que cela aurait pu l'être, le rassura Natalie, tandis que tous deux attaquaient leur repas avec appétit. Seul le bureau du gérant est touché et il ne s'agit pas de dégâts structurels. Et surtout, le stock est intact. — Tant mieux ! Je ne sais pas si mon charme légendaire aurait pu convaincre les autres managers de me céder une nouvel e partie du leur. — Nous avons eu de la chance, cette fois, reconnut Natalie. Mais je crois que ces attaques sont personnel es. Quelqu'un veut faire échouer le lancement de Lady's Choice. Melvin haussa les sourcils, passablement stupéfait. — Tu penses qu'il pourrait s'agir d'un coup de la concurrence ? Tu crois que les gens d'Unforgettable Woman seraient capables d'une tel e chose ? — Non... Ils sont sur le marché depuis plus de cinquante ans et leur respectabilité est sans tache. En fait, j'ai peur que l'attaque ne vienne de l'intérieur. — C'est impossible... — Improbable, oui. Mais pas impossible, corrigea Natalie. Je crois que je vais réunir tous les chefs de personnel et de départements pour leur demander leur avis sur la question. — La plupart de nos salariés sont là depuis des années, dit Melvin. — J'en suis consciente, soupira-t-el e en reposant sa tasse de café. Mais je ne vois pas quel e organisation aurait intérêt à ce que le lancement de Lady's Choice soit repoussé. Il peut par contre s'agir d'un grief plus personnel... — Dans ce cas, nous sommes tous suspects, conclut Melvin avec un soupir. Quel e est la prochaine étape ? — Je dois d'abord rencontrer notre assureur à la boutique à une heure. Bon sang, ajouta-t-el e en jetant un coup d'oeil à sa montre, je ferais mieux d'y al er... — Laisse-moi m'en occuper, suggéra son col aborateur. Commander c'est savoir déléguer. D'autant que tu as encore beaucoup de choses à régler ici. Je te ferai un rapport complet dès mon retour. — Merci beaucoup, Melvin. Tu me sauves la vie. Pendant que tu seras là-bas, rappel e à l'inspecteur chargé de l'enquête qu'il doit m'appeler dès qu'il aura du nouveau. — D'accord. Au fait, il y a une livraison qui devait arriver au magasin cet après-midi. Je la mets en attente ? — Non. Nous devons continuer à travail er comme d'habitude. De toute façon, il y aura un garde sur les lieux vingt-quatre heures sur vingt-quatre et je doute que l'incendiaire s'y risque une nouvel e fois. — Très bien. Dans ce cas, nous devrions être dans les temps, conclut Melvin. — Il le faut, répondit Natalie, sentant brusquement son courage lui revenir. Chapitre 6 Ryan avait toujours préféré se fier au raisonnement humain plutôt que de recourir aux ordinateurs. Mais il avait appris que, dans certains cas, les machines pouvaient lui faire gagner un temps précieux. Le système de reconnaissance des incendies volontaires était l'un des programmes les plus efficaces de la police et il avait appris à exploiter la moindre de ses fonctionnalités. À partir de quelques informations et d'une base de données très complète et sans cesse actualisée, il parvenait à tracer un profil psychologique des incendiaires et à comparer les sinistres avec ceux du même type. Après s'être connecté au réseau de la police, Ryan tapa la description des deux incendies auxquels il avait eu affaire. Ils s'ajouteraient désormais aux références des futurs enquêteurs. Il précisa les lieux, les modes opératoires et les caractéristiques des feux et ajouta une note sur le coup de téléphone anonyme qu'avait reçu Natalie, mentionnant les signes distinctifs de la voix tels qu'el e les lui avait décrits. Lorsqu'il eut entré ces données, il attendit que le central ait calculé les occurrences concluantes. Finalement, une fiche signalétique s'afficha à l'écran : Clarence Robert Jacoby, dit Jacoby, dit Clarence Roberts. Dernière adresse connue : 23 South Street, Denver. Sexe: Masculin. Race blanche. Date de naissance : 25/06/52. Suivait la liste d'une douzaine d'arrestations pour incendie volontaire, toujours en milieu urbain. L'une d'el es lui avait valu une peine de prison de cinq ans. La dernière arrestation avait eu lieu deux ans auparavant et il avait dû payer une caution pour éviter une nouvel e peine. Les méthodes de ce Jacoby correspondaient parfaitement à cel es qu'avait constatées Ryan sur le terrain. C'était apparemment une sorte de semi-professionnel de l'incendie volontaire qui paraissait agir plus par passion que par appât du gain. Il utilisait généralement de l'essence comme accélérateur, ainsi que des tas de tissu et des al umettes. Il lui arrivait effectivement d'appeler ses victimes et les psychiatres avaient diagnostiqué une pyromanie doublée de tendances sociopathes. — Le monde est petit, murmura Ryan en se déconnectant. Étouffant un bâil ement, il réalisa soudain à quel point il était fatigué. Il avait réussi à dormir deux heures au cours de la journée mais la fatigue commençait à se faire sentir. Al umant une cigarette, Ryan jeta un coup d'oeil à sa montre et réalisa qu'il était presque minuit. Le sommeil en retard attendrait, décida-t-il : il était grand temps de partir rejoindre Natalie... Natalie avait essayé de contacter Ryan durant tout l'après-midi mais en vain. Chaque fois, on lui répétait poliment que l'inspecteur Piasecki était occupé, qu'il était en mission, qu'il était indisponible... Et il n'avait pas appelé une seule fois. Cela rendait la jeune femme passablement furieuse. Comment pouvait-il exiger qu'el e soit joignable à tout moment alors que lui-même était un véritable fantôme ? Dès le lendemain, avait-el e décidé, el e se rendrait à la caserne et exigerait un rapport détail é sur l'avancement de son enquête. Bien sûr, cela ne contribuerait guère à al éger son emploi du temps déjà surchargé. À mesure que la date fatidique du lancement de Lady's Choice se rapprochait, les choses se précipitaient, les réunions opérationnel es se succédaient à un rythme insensé tandis que les premières commandes leur parvenaient déjà, leur donnant un aperçu de ce que serait la tendance à venir en matière de ventes. Le département marketing était débordé, tout comme l'était celui de la production. Mais Natalie était bien décidée à tenir coûte que coûte les délais qu'el e s'était fixés, quel que fût le prix à payer en heures supplémentaires. Un quelconque retard entamerait d'entrée de jeu l'image de l'entreprise et c'était bien la dernière chose dont ils avaient besoin. Et el e ne laisserait pas un incendiaire se mettre en travers de son chemin ! Dans cinq ans, se répéta-t-el e en se versant un verre de vin pour se détendre, el e aurait doublé le nombre de magasins de Lady's Choice. La firme deviendrait un nouveau joyau ajouté à la resplendissante couronne des Industries Fletcher. De plus, el e garantirait une saine diversification à une époque où la mono-activité était synonyme de fragilité. Son père serait fier d'el e tout comme el e le serait el e-même. Mais dans ce cas, se demanda-t-el e tristement, pourquoi se sentait-el e aussi abattue ? La réponse n'était pas difficile à trouver. En quelques jours, Ryan avait réussi à bouleverser l'équilibre qu'el e avait passé des années à bâtir. En quelques phrases, en quelques baisers, il avait mis en doute ses priorités, au moment même où el e aurait dû concentrer tous ses efforts dans une même direction. Jusqu'à présent, el e était pourtant parvenue à gérer sa vie sentimentale aussi habilement que sa vie professionnel e. El e ne s'était jamais investie assez pour que les hommes avec lesquels el e sortait puissent remettre en question ses choix existentiels. Chaque fois, el e avait su se préserver et rester maître d'el e-même. Mais visiblement, il n'en irait pas de même avec Ryan... Pourtant, il n'était pas du tout son genre. El e le trouvait trop viril, trop confiant, trop sûr de lui. Et el e avait toujours préféré les intel ectuels. Mais c'était plus fort qu'el e, quelque chose chez lui éveil ait en el e un trouble qui dépassait de loin le simple désir physique. Poussant un profond soupir, la jeune femme se sermonna, ce dont el e avait besoin, pour le moment, c'était d'une bonne nuit de sommeil et non d'une auto-analyse. Mais, comme el e s'apprêtait à mettre ce précepte en action, le téléphone retentit. — Mademoisel e Fletcher ? C'est Mark, le portier. — Bonsoir, Mark. Que se passe-t-il ? — Il y a ici un inspecteur de police qui demande à vous voir. Monsieur Piasecki. — Vraiment ? fit la jeune femme, le coeur battant. El e fut tentée de le renvoyer chez lui mais réalisa que ce serait aussi lâche qu'inutile. Ryan était trop têtu pour se laisser détourner aussi facilement de son objectif. — Demandez-lui s'il est ici à titre officiel, dit-el e finalement. El e entendit Mark reformuler la question et Ryan lui demander s'il tenait vraiment à ce qu'une équipe de pompiers vienne sur place vérifier soigneusement les éventuels manquements au code de sécurité des bâtiments col ectifs. Le portier balbutia quelques mots et Natalie eut pitié de lui. — Laissez le monter, Mark, dit el e. — Merci, mademoisel e Fletcher. Dès qu'el e eut raccroché, Natalie fut incapable de résister à la tentation et al a passer un coup de brosse dans ses cheveux. Quelques instants plus tard, la sonnette retentissait. — Tu ne trouves pas injuste de faire pression sur les gens en jouant de ton statut officiel ? demanda la jeune femme à Ryan sans même prendre la peine de le saluer. — Pas lorsque cela fonctionne, répondit-il en souriant. D'un regard, il embrassa le peignoir de soie de la jeune femme qui soulignait plus qu'il ne masquait la silhouette de sa poitrine. — Il aurait été dommage que personne ne te contemple dans cette tenue, déclara-t-il, appréciatif. Veux-tu que nous discutions dans le couloir ? — Non, soupira-t-el e en s'effaçant pour le laisser entrer. Je suppose qu'il est inutile de te faire remarquer l'heure tardive... — Nous avions rendez-vous, lui rappela-t-il. Il est un peu plus de minuit... Dépassant la jeune femme, il gagna le salon qu'il engloba d'un regard. Les couleurs étaient douces et chaudes, soulignant l'originalité des tableaux modernes que Natalie paraissait affectionner. La cheminée, le profond canapé et le bouquet de fleurs qui ornait la table basse donnaient à l'endroit une touche accueil ante et confortable. Mais ce qui frappait le plus, c'était l'immense baie vitrée qui offrait une vue imprenable sur la vil e. — C'est un bel appartement, commenta Ryan. — Oui, je l'aime beaucoup. — Cela ne m'étonne pas, j'ai remarqué que tu aimais les hauteurs. Tu as de la bière ? — Non, répondit-el e. Je peux t'offrir un verre de vin, si tu y tiens. Ryan hocha la tête. Il n'était pas très amateur de vin mais, s'il avalait un café de plus, il risquait une crise cardiaque. — Tu as quelque chose à grignoter ? demanda-t-il tandis que Natalie se dirigeait vers la cuisine. El e fail it répliquer que son appartement n'était pas un restaurant ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre mais la fatigue qu'el e lut sur le visage de Ryan l'en dissuada. Jamais el e ne l'avait vu aussi éprouvé qu'en cet instant et el e se rappela brusquement qu'il avait passe la nuit à travail er pour el e. — Je dois avoir ce qu'il faut dans la cuisine, dit-el e. Assieds-toi, je t'apporte ça. — Merci. Quelques minutes plus tard, el e revint avec un plateau et le trouva à demi étendu sur le canapé, les yeux mi-clos. — Pourquoi n'es-tu pas au lit ? demanda-t-el e. — Parce que j'avais beaucoup de choses à faire, répondit-il en haussant les épaules. Se redressant, il lui prit la main et la fit asseoir à côté de lui avant de s'attaquer avec appétit à l'en-cas qu'el e lui avait préparé. — C'est un véritable délice, commenta-t-il. Je n'ai pas mangé depuis hier soir... — Je peux te commander quelque chose, si tu veux. — Non, merci. En fait, je venais juste te faire un compte-rendu de mes découvertes. — N'étais-tu pas censé le faire il y a plusieurs heures ? — Si, mais j'étais à la Cour durant la majeure partie de la journée. Je devais témoigner dans le cadre d'un procès pour homicide. Mais j'ai eu tes messages, ajouta-t-il en souriant. Apparemment, je t'ai manqué. — Fais plutôt ton rapport, au lieu de proférer de tel es aberrations. — D'accord... Tout d'abord, j'ai fait mettre votre nouvel e usine sous étroite surveil ance. — Tu penses que c'est la prochaine cible ? — Il y a de fortes chances, en effet. D'autre part, je voudrais savoir si tu as déjà remarqué un homme blanc d'un mètre soixante-cinq environ soixante-cinq kilos, cheveux blond filasse. Il doit avoir la quarantaine mais fait beaucoup moins parce qu'il a un visage rond comme celui d'un bébé. Il a des yeux bleus délavés et des dents mal plantées. — Cela ne me dit rien du tout. Pourquoi ? — C'est un incendiaire, un type à moitié fou et plutôt vicieux, expliqua Ryan en buvant une longue gorgée de vin que, pour une fois, il trouva délicieux. Il aime faire brûler des choses mais ne crache pas sur un peu d'argent pour arrondir ses fins de mois. — Et tu penses que c'est lui le coupable ? — C'est possible. La méthode utilisée dans les deux cas correspond à la sienne. Le plus étrange, c'est que je le connais. Je l'ai rencontré, il y a dix ans. Il s'était un peu trop attardé sur les lieux de son méfait et c'est moi qui l'ai tiré du brasier. Je me souviens que nous étions tous deux en feu lorsque nous sommes sortis. Il s'en est fal u de peu pour que nous y restions, cette fois-là. — Pourquoi, ne me l'as-tu pas dit dès que tu l'as appris ? s'exclama Natalie. — Qu'est-ce que cela aurait changé ? demanda Ryan en lisant la peur qu'el e tentait vainement de faire passer pour de la colère. D'ail eurs, je ne l'ai découvert qu'il y a une heure... — Très bien, soupira la jeune femme, as-tu découvert autre chose ? — Ce Jacoby vivait à Denver mais il s'est apparemment beaucoup déplacé pour éviter de se faire repérer. Apparemment, il est de retour au pays. Et si c'est le cas, je le retrouverai. As-tu un cendrier ? Natalie al a en chercher un et Ryan al uma une cigarette dont il tira une profonde bouffée. — Tu as travail é plus de vingt-quatre heures d'affilée, lui dit gentiment la jeune femme. Il serait temps de te reposer... — Cela fait partie du métier, répondit-il en haussant les épaules. — Vraiment ? — Bon, j'avoue que je me suis un peu plus impliqué parce qu'il s'agissait de toi, reconnut-il en la regardant droit dans les yeux. — Tu rends les choses très difficiles, Ryan. — C'est exactement mon objectif, reconnut-il en laissant courir l'un de ses doigts le long de la hanche de Natalie, lui arrachant un petit frisson de plaisir. L'odeur subtile de la jeune femme éveil ait en lui un désir sourd qui lui étreignait la gorge. — Veux-tu que nous discutions, tous les deux ? suggéra-t-il. — De quoi ? demanda-t-el e d'une voix légèrement étranglée. — Je ne sais pas moi... De la pluie et du beau temps, de politique, de sport... — Non... — Dans ce cas, je ferais peut-être mieux d'y al er, soupira Ryan en écrasant sa cigarette à demi consumée avant de se lever. — Cela vaudrait mieux, approuva le jeune femme qui n'avait pourtant aucune envie de le voir partir mais se leva néanmoins pour le raccompagner. Car s'il restait, el e n'était plus très sûre de pouvoir se tenir aux bonnes résolutions qu'el e avait prises à son sujet. — Mais je ne le ferai pas tant que tu ne me l'auras pas expressément demandé, reprit Ryan en l'observant fixement, comme s'il lisait le débat muet qui la déchirait. Malgré el e, el e frissonna, incapable de trouver la force de lui répondre. Un sourire aux lèvres, Ryan s'avança vers el e, jusqu'à ce que leurs corps se frôlent. Et dans les yeux de la jeune femme, il lut la réponse que ses lèvres n'osaient formuler. — Où se trouve la chambre ? demanda-t-il d'une voix que l'impatience rendait rauque. — Par là-bas, répondit-el e en indiquant un couloir qui s'ouvrait derrière lui. Avec une facilité déconcertante, il la souleva de terre et l'entraîna dans la direction qu'el e venait de lui indiquer. — Nous commettons une erreur, balbutia-t-el e tandis qu'il lui couvrait le visage de baisers qui la transportaient. Je sais que c'est une erreur... — Nous en commettons tous de temps à autre, dit Ryan. — Pas moi, protesta-t-el e. J'agis toujours de façon rationnel e et... Ryan la fit taire d'un baiser et el e sentit son corps s'embraser tout entier. — J'aurais dû le savoir, dit alors Ryan en souriant. — Quoi ? — Que tu avais un lit de première classe, dit-il en la déposant précautionneusement sur la couverture. Mais el e n'avait plus aucune envie de plaisanter. Incapable de contrôler l'urgence qui s'était emparée d'el e, el e commença à déboutonner la chemise de Ryan. — Dépêche-toi ! s'exclama-t-el e, agacée par son immobilité. J'ai envie de toi depuis trop longtemps. Et si nous devons commettre cette folie, autant le faire tout de suite ! Ryan ouvrit la bouche pour lui répondre mais cette fois, ce fut el e qui le musela de ses lèvres, tout en continuant à le déshabil er presque frénétiquement. Incapable de résister, il lui vint en aide et se retrouva brusquement torse nu devant el e. L'espace de quelques instants, Natalie s'immobilisa, contemplant avec admiration son torse athlétique. El e n'avait jamais été fascinée par le corps des hommes, les jugeant avant tout sur leurs qualités morales. Mais il émanait de celui de Ryan une grâce réel e, une beauté aussi incontestable que fascinante. Doucement, il la repoussa, la forçant à s'al onger sur le dos. Dans son impatience, il arracha une bretel e de sa chemise de nuit, révélant son corps nu dans toute sa perfection. Pendant quelques instants, il resta immobile, se repaissant de cette vision divine. Puis, très lentement, il posa ses lèvres sur l'un des seins de Natalie qui gémit de plaisir à ce simple contact. El e sentit ses mains se mouvoir doucement sur son corps tandis que sa bouche agaçait l'un de ses tétons avant de descendre presque furtivement le long de son ventre. Lorsqu'el e la sentit se poser doucement au creux de ses cuisses, el e s'arqua pour mieux s'offrir à lui, parcourue de frémissements d'extase. Jamais el e n'avait éprouvé pareil e sensation et el e avait l'impression de s'élever toujours plus haut sans que rien ne vienne entraver le maelström de sensations qui l'enveloppait tout entière. Finalement, el e le repoussa pour pouvoir le toucher à son tour. Ses caresses gagnèrent très vite en audace, à mesure qu'el e sentait tout le plaisir qu'el e était capable de donner à Ryan. Pendant ce qui leur parut une éternité, ils luttèrent tous deux sur le lit défait, découvrant leurs corps avec une avidité et une voracité dont ils ne se seraient jamais crus capables. Ryan dévoilait à Natalie des impressions dont el e n'avait jusqu'alors connu que le pâle reflet, l'ombre incertaine. Il paraissait jouer sur sa peau une symphonie de délices insoutenables, lui arrachant des cris sauvages. Lorsqu'ils n'en purent plus, il entra doucement en el e, sans cesser de la couvrir de petits baisers qui enflammaient sa chair à vif. Tandis qu'il commençait à bouger en el e, el e vint à sa rencontre, trouvant naturel ement les gestes qui décuplaient leur désir, les jetant l'un contre l'autre avec une violence croissante qui abolissait toute pudeur, toute retenue. Sans même s'en rendre compte, el e cria son nom alors que tous deux s'envolaient ensemble vers les cimes d'une jouissance hal ucinante, incapables de maîtriser la joie brute et frénétique qui les emportait loin du monde. Pendant ce qui lui parut une éternité, Ryan resta parfaitement immobile, incapable de formuler la moindre pensée cohérente. La tête de Natalie reposait sur sa poitrine et, du coin de l'oeil, il apercevait son corps magnifique étendu contre le sien sur le grand lit aux draps défaits. Immobile, il attendit que les battements de son coeur retrouvent un rythme moins échevelé. Régulièrement, il sentait de longs frissons parcourir la jeune femme. Il aurait dû exulter mais il se sentait juste stupéfait, passablement dépassé par la situation. Il avait voulu la conquérir, la faire sienne. Il s'était promis de la faire frémir, sous lui, de lui faire perdre la raison en l'entraînant dans une étreinte qui balayerait sa bel e assurance et son petit sourire satisfait. Et il avait réussi au-delà de ses espérances. Mais il ne s'était pas attendu à la vague de passion brûlante qui avait déferlé sur lui, le jetant dans les bras de la jeune femme avec une impatience aussi grande que la sienne. Ils avaient fait l'amour avec une sorte de rage, de passion insatiable, comme deux animaux incapables de se rassasier l'un de l'autre. Cette étreinte sauvage l'avait entraîné au-delà de tout ce qu'il avait jamais connu avec une femme. Il avait perdu tout contrôle sans pour autant se défaire du désir qu'el e lui inspirait. — Cela aurait dû suffire, murmura-t-il. — Quoi ? demanda Natalie sans bouger d'un pouce. — Ce que nous venons de faire. Cela aurait dû me vacciner contre toi... — Oh..., dit-el e simplement. Miraculeusement, el e trouva l'énergie de rouvrir les yeux et son esprit se remit très lentement en marche. Aussitôt, un kaléidoscope de souvenirs lui revint. Leurs baisers, leurs gestes empressés, la façon dont el e l'avait déshabil é... Une étrange chaleur recommença à monter en el e. — Tu as raison, approuva-t-el e, la gorge serrée par ce nouvel accès de désir. Qu'est-ce qui ne va pas, chez nous ? — Je ne sais pas, avoua Ryan en se redressant avec difficulté. Tu te sens bien ? — Je ne sais pas... Tout ceci est un peu irréel, non ? — Oui, approuva Ryan gravement. Je crois que j'ai encore envie de toi... — Moi aussi, fit-el e en frissonnant convulsivement. * ** Lorsque le réveil retentit, Natalie roula de côté pour l'éteindre et heurta Ryan. Celui-ci grommela et sa main se détendit, envoyant l'objet voler à travers la pièce. Il atterrit sur le plancher avec un bip d'agonie. — Qu'est-ce que c'était que ce bruit ? demanda-t-il d'une voix pâteuse. — Mon réveil, dit-el e en riant. Il ouvrit un oeil et la dévisagea, fasciné de voir qu'el e était aussi attirante le matin qu'au beau milieu de la journée. — Un réveil ? répéta-t-il en fronçant les sourcils. — Oui. Le programme habituel est le suivant : il sonne, je me lève, je me traîne jusqu'à la sal e de bains, je me douche, je m'habil e, j'ingère trois litres de café et je pars pour le bureau... — Est-ce que quelqu'un t'a signalé que nous étions samedi, aujourd'hui ? demanda Ryan. — Je ne vois pas ce que cela change. J'ai beaucoup de travail. — Non, non, non. Tu penses que cela ne change rien mais c'est juste une vue de l'esprit. Tu pourrais aussi bien penser que cela change quelque chose et rester bien tranquil ement al ongée à côté de moi. — Ce n'est pas avec des raisonnements de ce genre que tu vas me faire changer d'avis. — Je me doutais que tu al ais dire cela, répondit-il en caressant doucement sa cuisse. El e sentit ses doigts remonter lentement vers la fleur de sa féminité qui s'ouvrait déjà pour l'accueil ir. — Ryan, protesta-t-el e pourtant, il faut absolument que je passe au bureau. J'ai des tonnes de paperasses à remplir et des coups de téléphone... La fin de sa phrase se perdit dans un gémissement. La bouche de Ryan avait rejoint ses doigts et il explorait son corps avec une audace grandissante. — Il ne sera pas dit que tu m'auras réveil é à l'aube pour rien, dit-il en riant. Puis tous deux basculèrent une fois de plus dans un ouragan de passion torride. Lorsque Natalie sortit enfin de sa douche, el e avait plus de trois heures de retard. Se regardant attentivement dans la glace, el e constata avec surprise que son visage ne trahissait en rien la fatigue qui commençait à s'accumuler en el e. En fait, el e paraissait même franchement épanouie. Mais comment s'en étonner ? Jamais encore un homme ne lui avait fait ressentir ce qu'el e avait éprouvé avec Ryan. Lorsque leurs corps se touchaient, une étrange alchimie de désir paraissait se mettre en marche, comme s'ils avaient enfin trouvé une véritable complémentarité. Le partenaire sexuel idéal... Qu'y avait-il d'anormal, dès lors, à ce qu'el e se sente d'une humeur aussi joyeuse ? À ce qu'el e sourie comme une imbécile heureuse en se coiffant ? À ce qu'el e ait une irrésistible envie de chanter et de danser ? Et qu'importe si el e avait raté une matinée de travail pour le simple plaisir de s'ébattre avec cet homme qui la faisait frissonner chaque fois qu'il posait les mains sur el e. Regagnant la chambre, el e constata que Ryan avait disparu. Une délicieuse odeur lui indiqua qu'il devait s'activer dans la cuisine. Sur le sol, el e avisa sa chemise de nuit déchirée. Apparemment, il avait eu raison de penser que la lingerie fine de Lady's Choice ne résisterait guère à ses assauts. Peut-être devrait-el e demander à ses créateurs de travail er sur une gamme spéciale pour les étreintes torrides, songea-t-el e en souriant. Gagnant la cuisine, el e trouva Ryan en train de faire cuire une magnifique omelette. Il avait déjà préparé un pot de café dont el e se servit une tasse avec reconnaissance avant de s'asseoir à la table pour le contempler tout à son aise. Il portait son jean et sa chemise blanche de la veil e et dégageait quelque chose de terriblement sexy. Malgré el e, el e sentit son désir renaître comme un phénix insatiable. — Tu n'avais pas grand-chose dans ton réfrigérateur, dit-il en souriant. Je n'ai trouvé que des oeufs, un peu de cheddar et des brocolis... — C'est parce que je mange très souvent dehors. Je ne me serais jamais doutée que tu savais faire la cuisine... — Tout pompier est un peu cuisinier, expliqua Ryan. À la caserne, nous préparons les repas chacun à notre tour. — Tu veux que je te donne un coup de main ? — Oui, si tu es capable de préparer des toasts. — Je devrais pouvoir m'en sortir, répondit-el e en joignant le geste à la parole. Pendant un moment, ils restèrent tous deux silencieux, goûtant le plaisir simple de leur compagnie. — J'ai remarqué que tu avais le dos couvert de cicatrices, dit enfin la jeune femme. C'est un souvenir professionnel ? — Oui. Tu les trouves repoussantes ? — Pas du tout, le rassura-t-el e. Je me demandais juste comment cela t'était arrivé... — C'est un souvenir de notre ami Jacoby, lui dit-il en remplissant leurs assiettes. Le plafond s'est effondré pendant que je le sortais du bâtiment où il avait mis le feu. J'ai cru que ma dernière heure était arrivée. Jacoby hurlait et riait en même temps, apparemment en pleine extase. Quant à moi, je ne sais pas comment j'ai réussi à sortir. Je me suis effondré sur la pelouse et je n'ai rouvert les yeux qu'à l'hôpital. — C'est terrible... — Franchement, cela aurait pu être bien pire. Ma tenue de protection a encaissé une bonne partie des dégâts. En fait, je crois que j'ai eu de la chance. Mon père est mort dans des circonstances similaires. Ses camarades avaient effectué une percée dans un mur pour laisser une brèche par laquel e le feu pourrait s'échapper. Mais le mur n'a pas tenu le coup et s'est effondré sur les hommes qui étaient à l'intérieur. Ryan s'interrompit brusquement, se demandant pourquoi diable il était en train de parler d'une tel e chose. La mort de son père n'était pas un sujet de conversation très approprié après une première nuit d'amour... — Tu devrais beurrer les toasts pendant qu'ils sont encore chauds, dit-il pour faire diversion. Mais Natalie s'approcha de lui et le serra tendrement dans ses bras. — Je ne savais pas que tu avais perdu ton père, dit-el e gentiment. — C'était il y a douze ans, précisa-t-il. Dans un lycée... Un gosse qui en voulait à son prof de chimie avait mis le feu au laboratoire et le bâtiment tout entier a flambé. Mais mon père connaissait les risques. Nous les connaissons tous, je suppose, ajouta-t-il avec une pointe de dureté dans la voix, se sentant brusquement mal à l'aise devant la sol icitude dont Natalie faisait preuve à son égard. — Je ne voulais pas rouvrir d'anciennes blessures, s'excusa-t-el e. — Cela ne fait rien. Mon père était un pompier extraordinaire. À ses propres yeux, je suis sûr qu'il est mort pour une grande cause... Natalie resta quelques instants pressée contre lui, sidérée de découvrir le besoin instinctif qu'el e avait de protéger Ryan, de le réconforter. Ce n'était pourtant pas le genre de relation qu'ils avaient décidé d'avoir, se rappela-t-el e soudain. S'écartant, el e se força à la prudence. Si el e s'engageait trop, el e risquait de souffrir énormément. Après tout, el e ne savait même pas si leur liaison survivrait à cette journée... — Comment comptes-tu retrouver Jacoby ? demanda-t-el e. — Eh bien, je vais essayer de faire jouer mes contacts. Si j'ai de la chance, ils me mèneront directement à lui... Ou bien nous le coincerons la prochaine fois qu'il tentera de faire des siennes. — S'il vise bien mon usine... — Ce sera probablement le cas, lui assura Ryan. Mais ne t'en fais pas : tu as le meil eur policier de la vil e pour défendre tes précieux sous-vêtements À cet instant, la sonnerie retentit. — Attends une minute, s'exclama Ryan, la voyant se diriger vers la porte d'entrée. Est-ce que le portier n'est pas censé t'avertir, en cas de visites ? — Pas s'il s'agit de l'un de mes voisins... — Sers-toi du judas. Il vaut mieux être prudent, en ce moment. — Oui, papa, dit-el e en riant. À sa grande stupeur, cependant, ce n'est pas l'un de ses voisins qu'el e aperçut à travers le guichet. — Boyd ! s'exclama-t-el e en ouvrant la porte en grand. Cil a ! Ça alors... Je suis si heureuse. — C'est une idée de ton frère, précisa Cil a. Il était soucieux de la sécurité de sa petite soeur préférée... — Je voulais juste m'assurer que tu al ais bien, précisa Boyd, gêné. — Bryant, fit alors Cil a à l'intention de son fils qui venait d'entrer, ne touche à rien sous peine de mort ! Dès l'instant où Deborah nous a appelés pour nous faire part du second incendie, nous avons décidé de venir, ajouta-t-el e, se tournant de nouveau vers Natalie. Al ison ! Ce n'est pas un terrain de basket mais un appartement. Alors pose ce bal on tout de suite, d'accord ? — Oui, maman, soupira la petite fil e. — Entrez, fit Natalie en s'écartant pour laisser la petite troupe pénétrer dans le salon. Boyd, je n'arrive pas à croire que tu aies entraîné toute ta famil e avec toi jusqu'ici pour cette stupide histoire d'incendie. — De toute façon, les enfants n'avaient pas école lundi, précisa son frère. Alors nous avons pris le week-end... — Ne t'en fais pas, précisa Cil a, nous sommes hébergés par Deborah et Gage. — Et nous avons apporté à manger, précisa Boyd en désignant le sac qu'il tenait et qui était rempli de provisions. Hamburger-frites, précisa-t-il. Qu'en penses-tu ? Natalie se demanda comment el e al ait pouvoir leur expliquer la présence de Ryan. Mais el e n'eut pas le temps de trouver une réponse : Keenan, le plus jeune de ses neveux, avait déjà filé vers la cuisine et s'était retrouvé nez à nez avec lui. — Salut, dit-il en le dévisageant avec curiosité. — Salut, répondit Ryan en ébouriffant la tête du garçonnet. Il remarqua alors que tous les autres le contemplaient par la porte ouverte et sourit. — Bonjour, fit-il, s'efforçant de paraître parfaitement à son aise. Natalie avisa aussitôt le regard amusé de Cil a et celui plus spéculatif, de Boyd. — Boyd et Cil a Fletcher, Ryan Piasecki, les présenta la jeune femme, gênée. Et voici, Al ison, Bryant et Keenan. — Piasecki, répéta Boyd. Vous êtes le policier chargé de l'affaire ? — C'est exact, acquiesça Ryan en observant Boyd avec attention, songeant qu'apparemment toute la famil e de Natalie était dotée d'un physique de rêve. Donnez-moi ces hamburgers, reprit-il. Natalie n'a que des oeufs dans son réfrigérateur. Vos vivres seront vraiment les bienvenues. — Où en est votre enquête ? demanda Boyd en lui tendant son sac à provisions. — Pas de discussion professionnel e avant le repas, s'exclama Cil a. Je vais vous aider à faire la cuisine, ajouta-t-el e en se tournant vers Ryan. Ensuite, nous passerons à table. Je suis affamée... À cet instant, Bryant tenta de subtiliser à sa soeur son bal on de basket. Mais cel e-ci l'évita habilement et se précipita dans la cuisine. — Toi, tu es une vraie joueuse de basket, déclara Ryan auquel sa technique de démarquage n'avait pas échappé. — Ouais... J'ai été prise dans l'équipe de l'école. — Eh bien, il se trouve justement que moi aussi, je joue dans une équipe. J'ai un match dans quelques heures. Si cela te dit, tu pourrais venir m'encourager. — Vraiment ? s'exclama Al ison, les yeux bril ants. Je peux, dis, maman ? — D'accord, acquiesça Cil a en souriant. Ce sera sans doute très instructif... Chapitre 7 Jamais Natalie ne se serait attendue à passer son samedi après-midi dans un gymnase, à regarder le traditionnel match annuel qui opposait l'équipe de basket-bal des pompiers de la vil e à cel e des policiers municipaux. Pendant une bonne partie de la première mi-temps, el e ne prêta pas la moindre attention au jeu, trop occupée à bouder. Apparemment, cette partie était quelque chose d'important pour Ryan. Et il ne lui en avait même pas parlé. D'ail eurs, songea-t-el e, ils n'avaient parlé de rien. El e ignorait presque tout de lui, ne savait rien de ses passe-temps, de ses ambitions, de ses centres d'intérêts. En fait, el e ne devait sa présence ici qu'à l'arrivée impromptue de sa nièce. Bien sûr, rien ne forçait Ryan à partager quoi que ce soit avec el e. Après tout, ils ne sortaient pas ensemble, au sens traditionnel du terme. Ils avaient passé une nuit tous les deux, sans même se soucier de ce qu'il adviendrait ensuite. Mais el e commençait à trouver ce contrat plutôt frustrant. Il y avait tant de choses qu'el e aurait aimé savoir sur cet homme mystérieux... À ses côtés, Al ison était aux anges. El e encourageait avec passion l'équipe des pompiers qui s'était surnommée par auto-dérision les mangeurs de fumée. Les yeux bril ants, la petite fil e suivait avec un intérêt croissant l'évolution des joueurs qui se démenaient comme de beaux diables sur le terrain. — Regarder une bande de beaux garçons musclés torse nu courir après un bal on, voilà une bonne façon de passer un après-midi, commenta Cil a. À ce propos, ton petit ami est plutôt mignon. — Je t'ai déjà dit que ce n'était pas mon petit ami, protesta Natalie. Nous sommes juste... — Oui, je sais, lui dit Cil a en riant. Tâche de profiter de cet après-midi de congé. Tu pourrais être avec Boyd et Deborah en train de subir un interrogatoire serré... — C'est vrai, reconnut la jeune femme en souriant. Malgré el e, el e commençait à suivre le déroulement du match. Apparemment, les policiers avaient décidé de placer deux joueurs pour marquer Ryan. Ce n'était pas une mauvaise idée, considérant qu'il avait déjà donné sept points à son équipe au cours de la première période. Il paraissait infatigable, ce qui était d'autant plus admirable aux yeux de Natalie qu'el e savait combien sa nuit avait été courte. — Il ne m'avait même pas parlé de ce match, dit-el e à Cil a. — Vraiment ? fit cel e-ci en lui jetant un regard malicieux. C'est qu'il devait avoir autre chose en tête... Hé s'exclama-t-el e en avisant un policier qui décochait un coup de coude vicieux à Ryan. Au vestiaire ! crie-t-el e à l'intention du joueur. — Ne t'en fais pas, marmonna Natalie, Ryan a des abdominaux d'acier. De fait, évitant son agresseur, il dribbla sur plusieurs mètres, feintant sur la droite pour partir en flèche sur le côté gauche. Là, il tira et marqua un nouveau panier, sans que personne n'ait réussi à bloquer son avance. Malgré el e, Natalie se sentit envahie de fierté. — Ryan est le meil eur, déclara Al ison, une lueur d'admiration dans les yeux. Tu as vu comment il remonte le terrain ? Et la façon dont il saute ? Il a déjà bloqué trois tirs juste devant le panier ! Effectivement, songea Natalie, Ryan était un joueur hors pair, visiblement le meil eur de son équipe. Il se dégageait de lui une impression de puissance et de maîtrise. Son corps athlétique se mouvait avec grâce, paraissant voler sur le terrain à une vitesse fascinante. Et dans ses yeux se lisait une concentration totale, une rage de vaincre qui lui donnait la force de repousser la fatigue. Lorsqu'il marqua un nouveau panier qui permit aux mangeurs de fumée de revenir à la marque, Natalie se leva pour l'encourager, incapable de bouder son plaisir. — Tu as vu ça ? demanda-t-el e à Cil a. — Oui. Il bouge sacrément bien... — Ça, tu peux le dire, approuva Natalie avec un sourire malicieux. El e ne quittait plus le bal on des yeux. Les policiers tentèrent un tir qui fut bloqué par l'un des pompiers. Mais, au cours de cette action, les deux hommes s'étaient violemment percutés et une dispute s'ensuivit. Bientôt, la controverse se propagea et tous les joueurs fail irent en venir aux mains. L'arbitre siffla et sépara les deux joueurs. Durant les minutes suivantes, il dut intervenir à plusieurs reprises, le match commençait à ressembler plus à du rugby qu'à du basket-bal à mesure que les esprits s'échauffaient. Les deux équipes avaient visiblement décidé d'en découdre et les provocations fusaient en tous sens, donnant lieu à des pugilats qui menaçaient de tourner à la bagarre. Natalie comprit brusquement le choix de l'arbitre : il mesurait près de deux mètres et devait peser quatre-vingt-dix kilos, ce qui lui assurait une autorité suffisante pour s'interposer chaque fois que les choses menaçaient de tourner au vinaigre. — Ah, les hommes, rail ait Cil a. Ils prennent toujours tout trop au sérieux... — Mais c'est sérieux, protesta Natalie. À mon avis, ils profitent de ce match pour régler les différends qui les ont opposés durant toute l'année... El e piocha une poignée de cacahuètes qu'el e grignota nerveusement, jugeant que cela valait mieux que de se ronger les ongles. Lorsque les joueurs se calmèrent et reprirent le jeu de façon plus académique, le score était de 108 à 105 en faveur des policiers. L'entraîneur des mangeurs de fumée les réunit et leur donna des instructions. La plupart de ses hommes étaient épuisés et en profitèrent pour chercher leur second souffle avant la dernière période. Ryan leva les yeux vers Natalie et lui décocha un regard brûlant qui n'échappa pas à Cil a. — Eh bien, s'exclama-t-el e, amusée, si ce n'est pas de la passion... Sa bel e-soeur hocha la tête, sentant sa libido se réveil er brutalement. Pour chasser ce trouble, el e encouragea son équipe avec un enthousiasme accru. Le match reprit à une cadence accélérée. Les mangeurs de fumée dominèrent un moment avant de se faire supprimer le bal on par les policiers. Le match restait serré et le public était debout, saluant chaque action d'une vigoureuse clameur. Alors qu'il ne restait plus que quelques secondes, Ryan, profitant d'une poussée de ses adversaires, réussit brièvement à se démarquer. Un mangeur de fumée récupéra le bal on in extremis et, avisant la situation, lui fit une passe magistrale. Avant même que les policiers aient eu le temps de comprendre ce qui se passait, Ryan filait en direction de leur panier. Dribblant avec maestria, il parvint à dépasser le premier défenseur, mais fut immédiatement contré par le second. Il pivota sur lui-même, effectuant un mouvement le long de la ligne. Mais le reste des policiers avait eu le temps de remonter et il comprit qu'il ne lui restait plus que quelques secondes pour agir. Feintant le joueur qui le marquait toujours, il bondit comme un félin, tournant sur lui-même à près de trois mètres du panier. Le bal on s'envola en une cloche parfaite et retomba au milieu du cerceau. La foule hurla son admiration tandis que l'arbitre sifflait la fin du match. Immédiatement, les spectateurs se précipitèrent en masse sur le terrain, soulevant plusieurs joueurs pour les porter en triomphe. Natalie retomba sur son banc, brisée mais emplie d'une joie et d'une fierté immense. Son coeur battait la chamade et el e se sentait aussi épuisée que si el e avait joué. — Quel match ! s'exclama Al ison. Il était formidable ! Tu as vu, maman ? Il a marque trente-trois points à lui tout seul. C'est génial ! — Tu peux le dire... — On peut al er le voir, dis ? — D'accord, acquiesça Cil a. Tu viens, Natalie ? — Non, al ez-y. Si vous réussissez à le voir, dites-lui que je l'attends. — D'accord. On se retrouve chez Deborah, ce soir ? Tu n'as qu'à inviter Ryan. — Je lui en parlerai, répondit prudemment Natalie. Lentement, le gymnase se vida. Natalie resta assise à sa place, se détendant lentement. C'était son premier jour de congé depuis plus de six mois et, pour une fois, el e ne regrettait pas de s'être accordé un peu de temps libre. Sa colère à l'égard de Ryan était retombée. Après tout, il n'avait aucune obligation envers el e et le fait qu'il n'ait pas mentionné ce match n'avait rien d'anormal. Ils se connaissaient depuis très peu de temps et n'avaient jamais parlé de partager leurs vies. Leur liaison était axée sur la satisfaction du désir qu'ils éprouvaient mutuel ement. Ni l'un ni l'autre ne cherchaient à s'attacher, à nouer une relation qui aurait perturbé leur vie professionnel e déjà très remplie. Bien sûr, cela n'empêchait pas qu'ils éprouvent une certaine affection l'un pour l'autre. Qui sait ? Ils deviendraient peut-être amis. Mais il y avait peu de chances pour que leur idyl e survive à l'inévitable usure du temps. Tandis qu'el e formulait ces sages considérations, Ryan sortit des vestiaires. Aussitôt, leurs regards se croisèrent, comme attirés par un magnétisme animal. Malgré le détachement qu'el e se prêtait, la jeune femme sentit son coeur s'embal er. — Beau match, commenta-t-el e en s'efforçant de paraître détendue. Se levant, el e descendit les tribunes pour le rejoindre. — Oui, il y a eu de bel es actions. Tu sais que c'est la première fois que je te vois vêtue d'autre chose que de tes traditionnels tail eurs ? Pour dissimuler sa nervosité, la jeune femme ramassa l'un des bal ons du match abandonnés là. — Je ne me vois pas arriver au bureau en jean et en pul -over, répondit-el e en haussant les épaules. — Tu as tort, cela te va bien. — Merci, dit-el e en se plongeant dans la contemplation de son bal on. Apparemment, Al ison était aux anges, ajouta-t-el e pour faire diversion. C'était vraiment très gentil de ta part de l'inviter... — C'est une gamine adorable, répondit Ryan. El e te ressemble beaucoup, d'ail eurs. À mon avis, el e deviendra une véritable briseuse de coeurs ! — Pour le moment, el e s'intéresse plus au basket-bal qu'aux garçons, remarqua Natalie en se détendant légèrement. Sauf lorsqu'ils marquent autant de paniers que toi... Apparemment, c'est la guerre entre les policiers et vous. — Oui. Nous organisons ce match chaque année. Le prix des places va aux associations de veuves de policiers et de pompiers. Mais, en réalité, la plupart des joueurs viennent pour donner une bonne correction à leurs adversaires. — Pourquoi ne m’en avais-tu pas parlé ? demanda la jeune femme en faisant rebondir le bal on. — Eh bien... Je ne pensais pas que c'était le genre de choses qui pouvait t'intéresser, expliqua-t-il en haussant les épaules. — Vraiment ? — Je me suis dit que tu devais préférer les pièces de théâtre, les opéras, ou les bons restaurants... — Est-ce que tu serais par hasard en train de me traiter de snob ? demanda Natalie, menaçante. Ryan parut brusquement comprendre qu'il avait gaffé. — Non, ce n'est pas ce que je voulais dire, protesta-t-il. Mais je n'imaginais pas que quelqu'un comme toi puisse aimer le basket-bal ... — Quelqu'un comme moi ? répéta-t-el e. Blessée, el e pivota sur el e-même et lança le bal on qui atterrit directement dans le panier avant de rebondir mol ement sur le terrain. El e al a le récupérer et lorsqu'el e fit de nouveau face à Ryan, la stupeur qu'il lut dans ses yeux lui réchauffa le coeur. — Qu'est-ce que tu voulais dire, exactement, par «quelqu'un comme moi» ? demanda-t-el e, cassante en lui jetant le bal on en pleine poitrine. Il le bloqua et le lui renvoya. Sans difficulté, el e l'attrapa au vol. — Tu pourrais refaire ça ? demanda-t-il en désignant le panier. Natalie se plaça juste derrière la ligne des trois points et marqua de nouveau avec une facilité déconcertante. — Eh bien ! s'exclama Ryan en récupérant le bal on. Je suis très impressionné. Que dirais-tu d'un petit un contre un ? — Quand tu veux, dit-el e en commençant à tourner autour de lui tandis qu'il dribblait. Soudain, rapide comme l'éclair, el e fonça sur lui et lui arracha le bal on. Sautant avec agilité, el e marqua de nouveau. — Un point pour moi, dit-el e en le lui renvoyant le bal on. — Tu es douée. — Mieux que cela, protesta-t-el e en le bloquant tandis qu'il remontait vers le panier. J'étais capitaine de mon équipe à l'université. Qui crois-tu qui a appris à jouer à Al ison, d'après toi ? — D'accord, tante Natalie. Jouons... Il pivota et feinta sur la droite. Mais el e ne se laissa pas berner, le marquant avec autant d'acharnement qu'une mouche. El e bougeait vite, remarqua-t-il, et avait une véritable intuition du jeu. Et el e parvenait à le gêner considérablement. Bien sûr, il n'osait pas passer en force, craignant de lui faire du mal. El e le savait pertinemment et en jouait sans états d'âme. Soudain, el e lui fonça dessus, le percutant en pleine poitrine pour lui voler le bal on, manquant le renverser. Il la rattrapa de justesse alors qu'el e s'élançait déjà en direction du panier et fit écran devant el e. — C'était une faute ! s'exclama-t-il. — Et alors ? répliqua-t-el e en souriant. Je ne vois pas d'arbitre. Ryan s'avança, bien décidé à récupérer son bal on. Mais il était nettement désavantagé. Il avait déjà un match entier derrière lui et Natalie avait eu tout loisir d'étudier sa technique. Et surtout, songea-t-il, el e était nettement meil eure que la plupart des policiers contre lesquels il venait de jouer. Et el e le savait... Son jeu était adroit et rapide. El e utilisait au mieux sa légèreté pour éviter et feinter avant de partir en accélérations époustouflantes. Et el e n'avait aucun remords à utiliser les pires fourberies pour gagner. Finalement, il parvint tout de même à la tromper et lui prit le bal on, avant de partir à toute vitesse vers le panier. Il tira, mais el e l'avait déjà rejoint et sauta, parvenant in extremis à dévier la trajectoire du bal on que Ryan récupéra. Lui jetant un coup d'oeil admiratif, il fut frappé par la beauté qui se dégageait d'el e en cet instant. Les cheveux en batail e, le regard concentré sur leur lutte, el e ressemblait à une déesse guerrière des temps anciens. Incapable de résister à la tentation, il dribbla dans sa direction et, comme el e s'apprêtait à lui arracher le bal on, la souleva de terre pour la jeter sur son épaule. De sa main libre, il marqua un panier. — Faute ! cria-t-el e en riant. — Je ne vois pas d'arbitre, protesta-t-il d'un air innocent en la laissant glisser jusqu'au sol. Lorsqu'el e fut debout devant lui, il plongea ses mains dans ses épais cheveux blonds et l'attira contre lui pour l'embrasser avec ferveur. El e s'abandonna avec une passion sans retenue, posant ses paumes contre ses joues, comme pour l'empêcher de partir. Mais il n'en avait aucunement l'intention et leur baiser se prolongea pendant une éternité, les laissant tous deux essoufflés et terriblement excités. — Il y a un vestiaire qui ferme dans ce gymnase, lui dit Ryan d'une voix hachée. — Alors pourquoi sommes-nous encore ici ? demanda-t-el e. — Bonne question, fit-il en l'entraînant vers le fond de la sal e. Quelques minutes plus tard, ils ressortirent du vestiaire, main dans la main en riant. — Je n'avais jamais fait ça comme cela, avant, dit Natalie en pouffant. — Nous sommes pires que des gamins, soupira Ryan en secouant la tête. — C'était merveil eux, pourtant, murmura-t-el e en se penchant vers lui pour l'embrasser fugitivement dans le cou. — C'est toi qui es merveil euse, répondit il en lui caressant tendrement la joue. — Il faut que je rentre chez moi pour me changer. Nous sommes invités chez les Guthrie, ce soir. — Nous ? fit Ryan en haussant un sourcil surpris. — Cil a m'a expressément demandé de te dire que tu étais invité. — Cela ne te dérange pas ? demanda-t-il, plein de prévenance. — Non, au contraire, répondit-el e avant même d'avoir réfléchi. D'ail eurs, comme cela, tu auras l'occasion de discuter des incendies avec Boyd. — D'accord, fit Ryan. Ce simple mot réchauffa le coeur de la jeune femme. Ryan savait que Gage Guthrie était riche. Très riche, même. Mais rien ne l'avait préparé au manoir néo-gothique dans lequel il vivait. L'architecte audacieux l'avait muni d'un toit crénelé, de tourel es et de terrasses que rehaussaient par endroits de fantomatiques statues. L'ensemble faisait penser à une sorte d'hal ucination médiévale dressée en plein XXè siècle, à une demeure tout droit sortie de Gotham City. À l'intérieur, la décoration, quoique splendide, était très sobre, véhiculant une impression de confort et de joie de vivre. Les couloirs, par contre, lui firent penser à un véritable labyrinthe qui montait, descendait, ondulait et se perdait dans d'inattendus recoins. Quant à la sal e à manger où était réunie la famil e, el e était immense, avec une table gigantesque et une cheminée assez large pour y faire rôtir un boeuf. Un énorme chandelier en fer forgé pendait au plafond. Dès qu'il rencontra Deborah, Ryan sut qu'il s'entendrait parfaitement avec el e. Il connaissait sa réputation de procureur tenace et compétent, mais découvrit qu'el e était aussi une femme d'une grande gentil esse qui paraissait plus douce et plus vulnérable que sa sœur. Son mari l'adorait visiblement. Cela se lisait dans les regards qu'ils échangeaient parfois et qui dénotaient une infinie complicité. Boyd et Cil a semblaient très proches, eux aussi. Pourtant, cela faisait plus de dix ans qu'ils vivaient ensemble. Mais, au lieu de s'étioler, leur amour semblait s'être renforcé à l'épreuve du quotidien. Leurs enfants étaient aussi turbulents qu'adorables. Al ison avait visiblement un petit faible pour lui et il se montra à son égard d'une grande prévenance. Le dîner se déroula donc dans une atmosphère des plus conviviales. Le menu était succulent et arrosé d'un excel ent vin français. — Est-ce que tu conduis un camion de pompiers ? demanda Keenan à Ryan auprès duquel il était assis. — Plus maintenant. — Pourquoi tu as arrêté? — Je te l'ai dit, répondit Bryant avec dédain. Il fait comme papa, maintenant, il poursuit les sales types. Mais seulement ceux qui brûlent des choses. Pas vrai, Ryan ? — Exact. — Moi je préférerais conduire un camion de pompiers, commenta Keenan. — Tu en as déjà visité un ? s'enquit Ryan en souriant. — Non. Mais j'aimerais bien... — Eh bien, si ton papa et ta maman sont d'accord, tu pourrais venir à la caserne demain. — Super ! s'écria Bryant. On peut y al er, dis papa ? — Pourquoi pas ? acquiesça Boyd. — Votre soeur sait où cela se trouve, reprit Ryan tandis que les deux garçons sautaient de joie. Vous pourriez passer vers 10 heures. — En attendant, intervint Cil a, il va être temps d'al er au lit, les enfants. Ceux-ci n'émirent qu'une protestation de principe, trop fatigués par leur journée pour lutter contre la décision maternel e. Boyd prit Keenan sur ses épaules et emboîta le pas à sa petite famil e, suivi de Natalie. Ryan les regarda en souriant tandis que la petite troupe quittait la pièce. — Ils sont vraiment adorables, commenta-t-il, rêveur. — Oui, approuva Deborah. En tout cas, vous avez conquis les enfants en leur proposant de visiter la caserne. — Oh, mes col ègues seront aussi contents qu'eux, ils adorent les enfants. Le repas était vraiment délicieux, ajouta-t-il en contemplant les restes du succulent gâteau qui trônaient au centre de la table. — Frank, notre cuisinier, est un véritable cordon-bleu. C'est un ancien pickpocket qui s'est reconverti avec brio. Que diriez-vous de passer dans le salon pour prendre le café ? Tandis que Deborah se dirigeait vers la cuisine pour le préparer, Ryan suivit Gage jusqu'à une petite pièce qu'occupaient une immense bibliothèque et de confortables fauteuils en cuir. — Vous avez une maison magnifique, dit-il au maître des lieux. Il ne vous arrive jamais de vous y perdre ? — J'ai un bon sens de l'orientation, répondit Gage en riant. — Vous étiez policier, avant, n'est-ce pas ? — C'est exact. Mais mon partenaire et moi nous sommes retrouvés dans une sale situation. Il est mort et je ne valais guère mieux. Quand je suis enfin sorti de l'hôpital, j'ai rendu mon badge. C'était devenu trop difficile de continuer comme si de rien n'était... — Je suis désolé, fit Ryan. Il se souvenait effectivement avoir lu quelque part que Gage était resté durant des mois dans le coma avant de revenir à la vie. — C'est comme cela que vous avez repris la tradition familiale ? — En quelque sorte... Mais d'après ce que j'ai cru comprendre, c'est aussi votre cas. — Je vois que vous êtes bien renseigné. — Je vous avoue que j'ai fait quelques recherches sur votre compte lorsque Natalie m'a dit que vous seriez chargé de l'enquête. El e compte beaucoup pour Deborah et moi, vous savez. Tiens, ajouta-t-il en voyant Boyd pénétrer dans la pièce. Tu as été rapide... — J'ai sauté sur la première occasion pour prendre la fuite, avoua Boyd en souriant. Traversant le salon, il s'assit en face de Ryan et, le regarda attentivement. — Dites-moi, Piasecki, demanda-t-il enfin, que se passe-t-il exactement entre ma soeur et vous ? Décidant qu'il avait assez attendu, Ryan sortit une cigarette qu'il al uma avant de tirer une longue bouffée. — Je pense qu'un enquêteur aussi doué que vous n'aura aucun mal à le deviner, répondit-il posément. Gage toussa pour dissimuler un rire amusé tandis que Boyd plissait les yeux, légèrement menaçant. — Natalie n'est pas une fil e facile, dit-il. — Je le sais parfaitement. Et si vous comptez en savoir plus sur nous deux, je vous suggère de lui poser vos questions directement. — Très bien. Dans ce cas, vous pouvez peut-être me renseigner sur un autre sujet : où en est votre enquête ? Ryan hocha la tête et entreprit de relater aux deux hommes le détail des événements récents et les différents indices qu'il avait réussi à réunir jusque-là. Boyd l'écoutait avec une attention soutenue, l'interrompant parfois pour lui poser une question à laquel e Ryan répondait avec exactitude et concision. — Je suis à peu près certain que Jacoby est coupable, conclut-il. Je connais ses méthodes et la façon dont il fonctionne. Et je le coincerai, je vous le promets. — Entre-temps, il faut que vous fassiez protéger Natalie. — C'est ce que je fais. — Je parlais de sa sécurité personnel e, pas de cel e de son entreprise, précisa Boyd. — Moi aussi. Et je vous jure que rien ne lui arrivera. — El e a la tête dure, vous savez. Je ne suis pas certain qu'el e se plie à vos consignes... — Je ne compte pas lui laisser le choix en la matière, répondit posément Ryan en écrasant sa cigarette. — Très bien. Je crois que je m'étais trompé sur votre compte, inspecteur. Vous commencez à m'être sympathique. — Le café est servi, annonça alors Deborah qui les avait rejoints, poussant une table roulante sur laquel e était posé un superbe service en porcelaine. De quoi parliez-vous ? — D'un certain Clarence Jacoby, répondit Boyd. Cela te dit quelque chose ? — Jack Jacoby ? Bien sûr, répondit-el e en remplissant les tasses qu'el e leur tendit. Je crois qu'il a été libéré sous caution il y a quelques années après une accusation d'incendie volontaire. — Voilà une femme selon mon coeur, commenta Ryan en souriant. Apparemment, ce Jacoby a décidé de refaire surface. — Vous pensez que c'est lui le coupable ? demanda Deborah en fronçant les sourcils. — Exactement. — Nous devons avoir un dossier sur lui, dit-el e en jetant un coup d'oeil à Gage. L'ordinateur qui était caché dans l'une des pièces secrètes de sa maison était capable de se connecter directement sur les archives du FBI et des différents tribunaux. Ils pourraient aisément obtenir tous les renseignements nécessaires en quelques clics. — Si vous voulez, reprit Deborah, je peux vous envoyer dès lundi ce que nous avons. — Ce serait très utile, acquiesça Ryan, reconnaissant. — Comment diable a-t-il pu s'en tirer en payant seulement une caution ? s'exclama Boyd, incrédule. Ce n'est pas comme s'il s'agissait d'un simple vol à l'étalage... — C'est vrai, reconnut Ryan. Mais cet homme est rusé. Il s'est spécialisé dans la destruction de bâtiments vides, d'appartements ou d'entrepôts inoccupés. Parfois, il travail e pour le propriétaire, parfois, juste pour son plaisir personnel. Pourtant, il n'a été jugé que deux fois et n'a écopé que d'une seule condamnation. En général, il s'en sort parce qu'il ne s'agit que d'immobilier, et qu'il n'y a aucune victime... — Et il est toujours libre, soupira Boyd, dégoûté. — Pour l'instant. Mais nous n'al ons pas tarder à le coincer et, cette fois, je veil erai à ce qu'il ne s'en tire pas à si bon compte. Ryan s'interrompit, entendant les voix de Cil a et de Natalie dans le couloir. Mieux valait que la jeune femme ne sache pas qu'ils parlaient de ses problèmes derrière son dos. Lorsqu'el es entrèrent, Cil a se dirigea vers Boyd, un sourire malicieux aux lèvres. — Natalie est bonne pâte, dit-el e. Les enfants lui font faire tout ce qu'ils veulent. — Ce n'est pas vrai, protesta Natalie. C'est juste qu'en tant que tante, j'ai le droit de les gâter les rares fois où je les vois. Alors, ajouta-t-el e en s'asseyant auprès de Ryan, vous avez eu le temps de discuter de mes affaires ? — Qu'est-ce qui peut te faire croire une chose pareil e ? s'exclama Ryan d'un air parfaitement innocent. * ** Quelques heures plus tard, tandis qu'ils revenaient de chez les Guthrie, la jeune femme observa attentivement Ryan. — Est-ce que Boyd s'est montré insupportable avec toi ? demanda-t-el e. — Non, pas vraiment. Il est juste inquiet pour sa petite soeur. Mais je sais ce que c'est... — Je ne savais pas que tu avais une soeur, remarqua Natalie, surprise. — Avec un père polonais et une mère irlandaise, tu m'imaginais fils unique ? s'exclama Ryan, moqueur. J'ai deux soeurs aînées dont l'une vit à Columbus et l'autre à Baltimore et un frère cadet qui vit à Phoenix. — Cela fait une grande famil e... — Surtout si tu comptes mes neveux et mes nièces. J'en ai huit en tout et un neuvième est sur le point de naître. Voilà qui expliquait qu'il se sente tel ement à l'aise avec les enfants, songea Natalie. — Tu es donc le seul qui soit resté à Denver. — Oui, ils pensaient tous que l'herbe était plus verte ail eurs, acquiesça Ryan. Dis-moi, Natalie, est-ce que je suis invité chez toi, cette nuit ? El e l'observa attentivement, se demandant comment el e pouvait désirer à ce point un homme qu'el e connaissait si peu. — Oui, murmura-t-el e enfin. J'aimerais beaucoup... Chapitre 8 — Est-ce que je peux utiliser la rampe, monsieur Piasecki ? supplia Keenan en désignant la barre chromée qui reliait le premier étage au rez-de-chaussée. — Appel e-moi Ryan. Et accroche-toi bien, dit-il en soulevant le petit garçon pour l'aider à atteindre la rampe. Mets tes jambes autour de la barre, là... Tu n'as pas de fermeture éclair ? — Non. — Alors c'est parti, s'exclama Ryan en laissant l'enfant glisser le long de la barre. — Super ! s'exclama Keenan, ravi en levant la tête vers lui, un sourire rayonnant aux lèvres. Je peux recommencer ? — D'accord. Mais laisse ton frère essayer, d'abord. Bryant parut hésiter puis se laissa glisser à son tour. — Il ferait un père parfait, commenta Cil a à voix basse. — Tais-toi ! s'exclama Natalie en plongeant les mains dans ses poches. El e aussi avait terriblement envie d'essayer la rampe mais el e n'osait pas le demander à Ryan, craignant qu'il ne se moque d'el e. — Eh, je ne sous-entendais rien, s'écria Cil a en riant. Il est vrai qu'il sait y faire avec les enfants. Cela fait longtemps que je ne les avais pas vus aussi heureux. — En effet, approuva Natalie. Je ne connaissais pas cette facette de son caractère. — On peut dire qu'il ne manque pas de qualités cachées. Et il est visiblement fou de toi... — Tu te trompes, protesta Natalie, surprise que sa bel e-soeur ait pu imaginer une tel e chose. Nous sommes amants, rien de plus. — Bien sûr, rail a Cil a qui de toute évidence ne la croyait pas. — Regarde, maman ! s'écria alors Keenan qui les avait rejoints, un casque de pompier trop large pour lui sur la tête. C'est un vrai ! Et Ryan dit qu'on peut al er visiter le camion, maintenant. Entraînant son frère et sa soeur dans son sil age, il dévala l'escalier. Deux pompiers les accompagnèrent vers l'un des monstrueux engins qui étaient garés dans le hangar. Cherchant Ryan des yeux, Natalie le vit en pleine discussion avec Boyd. Les deux hommes montaient vers son bureau sans leur prêter la moindre attention. — Je crois que Boyd voulait discuter de ton affaire avec Ryan, expliqua Cil a. — Il ne devrait pas se faire autant de souci pour moi. Après tout, il ne peut rien faire... — Tous les grands frères sont comme cela, lui rappela Cil a en souriant. Et il est d'autant plus inquiet justement parce qu’il se sent impuissant. Mais, si cela peut te rassurer, ses craintes se sont nettement atténuées depuis qu'il a rencontré Ryan. — Tant mieux... À propos, tu as des nouvel es d'Althea ? La dernière fois que je lui ai parlé, el e se sentait déprimée par son travail de bureau et la tail e de son ventre. — El e exagère ! Je n'ai jamais vu femme enceinte plus sexy qu'el e. Boyd et Colt se sont entendus pour faire pression sur el e et la forcer à prendre un congé maternité. Je suis al ée la voir, il y a deux semaines, et je l'ai trouvée en train de tricoter ! — Althea ? C'est impossible ! s'exclama Natalie en riant. — Pourtant, c'est vrai. Les voies du mariage et de la maternité sont parfois impénétrables... — Sans doute, admit Natalie avec une pointe d'amertume inattendue. Toutes les femmes qui l'entouraient avaient à présent un ou plusieurs enfants et el e se demandait si el e-même n’était pas anormale. À l'étage, Boyd avait écouté très attentivement le rapport de Ryan. — Ce que je ne comprends pas, conclut-il en secouant la tête, c'est pourquoi l'incendiaire a mis le feu à l'étage. Il aurait fait plus de dégâts dans la boutique el e-même... — Oui, mais le sinistre aurait pu être repéré beaucoup plus vite à cause de la vitrine. Par contre, il aurait pu al umer le feu dans la réserve où se trouvaient la majorité des produits combustibles. Il y avait là de nombreuses boîtes, de la lingerie et du papier d'embal age. De quoi faire brûler le bâtiment tout entier beaucoup plus vite. Mais je suppose que notre homme avait reçu des instructions... — Je me demande bien de qui ? — C'est là toute la question ! reconnut Ryan en posant nonchalamment les pieds sur son bureau. J'ai deux incendies volontaires probablement perpétrés par la même personne et contre la même compagnie. Alors, il est quasiment certain que quelqu'un est derrière. Quelqu'un qui aurait intérêt à faire échouer le lancement de Lady's Choice. — Pourrait-il s'agir d'un concurrent ? — J'ai demandé aux services de police de vérifier mais c'est peu probable. — D'autant que le coupable connaissait le moyen de faire rentrer Jacoby dans la boutique sans forcer la porte ni déclencher l'alarme. — Tout juste. Ce qui nous mène inévitablement à la conclusion qu'il s'agit de quelqu'un qui ferait partie de l'entreprise Fletcher. — Hélas, je ne peux pas vous être d'une grande aide en ce domaine. Je me suis toujours efforcé de rester à l'écart des affaires familiales. Mais je peux essayer d'obtenir des informations par l'intermédiaire de mes parents. — Ce serait une bonne chose, approuva Ryan. En tout cas, le fait que Jacoby ait raté son coup au magasin le poussera certainement à tenter une nouvel e expédition. S'il suit toujours le même schéma, il devrait frapper au cours des jours à venir. Mais cette fois, nous l'attendrons. Boyd hocha la tête. Il commençait à se faire une idée assez précise de ce que valait Ryan. C'était un homme intel igent et décidé. Mais il était bien placé pour savoir que son travail risquait d'être perturbé par une trop grande implication personnel e. — En attendant, dit-il, faites en sorte que Natalie ne soit pas mêlée à cette histoire. — C'est bien mon intention. — J'espère simplement que vous saurez faire la part des choses entre votre... investissement affectif et l'affaire que vous essayez de résoudre. Ryan acquiesça, sachant que ce serait pour lui le véritable défi. À plusieurs reprises, il y avait réfléchi, sans trouver la moindre solution à ce dilemme. Il n'était pas plus enclin à renoncer à cette enquête qu'à sa liaison avec Natalie. — Je sais parfaitement ce que j'ai à faire, capitaine, déclara-t-il avec plus d'assurance qu'il n'en éprouvait réel ement. — Je vous fais confiance, Piasecki. Mais sachez une chose, s'il arrive quelque chose à ma soeur, pour quelque raison que ce soit, je veil erai personnel ement à vous le faire payer. Nous nous comprenons bien ? — Parfaitement bien. Une heure plus tard, Boyd, Cil a et leurs enfants quittèrent la caserne après avoir pris congé de Ryan et de Natalie. — Tu as fait forte impression, remarqua la jeune femme lorsqu'ils se retrouvèrent seuls. — Oh, ce n'était pas difficile, les casernes impressionnent toujours les gens. Ce doit être le prestige de l'uniforme. — Merci, en tout cas. — Pourquoi ? — Pour avoir été aussi gentil avec ma famil e. — C'était un plaisir. Les enfants de ton frère sont adorables... — Apparemment, tu as même réussi à tranquil iser Boyd. Et ça, c'est un véritable exploit ! — Je crois que tu te montres un peu trop optimiste, objecta Ryan en riant. Il m'a clairement fait comprendre qu'il reviendrait me casser la figure s'il t'arrivait quoi que ce soit. — Dans ce cas, tu devrais t'inquiéter. Je ne sais pas si tu as remarqué mais il est assez baraqué. — Raison de plus pour ne pas te quitter d'une semel e. Viens, j'ai encore quelques petites choses à faire avant de partir. Comme ils rentraient dans la caserne, la sirène retentit brusquement et tous les hommes présents se ruèrent vers les camions, enfilant leurs tenues de protections. En quelques secondes, ils eurent disparu, laissant la station déserte. — Encore un feu, soupira Ryan. Parfois, j'ai l'impression que cela ne s'arrête jamais... — Dis-moi, demanda la jeune femme tandis qu'ils remontaient dans son bureau, est-ce que les pompiers ne sont pas aussi censés s'occuper de choses moins tragiques ? Comme sauver les chats dans les arbres, par exemple... — Oui, nous faisons cela aussi, reconnut Ryan en rassemblant les dossiers qu'il voulait emporter. Une fois, j'ai même récupéré un iguane qui s'était glissé dans une conduite d'égout. — Tu plaisantes ? — Jamais lorsqu'il s'agit de sauver des vies, répondit-il en souriant. Natalie éclata de rire et il la regarda avec admiration. Sa tenue décontractée et ses cheveux défaits lui conféraient un charme nouveau, plus enfantin, et jamais el e ne lui avait paru aussi bel e qu'en cet instant, insouciante et joyeuse. Il se dégageait d'el e une aura de séduction qui paraissait ne jamais s'étioler. — Qu'y a-t-il ? demanda-t-el e, troublée par son regard insistant. — Rien. Tu veux que nous sortions ? — Pour al er où ? demanda-t-el e, surprise. — Je ne sais pas. Au cinéma ou au théâtre... — Avec plaisir, répondit Natalie, prise de court, se demandant si cela ne risquait pas de bouleverser leur relation. Après tout, si el e sortait avec Ryan et que tous deux couchaient ensemble, cela ne faisait-il pas de lui son petit ami officiel ? C'était une réalité qu'el e avait encore du mal à affronter. — Alors ? Cinéma ou théâtre ? — Comme tu veux... — Nous ferions bien de regarder ce qu'il y a d'intéressant à voir en ce moment. Ils doivent avoir un journal, en bas. Tandis que Ryan s'apprêtait à descendre par l'escalier, Natalie l'interpel a : — Dis, est-ce que je peux essayer la rampe, moi aussi ? Il la regarda avec une stupeur presque comique et el e haussa les épaules. — J'en meurs d'envie depuis tout à l'heure, avoua-t-el e. — D'accord, fit Ryan. Je passe devant... Il sauta et agrippa la barre, se laissant glisser avec aisance jusqu'en bas. Natalie se lança à son tour et atterrit droit dans les bras de Ryan qui l'attendait. — Quel talent ! s'exclama-t-il en riant. On dirait que tu as fait ça toute ta vie. — Je pourrais recommencer ? demanda-t-el e en nouant les bras autour de son cou. — Que penserais-tu de le faire en porte-jarretel es ? Je pourrais prendre une photo qui ferait sensation à la caserne... — Je crois que je vais me contenter de vous acheter un calendrier à la fin de l'année. — Inspecteur ? appela alors l'un des pompiers. Il y a un feu suspect sur la douzième. Ils ont demandé à ce que vous veniez... — Dites-leur que je suis en chemin. Désolé, ajouta-t-il en reposant délicatement sa campagne à terre. — Ce n'est pas grave, je sais ce que c'est..., dit-el e en essayant de masquer sa déception. J'en profiterai pour rattraper mon travail en retard. — Tu seras chez toi toute la soirée ? — Oui. J'avais rapporté des dossiers de toute façon. — Dans ce cas, je t'appel erai dès que j'aurai fini. — D'accord, soupira-t-el e. Avisant la déception qui se lisait dans ses yeux, Ryan l'embrassa tendrement. — Inutile que j'appel e, je viendrai directement, dit-il. — Voilà qui me plaît déjà beaucoup plus ! s'exclama-t-el e, radieuse. Pour la première fois de sa vie, Natalie était en retard sur son programme de travail. Cela faisait un peu moins d’une semaine qu'el e voyait Ryan tous les soirs et les dossiers qu'el e rapportait chez el e restaient invariablement dans son attaché-case. Ils passaient des heures à faire l'amour, commandant leurs repas par téléphone et discutant de tout et de rien. Chaque fois qu'il était auprès d'el e, el e oubliait instantanément ses préoccupations professionnel es pour ne plus penser qu'à lui. El e était fol e de lui, fascinée par cet homme dans les bras duquel el e vivait des instants d'une intensité inégalée. Bien sûr, c'était complètement insensé, leur liaison ne pourrait se prolonger sur cette base durant très longtemps. Mais el e ne voulait pas y penser, préférant se noyer dans le bonheur de chaque minute sans se soucier de ce qu'il adviendrait d'eux. D'ail eurs, pourquoi se serait-el e comportée autrement ? La création de Lady's Choice n'en souffrait pas le moins du monde et el e était parfaitement dans les temps pour réussir le lancement de la marque. Le magasin avait été entièrement nettoyé, le bureau refait, les stocks progressivement renfloués, la décoration des vitrines terminée. En fait, il ne restait plus qu'à ouvrir officiel ement, les magasins et les centres d'appel. S'il n'y avait aucun incident nouveau, bien sûr. Ensuite, el e devrait faire le tour de toutes les filiales pour faire le point avec les managers régionaux. Cette pensée ne l'enthousiasmait guère puisque cela signifiait qu'el e devrait se séparer de Ryan. Et la simple pensée de se retrouver seule durant cette tournée d'inspection avait le don de la déprimer. Bien sûr, el e pourrait toujours déléguer cette tâche à Melvin ou à Donald. Après tout, c'était parfaitement de leur ressort. Mais el e avait envie d'apprécier par el e-même les progrès réalisés. Qui sait ? Ryan pourrait peut-être prendre quelques jours de congé pour l'accompagner. Cela transformerait un voyage d'affaires en une expérience des plus érotiques. La sonnerie de l'interphone rappela brusquement Natalie à la réalité. — Oui, Maureen ? — Ml e Marks demande à vous voir, mademoisel e Fletcher. — Très bien, faites-la entrer, fit la jeune femme en repoussant à plus tard ses projets personnels pour se concentrer sur son travail. Deirdre pénétra dans son bureau et s'assit en face d'el e, un épais dossier à la main. — Je suis désolée du retard que j'ai pris, dit-el e en écartant une mèche de cheveux qui lui tombait dans les yeux. Chaque fois que j'ai le dos tourné, le personnel de la comptabilité plante le système informatique. — Tu en as parlé à l'ingénieur réseau ? — Je passe la moitié de mon temps à en discuter avec lui. Chaque fois qu'il répare un bug, un autre surgit. Cela devient vraiment agaçant. — Nous avons encore un peu de temps devant nous. Je vais appeler nos informaticiens cet après-midi même. Si notre serveur pose des problèmes, nous le remplacerons. — Je te souhaite bonne chance ! s'exclama Deirdre, ironique. En attendant, la bonne nouvel e, c'est que j'ai les chiffres des premières commandes par catalogue. Je crois qu'ils vont te réchauffer le coeur. Natalie parcourut le dossier que Deirdre lui tendait et hocha la tête. — En effet, c'est plutôt encourageant... Heureusement que le feu n'a pas détruit les dossiers du magasin principal, ajouta-t-el e. Sinon, cela aurait été un véritable cauchemar pour la comptabilité. — Ça, on peut le dire. Surtout qu'avec les problèmes informatiques que nous avons, j'ai dû me fier principalement aux versions papier. — De toute façon, la rassura Natalie, maintenant j'ai des copies des comptes et des disques de sauvegarde des fichiers informatiques. Cela nous servira pour l'audit. À ce propos, je pense que nous n'aurons pas le temps de nous en occuper d'ici le mois de mars. J'ai donc décidé que nous nous y attaquerions dès que les comptes de fin d'exercice seront bouclés. — En voilà une bonne nouvel e ! s'exclama Deirdre, reconnaissante. Maintenant, passons aux budgets prévisionnels pour l'année à venir... Quelques heures plus tard, dans un hôtel sordide de la vil e, Clarence Jacoby était assis sur son lit défait, grattant des al umettes. Chaque fois, il regardait la flamme consumer le petit bout de bois jusqu'à atteindre l'extrémité de ses doigts, lui infligeant une délicieuse sensation de brûlure. Alors, seulement à cet instant, il soufflait l'al umette et en tirait une autre de l'épaisse botte qu'il venait d'acheter. Le cendrier qui se trouvait auprès de lui débordait de petites brindil es noircies. Il aurait pu continuer ainsi durant des heures. Chaque nuit, il était tenté de faire brûler tout l'hôtel, juste pour le plaisir. Cela aurait été si facile. Quelques litres d'essence, une al umette et tout partirait en flammes. Il serait si excitant de regarder l'incendie grandir devant ses yeux jusqu'à ce qu'il ait rongé ce sordide bâtiment jusqu'à ses fondations. Mais Clarence n'était pas seul à fréquenter cet endroit et cela suffisait à l'empêcher de mettre son projet à exécution. Non qu'il craignît de blesser quelqu'un, de cela, il se moquait complètement. Mais il préférait être seul pour célébrer sa communion avec le dragon. Depuis longtemps, il avait appris à ne pas rester auprès des foyers qu'il al umait. Les cicatrices qui couvraient sa nuque et sa poitrine lui rappelaient sans cesse que le feu pouvait se retourner contre ceux qui l'aimaient. Six mois plus tôt, à Detroit, il avait appris un nouveau précepte. Alors qu'il venait de mettre le feu à un vieux bâtiment dont le propriétaire ne voulait plus mais qu'il ne pouvait démolir, il était resté pour regarder les flammes s'élever majestueusement vers le ciel. Mais les policiers. qui étaient arrivés en même temps que les pompiers avaient bien fail i l'attraper. Clarence avait réalisé alors qu'avec son visage réjoui et rêveur au milieu des mimiques horrifiées, il était la cible idéale pour eux. Depuis lors, il s'était juré de ne plus jamais s'attarder sur les lieux de ses méfaits. Dès qu'il avait al umé le foyer principal, il prenait la fuite, se contentant d'imaginer les dégâts qu'il avait causés. En fait, il avait tel ement de souvenirs de feux qu'il lui suffisait de fermer les yeux pour les évoquer, les sentir. Alors qu'il se préparait à gratter une nouvel e al umette, la sonnerie du téléphone retentit. Un sourire béat apparut sur le visage rond de Clarence. Une seule personne connaissait ce numéro et el e n'avait qu'une raison pour l'appeler. Il était temps de réveil er le dragon une fois de plus. Assis à son bureau, Ryan consultait les comptes-rendus du laboratoire. Il était presque 7 heures et la nuit était déjà tombée mais il travail ait depuis des heures, buvant du café, tasse sur tasse, sans se soucier de l'effet qu'il pouvait avoir sur son organisme saturé. Il sentait son corps et son esprit le trahir, son attention se relâcher et aurait probablement dû rentrer chez lui pour s'accorder une longue nuit de sommeil. Mais ces temps-ci, il avait commencé à prendre de nouvel es habitudes, se rendant chaque soir chez Natalie pour la retrouver. El e lui avait même donné un double de ses clés, sans cérémonie, certes, mais c'était un symbole qui ne trompait pas. Chaque soir, ils dînaient tous les deux, discutaient de choses et d'autres ou regardaient un film à la télévision. Ils s'étaient découvert un amour commun pour les vieux films des années 50. Une chose parmi tant d'autres qui les avait lentement rapprochés. En observant Natalie, Ryan avait découvert une multitude d'autres petits détails qui la lui rendaient plus attachante. Il savait qu'el e aimait prendre d'interminables bains moussants en buvant un verre de vin blanc frais. El e aimait ôter ses chaussures à talons, le soir, et c'était comme un petit cérémonial qui la réjouissait. El e aimait que les choses soient à leur place et ne supportait pas qu'il dérange son appartement. El e aimait les draps de soie et les couettes sous lesquel es el e pouvait se nicher comme dans un nid. El e aimait la glace à la fraise, mais seulement s'il y avait de la crème Chantil y pour l'accompagner tout en affirmant que ce n'était pas la crème qu'el e préférait. El e aimait les vieux airs de jazz, surtout ceux de La Nouvel e-Orléans qui parlaient de la vie révolue dans les bayous. El e aimait les hauteurs et les oiseaux. Pour tout cela et pour mil e autres choses encore, Ryan l'aimait, el e. Car à quoi bon se le cacher ? Sans même s'en rendre compte, il était tombé pleinement, éperdument amoureux d'el e. Cette découverte qui aurait dû le remplir de joie le plongeait dans un profond désarroi. Sans même qu'il fût besoin de le formuler, tous deux avaient décidé que leur liaison ne s'accompagnerait d'aucun attachement sentimental, d'aucune obligation l'un envers l'autre. Ils étaient tous deux bien trop indépendants pour accepter qu'il en fût autrement. D'ail eurs, ils n'avaient rien en commun, ni leur mode de vie, ni leurs ambitions, ni leurs revenus... Ils avaient juste ce formidable capital de passion qui semblait ne jamais s'épuiser mais qui finirait bien un jour par s'étioler. Leur relation n'avait donc aucun avenir et l'amour ne pourrait apporter à Ryan que souffrance et regrets. Alors, il ferait ce qu'il estimait être le mieux pour eux deux. Il mènerait à bien cette enquête. Il la protégerait. Et ensuite, il se résignerait à la quitter. Et, pour se faciliter les choses, il valait mieux qu'il commence dès maintenant à prendre de la distance. Ce soir, il n'irait pas chez el e. Ils ne mangeraient pas ensemble. Ils ne regarderaient aucun film, nichés l'un contre l'autre. Et ils ne feraient pas l'amour. Cette décision lui coûtait beaucoup mais il se répéta une fois de plus qu'il n'y avait pas d'autre solution. Jetant un coup d'oeil au téléphone, il se demanda s'il devait appeler Natalie pour lui donner une raison quelconque. Mais il n'en eut pas le courage. D'ail eurs, il n'avait aucune responsabilité vis-à-vis d'el e. Il n'était pas et ne serait, hélas, jamais son mari. Sur le chemin du retour, Ryan décida brusquement d'al er jeter un coup d'oeil à l'usine de Natalie. De toute façon, quelque chose lui disait qu'il aurait du mal à trouver le sommeil sans la présence rassurante de la jeune femme à ses côtés. Il était presque 9 heures et la nuit était calme et paisible. Il n'y avait même pas un croissant de lune pour éclairer le grand bâtiment sur lequel avait été récemment accroché un panneau aux armes de Lady's Choice. Immobile, Ryan le contempla songeusement, ne pouvant s'empêcher de penser une fois de plus à Natalie. El e devait être en train de se demander où il avait bien pu passer. Peut-être l'attendait-el e. Peut-être essaierait-el e de le joindre à la caserne. Cette idée suffisait à faire monter en lui un sentiment de culpabilité agaçant. Peut-être valait-il mieux qu'il l'appel e, en fin de compte. Juste pour la rassurer... Tendant la main, il décrocha le téléphone de la voiture. Il lui dirait qu'il était occupé, qu'il avait du travail. Cela ne l'engageait à rien mais, s'il renouvelait régulièrement cette manoeuvre, el e finirait par comprendre que leur liaison touchait à sa fin. Il serait libre alors de panser ses blessures en attendant le jour improbable où il rencontrerait une femme qui lui ressemblait. Mais, tandis qu'il composait le numéro, il entendit un bruit métal ique provenant de l'usine. Raccrochant immédiatement, il tendit l'oreil e, se demandant si ce n'était pas un effet de son imagination. Il jeta un coup d'oeil à sa montre et réalisa que l'équipe qu'il avait chargée de surveil er le site ne passerait pas avant une dizaine de minutes. En attendant, mieux valait al er vérifier qu'il s'était bien trompé. S'emparant de sa lampe torche, il descendit de voiture et s'avança en silence en direction de l'usine. De là nationale proche, lui parvenait le murmure sourd du trafic. Sans al umer sa lampe, il contourna le bâtiment pour gagner la sortie de secours qu'il avait remarquée au cours de sa précédente visite. Au passage, il vérifia soigneusement les verrous et les fenêtres du rez-de-chaussée. Soudain, il entendit un nouveau bruit, plus distinct, celui-là. Des pas sur le gravier... Se rapprochant du mur, Ryan avança vers l'angle, agrippant fermement sa torche. Un nouveau bruit de gravier. Un ricanement. Le bruit d'une porte en métal qui s'ouvrait. Pressant le pas, Ryan dépassa le coin de l'usine, al uma sa lampe et se trouva face à face avec Clarence Jacoby debout devant l'issue de secours. — Quel plaisir de te revoir ! s'exclama-t-il tandis que l'autre tentait vainement de s'abriter du rayon qui l'aveuglait. Je t'attendais, tu sais... — Qui êtes-vous ? demanda Jacoby de sa voix nasil arde. — Je suis vexé, dit Ryan en baissant sa lampe. Tu ne reconnais même pas un vieil ami ? Plissant les yeux, Clarence dut enfin discerner son visage et un large sourire éclaira sur son visage lunaire. — Piasecki ? Ryan Piasecki... Comment al ez-vous ? Vous êtes inspecteur, maintenant, n'est-ce pas ? Félicitations... — Merci. Dis-moi, Clarence, ça tombe bien que tu sois là. Je te cherchais, justement. — Vraiment ? demanda Jacoby en feignant la surprise. Pourquoi donc ? — C'est moi qui ai éteint le petit feu de camp que tu avais al umé au magasin, l'autre jour. Apparemment, tu es en train de perdre la main, mon pauvre Clarence. — Vous vous trompez, protesta Jacoby en ouvrant de grands yeux. Je n'étais même pas au courant pour cet incendie. J'ai arrêté ces bêtises depuis cette nuit où nous avons manqué y rester, vous et moi. Vous vous rappelez ? C'était une sacrée nuit, pas vrai ? Le dragon soufflait fort... Il a presque fail i nous avaler. — Oui, je m'en souviens, acquiesça Ryan. — Vous avez eu une de ces frousses. J'ai entendu dire que vous aviez fait des cauchemars pendant des semaines, à l'hôpital. — C'est exact. — Et depuis, vous n'êtes plus pompier, n'est-ce pas ? Vous avez renoncé à terrasser le dragon. — Je préfère m'en prendre aux cafards dans ton genre, répondit Ryan en désignant de sa lampe les jerricans d'essence posés aux pieds de Jacoby. Tu as toujours été snob, tu sais. Utiliser du Super pour mettre le feu, quel gâchis... — Je n'ai rien fait, protesta Clarence. Au même instant, il se détourna brusquement pour prendre la fuite. Ryan lui sauta dessus mais l'autre l'évita avec une agilité diabolique. Il n'al a pas bien loin cependant, deux bras qui paraissaient surgir du mur même l'attrapèrent au passage, mettant fin à sa tentative de fuite. Une ombre parut se matérialiser à partir du néant tandis que Némésis s'avançait vers Ryan, tenant toujours fermement son prisonnier. — Je ne crois pas que l'inspecteur en ait fini avec toi, Clarence. N'est-ce pas, inspecteur Piasecki ? — Euh, non..., balbutia Ryan, sidéré. Et merci. — Il n'y a vraiment pas de quoi. — C'est un fantôme ! hurla Clarence. Un fantôme m'a attrapé... Apparemment incapable de supporter cette idée, il s'évanouit. — Je suis certain que vous vous en seriez très bien tiré tout seul, reprit Némésis en déposant son corps inerte sur le sol. Mais je passais par là, alors... — J'apprécie beaucoup votre aide. Mais, dites-moi, comment avez-vous réussi à sortir du mur... Avant même qu'il ait terminé sa phrase, Némésis avait disparu, comme s'il venait brusquement de se volatiliser dans l'air. — Pas mal, murmura Ryan, incrédule. Pas mal du tout... La sonnerie du téléphone éveil a Natalie en sursaut. El e s'était endormie sur le canapé en attendant Ryan et n'avait aucune idée de l'heure qu'il pouvait être. — C'est Ryan. — Ryan ? Mais il est plus d'une heure, dit-el e en regardant sa montre. — Je suis désolé de te réveil er... — Ce n'est pas grave. — Nous l'avons. — Qui ? — Clarence Jacoby, répondit Ryan, la tirant complètement de son assoupissement. Je viens de le coincer. J'ai pensé que tu voudrais être la première avertie. — Oui, bien sûr ! C'est génial... — Je dois rester ici un certain temps. Je te rappel erai dès que je le pourrai, d'accord ? — O.K., mais... El e n'eut pas le temps de terminer sa phrase, Ryan avait déjà raccroché. — Félicitations, inspecteur, murmura-t-el e, prise de court par son attitude distante. El e s'était terriblement inquiétée à son sujet. Évidemment, Ryan n'était pas forcé de venir chez el e chaque soir, même si c'était ce qu'il avait fait depuis une semaine. Mais il aurait au moins pu l'appeler pour lui faire part de ses intentions au lieu de la laisser attendre des heures durant auprès du téléphone jusqu'à ce que la fatigue l'emporte sur le sentiment d'angoisse et d'humiliation qui l'étouffait. L'important, se dit-el e en essayant de se convaincre, c'était que Clarence Jacoby soit sous les verrous. Au moins, el e n'aurait plus à redouter de nouveaux incendies. Le lendemain matin, el e irait voir Ryan à son bureau pour lui demander ce qui s'était passé exactement. Forte de ses bonnes résolutions, el e se déshabil a et al a se coucher. Mais il lui fal ut plusieurs heures avant de trouver le sommeil dans ce grand lit qui lui paraissait désespérément vide. Chapitre 9 La veil e au soir, Ryan avait accompagné Clarence au commissariat pour le remettre à la police. Lorsqu'il en était sorti, il était près d'une heure du matin et il avait jugé inutile de rentrer chez lui, préférant dormir sur le canapé de son bureau. Il fut réveil é en sursaut par la sirène qui annonçait un incendie et, par réflexe, il bondit sur ses pieds avant de réaliser qu'il n'était pas concerné. Il aurait pu se rendormir mais il jugea préférable de se préparer un gigantesque pot de café. Tandis qu'il attendait patiemment que le percolateur fasse son office, il al uma une cigarette. Ce qu'il lui fal ait avant tout, c'était une bonne douche froide et un brin de rasage. Mais il était dit qu'un tel luxe ne lui serait pas si aisément accordé. Après avoir frappé à sa porte, Natalie entra dans son bureau, tirée à quatre épingles comme à son habitude. — Ta secrétaire n'est pas arrivée, dit-el e, l'air étonné. — Il est encore trop tôt..., grommela-t-il en se massant les tempes. Qu'est-ce que tu fais là ? Je ne suis même pas encore complètement réveil é. Natalie se força à ne pas réagir à son agressivité. Visiblement, il avait peu dormi et était d'une humeur exécrable. El e al ait donc devoir faire preuve de patience. — Je suis venue parce que je voudrais comprendre ce qui s'est passé exactement hier soir, dit-el e calmement. — Je te l'ai déjà dit, répondit Ryan en haussant les épaules sans quitter des yeux sa machine à café. — Tu ne m'as rien dit du tout, observa-t-el e tandis qu'il se servait. — J'ai attrapé Jacoby et il est sous les verrous. Il ne risque pas d'al umer le moindre feu avant longtemps. C'est tout. — Comment l'as-tu retrouvé ? insista Natalie. — Écoute, dit-il en la regardant droit dans les yeux, luttant contre l'envie qu'il avait de la serrer contre lui. Pourquoi ne vas-tu pas travail er ? Laisse-moi le temps de faire le point et ensuite, je te ferai mon rapport. — Quelque chose ne va pas ? demanda-t-el e brusquement, en fronçant les sourcils. — Rien ne va ! Je suis crevé. Je ne peux même pas avoir une tasse de café décent. J'ai besoin d'une douche. Et tu viens me casser les pieds ! Natalie le regarda avec de grands yeux, aussi stupéfaite que blessée et Ryan sentit son coeur se serrer malgré lui. — Je suis désolée, dit-el e. J'étais juste inquiète au sujet de ce qui t'était arrivé hier soir. Je voulais être sûre que tu al ais bien. Apparemment, c'est le cas, alors je vais te laisser. — Natalie, attends, la rappela Ryan alors qu'el e al ait quitter la pièce. Assieds-toi. Je suis désolé. Je suis un peu à cran, ce matin, et tu es la première personne que je vois, alors... — J'étais vraiment inquiète pour toi, répéta la jeune femme sans faire mine de s'asseoir. — Je vais bien. Tu veux du café ? — Non. Je n'aurais pas dû venir avant que tu m'appel es. Je suis désolée. — Il n'y a pas de quoi. En fait, ajouta Ryan avec un demi-sourire, si tu n'étais pas venue, je crois que c'est moi qui me serais fait du souci... Assieds-toi, je vais tout te raconter, ajouta-t-il, jugeant qu'il aurait été mesquin de la laisser partir alors qu'el e paraissait sincèrement soucieuse. Natalie prit place dans l'un des sièges tandis que Ryan s'asseyait derrière son bureau. — J'ai décidé d'al er faire un tour à l'usine, hier soir, expliqua-t-il en tirant sur sa cigarette. Et je suis tombé sur notre ami Clarence. Il avait déjà déconnecté l'alarme et avait un jeu de clés pour passer par la porte de derrière. — Encore des clés, murmura Natalie. — Oui. Un beau double tout neuf. Une fois de plus, nous n'aurions pas trouvé de signe d'effraction. Il avait aussi son attirail habituel, des jerricans d'essence et des boîtes d'al umettes. Nous avons donc commencé à discuter mais, visiblement, Clarence n'a pas apprécié et il a essayé de s'enfuir... Ryan s'interrompit et secoua la tête, toujours aussi incrédule. — À ce moment-là, il s'est passé quelque chose de sur-réaliste. Je n'avais jamais rien vu de tel... — Qu'est-ce que tu as vu ? demanda Natalie, suspendue à ses lèvres. — Ton ami est apparu. — Quel ami ? — Némésis, le héros dont tu n'arrêtais pas de me parler. Il a surgi du mur. C'était incroyable. Il a attrapé Clarence, m'a dit trois mots et a disparu. Comme ça... — Ryan, je crois vraiment que tu as besoin de sommeil. — Ça c'est certain, soupira Ryan en se massant la nuque. Mais je n'ai pas rêvé, c'est exactement comme cela que les choses se sont passées. Némésis est sorti du mur et s'est évaporé dans la nuit. Je n'ai pas été le seul à le voir, Clarence était si terrifié qu'il s'est évanoui. Je crois que j'ai dû rester cinq minutes à tenter vainement de comprendre comment une tel e chose avait pu se passer. — Tu dis qu'un homme a disparu devant tes yeux, répéta lentement Natalie, comme si el e parlait à un enfant. Ryan, c'est impossible... — Incroyable, mais vrai. J'étais là et je l'ai vu. Clarence aussi et il n'arrêtait pas de parler de fantôme. Il était mort de peur et il a même voulu sauter de la voiture. J'ai dû l'assommer pour qu'il se tienne tranquil e. — Tu l'as assommé ? s'exclama Natalie, stupéfaite. — Crois-moi, si je ne l'avais pas fait, il se serait jeté du véhicule. Ensuite, je l'ai emmené au commissariat et j'ai fait ma déposition. Je dois al er lui rendre visite dans quelques heures pour l'interroger mais, pour le moment, il refuse de dire un mot. Natalie resta longuement immobile, réfléchissant aux informations que Ryan venait de lui communiquer. Cette histoire d'apparition était facile à expliquer. Ryan était épuisé, cela se voyait et il faisait nuit noire. Il avait très bien pu ne voir Némésis qu'au dernier moment. Quant à la crise d'hystérie de Jacoby, el e était encore plus simple à comprendre, l'homme était complètement fou. — Jacoby ne t'a pas dit pour qui il travail ait ? — Pour le moment, il prétend qu'il était juste en train de se promener. — Avec plusieurs litres d'essence ? — Il dit que c'est moi qui ai apporté les jerricans pour le coincer parce que je lui en veux d'avoir fail i brûler à cause de lui. — Personne ne croira cette version des faits, objecta Natalie. — C'est sûr. Cette fois, nous l'avons attrapé la main dans le sac et la police ne mettra pas longtemps à établir de façon formel e le lien entre lui et les incendies précédents. Une fois que Clarence l'aura compris, il se montrera peut-être un peu plus coopératif. Il tentera probablement de négocier une réduction de peine en échange du nom de son commanditaire. — Contacte-moi dès qu'il aura donné un nom. Il y a de fortes chances pour qu'il s'agisse de quelqu'un proche de moi. — Ne t'en fais pas. Dès que nous saurons qui est à l'initiative de ces incendies, les policiers prendront le relais. Et le coupable risque de regretter amèrement ce qu'il a fait. — Je suis vraiment contente que tu aies réussi à le coincer, Ryan, dit Natalie en souriant. — Il faut bien que l'argent des contribuables serve à quelque chose, plaisanta-t-il. — Tu m'as manqué, hier, poursuivit-el e. J'espère que nous pourrons nous voir ce soir pour boire à la santé de mes impôts... — D'accord, acquiesça Ryan, incapable de décliner, tout en sachant déjà qu'il le regretterait. — Je vais te laisser al er prendre ta douche, conclut-el e, radieuse. Appel e-moi lorsque tu auras parlé à Clarence, d'accord ? — Compte sur moi, dit-il en la regardant quitter son bureau. Dès qu'el e fut sortie, il se maudit pour sa faiblesse. Mais comment aurait-il pu résister à ce charme auquel il avait irrémédiablement succombé ? Dès son arrivée au bureau, Natalie réunit tous les chefs de département de l'entreprise pour leur annoncer l'excel ente nouvel e. — Je suis heureuse de pouvoir vous dire que l'ouverture de Lady's Choice reste plus que jamais d'actualité, commença-t-el e avec enthousiasme. Le lancement aura lieu samedi prochain comme prévu. Une salve d'applaudissements salua cette déclaration. — Je voulais aussi profiter de cette réunion pour tous vous remercier de votre dévouement et de votre travail. Lancer une compagnie de cette envergure requiert un travail d'équipe, une motivation sans fail e et de très nombreuses heures supplémentaires. Quelques rires fusèrent parmi l'assistance. — Vous avez tous donné ce que vous aviez de meil eur et je vous en suis reconnaissante, étant donné notamment les incidents malheureux auxquels nous avons récemment dû faire face. Je sais que notre budget a été mis à rude épreuve et que la perte des stocks vous a causé de nombreuses difficultés. Pour compenser ce surcroît de travail, une prime vous sera versée le mois prochain. Cette annonce fut accueil ie avec enthousiasme par tout le monde, sauf Deirdre qui leva les yeux au ciel, jugeant sans doute cette générosité déplacée au regard des dépenses déjà engagées. — Nous avons encore beaucoup de travail devant nous, reprit Natalie. Mais j'ai une deuxième bonne nouvel e à vous annoncer, ajouta-t-el e en balayant l'assistance du regard. La nuit dernière, l'incendiaire de l'entrepôt et du magasin a été arrêté. Il est en ce moment même interrogé par la police. Un concert d'applaudissements suivit cette déclaration, suivi d'une nuée de questions. Mais, si el e avait espéré voir l'un des cadres présents se trahir, Natalie fut déçue. Tous les visages ne reflétaient que soulagement et curiosité. — Je n'ai pas encore les détails de l'arrestation, poursuivit-el e. L'inspecteur Piasecki qui est chargé de l'enquête a interpel é le coupable devant notre nouvel e usine, hier soir. Il doit me faire un rapport détail é de la situation sous quarante-huit heures. Entre-temps, je propose que nous reprenions tous le travail dans la sérénité retrouvée. — Est-ce que l'usine a été endommagée ? demanda Donald. — Non. L'incendiaire a été appréhendé avant qu'il ait pu pénétrer à l'intérieur. — Sont-ils sûrs que c'est le même homme qui a perpétré les trois tentatives d'incendie ? intervint Melvin. — Mon frère est policier, répondit Natalie, et je peux vous dire d'expérience que les autorités ne nous le diront pas avant d'en avoir les preuves formel es. Mais tout laisse à penser que c'est bien le cas. — Qui est-ce ? demanda Donald. Et pourquoi a-t-il fait une chose pareil e ? — Je vous l'ai dit, je ne connais pas les détails de l'affaire. Ce que je sais, c'est qu'il s'agit d'un incendiaire professionnel. Mais je suis certaine que nous connaîtrons ses motivations très bientôt. Ryan aurait aimé en être aussi sûr que la jeune femme. Cela faisait plus d'une heure qu'il s'entretenait avec Jacoby, répétant sans cesse les mêmes questions. Clarence et lui étaient instal és dans la sal e d'interrogatoire, une pièce lugubre aux murs et au sol beiges. Au fond de la pièce était instal é un miroir sans tain derrière lequel se trouvait un policier assermenté. Mais Jacoby ne semblait pas impressionné le moins du monde, se contentant de jouer avec ses mains tandis que Ryan fumait cigarette sur cigarette. — Tu sais qu'ils vont t'enfermer pour de bon, Clarence, répéta-t-il pour la centième fois. Lorsque tu sortiras, tu seras si vieux que tu ne pourras même pas gratter une al umette sans qu'on t'aide. — Je n'ai jamais fait de mal à qui que ce soit, répondit Clarence en haussant les épaules. Alors que certaines personnes aiment faire brûler des gens. — C'est vrai. — Moi, pas. La seule personne que j'ai fait brûler, c'était vous. Et c'était un accident. Vous avez encore des cicatrices ? — Oui. — Moi aussi, déclara Clarence, apparemment ravi qu'ils se soient trouvé un point commun. Vous voulez les voir ? — Peut-être plus tard. Je me souviens très bien que tu t'es brûlé toi aussi ce jour-là. — Oui. C'était comme si le dragon nous avait embrassés. — Je me souviens que le propriétaire t'avait payé pour réveil er le dragon. — C'est vrai. C'était un vieux bâtiment où personne n'habitait. J'aime ces endroits. Le dragon aussi. Il joue avec les murs, se cache dans les greniers et parfois, il parle. Vous l'avez déjà entendu parler, inspecteur ? — Oui, répondit Ryan. Qui t'a payé, cette fois, Clarence ? — Pourquoi on m'aurait payé ? Je n'ai rien fait, je vous l'ai dit. Vous avez apporté l'essence parce que vous m'en voulez. À cause des cicatrices... Et des cauchemars. Vous avez rêvé du dragon à l'hôpital et maintenant, vous avez peur de le combattre. Ryan sortit une nouvel e cigarette de son paquet. Ce n'était pas la première fois que Clarence mentionnait ces cauchemars... En fait, ils paraissaient le fasciner. Il n'avait pas cessé de lui demander des détails à ce sujet. Mais Ryan était incapable de les lui donner, ses souvenirs de cette époque étaient vagues. Des visions de flammes et de fumée. De toits qui s'effondraient. Du visage de son, père, aussi... — J'ai eu des cauchemars durant quelque temps, dit-il. Ensuite, ils ont disparu. Et aujourd'hui, je ne t'en veux plus, Clarence. Après tout, nous faisions tous les deux notre métier, n'est-ce pas ? Tandis qu'il al umait sa cigarette, Ryan aperçut la lueur d'envie qui passait dans les yeux de Clarence. Au lieu de l'éteindre, il la tint entre eux. — Une toute petite flamme, dit-il. Mais si puissante... Toi et moi savons ce qu'el e peut faire si el e rencontre un peu de bois ou de papier. Et plus el e se nourrit, plus el e devient forte. Il avala une profonde bouffée avant de mouil er le bout de ses doigts pour éteindre l'al umette. — Il suffit qu'el e manque d'air, reprit-il, ou qu'on la recouvre d'un peu d'eau pour qu'el e meure. Et c'est exactement cela que nous savons faire, toi et moi. Contrôler le dragon. — Oui, approuva Clarence en regardant avec insistance le paquet qui était posé sur la table. — Alors je me fais payer pour éteindre les feux et toi pour les al umer. Qui t'a payé, cette fois, Clarence ? — Ils vont m'enfermer de toute façon... — Justement. Alors qu'as-tu à perdre ? — Rien. Même si j'avais al umé le moindre feu, je ne pourrais pas vous dire qui me l'a demandé. — Pourquoi ? — Parce qu'on ne voit jamais les personnes qui commandent ce genre de chose. — Mais il est peut-être possible de leur parler ? demanda Ryan, jouant le jeu. Clarence recommença à jouer avec ses doigts et Ryan dut se retenir pour ne pas l'étrangler. — Admettons que j'ai parlé à quelqu'un... Il aurait pu utiliser une machine pour ne pas que je reconnaisse sa voix. — Et cela aurait été un homme ou une femme ? — Comme une machine... Et peut-être que le commanditaire m'aurait envoyé de l'argent en liquide par la poste avant et après. — Comment t'aurait-il trouvé ? — Les gens savent. Lorsqu'ils veulent me trouver, ils savent, répondit Clarence. Je n'ai pas besoin de faire de la publicité. — Pourquoi l'entrepôt ? demanda Ryan. — Je n'ai jamais parlé d'entrepôt, protesta Clarence. — Pourquoi, éventuel ement, un entrepôt ? Clarence sourit et s'adossa à sa chaise. — Peut-être pour l'assurance. Peut-être parce que la personne n'aimait pas le propriétaire. Peut-être pour le plaisir. Ma mère m'a toujours dit de ne pas poser de questions inutiles. — Et le magasin ? C'était le même propriétaire. — Il y avait plein de jolies choses dans le magasin. Des choses de fil es, dit Clarence avec un sourire malicieux. Et ça sentait bon. Surtout après que j'ai eu versé l'essence. — Qui t'a demandé de le faire ? — Je n'ai pas dit que je l'avais fait. — Si, tu viens de le dire. — Ce n'est pas vrai, protesta Clarence en se renfrognant. J'ai dit peut-être. Ryan s'abstint de le contredire, sachant que l'enregistrement lui donnerait raison. — Tu aimais ces choses de fil es, dans le magasin ? demanda-t-il. — Quel magasin ? répliqua Clarence. Ryan retint un juron et secoua la tête. Il ne lui restait plus qu'une carte à jouer. — Peut-être que je ferais bien d'appeler mon ami et de lui demander de venir te parler. — Quel ami ? — Al ons, ne me dis pas que tu ne te souviens pas de lui. Nous l'avons vu hier. Clarence devint brusquement très pâle. — C'était un fantôme, dit-il. Il n'existe pas vraiment. — Pourtant, tu l'as vu. Tu l'as senti... — C'était un fantôme, répéta Clarence en secouant la tête. Je ne l'aime pas du tout. — Eh bien, tu ferais mieux de me parler avant que je ne décide de l'appeler. — Il n'est pas là ? demanda Jacoby, brusquement inquiet. — Comment savoir avec les fantômes ? Peut-être que oui, peut-être que non... Qui t'a payé, Clarence ? — Je ne sais pas, avoua Jacoby, blême. C'était juste une voix... El e m'a dit de prendre l'argent et de brûler. J'aime l'argent et j'aime brûler, alors j'ai obéi. J'ai mis le feu au bureau du magasin comme la voix l'avait demandé. Cela aurait été plus efficace dans la réserve mais la voix avait demandé à ce que ce soit dans le bureau. — Et les enveloppes dans lesquel es l'argent a été envoyé ? — Je les ai brûlées. J'aime brûler des choses, vous savez... Natalie avait fail i mettre le feu à sa cuisine. Non qu'el e ne sache pas cuisiner, mais el e n'avait que trop rarement l'occasion de mettre en oeuvre ses talents culinaires. À grand renfort de jurons et de trépignements, el e sortit le poulet du four et commença à préparer la sauce selon les recommandations que Frank lui avait données. Au fond, ce n'était pas beaucoup plus difficile que de lire un contrat, il suffisait de tenir compte de toutes les recommandations et de les appliquer scrupuleusement. Coupant le poulet en fines lanières, el e le laissa mijoter dans la casserole à feu doux avant de jeter un coup d'oeil désespéré autour d'el e. La cuisine était un véritable champ de batail e. En fait, il lui fal ut presque autant de temps pour la ranger qu'il lui en avait fal u pour préparer son plat. Lorsqu'el e eut enfin terminé, el e al a mettre la table, choisissant ses plus beaux couverts et disposant des bougies pour créer une ambiance romantique. Enfin, harassée, el e se laissa tomber dans son canapé et s'autorisa enfin à considérer la pièce. Tout était parfait. La seule question était à présent de savoir où diable était passé Ryan. Sur le palier de la jeune femme, celui-ci considérait le bouquet de jonquil es qu'il tenait à la main. Leurs larges pétales jaunes lui paraissaient soudain moins charmants que sur l'étal du marchand ambulant auquel il les avait achetées. Il aurait sans doute mieux fait de choisir quelque chose de plus raffiné. Des roses ou des orchidées, par exemple... Natalie devait être habituée à recevoir de magnifiques bouquets habilement composés par les plus grands fleuristes. Il pensa un instant à les déposer sur le pail asson des voisins mais jugea que c'était une idée encore plus ridicule. En fait, la véritable question était de savoir pourquoi il se sentait soudain aussi empoté qu'un adolescent à son premier rendez-vous amoureux. Après tout, il connaissait Natalie. Ils avaient passé presque une semaine ensemble... Mais c'était plus fort que lui. Sous la légèreté avec laquel e Natalie l'avait invité ce soir-là, il avait senti qu'il s'agissait pour el e de quelque chose d'important. Comme une réconciliation, un nouveau départ... Et c'était précisément ce qui lui faisait peur, maintenant qu'il avait mis les mots sur les sentiments qu'il éprouvait à son égard. Car il savait que tous deux n'aborderaient plus leur liaison sur le même plan. Finalement, dissimulant les fleurs derrière son dos, il se résigna à affronter la jeune femme et ouvrit la porte. Immédiatement, Natalie se leva pour venir à sa rencontre, un sourire accueil ant aux lèvres. El e avait revêtu une magnifique robe de soie qui coulait le long de son corps, révélant ses courbes gracieuses qu'el e paraissait effleurer. El e était fendue sur le côté droit, laissant deviner sa jambe au galbe parfait. — Tu as eu une longue journée, lui dit-el e avant de poser sur ses lèvres le plus léger des baisers. — Oui, murmura-t-il. Et toi ? — C'était plutôt agréable. La bonne nouvel e que je leur ai annoncée a redonné du courage à toute l'équipe et nous avançons bien. J'ai mis de la bière et du vin au réfrigérateur. Tu en veux ? — Un verre de vin me fera le plus grand bien, acquiesça Ryan qui, au contact de Natalie, commençait à apprécier les crus qu'el e lui avait fait découvrir. La décoration est splendide, ajouta-t-il en détail ant la pièce dans laquel e il se trouvait. — Eh bien, j'ai pensé qu'il fal ait fêter l'arrestation de Jacoby, dit-el e en remplissant leurs verres. Je voulais que nous célébrions l'ouverture des magasins mais, étant donné les circonstances, il m'a paru plus justifié de le faire maintenant. Je te dois beaucoup, tu sais. — Je n'ai fait que mon métier, protesta Ryan, gêné en haussant les épaules, permettant à Natalie d'apercevoir le bouquet qu'il avait apporté. — Des fleurs ? s'exclama-t-el e, aussi surprise qu'enchantée par ce geste. — J'ai croisé un type qui en vendait, dit Ryan, tentant de se justifier. — J'adore les jonquil es, dit-el e en souriant. — Vraiment ? fit Ryan en les lui tendant maladroitement. Natalie huma le bouquet pour dissimuler l'inexplicable émotion qui l'étranglait. El e avait presque envie de pleurer. — El es sentent bon. Merci beaucoup. — Oh, ce n'est pas grand-chose..., commença-t-il, brusquement soulagé. Mais el e ne lui laissa pas le temps de finir. En quelques pas, el e l'avait rejoint et el e l'embrassa avec passion, lui coupant la parole. Immédiatement, il se sentit terrassé par un accès de désir insurmontable et la serra dans ses bras. Le corps de la jeune femme se pressa doucement contre le sien et il dut lutter pour ne pas la renverser et lui faire l'amour à même le sol. — Tu parais tendu, remarqua-t-el e en s'écartant légèrement. Est-ce que ton entrevue avec Clarence a été si difficile que cela ? — Non. Je suppose que c'est juste à cause de l'accumulation de fatigue. Dis-moi, quel e est cette odeur délicieuse ? — Un fricassée de poulet. C'est une recette de Frank. — Tu as demandé au cuisinier des Guthrie de nous préparer un dîner ? s'exclama Ryan, sidéré. — Non. Je lui ai juste emprunté la recette. — Bien sûr, rail a Ryan. Et je suis censé croire que le traiteur du coin n'y est pour rien... — Je te jure solennel ement que c'est moi qui l'ai préparée, déclara Natalie, partagée entre amusement et indignation. Si surprenant que cela paraisse, je sais quand même me servir d'un four. Dubitatif, Ryan gagna la cuisine et souleva le couvercle de la casserole, découvrant une sauce délicieusement odorante dans laquel e baignaient de beaux morceaux de poulet gril é. — C'est donc vrai, s'exclama-t-il, admiratif. C'est toi qui l'as cuisiné. — Ce n'est pas sorcier, il suffit de suivre les instructions, répondit-el e, un peu vexée. — Mais en quel honneur ? demanda Ryan. — Je ne sais pas... Disons que j'en ai eu envie. — Je regrette de ne pas avoir été là pour voir ça, commenta Ryan en riant. — Je reconnais que cela m'a pris un certain temps. Alors, quoi que tu penses, tu dois t'en tenir aux compliments. Sortant un vase de l'un des placards, la jeune femme le remplit d'eau et y plaça le bouquet de jonquil es. Ryan ne la quittait pas des yeux, frappé de la différence subtile qu'il discernait en el e ce soir-là. El e paraissait plus douce, plus féminine. Comme si el e avait décidé momentanément de se défaire de l'armure qu'el e portait et qui la protégeait des revers de l'existence. Incapable de résister à la tentation, il s'approcha d'el e et lui caressa doucement les cheveux. Surprise, el e se retourna vers lui avec dans le regard une tendresse qui lui noua la gorge. — J'aime te toucher, murmura-t-il d'une voix très grave. — Je sais, dit-el e en se nichant dans ses bras. Tu sais que le poulet doit encore mijoter une heure, ajouta-t-el e. Cela nous laisse du temps... — Al ons nous asseoir dans le salon, fit Ryan en luttant contre la tentation qu'il avait de la déshabil er et de lui faire l'amour dans la cuisine. Sentant sa retenue, la jeune femme prit son verre de vin et lui emboîta le pas. Tous deux s'assirent dans le canapé et el e posa la tête sur son épaule, attendant qu'il lui dise ce qu'il avait sur le coeur. El e percevait son trouble, son hésitation mais ne voulait pas le brusquer. D'ail eurs, el e se sentait bien auprès de lui, tandis qu'un bon feu brûlait dans la cheminée et que Cole Porter paraissait jouer pour eux seuls. El e avait l'impression de se retrouver là où el e avait toujours désiré être sans le savoir. En sécurité, en confiance, comme si le temps n'existait plus. C'était sans doute ce que l'on ressentait auprès de la personne que l'on aimait, songeait-el e. El e réalisa brusquement ce qu'el e aurait dû comprendre depuis si longtemps, el e était tombée amoureuse de Ryan. — Quelque chose ne va pas ? lui demanda-t-il, la sentant bouger contre lui. — Non, répondit-el e d'une voix blanche, effrayée par sa découverte inattendue. Tout va bien. Comment avait-el e pu être aussi aveugle ? El e ne pouvait plus dormir sans lui, décidait soudain de faire la cuisine, ce qu'el e n'avait pas fait depuis de nombreuses années, était incapable de le regarder sans se sentir fondre de l'intérieur, envisageait même de l'emmener en voyage d'affaires avec el e... Ces symptômes auraient tout de même dû lui faire saisir la nature des sentiments qu'el e éprouvait à l'égard de Ryan ! Fermant les yeux, el e se força à se détendre, luttant contre la terreur qui montait en el e. El e devait garder la tête froide et se conduire en adulte responsable. La liaison qu'el e avait avec Ryan n'avait jamais reposé sur l'amour. Ils n'avaient même jamais envisagé qu'il pût en être autrement. Par respect pour lui, el e devait donc garder pour el e ce qu'el e venait de comprendre. — Je ferais mieux d'al er vérifier le poulet, lui dit-el e pour gagner du temps. — Cela ne fait pas une heure, protesta-t-il, peu désireux de la laisser partir. Il aimait bien la sentir contre lui. Et qu'importait, après tout, que leur relation n'ail e nul e part, qu'il se retrouve en fin de compte seul à panser ses blessures ? Chaque seconde auprès d'el e constituait un moment de bonheur qui se suffisait à lui-même. Et quand le temps viendrait de la quitter, il serait déjà bien assez tôt... — Je pensais préparer une salade, reprit Natalie d'une voix mal assurée. — Plus tard, dit-il en lui prenant doucement le menton pour la forcer à le regarder. Bizarrement, alors que sa propre tension paraissait s'être résorbée, el e-même semblait mal à l'aise. Penchant son visage vers celui de la jeune femme, il effleura ses lèvres et constata qu'el es tremblaient légèrement. Intrigué, il l'embrassa et la sentit frémir des pieds à la tête. — Tu veux encore un peu de vin ? demanda-t-el e en se dégageant doucement. — Non, merci, répondit-il en lui caressant doucement es cheveux. Tu sais ce que je pense, Natalie ? — Non, répondit-el e en s'efforçant de conserver son calme. — Je pense que nous al ons toujours trop vite, toi et moi. Nous avons manqué une étape capitale dans notre relation... — Laquel e ? — La séduction, répondit-il gravement. Chapitre 10 La séduction ? Cela n'avait aucun sens, songeait Natalie. Avant même qu'el e réalise qu'el e était amoureuse de lui, el e le désirait. Il existait entre eux une alchimie puissante et la moindre étincel e suffisait à attiser leur passion. En sentant les lèvres de Ryan se poser doucement sur sa tempe, el e la sentait renaître, intacte. El e aurait voulu le repousser pour pouvoir penser clairement et faire le point sur ce qu'el e ressentait pour lui. Mais ses doigts se posèrent sur son dos et el e n'eut pas la force d'écarter sa main, frissonnant au gré des caresses légères qu'il lui prodiguait. Sa bouche dériva lentement vers cel e de la jeune femme et, très lentement, il agaça ses lèvres du bout de sa langue avant de l'embrasser. C'était un baiser très doux, plein de retenue, qui ne ressemblait pas à ceux qu'ils échangeaient d'habitude. Il était empli d'une immense tendresse, d'une nonchalance terriblement excitante. C'était comme s'ils avaient soudain tout le temps du monde pour s'aimer, comme si l'urgence qui perçait déjà au creux de leurs reins n'avait pas vraiment d'importance. Terrassée, la jeune femme s'abîma dans cette étreinte, sentant tout son corps se détendre, comme si ses doutes avaient fondu tel e la cire des bougies qui brûlait autour d'eux. Sous la paume de Ryan, el e sentit son coeur s'embal er tandis que la pointe de ses seins se dressait. Une sorte de ronronnement sourd s'échappait de sa propre gorge sans même qu'el e s'en aperçût. Sans accélérer ses mouvements, Ryan continuait à l'embrasser, lui laissant à peine le temps de respirer. Il paraissait boire son souffle, l'ingérer tout entière. Tremblante, el e s'attendit à ce qu'il la déshabil e. El e sentait son désir et avait envie de lui. Mais il ne paraissait pas décidé à les satisfaire, ralentissant au contraire le rythme comme pour prendre la pleine mesure de la faim qu'ils avaient l'un de l'autre. El e tendit la main pour le déshabil er mais il la repoussa doucement en secouant la tête. Se redressant, il la contempla longuement, comme s'il était incapable de se rassasier de cette vision. Un mélange explosif de besoin et de frustration envahit la jeune femme mais il ne se souciait visiblement pas de la confusion qui l'habitait. — Je te veux, Ryan, articula-t-el e d'une voix rauque. Maintenant... Sans un mot, il la souleva et la posa sur l'épais tapis qui se trouvait devant la cheminée. La lumière des flammes jouait dans ses cheveux et accrochait la lumière secrète qui bril ait au fond de ses yeux noirs. Et il ne la quittait pas du regard, admirant ses longs cheveux blonds que le feu teintait de rouge, sa gorge aussi douce que la plus précieuse des soies. Pour un soir, au moins, el e était pleinement sienne et il entendait communier avec el e avec une intensité tel e qu'il graverait dans sa chair même le souvenir de cette nuit. — Je n'ai pas besoin d'être séduite, dit-el e. Je le suis déjà... Il secoua la tête et l'embrassa de nouveau, encore plus tendrement que la première fois. Natalie noua ses mains aux siennes, presque convulsivement. Depuis qu'ils s'étaient rencontrés, ils avaient fait l'amour des dizaines de fois. Mais cel e-ci était différente. On eût dit que Ryan voulait lui faire l'amour avec son esprit plus qu'avec son corps. Précautionneusement, il fit descendre la robe de la jeune femme jusqu'à sa tail e, révélant son soutien-gorge que sa poitrine gonflait de désir. Sa bouche se posa alors au creux de son épaule avant de descendre très lentement, décrivant de mystérieuses arabesques sur sa peau comme s'il avait cherché à y écrire quelque chose. Natalie hoqueta tandis qu'il s'attardait à la lisière du tissu qui dissimulait encore ses seins. Du bout de sa langue, il commença à agacer l'un de ses tétons à travers la fine couche de soie et el e se cambra pour mieux s'offrir à lui. Bientôt, el e fut parcourue de spasmes mais, sans pitié, Ryan passa à l'autre sein. — Arrête, supplia-t-el e, terrifiée par la façon dont il lui faisait perdre tout contrôle. Embrasse-moi... Il ne se fit pas prier mais, au lieu d'atténuer le brasier qui brûlait en el e, son baiser ne fit que le décupler. El e avait l'impression de flotter, parcourue de vagues langoureuses qui venaient se briser à l'extrémité de ses membres en frissons de bien-être. Renonçant à maîtriser les sensations qui saturaient tout son être, el e se laissa al er, s'abandonnant plus avant aux caresses de Ryan dont les doigts couraient comme des flammes, embrasant tout sur leur passage. Il reprit alors son exploration, laissant sa bouche descendre plus bas, jusqu'à son ventre qu'il couvrit de petits baisers avant de le mordil er délicatement, provoquant un mélange insoutenable de douleur et de plaisir. Centimètre par centimètre, il parcourut sa peau. Il voulait connaître le moindre pouce de son corps, la goûter tout entière, se repaître encore et encore de cette chair tiède et frémissante. Il voulait lui donner une joie qu'el e n'avait jamais connue, pas même imaginée. Et ce faisant, il découvrait le pouvoir infini de la douceur. Guidé par ses soupirs, il comprenait qu'il pouvait y avoir plus de plaisir à donner qu'à prendre. En temps normal, il se serait déjà déshabil é, lui aurait déjà fait l'amour pour soulager cette raideur douloureuse qui le torturait. — Mais il prenait un plaisir masochiste à attendre. Il découvrait une facette de sa sexualité qu'il n'avait jamais imaginée, quelque chose de féminin, peut-être. Une patience infinie qui nourrissait son envie, la démultipliait à l'infini. Il existait un plaisir dans le désir lui-même. Un plaisir peut- être plus grand que celui qu'il connaîtrait au moment de sa délivrance... Il défit les boutons qui retenaient la robe de Natalie, se concentrant uniquement sur le contact délicat de la soie qui glissait entre ses doigts. Tout, soudain, participait de sa ferveur, le tissu, l'odeur des bougies, les crépitements du feu, le contact un peu rêche du tapis... Leur acte d'amour devenait une cérémonie presque mystique, une communion avec le reste de l'univers. Luttant contre sa propre exaltation, il s'abstint d'ôter à la jeune femme les sous-vêtements qu'el e portait. C'était une étape supplémentaire sur l'étrange cheminement initiatique que constituait leur étreinte. Se penchant sur el e, il posa ses lèvres sur le morceau d'étoffe qui masquait le coeur palpitant de sa féminité. Il comprit alors combien el e l'attendait et, lorsque ses lèvres se posèrent sur la soie, les hanches de Natalie se mirent à bouger au gré de ses caresses. Natalie avait l'impression de glisser dans une délicieuse folie. Nouant ses jambes autour du cou de Ryan, el e gémit, se renversant en arrière, la gorge tendue, la tête tournée vers le ciel. El e ne comprenait pas ce qui était en train de lui arriver. Toute raison l'avait depuis longtemps désertée pour laisser place à une joie sauvage qui animait son corps de violents soubresauts. Combien de fois se sentit-el e exploser ? El e aurait été bien incapable de le dire. L'univers tout entier avait basculé et el e dérivait quelque part au milieu du néant, seule avec cet homme qu'el e aimait plus que tout au monde et qui savait lui donner tant de bonheur. El e n'était plus que sensations, libérée des chaînes de ses propres angoisses. Depuis longtemps, el e avait abdiqué le contrôle de son être, le remettant entre les mains de Ryan. Jamais el e n'avait éprouvé une confiance si parfaite et plus el e se laissait al er, plus son plaisir augmentait. Quelque part, dans un autre monde, el e sentit Ryan lui retirer ses sous-vêtements avant de reprendre son exploration. Lorsqu'el e sentit sa bouche se poser sur la chair à vif de son sexe, une extase nouvel e l'absorba et el e explosa une fois encore, se cabrant violemment. El e aurait voulu crier grâce, le supplier d'arrêter mais sa bouche était incapable de former les mots qu'el e cherchait en vain. Alors, il remonta le long de son corps, lui laissant le temps de refaire surface. Mais comme el e était sur le point de recouvrer ses esprits, il entra en el e, très lentement. Et l'impossible se produisit. Alors qu'el e avait cru atteindre les frontières ultimes de ce que son corps pouvait supporter, el e découvrit qu'il existait un nouveau monde au-delà. — Je te veux, murmura Ryan en freinant volontairement l'ampleur de ses mouvements. À ces mots, el e frissonna tout entière. Il accéléra alors, nouant ses mains à cel e de la jeune femme qui s'ouvrit encore pour l'accueil ir tout au fond d'el e. Pendant ce qui leur sembla être des heures, ils dérivèrent ainsi jusqu'à ce qu la vague immense de leur plaisir les emporte tous deux en un maelström chaotique de chair et de cris, les faisant fusionner en un instant d'éternité. Et tandis qu'ils sombraient, Ryan cria son nom. * ** Par deux fois, Natalie se surprit à chantonner dans l'ascenseur qui la conduisait à l'étage où se trouvait son bureau. À chaque occasion, el e feignit d'être prise d'une violente quinte de toux pour masquer ce signe d'al égresse, tentant d'ignorer les regards amusés des autres utilisateurs. Après tout, qu'y avait-il de mal à chanter ? se demanda-t-el e. El e était jeune et désirable et terriblement amoureuse. Tout le monde avait le droit de tomber amoureux, se disait-el e tandis que les portes s'ouvraient sur le trente et unième étage où était instal é Fletcher Industries. Ce sentiment lui paraissait transfigurer le monde entier autour d'el e. Jamais le soleil n'avait semblé bril er si vivement. Jamais el e n'avait remarqué à quel point les gens qui l'entouraient étaient intéressants. El e se sentait légère et vibrante, pleinement vivante. Comment se faisait-il qu'el e n'ait jamais éprouvé une tel e sensation, auparavant ? Était-ce tout simplement parce qu'el e avait attendu Ryan sans même le savoir ? Disposait-il d'un pouvoir particulier qui la transformait de cette façon ? Et dire qu'el e avait eu peur de ses propres sentiments... Il n'y avait pourtant rien de mal à se sentir plus vulnérable si l'on pouvait avoir confiance en l'autre. Et el e savait que Ryan ne la blesserait jamais, qu'il ne tenterait jamais de lui faire mal ou de contrôler sa vie. Ce respect qu'ils avaient l'un pour l'autre leur permettait justement de s'ouvrir, de prendre des risques. Mais c'était la première fois qu'el e le réalisait. Jusqu'alors, el e avait été beaucoup trop soucieuse de sa sacro-sainte intégrité pour accepter ce bonheur simple et profond qui l'envahissait aujourd'hui. En chantonnant, el e passa devant Maureen qui jeta un discret coup d'oeil à sa montre, apparemment stupéfaite que sa patronne puisse être en retard. C'était un phénomène sans précédent. — Bonjour, Maureen, fit Natalie. Vous avez vu ce temps magnifique ? — Euh, oui, répondit évasivement Maureen, se demandant si la jeune femme n'avait pas perdu la raison. Vous avez une réunion téléphonique avec Chicago à 10 heures, ajouta-t-el e. — Oui, je sais. — Et Ml e Marks aimerait vous voir dès que vous aurez un moment. — Dites-lui de passer vers 10h15. — Souvenez-vous que vous avez un rendez-vous à 10h30 avec M. Hawthorne... — Pas de problème. — Et un déjeuner avec... — Je sais, s'exclama Natalie en riant. Sous le regard médusé de Maureen, el e s'éloigna, sans même s'arrêter à la machine à café, ce qui constituait également un fait sans précédent dans toute sa carrière. Mais el e n'avait pas besoin de caféine pour se réveil er, la passion lui fournissait déjà suffisamment d'énergie. Une fois dans son bureau, el e jeta son manteau sur une chaise et posa son attaché-case avant de se diriger vers le coffre-fort que dissimulait son tableau préféré. El e en sortit deux disques compacts et al a s'asseoir pour préparer un mémo destiné à Deirdre. Une heure plus tard, el e était plongée dans une conférence téléphonique avec trois de ses directeurs régionaux qui paraissaient décidés à la rendre fol e. Pourtant, el e gardait un calme imperturbable tandis que Donald qui se trouvait à ses côtés songeait que lui-même aurait déjà raccroché trois fois. — Je vous enverrai un fax avec toutes les données, promit-el e à son directeur d'Atlanta. Donald, ajouta-t-el e en se tournant vers lui, essaie de te libérer pour passer au magasin avec moi vers 11h15. Nous discuterons en chemin. — J'ai un rendez-vous à 11h30 avec la branche marketing, répondit-il en se dirigeant vers la porte. Mais je vais essayer de le repousser. — Parfait ! Chicago, reprit-el e en reprenant le combiné, j'aimerais que vous me transmettiez les copies des publicités que vous avez fait passer dans les journaux locaux. Je dois recevoir cel es de Dal as et de Los Angeles dans l'après-midi. Dès demain, je vous rappel erai pour vous faire part des suggestions du marketing. En attendant, messieurs, synchronisez vos montres et motivez vos troupes. Le grand lancement est pour samedi à 10 heures, heure locale. Une fois qu'el e eut raccroché, el e appela Maureen. — Dites à Deirdre que je suis libre pour une vingtaine de minutes. Et appelez-moi Melvin, s'il vous plaît. — Il est à l'usine. — Zut, c'est vrai... J'essaierai de m'arranger pour le croiser en y al ant cet après-midi. Laissez un message sur sa boite vocale lui indiquant que j'y serai vers trois heures. — Bien, mademoisel e. — Et appelez aussi le chef du département logistique. — Tout de suite. Le temps que Deirdre la rejoigne, Natalie était déjà au téléphone avec le responsable des expéditions, un oeil sur l'écran de son ordinateur et l'autre sur sa montre. — Oui, je vois bien qu'il n'est pas arrivé. Demandez au transporteur de se dépêcher, le chargement doit être à Atlanta avant 9 heures demain. Peu importe comment vous vous y prenez, c'est crucial... Et appelez-moi dès que vous aurez du nouveau. Merci. El e raccrocha et se tourna vers Deirdre. — Un problème ? demanda cel e-ci, inquiète. — Rien de grave. Ils ont juste du retard dans une livraison. Mais même sans el e, Atlanta a assez de stock pour faire face aux premiers jours de vente. Tu veux un café ? — Non, merci. Ton histoire de primes m'a déjà créé un ulcère. — Ah, les primes... Justement, j'ai calculé les pourcentages que je compte offrir et je voulais que tu y jettes un coup d'oeil pour me donner ton avis. Je me suis dit que tu me détesterais moins si je préparais un peu le terrain. — Faux. C'est de la folie, Natalie. — Deirdre, sais-tu pourquoi je t'apprécie autant ? — Non. — Parce que ton cerveau fonctionne comme un super-calculateur. Mais franchement, je pense que parfois, il faut savoir se montrer déraisonnable. Notre personnel a mérité une prime après le travail de fou que nous avons dû accomplir au cours de ces dernières semaines. De toute façon, nous savions que nous devrions éponger quelques pertes lors de notre lancement et cela n'y changera pas grand-chose. En terme de motivation, par contre, ce sera un atout non négligeable pour l'avenir. — Tout ceci est bien joli en théorie mais, en pratique, nous risquons de devoir trouver une nouvel e source de financement. — Je ne pense pas. D'après mes calculs, il suffira de redistribuer nos ressources. J'ai rédigé un mémo pour ton assistant. Il pourra s'en occuper tout seul. Quant à toi, j'aimerais que tu te concentres sur l'audit. Une grande partie de son contenu recoupera le bilan de notre exercice comptable qui sera réalisé pour les services fiscaux. Alors tu devrais travail er avec la comptabilité pour suivre leur travail. — Tu sais pourquoi moi je t'apprécie autant, Natalie ? demanda Deirdre. Et sans attendre de réponse, el e enchaîna. — Parce que tu es complètement imperturbable et que tu arrives à donner des instructions totalement déraisonnables comme s'il s'agissait de la chose la plus naturel e au monde. — C'est un don, répondit Natalie en lui tendant les CD. Tu en auras besoin. Ce sont les copies des comptes. — Merci beaucoup. J'avais justement peur de m'ennuyer durant les jours à venir. Comme Deirdre se levait pour partir, Donald passa la tête par l'embrasure de la porte. — C'est bon, dit-il à Natalie. Je me suis libéré jusqu'à midi et demi. — Parfait. Dans ce cas, al ons-y. Au sujet de ces comptes, Deirdre, j'aimerais que tu me donnes une estimation des profits au cours du prochain trimestre et les chiffres par département. — Pour quand ? — Disons, la fin de la semaine prochaine. — C'est raisonnablement impossible, soupira Deirdre, accablée. Ramassant les CD, el e se dirigea vers la porte. — À ton tour, dit-el e à Donald. Et bon courage ! — Ne te laisse pas impressionner par ce que te dira Deirdre, s'exclama Natalie en riant. El e exagère toujours les choses... — Eh bien, murmura Donald, au moins el e a l'air de bonne humeur... — El e est même complètement planante, acquiesça Deirdre. Alors tâche que cela continue jusqu'au lancement... Tandis que Donald et el e revenaient de leur inspection au magasin, Natalie se sentait toujours aussi euphorique. — Ils ont fait un travail splendide, commenta-t-el e. On n'imaginerait pas qu'il y a eu le feu voici seulement quelques jours ! — Et la vitrine est superbe, renchérit Donald. Nous risquons d'être dévalisés samedi. — J'y compte bien. Et c'est en grande partie grâce à toi, Donald. Sans toi, nous n'aurions jamais réussi à nous relever aussi vite après l'incendie de l'usine. — Ce n'était pas grand-chose, éluda Donald en haussant modestement les épaules. Dans six mois, tout ceci sera oublié et nous ferons tel ement de profits que Deirdre n'aura pas le temps de les comptabiliser. — Tu la sous-estimes, protesta Natalie en riant. — Déposez-moi au prochain croisement, demanda Donald au chauffeur. Le restaurant est à deux pas. — Merci beaucoup de m'avoir accompagnée, lui dit Natalie. — Il n'y a pas de quoi. En voyant le magasin, j’ai vraiment touché du doigt ce pour quoi nous nous étions donné tant de mal. Je suis désolé par contre que le bureau ait brûlé. C'était un meuble magnifique. Mais les brûlures étaient superficiel es, n'est-ce pas ? N'y avait-il pas moyen de le sauver ? — Non. J'ai demandé à un menuisier mais il m'a dit qu'il n'y avait rien à faire. — De toute façon, le nouveau est presque aussi beau. — Je l'ai fait venir du Colorado, expliqua-t-el e. — Excel ent choix, commenta-t-il en descendant de voiture. Le chauffeur redémarra et le véhicule se perdit dans la circulation. Natalie resta longuement silencieuse. Quelque chose la perturbait sans qu'el e puisse mettre le doigt dessus, ce qui avait généralement le don de l'agacer. Finalement, el e abandonna, certaine que cela finirait par lui revenir. En attendant, el e profita des embouteil ages pour appeler Ryan. — Bureau de Ryan Piasecki, j'écoute. — Salut ! s'exclama Natalie, recouvrant immédiatement son al égresse. Tu joues les secrétaires, maintenant ? — Non, mais la mienne est partie déjeuner. — Et je suppose que tu manges au bureau, comme d'habitude. — En fait, je n'ai pas encore eu le temps... Où es-tu ? — En voiture, au croisement de la douzième et de Hyatt. — Bien... Écoute, à propos de ce soir... — Justement, c'est pour cela que je t'appelais. Je me disais que nous pourrions peut-être nous retrouver au pub du Goose Neck. J'ai une journée surchargée et je crois que j'aurai bien besoin d'un remontant. — Je pensais que tu pourrais peut-être venir chez moi... — Chez toi ? répéta la jeune femme, surprise. El e n'y était encore jamais al ée et une brusque curiosité s'empara d'el e. — Oui. Vers 7h30, ça te va ? — Parfait. Tu veux que j'apporte quelque chose à manger ? — Non, je m'en occuperai. À plus tard... Natalie raccrocha, passablement fébrile. El e al ait enfin découvrir l'antre de Ryan ! Il était presque 7 heures lorsque Ryan rentra chez lui. Il avait acheté en route quelques plats chinois, se laissant le temps d'inspecter son appartement avant l'arrivée de Natalie. Son immeuble était beaucoup moins cossu que celui de la jeune femme mais il ne manquait pas de caractère, situé dans l'une des plus anciennes parties de la vil e. Pourtant, ce soir, il lui paraissait brusquement terriblement déprimant. Les murs étaient mal insonorisés, le couloir sentait l'ail, les marches étaient usées, la peinture légèrement défraîchie. L'appartement lui-même était un beau deux pièces qui, pour une fois, était parfaitement rangé. Une couche de poussière s'était pourtant accumulée au cours de ces dernières semaines où il avait passé quelques nuits seulement chez lui, sans prendre le temps de faire le ménage. Il remarqua aussi que le tissu du canapé-lit était délavé. C'était quelque chose qui ne l'aurait pas dérangé le moins du monde en temps normal mais, aujourd'hui, ça l'agaçait. Les murs auraient eu besoin d'une nouvel e couche de peinture et le sol d'un tapis moins usé. Gagnant la cuisine, il prit une cannette de bière dans le réfrigérateur et avala une longue gorgée. Comment s'étonner qu'il vive dans un tel endroit ? C'était ce dont il avait besoin, ni plus ni moins. Un appartement pas trop petit en centre-vil e, assez proche de la caserne. Pendant dix ans, il en avait été parfaitement satisfait. Mais ce n'était absolument pas le genre de lieu qui conviendrait à Natalie Fletcher. El e n'avait pas sa place ici et c'était pour le lui démontrer qu'il lui avait demandé de venir, ce soir. La nuit précédente avait été une révélation pour lui. Natalie lui avait fait découvrir quelque chose qui transcendait de très loin l'amour physique, un sentiment de plénitude tel qu'il en oubliait que le monde existait, qu'ils n'étaient pas les seuls êtres dans l'univers. Il savait à présent que plus il resterait avec el e et plus ce sentiment grandirait. Et lorsqu'el e déciderait de mettre un terme à leur liaison, il n'y survivrait pas. Jamais encore il n'avait aimé à ce point. Lorsque sa femme était partie, du années auparavant, il n'en avait conçu qu'une légère déception, une certaine tristesse parce que ses rêves n'avaient été que des chimères. Mais Natalie était différente, el e constituait à présent la substance même de ces rêves. En quelques semaines, el e était devenue son alpha et son oméga, son commencement et sa fin. L'idée même de la perdre lui arrachait le coeur. Bien sûr, il aurait pu la garder. Par la simple force du désir qu'ils éprouvaient l'un pour l'autre, il aurait pu l'attacher à lui. Et l'habitude aidant, ils auraient peut-être fini leur vie ensemble. Mais il voulait plus que cela car tout ceci n'aurait été que mensonge et faux-semblant. Ce qu'il voulait, en réalité, c'était qu'el e l'aime comme lui l'aimait. Et il n'était pas naïf au point de croire que c'était une chose qu'il pouvait commander. Le sexe n'était qu'une part infime du faisceau sans cesse grandissant d'émotions qui le reliait à la jeune femme. Il se prenait à imaginer les enfants qu'ils auraient pu avoir, la maison dans laquel e ils auraient pu vivre, autant de choses qui rimaient avec éternité. Mais ce n'était pas ce dont ils étaient convenus. Natalie avait accepté de sortir avec lui uniquement parce qu'el e savait qu'el e ne lui devrait rien. Comment lui en vouloir ? N'était-ce pas lui qui avait posé ces conditions ? N'était-ce pas lui qui l'avait outrageusement séduite dans le seul but de passer une nuit avec el e ? El e n'était pas responsable de sa folie. Alors, il valait mieux en finir dès à présent, mettre fin à cette liaison qui commençait à le faire horriblement souffrir. Et il le ferait ici même, parce que c'était là que leurs différences apparaîtraient à la jeune femme avec le plus d'évidence. Comme il formulait ces pensées déprimantes, el e frappa à la porte. Il al a ouvrir et la contempla tristement. El e paraissait aussi déplacée ici qu'un poisson exotique dans une mare d'eau saumâtre. — Bonjour, s'exclama-t-el e joyeusement en l'embrassant. — Entre..., fit-il en s'écartant pour la laisser passer. Tu n'as pas eu de mal à trouver ? — J'ai pris un taxi. — Bonne idée. Si tu avais laissé ta bel e voiture dans la rue, tu n'aurais retrouvé que les poignées des portières. Tu veux une bière ? — Non, merci, déclina Natalie en gagnant la fenêtre qui donnait sur l'immeuble d'en face. — La vue n'est pas terrible, commenta Ryan. — Non... C'est fou ce qu'il pleut, dit-el e avant de se diriger vers sa col ection de trophées. Impressionnant, commenta-t-el e. On ne dirait pas que tu te fais battre à plate couture par ta petite amie. — Je n'ai pas de vin, dit-il sans relever la provocation. — Cela ne fait rien, répondit-el e en ouvrant le carton de plats chinois. Miam ! J'ai une de ces faims. Je n'ai mangé qu'une salade, aujourd'hui. J'ai passé mon temps à courir dans tous les sens pour m'assurer que tout serait prêt pour samedi. Traversant la pièce, el e entra dans la cuisine et ouvrit les placards à la recherche d'assiettes et de couverts. — Je vais devoir rendre visite aux managers régionaux la semaine prochaine, et je me demandais... El e s'interrompit brusquement, avisant son air sombre. — Qu'y a-t-il ? demanda-t-el e, emplie de sol icitude. — Rien, marmonna-t-il en lui prenant les assiettes des mains. Il ne comprenait pas comment el e pouvait se laisser al er à bavarder avec autant d'insouciance. El e aurait dû comprendre dès son arrivée chez lui à quel point cet appartement était différent du sien, à quel point leurs vies étaient différentes. — Bon sang ! s'exclama-t-il, incapable de le supporter plus longtemps. Tu as vu où tu te trouves ? — Euh... Dans la cuisine ? — Regarde autour de toi, s'écria-t-il en lui prenant le bras pour l'entraîner dans la pièce principale. Voilà où je vis ! Voilà qui je suis ! — Euh, oui..., murmura-t-el e en se dégageant doucement. El e regarda attentivement autour d'el e, cherchant ce qu'il pouvait bien vouloir lui dire. Mais el e ne vit qu'une pièce peu spacieuse, meublée de façon spartiate, l'appartement typique d'un célibataire endurci. Dans un coin, el e remarqua des photographies qu'el e fut tentée d'al er regarder. Mais ce n'était visiblement pas le moment... — Cela manque un peu de couleurs, commenta-t-el e enfin. — Je ne te demande pas un avis de décoratrice ! grommela-t-il. Cette fois, Natalie perçut une note de colère froide dans sa voix qui lui fit peur. Que lui arrivait-il donc ? Pour la première fois, il lui faisait l'honneur de l'inviter chez lui et voilà qu'il se comportait comme s'il lui en voulait... — Ryan, articula-t-el e d'une voix très douce. Qu'est-ce que tu veux exactement ? Il hésita un instant, si el e continuait à le regarder avec cette tendresse blessée, il n'aurait jamais le courage d'al er jusqu'au bout. Tant pis, songea-t-il. Puisqu'el e continuait à nier l'évidence, il al ait devoir se montrer cruel pour son propre bien. Mieux valait en finir une bonne fois pour toutes... — Soyons réalistes, Natalie, déclara-t-il. Nous sommes sortis ensemble uniquement parce que nous éprouvions du désir l'un pour l'autre. La jeune femme sentit son coeur se briser, devinant ce qui al ait suivre. Pourtant, el e se força à rester impassible, attendant qu'il continue. — Je voulais t'aider à résoudre ton problème mais, comme tu es une très bel e femme, j'ai tout de suite eu envie de toi. Et puis les choses se sont précipitées. Le sexe, l'enquête... Tout s'est mélangé... Maintenant, j'ai résolu l'enquête. Une partie, en tout cas. Les policiers ne tarderont pas à retrouver le commanditaire. — Et sur le plan personnel ? — Je pense qu'il est temps de prendre un peu de distance, de faire la part des choses. Natalie sentit ses jambes se dérober sous el e et dut rassembler toute son énergie pour ne pas défail ir. — Est-ce que tu es en train de me quitter ? demanda-t-el e d'une voix tremblante. — Je dis juste que nous ne pouvons pas nous contenter d'une liaison fondée uniquement sur le sexe. Nous devons prendre en compte ce que tu es et ce que je ne suis pas. — Je vois, murmura-t-el e. El e ne voulait pas supplier, ne voulait pas pleurer. Pas devant lui, pas alors qu'il la regardait aussi froidement, pas alors qu'il lui brisait le coeur sur le ton de la conversation. Soudain, el e se demanda s'il ne s'était pas montré aussi tendre, aussi prévenant la veil e parce qu'il savait déjà que c'était la dernière fois qu'ils faisaient l'amour. — Les choses sont très claires, dit-el e alors que de grosses larmes commençaient à couler sur ses joues malgré ses bonnes résolutions. — Je t'en prie..., souffla Ryan en se levant, la gorge serrée par le désespoir. Il ne pouvait pas supporter de la voir pleurer et fut tenté de lui dire qu'il l'aimait, qu'il ne croyait pas un mot de ce qu'il venait de lui dire. — J'apprécie que tu n'aies pas choisi un endroit public pour me l'annoncer, reprit-el e d'un ton brisé. D'un pas chancelant, el e se dirigea vers la porte qu'el e ouvrit. — Natalie... — Je vais bien, dit-el e en se tournant vers lui, très droite. Je ne suis plus une enfant et ce n'est pas ma première rupture. C'était simplement la première fois que j'étais amoureuse, Ryan. Et je tenais à ce que tu le saches. Jamais je n'avais aimé quelqu'un comme je t'ai aimé et maintenant, je te déteste pour cela. Sur ces mots, el e se précipita dehors sans même songer à récupérer son manteau. Chapitre 11 Pendant dix interminables minutes, Ryan arpenta la pièce, tentant vainement de se convaincre qu'il avait agi pour leur bien à tous les deux. Bien sûr, el e souffrirait un peu. Bien sûr, sa fierté serait froissée. Après tout, il ne s'était pas montré très diplomate à son égard... Pendant les dix minutes qui suivirent, il essaya de se persuader qu'el e n'avait pas vraiment cru à ce qu'el e lui avait dit. Il lui avait fait du mal et el e avait répliqué en espérant le blesser mais el e ne l'aimait pas. Peut-être le croyait-el e mais c'était impossible. Parce que si c'était le cas, cela faisait de lui l'un des plus grands imbéciles que la terre ait jamais porté. Et brusquement, il réalisa que c'était probablement ce qu'il était. Le coeur battant à tout rompre, il prit le manteau de la jeune femme et, oubliant le sien, descendit les escaliers quatre à quatre et se retrouva sur le trottoir sous la pluie battante. Il réalisa alors qu'il avait laissé sa voiture à la caserne. Accélérant le pas, il se dirigea donc dans cette direction tout en cherchant des yeux un taxi. Mais son impatience lui coûta plus de temps qu'il n'en aurait perdu en remontant chez lui pour en appeler un. Lorsqu'il dénicha finalement un véhicule, il avait parcouru plus de douze pâtés de maisons et était trempé de la tête aux pieds. Il tendit au chauffeur une poignée de bil ets froissés et lui donna l'adresse de Natalie, lui demandant de rouler aussi vite que possible. Mais la chance était contre lui. La circulation était dense, encore compliquée par un accident sur la rue principale. Ce ne fut donc qu'une heure plus tard qu'il arriva enfin chez la jeune femme, mort d'angoisse. Sans même prendre la peine de frapper, il utilisa sa propre clé pour s'introduire dans l'appartement. Et il comprit aussitôt qu'el e n'était pas chez el e. Les pièces vides avaient quelque chose de glacé sans la présence de Natalie. Pourtant, il décida de l'attendre, songeant qu'el e finirait bien par revenir tôt ou tard. Et il serait là pour l'accueil ir, pour lui dire qu'il avait eu tort, qu'il avait été aveugle et stupide... Mais au bout de cinq minutes, il tournait en rond, songeant qu'il al ait devenir fou. Peut-être était-el e al ée à son bureau. Dans ce cas, il ferait mieux d'appeler là-bas. Se dirigeant vers le téléphone, il aperçut alors un bout de papier froissé sur lequel étaient griffonnés quelques mots : «Atlanta national, 8h25.» El e était à l'aéroport ! Quittant l'appartement, il menaça le portier des pires châtiments s'il ne réussissait pas à lui trouver un taxi dans les trois minutes. Le pauvre homme s'exécuta mais lorsque Ryan atteignit enfin l'aéroport, l'avion avait déjà décol é depuis cinq minutes... Le lendemain, dès 9 heures, il était au bureau de Natalie, tentant de convaincre son assistante de lui donner l'adresse de la jeune femme. — Non, inspecteur, je ne sais pas quand Ml e Fletcher doit revenir, lui dit Maureen avec un sourire désolé. L'inspecteur avait vraiment piteuse al ure, il paraissait avoir passé la nuit dans ses vêtements qui étaient complètement froissés, ses cheveux étaient en batail e, son visage blafard, souligné par des cernes qui donnaient à ses traits un aspect presque inquiétant. — Où est-el e ? répéta-t-il durement. La veil e, il avait fail i prendre le premier avion pour Atlanta avant de réaliser qu'il ignorait où Natalie était descendue et il était bien décidé à le découvrir, dut-il remuer ciel et terre pour cela. — Je suis navrée, mais je ne suis pas habilitée à vous transmettre cette information, insista Maureen. Par contre, je peux prendre un message et le transmettre à Ml e Fletcher dès qu'el e prendra contact avec moi... — Je veux savoir où el e se trouve. — La politique de la compagnie ne me permet pas... Sortant sa carte de police, Ryan la lui plaça sous le nez. — Vous voyez ceci ? Je suis chargé de l'enquête sur les incendies criminels ayant eu lieu à l'usine et au magasin. Et j'ai des informations que je dois communiquer à Ml e Fletcher au plus vite. Alors si vous ne me dites pas où el e est, je vais devoir vous arrêter pour entrave à la justice ! C'était un coup de bluff audacieux qui aurait sans doute pu lui coûter son insigne. Mais, pour le moment, il n'en avait cure. Maureen se mordit la lèvre. Ml e Fletcher lui avait expressément demandé de ne donner l'adresse de son hôtel à personne mais el e n'était pas certaine que cela s'applique aussi à un policier. Et si ce qu'il avait à lui dire était si urgent, el e ferait peut-être mieux de passer outre ces instructions... — El e est au Ritz-Carlton, à Atlanta, avoua-t-el e enfin. Avant même qu'el e n'ait fini sa phrase, Ryan s'était précipité vers la porte. Quinze minutes plus tard, il déboula dans son bureau et s'empara du téléphone pour composer le numéro du Ritz. — Hôtel Ritz-Carlton, j'écoute. — Passez-moi Natalie Fletcher, s'il vous plaît. — Bien, monsieur. La sonnerie retentit trois fois avant que la jeune femme ne décroche. — Natalie, s'exclama-t-il, le coeur battant à tout rompre. Qu'est-ce que tu fais à Atlanta ? Il faut que... Mais el e avait déjà raccroché. Tentant désespérément de garder son calme, Ryan fit appel à des années d'entraînement, s'il parvenait à rester stoïque au beau milieu des flammes, il devait en être capable pour passer un simple coup de téléphone ! Pourtant, lorsqu'il fut de nouveau connecté à la chambre de la jeune femme, el e ne décrocha pas et il se prit à l'imaginer, seule dans sa chambre, les yeux fixés sur le poste qui sonnait sans s'arrêter. Et cette vision intérieure le plongea dans un profond désespoir. Raccrochant, il gagna le bureau de sa secrétaire. — Appelez l'aéroport et trouvez-moi le premier bil et disponible pour Atlanta sur mon compte personnel. Quelques heures plus tard, il faisait irruption au Ritz-Carlton pour découvrir qu'el e avait déjà rendu ses clés. Refusant de se décourager, il se rendit au siège local de Lady's Choice où on lui apprit que la jeune femme venait de partir pour l'aéroport. Lorsqu'il y parvint, el e avait déjà disparu. Se résignant à contrecoeur, il reprit donc un vol pour Denver où il arriva, précisément dix heures après son départ. Chaque fois, il l'avait manquée de quelques minutes, comme si el e avait su qu'il était juste derrière el e et qu'el e avait tout fait pour l'éviter. Épuisé, brisé, il décida de rentrer chez lui pour s'accorder quelques heures de sommeil. Il ne lui restait plus désormais qu'à attendre... — Je suis si heureuse de te voir ! s'exclama Althea Nightshade en serrant maladroitement Natalie contre son ventre proéminent. — Moi aussi, répondit la jeune femme en souriant. Comment te sens-tu ? — Eh bien, comme un croisement improbable entre le bibendum Michelin et Moby Dick. — Je te rassure, aucun des deux n'a l'air aussi rayonnant que toi ! Et c'était la plus stricte vérité, la grossesse d'Althea semblait souligner sa grande beauté, donnant à sa peau un lustre nouveau et à ses yeux une luminescence qui trahissait le bonheur immense qu'el e éprouvait. — Je suis énorme, protesta Althea en riant. Mais en parfaite santé... Colt veil e à ce que je mange sainement, à ce que je fasse de l'exercice et dorme suffisamment. Il m'a même tapé un programme quotidien, ce qui ne lui ressemble pas. Mais Monsieur «on va le jouer à l'instinct» devient apparemment un parangon de raison lorsqu'il s'agit de sa progéniture... — En tout cas, la chambre d'enfants est splendide commenta Natalie en contemplant la pièce arrangée avec amour au milieu de laquel e trônait un superbe berceau. — Je serai vraiment heureuse lorsque le locataire sera arrivé, répondit Althea en souriant. J'ai l'impression d'être enceinte depuis des années et il serait temps que je voie enfin à quoi ressemble le petit monstre j'ai dans le ventre. El e s'interrompit avant d'éclater de rire une fois de plus. — Non, mais je t'assure... Qui aurait pu croire que je serais un jour impatiente de changer les couche d’un bébé... — Tu ne voulais pas être maman ? s'étonna Nat en regardant son amie qui se balançait doucement dans la chaise à bascule, les mains croisées sur son abdomen. — Je pensais que cela ne cadrait pas avec mon métier, avec mes choix de vie... Mais Colt est arrivé et il a tout bouleversé. Et même si je n'avais aucune prédisposition pour la maternité, j'ai apprécié chaque minute de la grossesse, contrairement à ce que j'essaie de faire croire. Et maintenant, je suis curieuse de découvrir ce que cela fait de nourrir son propre enfant. Tu m'imagines, assise ici, en train de le bercer ? — Sans problème, s'exclama Natalie en lui prenant doucement les mains. Et je t'envie beaucoup de pouvoir vivre avec la personne que tu aimes. C'est la chose la plus bel e au monde, ajouta-t-el e alors que ses yeux se remplissaient de larmes. — Que se passe-t-il, ma chérie ? demanda Althea, pleine de sol icitude. C'est à cause d'un homme, n'est-ce pas ? — Un beau salaud. — Est-ce que ce beau salaud ne serait pas un séduisant inspecteur ? demanda Althea avec un sourire malicieux. Oui, je sais... Les nouvel es vont vite. D'ail eurs, j'ai attendu que tu m'appel es pour tout me raconter... Il faut qu'il s'agisse de quelque chose de très grave pour que tu aies quitté le siège en plein milieu du lancement de Lady's Choice. À propos, il paraît que c'est un véritable triomphe. — C'est vrai, reconnut Natalie. Les chiffres de la première semaine sont très encourageants. — Alors pourquoi n'es-tu pas restée pour fêter cela avec tes col aborateurs ? C'est à cause de Ryan ? — Oui, avoua la jeune femme. Il m'a plaquée... Incapable de garder pour el e le secret qui la hantait, la jeune femme lui raconta toute l'histoire. — Mais Cil a m'a dit qu'il était complètement dingue de toi, remarqua Althea en fronçant les sourcils. — Nous étions de parfaits partenaires sexuels, corrigea Natalie. Mais j'ai commis l'erreur de tomber amoureuse de lui. Une première pour moi. Et il m'a brisé le coeur. — Je suis désolée, murmura Althea en la serrant tendrement contre el e. — Je m'en remettrai, reprit Natalie avec un pâle sourire. Mais je n'avais jamais ressenti une chose pareil e pour qui que ce soit. Je ne pensais même pas que c'était possible. Moi qui ai passé ma vie à surmonter toutes mes douleurs, j'ai brusquement l'impression d'être brisée en mil e morceaux... Et je n'arrive toujours pas à les recol er. — Il n'en vaut pas la peine, protesta Althea. — Si seulement c'était vrai... Ce serait tel ement plus facile. Mais la vérité, c'est qu'il s'agit d'un homme merveil eux. Il est tendre, doux, passionné... Je suis sure qu'il ne voulait pas me faire du mal. Il m'a même appelée plusieurs fois depuis que je suis partie. — Il veut peut-être que vous vous réconciliez, suggéra Althea. — Crois-tu que nous ayons la moindre chance de le faire ? demanda Natalie. Moi, non. Je refuse de prendre ses appels et il n'arrête pas de m'envoyer des fleurs chaque fois que j'arrive dans l'une de mes filiales. Comme si cela changeait quoi que ce soit... — Il t'envoie des fleurs à travers tout le pays ? s'exclama son amie, sidérée. — Des jonquil es... Chaque fois que j'arrive dans l'un de mes bureaux, une assistante me remet un bouquet qui est arrivé juste avant moi ! Est-ce qu'il croit vraiment que cela change quoi que ce soit à ce qui s'est passé ? — Probablement... — Eh bien, ce n'est pas le cas. J'ai eu le cour brisé une fois et je ne compte pas recommencer. — Peut-être que tu devrais rentrer, le laisser te supplier et l'envoyer paître. Althea s'interrompit brusquement, el e venait de sentir une brusque contraction. La troisième en moins d'une demi-heure. — Que se passe-t-il ? demanda Natalie, inquiète. Tu te sens bien ? — Oui, répondit Althea, sentant la contraction se prolonger. Tu sais, je crois que je ne vais pas tarder à accoucher... — Quoi ? s'exclama Natalie, très pâle. Ne bouge pas, je vais chercher Colt... — Oui, je crois que ce serait mieux, approuva Althea en grimaçant. On dirait que le bébé est subitement pressé de sortir... * ** Deirdre avait décidé de rentrer travail er chez el e. El e avait attrapé un mauvais rhume à cause de la pluie et ne se sentait pas très bien. En grimaçant, el e regarda le bouil on qu'el e s'était confectionné et décida finalement d'opter pour un grog. Rien ne valait une bonne dose de whisky dans une tasse de thé pour se remettre d'aplomb. Regagnant son bureau, el e remit ses lunettes de lecture et se replongea dans la lecture des comptes que lui avait confiés Natalie. Quelque chose la tracassait et el e commençait à se demander s'il n'y avait pas une erreur d'écriture quelque part. Mieux valait tout reprendre de zéro, décida-t-el e en soupirant avant de glisser l'un des CD dans son ordinateur. Pendant quelques minutes, el e passa en revue toutes les lignes, réalisant avec angoisse ce qui s'était passé. Mais c'était impossible, bien sûr... Une tel e erreur ne pouvait pas leur avoir échappé. À moins qu'il ne s'agisse pas d'une erreur... Et c'est ce que lui souffla la part de son esprit qui n'était que logique. La bouche sèche, el e recalcula pour la cinquantième fois, retombant sur le même résultat. Un quart de mil ions de dol ars avaient disparu quelque part. Et la personne qui les avait détournés avait pris grand soin de maquil er les comptes pour que personne ne puisse s'en apercevoir. Personne sauf Deirdre pour qui la comptabilité était un art dans lequel el e était passée maîtresse depuis de longues années... Décrochant le téléphone, el e appela aussitôt le bureau. — Maureen ? C'est Deirdre. — Mademoisel e Marks ? Que se passe-t-il ? — Il faut impérativement que je parle à Natalie et tout de suite. — Beaucoup de gens cherchent à la joindre. — C'est très urgent, Maureen. El e est chez son frère, n'est-ce pas ? Donnez-moi son numéro. — Je n'ai pas le droit de le faire, mademoisel e... Et de toute façon, el e n'est plus là-bas. Son avion a décol é il y a une heure. El e ne devrait pas tarder à rentrer à Denver. * ** Tandis que Natalie se trouvait dans l'avion la ramenant chez el e, el e repensait à l'accouchement d'Althea. Il avait duré plus de douze heures mais el e avait finalement mis au monde un magnifique petit garçon qui était en parfaite santé, pour le plus grand bonheur de ses parents. Assister à l'enfantement avait été pour la jeune femme l'une des expériences les plus fortes et les plus bel es de son existence. Avec Colt, el e avait encouragé Althea, lui prodiguant des paroles de réconfort tandis qu'el e souffrait. Mais, de bout en bout, son amie avait gardé dans les yeux une lueur de bonheur sauvage. Et lorsque Colt et el e avaient enfin tenu ce petit bonhomme miniature dans leurs bras, Natalie avait été incapable de maîtriser la crise de larmes qui l'avait terrassée. Et, pour une fois, Boyd s'était abstenu de se moquer d'el e, se souvenant probablement de ce que lui-même avait ressenti en voyant naître ses propres enfants. Ils avaient quitté l'hôpital pour se rendre directement à l'aéroport, sans même se parler, encore envoûtés par le miracle sans cesse répété de la vie. Ce voyage avait été magique, tant sur le plan personnel que professionnel. Dans chacune de ses filiales, el e avait été accueil ie en triomphe. Tous les résultats dépassaient leurs attentes et el e avait trouvé le site idéal pour implanter une nouvel e boutique à Washington. El e pourrait y retourner très bientôt pour veil er personnel ement à son ouverture. Ce serait fantastique de se retrouver de nouveau auprès de Boyd, d'Althea et de leurs enfants... Bien sûr, el e devrait attendre que cette histoire d'incendies soit définitivement résolue et que les policiers aient retrouvé l'homme qui les avait commandités. S'il s'agissait bien de l'un de ses col aborateurs, el e devrait veil er à restaurer la confiance et à aider le personnel à franchir un cap douloureux. Ensuite, el e laisserait Donald s'occuper du bureau de Denver et pourrait rapatrier le siège à Washington. Donald était un cadre bril ant et ambitieux et il avait bien mérité un bureau de direction après les efforts qu'il avait déployés récemment. Fronçant les sourcils, la jeune femme fut de nouveau saisie par l'impression de malaise qui s'était emparée d'el e en revenant de la boutique de Denver. Donald lui avait alors parlé du bureau du gérant, regrettant sa disparition. Comment avait-il su à quoi il ressemblait exactement ? Il n'avait aucune raison de se rendre au magasin dans le cadre de ses fonctions... La jeune femme rassembla ses souvenirs, tentant de se rappeler ce qui s'était passé entre le moment où el e avait acheté le bureau et le moment où la boutique avait brûlé. Pas une seule fois Donald n'avait parlé de se rendre au magasin. À sa connaissance, la première fois qu'il y avait mis les pieds, c'était au cours de leur inspection. Secouant la tête, Natalie se réprimanda, el e commençait à devenir paranoïaque. Après tout, Donald avait pu visiter les lieux à titre purement informatif sans lui en faire part. Cela expliquait qu'il ait pu voir le bureau.. Mais, dans ce cas, comment avait-il su que les dégâts étaient purement superficiels ? Ryan avait interdit l'accès aux lieux du sinistre et el e avait ensuite fait évacuer le meuble par l'équipe chargée de refaire la décoration. L'avait-il lu dans un quelconque rapport ? C'était peu probable, Ryan ayant veil é à ce qu'el e seule soit informée des précisons de l'enquête. En avait-el e parlé à Donald ? Mais en apprenant que le coupable était sûrement l'un de ses col aborateurs, el e avait jugé préférable de leur en dire le moins possible dans l'espoir que l'un d'eux se couperait peut-être. Était-ce justement ce qui s'était produit, lorsque Donald avait mentionné le bureau ? El e sentait son inquiétude grandir. Mais pourquoi aurait-il fait une chose pareil e ? Quel motif aurait-il eu de détruire leur stock et leur équipement, à l'usine ? À moins qu'il n'ait visé quelque chose d'autre. Comme les comptes qui se trouvaient à l'entrepôt et dans le bureau du gérant. Ce qui expliquerait le point d'origine que Jacoby avait choisi tout en sachant que les dégâts ne seraient pas aussi importants... Heureusement, el e avait conservé des copies de ces documents dans son coffre. Et Deirdre en avait un autre jeu pour effectuer l'audit. Il serait donc facile de vérifier ce qu'ils contenaient et s'ils donnaient une raison suffisante à Donald de recourir à des mesures aussi extrêmes. Natalie pria pour que tel ne fût pas le cas. L'avion était en retard et, dans le hal de l'aéroport, Ryan commençait à perdre patience. Natalie était toujours d'une ponctualité extrême et voilà qu'el e était en retard au moment où il se sentait prêt à exploser. Jamais il ne s'était senti aussi tendu de sa vie. Son coeur battait à cent à l'heure et une sueur glacée recouvrait son corps tandis qu'il gardait les yeux fixés sur l'horloge murale qui semblait avancer au ralenti. Si Maureen n'avait pas fini par avoir pitié de lui, il n'aurait même pas su que la jeune femme revenait le soir même. C'était el e qui l'avait appelé pour le lui dire sous le sceau du plus grand secret. Tout le monde paraissait savoir qu'il était éperdument amoureux d'el e, Maureen, les hommes à la caserne, sa propre secrétaire... Tous se montraient emplis de sol icitude à son égard et il se faisait parfois l'impression d'être un enfant que les adultes cherchaient vainement à consoler. Mais peu lui importait tant que Natalie se trouvait dans cet avion et qu'il avait une chance de lui parler enfin. Ensuite, tout serait oublié, les regards apitoyés, les plaisanteries étouffées, les al usions douteuses, et cette impression de manque qui l'étouffait chaque jour, à chaque instant. Bon sang, il avait juste commis une erreur ! Une toute petite erreur qu'el e paraissait bien décidée à lui faire rembourser au centuple. Mais si c'était le prix à payer, il était prêt à le faire. Serrant son bouquet de jonquil es, il commençait à faire les cent pas lorsque la voix mécanique d'une hôtesse annonça enfin dans les haut-parleurs l'atterrissage du vol en provenance de Denver. Dès qu'il la vit passer la porte des arrivées, son angoisse redoubla. El e aussi le vit et tourna brusquement pour s'éloigner, se dirigeant à grands pas vers la sortie. Il ne lui laissa pas le temps de fuir et la rattrapa en quelques foulées. — Bienvenue au pays, Natalie, lui dit-il d'une voix étranglée par l'émotion. — Va te faire voir, répliqua-t-el e sans ménagement. — C'est ce que j'ai fait au cours de ces derniers jours, répondit-il sans se laisser démonter. J'ai vécu un véritable enfer. Tiens, ajouta-t-il en lui tendant son bouquet. — Tu veux vraiment que je te dise ce que tu devrais faire de ces maudites fleurs ? articula-t-el e, rageuse. — Pourquoi as-tu refusé de me parler lorsque je t'ai appelée ? — Parce que je n'avais aucune envie de le faire, déclara-t-el e en accélérant l'al ure. — Comment s'est passé ton voyage ? Cette fois, el e ne répondit même pas. — Écoute, plaida Ryan. J'essaie de te présenter mes excuses... — Eh bien, tu peux te les garder. — J'ai tout gâché, je suis désolé... C'est ce que je voulais te dire au téléphone. Mais tu ne prenais jamais mes appels. — Tout être doué d'un semblant d'intel igence aurait compris ce que cela voulait dire, déclara Natalie tandis qu'ils sortaient de l'aéroport. Aussitôt, el e se dirigea vers la borne des voitures de location. — Je suis venu te chercher pour que nous puissions discuter de tout cela... — C'était inutile, j'ai commandé une voiture. — J'ai annulé la réservation, lui dit Ryan, se gardant bien de préciser qu'en réalité, c'était Maureen qui l'avait fait. Il ne servait à rien d'entraîner cette âme charitable dans sa chute. — Dans ce cas, je vais prendre un taxi. — Ne sois pas aussi butée. Je pourrais t'arrêter ici même et te forcer à venir avec moi. — Tu perdrais ton emploi pour abus de pouvoir. — Je m'en contrefiche tant que je peux te parler. Natalie s'arrêta brusquement. El e ne lui en voulait pas au point de ruiner une carrière qui lui tenait tant à coeur. Pourtant, el e le connaissait assez pour savoir qu'il était prêt à mettre ses menaces à exécution. — Très bien, soupira-t-el e. Dans ce cas, conduis-moi au bureau. — Il est à peine 8 heures, il n'est pas encore ouvert. — Eh bien, je l'ouvrirai moi-même. — D'accord, s'inclina Ryan. Je peux prendre ta valise ? La jeune femme la lui tendit et il fut surpris de la trouver aussi lourde. — Il doit y avoir assez de vêtements pour une troupe entière, remarqua-t-il en souriant. — Et alors ? Ryan soupira, réalisant que la partie était loin d'être gagnée. — J'ai lu que l'ouverture de Lady's Choice avait été couronnée de succès, dit-il pour faire diversion. Il y avait même des articles dans Newsday et Business Week. — La campagne a bien marché, reconnut Natalie tandis qu'il ouvrait le coffre de sa voiture pour y déposer sa valise. — C'est extraordinaire. Je suis vraiment heureux pour toi... Bon sang, ajouta-t-il en se tournant vers el e, si tu savais à quel point tu m'as manqué. El e recula tandis qu'il essayait de la prendre dans ses bras, bien décidée à ne pas lui donner une nouvel e occasion de lui faire du mal. — Comme tu veux, se résigna-t-il en laissant retomber ses bras le long de son corps. Je ne chercherai pas à éviter les coups, tu sais. Je suppose que je les ai amplement mérités. — Je n'ai aucune envie de me battre contre toi, répondit-el e sèchement. J'ai fait un voyage éprouvant et je suis fatiguée. — Laisse-moi te ramener chez toi. Tu as besoin de te reposer. — Je t'ai dit que je voulais al er au bureau, lui rappela-t-el e tandis qu'il lui ouvrait galamment la portière. El e prit place sur le siège passager tandis qu'il contournait la voiture pour s'instal er au volant. Il déposa le bouquet de jonquil es sur ses genoux. — Ils n'ont toujours rien pu tirer de Clarence, dit-il en démarrant. — Je sais. Je suis restée en contact avec le chef de la police pendant mon voyage. — Tu sais que je t'ai suivie jusqu'à Atlanta ? — Quoi ? — Lorsque tu es partie de chez moi, tu as dû trouver un taxi tout de suite. Il m'a fal u vingt minutes pour en dénicher un et lorsque je suis arrivé à ton appartement, tu étais déjà repartie. J'ai trouvé les références de ton vol sur la table de nuit et j'ai aussitôt foncé à l'aéroport mais ton avion venait de décol er. — Et tu m'as suivie ? demanda-t-el e, un peu ébranlée de découvrir le mal qu'il s'était donné. — Oui... J'ai pris le premier vol, le lendemain matin, et je suis al é à ton hôtel pour que nous réglions ce malentendu. — Nous l'avions déjà réglé, lui rappela-t-el e. — Lorsque je suis arrivé, tu étais déjà repartie pour tes bureaux. Je t'aurais étranglée... Au magasin, ils m'ont dit que tu venais de repartir pour l'aéroport. Et une fois de plus, j'ai raté ton avion de quelques minutes. Ébahie, Natalie le contemplait. Pas un seul instant, el e ne s'était doutée qu'il la filait de cette façon. Et le fait de le découvrir lui procurait un étrange mélange de plaisir et de frustration. — Ne t'attends pas à ce que je m'excuse, lui dit-el e pourtant. — Mais c'est moi qui essaie de m'excuser, protesta-t-il. — Il n'y a pas de quoi. J'ai eu tout le temps de réfléchir à ce que tu m'avais dit et je pense qu'en définitive, c'est toi qui avais raison. Il existait entre nous une forme de désir instinctif mais ce n'était pas suffisant pour bâtir une relation durable. — Nous avions beaucoup plus que cela, Natalie... — Nous sommes arrivés, l'interrompit-el e en désignant le building qui abritait ses bureaux. Ryan ralentit, cherchant une place des yeux. Sans attendre, la jeune femme descendit de voiture et, le laissant récupérer ses bagages, traversa la rue pour gagner la porte d'entrée. Sans prendre la peine de chercher un parking, Ryan laissa sa voiture sur la première place de livraison venue et se précipita à sa poursuite. — Bon sang, Natalie, lui cria-t-il en la voyant entrer dans l'ascenseur. Arrête-toi une minute... — C'est inutile, Ryan. Nous n'avons plus rien à nous dire, répondit-el e en pressant le bouton de son étage. Sous l'oeil médusé du portier, il se rua dans la cabine, juste au moment où les portes se refermaient. — Tu as dit que tu m'aimais, dit-il, essoufflé. — Je m'en suis remise. — Tu mens. — Vraiment ? Tu es sûr que ce n'est pas ton ego qui parle ? Tu es en train de me faire une scène parce que je ne suis pas revenue lorsque tu m'as rappelée, parce que je n'ai plus envie de toi. — Cela n'a rien à voir, s'insurgea-t-il. J'avais tort... Je t'ai fait venir chez moi ce soir-là pour te démontrer à quel point il était évident que nous n'avions aucune chance, toi et moi. Nous ne sommes pas du même monde et tu aurais dû le réaliser en voyant mon appartement. — Es-tu en train de me dire que tu m'as plaquée juste à cause de cela ? — Oui. Je ne pourrai jamais mener la vie que tu mènes. Nous vivons dans des sphères complètement différentes. Je n'ai pas assez d'argent pour payer les restaurants que tu fréquentes. Mes amis ne vivent pas dans des manoirs gothiques. Je ne pourrai jamais t'offrir des bijoux comme ceux que tu portes en ce moment même. — Alors c'était juste une question d'argent ? articula-t-el e, partagée entre stupeur et colère. Tu m'as brisé le coeur pour une question d'argent ! — Natalie, ce n'est pas ce que tu crois, plaida-t-il en s'avançant pour l'embrasser. — Ne me touche pas ! dit-el e en se précipitant hors de la cabine au moment où l'ascenseur atteignait son étage. Tu m'as plaquée parce que tu croyais que j'attendais de toi des repas au restaurant, des manoirs et des diamants ? C'est ridicule, Ryan ! Je savais très bien que tu ne pouvais pas me les offrir. Mais c'est toi que je voulais. Juste toi... — Natalie, lui dit-il en la prenant par les épaules, la forçant à le regarder en face. Je t'en prie... — Et en plus, le coupa-t-el e, tu as l'audace de me traiter de snob ? — C'était stupide de ma part. Que veux-tu que je te dise de plus ? Je ne savais pas. — Eh bien, sache que tu m'as fait mal, Ryan. Plus mal que n'importe qui avant toi... — Je le sais, murmura-t-il, paniqué à l'idée de la perdre une fois de plus. Je suis désolé... Je ne savais pas, répéta-t-il, suppliant. Je croyais que tu finirais par me quitter, de toute façon. — Alors tu as décidé de partir le premier ? — Oui. — Tu es un lâche, Ryan. Maintenant, va-t'en. Laisse-moi réfléchir à tout ça. Je ne sais même plus ce que je ressens pour toi... — Tu m'aimes encore. Et je ne partirai pas d'ici tant que tu ne me l'auras pas dit. — Dans ce cas, tu risques d'attendre encore longtemps... Un téléphone sonna quelque part et Natalie se demanda qui pouvait appeler à une heure pareil e. — Je suis à bout, reprit-el e tandis que la sonnerie se prolongeait. J'ai découvert que je t'aimais et, l'instant d'après, tu me rejetais. Je ne sais plus où j'en suis aujourd'hui je veux pouvoir faire le point sur mes sentiments. — Moi, je sais parfaitement ce que je ressens, répondit Ryan. Je t'aime, Natalie. Dans l'intensité du silence qui suivit cette déclaration, la sonnerie du téléphone paraissait presque surréaliste. — Ce n'est pas juste ! s'exclama enfin la jeune femme. — Peu importe ce qui est juste, murmura Ryan en caressant doucement les cheveux de Natalie. Je t'aime. Sa main se figea brusquement tandis qu'il repérait une odeur terriblement familière. Comment ne l'avait-il pas remarquée avant ? — Le feu ! cria-t-il. Prends les escaliers de secours. Appel e les pompiers, vite ! Sans attendre, il se rua au fond du couloir, se maudissant de n'avoir pas été plus rapide à déceler l'incendie. Lorsqu'il arriva devant la porte de verre du bureau de Natalie, il devina à travers la surface dépolie les flammes qui dansaient derrière. — Mon Dieu, Ryan, murmura la jeune femme qui l'avait suivi sans tenir compte de ses instructions. Réalisant ce qui était sur le point de se produire, Ryan se retourna vers el e et la plaqua sur le sol, la recouvrant de son corps. À cet instant, la porte explosa en une multitude d'éclats de verre tandis qu'une langue de feu émergeait du bureau dévasté. Chapitre 12 Une vague de flamme, de douleur et d'angoisse submergea Natalie tandis que sa tête percutait violemment le sol. Pendant ce qui lui parut être une éternité, el e resta immobile, sonnée, tentant vainement de comprendre ce qui venait de lui arriver. Lorsque la mémoire lui revint, el e crut brusquement que Ryan était mort. Son corps continuait de peser sur le sien, apparemment inerte. Mais, avant même qu'el e ait eu le temps de crier son nom, il bondit sur ses pieds et l'aida à se redresser, la plaquant contre le mur. — Ça va ? demanda-t-il aussitôt. El e hocha la tête, assail ie par le nuage de fumée noire qui avait envahi le couloir. El e le sentait déjà s'introduire dans sa gorge et ses poumons. Ryan, quant à lui, était couvert de sang. Son blouson en cuir l'avait protégé de la plus grande partie des éclats de verre mais plusieurs s'étaient fichés dans son cuir chevelu, le faisant saigner abondamment de la tête. Il ne s'attarda pourtant pas à ces considérations, sachant qu'il était crucial d'agir très vite. Le feu s'était déjà communiqué au couloir, leur bloquant l'accès à l'ascenseur. Leur seule chance était d'atteindre les escaliers de secours. Mais pour cela, il leur faudrait battre de vitesse l'incendie qui se répandait dans les bureaux. Entraînant la jeune femme, il gagna la porte suivante au moment où el e explosait à son tour. Une nouvel e langue de flamme leur barra la route se communiquant au tapis qui se mit à brûler comme une rivière de feu liquide. Natalie hurla, réalisant qu'ils étaient cernés. Une peur panique s'était emparée d'el e, la rendant incapable de réagir. Luttant contre l'hystérie qui menaçait de la submerger à chaque instant, el e sentit Ryan qui la tirait par la manche. El e s'accroupit auprès de lui et tenta de se contrôler. — Reste aussi près du sol que tu le peux, lui ordonna-t-il. Stupéfaite, el e remarqua que sa voix était calme, parfaitement maîtrisée. Se raccrochant à cet ultime îlot de raison, el e s'exécuta. — Je n'arrive pas à respirer, dit-el e. La fumée la faisait tousser, et el e recracha le peu d'air qui restait dans ses poumons. — L'air est retenu près du sol, penche-toi en avant. Là, comme ça... Ryan regarda autour de lui et, froidement, conclut que s'ils restaient sur place, ils mourraient asphyxiés. Ils n'avaient aucune chance de tenir suffisamment longtemps pour que les secours arrivent. Et il n'avait rien pour combattre les flammes. — Retire ton manteau, ordonna-t-il à la jeune femme. Cel e-ci essaya de lui obéir mais ses membres étaient déjà gourds. — On va s'en sortir, lui promit Ryan en lui venant en aide. Une nouvel e explosion retentit derrière eux et la température augmenta sensiblement, les faisant abondamment transpirer. Natalie sentait la fumée envahir ses poumons, ralentissant le cours de ses pensées et rendant chaque geste plus difficile. El e aurait voulu s'al onger et dormir et seule la présence de Ryan la dissuadait de commettre cette folie. — Nous al ons mourir, gémit-el e. Je ne veux pas finir comme ça... — Nous n'al ons pas mourir, déclara Ryan en recouvrant la tête de la jeune femme de son manteau. La forçant à se relever, il la hissa sur ses épaules. Durant quelques secondes, il resta immobile, équilibrant son poids. Il contempla les deux murs de feu qui les entouraient et jugea qu'il courrait moins de risques en traversant celui qui menait aux escaliers. Il ne lui restait plus que quelques secondes avant que les flammes n'opèrent leur jonction et qu'ils ne finissent carbonisée au milieu du brasier et, s'il voulait tenter sa chance, il devait le faire maintenant. Prenant une dernière goulée d'air vicié, il s'élança au coeur de l'incendie. Immédiatement, il fut cerné de flammes qui s'attaquèrent à leurs vêtements, lui causant une douleur atroce. Natalie ne bougeait pas et il pria pour qu'el e se soit évanouie. Durant quelques secondes, il crut qu'il al ait s'effondrer mais l'idée que la jeune femme puisse mourir lui était insupportable et d'un bond, il quitta brusquement les flammes pour se retrouver dans une nouvel e poche de fumée. Aussitôt, il éteignit ses vêtements en feu et ceux de la jeune femme, luttant pour supporter la souffrance intolérable. Puis, à force de volonté, il hissa de nouveau Natalie, inconsciente, sur ses épaules et tituba jusqu'à la sortie de secours. Après avoir vérifié que la porte n'était pas brûlante, il l'ouvrit et sortit sur le palier de l'escalier, inhalant une profonde bouffée d'air frais. Il comprit que le feu ne tarderait pas à se propager à tous les étages, et ils ne pouvaient se contenter de rester sur place. D'autant qu'il ignorait dans quel état se trouvait la jeune femme. Rassemblant toutes les forces dont il disposait encore, il entreprit donc de descendre. — Ne m'abandonne pas, dit-il à Natalie en luttant contre l'épuisement. Ne t'avise pas de me laisser tomber. Il faut que tu t'accroches... Pendant une éternité, il descendit ainsi, marmonnant des encouragements qui s'adressaient autant à el e qu'à lui-même. Il transpirait abondamment, ne sentant plus ses jambes, devant lutter pour trouver son souffle au milieu de la fumée qui avait envahi la cage d'escalier. Le poids mort de la jeune femme sur ses épaules accentuait encore ce supplice, lui enfonçant dans le dos et la nuque les bouts de verre de la porte. Dix étages plus bas, il s'arrêta, titubant. Sa vue se brouil ait sous l'effet des larmes et de la sueur et il était pris dé violentes quintes de toux qui lui râpaient les poumons. Pourtant, il n'avait pas le droit d'abandonner. Il ne pouvait prendre le risque de laisser l'état de la jeune femme se détériorer. Reprenant sa marche, il tenta de faire le vide dans son esprit et d'oublier la douleur qui l'habitait. Se forçant à compter les étages, il resta concentré. Vingtième, dix-neuvième, dix-huitième... Vers le dixième étage, la fumée était beaucoup moins dense et il put respirer plus aisément. Cela lui redonna un peu de courage. En contrebas, il entendait le hurlement familier des sirènes. Huitième, septième, sixième... Au cinquième, il s'arrêta de nouveau, incapable de faire un pas de plus. S'adossant contre un mur, il s'abstint pourtant de déposer le corps de Natalie, sachant que, s'il le faisait, il n'aurait jamais la force de la soulever de nouveau. — Tu aurais dû m'écouter, murmura-t-il. Nous serions tranquil ement chez toi en train de faire l'amour... Brusquement, une vision lui apparut, le visage de Natalie lorsqu'ils faisaient l'amour. L'expression qui se lisait dans ses yeux lorsqu'il l'embrassait. Il ne pouvait pas renoncer à cela. Il ne pouvait pas vivre sans cela. S'armant de courage, il reprit donc sa progression, évoquant pour distraire son esprit brisé toutes les images qu'il avait conservées au cours de ces dernières semaines. Il fut presque surpris d'atteindre enfin la porte du rez-de-chaussée. La poussant du pied, il se retrouva dans le hal , nez à nez avec deux pompiers. — Bon Dieu ! s'exclama l'un d'eux. C'est vous, inspecteur ? — El e a besoin d'oxygène, parvint-il à articuler en poursuivant son chemin sans lâcher le corps de Natalie. Une fois dehors, il se dirigea vers l'ambulance la plus proche. — De l'oxygène, vite ! répéta-t-il en la déposant enfin sur une civière. Son visage était recouvert de suie et ses cheveux roussis par les flammes. Ryan ne savait pas si el e respirait encore. Autour de lui, des gens couraient et criaient mais il ne voyait rien d'autre que Natalie. Quelqu'un plaça un masque sur la bouche de la jeune femme et lui prit le pouls. — Est-ce qu'el e va s'en sortir ? demanda Ryan, au comble de l'angoisse. — El e respire, répondit l'infirmier. C'est tout ce que je peux vous dire... — El e respire, répéta Ryan comme dans un rêve. El e respire. Puis le monde entier se mit à tourner autour de lui et tout devint noir. Lorsqu'il reprit connaissance, Ryan se trouvait à l'hôpital. Alors qu'il tentait de se redresser péniblement, il sentit une main le repousser avec fermeté. — Restez tranquil e, lui dit la petite femme aux cheveux gris qui était en train de recoudre l'une de ses nombreuses coupures. J'aime que mes points de suture restent propres et vous avez déjà perdu assez de sang comme cela. — Natalie... — Nous nous occupons de Ml e Fletcher. Laissez-nous faire notre travail... Et cessez de bouger. Si vous essayez de vous lever encore une fois, je vous fais injecter un sédatif. — Combien de temps suis-je resté inconscient ? demanda-t-il. — Assez longtemps pour que je puisse vous recoudre en quinze endroits. Des lésions superficiel es mais votre bras risque de vous faire souffrir pendant quelques jours. — Je veux voir Natalie, insista-t-il d'une voix caverneuse. Je veux la voir maintenant. — Vous ne pouvez pas, répondit l'infirmière sans se laisser impressionner. Vous al ez rester bien sagement ici le temps que j'en aie fini avec vous. Ensuite, si vous êtes sage, j'enverrai quelqu'un prendre de ses nouvel es. — Faites-le tout de suite ! s'exclama Ryan d'un ton qui n'admettait pas de réplique. L'infirmière hésita puis décida qu'il valait mieux accéder à sa demande. Sinon, il risquait d'al er voir lui-même ce que devenait Ml e Fletcher. — Restez là, dit-el e avant de passer le rideau qui séparait la chambre en deux. El e appela une autre infirmière et lui demanda d'al er s'enquérir de l'état de santé de Natalie avant de revenir auprès de Ryan. — El e respirait, lui dit celui-ci, se raccrochant à son dernier souvenir. — Oui. Mais el e a absorbé beaucoup de fumée. Et vous aussi d'ail eurs. Je vais donc devoir vous administrer un traitement et vous al ez vous montrer coopératif. Plus vite nous aurons fini et plus vite vous pourrez al er voir Ml e Fletcher. L'autre infirmière revint et murmura quelques mots à l'oreil e de cel e de Ryan. — Apparemment, el e est en état de choc. El e souffre de quelques brûlures et de coupures légères. Je pense que nous devrons la garder ici durant un jour ou deux. Ryan se laissa retomber sur son oreil er, submergé par une vague de soulagement. Quelques heures plus tard, s'étant plié à un décrassage pulmonaire en règle, Ryan se leva malgré les protestations de son infirmière et sortit pour gagner la chambre de Natalie. Devant la porte, Deirdre attendait patiemment d'avoir le droit de rendre visite à la jeune femme. — Comment va-t-el e ? lui demanda aussitôt Ryan. — Ils m'ont dit qu'el e irait bientôt beaucoup mieux. Ils sont encore en train de lui faire passer divers examens. — Dieu soit loué ! — J'ai appelé le frère de Natalie, ajouta Deirdre. Il est en route. Je lui ai dit que sa soeur avait été blessée mais que ce n'était pas très grave. Ryan hocha la tête, s'appuyant sur l'une des chaises de la sal e d'attente pour éviter de vacil er. — Je lui ai aussi fait part de ce que j'avais découvert... Je n'étais pas au bureau ces derniers jours parce que j'étais grippée. Mais j'ai emporté la comptabilité de la société pour m'avancer dans mon travail. Et comme je vérifiais les comptes, j'ai constaté plusieurs irrégularités portant sur des sommes conséquentes. — Qui est responsable ? demanda aussitôt Ryan. — Je n'ai pas encore de certitudes... — Qui ? répéta-t-il, menaçant. — Je vous l'ai dit, je n'ai pas de preuves. Il faut d'abord que je parle à Natalie de tout cela... Et il est hors de question que je vous donne le nom de mon suspect, vous seriez capable d'al er lui régler son compte sans autre forme de procès, ajouta Deirdre en avisant la lueur meurtrière qui passait dans les yeux de Ryan. Il paraissait très éprouvé mais el e était bien trop intel igente pour se laisser abuser par les apparences. Un homme qui avait eu la volonté de descendre près de trente étages alors qu'il était gravement brûlé avec une femme évanouie sur les épaules était capable de tout. — Dès que j'ai acquis la certitude qu'il y avait eu un détournement de fonds, reprit-el e, j'ai essayé de contacter Natalie. Mais el e avait déjà quitté le Colorado. Je savais qu'el e viendrait directement au bureau avant de retourner chez el e et j'ai décidé de m'y rendre. Mais lorsque je suis arrivée, les bureaux étaient déjà en feu. J'ai tout de suite appelé les secours et je suis al ée prévenir le portier. C'est là que nous avons entendu cette explosion... Deirdre secoua la tête, encore sous le choc de ce qui s'était produit. — Je savais qu'el e était là-haut et je ne pouvais rien faire... — En appelant les secours, vous lui avez probablement sauvé la vie, la rassura gentiment Ryan. C'était la seule chose à faire. — Inspecteur ? fit alors l'infirmière qui les avait rejoints. J'ai obtenu un droit de visite spécial pour vous. — Comment va-t-el e ? — Son état s'est stabilisé et nous l'avons mise sous sédatif. Mais vous pouvez al er la voir puisque vous en avez tel ement envie. — Vous me direz comment el e est ? demanda Deirdre. — D'accord, acquiesça Ryan avant de pénétrer dans la petite chambre dans laquel e Natalie avait été instal ée. El e reposait sur son lit, très pâle et parfaitement immobile. Mais sa main, lorsqu'il la prit, était tiède. — Vous pouvez passer la nuit ici, si vous voulez, lui proposa l'infirmière. La chaise n'est pas très confortable mais enfin... — Ne vous en faites pas, je suis pompier. Je suis habitué à dormir dans des conditions bien pires, la rassura Ryan avec un sourire plein de reconnaissance. — Eh bien, monsieur le pompier, faites comme chez vous. Je vais prévenir votre amie dehors que tout va bien et qu'el e peut rentrer chez el e. — Merci, lui dit Ryan avant qu'el e ne quitte la pièce. Il s'assit alors sur la chaise, tenant toujours la main de la jeune femme dans la sienne. Pendant les heures qui suivirent, il s'endormit une fois ou deux. Plusieurs fois, une infirmière vint lui demander de sortir pendant qu'el e administrait un traitement à Natalie. Alors qu'il sortait ainsi pour la quatrième fois, il se retrouva nez à nez avec Boyd. — Piasecki... — Tout va bien, capitaine, le rassura-t-il aussitôt. El e dort. Sans un mot, Boyd poussa la porte et entra dans la chambre. Pendant ce temps, Ryan al a se servir un café à la machine qui se trouvait dans le couloir. Il était incapable de penser clairement, ne voulait pas même essayer. Sinon, il le savait, tout lui reviendrait d'un coup, la terreur sur le visage de Natalie, les flammes, le rugissement sourd du dragon... Une sensation de brûlure le fit sursauter et il constata qu'il venait d'écraser son gobelet, répandant le café sur son bras. — Vous en voulez un autre ? fit la voix de Boyd, derrière lui. — Non, merci, déclina Ryan en s'essuyant la main sur son jean. Vous voulez qu'on sorte pour que vous puissiez me donner la correction que je mérite ? — Est-ce que vous vous êtes regardé dans une glace, Piasecki ? demanda Boyd en riant. — Pourquoi ? — Parce que vous êtes une véritable ruine, mon vieux, expliqua l'autre en commandant un café. Franchement, je ne serais pas capable de frapper un homme dans cet état. — Je vous avais promis de veil er sur el e et j'ai bien fail i la tuer. — Ce n'est pas vous qui avez mis le feu au bureau, que je sache... — Non. Mais je savais que Clarence n'était qu'un instrument. Je savais qu'il y avait un commanditaire. Mais j'étais si distrait par mes sentiments pour votre soeur que je n'ai même pas pensé qu'il pouvait engager un autre incendiaire pour finir le travail. J'ai pourtant entendu ce maudit téléphone sonner. Cela aurait dû me paraître étrange, à une heure pareil e. — Quel rapport avec le téléphone ? — Eh bien, c'est sans doute au téléphone qu'était relié le dispositif incendiaire, expliqua Ryan. C'est la façon la plus sûre et la plus fiable de déclencher un feu à distance. Il suffit de connaître le numéro... — C'est malin. Mais franchement, je ne vois pas comment vous auriez pu y penser à moins d'être complètement paranoïaque. — C'est mon métier d'être paranoïaque lorsqu'il s'agit d'une enquête, lui rappela Ryan. J'aurais pu le deviner. — Pas sans une boule de cristal, à mon avis. — J'étais censé la protéger, protesta Ryan. — Écoutez, j'ai passé quelques coups de téléphone dans l'avion. Et j'ai longuement discuté avec le chef des pompiers. Il m'a dit que vous aviez porté Natalie sur plus de trente étages alors que vous-même étiez gravement blessé. Il m'a aussi décrit l'état dans lequel vous étiez en arrivant en bas. Quant au médecin qui a traité Natalie, el e m'a affirmé que si el e avait passé ne serait-ce que dix minutes de plus dans la fumée, el e serait sans doute morte à l'heure qu'il est. Alors si vous voulez mon opinion, Piasecki, je dirais que ce dont vous êtes avant tout responsable, c'est d'avoir sauvé la vie de ma soeur. Je ne pourrai jamais vous rembourser cette dette. — Vous ne me devez rien, protesta Ryan. — Vous vous trompez une fois de plus. Je tiens à el e tout autant que vous. Et à ce propos, je serais curieux de savoir ce que vous avez bien pu lui faire pour la rendre aussi malheureuse. — Nous avons eu un léger malentendu, expliqua-t-il avec un pâle sourire. Mais nous essayons de passer le cap... — J'espère que vous y parviendrez, déclara Boyd en lui tendant la main. — Merci, dit Ryan en la serrant. — Je suppose que vous ne bougerez pas de là, ajouta Boyd. Prenez bien soin d'el e en attendant mon retour. J'ai un petit travail à effectuer. — Deirdre vous a dit qui était responsable ? demanda Ryan en plissant les yeux. — Oui. Et j'ai aussitôt prévenu mes col ègues. Ils s'occupent de tout. Et ne vous avisez pas de vous en mêler, Ryan. Je ne veux pas avoir à vous faire arrêter pour coups et blessures ou pour meurtre. Par contre, je compte sur vous pour trouver toutes les preuves susceptibles de relier notre homme aux incendies. — Qui est-ce ? — Donald Hawthorne. Il faisait partie de ma liste de suspects. Je l'avais réduite à quatre en faisant quelques recherches. Apparemment, il avait effectué plusieurs retraits conséquents en liquide sur son compte courant. Quant à l'argent de la société, il doit être quelque part du côté de Genève et nous sommes sur sa piste. — Pourquoi ne m'avez-vous pas transmis ces informations plus tôt ? — Parce que je voulais être certain de l'identité du commanditaire. Maintenant, je n'ai plus de doutes. — Je le lui ferai payer, déclara Ryan, une lueur assassine dans les yeux. — Soyez raisonnable, Piasecki. Si vous le tuez, vous serez le premier suspect et je serai obligé de vous arrêter. Or je n'ai aucune envie de passer les menottes à mon propre beau-frère. — Je ne suis pas votre beau-frère, objecta Ryan. — Pas encore. Mais je compte bien que vous le deveniez. Alors retournez auprès d'el e et tâchez de dormir un peu. — D'accord... Mais faites en sorte d'enfermer Donald Hawthorne dans un endroit où je ne pourrai pas l'atteindre. — Tel e est bien mon intention. Tandis que le soleil se levait dans la petite chambre d'hôpital, Ryan sentit la main de Natalie bouger légèrement. — Tout va bien, Natalie, murmura-t-il en se penchant vers el e. Tu as juste avalé un peu trop de fumée. Tu as dormi et maintenant, tu vas te rétablir très vite. Mais il ne faut pas que tu parles, ta gorge doit être dans un piteux état... — Toi, tu parles, objecta-t-el e. — Oui, répondit-il. Et je suis bien placé pour te le déconseil er. J'ai l'impression d'avoir avalé une râpe à fromage. — On n'est pas morts, alors ? demanda-t-el e pourtant. — Si c'est le cas, c'est que les médecins m'ont menti, plaisanta-t-il en luttant contre les larmes de soulagement qui lui montaient aux yeux. Tiens, ajouta-t-il en lui tendant un verre d'eau. Avale quelques gorgées. El e s'exécuta et se mit à tousser. — Est-ce que nous sommes gravement brûlés ? croassa-t-el e lorsque la quinte s'arrêta. — Presque pas. — Je ne sens rien à part mon front. — Désolé, c'est à cause de moi. Tu t'es cogné la tête lorsque je t'ai projetée à terre, expliqua Ryan en souriant. — El e ouvrit enfin les yeux et regarda la chambre autour d'el e. — Nous sommes à l'hôpital, murmura-t-el e pour el e-même. Se tournant vers Ryan, el e sentit les battements de son coeur s'accélérer. Il portait un bandage autour de la tête et avait plusieurs coupures sur les joues et le cou. Son bras était retenu par une écharpe et il avait vraiment mauvaise mine. — Tu es blessé ? — Quelques coupures sans gravité, la rassura-t-il. Maintenant, tais-toi et tâche de te reposer un peu. — Qu'est-il arrivé, exactement ? — Disons qu'il va fal oir te trouver de nouveaux bureaux... El e ouvrit la bouche pour parler mais il leva la main, lui intimant le silence. — Si tu continues à parler, je ne te dis rien. D'accord ? El e hocha la tête et, pour une fois, se plia à ses instructions. Il lui raconta en détail ce qui s'était passé au cours de ces derniers jours. Lorsqu'il lui apprit que c'était Donald qui avait commandité les incendies, el e ouvrit la bouche, apparemment furieuse. Mais Ryan plaça doucement une main sur ses lèvres pour l'empêcher de parler. — Il n'y a rien que tu puisses faire tant que tu ne seras pas rétablie, lui dit-il gentiment. De toute façon, la police s'en occupe et moi aussi. Alors tâche, de te rétablir très vite pour pouvoir réparer les dégâts au sein de ton entreprise. D'accord ? El e fit mine de protester mais fut interrompue par une nouvel e quinte de toux. Le temps qu'el e reprenne possession de ses moyens, une infirmière était déjà arrivée et avait jeté Ryan dehors. El e ne le revit plus durant les vingt-quatre heures qui suivirent. — Tu ne crois pas que tu pourrais rester un jour de plus ? demanda Boyd en regardant Natalie boucler la petite valise qu'il lui avait apportée la veil e. — Je déteste les hôpitaux, déclara-t-el e. — Oui, je sais. En attendant, tu dois me promettre que tu t'accorderas une semaine de repos complet chez toi. Sinon, je demande à Cil a de venir avec papa et maman. — Ça ne sert à rien, protesta Natalie. — Ça ne dépend que de toi, soeurette... — Trois jours. — Une semaine entière, répliqua Boyd. Si tu crois être la seule à savoir négocier, tu te trompes. Nous avons ça dans le sang. — D'accord, d'accord, une semaine... De toute façon, cela ne fait pas une grande différence la moitié de l’immeuble est détruite et je n'ai plus de bureau... — Je te fais confiance pour t'en occuper la semaine d'après. D'ici là, nous aurons la déposition de Hawthorne. Apparemment, il ignorait que Ryan et toi vous trouviez dans l'immeuble mais ce n'est pas cela qui changera les choses, il risque plusieurs années de prison. — Tout ça pour de l'argent, murmura Natalie en secouant la tête. El e faisait les cent pas dans sa chambre, incapable de maîtriser la colère qui l'envahissait. — Comment a-t-il pu en arriver là ? Il était l'un des cadres les mieux payés de la boîte. Apparemment, il avait fait quelques spéculations malheureuses. Il a commencé par ponctionner un peu d'argent sans se faire remarquer avant de devenir de plus en plus gourmand. — Il a dû se sentir terriblement frustré lorsque je lui ai annoncé que j'avais toujours des copies des comptes, après l'incendie de l'usine. — Oui. Et comme il ne savait pas où tu les conservais, il s'est attaqué au magasin. Voyant qu'ils n'étaient pas là, il s'est rabattu sur le dernier endroit qui restait, ton bureau. En attendant le chaos créé par les incendies détournait l'attention des gens de l'audit qui finirait inévitablement par le démasquer. — Mais j'avais confié une copie à Deirdre. — Il ne te connaissait pas aussi bien que moi, j'aurais su que tu te débrouil ais toujours pour finir ton travail à temps. Et j'aurais su également que tu foncerais à ton bureau dès ton arrivée à Denver. Lorsque nous le lui avons appris, il a craqué, craignant d'être mis en cause pour tentative de meurtre. — Et dire que je lui faisais entièrement confiance... Comment ai-je pu me tromper à ce point sur l'un de mes plus proches col aborateurs ? À cet instant, la porte s'ouvrit et Ryan les rejoignit. — Ravi de vous revoir, dit Boyd en se levant pour lui serrer la main. — Pourquoi n'es-tu pas dans ton lit ? demanda Ryan. — J'ai signé un formulaire de sortie. — Tu n'es pas encore en état de quitter l'hôpital, protesta-t-il. — Euh, excusez-moi, fit Boyd en s'éclipsant. Je crois que j'ai une brusque envie de café chaud... Ni Ryan ni Natalie ne prêtèrent attention à sa retraite prudente. — Depuis quand es-tu titulaire d'un diplôme de médecine ? demanda la jeune femme. — Je sais très bien dans quel état tu étais en arrivant ici, crois-moi. — Eh bien, si tu t'étais seulement soucié de venir me voir de temps à autre, tu saurais que je me suis rétablie, répliqua-t-el e. — J'avais beaucoup de choses à régler. Et tu avais besoin de repos... — J'aurais préféré te voir. — Je suis ici, maintenant, dit-il en lui tendant le bouquet de jonquil es qu'il cachait derrière son dos. Natalie hésita, el e avait bien le droit de lui en vouloir encore. Après tout, il l'avait plaquée pour les raisons les plus stupides du monde... — Pourquoi n'offres-tu pas ces fleurs à quelqu'un qui les veut ? demanda-t-el e. — Si tu continues, je vais parler à ton médecin... — C'est hors de question ! Est-ce que j'ai parlé au tien lorsque tu as quitté l'hôpital ? J'avais besoin de toi, Ryan. J'étais fol e d'inquiétude à ton sujet. — Vraiment ? fit-il en caressant doucement sa joue. — Je voulais te voir. Des dizaines de gens m'ont rendu visite mais, apparemment, tu n'en voyais pas l'intérêt... — J'avais du travail, répondit il posément. Je voulais réunir toutes les preuves contre ce salaud aussi vite que possible. C'était la seule chose que je pouvais faire. Je l'aurais tué si je l'avais pu... — Ne dis pas ça, protesta Natalie, troublée par ce qu'el e lisait dans ses yeux. Je ne veux pas t'entendre parler de cette façon... — Je ne savais même pas si tu étais vivante, murmura Ryan. Tu ne bougeais plus et j'ignorais même pas si tu respirais encore... Brusquement, il l'attira contre lui et plongea son visage dans ses longs cheveux blonds. — Mon Dieu, Natalie... J'ai eu tel ement peur. — Tout va bien, à présent, le rassura-t-el e. N'y pense plus... — Je n'y ai plus pensé jusqu'à ce que tu ouvres les yeux, hier. Je n'aurais pas pu le supporter... Je suis désolé. — Désolé ? répéta-t-el e, stupéfaite. Pourquoi ? Parce que tu m'as sauvé la vie ? Parce que tu t'es jeté sur moi pour me protéger du souffle de l'explosion ? Parce que tu m'as porté sur trente étages pour me sortir de cet enfer ? Et ne me dis pas que tu ne faisais que ton travail, Ryan. Tu refuses peut-être d'être un héros mais, crois-moi, tu seras toujours le mien. — Je t'aime, Natalie, répondit-il simplement. Le coeur battant, la jeune femme lui sourit tendrement, se demandant soudain pourquoi il avait fal u qu'ils compliquent tout alors que les choses paraissaient si simples, à présent. — C'est ce que tu m'as dit juste avant que nous soyons interrompus, lui rappela-t-el e. — Oui. Et je n'ai pas eu le temps de te dire pourquoi je t'avais repoussée. Pourrais-tu au moins me regarder pendant que je rampe à tes pieds ? demanda-t-il en la voyant sentir les jonquil es qu'il venait d'apporter. Lorsqu'el e releva la tête, il vit que des larmes de joie coulaient le long de ses joues. Pourtant, il se força à continuer. — Je veux que tu me laisses une seconde chance. Et je veux que tu saches pourquoi j'ai gâché la première. J'avais peur, avoua-t-il. Peur de toi, de moi et de nous deux... Il sourit. — J'avais surtout peur de te dire que je t'aimais, reprit-il. Cela paraît stupide, après ce que nous venons de vivre mais c'est pourtant la vérité. — Dans ce cas, je suis aussi stupide que toi. Moi aussi, j'avais peur de te l'avouer. Parce que je craignais que cela ne brise ce que nous avions. — Mais la vérité, continua Ryan, c'est que je n'ai jamais ressenti pour personne ce que j'éprouve pour toi. — Je sais, acquiesça-t-el e. — Et ça devenait chaque jour plus grand, plus important, plus terrifiant... Alors j'ai reculé. Et j'ai découvert que ma vie sans toi était un enfer. Alors, je t'en prie, Natalie, laisse-moi une deuxième chance. — Je te dois bien cela, répondit-el e en riant au milieu de ses larmes. Je ne retrouverai pas beaucoup d'hommes qui ramperont à mes pieds après m'avoir sauvé la vie. Alors autant garder celui que j'ai... — Est-ce que tu veux m'épouser ? Le bouquet de jonquil es s'écrasa sur le sol tandis que la jeune femme ouvrait de grands yeux, incapable de croire ce qu'el e venait d'entendre. — Qu'est-ce que tu as dit ? murmura-t-el e, la gorge serrée par l'émotion. — Eh bien, comme tu avais l'air d'humeur généreuse, j'ai pensé que je pouvais tenter ma chance, avoua Ryan. Mais cela peut attendre... — Est-ce que tu pourrais répéter ta question ? demanda-t-el e. Ryan inspira profondément, rassemblant tout son courage. C'était l'un des plus grands risques de son existence mais il ne pouvait laisser passer sa chance une fois de plus. — Veux-tu m'épouser ? répéta-t-il enfin. — Oui, répondit-el e en se précipitant dans ses bras. Oui, je le veux. — Tu es à moi, ma déesse aux jolies jambes. À moi ! À moi pour toujours, murmura Ryan en la couvrant de baisers. — Mais je voudrais aussi des enfants, dit-el e d'un ton suppliant. — Moi aussi, répondit-il. D'ail eurs nous pourrions peut-être nous y mettre tout de suite... — Attendons au moins d'être chez toi, répondit-el e en riant. Mais dans neuf mois, tu seras papa. Ne t'en fais pas, je suis toujours d'une ponctualité redoutable !