Gilles de Rais Gilles de Rais, dont l'enfance est inconnue, naquit vers 1404, sur les confins de la Bretagne et de l'Anjou, dans le château de Machecoul, en Bas-Poitou. Son père meurt à la fin d'octobre 1415 ; sa mère se remarie presque aussitôt avec un sieur d'Eslouville et l'abandonne, lui et René de Rais, son frère ; il passe sous la tutelle de son aïeul Jean de Craon, seigneur de Champtocé et de la Sage, « homme vieil et ancien et de moult grand âge », disent les textes. Il n'est ni surveillé, ni dirigé par ce vieillard débonnaire et distrait, qui se débarrasse de lui, en le mariant à Catherine de Thouars, le 30 du mois de novembre 1420. L'on constate sa présence à la cour du Dauphin, cinq ans après; ses contemporains le représentent comme un homme nerveux et robuste, d'une beauté et d'une élégance rares. Les renseignements font défaut sur le rôle qu'il joue dans cette cour, mais on peut aisément les suppléer, en se figurant l'arrivée de Gilles, qui était le plus riche des barons de France, chez un roi pauvre. À ce moment, en effet, Charles VII est aux abois ; il est sans argent, dénué de prestige, et son autorité reste nulle; la situation de la France, exténuée par les massacres, déjà ravagée quelques années auparavant par la peste, est horrible. Elle est sacrifiée jusqu'au sang, vidée jusqu'aux moelles par l'Angleterre, qui, semblable à ce poulpe fabuleux, le kraken, émerge de la mer, et lance, au-dessus du détroit, sur la Bretagne, la Normandie, une partie de la Picardie, l'Île-de-France, tout le Nord, le centre jusqu'à Orléans, ses tentacules dont les ventouses ne laissent plus, en se soulevant, que des villes taries, que des campagnes mortes. Les appels de Charles réclamant des subsides, inventant des exactions, pressant l'impôt, sont inutiles. Les cités saccagées, les champs abandonnés et peuplés de loups, ne peuvent secourir un roi dont la légitimité même est douteuse. Il s'éplore ; gueuse aà la ronde, vainement, des sous. À Chinon, dans sa petite cour, c'est un réseau d'intrigues que dénouent çà et là des meurtres. Las d'être traqués, vaguement à l'abri derrière la Loire, Charles et ses partisans finissent par se consoler, dans d'exubérantes orgies, des désastres qui se rapprochent; dans cette royauté au jour le jour, alors que des razzias ou des emprunts rendent la chère opulente et l'ivresse large, l'oubli se fait de ces qui-vive permanents et de ces sursauts, et l'on nargue les lendemains, en sablant les gobelets. Cependant, les armées anglaises se rejoignaient, inondaient le pays, s'étendaient de plus en plus, envahissaient le centre. Le Roi songeait à se replier dans le Midi, à lâcher la France ; ce fut à ce moment que parut Jeanne d'Arc. Gilles de Rais, qui se trouvait alors à la cour, fut chargé par Charles de la garde et de la défense de la Pucelle. Il la suit partout, l'assiste dans les batailles, sous les murs de Paris même, se tient auprès d'elle à Reims, le jour du sacre, où, à cause de sa valeur, dit Monstrelet, le Roi le nomma maréchal de France, à vingt-cinq ans! Quelle fut la conduite de Gilles de Rais envers Jeanne d'Arc? Les renseignements font défaut. M. Vallet de Virvillebl'accuse de trahison, sans aucune preuve. M. l'abbé Bossardcprétend, au contraire, qu'il lui fut dévoué et veilla loyalement sur elle, et il étaie son opinion de raisons plausibles. Quoi qu'il en soit, après la capture et la mort de Jeanne, nous perdons les traces de Gilles, que nous retrouvons enfermé, à vingt-six ans, dans le château de Tiffauges. La vieille culotte de fer, le soudard qui était en lui, disparaissent. En même temps que les méfaits vont commencer, l'artiste et le lettré se développent en notre héros, s'extravasent d, l'incitent même, sous l'impulsion d'un mysticisme à rebours, aux plus savantes des cruautés, aux plus délicats des crimes. Car il est presque isolé dans son temps, ce baron de Rais ! Alors que ses pairs sont de simples brutes, lui veut des raffinements éperdus d'art, rêve de littérature térébrante eet lointaine, compose même un traité sur l'art d'évoquer les démons, adore la musique, ne veut s'entourer que d'objets introuvables, que de choses rares. Il était latiniste érudit, causeur spirituel, ami généreux et sûr, il possédait une bibliothèque extraordinaire pour ce temps, où la lecture se confine dans la théologie et les vies des Saints. Nous avons la description de quelques-uns de ses manuscrits: Suétone f, Valère Maximeg; d'un Ovide hsur parchemin, couvert de cuir rouge, avec fermoir de vermeil et clef. Tout cela coûtait cher, moins pourtant que cette fameuse cour qui l'entourait à Tiffauges et faisait de cette forteresse un lieu unique. Le Château de Tiffauges - Porte du donjon. Il avait une garde de plus de deux cents hommes, chevaliers, capitaines, écuyers, pages, et tous ces gens avaient, eux-mêmes, des serviteurs magnifiquement équipés aux frais de Gilles. Le luxe de sa chapelle et de sa collégiale tournait positivement à la démence. À Tiffauges, résidait tout le clergé d'une métropole, doyens, vicaires, trésoriers, chanoines, clercs et diacres, écolâtres et enfants de choeur; le compte nous est resté des surplis i, des étoles j, des aumusses k, des chapeaux de choeur de fin-gris doublés de menu vair. Les ornements sacerdotaux foisonnent: ici, l'on rencontre des parements d'autel en drap vermeil, des courtineslde soie émeraude, une chapemde velours cramoisi, violet, avec drap d'or orfrasé n, une autre en drap de damas aurore; des dalmatiques oen satin pour diacres ; des baldaquins p, figurés, oiselés d'or de Chypre; là, des plats, des calices, des ciboires, martelés, pavés de cabochons, sertis de gemmes, des reliquaires parmi lesquels le chef qen argent de saint Honoré r, tout un amas d'incandescentes orfèvreries qu'un artiste, installé au château, cisèle suivant ses goûts. Et tout était à l'avenant; sa table était ouverte à tout convive; de tous les coins de la France, des caravanes s'acheminaient vers ce château, où les artistes, les poètes, les savants, trouvaient une hospitalité princière, une aise bon enfant, des dons de bienvenue et des largesses de départ. Déjà affaiblie par les profondes saignées que lui pratiqua la guerre, sa fortune vacilla sous ces dépenses; alors il entra dans la voie terrible des usures; il emprunta aux pires bourgeois, hypothéqua ses châteaux, aliéna ses terres; il en fut réduit, à certains moments, à demander des avances sur les ornements du culte, sur ses bijoux, sur ses livres. Effrayée de ces folies, la famille du Maréchal supplia le Roi d'intervenir ; et, en effet, en 1436, Charles VII, « sûr, dit-il, du mauvais gouvernement du sire de Rais », lui fit, en son grand Conseil, et par lettres datées d'Amboise, défense de vendre et aliéner aucune forteresse, aucun château, aucune terre. Cette ordonnance hâta tout simplement la ruine de l'interdit. Le grand Pince-Maille s, le Maître Usurier du temps, Jean V, Duc de Bretagne, refusa de publier dans ses Etats l'édit, qu'il fit notifier, en sous-main, pourtant, à ceux de ses sujets qui traitaient avec Gilles. Personne n'osant plus acheter de domaines au Maréchal, de peur de s'attirer la haine du Duc, et d'encourir la colère du Roi, Jean V demeura seul acquéreur, et dès lors il fixa les prix. On peut penser si les biens de Gilles de Rais furent possédés à bon compte! Réduit aux abois, Gilles se laissa entièrement dominer par la passion de l'alchimie et abandonna tout pour elle. Mais il est bon de remarquer que cette science, qui le jeta dans la démonomanie, alors qu'il espéra créer de l'or et se sauver ainsi d'une misère imminente, il l'aima pour elle-même, dans un temps où il était riche. Ce fut en effet vers l'année 1426 au moment où l'argent déferlait dans ses coffres, qu'il tenta, pour la première fois, la réussite du grand oeuvre. Nous le retrouvons donc penché sur des cornues t, dans le château de Tiffauges, et c'est maintenant que va commencer la série des crimes de magie. En se reportant à son temps, il est facile de se figurer les connaissances qu'il possède sur la manière de transmuer les métaux. Le Château de Tiffauges - Crypte de la chapelle. L'alchimie était déjà très développée un siècle avant qu'il naquît. Les écrits d'Albert le Grandu, d'Armand de Villeneuve v, de Raymond Lulle w, étaient entre les mains des hermétistes. Les manuscrits de Nicolas Flamel xcirculaient; nul doute que Gilles, qui raffolait des volumes étranges, des pièces rares, ne les ait acquis; ajoutons qu'à cette époque, l'édit de Charles V, interdisant, sous peine de la prison et de la mort, les travaux spagiriques y, et que la bulle Spondent pariter quas non exhibent z, que le Pape Jean XXII fulmina contre les alchimistes, étaient encore en vigueur. Ces oeuvres étaient donc défendues, et par conséquent enviables ; il est certain que Gilles les a longuement étudiées, mais de là à les comprendre il y a loin. Ces livres constituaient, en effet, le plus incroyable des galimatias, le plus inintelligible des grimoires. Tout était en allégories, en métaphores cocasses et obscures, en emblèmes incohérents, en paraboles embrouillées, en énigmes bourrées de chiffres. Il est bien évident qu'à Tiffauges, seul, sans l'aide d'initiés, Gilles était incapable de tenter utilement des fouilles. À cette époque, le centre hermétiste était, en France, à Paris, où les alchimistes se réunissaient sous les voûtes de Notre-Dame et étudiaient les hiéroglyphes du charnier des Innocents aaet le portail de Saint-Jacques de la Boucherie ab, sur lequel Nicolas Flamel avait écrit, en de kabbalistiques emblèmes, la préparation de la fameuse pierre. Le Maréchal ne pouvait se rendre à Paris sans tomber dans les troupes anglaises qui barraient les routes; il choisit le moyen le plus simple, il appela les transmutateurs les plus célèbres du Midi et les fit amener, à grands frais, à Tiffauges. D'après les documents que nous possédons, nous le voyons faire construire le fourneau des alchimistes, l'athanor; acheter des pélicans, des creusets et des cornues. Il établit des laboratoires dans l'une des ailes de son château, et il s'y enferme avec Antoine de Palerme, François Lombard, Jean Petit, orfèvre de Paris, qui s'emploient, jours et nuits, à la coction acdu grand oeuvre. Rien ne réussit; à bout d'expédients ces hermétistes disparaissent, et c'est alors, à Tiffauges, un incroyable va-et-vient de souffleurs adet d'adeptes. Il en arrive de tous les points de la Bretagne, du Poitou, du Maine, seuls ou escortés de noueurs d'aiguillettes aeet de sorciers. Gilles de Sillé, Roger de Bricqueville, cousins et amis du Maréchal, parcourent les environs, rabattent le gibier vers Gilles, tandis qu'un prêtre de sa chapelle, Eustache Blanchet, part en Italie, où les manieurs de métaux abondent. En attendant, Gilles de Rais, sans se décourager, continue ses expériences, qui, toutes, ratent; il finit par croire que décidément les magiciens ont raison, qu'aucune découverte n'est, sans l'aide de Satan, possible. Et, une nuit, avec un sorcier arrivé de Poitiers, Jean de la Rivière, il se rend dans une forêt qui avoisine le château de Tiffauges. Il demeure, avec ses serviteurs Henriet et Poitou, sur la lisière du bois, où le sorcier pénètre. La nuit est lourde et sans lune; Gilles s'énerve à scruter les ténèbres, à écouter le pesant repos de la campagne muette ; ses compagnons terrifiés se serrent l'un contre l'autre, frémissant et chuchotant au moindre vent. Tout à coup, un cri d'angoisse s'élève. Ils hésitent, s'avancent en tâtonnant, dans le noir, aperçoivent, en une lueur qui saute, La Rivière exténué, tremblant, hagard, près de sa lanterne. Il raconte, à voix basse, que le diable a surgi sous la forme d'un léopard, mais qu'il a passé auprès de lui, sans même le regarder, sans rien lui dire. Le lendemain, ce sorcier prend la fuite, mais un autre arrive. C'est un trompette du nom de du Mesnil. Il exige que Gilles signe de son sang une cédule afdans laquelle il s'engage à donner au diable tout ce qu'il voudra, « hormis sa vie et son âme », mais bien que pour aider aux maléfices Gilles consente à faire chanter dans sa chapelle, à la fête de la Toussaint, l'office des damnés, Satan n'apparaît pas. Le Maréchal commençait à douter du pouvoir de ses magiciens, quand une nouvelle opération qu'il tenta le convainquit que parfois le démon se montre. Un évocateur, dont le nom est perdu, se réunit, à Tiffauges, dans une chambre, avec Gilles et de Sillé. Sur le sol, il trace un grand cercle et commande à ses deux compagnons d'entrer dedans. Sillé refuse, poigné par une terreur qu'il ne s'explique pas, il se met à frémir de tous ses membres, se réfugie près de la croisée qu'il ouvre, murmure tout bas des exorcismes. Gilles, plus hardi, se tient au milieu du cercle ; mais, aux premières conjurations, il frissonne à son tour et veut faire le signe de la croix. Le sorcier lui ordonne de ne pas bouger. À un moment, il se sent saisi à la nuque; il s'effare, vacille, supplie Notre-Dame la Vierge de le sauver. L'évocateur, furieux, le jette hors du cercle; il s'élance par la porte, de Sillé par la fenêtre; ils se retrouvent en bas, restent béants, car des hurlements s'entendent dans la chambre où le magicien opère. « Un bruit d'épées tombant à coups drus et pressés sur une couette » se fait entendre, puis des gémissements, des cris de détresse, l'appel d'un homme qu'on assassine. Épouvantés, ils demeurent aux écoutes, puis quand le vacarme cesse, il se hasardent, poussent la porte, trouvent le sorcier étendu sur le parquet, roué de coups, le front fracassé, dans des flots de sang. Ils l'emportent ; Gilles, plein de pitié, le couche dans son propre lit, l'embrasse, le panse, le fait confesser, de peur qu'il ne trépasse. Il ne reste que quelques jours entre la vie et la mort, finit par se rétablir, et il se sauve. Gilles désespérait d'obtenir du diable la recette du souverain magistère, quand Eustache Blanchet lui annonça son retour d'Italie ; il amène le maître de la magie florentine, l'irrésistible évocateur des démons et des larves, François Prélati. Celui-là stupéfia Gilles. Il avait à peine vingt-trois ans et il était l'un des hommes les plus spirituels, les plus érudits, les plus raffinés du temps. Qu'avait-il fait avant de venir s'installer à Tiffauges et d'y commencer, avec le Maréchal, la plus épouvantable série de forfaits qui puisse se voir? Son interrogatoire dans le procès criminel de Gilles ne nous fournit pas des renseignements bien détaillés sur son compte. Il était né dans le diocèse de Lucques, à Pistoie, avait été ordonné prêtre par l'évêque d'Arezzoag. Quelque temps après son entrée dans le sacerdoce, il était devenu l'élève d'un thaumaturge ahde Florence, Jean de Fontenelle, et il avait souscrit un pacte avec un démon. À partir de ce moment, il avait dû se livrer aux plus abominables des sacrilèges et pratiquer le rituel meurtrier de la magie noire. Toujours est-il que Gilles s'éprend de cet homme ; les fourneaux éteints se rallument ; cette pierre des Sages, que Prélati a vue, flexible, cassante, rouge, sentant le sel marin calciné, ils la cherchent, à eux deux, furieusement, en invoquant l'enfer. Leurs incantations demeurent vaines. Gilles, désolé, les redouble; mais elles finissent par tourner mal ; un jour Prélati manque d'y laisser ses os. Une après-midi, Eustache Blanchet aperçoit, dans une galerie du château, le Maréchal tout en larmes; des plaintes de supplicié s'entendent à travers la porte d'une chambre où Prélati évoque le diable. « Le démon est là qui bat mon pauvre François, je t'en supplie, entre », s'écrie Gilles ; mais Blanchet, effrayé, refuse. Alors Gilles se décide, malgré sa peur; il va forcer la porte, quand elle s'ouvre et Prélati trébuche, sanglant, dans ses bras. Il put, soutenu par ses deux amis, gagner la chambre du Maréchal, où on le coucha; mais les coups qu'il avait reçus furent si violents qu'il délira: la fièvre s'accrut. Gilles, désespéré, s'installa près de lui, le soigna, le fit confesser, pleura de bonheur lorsqu'il ne fut plus en danger de mort. Ce fait, qui se renouvelle, du sorcier inconnu et de Prélati, dangereusement blessés en une chambre vide, dans des circonstances identiques, est relaté dans des documents authentiques; ce sont les pièces mêmes du procès de Gilles. On peut se figurer combien le mystique qu'était Gilles de Rais dut croire à la réalité du diable, après avoir assisté à de pareilles scènes! Malgré ses échecs, il ne pouvait donc douter - et Prélati à moitié assommé devait douter moins encore - que s'il plaisait à Satan, ils trouveraient enfin cette poudre qui les comblerait de richesses et les rendrait même presque immortels, car à cette époque la pierre philosophale passait non seulement pour transmuer les métaux vils, tels que l'étain, le plomb, le cuivre, en métaux nobles comme l'argent et l'or, mais encore pour guérir toutes les maladies et prolonger, sans infirmités, la vie jusqu'aux limites jadis assignées aux patriarches. Enfin, Prélati, Blanchet, tous les souffleurs et les sorciers qui entourent le Maréchal, déclarent que pour amorcer Satan, il faudrait que Gilles lui cédât son âme et sa vie ou qu'il commît des crimes. Gilles refuse d'aliéner son existence et d'abandonner son âme, mais il songe sans horreur aux meurtres. Cet homme, si brave sur le champ de bataille, si courageux quand il accompagne et défend Jeanne d'Arc, tremble devant le démon, s'apeure lorsqu'il songe à la vie éternelle, lorsqu'il pense au Christ. Et il en est de même de ses complices ; pour être assuré qu'ils ne révéleront pas les confondantes turpitudes que le château cèle, il leur fait jurer sur les saints Évangiles le secret, certain qu'aucun d'eux n'enfreindra le serment, car au Moyen Age, le plus impavide des bandits n'oserait assumer l'irrémissible méfait de tromper Dieu! La première victime de Gilles fut un tout petit garçon, dont le nom est ignoré. Il l'égorgea, lui trancha les poings, détacha le coeur, arracha les yeux, et il le porta dans la chambre de Prélati. Tous deux les offrirent, dans des objurgations passionnées, au diable, qui se tut. Gilles, exaspéré, s'enfuit. Prélati roula ces pauvres restes dans un linge et, tremblant, s'en fut, dans la nuit, les inhumer en terre sainte, auprès d'une chapelle dédiée à saint Vincent. Le sang de cet enfant que Gilles avait conservé pour écrire ses formules d'évocation et ses grimoires, s'épandit en d'horribles semailles qui levèrent, et bientôt de Rais put engranger la plus exorbitante moisson de crimes que l'on connaisse. De 1432 à 1440, c'est-à-dire pendant ces huit années comprises entre la retraite du Maréchal et sa mort, les habitants de l'Anjou, du Poitou, de la Bretagne, errent en sanglotant sur les routes. Tous les enfants disparaissent; les pâtres sont enlevés dans les champs ; les fillettes qui sortent de l'école, les garçons qui vont jouer à la pelote le long des ruelles ou s'ébattent au bord des bois, ne reviennent plus. Le peuple effaré se raconte d'abord que de méchantes fées, que des génies malfaisants, dispersent sa géniture, mais, peu à peu, d'affreux soupçons lui viennent. Dès que le Maréchal se déplace, dès qu'il va de sa forteresse de Tiffauges au château de Champtocé, et de là au castel de La Suze, ou à Nantes, il laisse derrière ses pas des traînées de larmes. Il traverse une campagne et, le lendemain, des enfants manquent. En frémissant, le paysan constate aussi que partout où se sont montrés Prélati, Roger de Brisque-ville, Gilles de Sillé, tous les intimes du Maréchal, les petits garçons ont disparu. Enfin, avec horreur, il remarque qu'une vieille femme, Perrine Martin, erre, vêtue de gris, le visage couvert comme celui de Gilles de Sillé d'une étamine; elle accoste les enfants, et son parler est si séduisant, sa figure, dès qu'elle lève son voile, est si habile, que tous la suivent jusqu'aux lisières du bois, où des hommes les emportent bâillonnés dans des sacs. Et le peuple épouvanté appelle cette pourvoyeuse de chair, cette ogresse, la Meffraye, du nom d'un oiseau de proie ai. Combien le Maréchal égorgea-t-il d'enfants ? Lui-même l'ignorait. Les textes du temps comptent de sept à huit cents victimes, mais ce nombre est insuffisant, semble inexact. Des régions entières furent dévastées ; le hameau de Tiffauges n'avait plus de jeunes gens, La Suze nulle couvée mâle; à Champtocé, tout le fond d'une tour était rempli de cadavres; un témoin cité dans l'enquête, Guillaume Hylairet, déclare aussi « qu'un nommé Du Jardin a ouï dire qu'il avait été trouvé audit châtel une pipe toute pleine de petits enfants morts ». Aujourd'hui encore, les traces de ces assassinats persistent. En 1889, à Tiffauges, un médecin découvrit une oubliette, et il en ramena des masses de têtes et d'os! Toujours est-il que Gilles avoua d'épouvantables holocaustes et que ses amis en confirmèrent les effrayants détails. Les habitants des régions qui avoisinent les châteaux du Maréchal savent enfin quel est l'inconcevable monstre qui enlève les enfants et les égorge. Mais personne n'ose parler. Dès qu'au tournant d'un chemin la haute taille du carnassier émerge, tous s'enfuient, se tapissent derrière les haies, s'enferment dans les chaumières. Et Gilles passe, altier et sombre, dans le désert des villages singultueux ajet clos. L'impunité lui semble assurée, car quel paysan serait assez fou pour s'attaquer à un maître qui peut le faire patibuler akau moindre mot? D'autre part, si les humbles renoncent à l'atteindre, ses pairs n'ont pas dessein de le combattre au profit des manants qu'ils dédaignent; et son supérieur, le duc de Bretagne, Jean V, le caresse et le choie, afin de lui extorquer ses terres. Une seule puissance pouvait se lever et, au-dessus des complicités féodales, au-dessus des intérêts humains, venger les opprimés et les faibles: l'Église. - Et ce fut elle, en effet, qui, dans la personne de Jean de Malestroit, se dressa devant le monstre et l'abattit. Jean de Malestroit, évêque de Nantes, appartenait à une lignée illustre. Il était proche parent de Jean V, et son incomparable piété, sa sagesse assidue, sa fougueuse charité, son infaillible science, le faisaient vénérer par le Duc même. Les sanglots des campagnes décimées par Gilles étaient venus jusqu'à lui; en silence, il commençait une enquête, épiait le Maréchal, décidé, dès qu'il le pourrait, à commencer la lutte. Et Gilles commit subitement un inexplicable attentat qui permit à l'Évêque de marcher droit sur lui et de le frapper. Pour réparer les avaries de sa fortune, Gilles vend sa seigneurie de Saint-Étienne de Mer-Morte alà un sujet de Jean V, Guillaume le Ferron, qui délégua son frère Jean pour prendre possession de ce domaine. Quelques jours après, le Maréchal réunit les deux cents hommes de sa prison militaire et il se dirige à leur tête sur Saint-Étienne. Là, le jour de la Pentecôte, alors que le peuple réuni entend la messe, il se précipite, la jusarme amau poing, dans l'église, balaie d'un geste les rangs tumultueux des fidèles, et, devant le prêtre interdit, menace d'égorger Jean le Ferron, qui prie. Le saint sacrifice est interrompu, les assistants prennent la fuite. Gilles traîne le Ferron, qui demande grâce, jusqu'au château, ordonne qu'on baisse le pont-levis et de force il occupe la place, tandis que son prisonnier est emporté et jeté à Tiffauges dans un fond de geôle. Il venait du même coup de violer le coutumier ande Bretagne, qui interdisait à tout baron de lever des troupes sans le consentement du Duc, et de commettre un double sacrilège, en profanant une chapelle et en s'emparant de Jean le Ferron, qui était un clerc tonsuré d'Église. L'Évêque apprend ce guet-apens et décide Jean V, qui hésite pourtant, à marcher contre le rebelle. Alors, tandis qu'une armée s'avance sur Saint-Étienne, que Gilles abandonne pour se réfugier avec une petite troupe dans le manoir fortifié de Machecoul, une autre armée met le siège devant Tiffauges. Pendant ce temps, le prélat accumule, hâte les enquêtes. Son activité devient extraordinaire; il délègue des commissaires et des procureurs dans les villages où des enfants ont disparu. Lui-même quitte son palais de Nantes, parcourt les campagnes, recueille les dépositions des victimes. Le peuple parle enfin, le supplie à genoux de le protéger, et, soulevé par les atroces forfaits qu'on lui révèle, l'Évêque jure qu'il fera justice. Un mois a suffi pour que tous les rapports soient terminés. Par lettres patentes, Jean de Malestroit établit publiquement l'« infamatioao» de Gilles, puis, alors que les formules de la procédure canonique sont épuisées, il lance le mandat d'arrêt. Château de Tiffauges - Tour du Vidame. Salle d'armes de la tour ronde. Dans cette pièce, libellée en forme de mandement et donnée à Nantes, le 13 septembre de l'an du Seigneur 1440, il rappelle les crimes imputés au Maréchal, puis, dans un style énergique, il somme son diocèse de marcher contre l'assassin, de le débusquer. « Ainsi, nous vous enjoignons à tous et à chacun de vous en particulier, par ces présentes lettres, de citer immédiatement et d'une manière définitive, sans compter l'un sur l'autre, sans vous reposer de ce soin sur autrui, de citer devant nous, ou devant l'Official apde notre église cathédrale, pour le lundi de la fête de l'Exaltation de la sainte Croix, le 19 septembre, Gilles, noble baron de Rais, soumis à notre puissance et relevant de notre juridiction, et nous le citons, nous-même, par ces lettres, à comparaître à notre barre pour avoir à répondre des crimes qui pèsent sur lui. - Exécutez donc ces ordres et que chacun de vous les fasse exécuter. » Et, le lendemain, le capitaine d'armes, Jean Labbé, agissant au nom du Duc, et Romain Guillaumet, notaire, agissant au nom de l'Évêque, se présentent, escortés d'une petite troupe, devant le château de Machecoul. Que se passe-t-il dans l'âme du Maréchal? Trop faible pour tenir en rase campagne, il peut néanmoins se défendre derrière les remparts qui l'abritent, et il se rend! Roger de Bricqueville, Gilles de Sillé, ses conseillers habituels, ont pris la fuite. Il reste seul avec Prélati, qui essaie en vain, lui aussi, de se sauver. Il est, ainsi que Gilles, chargé de chaînes ; Romain Guillaumet visite la forteresse de fond en comble. Il y découvre des chemisettes ensanglantées, des os mal calcinés, des cendres que Prélati n'a pas eu le temps de précipiter dans les douves. Au milieu des malédictions, des cris d'horreur qui jaillissent autour d'eux, Gilles et ses serviteurs sont conduits à Nantes et écroués au château de la Tour-Noire. Aussitôt que Gilles et ses complices furent incarcérés, deux tribunaux s'organisèrent: l'un ecclésiastique, pour juger les crimes qui relevaient de l'Église, et l'autre civil, pour juger ceux auxquels il appartenait à l'État de connaître. À vrai dire, le tribunal civil qui assista aux débats ecclésiastiques s'effaça complètement dans cette cause; il ne fit, pour la forme, qu'une petite contre-enquête, mais il prononça la sentence de mort que l'Église s'interdisait de proférer, en raison du vieil adage : Ecclesia abhorret a sanguineaq. Les procédures ecclésiastiques durèrent un mois et huit jours; les procédures civiles, quarante-huit heures. Il semble que, pour se mettre à l'abri derrière l'Évêque, le Duc de Bretagne ait volontairement amoindri le rôle de la justice civile, qui d'ordinaire se débattait mieux derrière les empiètements de l'Official. Jean de Malestroit préside les audiences; il choisit pour assesseurs les Évêques du Mans, de Saint-Brieuc et de Saint-Lô; puis, en sus de ces hauts dignitaires, il s'entoure d'une troupe de juristes qui se relevaient dans les interminables séances du procès. Les noms de la plupart d'entre eux figurent dans les pièces de procédure ; ce sont : Guillaume de Montigné, avocat à la cour séculière, Jean Blanchet, bachelier ès lois, Guillaume Groyguet et Robert de la Rivière, licenciés in utroque jurear, Hervé Lévi, sénéchal de Quimper, Pierre de l'Hospital, chancelier de Bretagne, qui doit présider, après le jugement canonique, les débats civils, assiste Jean de Malestroit. Le Promoteur, qui faisait alors office de ministère public as, fut Guillaume Chapeiron, curé de Saint-Nicolas, homme éloquent et retors; on lui adjoignit, pour alléger la fatigue des lectures, Geoffroy Piprain, doyen de Sainte-Marie, et Jacques de Pentcoetdic, Official de l'Église de Nantes. Enfin, à côté de la juridiction épiscopale, l'Église avait institué, pour la répression du crime d'hérésie, qui comprenait alors le parjure, le blasphème, le sacrilège, tous les forfaits de la magie, le tribunal extraordinaire de l'Inquisition. Il siégea aux côtés de Jean de Malestroit, en la redoutable et docte personne de Jean Blouyn, de l'Ordre de Saint-Dominique at, délégué par le grand Inquisiteur de France, Guillaume Mérici, aux fonctions de Vice-Inquisiteur de la ville et du diocèse de Nantes. Le Tribunal constitué, le procès s'ouvre dès le matin, car juges et témoins doivent être, selon l'usage du temps, à jeun. On y entend le récit des parents des victimes, et Robin Guillaumet, faisant fonction d'huissier, celui-là même qui s'est emparé du Maréchal, à Machecoul, donne lecture de l'assignation faite à Gilles de Rais de paraître. Il est amené et déclare dédaigneusement qu'il n'accepte pas la compétence du Tribunal; mais, ainsi que le veut la procédure canonique, le Promoteur rejette aussitôt, « pour ce que par ce moyen la correction du maléfice ne soit empêchée », le déclinatoire aucomme étant nul en droit et « frivole », et il obtint du Tribunal qu'on passe outre. Il commence à lire à l'inculpé les chefs de l'accusation portée contre lui ; Gilles crie que le Promoteur est menteur et traître. Alors, Guillaume Chapeiron étend le bras vers le Christ, jure qu'il dit la vérité et invite le Maréchal à prêter le même serment. Mais cet homme, qui n'a reculé devant aucun sacrilège, se trouble, refuse de se parjurer devant Dieu, et la séance se lève dans le brouhaha des outrages que Gilles vocifère contre le Promoteur. Ces préambules terminés, quelques jours après, les débats publics commencent. L'acte d'accusation, dressé en forme de réquisitoire, est lu, tout haut, devant l'accusé, devant le peuple qui tremble, alors que Chapeiron énumère, un à un, patiemment, les crimes, accuse formellement le Maréchal d'avoir occis des petits enfants, d'avoir pratiqué les opérations de la sorcellerie et de la magie, d'avoir violé à Saint-Étienne de Mer-Morte les immunités de la sainte Église. Puis, après un silence, il reprend son discours et, laissant de côté les meurtres, ne retenant plus alors que les crimes, dont la punition, prévue par le droit canonique, pouvait être prononcée par l'Église, il demande que Gilles soit frappé de la double excommunication, d'abord comme évocateur de démons, hérétique, apostat et relaps av, ensuite comme sacrilège. Gilles, qui a écouté ce réquisitoire tumultueux et serré, âpre et dense, s'exaspère. Il insulte les juges, les traite de simoniaques awet de ribauds, et il refuse de répondre aux questions qu'on lui pose. Le Promoteur, les assesseurs, ne se lassent point ; ils l'invitent à présenter sa défense. De nouveau, il les récuse, les outrages, puis, lorsqu'il s'agit de les réfuter, il reste muet. Alors, l'Evêque et l'Inquisiteur le déclarent contumace axet prononcent contre lui la sentence d'excommunication qui est aussitôt rendue publique. Ils décident en outre que les débats se poursuivront le lendemain. Ce jour-là, Gilles de Rais comparut de nouveau devant ses juges. Il se présenta la tête basse et les mains jointes. Il avait, une fois de plus, bondi d'un excès à un autre ; quelques heures avaient suffi pour assagir l'énergumène, qui déclara reconnaître les pouvoirs de ses magistrats et demanda pardon de ses outrages. Ils lui affirmèrent que, pour l'amour de Notre-Seigneur, ils oubliaient ses injures et, sur sa prière, l'Évêque et l'Inquisiteur rapportèrent la sentence d'excommunication dont ils l'avaient frappé, la veille. Cette audience, d'autres furent occupées par la comparution de Prélati et de ses complices ; puis, s'appuyant sur le texte ecclésiastique qui atteste ne pouvoir se contenter de la confession, si elle est dulna, vaga, generalis, illativa, jocosa ay, le Promoteur assura que, pour certifier la sincérité des aveux, Gilles devait être soumis à la question canonique, c'est-à-dire à la torture. Le Maréchal supplie l'Évêque d'attendre jusqu'au lendemain et réclame le droit de se confesser tout d'abord aux juges qu'il plairait au Tribunal de désigner, jurant qu'il renouvellerait ses aveux devant le public et la Cour. Jean de Malestroit accueillit cette requête, et l'Evêque de Saint-Brieuc et Pierre de l'Hospital, chancelier de Bretagne, furent chargés d'entendre Gilles dans sa cellule ; quand il eut terminé le récit de ses fautes et de ses meurtres, ils ordonnèrent qu'on amenât Prélati. À sa vue, Gilles fondit en larmes, et alors qu'après l'interrogatoire, on s'apprêtait à reconduire l'Italien dans sa geôle, il l'embrassa, disant : « Adieu, François, mon ami, jamais plus nous nous entreverrons en ce monde. Je prie Dieu qu'il vous donne bonne patience et connaissance, et soyez certain, si vous avez bonne patience et espérance en Dieu, que nous nous entreverrons en grande joie de Paradis. Priez Dieu pour moi, et je prierai pour vous. » Et il fut laissé seul pour méditer sur ses forfaits, qu'il devait avouer publiquement à l'audience du lendemain. Ce fut, ce jour-là, le jour solennel du procès. La salle où siégeait le Tribunal était comble, et la multitude, refoulée dans les escaliers, serpentait jusque dans les cours, emplissant les venelles avoisinantes, barrait les rues. De vingt lieues à la ronde, les paysans étaient venus pour voir le mémorable fauve dont le nom seul faisait, avant sa capture, clore les portes dans les tremblantes veillées où pleuraient, tout bas, les femmes. Le Tribunal allait se réunir au grand complet. Tous les assesseurs, qui, d'habitude, suppléaient pendant les longues audiences, étaient présents. La salle, massive, obscure, soutenue par de lourds piliers romans, se rajeunissait à mi-corps, s'effilait en ogive, élançait à des hauteurs de cathédrale les arceaux de la voûte qui se rejoignaient, ainsi que les côtes des mitres abbatiales, en une pointe. Elle était éclairée par un jour déteint que filtraient, au travers de leurs résillesazde plomb, d'étroits carreaux. L'azur Et soudain, des trompettes hennirent, la salle devint claire, les Évêques entraient. Ils fulguraient sous leurs mitres en drap d'or, étaient cravatés d'un collier de flammes par le collet orfrasé, pavé d'escarboucles ba, de leurs robes. En une silencieuse procession, ils s'avançaient, alourdis par leurs rigides chapes, qui tombaient, en s'évasant, de leurs épaules, pareilles à des cloches d'or fendues sur le devant, et ils tenaient la crosse à laquelle pendait le manipule, une sorte de voile vert. Ils flambaient, à chaque pas, ainsi que des brasiers sur lesquels on souffle, éclairaient eux-mêmes la salle, en reflétant le pâle soleil d'un pluvieux octobre qui se ranimait dans leurs joyaux et y puisait de nouvelles flammes qu'il renvoyait, en les dispersant, à l'autre bout de la salle, jusqu'au peuple muet. Atteints par le ruissellement des orfrois bbet des pierres, les costumes des autres juges paraissaient plus discords et plus sombres ; les vêtements noirs des assesseurs et de l'Official, la robe blanche et noire de Jean Blouyn, les simarres bcen soie, les manteaux de laine rouge, les chaperons écarlates, bordés de pelleteries, de la justice séculière, semblaient défraîchis et grossiers. Les Évêques s'assirent, au premier rang, entourèrent, immobiles, Jean de Malestroit, qui, d'un siège plus haut, dominait la salle. Sous l'escorte d'hommes d'armes, Gilles entra. Il était défait, hâve, vieilli de vingt années, en une nuit. Ses yeux brûlaient dans des paupières rissolées, ses joues tremblaient. Sur l'injonction qui lui fut adressée, il commença le récit de ses crimes. D'une voix sourde, obscurcie par les larmes, il raconta ses rapts d'enfants, ses hideuses tactiques, ses meurtres impétueux ; obsédé par la vision de ses victimes, il décrivit leurs agonies, leurs appels et leurs râles ; il confessa qu'il avait arraché des coeurs par des plaies élargies, ouvertes, tels que des fruits mûrs. Et d'un oeil de somnambule, il regardait ses doigts qu'il secouait comme pour en laisser égoutter le sang. La salle atterrée gardait un morne silence que lacéraient soudain quelques cris brefs ; et l'on emportait, en courant, des femmes évanouies, folles d'horreur. Lui semblait ne rien entendre, ne rien voir ; il continuait à dévider l'effrayante litanie de ses crimes. Puis, sa voix devint plus rauque ; il arrivait aux effusions sépulcrales. Il divulgua les détails, les énuméra tous. Ce fut tellement formidable, tellement atroce, que, sous leurs coiffes d'or, les Évêques blêmirent ; ces prêtres trempés au feu des confessions, ces juges qui en des temps de démonomanie et de meurtre avaient entendu les plus terrifiants des aveux, ces prélats qu'aucun forfait, qu'aucune abjection des sens, qu'aucun purin d'âme n'étonnaient plus, se signèrent, et Jean de Malestroit se dressa et voila, par pudeur, la face du Christ. Puis, tous baissèrent le front, et sans qu'un mot eût été échangé, ils écoutèrent le Maréchal, qui, la figure bouleversée, trempée de sueur, regardait le crucifix dont l'invisible tête soulevait le voila avec sa couronne hérissée d'épines. Gilles acheva son récit ; mais alors, une détente eut lieu ; jusqu'ici il était resté debout, parlant comme dans un brouillard, se racontant à lui-même, tout haut, le souvenir de ses impérissables crimes. Quand ce fut terminé, les forces l'abandonnèrent. Il tomba sur les genoux et, secoué par d'affreux sanglots, il cria : « Ô Dieu, mon Rédempteur, je vous demande miséricorde et pardon ! » - Puis, ce farouche et hautain baron, le premier de sa race, sans doute, s'humilia. Il se tourna vers le peuple et dit, en pleurant : « Vous, les parents de ceux que j'ai si cruellement mis à mort, donnez, ah ! donnez-moi le secours de vos pieuses prières ! » Alors, en sa blanche splendeur, l'âme du Moyen ge rayonna dans cette salle. Jean de Malestroit quitta son siège et releva l'accusé qui frappait de son front désespéré les dalles ; le juge disparut en lui, le prêtre seul resta ; il embrassa le coupable qui se repentait et pleurait sa faute. Il y eut dans l'audience un frémissement lorsque Jean de Malestroit dit à Gilles, debout, la tête appuyée sur sa poitrine : « Prie, pour que la juste et épouvantable colère du Très-Haut se taise ; pleure, pour que tes larmes épurent le charnier en folie de ton être ! » Et la salle entière s'agenouilla et pria pour l'assassin. Quand les oraisons se turent, il y eut un instant d'affolement et de trouble. Exténuée d'horreur, excédée de pitié, la foule houlaitbd; le Tribunal, silencieux et énervé, se reconquit. D'un geste, le Promoteur arrêta la discussion, balaya les larmes. Il dit que les crimes étaient « clairs et apperts be», que les preuves étaient manifestes, que la Cour pouvait maintenant, en son âme et conscience, châtier le coupable, et il demande que l'on fixât le jour du jugement ; le Tribunal désigna le surlendemain. Et ce jour-là, l'Official de l'Église de Nantes, Jean de Pentcoetdic, lut, à la suite, les deux sentences ; la première, rendue par l'Évêque et l'Inquisiteur sur les faits relevant de leur commune juridiction, commençait ainsi : « Le saint nom du Christ invoqué, nous, Jean, Évêque de Nantes, et Frère Jean Blouyn, bachelier en nos saintes Écritures, de l'Ordre des Frères Prêcheurs de Nantes et délégué de l'Inquisiteur de l'hérésie pour la ville et le diocèse de Nantes, en séance du Tribunal et n'ayant sous les yeux que Dieu seul... » Et, après l'énumération des crimes, il concluait : « Nous prononçons, nous décidons, nous déclarons que toi, Gilles de Rais, cité à notre Tribunal, tu es honteusement coupable d'hérésie, d'apostasie, d'évocation des démons ; que pour ces crimes tu as encouru la sentence d'excommunication et toutes les autres peines déterminées par le droit. » La seconde sentence, rendue par l'Évêque seul, sur les crimes de sacrilège et de violation des immunités de l'Église, qui étaient plus particulièrement de son ressort, aboutissait aux mêmes conclusions et prononçait également, dans une forme presque identique, la même peine. Gilles écoutait, tête basse, la lecture des jugements. Quand elle fut terminée, l'Évêque et l'Inquisiteur lui dirent : « Voulez-vous, maintenant que vous détestez vos erreurs, vos évocations et vos autres crimes, être réincorporé à l'Église, votre mère ? » Et, sur les ardentes prières du Maréchal, ils le relevèrent de toute excommunication et l'admirent à participer aux sacrements. La justice de Dieu était satisfaite, le crime était reconnu, puni, mais effacé par la contrition et la pénitence. La justice humaine demeurait seule. L'Évêque et l'Inquisiteur remirent le coupable à la cour séculière, qui, retenant les captures d'enfants et les meurtres, prononça la peine de mort et la confiscation des biens. Prélati, les autres complices, furent en même temps condamnés à être pendus et brûlés vifs. — Criez à Dieu merci, dit Pierre de l'Hospital, qui présidait les débats civils, et disposez-vous à mourir en bon état, avec un grand repentir d'avoir commis de tels crimes. Cette recommandation était superflue. Gilles envisageait maintenant le supplice sans aucun effroi. Il espérait humblement, avidement, en la miséricorde du Sauveur ; l'expiation terrestre, le bûcher, il l'appelait de toutes ses forces, pour se rédimer des flammes éternelles après sa mort. Loin de ses châteaux, dans sa geôle, seul, il s'était ouvert et il avait visité ce cloaque qu'avaient si longtemps alimenté les eaux résiduaires échappées des abattoirs de Tiffauges et de Machecoul. Il avait erré, sangloté, sur ses propres rives, désespérant de pouvoir jamais étancher l'amas de ces effrayantes boues. Et, foudroyé par la grâce, dans un cri d'horreur et de joie, il s'était subitement renversé l'âme ; il l'avait lavée de ses pleurs, séchée au feu des prières. Le meurtrier s'était renié, le compagnon de Jeanne d'Arc avait reparu, le mystique dont l'âme s'essorait jusqu'à Dieu, dans des balbuties d'adorations, dans des flots de larmes ! a Mendie. b Auguste Vallet de Virville (1815-1868), historien, auteur de Jeanne d'Arc, d'après les dernières recherches, sa vie, sa mémoire (1854). c Abbé Eugène Bossard (1863-1903), auteur de l'étude historique Galles de Rais, Maréchal de France, dit Barbe-Bleue, 1404-1440 (1885). d Se déversent. e Perçante, pénétrante. f Suétone (vers 70-vers 128), historien latin, auteur de La Vie des douze Césars. g Valère Maxime, historien latin du 1er siècle après Jésus-Christ. h Ovide (vers 40 avant. J.-C.-vers 17), écrivain latin, auteur de L'Art d'aimer et des Métamorphoses. i Vêtements liturgiques blancs, en lin, portés jusqu'à mi-jambe. j Bandes d'étoffe que certains ecclésiastiques portent au cou. k Fourrures que certains ecclésiastiques allant à l'office portent au bras gauche. l Tentures disposées derrière un autel. m Long manteau ecclésiastique de cérémonie utilisé pour certains offices. n Participe passé d'orfreser (ou orfroiser), verbe du XIIIe siècle qui signifie « garnir de broderies le bord d'un vêtement ». o Longues tuniques à larges manches, portées par les diacres pendant certains offices. p Dais soutenus par des colonnes et couronnant un autel. q Reliquaire renfermant des ossements de la tête. r Saint du IVe siècle, évêque d'Amiens, qui deviendra le patron des meuniers et des boulangers. s Avare (la « maille » était une monnaie de très faible valeur). t Récipients arrondis à col étroit et courbé, servant à la distillation. u Albert le Grand (vers 1193-1280), théologien et scientifique allemand, à qui l'on attribue le traité d'alchimie du Grand Albert. v Arnaud (et non Armand) de Villeneuve (1238-1311), médecin et alchimiste catalan. w Raymond Lulle (1235-1315), théologien et alchimiste catalan. x Nicolas Flamel (vers 1330-1418), écrivain et alchimiste français qui prétendait avoir réussi la transmutation du plomb en or. y La médecine dite « spagirique » (ou « spagyrique ») s'inspire des connaissances alchimiques. z Cette bulle édictée en 1317 par le pape Jean XXII condamne les laïcs et les clercs qui s'adonnent à l'alchimie et qui ainsi « promettent les uns comme les autres des choses qu'ils ne prouvent pas ». aa Grand cimetière parisien du Moyen ge, démoli en 1785. ab Les pèlerins en partance pour Saint-Jacques-de-Compostelle se réunissaient devant cette église, ainsi nommée car située autrefois au coeur d'un quartier de bouchers. Après sa destruction partielle en 1797, il n'en reste que la tour Saint-Jacques. ac Cuisson, élaboration. ad Alchimistes qui, pour parvenir à fabriquer de l'or, utilisent des soufflets (d'où leur nom) et travaillent sans grande méthode. ae Jeteurs de sorts dont les formules magiques, prononcées en nouant un cordon, sont censées rendre les hommes impuissants. af Reconnaissance écrite d'un engagement. ag Lucques, Pitoie et Arezzo sont des villes de Toscane. ah Personne qui accomplit des miracles. ai Il s'agit de l'effraie, chouette au plumage clair, au cri lugubre, et nichant dans les ruines. aj Tnstes, emplis de sanglots. ak Faire pendre, envoyer au gibet. al Localité vendéenne. am Au Moyen ge, la jusarme (variantes : gisarme, guisarme) est une arme portée par les fantassins, avec un long tranchant recourbé et une pointe droite. an Recueil de coutumes d'une région. ao Acte d'accusation d'infamie. ap Juge écclésiastique. aq « L'Église a horreur du sang. » Avec cette formule latine mise en avant au Concile de Tours (1163), l'Église décide de faire appliquer par la justice séculière les peines qu'elle-même a prononcées contre les hérétiques. ar « Dans l'un et l'autre droit » (formule latine). Un licencié in utroque Jure est diplômé à la fois de droit civil et de droit canon. as Dans le cadre du droit canon. at Ordre catholique mendiant fondé en 1215 par saint Dominique. au Acte juridique par lequel une partie rejette la compétence du tribunal devant lequel l'affaire est traitée. av L'apostat abandonne la foi chrétienne. Le relaps retombe dans l'hérésie après l'avoir abjurée. aw Le simoniaque achète ou vend un bien à caractère spirituel. ax Accusé refusant de paraître devant la cour de justice. ay En latin, « incertaine, vague, générale, forcée, badine ». az Réseaux de plomb qui structurent les différents fragments du plafond se fonçait et ses étoiles peintes ne scintillaient plus, à cette hauteur, que comme des têtes, en acier, d'épingles ; dans les ténèbres des voûtes, l'hermine des armes ducales apparaissait, confuse, dans des écussons qui ressemblaient à de grands dés blancs, mouchetés de points noirs. d'un vitrail. ba Pierres précieuses, variétés de grenat d'un vif éclat. bb Broderie en bordure de vêtements, exécutée en fils ou lamelles d'or, d'argent ou de soie. bc Robes de dessous portées par certains magistrats. bd Ondulait. be Évidents. Annexes Documents inédits Nous devons la publication de ces deux documents à Monsieur Michel Oleffe, collectionneur. Ce grand connaisseur de Huysmans nous a par ailleurs éclairé sur des éléments s'y rapportant. Qu'il en soit ici vivement remercié. Le premier document, non daté, est un feuillet manuscrit collé à un exemplaire de Gilles de Rais, La Magie en Poitou, et signé de Lucien Descaves a, qui s'adresse à un certain Gaillandre ou Gaillarde. Le problème de « l'édition originale du Gilles de Rais » est ici soulevé à cause de l'existence des deux plaquettes de 1897 et 1899 qui portent un nom différent (La Sorcellerie en Poitou et La Magie en Poitou). Le second document est une lettre de Huysmans datée du 11 avril 1900, adressée à Monsieur Bodin, libraire au 43, quai des Grands Augustins, à Paris. Huysmans réside alors à la Maison Notre-Dame qu'il a fait construire à proximité de l'abbaye de Ligugé. Tout me porte à croire que l'édition originale du Gilles de Rais par Huysmans est celle dont la couverture indique : La Magie en Poitou, Ligugé 1899. C'est, en tout cas, celle que Huysmans me remit à moi-même (Ex. 80). Cette édition fut composée et tirée à l'Imprimerie de l'abbaye, que dirigeait un Bénédictin, le P. Blaté, jeune, très intelligent et très habile. J'allais le voir avec Huysmans lorsque je rendais visite à celui-ci. L'Imprimerie de Saint-Martin donnait sur la voie ferrée et je me rappelle qu'on voyait venir les trains comme s'ils allaient traverser l'atelier. J'ai retrouvé cette impression depuis, au cinématographe. Lucien Descaves Ligugé, Maison Notre-Dame, 11 avril 1900 Monsieur, La Magie en Poitou dont vous me parlez n'a pas été mise dans le commerce. C'est, en somme, une réduction arrangée de Là-bas. J'en ai quelques exemplaires que je vous changerai, si vous le désirez, contre d'autres livres. Au reste, M. Leclaire bpart à la fin de la semaine pour Paris et vous verra pour s'entendre, si cela vous convient, avec vous. Recevez, je vous prie, Monsieur, l'assurance de mes meilleurs sentiments. G. Huysmans Huysmans dans son intérieur devant un crucifix. a Lucien Descaves (1861-1949), écrivain naturaliste, signataire du Manifeste des Cinq contre Zola en 1887, membre fondateur de l'Académie Goncourt et premier président de la Société J.-K. Huysmans. Exécuteur testamentaire de Huysmans, il lui a consacré un livre, Les Dernières Années de J.-K. Huysmans (1941). b Depuis 1899, M. et Mme Léon Leclaire résident à la Maison Notre-Dame en compagnie de leur ami Huysmans. Magie du monstre D'abord membre militant du groupe naturaliste qui se forme autour d'Émile Zola1, Joris-Karl Huysmans s'en éloigne dès 1884 avec son roman À rebours, bréviaire de l'esthétique décadente. Puis, à partir d'En route en 1894, son oeuvre participe du renouveau catholique perceptible dans les lettres françaises de l'inter-siècle 2. Cette ferveur chrétienne, Huysmans la découvre d'abord par son envers, la frénésie satanique. En cette fin du XIXe siècle, le satanisme est à la mode. Il répond aux inquiétudes d'un temps propice aux passions occultes. Cette noirceur conjoncturelle stimule l'attirance toujours éprouvée par Huysmans pour le négatif et l'au-delà. Dès le premier roman, Marthe, histoire d'une fille, son oeuvre exhibe en effet des épaves abruties de quotidienneté et travaillées par l'ailleurs. S'éloigner de la matérialité triviale, sortir de l'ornière, franchir les limites : en obsédé de l'évasion, Huysmans cherche partout des issues au « pénitencier de son siècle 3», dont il abhorre l'idéologie matérialiste et le positivisme bien-pensant. Comment se détacher du monde ? Spiritisme, magie noire, blasphèmes ritualisés occupent un temps son imagination d'écrivain avide de fuir comme il peut une époque sans relief ni perspectives. En 1891, avec Là-bas, son roman sur l'occultisme contemporain, il visite aussi les moeurs du Moyen ge finissant : « C'est dans ce monde troublé, qui ne croit plus au passé et s'effraie d'un avenir incertain, qu'il faut situer Gilles de Rais 4». Il en scrute les obscurités, se fascine à ses merveilles. Pour ce voyage à travers le temps, le rôle de guide est confié au héros, l'écrivain Durtal, sorte de double de l'auteur. Durtal écrit un essai biographique qui plonge au coeur du XVe siècle en retraçant l'histoire du plus célèbre des seigneurs vendéens, et le lecteur suit par fragments l'élaboration progressive de son étude historique. Le fond d'ombre médiéval sur lequel s'est construit le livre de Durtal va être à nouveau sollicité quelques années plus tard lorsque Gustave Boucher, bouquiniste parisien et par ailleurs directeur de La Revue du Poitou, reprend certaines pages de Là-bas. Il les sélectionne et les assemble pour une conférence qu'il donne à Niort le 6 juin 1896 devant l'assemblée de la Société d'ethnographie nationale et d'art populaire. Comme il voudrait garder une trace écrite du texte ainsi lu, il demande à son ami Huysmans son accord pour publication. Huysmans accepte, et signe de fait en 1897 une plaquette diffusée hors commerce à cent exemplaires, Gilles de Rais, la Sorcellerie en Poitou, qui, après de légères modifications, devient deux ans plus tard l'opuscule Gilles de Rais, la Magie en Poitou 5. Avalisé par Huysmans, le montage des textes n'est bien sûr pas indemne des intentions, délibérées ou inconscientes, de Boucher, qui atténue notablement la dimension sexuelle des meurtres perpétrés 6. Encore deux ans plus tard, en 1901, ce rappel des profondeurs médiévales se prolonge pour Huysmans avec la publication de Sainte Lydwine de Schiedam, étonnante hagiographie de celle qui à certains égards est à Dieu ce que Gilles est à Satan. La sainte hollandaise comme le serial killer vendéen sont des êtres de passion, des créatures hors norme qui donnent un visage à l'impossible. À travers l'ombre inquiétante et gigantesque de ces deux figures d'exception, c'est le Moyen ge qui surgit dans tous ses excès. Versant blanc et versant noir d'une même foi : Lydwine expie et endure, Gilles torture et extermine. Tous deux tutoient le sublime et l'horrible, et avancent dans un délire qui s'accroche à des vérités absolues défiant les règles de la raison et les lois de la nature 7. Perçu dans le crible huysmansien, Gilles de Rais apparaît comme un être d'engouement qui rayonne à sa manière dans ce XVe siècle agité par la violence et les guerres. Pour lui, tout est allé très vite : orphelin à neuf ans, marié à seize, Maréchal de France à vingt-cinq. De retour de la guerre, il donne des spectacles fastueux, des festins à répétition. Étant de ceux qui ne lésinent pas, il se retrouve assez vite au bord de la ruine. La guerre, la fête, la dette : l'orgueilleux se démène toujours dans la dépense. Devant ces difficultés pécuniaires de plus en plus menaçantes, l'ancien compagnon d'armes de Jeanne d'Arc retiré sur ses terres croise le savoir magique qui met en éveil sa curiosité. Il se lance dans des recherches alchimiques qui, espère-t-il, devraient le remettre financièrement sur pied. Transmutation des métaux, pierre philosophale, pente fatale. Le diable offre ses services. Le maître de Tiffauges s'approche, il s'entoure de magiciens experts, convoque des évocateurs de démons, des souffleurs censés offrir l'accès à l'autre monde. Huysmans précise bien que « cette science, qui le jeta dans la démonomanie, [...] il l'aima pour elle-même, dans un temps où il était riche ». Faut-il voir dans cette interprétation la tentative de Huysmans de « spiritualiser » Gilles, de l'élever au-dessus de considérations humaines, trop humaines, tout en projetant sa propre obsession de la fin, de l'ailleurs, son appétence pour l'autre côté de la vie ? Toujours est-il qu'il présente l'alchimie comme ce qui, dans l'esprit de Gilles, permettrait avant tout de transgresser la frontière qui sépare l'ici-bas de l'au-delà. Dans cette tentative de communication diabolique, de surnaturelle correspondance, la démesure médiévale se marie à une immense candeur. Georges Bataille voit même en Gilles un niais: « L'enfantillage, en principe, a de courtes possibilités, tandis qu'en raison de cette fortune et de ce pouvoir, l'enfantillage de Gilles de Rais eut devant lui de tragiques possibilités. 8» En enfant capricieux et tout-puissant, Gilles se laisse conduire par ses impulsions. La magie le pousse plus loin dans ses rêves, et il aime que les chimères l'accompagnent ainsi tandis qu'il avance en des terres inconnues. Pourtant, comme Satan se refuse décidément à ouvrir les portes, il faut l'amadouer, le séduire, lui donner des gages. En fier chrétien, Gilles « tremble devant le démon, s'apeure lorsqu'il songe à la vie éternelle, lorsqu'il pense au Christ » : il ne veut pas vendre son âme au diable, mais ne recule pas devant l'odeur du sang. Or, le meurtre pourrait bien séduire le Malin. Aussi, fort de son expérience de guerrier de haut vol, sera-t-il un boucher hors pair, un sacrificateur prodigue. Le seigneur se transforme en ogre. Gilles devient Barbe-Bleue. Se préserver la possibilité personnelle du paradis vaut bien un massacre d'innocents. Et la chair à Satan ne manque pas dans les campagnes reculées du royaume. La passion criminelle va alors s'exaspérer, le meurtre cessant d'être un moyen d'approche du démon pour devenir la fin festive d'une existence déréglée. Dans les forteresses de Tiffauges et de Machecoul, Gilles multiplie les orgies et s'adonne à des rituels horrifiques dont il jouit sans retenue. Cet égarement du sens n'est jamais une abdication de la foi : le sacrilège est un hommage paradoxal à Dieu, et le déchaînement sanguinaire requiert encore la foi, ne serait-ce que pour la mettre sens dessus dessous. Gilles repousse toujours plus loin les limites et se sent encouragé dans sa vocation par l'impunité dont l'assure son statut de grand seigneur. Abusant des prérogatives que lui confère son rang, il ordonne, expérimente, s'enfonce. Longtemps, la société féodale préserve l'assassin. Huit années durant, toute une population paysanne voit ses jeunes enfants disparaître, les garçons surtout, enlevés souvent la nuit, par la ruse ou la violence. La légende de Barbe-Bleue qui naît va peu à peu s'amplifier, se mêlant à l'histoire réelle, qui n'en finit pas d'évaluer le poids des souffrances, de comptabiliser les victimes : « En 1889, à Tiffauges, un médecin découvrit une oubliette, et il en ramena des masses de têtes et d'os. » L'érudition est certes au rendez-vous dans Gilles de Rais. Formé à l'école zolienne du document, l'auteur a lu les ouvrages historiques de référence. Mais Huysmans n'en donne pas moins sa propre vision du « grand seigneur méchant homme », et traduit son destin tourmenté avec le calme tordu d'un écrivain rigoureux et hanté. Si dans Là-bas il le compare à un « des Esseintes du quinzième siècle 9», c'est qu'il tient à en faire un fin lettré, un amoureux des arts, un esprit mystique. Il voudrait voir en lui un être « sur-civilisé », brutalement avide d'absolu, plutôt qu'une personnalité immature et archaïque. En tout cas, comme Huysmans, on ne peut qu'être ébloui par le revirement final du procès : après avoir rejeté la légitimité de la Cour, après voir injurié les juges et s'être réfugié dans le silence, l'orgueilleux s'agenouille enfin. Le prédateur impulsif, compulsif et ultra-violent confesse dans le détail ses crimes et finit par demander aux parents des victimes de le secourir par leurs prières. Et le miracle advient. Avec la puissance du plus haut pardon accordé par la foule au monstre lamentable, il nous est alors donné de saisir « l'âme du Moyen ge » : le ciment religieux scelle une communauté humaine animée par un sens de la compassion à la mesure de la profanation. Le monstre est enfin reconnu. Bientôt pendu et brûlé pour ses crimes, il pourra néanmoins mourir parmi les hommes. Jérôme SOLAL 1 En disciple zélé, Huysmans fait l'éloge appuyé du maître dans son long article « Émile Zola et L'Assommoir » paru les 11 mars et 1er avril 1877 dans L'Actualité. 2 Voir Jean-Antoine Calvet, Le Renouveau catholique dans la littérature contemporaine, Lanore, 1927. 3 À rebours, Gallimard, coll. « Folio », 1992, p. 297. 4 Là-bas, Garnier-Flammarion, 1979, p. 70. 5 Le texte n'a plus jamais paru depuis de façon autonome. 6 Gustave Boucher a laissé de côté un certain nombre de passages de Là-bas consacrés au Maréchal. En particulier, les chapitres XI, XVI, XVIII et XXII, qui détaillent les supplices les plus violents, sont écartés : « C'est là que les petits garçons enfermés dans les caves sont amenés. On les déshabille, on les bâillonne ; le Maréchal les palpe et les force, puis il les taillade à coups de dague, se complaît à les démembrer, pièces à pièces. D'autres fois, il leur fend la poitrine, et il boit le souffle des poumons ; il leur ouvre aussi le ventre, le flaire, élargit de ses mains la plaie et s'assied dedans. Alors, tandis qu'il se macère dans la boue détrempée des entailles tièdes, il se retourne un peu et regarde par-dessus son épaule, afin de contempler les suprêmes convulsions, les derniers spasmes. Lui-même l'a dit : 'J'étais plus content de jouir des tortures, des larmes, de l'effroi et du sang que de tout autre plaisir." » (chapitre XI). 7 « [Sainte Lydwine] serait morte vingt fois si ces affections avaient été naturelles » (Sainte Lydwine de Schzedam, Maren Sell, 1989, p. 76). 8 Georges Bataille, Le Procès de Gilles de Rais, Pauvert, 1979, p. 36. 9 Là-bas, Garnier-Flammarion, 1979, p. 70. Vie de Joris-Karl Huysmans 1848. Charles-Marie-Georges Huysmans naît le 5 février à Paris, rue Suger. Il est le fils de Godfried Huysmans, peintre et dessinateur hollandais, naturalisé français en avril, et de Maldiva Badin. 1856. Mort du père de Huysmans, le 24 juin. Sa veuve s'installe au 11, rue de Sèvres. Huysmans entre comme pensionnaire à l'Institution Hortus. 1857. Malvina se remarie avec Jules Og. Ils auront deux filles, Juliette et Blanche. 1862. Le jeune Huysmans entre au lycée Saint-Louis. 1866. Il obtient la première partie de son baccalauréat et, le 1er avril, est engagé comme employé de sixième classe au ministère de l'Intérieur. En octobre, il s'inscrit à la faculté de Droit et de Lettres. 1867. Huysmans publie son premier texte dans la Revue mensuelle. Mort de Jules Og le 8 septembre. Huysmans obtient son premier examen de droit, mais arrête ses études. 1870. En mars, Huysmans est enrôlé dans le sixième bataillon de la Garde nationale de la Seine, puis rappelé en juillet. Malade, il finit par rentrer à Paris assiégé par l'armée prussienne. En novembre, il est affecté au ministère de la Guerre comme commis aux écritures. Pendant la Commune, il suit le ministère à Versailles. 1871. Il revient à Paris et s'installe rue du Cherche-Midi. 1872. Il fait la connaissance d'Anna Meunier, qui va devenir sa maîtresse. 1874. Publication à compte d'auteur du Drageoir à épices, recueil de poèmes en prose signé Jorris-Karl Huysmans et réédité l'année suivante sous le titre Le Drageoir aux épices. Joris remplacera ensuite Jorris. 1876. Son premier roman, Marthe, histoire d'unefille, est publié à Bruxelles. Après la mort de sa mère le 4 mai, il devient le responsable civil de ses deux demi-soeurs. Première rencontre avec Émile Zola, autour duquel s'est formé un petit groupe dont il fait vite partie. Il est muté au ministère de l'Intérieur. 1877. Le 16 avril, Huysmans participe au célèbre dîner chez Trapp avec Zola, Goncourt, Flaubert, Maupassant, Mirbeau, Paul Alexis, Henry Céard et Léon Hennique. 1879. Publication des Soeurs Vatard. Le scandale forge sa réputation d'écrivain sulfureux. 1880. Publication des Croquis parisiens et de « Sac au dos » dans le recueil de nouvelles Les Soirées de Médan, vitrine du naturalisme. Échec de son projet de revue, La Comédie humaine. 1881. Publication du roman En ménage et de la pantomime Pierrot sceptique, co-écrite avec Léon Hennique. 1882. Publication d'À vau-l'eau. 1883. Parution de L'Art moderne, recueil de textes sur l'art, où Huysmans défend la peinture impressionniste. 1884. Avec À rebours, Huysmans rompt en partie avec le naturalisme, défend Mallarmé et Verlaine alors inconnus. Le héros du roman, le duc Jean des Esseintes, devient l'emblème littéraire du décadent. 1885. Séjour au château de Lourps avec Anna Meunier et Léon Bloy. 1887. Publication d'En rade. 1888. Parution du récit Un dilemme. Huysmans écrit la nouvelle La Retraite de Monsieur Bougran, qui ne sera publiée qu'en 1964. Lors d'un voyage en Allemagne à l'invitation de son ami Arij Prins, Huysmans découvre à Cassel le tableau de Grünewald La Crucifixion. 1889. Publication de Certains, nouveau recueil de textes sur l'art. Il y fait l'éloge d'Odilon Redon, de Gustave Moreau, de Félicien Rops. À la mort de leur ami Villiers de l'Isle-Adam, Huysmans et Mallarmé en deviennent les exécuteurs testamentaires. Huysmans commence à fréquenter le cercle occultiste où l'a introduit Berthe Courrière, la maîtresse de Remy de Gourmont. En septembre, il se rend au château de Tiffauges. 1890. Parution de La Bièvre. 1891. Publication de Là-bas, roman de l'occultisme, dont le héros, l'écrivain Durtal, reviendra dans les romans suivants, En route, La Cathédrale et L'Oblat. Huysmans rencontre à la fois le sulfureux abbé Boullan, qui complète sa connaissance du satanisme, et l'abbé Mugnier, qui devient son directeur de conscience. 1892. Première retraite à la Trappe d'Igny. 1893. Anna Meunier doit être internée à l'hôpital Sainte-Anne. Huysmans est fait chevalier de la Légion d'honneur. 1894. Séjours à l'abbaye de Saint-Wandrille et à la Trappe d'Igny. 1895. Parution d'En route, premier roman « catholique » de Huysmans, qui publie par ailleurs une préface à l'ouvrage de Jules Bois, Le Satanisme et la Magie. Mort d'Anna Meunier le 12 février. Visites répétées à Chartres. 1896. Premier séjour à l'abbaye de Solesmes. Amitié avec Lucien Descaves qu'il connaît depuis des années et qui deviendra son exécuteur testamentaire. 1897. Parution, hors commerce, de Gilles de Rais, la Sorcellerie en Poitou. Voyages en Belgique et en Hollande. 1898. Parution de La Cathédrale, roman dénoncé à l'Index. Huysmans prend sa retraite de fonctionnaire. À l'invitation de Gustave Boucher, il se retire pour la première fois à l'abbaye Saint-Martin de Ligugé, dans le Poitou. À proximité, il acquiert un terrain et y fait construire la Maison Notre-Dame. 1899. Parution de Pages catholiques, anthologie préparée par l'abbé Mugnier, et, hors commerce, de Gilles de Rais, la Magie en Poitou. Huysmans s'installe à la Maison Notre-Dame et prévoit d'y installer une colonie d'artistes catholiques. 1900. Il est le premier président de l'Académie Goncourt nouvellement créée. 1901. Publication de La Bièvre, les Gobelins, Saint-Séverin, de Sainte Lydwine de Schiedam et de De tout. Huysmans fait sa profession solennelle d'oblature, mais, en raison des lois sur les congrégations, les moines quittent Ligugé, et Huysmans rentre à Paris. 1903. Publication de L'Oblat. Voyages à Lourdes, en Allemagne et en Belgique avec l'abbé Mugnier. 1904. Publication de Trois Primitifs. Huysmans s'installe rue Saint-Placide. Nouveau séjour à Lourdes. 1906. Publication des Foules de Lourdes. Huysmans souffre des yeux, des dents et de la gorge. Il est opéré sans succès d'un phlegmon au cou, subit une extraction de dents. Un cancer est diagnostiqué. 1907. Après de longues souffrances et l'échec de tout traitement, Huysmans meurt le 12 mai. Il est inhumé le 15 mai. Repères bibliographiques OUVRAGES DE JORIS-KARL HUYSMANS Marthe, histoire d'une fille [1876], Les Éditions de Paris Max Chaleil, 2002. Les Soeurs Vatard [1879], La Chasse au Snark, 2002. En ménage [1881], Droz, collection « Textes littéraires français », 2005. À vau-l'eau [1882], Mille et une nuit, 2000. L'Art moderne [1883], U.G.É., 10/18, collection Fins de Siècles, 1986. À rebours [1884], Gallimard, collection « Folio Classique », 1992. En rade [1887], Gallimard, collection « Folio Classique », 1991. Là-bas [1891], Flammanon, collection « GF », 1993. En route [1895], Gallimard, collection « Folio Classique », 1996. La Cathédrale [1898], Christian Pirot, collection « Autour de 1900 », 1986. Sainte Lydwine de Schiedam [1901], Maren Sell, 1989. L'Oblat [1903], Christian Pirot, collection « Autour de 1900 », 1992. Les Foules de Lourdes [1906], Jérôme Millon, collection « Golgotha », 1996. ÉTUDES SUR JORIS-KARL HUYSMANS BALDICK (Robert), La Vie de J.-K Huysmans, Denoël, 1958. BONNET (Gilles), L'Écriture comique de J.-K. Huysmans, Champion, collection « Romantisme et Modernité », 2003. BORIE (Jean), Huysmans, Le Diable, le Célibataire et Dieu, Grasset, 1991. BUISINE (Alain), Huysmans à fleur de peau, le goût des primitifs Artois Presses Université, collection « Études littéraires et linguistiques », 2004. PEYLET (Gérard), J.-K. Huysmans, la double quête, vers une vision synthétique de l'oeuvre, L'Harmattan, collection « Espaces littéraires », 2001. SMEETS (Marc), Huysmans l'inchangé, histoire d'une conversion, Rodopi, collection « Faux Titre », 2004. SOLAL (Jérôme), Huysmans et L'homme de la fin, Minard, collection « Bibliothèque des lettres modernes », 2007. Livraisons du Bulletin de la Société J.-K. Huysmans, publié depuis 1928 par l'Association des amis de J.-K. Huysmans, aujourd'hui présidée par André Damien. Cahier de l'Herne, « Huysmans », n° 47, sous la direction de Pierre Brunel et d'André Guyaux, 1985. Huysmans, une esthétique de la décadence, sous la direction d'André Guyaux, de Christian Heck et de Robert Kopp, Champion, 1987. Huysmans entre grâce et péché, sous la direction d'Alain Vircondelet, Beauchesne collection « Cultures & Christianisme », 1995. Huysmans à côté et au-delà, sous la direction de Jean-Pierre Bertrand, de Sylvie Duran et de Françoise Grauby, Peeters-Vrin, collection « Accent », 2001. Numéro spécial de la revue Europe, n° 916-917, sous la direction de Michel Lamart, août-septembre 2005. http://www.societe-huysmans.paris-sorbonne.fr/index.htm Mille et une nuits propose des chefs-d'oeuvre pour le temps d'une attente, d'un voyage, d'une insomnie La Petite Collection (extrait du catalogue) 482. Valentine de SAINT-POINT, Manifeste de la femme futuriste. 483. Filippo Tommaso MARINETTI, Tuons le clair de lune !! Manifestes futuristes et autres proclamations. 484. Patrick BESSON, La Femme riche. 485. MARC AURÈLE, Pensées à moi-même. 486. Khalil GIBRAN, Les Cendres du passé et le Feu éternel. 487. Fernand DIVOIRE, Introduction à l'étude de la stratégie littéraire. 488. Alexandre DUMAS, La Route de Varennes. 489. Arthur de GOBINEAU, Les Amants de Kandahar. 490. David HUME, Du commerce et du luxe. 491. Jean-Marc PARISIS, Renvoi d'ascenseur. 492. Patrick BESSON, Zodiaque amoureux. 493. Sébastien BAILLY, Le Meilleur des jeux de mots. 495. PLATON, Protagoras. 496. Marcel PROUST, L'Indifférent et autres textes de jeunesse. 497. PETRONE, Le Dîner chez Trimalchion. 498. Alain CREHANGE, L'Anarchiviste et le Biblioteckel. Dictionnaire de mots-valises. 499. Arthur SCHOPENHAUER, Au-delà de la philosophie universitaire. 500. Henry David THOREAU, La Moelle de la vie. 500 aphorismes. 501. Jérôme LEROY, Rêve de cristal : Arques, 2064. 502. Patrick BESSON, L'Orgie échevelée. 503. Paul CÉZANNE, La Peinture couillarde. Propos choisis. 504. Léon PINSKER, Autoémancipation ! Avertzssement d'un Juif russe à ses frères. 505. Claude CAHUN, Héroïnes. 506. VOLTAIRE, Le Fanatisme ou Mahomet le Prophète. 507. Philarète CHASLES, Vie de Danzel Defoe. 508. Emmanuel KANT - Moses MENDELSSOHN, Qu'est-ce que les Lumières ? 509. Henry David THOREAU, De l'esclavage. Plaidoyer pour John Brown. 510. VOLTAIRE, Histoire des croisades. 511. Patrick BESSON, La Titanic. 512. Michel CHEVALIER, Système de la Méditerranée. 513. Ambroise VOLLARD, Le Père Ubu à la guerre. 514. Car Von CLAUSEWITZ, Principes fondamentaux de stratégze militaire. 515. Frédéric PAGÈS, Philosopher ou l'art de clouer le bec aux femmes. 516. Johann Gottlieb FICHTE, De la liberté de penser. 517. Victor HUGO, Lettres à Léonie. 518. Jean JAURÈS, Il faut sauver les Arméniens. 519. Alfred JARRY, L'Amour en visites. 520. Ernest FEYDEAU, Souvenzrs d'une cocodette, écrits par elle-même. 522. Sylvain MARÉCHAL, Projet d'une loi portant défense d'apprendre à lire aux femmes. Pour chaque titre, le texte intégral, une postface, la vie de l'auteur et une bibliographie