INTRODUCTION Le choix Quand, à la fin de La Flûte enchantée, les légions de la Reine de la nuit sont vaincues dans le temple du Soleil par les troupes de Sarastro, c'est la victoire des « Lumières» sur l'obscurantisme que prophétise Mozart, quelques mois avant sa mort. Nous sommes en 1791, la Révolution française est commencée, mais le succès des «Lumières» demeure incertain. Dix ans plus tard, alors que l'œuvre de Mozart est enfin jouée pour la première fois à Paris, le triomphe des idées nouvelles paraît plus assuré; mais dans le public qui applaudit La Flûte transformée en Mystères d'Isis, livret de Morel, arrangement de Lachnith, combien de spectateurs discernent en Sarastro les traits du général Bonaparte devenu Premier Consul de la République et dernier rempart des conquêtes révolutionnaires ? Conjonction inattendue d'un individu et d'un bouleversement politique. D'un côté, un officier rêveur et distrait au service d'une monarchie qu'il sert en mercenaire, une mentalité d'exilé, une tendance suicidaire, un ennui promené de garnison en garnison. De l'autre, la Révolution, ou peut-être les Révolutions, à considérer la diversité des objectifs poursuivis. Chateaubriand l'a observé, ce sont les nobles qui ont porté les premiers coups au vieil édifice monarchique. A la faveur de la crise des finances royales, ils ont tenté de remettre en cause les principes de l'absolutisme. Tel était l'objectif assigné, plus ou moins ouvertement, à la réunion des États-Généraux. La revanche de la Fronde, la fin des humiliations politiques, le retour aux lois fondamentales qu'invoquait déjà le cardinal de Retz dans ses Mémoires puis Fénelon dans ses dernières œuvres, voilà ce que souhaitait au fond d'elle-même la noblesse libérale derrière les grands mots inspirés par des philosophes trop vite lus, la guerre d'Indépendance d'Amérique à laquelle un La Fayette et un Noailles avaient généreusement participé, ou les brochures d'un marginal comme le comte d'Antraigues. Le Quatorze Juillet et la Grande Peur ont balayé les illusions. La boîte de Pandore imprudemment ouverte, l'ancienne noblesse a été engloutie, les titres ont été supprimés, les droits féodaux abolis, les propriétés confisquées. C'est qu'un autre soulèvement a pris le relais. A la Fronde succède la Jacquerie. Ces mouvements désordonnés de paysans, voués jadis à l'écrasement, embrasent à nouveau une grande partie de la France et prennent un caractère original. De la révolte anarchique on est passé à la révolution. Une prise de conscience s'opère. Des objectifs précis apparaissent dans les cahiers de doléances: la fin du régime féodal et l'appropriation du sol. La révision des terriers, entreprise par une noblesse de plus en plus endettée, a joué un rôle de catalyseur. Les mots d'ordre politiques sont en revanche inexistants. On s'insurge contre le seigneur, non contre le roi, malgré la lourdeur des impôts et le poids des corvées. Révolution vite apaisée: la nuit du 4-Août, les décrets abolissant la féodalité, la vente des biens d'Église, la hausse des prix dévaluant les fermages, la montée - plus lente, il est vrai - du salaire des journaliers dans de nombreuses régions, ont transformé la paysannerie française, ou du moins une partie d'entre elle, en une masse conservatrice, attachée certes aux conquêtes révolutionnaires mais qui fournira bientôt les bataillons chargés d'écraser les insurrections prolétariennes du XIXe siècle. Le roi aurait pu utiliser la paysannerie contre ses nobles révoltés : il eût fallu sur le trône Louis XI ou Louis XIV. Louis XVI manquait d'autorité sans l'excuse du sceptique ou du jouisseur. D'autres profiteront du trouble des campagnes: les bourgeois ou du moins, là encore, unefraction de la bourgeoisie. Les rentiers, les propriétaires de charges, le grand négoce portuaire et le commerce de luxe ont terriblement souffert. La banque se terre, limitant ses opérations. Les plus audacieux sont souvent les plus modestes, aux confins de la petite bourgeoisie. Comment ne pas évoquer le père Grandet ? Dès que la République française mit en vente, dans l'arrondissement de Saumur, les biens du Clergé, le tonnelier, alors âgé de quarante ans, venait d'épouser la fille d'un riche marchand de planches. Grandet alla, muni de sa fortune liquide et de la dot, au district, où moyennant deux cents doubles louis offerts par son beau-père, au farouche républicain qui surveillait la vente des domaines nationaux, il eut, pour un morceau de pain, légalement sinon légitimement, les plus beaux vignobles de l'arrondissement, une vieille abbaye et quelques métairies. Politiquement, il protégea les ci-devant et empêcha de tout son pouvoir la vente des biens des émigrés; commercialement, il fournit aux armées républicaines un ou deux milliers de pièces de vin blanc et se fit payer en superbes prairies dépendant d'une communauté de femmes que l'on avait réservées pour un dernier lot. Sous le Consulat, le bonhomme Grandet devint maire, administra sagement, vendangea mieux encore; sous l'Empire, il fut Monsieur Grandet. Les Grandet étaient nombreux en province, mais c'est à Paris que la spéculation sur les fournitures aux armées et la dépréciation des assignats avaient revêtu la plus grande ampleur. Les nobles s'effacent, le règne des notables commence. Une nouvelle bourgeoisie s'est créée, celle qui a su acheter les biens nationaux en période d'inflation ou accaparer les commandes de l'État, celle qui s'est glissée dans l'administration ou qui connaît le droit, celle enfin qui a pu, libérée du carcan des corporations et à l'abri du protectionnisme institué par le Directoire, développer ateliers et manufactures. Que voulait la bourgeoisie en 1789 ? Sieyès a exposé ses idées dans le célèbre pamphlet Qu'est-ce que le Tiers État ? Plus concis, Napoléon en a résumé les aspirations en un mot peut-être apocryphe: « la vanité; la liberté, ajoutait-il, n'a été qu'un prétexte. La réaction féodale fermant ou menaçant de fermer les rangs de la noblesse à une bourgeoisie en pleine ascension dans une France en pleine expansion, a précipité les bourgeois dans l'opposition aux institutions sociales. Les premiers révoltés ne seront d'ailleurs pas toujours ceux qui profiteront de la destruction de l'Ancien Régime, la propriété bourgeoise du XVIIIe siècle sera souvent victime de l'abolition de la féodalité. Reste que bourgeois et paysans se trouvent, on l'a maintes fois souligné, engagés dans un même combat contre cette féodalité. Ils en sortiront vainqueurs et vaguement solidaires. Ne représentent-ils pas le nombre et le talent? Un quatrième courant demeure à part: le prolétariat urbain. Au départ, le chômage et la disette qui jettent, dans les rues des villes et plus particulièrement à Paris, artisans, compagnons, domestiques et gagne-deniers. La rareté des grandes entreprises, la structure archaïque des ateliers, les conditions de travail rapprochant patrons et ouvriers, interdisaient encore la naissance de problèmes sociaux aigus et l'idée de grève reste cantonnée à une maison ou à quelques membres d'une même profession tout au plus. Influencées par Rousseau, les aspirations sociales se limitent à un monde de «petits producteurs et de petits commerçants indépendants»; les sans-culottes rêvent d'une sorte de «patronat universel ». Ce prolétariat urbain a servi de fer de lance, sous la Terreur, à la Révolution. Mais soucieuse d'assurer à l'industrie naissante une main-d'œuvre à bon marché, la Constituante, par la loi Le Chapelier du 14 juin 1791, a interdit toute coalition ouvrière; la disparition des corporations a même favorisé l'exploitation des enfants dans les manufactures. Désireux d'assurer le maintien de l'ordre et la consolidation de la - de leur — propriété, les thermidoriens, à leur tour, s'empressent de désarmer les faubourgs. Le mouvement sans-culotte est brisé par la nouvelle bourgeoisie, les paysans restant indifférents devant cet échec. Après le coup d'État de Brumaire, Bonaparte affirme : « Je suis la Révolution », pour se contredire aussitôt: « La Révolution est finie.» Finir la Révolution: on l'a pensé le 5 août 1789 ou lors de la séparation de la Constituante, quand la Convention célébrait l'Étre suprême ou lorsque la tête de Robespierre tombait dans le panier. Pour terminer la Révolution, trois voies sont offertes: retour au système monarchique et aristocratique (avec l'ancienne ou une nouvelle dynastie); consolidation des conquêtes bourgeoises et paysannes ; satisfaction des aspirations de la sans-culotterie parisienne. Retour au passé; maintien du présent; préparation de l'avenir. L'aventure napoléonienne tient dans un choix, celui qu'effectue Bonaparte en 1799. BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE Le héros de cette aventure a inspiré plus de livres qu'il ne s'est écoulé de jours depuis sa mort. Cette inflation n'est pas un phénomène strictement national ni même européen. Il atteint l'Asie: dès 1837, Ozeki San'ei écrit en chinois une biographie de Napoléon. Selon Louis Villat, la première biographie complète de l'Empereur daterait de 1821, année même de sa disparition: Napoléon, sa naissance, son éducation, sa carrière militaire, son gouvernement, sa chute, son exil et sa mort, par M.C. Mais déjà la bibliographie napoléonienne était colossale, partagée entre le pamphlet et l'éloge officiel. Arnault entreprend en 1822 une Vie politique et militaire de Napoléon. Laurent de l'Ardèche en 1826, Norvins en 1827, Jomini et Thibaudeau la même année, Walter Scott enfin, s'empressent de l'imiter. Toutes ces tentatives sont éclipsées par la monumentale Histoire du Consulat et de l'Empire que Thiers achève en 1862, ouvrant la voie à Michelet (Histoire du XIXe siècle, 1875) et à Taine (Les Origines de la France contemporaine: le régime moderne, 1887), annonçant les longues séries de Frédéric Masson (Napoléon et sa famille, 13 volumes, 1897-1919), Driault (Napoléon et l'Europe, 5 tomes, 1912-1927, qui reprend L'Europe et la Révolution française d'Albert Sorel), Lanzac de Laborie (Paris sous Napoléon, 8 tomes, 1905-1911), L. Madelin (Histoire du Consulat et de l'Empire, 16 volumes, 1936-1954), Jean Thiry (Napoléon Bonaparte, 28 tomes, 1938-1975). Le Second Empire avait entrepris une publication en 32 volumes de la Correspondance, compilation incomplète et falsifiée parfois mais donnant une image de la prodigieuse activité de l'Empereur (le Dictionnaire de l'Empereur de Palluel, 1969, permet de l'utiliser commodément en l'absence d'index). S'ajouteront des suppléments par Lecestre, L. de Brotonne, Lumbroso, Masson, d'Huart, Tuetey et Picard, etc. «On parlera de sa gloire sous le chaume bien longtemps», prophétisait Béranger. Ce fut un déluge, de Capefigue (1831) à Lanfrey (1867), de Peyre(1887) à Guillois (1889). On trouve des Napoléon «de gauche » (Jaurès, Histoire socialiste, t. VI, 1905; Tersen, Napoléon, 1959; Soboul, Le Premier Empire, 1973) et des Napoléon de droite (J. Bainville, Napoléon, 1931; Ch. Maurras, Jeanne d'Arc, Louis XIV et Napoléon, 1938; L. Daudet, Deux idoles sanglantes, la Révolution et son fils Bonaparte, 1939; Fr. Olivier-Martin, L'Inconnu Napoléon Bonaparte, 1952), tous excellents. Le pamphlet (Iung, Bonaparte et son temps, 1880-1881; J. Savant, Tel fut Napoléon, 1953; H. Guillemin, Napoléon tel quel, 1969) côtoie l'hagiographie (M. Tartary, Sur les traces de Napoléon, 1956). Vivants sont G. Lenôtre, Napoléon, croquis de l'épopée (1932), A. Castelot, Bonaparte et Napoléon (1968), L. Chardigny, L'homme Napoléon (1987); savants sont Lavisse et Rambaud, Histoire générale, t. IX, Napoléon (1897), Pariset, Le Consulat et l'Empire (t. III de l'Histoire de France contemporaine de Lavisse, 1921), G. Lefebvre, Napoléon (1935, rééd. par Soboul), Fr. Dreyfus, Le Temps des Révolutions (1968), Godechot, Napoléon (1969), Furet et Bergeron (1973), Sussel, Napoléon (1970), Bergeron, Lovie et Palluel, L'Épisode napoléonien (1972), A. Latreille, L'Ère napoléonienne (1974), L. Genet, La Révolution et l'Empire (1975). Napoléon existe en petit format (Lucas-Dubreton, 1942; M. Vox, 1959, Bertrand, 1973, Dufraisse dans la collection Que sais-je?) et en grand in-4° (G. Lacour-Gayet, 1921). Il y a des Napoléon russes (Merejkowski, 1930; Tarlé, plus. rééd.; Manfred, 1977), allemands (Kircheisen, 1911-1934; Ludwig, 1924), anglais (Seely; Rosebery, 1900; Holland Rose, 1901 ; Thompson, 1952; Markham, 1963 ; Cronin, 1976), américains (Dowd, 1957 ; Holtman, 1967), italiens (Lumbroso, 1921 ; Zaghi, 1969), chinois (Li Yuan ming, 1985) ou hollandais (Geyl, 1949). On peut le suivre jour par jour: Schuermans, Itinéraire général de Napoléon (1911); L. Garros, Quel roman que ma vie (1947); J. Massin, Almanach du Premier Empire (1965). On peut le situer dans l'espace: l'Atlas donné par Thiers, l'Atlas de la grande armée de J.-C. Quennevat (1966), et l'Atlas administratif du Premier Empire par F. de Dainville et J. Tulard (1973). Tous les écrivains ont été fascinés par Napoléon (Chateaubriand, Hugo, Balzac, Stendhal, Sénancour, mais aussi L. Bloy, Elie Faure (1921), Delteil (1929), Rosny Aîné (1931), buarès (1933), J. Komams (1963), A. Maurois (1964), P. Morand (Napoléon homme pressé, 1969), A. Malraux (Les chênes qu'on abat), sans oublier les scénarios des films d'A. Gance et de S. Guitry. Mais l'historien tirera peu de profit de ces lectures. Les revues sont innombrables : Revue de l'Empire (1842-1848), Revue napoléonienne (de Lumbroso, entre 1901 et 1909 principalement), Revue des Études napoléoniennes (1912-1939; éblouissante jusque vers 1930; superficielle et hagiographique ensuite; tables); Revue de l'Institut Napoléon (paraît depuis 1938 ; a pris, sous l'impulsion de M. Dunan, le relais de la Revue des Études napoléoniennes ; tables) ; Le Souvenir napoléonien qui s'est dégagé depuis 1970, à la faveur de numéros spéciaux, de l'hagiographie) ; Toute l'histoire de Napoléon (a publié entre 1951 et 1952 quelques numéros spéciaux excellents) ; Bulletin de la Société belge d'études napoléoniennes (92 numéros entre 1950 et 1975, surtout centrés sur Waterloo; tables dans le n° 92) ; Rivista italiana di Studi napoleonici (d'inégale valeur et de publication irrégulière, mais souvent attachante) ; Het Nederlands genootschap voor Napoleontische studien (en néerlandais) ; on ne négligera pas les Annales historiques de la Révolution française (depuis 1908). Il existe plusieurs dictionnaires utiles: Biographie des hommes vivants (1816); Arnault, Jay, Jouy et Norvins, Biographie nouvelle des contemporains (1821); P. Larousse, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle (d'une exceptionnelle richesse) ; B. Melchior-Bonnet, Dictionnaire de la Révolution et de l'Empire (1965); Connelly, Historical Dictionary of Napoleonic France (excellent) (1985). Tous ont été remplacés par le Dictionnaire Napoléon (sous la direction de J. Tulard, en 1987) qui à travers plus de 3200 entrées permet de faire le tour complet de la période (militaires, fonctionnaires, artistes, savants, institutions, batailles, vie quotidienne...). Spécialisés sont Robert, Bourloton et Cougny, Dictionnaire des Parlementaires (1889-1891), et Six, Dictionnaire des généraux et amiraux de la Révolution et de l'Empire (1934). On consultera à l'Ecole pratique des Hautes Études (IVe section) les thèses de H. Robert sur le personnel diplomatique, de D. Duchesne sur celui de la Cour de Cassation, de Pinaud sur les évêques de Napoléon, d'U. Todisco sur la Cour des Comptes et de Szramkiewicz sur les régents et censeurs de la Banque de France, ces deux dernières imprimées, qui sont autant de dictionnaires biographiques. L'histoire de la période sera renouvelée par l'ouverture des fonds privés d'archives: lire à ce sujet les chroniques annuelles de Ch. de Tourtier dans la Revue de l'Institut Napoléon. Dominant l'ensemble de la production par la qualité du texte et une iconographie extraordinaire qui périme les vieux albums de Dayot et même le Napoléon de Bourguignon (1936), Jean Mistler et coll., Napoléon et l'Empire (1968). Iconographie aussi dans Grand-Carteret (1895), chez Broadley, Napoleon in caricature (1911) et Catherine Clerc, La Caricature contre Napoléon (1985), mais dans un sens hostile. Le lecteur soucieux d'en savoir plus se reportera à d'excellents guides bibliographiques : G. Davois, Bibliographie napoléonienne française (1909 ; très complet jusqu'à cette date) ; L. Villat, Napoléon (1936) et J. Godechot, L'Europe et l'Amérique à l'époque napoléonienne (1967). Les gigantesques bibliographies de Lumbroso, de Kircheisen et de Monglond sont restées inachevées. Sur des points précis: E. Hatin, Bibliographie de la presse périodique française (rééd. 1965); Guide bibliographique sommaire d'histoire militaire (1969) ; J. Tulard, Bibliographie critique des mémoires sur le Consulat et l'Empire (1971) rappelle que de nombreux mémoires furent l'œuvre de teinturiers, Saint-Edme, Lamothe-Langon, Villemarest, Beauchamp, Marco Saint-Hilaire, Balzac même. Chaque année la Bibliographie de l'Histoire de France publiée par le C.N.R.S. donne ouvrages et articles parus sur la période 1800-1815. LES CAMPS EN PRÉSENCE Octobre 1799. Le destin de la Révolution demeure incertain. Les royalistes ont échoué de peu en Vendémiaire et en Fructidor dans leur tentative de prendre le pouvoir. Ils sont, il est vrai, divisés entre partisans d'une royauté constitutionnelle et monarchistes intransigeants regroupés autour du comte d'Artois, frère de Louis XVIII et tenant d'un retour à l'Ancien Régime. Leurs positions restent fortes dans l'Ouest et le Midi. Une restauration paraît à beaucoup inéluctable, mais quand? Et sous quelle forme? A gauche, les néo-jacobins. Ils ont triomphé aux élections de l'an VI grâce à la prépondérance exercée dans les assemblées électorales des villes par les artisans et les boutiquiers qui composent leur clientèle. Le Directoire a cassé ces élections, mais ils ont triomphé à nouveau en l'an VII. Leur influence est importante au conseil des Cinq-Cents, plus faible dans la deuxième assemblée, le conseil des Anciens. Leur programme, plus modéré que celui des babouvistes, dont certains, après l'échec de Gracchus Babeuf, se sont ralliés à eux, les rapproche des anciens « terroristes»: ils réclament un régime plus démocratique que l'oligarchique constitution de 1795 alors en vigueur; ils attaquent les prêtres réfractaires; ils demandent enfin un renforcement des assemblées face aux empiétements du Directoire. La reprise de la guerre, en 1799, et les désastres militaires essuyés par la France, leur ont permis de faire voter la loi des otages, qui rend responsables les parents d'émigrés des attentats commis sur la personne des fonctionnaires, et le principe d'un emprunt forcé, levé sur les riches. S'appuyant sur des généraux comme Bernadotte, Jourdan ou Augereau, le néo-jacobinisme est d'autant plus puissant qu'il rassemble tous les mécontents. Mais coalition plutôt que parti, il manque de cohérence. De plus le redressement de la situation extérieure grâce aux victoires de Brune à Bergen et de Masséna à Zurich, le 26 septembre 1799, affaiblit leur position en rendant impopulaire la politique de terreur qu'ils préconisent. En août, Fouché, devenu ministre de la Police, a fermé sans problème les portes de la société jacobine, dite « société constitutionnelle », qui faisait précédemment trembler le Directoire. Les néo-jacobins n'en possèdent pas moins encore dans l'armée et dans l'administration de solides appuis. Monarchie constitutionnelle ou République pure et dure? Les « thermidoriens », ces vétérans des assemblées révolutionnaires au pouvoir depuis la chute de Robespierre, les Sieyès, Cambacérès, Merlin, Fouché, Quinette et autres, ne veulent ni de la restauration du roi (ils ont en majorité voté la mort de Louis XVI) ni de l' « anarchie » dans la mesure où ils représentent les intérêts des nouveaux propriétaires issus de la vente des biens nationaux. Conscients d'une impopularité due à l'usure du pouvoir et à leur indifférence aux misères du peuple, ils ne se sont maintenus que par une suite d'illégalités, du décret des 2/3 écartant les royalistes au coup d'État de Floréal contre les jacobins, sacrifiant au besoin les plus compromis d'entre eux. Barras, l'homme du Directoire depuis sa fondation, est le symbole de toutes les compromissions qui les entourent. Les objectifs des thermidoriens sont vagues (ils s'accommodent d'une république bourgeoise) mais leur clientèle est précise: tous les « nantis», tous ceux qui auraient à perdre à un changement de régime entraînant un retour vers la monarchie ou la revanche des « ventres creux». Ils se divisent néanmoins en deux courants. Au sein du Directoire, qui détient le pouvoir exécutif, le général Moulin et Gohier, ancien ministre de la Justice pendant la Terreur, sont partisans du maintien de la Constitution; en revanche Sieyès, flanqué d'un comparse, Roger Ducos, considère avec dédain cette constitution qu'il n'a pas rédigée. Toute révision nécessitant un délai de neuf ans, l'ancien abbé en est réduit au coup d'État interne, en s'appuyant sur un sabre. C'est ainsi qu'il a envisagé de faire appel au général Joubert avant que celle-ci ne soit tué, le 15 août 1799, à Novi. Dans cette opération il s'est assuré l'appui des représentants de l' « intelligence française», des descendants des « philosophes », les Daunou, Cabanis, Destutt de Tracy, Garât et autres Volney qui appartiennent comme Sieyès à l'Institut national des sciences et des arts fondé par la Convention thermidorienne en remplacement des académies. Cinquième directeur, Barras hésite; on lui prête des sympathies royalistes, voire orléanistes. Sympathies que l'on attribuait également à Sieyès, quand on ne prétendait pas qu'il travaillait pour « un prince étranger». A ces divisions viennent s'ajouter deux autres causes d'affaiblissement pour le Directoire: une conjoncture économique catastrophique et une situation militaire désastreuse avec la reprise de la guerre continentale. Situation militaire si désastreuse que les directeurs avaient songé à rappeler le seul général encore invaincu, Bonaparte, que l'on avait envoyé en Égypte, sous le prétexte d'y préparer la conquête de l'Inde anglaise, en réalité pour se débarrasser d'un personnage encombrant. Une lettre avait été préparée en ce sens, le 18 septembre 1799, mais l'annonce des succès de Brune et de Masséna la rendait inutile. C'est alors que parvint la nouvelle du retour de Bonaparte. Ce retour modifiait la situation. Gohier écrit fort justement dans ses Mémoires que le général Bonaparte, rendu célèbre par ses victoires en Italie puis en Égypte, allait attirer « tous les hommes sans place, tous les mécontents ». Les royalistes lui prêtèrent aussitôt des arrière-pensées favorables à leur cause. Les modérés le rêvaient en président d'une république bourgeoise. Il n'est pas jusqu'aux jacobins qui, si l'on en croit les Mémoires de Jourdan, n'aient envisagé, pour parer au coup d'État que préparait Sieyès et que Briot avait dénoncé à la tribune des Cinq-Cents, un « contre-coup d'État » dirigé par Bonaparte. Les idéologues observaient que Bonaparte avait été élu à l'Institut avant de partir pour l'Égypte et Barras se rappelait qu'il l'avait protégé à ses débuts. C'est dire que fort de son prestige dans l'opinion que fascinent toujours les généraux victorieux, fort aussi de l'adhésion de l'armée dont on le créditait peut-être à tort, Bonaparte se trouvait dans une position d'arbitre. Si le calcul personnel mais aussi le réalisme lui recommandaient, en 1799, d'écarter, en dépit d'un fort courant dans le pays, une restauration monarchique qui déclencherait dans l'immédiat une guerre civile, il pouvait choisir entre un gouvernement de salut public appuyé par les jacobins (encore le précédent avait-il laissé de mauvais souvenirs), la consolidation du régime directorial, ou le coup d'État dont rêvait Sieyès pour faire aboutir sa révision constitutionnelle au profit des « nantis ». QUEL CAMP CHOISIR? Le 9 octobre 1799, Bonaparte débarquait dans la baie de Saint-Raphaël. Son arrivée suscitait, on n'en sera pas surpris, un vaste mouvement de curiosité qui dispensait le navire de la quarantaine obligatoire pour tout vaisseau venant d'Orient. A midi, Bonaparte foulait le sol français; six heures plus tard il prenait la route de Paris. Il fallait aller vite, prévenir toute décision inopportune du Directoire qui pouvait considérer ce retour comme un abandon de poste. L'effet de surprise était essentiel. Il fut manqué. Dès le 10 octobre, Paris connut la nouvelle. Ce contretemps servit en définitive Bonaparte. Il se rendit compte à Avignon de la popularité que lui avait value la mystérieuse et lointaine expédition d'Egypte. « La foule était immense. A la vue du grand homme, l'enthousiasme fut à son comble, l'air retentit d'acclamations et du cri " Vive Bonaparte ", et cette foule et ce cri l'accompagnèrent jusqu'à l'hôtel où il descendit. C'était un spectacle électrisant. » Comment expliquer ce mouvement? « Dès cette époque, on le regardait comme appelé à sauver la France de la crise où l'avaient jetée le pitoyable gouvernement du Directoire et les revers de nos armées. » Peut-être Boulard force-t-il dans ses Mémoires, dont on vient de reproduire un extrait, la signification politique de la manifestation d'Avignon. Il s'agissait apparemment d'un mouvement spontané. Puis les démonstrations prirent rapidement un ton officiel. La municipalité de Nevers demandait le 15 octobre à être reçue par le général, à l'hôtel du Grand-Cerf où il était descendu. Décidément ce retour revêtait une tournure de plus en plus favorable. Arrivé à Paris le 16, vers six heures du matin, Bonaparte consacrait sa première visite, dans la soirée, à Gohier, président du Directoire. L'accueil fut cordial. Rasséréné, le jeune général se rendait le lendemain devant les cinq représentants du pouvoir exécutif pour une réception officielle. Sa tenue fit sensation: chapeau rond, redingote de drap olive, cimeterre turc à la ceinture. Ses propos surprirent agréablement les directeurs : il ne tirerait l'épée — en la circonstance le cimeterre — que pour la défense de la République et de son gouvernement. Peut-être était-il sincère et se croyait-il encore ou se voulait-il le sauveur d'un Directoire qu'on lui avait décrit aux abois. Son hôtel de la rue de la Victoire était assiégé par des visiteurs qui venaient l'entretenir de la situation politique. Il eut des conversations avec Talleyrand, Roederer, Maret, futur éminence grise, puis Fouché. Tous montraient à Bonaparte un Directoire en décomposition et s'efforçaient de l'entraîner vers l'opposition. On a reproché à Bonaparte ses hésitations: il est de retour à Paris le 16 octobre, il sera maître de la France le 10 novembre. Pouvait-il aller plus vite? Le jeu politique était compliqué. Aux tenants du statu quo (les directeurs Gohier et Moulin) qui avaient la légalité pour eux (et on avait vu de quel poids elle pesait après la mise hors la loi de Robespierre) s'opposaient Barras auquel on prêtait de plus en plus des intentions de restauration monarchique, les néo-jacobins, vainqueurs aux dernières élections et qui pouvaient encore compter sur de nombreux députés et sur les généraux républicains, les thermidoriens enfin, qui souhaitaient confier à Sieyès la révision de la Constitution de 1795 afin de la rendre plus efficace, et prévenir ainsi aussi bien le retour du roi que les progrès de l'anarchie, bref, assurer leur maintien au pouvoir. Ils pouvaient se prévaloir d'une caution intellectuelle, celle des « idéologues », les tenants de la philosophie des Lumières qui régnaient sur l'Institut auquel appartenait également Bonaparte. Ce qui frappe aujourd'hui c'est le vague de tous ces projets: nul ne savait en définitive comment terminer la Révolution. Bonaparte paraît avoir initialement limité ses objectifs à son entrée au Directoire. Mais la limite d'âge, fixée à quarante ans, l'en excluait, et Gohier, peut-être lors d'un dîner donné le 22 octobre, fut intraitable. La tentation jacobine n'était pas moins grande. Comment l'auteur du Souper de Beaucaire, l'ami de Robespierre le Jeune, n'aurait-il pas été attiré par ce camp? Le néo-jacobinisme, dont l'implantation était forte dans les administrations provinciales et dans l'armée (Bernadotte, Jourdan), préconisait depuis l'an VII un gouvernement de salut public. Le vote d'un emprunt forcé avait toutefois effarouché de larges fractions de la bourgeoisie et de la paysannerie aisée. De plus, Bonaparte se heurta à Bernadotte: opposition de caractère, vues différentes de la République et bien sûr rivalité amoureuse à propos de Désirée Clary, l'ancienne fiancée de Bonaparte que Bernadotte avait épousée. La carte jacobine était difficile à jouer. En ce qui concerne Barras, Bonaparte n'éprouvait pour lui que mépris. Le faste du Luxembourg, le cynisme du personnage, ses mignons, tout l'irritait. Là encore une femme avait sa part de responsabilité: Joséphine, l'ancienne maîtresse du directeur corrompu. Restait Sieyès. Impénétrable, l'ex-abbé se contentait simplement de laisser entendre que l'heure était venue d'appliquer le plan constitutionnel qu'il avait mûri depuis plusieurs années. Le prestige politique de l'auteur de la fameuse brochure Qu'est-ce que le Tiers État? était considérable. C'est lui qui allait, pensait-on, fermer l'abîme de la Révolution grâce à cette Constitution si souvent annoncée et tant attendue, qui devait rassurer tous ceux qu'inquiétaient les menaces pesant sur les principes sacrés de la propriété et de l'égalité juridique. « L'idéologie » pouvait servir de lien entre deux membres de l'Institut, n'appartenant pas, il est vrai, à la même section. Une première rencontre entre Sieyès et Bonaparte, le 23 octobre, ne donna rien. Peut-être le passé jacobin du général inquiétait-il l'ancien abbé qui eût préféré Moreau, encore celui-ci était-il soupçonné inversement de sympathies monarchistes. L'entrevue décisive eut lieu, soit le 1er, soit le 6 novembre. Sieyès en réalité n'avait pas les mains libres. La révision de la Constitution était légalement impossible : une procédure compliquée et un délai de neuf ans étaient indispensables pour en modifier les articles. Il fallait donc recourir à la force, faire un nouveau coup d'État. Sieyès en voyait ainsi le déroulement: créer un vide de l'exécutif entraînant, comme en 1792, la chute du législatif. Les conseils désigneraient une commission chargée de rédiger une Constitution nouvelle qui tiendrait compte des imperfections de la précédente. Pour intimider le législatif, quelques mouvements de troupes seraient nécessaires. On brandirait un sabre, pour le rentrer aussitôt dans le fourreau. Le vide à créer au Directoire était aisé: Sieyès le quitterait ainsi que Roger Ducos, son acolyte. En achetant un troisième homme, Barras par exemple, tout serait dit. On pouvait redouter au sein du conseil des Cinq-Cents une opposition jacobine; sous le prétexte d'un complot, on ferait transporter les assemblées hors de Paris afin de les priver d'un éventuel appui des faubourgs. A l'exception de Perregaux, la haute finance, contactée, était réticente, les quelques millions nécessaires devraient être fournis par un munitionnaire de l'armée d'Italie, Collot. Bonaparte entre dans le jeu, au plus tard le 6 novembre. Il a obtenu, semble-t-il, d'être consul provisoire; il aura de surcroît un droit de regard sur la Constitution qui sera soumise à l'approbation des assemblées. Les concessions de Sieyès sont d'autant plus importantes que c'est un coup d'État parlementaire qui est prévu, où les militaires devront faire surtout de la figuration. Le mot de coup d'État est même excessif car tout doit se passer dans une relative légalité. Ne pas heurter de front la loi: impératif hérité de la Révolution. Déjà l'attitude équivoque de Bonaparte lui aurait valu, si l'on en croit les journaux, une baisse sensible de popularité. LE COUP D'ÉTAT L'opération prévue par Sieyès débute sans difficulté. Dans la nuit du 8 au 9 novembre (du 17 au 18 brumaire) des dispositions militaires sont prises, des proclamations envoyées à l'imprimerie de Demonville, des convocations adressées aux membres du conseil des Anciens. C'est ce conseil qui, constitutionnellement, détermine le lieu où siégera le Corps législatif; de plus, il compte en son sein, à l'inverse des Cinq-Cents, une forte fraction favorable à Sieyès. Le 9 novembre (18 brumaire), à sept heures trente, la partie s'engage aux Tuileries. Encore mal réveillés, tout surpris par d'inhabituels mouvements de troupes, les Anciens apprennent de l'un des leurs, Cornet, député du Loiret, que la République est menacée. Le Lorrain Régnier, dans une allocution pathétique, transforme leur perplexité en affolement. Il leur conseille de quitter Paris pour la proche banlieue, en l'occurrence le château de Saint-Cloud. « Là, mis à l'abri des surprises et des coups de main, vous pourrez, dans le calme et la sécurité, songer aux moyens de faire disparaître les périls et d'en détruire encore les causes pour l'avenir. » Un décret est voté: Article Premier. — Le Corps législatif est transféré dans la commune de Saint-Cloud. Les deux conseils siégeront dans les deux ailes du palais. Article 2. — Ils y seront rendus demain 19 brumaire à midi. Toute continuation des fonctions et des délibérations est interdite ailleurs et avant ce temps. Article 3. — Le général Bonaparte est chargé de l'exécution du présent décret ; il prendra toutes les mesures nécessaires pour la sûreté de la représentation nationale. Article 4. — Le général Bonaparte est appelé dans le sein du conseil pour y recevoir une expédition du décret et prêter serment. Huit heures trente. On avertit Bonaparte que le décret est voté. Aussitôt il monte à cheval et se rend, entouré d'une brillante escorte d'officiers, aux Tuileries. Admis dans le conseil des Anciens, il expose en quelques mots la situation: « Citoyens représentants, la République périssait, vous l'avez su et votre décret vient de la sauver. Malheur à ceux qui voudraient le trouble et le désordre ! Je les arrêterai, aidé du général Lefebvre, du général Berthier et tous mes compagnons d'armes... Votre sagesse a rendu ce décret; nos bras sauront l'exécuter. Nous voulons une république fondée sur la vraie liberté, sur la liberté civile, sur la représentation nationale; nous l'aurons, je le jure, en mon nom et en celui de mes compagnons d'armes. » « Nous le jurons », reprennent en chœur les généraux qui entourent Bonaparte, à savoir Berthier, Lefebvre, Marmont, etc. Quelques mouvements divers sont rapidement étouffés, l'intrusion de ces militaires bruyants et arrogants ayant choqué certains députés. Bonaparte redescend dans les jardins des Tuileries où il aperçoit Bottot, secrétaire de Barras. Il l'entraîne devant les troupes qui stationnent autour du palais et l'apostrophe ainsi: « Dans quel état j'ai laissé la France et dans quel état je l'ai retrouvée. Je vous avais laissé la paix et je retrouve la guerre! Je vous avais laissé des conquêtes et l'ennemi passe nos frontières! J'ai laissé nos arsenaux garnis et je n'ai pas trouvé une arme. J'ai laissé les millions d'Italie et je retrouve partout des lois spoliatrices et la misère! Cet état de choses ne peut durer; avant trois mois il nous mènerait au despotisme. Mais vous voulons la République, la République assise sur les bases de l'égalité, de la morale, de la liberté civile et de la tolérance politique. Avec une bonne administration, tous les individus oublieront les factions dont on les fit membres pour leur permettre d'être Français. Il est temps enfin que l'on rende aux défenseurs de la patrie la confiance à laquelle ils ont tant de droits ! A entendre quelques factieux, bientôt nous serions tous des ennemis de la République, nous qui l'avons affermie par nos travaux et notre courage! Nous ne voyons pas de gens plus patriotes que les braves qui sont mutilés au service de la République! » Cette algarade non prévue dans le plan des conspirateurs répond à un but précis: exciter l'enthousiasme des soldats dont on ignore les convictions profondes et discréditer dans leur esprit non seulement le Directoire mais aussi les jacobins (allusion aux lois spoliatrices dirigées contre eux). Le succès remporté par Bonaparte est total. Les soldats acclament leur général. Ainsi l'armée est prête à balayer le pouvoir civil. Bonaparte, qui songe peut-être à un futur affrontement avec Sieyès, sait qu'il pourra compter sur les troupes stationnées à Paris. Onze heures. La nouvelle du décret voté par les Anciens parvient au conseil des Cinq-Cents. Les protestations s'élèvent mais nulle résistance ne se dessine contre le transfert à Saint-Cloud. Cette résistance eût été illégale. Reste à faire le vide à la tête de l'exécutif. Sieyès et Roger Ducos renoncent aussitôt à leurs fonctions. Mais Barras? Talleyrand, assisté de Bruix, doit obtenir sa démission. Il se présente au Luxembourg alors que le directeur est à table. Une table prévue pour trente couverts mais qui n'a attiré qu'un seul convive, le financier Ouvrard. Barras a déjà compris. Il écoute d'une oreille distraite Talleyrand, ouvre une fenêtre, aperçoit des soldats et n'insiste pas. Il signe un mot rapide où il déclare qu'il « rentre avec joie dans le rang de simple citoyen ». Talleyrand lui baise les mains, lui affirme qu'il a sauvé une nouvelle fois la République et garde, dit-on, les millions que lui aurait confiés Bonaparte pour soudoyer son ancien protecteur. Barras prend la route de Grosbois. L'effacement de ce rude lutteur montre aux conspirateurs l'excellence de leurs plans. Moulin et Gohier, derniers directeurs à refuser de remettre leur démission, sont consignés dans le palais du Luxembourg sous la garde du général Moreau. Le Directoire a cessé d'exister. La nuit tombe sur Paris qui n'a pas bougé et paraît indifférent. La première manche est gagnée. Bonaparte aurait confié à son secrétaire avant d'aller se coucher: « Cela n'a pas été trop mal aujourd'hui, nous verrons demain. » En réalité, pour Sieyès, rien n'est fini. Il devine que le conseil des Cinq-Cents, où les néo-jacobins sont actifs, ne se laissera pas faire. S'il mettait en accusation Bonaparte, les troupes, émues, comme au temps où la Convention déclarait Robespierre hors-la-loi, abandonneraient-elles leur chef? Ne faudrait-il pas arrêter ou écarter tout de suite, sous un prétexte quelconque, les quarante députés les plus énergiques? Mais Bonaparte s'y est toujours opposé. Souci de la légalité? Volonté de rompre avec des méthodes révolutionnaires qui empêcheraient ensuite ce rassemblement national auquel il rêvait ? Ultime sursaut de sympathie pour les jacobins? Ou volonté tactique visant à compliquer l'opération de façon à permettre à Bonaparte d'y jouer un rôle plus important que celui que lui réservait Sieyès ? Le deuxième acte a pour décor le château de Saint-Cloud le 19 brumaire. La réunion des conseils est prévue pour midi. Il fallait permettre aux troupes de faire mouvement. Mais c'était aussi laisser aux députés le temps de se concerter. Bonaparte arrive en fin de matinée avec Berthier, Gardanne, Lefebvre et Leclerc. Il y a six mille hommes, dit-on, autour du château, sous le commandement de Murât. On doit compter aussi avec Sébastiani et ses dragons. Lannes est resté à Paris avec d'autres troupes. Les soldats se répandent en propos hostiles, d'après les témoignages, contre les « avocats et les faiseurs de discours », rendus responsables du retard de la solde, des souliers troués et de la pénurie de tabac. Amorcée avec l'algarade contre Bottot, l'action psychologique de Bonaparte s'est développée avec efficacité dans les rangs des soldats. La séance du conseil des Anciens, installé dans la galerie d'Apol-Ion décorée par Mignard, s'ouvre à une heure de l'après-midi sous la présidence de Lemercier. Plusieurs représentants qui, volontairement, n'avaient pas été convoqués la veille, posent des questions; ceux qui sont dans la conjuration leur répondent d'un ton embarrassé. Pour respecter les formes légales, Bonaparte attend dans un salon que le Corps législatif ait pris acte de la démission du Directoire et l'ait notifiée au conseil des Cinq-Cents, première étape avant la désignation d'un gouvernement provisoire. Les délibérations traînent en longueur. Soudain Bonaparte n'y tient plus. «Il faut en finir», déclare-t-il. Son apparition dans l'enceinte des débats fait sensation. Selon Bourrienne, l'entrée de Bonaparte fut brusque et colère; cela ne me donna pas une bonne opinion de ce qu'il allait dire. Tous les discours que l'on a arrangés depuis l'avènement pour Bonaparte diffèrent entre eux, cela doit être, il n'en a point été prononcé aux Anciens, à moins que l'on appelle discours une conversation tenue sans noblesse, sans dignité. On n'entendait que ces mots: « frères d'armes», « franchise de soldat». Les questions du président se pressaient assez rapidement, elles étaient claires. Rien de plus confus, de plus mal énoncé que les réponses ambiguës et entortillées de Bonaparte. Il parlait sans suite de volcans, d'agitations sourdes, de victoires, de constitution violée; il reprochait même le 18 Fructidor, dont il fut le premier promoteur et le plus puissant soutien. Il prétendait avoir ignoré tout, jusqu'à ce que le conseil des Anciens l'eût appelé au secours de la patrie. Puis venaient « César, Cromwell, tyran ». Il répéta plusieurs fois : « Je n'ai plus que cela à vous dire », et il ne disait rien... Je m'aperçus du mauvais effet que produisait ce bavardage sur l'assemblée et de la décontenance progressive de Bonaparte, je lui dis à voix basse, en le tirant doucement par le pan de son habit: « Sortez, général, vous ne savez plus ce que vous dites. » Sans doute les Mémoires de Bourrienne sont-ils empreints de malveillance, mais tous les témoignages concordent pour souligner l'embarras du général. Une fois dehors, Bonaparte retrouve son calme et c'est d'un pas assuré qu'il se dirige vers la salle des séances du conseil des Cinq-Cents installé à la hâte dans l'Orangerie du château. Les débats qui s'y déroulent sont agités. Les conjurés n'ont pas la majorité dans cette assemblée et doivent faire face à une vigoureuse opposition. On met en doute la légalité de la démission de Barras. Soudain, un bruit d'armes interrompt l'orateur à la tribune. Bonaparte vient d'entrer. Les récits les plus divers ont été donnés des événements qui suivirent. Dès son apparition, il fut interpellé, entouré puis bousculé par les députés. De tous côtés montaient des cris: « Hors la loi le dictateur ! Vive la République et la Constitution de l'an III ! Mourons à notre poste! » On attribue à Destrem l'apostrophe célèbre: «Général, est-ce donc pour cela que tu as vaincu? » Lucien Bonaparte, qui préside le conseil, ne parvient pas à rétablir le calme. Certains soldats de l'entourage de Bonaparte s'efforcent de le dégager et protègent sa sortie. Le général suffoque, pâle, le visage légèrement ensanglanté. La partie est perdue. Bonaparte semble avoir laissé passer sa chance. Comme le redoutait Sieyès, des députés réclament la destitution du général. Bertrand, du Calvados, demande que lui soit retiré le commandement des grenadiers de la garde parlementaire. Talot propose que le conseil retourne à Paris, et soudain quelqu'un hurle: « Aux voix la mise hors la loi du général Bonaparte! » Terrible menace. Sans doute l'accord des Anciens est-il nécessaire, mais dans l'affolement tout le monde oublie cette nécessité constitutionnelle. Qu'un général énergique prenne la tête des troupes, comme Barras en Thermidor, et c'est la fin de la conspiration. Lucien perçoit le danger. Pour gagner du temps, après avoir vainement essayé de justifier son frère, il dépose ses insignes de président et laisse l'assemblée stupéfaite. Dehors, il monte à cheval et improvise une harangue devant les gardes de la cour d'honneur: « Le président vous déclare que l'immense majorité de ce conseil est pour le moment sous la terreur de quelques représentants à stylets qui assiègent la tribune, présentent la mort à leurs collègues et enlèvent les délibérations les plus affreuses... Ces brigands ne sont plus les représentants du peuple mais les représentants du poignard. » Lucien aurait alors montré son frère dont le visage est maculé de sang. Ainsi naîtra la légende des poignards. Puis, geste théâtral mais efficace, se faisant donner une épée, il jure qu'il en transpercera son frère si celui-ci se transforme en tyran. Les soldats de la garde parlementaire sont ébranlés et sentent surtout derrière eux l'impatience et la colère des troupes amenées par Bonaparte. Les tambours se mettent à battre. Murât prend la tête des grenadiers et marche vers l'Orangerie. Leclerc se joint à lui. « Foutez-moi tout ce monde-là dehors ! » s'écrie Murat. En cinq minutes, la salle des séances du conseil des Cinq-Cents est vidée au son du tambour. Il n'est plus question de manœuvres parlementaires; le plan de Sieyès est bouleversé. L'entrée en scène de l'armée modifie le déroulement de l'opération prévue par l'ancien abbé qui est l'un des grands perdants de l'affaire. Pour retrouver le fil, il faut à la hâte et en pleine confusion réunir un certain nombre d'Anciens aux membres des Cinq-Cents que l'on a pu récupérer dans les jardins de Saint-Cloud et convaincre de la nécessité de cette réunion. Cette assemblée improvisée prend acte du vide de l'exécutif et remplace le Directoire par un triumvirat consulaire formé de Bonaparte, Sieyès et Roger Ducos. Le Corps législatif est ajourné; deux commissions reçoivent la charge de préparer une nouvelle Constitution dans un délai de six semaines. Enfin soixante et un députés (des jacobins) sont exclus de la représentation nationale. A onze heures du soir, Bonaparte qui s'est ressaisi et prend figure de chef de la conjuration, signe une proclamation où il raconte, à sa manière, le déroulement du coup d'État, évoquant notamment la tentative d'assassinat dont il aurait été victime au conseil des Cinq-Cents. Il n'aurait été sauvé que par l'intervention des grenadiers du Corps législatif: « Les factieux, intimidés, se dispersent et s'éloignent. La majorité, soustraite à leurs coups, rentre librement et paisiblement dans la salle des séances; on entend les propositions qui devaient lui être faites pour le salut public, délibère et prépare la résolution salutaire qui doit devenir la loi nouvelle et provisoire de la République. » Paris ne bouge pas. Depuis Germinal et Prairial, le ressort révolutionnaire paraît brisé dans la capitale d'ailleurs désarmée. Tout esprit critique est anéanti: les Parisiens acceptent sans broncher la version des événements qu'on leur propose. C'est de province que vient un timide sursaut. Les administrations départementales, aux mains des jacobins, tentent d'organiser la résistance. En vain. L'opinion est trop lasse pour s'engager dans une nouvelle guerre civile. « Un des coups d'État les plus mal conçus et les plus mal conduits qu'on puisse imaginer, réussissant par la toute-puissance des causes qui l'amènent, l'état de l'esprit public et les dispositions de l'armée, plus la première cause peut-être encore que la seconde » : tel fut, selon Tocqueville, le 18 Brumaire. A Paris les trois nouveaux consuls s'installent provisoirement au Luxembourg à la place des directeurs. Qui présidera ? Roger Ducos se serait tourné vers Bonaparte: « Il est bien inutile d'aller aux voix pour la présidence; elle vous appartient de droit. » La conjuration de Brumaire a changé de chef sinon de sens. Face à la poussée néo-jacobine et aux menaces royalistes, les thermidoriens ont eu le sentiment que le nouveau coup d'État les prolongeait au pouvoir. Après la chute de Robespierre, il leur avait manqué la popularité et l'autorité: le général Bonaparte leur apportait la première — il était l'homme de la paix de Campo-Formio et de la mystérieuse campagne d'Egypte —; quant à l'autorité, elle devait leur venir de la révision constitutionnelle préconisée par Sieyès. Jacques Bainville a raison de le souligner: Brumaire ne se distinguait pas des autres coups d'État. Il apparut aux contemporains comme la victoire d'une faction politique qui gouvernait déjà la France depuis cinq ans; il suscita peu d'interrogations et encore moins d'enthousiasme. Du moins savait-on qu'il ne serait pas touché aux principes de la Révolution dont les idéologues s'érigeaient en gardiens, et pas davantage aux intérêts de la nouvelle bourgeoisie, celle des acquéreurs de biens nationaux. Sans doute Benjamin Constant avait-il prévenu Sieyès, le 20 brumaire au soir, lorsque fut connu l'ajournement des conseils: « Cette mesure me paraît désastreuse, comme détruisant la seule barrière à opposer à un homme que vous avez associé à la journée d'hier mais qui n'en est que plus menaçant pour la République. Ses proclamations où il ne parle que de lui, où il dit que son retour a fait espérer qu'il mettrait un terme aux maux de la France, m'ont convaincu plus que jamais que dans tout ce qu'il fait, il ne voit que son élévation. Il a cependant pour lui les généraux, les soldats, la populace aristocratique et tout ce qui se livre avec enthousiasme à l'apparence de la force. La République a pour elle, vous et certes c'est beaucoup, et la représentation qui, mauvaise ou non, sera toujours propre à mettre une digue aux projets d'un individu. » Le rôle de l'armée avait été plus grand que prévu, mais l'alliance entre Bonaparte et les « thermidoriens » devenus « brumairiens » paraissait solide, le général, malgré des préjugés favorables aussi bien du côté des royalistes que de certains jacobins, s'étant fermé les autres portes. La révolution « bourgeoise » entrait dans la voie de la consolidation. « On conviendra, écrivait l'économiste Francis d'Ivernois, quelques mois après Brumaire, que les Français n'ont pas mal défendu leurs bourses. » De son côté, l'un des artisans du coup d'État, Regnault de Saint-Jean-d'Angély, notait: Dès le temps de l'Assemblée constituante, une faction s'éleva pour attaquer les propriétés. On composa avec elle, au lieu de la comprimer; on lui céda lâchement une partie du principe, au lieu d'en défendre courageusement l'intégrité. Depuis, cette faction, ennemie de l'ordre social, a anéanti toutes les garanties de la propriété. Chaque petite révolution faite dans la grande s'est opérée au prix d'une nouvelle atteinte portée à la propriété. La révolution du 18 Brumaire a seule un autre caractère, elle est faite en faveur de la propriété. —NOTES— SOURCES: Les débats sont dans Le Moniteur ainsi que dans Buchez et Roux, Histoire parlementaire de la Révolution française, t. XXXVIII (1838). On consultera avec curiosité les rapports du Bureau central publiés par Aulard dans Paris sous la Convention thermidorienne et le Directoire, t.V (1902; rien ne permettait de prévoir un coup d'État à qui aurait fait confiance à ces rapports). Les rapports de l'État-Major encore inédits sont décevants. Les journaux de l'époque sont intéressants (Gazette nationale, Le Journal de Paris...). Les Mémoires constituent une mine importante de renseignements, souvent suspects, il est vrai. Écrit au moment de l'événement, le Dix-huit Brumaire de Lombard de Langres peut être négligé, ainsi que les ouvrages de Cornet (Notice historique sur le 18 Brumaire, 1819: «cette journée fut une journée des dupes, en ce sens que le pouvoir passa dans des mains qu'on n'avait pas assez redoutées »), Gallais (Histoire du 18 Brumaire, 1814; pamphlétaire) ou l'anonyme Notice sur le 18 Brumaire par un témoin (1824). En revanche les souvenirs de Bigonnet (1819), Gohier (1824), Bourrienne (1829, malgré son parti pris), Barère (1844), Marmont (1857), Lucien Bonaparte (éd. Iung, 1882), Barras (1895), Jourdan (dans Carnet historique et littéraire, 1901), Lavalette (1905), Thiébault (1908) fournissent d'utiles indications. Les Mémoires de Fouché et ceux de Talleyrand sont très suspects, les souvenirs de Lecouteulx trop brefs. OUVRAGES: L'Avènement de Bonaparte, d'A. Vandal, est resté classique (1902-1907). Il faut le compléter par les études postérieures de : A. Espitalier, Vers Brumaire (1914); J. Bainville, Le Dix-huit Brumaire (1925; montre que le 18 Brumaire fut une journée révolutionnaire comme les autres); A. Meynier, Les Coups d'État du Directoire, t. III (1928) ; G. Bord et L. Bigard, La Maison du 18 Brumaire (1930; en fait une histoire politique du Directoire) ; J. Thiry, Le coup d'État du 18 Brumaire (1947); A. Ollivier, Le 18 Brumaire (1959); Bessand-Massenet, Le 18 Brumaire (1965 ; excellente iconographie) ; Goodspeed, Bayonets at Saint-Cloud (New York, 1965) ; J. Tulard, Le 18 Brumaire (Douze moments clés de l'histoire de France, 1973, pp. 151-173). Des points de détail comme la légende des poignards sont abordés par Aulard dans Études et leçons, t. II, III et VII. DÉBATS OUVERTS La situation du Directoire rendait-elle un coup d'État nécessaire ? Tous les historiens de Brumaire le pensent. Il n'y avait plus d'autre issue. Le rôle des principaux acteurs est en revanche moins connu. Pourquoi l'inaction de Barras? A-t-il été joué par les conspirateurs ? (Garnier, Barras, 1970). A-t-il touché les millions qu'était chargé de lui remettre Talleyrand ? A. Vandal, P. Gaxotte (La Révolution française), L. Madelin le pensent; Garnier est plus réservé. Les Mémoires de Barras repoussent une telle hypothèse. On est mieux renseigné sur Sieyès grâce à deux études essentielles : Netton, Sieyès (1901); P. Bastid, Sieyès et sa pensée (nouvelle éd.1970) que complète R. Marquant, Les Archives Sieyès (1970; on y trouve un mot de Benjamin Constant mettant en garde Sieyès contre Bonaparte, le 19 brumaire). L. Madelin explique le rôle tout à fait effacé de la police par le double jeu de Fouché (Fouché, t. I, 1923). Autres acteurs: Talleyrand (G. Lacour-Gayet, Talleyrand, 1928, t. I, ch. xx) ; Réal (Bigard, Le Comte Réal, ancien jacobin, 1937) et surtout Lucien (Pietri, dans Lucien Bonaparte (1939) qui pense que Lucien n'a pas essayé de travailler pour lui-même, comme l'affirmait Masson, dans Napoléon et sa famille, mais qu'il était parfaitement entré dans la conjuration de Sieyès). Incontestablement, si Boulay de la Meurthe ou Daunou trop mous avaient présidé les Cinq-Cents, Bonaparte eût été mis hors la loi. C'est Lucien qui a assuré le succès du complot, et sauvé les apparences légales. F. Pietri a repris cette idée en la forçant un peu dans Napoléon et le Parlement (1955). Selon lui, il n'y a pas eu « coup d'État « mais « une révision constitutionnelle normale que Bonaparte avait pour sa part inutilement troublée ». Dans son Lucien Bonaparte (1985), A. Pietromarchi estime que « Brumaire ne fut que l'achèvement de Fructidor: avec le premier coup d'État, Barras et la nouvelle bourgeoisie avaient mis fin à l'expérience libérale thermidorienne » ; Brumaire prolongeait la dictature sous une autre forme, face au péril royaliste. Quant au courant néo-jacobin contre lequel s'était fait le coup d'Etat, il a été analysé par I. Woloch, Jacobin Legacy. The democratic movement under the Directory (Princeton, 1970), sans répondre toutefois aux questions que l'on se pose sur la nature et la composition sociale du mouvement. Comment s'est opéré le financement du 18 Brumaire ? Les banquiers furent réservés. Lecouteulx de Canteleu était au courant des préparatifs du coup d'État qu'il favorisa à la tête de l'administration du département de la Seine, mais on ne trouve pas trace d'un financement de l'opération par ses soins. Michel jeune offrit deux millions, mais après le coup d'État. Ce sont donc les fournisseurs qui ont subventionné l'opération, et plus particulièrement Collot, ancien munitionnaire de l'armée d'Italie, qui aurait avancé 500 000 francs (Payard, Le Financier Ouvrard, 1958). Autre fournisseur mêlé au complot, Simons, qui obtint un important marché de bois pour la marine, en reconnaissance de ses services (Stern, Le Mari de Mlle Lange, Simons, 1933). Les fournisseurs avaient été irrités par la nouvelle politique du Directoire: le 4 octobre 1799 une loi les avait obligés à remettre dans un délai d'un mois le compte de toutes leurs fournitures depuis 1795, accompagné de pièces justificatives. Le 29 octobre, leur était retirée la possibilité de se payer sur la rentrée des impôts dans les différentes caisses publiques. PREMIÈRE PARTIE Naissance d'un sauveur Pourquoi Bonaparte réussit-il là où avaient échoué La Fayette, Dumouriez et Pichegru? Comment devient-il l'arbitre de la situation politique en 1799 ? Rien dans ses origines corses ne l'y destinait si ce n'est qu'à peine cédée au gouvernement de Versailles par la République de Gênes, l'île se trouvait entraînée dans la Révolution qui emporta la France. Le continent se divisait en factions rivales, la Corse elle aussi fut secouée par la lutte des clans: aristocrates, partisans de l'annexion en 1768 (Buttafuoco) contre paolistes, puis paolistes favorables à la Convention (Salicetti) contre paolistes anglophiles (Pozzo di Borgo). Luttes encore mal connues qui recouvrent des oppositions sociales aussi fortes que les conflits idéologiques. Traqué, exilé, arrêté, Bonaparte découvre très jeune les horreurs de la guerre civile, en France comme en Corse. Il y puise l'idée maîtresse du bonapartisme: se placer au-dessus des partis, se poser en réconciliateur national. Mais pour un tel rôle, un grand prestige est nécessaire. Bonaparte est le premier général, depuis César peut-être, à avoir compris l'importance de la propagande. Il ne suffit pas de gagner des batailles, il faut entourer la victoire d'un halo de légende. Bonaparte n'a triomphé ni à Fleurus, ni au Geisberg, ni à Zurich, il est pourtant, dès le Directoire, plus populaire que Jourdan, Hoche, Masséna ou Moreau. C'est qu'il a su, grâce à la presse et à l'imagerie populaire, transformer sa campagne d'Italie en une véritable Iliade. L'expédition d'Égypte, malgré son échec final, prend, sous la plume de ses chroniqueurs, l'aspect d'une épopée orientale dont le héros devient l'égal d'Alexandre et de César. Bonaparte fascine, irrite, subjugue, bref ne laisse personne indifférent. Troisième raison de son succès: il survient au moment où la Révolution s'essouffle, où la bourgeoisie, enfin victorieuse, peut envisager de gouverner sans partage. Les tentatives de La Fayette et de Dumouriez étaient prématurées ; depuis Thermidor, le pays souhaite le retour à l'ordre. Cet ordre, Pichegru, trop compromis avec les royalistes, prisonnier d'une faction politique, n'a pu le rétablir, malgré l'éclat de ses succès militaires. Bonaparte rassure tout le monde: il a été l'ami de.Robespierre le Jeune mais il appartient à l'ancienne noblesse ; il a été le protégé de Barras mais il a su faire preuve d'indépendance à l'égard du Directoire. Tout le sert, y compris son physique étrange et son caractère autoritaire. «La Révolution française a fondé une société, elle cherche encore son gouvernement», observera Prevost-Paradol. «Chacun, écrit Stendhal, reconnaissait la nécessité d'un gouvernement fort ; on eut un gouvernement fort. » CHAPITRE 1 L'Étranger Le vrai nom de Bonaparte est Buonaparte ; il l'a signé lui-même de la sorte dans toute sa campagne d'Italie et jusqu'à l'âge de trente-trois ans. Il le francisa ensuite et ne signa plus que Bonaparte: je lui laisse le nom qu'il s'est donné et qu'il a gravé au pied de son indestructible statue. Bonaparte s'est-il rajeuni d'un an afin de se trouver Français, c'est-à-dire afin que sa naissance ne précédât pas la date de la réunion de la Corse à la France ?... Bonaparte est né le 5 février 1768 et non pas le 15 août 1769 malgré l'assertion positive de M. Bourrienne. C'est pourquoi le Sénat conservateur, dans sa proclamation du 3 avril 1814, traite Napoléon d'étranger. Deux personnages sont déformés dans les Mémoires d'outre-tombe: Napoléon et Chateaubriand lui-même. Laissons ce dernier. Quant au premier, si la légende dorée l'a fait naître sur un tapis où étaient représentés les combats de l'Iliade, la légende noire, dont le chantre principal fut précisément Chateaubriand, n'est pas en reste. Certes, il est établi que Napoléon est bien né le 15 août 1769, mais tout n'est pas faux dans ce début de la vie de Napoléon revue par Chateaubriand. Il y a en effet de l'étranger chez Napoléon, et Chateaubriand n'a pas tort de parler d'une « existence tombée d'en haut et pouvant appartenir à tous les temps et à tous les pays ». Reste que Napoléon naquit à Ajaccio, le 15 août 1769, dans une Corse encore remuée par son « annexion » à la France. LA CORSE AU xvme SIÈCLE L'île n'est pas une inconnue pour l'Europe en ce XVIIe siècle. Sa position stratégique en Méditerranée, entre la France et l'Italie, en a fait une proie rêvée pour les impérialismes qui s'affrontent dans la partie occidentale de cette mer. Elle est aussi, pour les milieux éclairés, le symbole de la résistance à l'oppresseur. Quelques décennies avant l'Indépendance américaine, la révolte des insulaires contre la domination génoise, en 1729, le droit à la liberté que proclament les chefs de l'insurrection, les réformes sociales envisagées, attirent l'attention de penseurs et d'écrivains comme Vasco, Gorani ou Boswell. Rousseau écrit dans le Contrat social : Il est encore en Europe un pays capable de législation, c'est l'isle de Corse. La valeur et la constance avec laquelle ce brave peuple a su recouvrer et défendre sa liberté, mériteraient bien que quelque homme sage lui apprît à la conserver. J'ai quelque pressentiment qu'un jour cette petite isle étonnera l'Europe. Vers 1764, à la demande de Buttafuoco, un aristocrate corse, le philosophe entreprend la rédaction d'un projet de constitution qui ne sera jamais appliqué. Comment d'ailleurs aurait-il pu apporter la paix? De l'insurrection populaire de 1729 qui avait entraîné une intervention autrichienne était sorti le traité de Corte en 1732; mais deux ans plus tard, Gênes avait oublié toutes ses concessions et une nouvelle révolte éclatait. L'affaire prit rapidement une dimension internationale: deux fois la France intervint militairement dans l'île en faveur de Gênes. Les Corses trouvèrent en Pascal Paoli, fils de l'un des héros de 1729, le général en chef qui leur faisait défaut. Paoli repoussa les Génois dans les places fortes du littoral et entreprit une œuvre de réorganisation politique et sociale qui retint l'attention de l'Europe. Ayant choisi comme capitale Corte à cause de sa position centrale, il y convoqua, en novembre 1755, une Assemblée constituante. De ses travaux sortit une constitution démocratique qui confiait le pouvoir législatif à une consulte élue au suffrage universel et le pouvoir exécutif à Paoli qui présidait un conseil d'État de neuf membres. La constitution élaborée, Paoli se mit à l'œuvre: assèchement des marais, construction de routes, ouverture de carrières, création du pont de L'Ile-Rousse pour concurrencer Calvi aux mains des Génois, formation d'une marine de commerce battant pavillon « à tête de more ». Quant aux réformes sociales, Napoléon les exagérera dans le mémoire qu'il présentera à l'Académie de Lyon en 1791: Paoli distingua les territoires de chaque village en deux espèces: ceux de la première furent les plaines bonnes aux semailles et aux pâturages. Ceux de la seconde furent les montagnes propres à la culture de l'olivier, de la vigne, du châtaignier, de l'arbre de toute espèce. Les terres de la première espèce appelées Piage devinrent la propriété publique et l'usufruit particulier. Tous les trois ans la Piage de chaque village se partageait entre les habitants. Les terres de la seconde espèce, susceptibles d'une culture particulière, restèrent sous l'inspection de la cupidité individuelle. Il s'agissait en réalité de survivances du régime communautaire et non d'innovations introduites par Paoli. Néanmoins cette erreur est révélatrice du sentiment général: le Babbo avait établi plus de justice sociale pendant son passage au pouvoir. Cette considération pèsera lourd en 1793, elle canalisera le mouvement populaire vers Paoli au détriment de Salicetti et des Bonaparte, partisans pourtant de la Convention montagnarde. L'action efficace du général ne pouvait que susciter des inquiétudes tant à l'intérieur de l'île parmi la noblesse corse, qu'à l'extérieur, la République de Gênes se sentant menacée dans ses derniers bastions. En vertu du premier traité de Compiègne, du 14 août 1756, les troupes françaises occupèrent Calvi, Saint-Florent et Ajaccio. La guerre continentale contraignit la France à retirer ses forces. Le deuxième traité de Compiègne, en 1764, les ramena dans l'île. Finalement par le traité de Versailles, signé le 15 mai 1768, Gênes cédait à la France ses droits sur la Corse, mais provisoirement, en attendant que la République ait remboursé la dette qu'elle avait contractée auprès de la France. Paoli refusa d'accepter un traité pour lequel les Corses n'avaient pas été consultés. Ce fut la guerre. Les troupes royales rencontrèrent l'appui d'un parti français qui s'était développé depuis les premiers encouragements que lui avait prodigués le cardinal Fleury. Paoli fut vaincu à Ponte Novo, le 8 mai 1769, et dut s'enfuir en Angleterre. La Corse ne fut pas assimilée aux autres provinces; elle demeura placée sous le commandement militaire d'abord du comte de Vaux puis de M. Marbeuf, de 1770 à 1786. A partir de 1775 toutefois, des États provinciaux assurèrent à l'île une relative autonomie. LES BONAPARTE Les sources les plus fantaisistes ont été proposées quant à l'origine des Bonaparte. Napoléon riait encore à Sainte-Hélène de celle qui faisait de lui le descendant du Masque de fer et de la fille du gouverneur des îles Sainte-Marguerite, M. de Bonpart. On lui attribua comme ascendants la maison régnante d'Angleterre, les Comnène, les Paléologue, et même la gent Julia. En revanche la légende noire fit de Napoléon le descendant d'un huissier et d'une gardienne de chèvres. Les Bonaparte étaient vraisemblablement issus d'une famille toscane. On trouve trace dès 1616 d'un Bonaparte comme membre du conseil des Anciens d'Ajaccio. Par la suite plusieurs Bonaparte ont fait partie au XVIIe et au XVIIIe siècle de ce conseil. La considération attachée à la charge de membre du conseil des Anciens était grande puisque cette qualité fut considérée après l'annexion comme équivalant à un titre nobiliaire français. Ainsi Napoléon Bonaparte était-il noble, même si en Corse, comme l'affirmera un pamphlet de la Restauration, tout le monde naissait alors gentilhomme, et cela pour ne pas payer d'impôt. Son père Charles Bonaparte était un notable important. Il avait figuré dans l'entourage de Paoli qui lui avait confié diverses responsabilités. Rallié au parti français après 1768, on le retrouve avocat au Conseil supérieur de la Corse puis député de la noblesse en 1777; à ce titre il est envoyé à Versailles en 1778 et il est reçu avec les autres représentants de la Corse par Louis XVI. Il aurait dû sa fortune à la protection de M. de Marbeuf, séduit, dit-on, par la beauté de Mme Bonaparte. Letizia Ramolino était née à Ajaccio en 1749 ou 1750. Son père avait exercé les fonctions d'inspecteur des Ponts et Chaussées de la Corse. Sa mère s'était remariée, après la mort de son époux, avec un capitaine de la marine génoise, François Fesch, dont elle eut un fils, Joseph, qui sera fait cardinal sous le Consulat. L'aisance des Bonaparte à la veille de l'occupation française ne paraît pas douteuse. Ils possédaient alors trois maisons, le domaine des Milelli, des vignes et des terres, un moulin. N'en exagérons pas toutefois les revenus. Si les Bonaparte et leurs alliés figurent parmi les gens les plus riches d'Ajaccio (ils ont dû s'unir par mariage à des familles de l'intérieur plus fortunées), aux côtés des Pozzo di Borgo qui règnent en maîtres sur l'arrière-pays d'Ajaccio, leur fortune reste modeste par rapport à celles du continent. Elle semble s'être développée toutefois au détriment de la petite culture, leur attirant une hostilité qui se traduira en 1793 par le saccage de leur maison et la dévastation de leurs propriétés. En fait, Charles Bonaparte, après l'annexion, dut quémander places et faveurs pour tenir son rang et pour faire vivre une famille qui ne cessait de s'agrandir: après Joseph et Napoléon (ainsi appelé en souvenir d'un oncle mort en 1767), vinrent en effet Lucien (1775), Élisa (1777), Louis (1778), Paoletta, devenue ensuite Pauline (1780), Marie-Annonciade, future Caroline (1782), et Jérôme (1784). LES ÉTUDES Les témoignages sur l'enfance de Napoléon sont rares et d'une authenticité douteuse. Ce qui est sûr, c'est qu'à la fin de 1778, Charles Bonaparte, se rendant à Versailles, emmène avec lui ses deux fils, Joseph et Napoléon, ainsi que son beau-frère Fesch. Ce dernier a obtenu une bourse au séminaire d'Aix et les garçons entrent en janvier au collège d'Autun. De là Napoléon part pour Brienne en mai 1779. L'école royale militaire de Brienne-le-Château est l'un des collèges que le ministre de la Guerre, le comte de Saint-Germain, avait désignés en 1776 pour accueillir les enfants de la noblesse se destinant à l'armée. M. de Marbeuf avait délivré un certificat attestant que les Bonaparte étaient sans fortune. De plus Charles Bonaparte dut faire ses preuves de noblesse en remettant son dossier au juge d'armes, M. d'Hozier de Serigny. Napoléon est resté à Brienne du 15 mai 1779 au 30 octobre 1784. A-t-il montré son génie militaire lors d'une bataille de boules de neige immortalisée par Bourrienne qui fut son condisciple mais dont le rédacteur des Mémoires a tiré en réalité l'incident d'une brochure anglaise traduite en l'an VI? Sa mère est-elle venue le voir à Brienne en juin 1784? « Elle fut si effrayée de ma maigreur et de l'altération de mes traits, aurait-il confié plus tard à Montholon, qu'elle prétendit qu'on m'avait changé et qu'elle hésita à me reconnaître. » En septembre, après avoir été interrogé par Reynaud des Monts, sous-inspecteur des Écoles, il est jugé apte à entrer à l'École militaire de Paris. Il arrive dans la capitale vers le milieu d'octobre. « C'est un petit jeune homme brun, triste, rembruni, sévère et cependant raisonneur et grand parleur. » De multiples anecdotes circulent sur son séjour à Paris ; elles sont probablement apocryphes. Le 28 septembre 1785, Napoléon est affecté à Valence, au régiment d'artillerie de la Fère. Il est sorti 42e sur 58. Le résultat n'est guère brillant. Mais il faut tenir compte de ses origines, de son isolement, de la brièveté de son séjour à l'École militaire et de la mort de son père survenue le 24 février 1785. LA VIE DE GARNISON Désormais commence pour lui la vie insipide de l'officier en temps de paix: travaux d'écriture, manœuvres, banquets et bals, quelques amourettes. Il trouve dans la lecture un puissant dérivatif à son ennui. En un temps où la plume l'emporte sur l'épée, il s'essaie à écrire. Il ébauche en avril 1786 une histoire de Corse, qui vient après d'autres, mais dont la conclusion nous éclaire sur son état d'esprit. Si, par la nature du contrat social, il est prouvé que, sans même aucune raison, un corps de nation peut déposer le prince, que serait-ce d'un privé (sic) qui, en violant toutes les lois naturelles, en commettant des crimes, des atrocités, va contre l'institution du gouvernement? Cette raison ne vient-elle pas au secours des Corses en particulier, puisque la souveraineté ou plutôt la principauté de Gênes n'était que conventionnelle. Ainsi les Corses ont pu, en suivant toutes les lois de la justice, secouer le joug génois et peuvent en faire autant de celui de la France. Amen. Ce réquisitoire contre l'occupation française interdisait tout espoir de publication. Napoléon écrit-il d'ailleurs pour être lu? Il confie plutôt au papier ses moments de dépression. Ainsi note-t-il, le 3 mai 1786: « Toujours seul au milieu des hommes, je rentre pour rêver avec moi-même et me livrer à toute la vivacité de ma mélancolie. De quel côté est-elle tournée aujourd'hui? Du côté de la mort. Puisque je dois mourir, ne vaut-il pas autant se tuer? » On croirait lire le message que laisse un aspirant au suicide avant de se détruire. Mais il y a aussi une affectation littéraire qui annonce curieusement le héros romantique. La haine de la France croît chez lui en proportion de son mal du pays: « Français, non content de nous avoir ravi tout ce que nous chérissions, vous avez encore corrompu nos mœurs. Le tableau actuel de ma patrie et l'impuissance de le changer est donc une nouvelle raison de fuir une terre où je suis obligé par devoir de louer les hommes que je dois haïr par vertu. » Il obtient enfin une permission. Son séjour en Corse va durer du 15 septembre 1786 au 12 septembre 1787. Ne doit-il pas s'occuper depuis la mort de son père, et en l'absence de Joseph, son aîné, du patrimoine familial, notamment d'une histoire quelque peu embrouillée de pépinière ? Avec la mort du père et la présence au foyer de quatre enfants de moins de dix ans, les embarras d'argent se sont aggravés, même si les Bonaparte continuent à occuper le haut de l'échelle sociale en Corse. L'effacement de l'archidiacre Lucien, oncle de Napoléon, qui avait su gérer habilement les affaires des Bonaparte, se faisait cruellement sentir. L'affaire de la pépinière contraint Napoléon à se rendre à Paris pour y défendre les intérêts de sa famille auprès du contrôle général. Il s'y fera « déniaiser » au Palais-Royal, si l'on en croit son témoignage, par une demoiselle de petite vertu. Une prolongation de congé de six mois, à compter du 1er décembre, lui est accordée « pour aller assister aux délibérations des États de Corse sa Patrie » et « pour y discuter les droits essentiels de sa modeste fortune ». Le 1er janvier il est donc de nouveau en Corse. En mai, il part pour Auxonne où son régiment se trouve cantonné depuis décembre 1787. La vie de garnison reprend, monotone, heureusement coupée par les cours de l'école d'artillerie commandée par le baron du Teil. Les lectures s'accumulent. L'histoire, la géographie, les théories politiques et les doctrines économiques l'intéressent, mais il néglige les sciences. Il prend des notes abondantes, allant toutefois à l'essentiel (« Sainte-Hélène, petite île », consigna-t-il sur un cahier après avoir lu la Géographie de l'abbé de Lacroix) ; souvent il ébauche un résumé destiné à aider une mémoire pourtant excellente. La plume à la main, il conteste les affirmations de l'auteur, montrant un esprit critique assez vif. Ces lectures lui inspirent parfois des contes semi-fantastiques: Le Masque prophète vient de l'Histoire des Arabes de Marigny, Le Comte d'Essex, un récit de fantômes, de l'Histoire de l'Angleterre de John Barrow. Sans doute ne faut-il pas exagérer la culture de Napoléon. Il ignore une partie des œuvres de Rousseau, la majeure partie de celles de Voltaire dont il ne connaît que le théâtre et l'Essai sur les Mœurs; il n'a lu que les trois premiers volumes de l'Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes de l'abbé Raynal; Montesquieu et Diderot lui sont peu familiers; il paraît ne rien savoir des Liaisons dangereuses de Laclos, un artilleur comme lui, qui trouve dans la littérature un dérivatif à son besoin d'action. Toutes ses lectures semblent n'avoir qu'un but, celui de justifier une thèse formée a priori dans l'imagination ardente du jeune insulaire égaré sous le ciel peu clément de la France: la Corse a atteint sous Paoli, dans cette constitution de 1755 qu'ont admirée les philosophes, un idéal de gouvernement comparable à ce que furent dans l'Antiquité les lois de Lycurgue pour Sparte. Paoli prend dans l'esprit de Napoléon la dimension d'un héros de Plutarque; il l'exalte sans l'avoir jamais connu et sans que son père lui en ait vraisemblablement parlé. Il n'a pu se faire une idée de son action qu'à travers la relation du voyage de Boswell qui offrait de Paoli un portrait déjà flatté. Parce que Rousseau et Raynal ont défendu l'indépendance de la Corse, ils deviennent de leur côté ses maîtres à penser et parce que la monarchie française a détruit le régime de Paoli, pour lui substituer sa propre domination, elle doit disparaître. Avant la chute de la Bastille, avant Robespierre et Danton, Bonaparte était déjà républicain. Le 23 octobre 1788 il entreprend à Auxonne un grand livre destiné à montrer « l'autorité usurpée dont les rois jouissent dans les 12 royaumes de l'Europe ». Non qu'il épouse les revendications de « la canaille », mais il voit dans les lézardes de la royauté la revanche de Ponte Novo. NOTES SOURCES: On n'a retenu ici que les sources imprimées. Les premières lettres connues de Napoléon (la première est en date du 25 juin 1784) n'ont pas été reprises dans la Correspondance générale publiée sous le Second Empire. Signalons des lettres à une certaine Emma publiées par Leidjendecker dans la Revue des Études napoléoniennes de 1933, p. 52. Les écrits de jeunesse de Napoléon ont été publiés par Masson et Biagi, Napoléon, manuscrits inédits (1910) et par J. Tulard, Napoléon, œuvres littéraires (t. I, 1968). Les Mémoires sont nombreux mais peu sûrs : ceux de Joseph (1853) parfois inexacts; Abrantès mérite son surnom d'Abracadabrantès; les Mémoires de Bourrienne sont en partie apocryphes et démarquent une brochure anglaise traduite en français en l'an VI (Some account of the early years of Buonaparte at the military school of Brienne by Mr. C.H.); de Romain, Souvenirs d'un officier royaliste (1824) est hostile; les Cahiers de Des Mazis publiés par P. Bartel dans La Jeunesse inédite de Napoléon (1954) sont pleins de confusions et d'erreurs (cf. R. Laulan, « Que valent les cahiers d'Alexandre des Mazis? » Revue de l'Institut Napoléon, 1956, pp. 54-60). Superficiel est Aimé Martin (Intermédiaire, 30 janvier 1891, col. 127-128). Chaptal (Souvenirs, pp. 181-183) est sommaire. Il faut enfin repousser en bloc les Mémoires historiques et inédits sur la vie politique et privée de l'Empereur Napoléon par le comte Charles d'Og... élève de l'école de Brienne (1822) qui n'est qu'un pamphlet. OUVRAGES : La jeunesse de Napoléon a inspiré de nombreux livres. Il convient de se méfier de Coston, Biographie des premières années de Napoléon Bonaparte (1840), de Beauterne, L'Enfance de Napoléon (1846), de Nasica, Mémoires sur l'enfance et la jeunesse de Napoléon (1850), du colonel Iung, Bonaparte et son temps, 1769-1799 (3 vol., 1880-1881). Excellents, en revanche, sont Masson et Biagi, Napoléon inconnu (2 vol., 1895) et A. Chuquet, La Jeunesse de Napoléon (t.I, 1897, sérieux bien que dépourvu de références). Utiles compléments dans Marcaggi, La Genèse de Napoléon (1902), M. Mirtil, Napoléon d'Ajaccio (1947), P. Bartel, La Jeunesse inédite de Napoléon (1954). Agréables mais n'apportant pas d'éléments nouveaux sont Lorenzo de Bradi, La Vraie Figure de Napoléon en Corse (1926); L. Madelin, La Jeunesse de Napoléon (t. I, de son Histoire du Consulat et de l'Empire); H. d'Estre, Napoléon, les années obscures (t.I, 1942); Georges-Roux, Monsieur de Buonaparte (1964); J. Thiry, Les Années de jeunesse de Napoléon (1975). Pour la chronologie, l'Itinéraire (1947) de L. Garros est indispensable. Le milieu corse nécessite la consultation des nombreuses histoires de la Corse par Ambrosi (1914), Albitreccia (1939), Arrighi (rééd.), Grégori (1967), Sédillot (1969) et surtout L. Villat, La Corse de 1768 à 1789 (1925) et Chr. Ambrosi, « Les deux annexions de la Corse »,Problèmes d'Histoire de la Corse (1971, pp. 7-22; il rappelle que Gênes avait seulement cédé l'exercice de sa souveraineté en 1768 et que les Corses ne devinrent vraiment français qu'avec la Révolution), Boudard, Gênes et la France (1962). Sur la vie quotidienne : Arrighi (1970). DÉBATS OUVERTS L'origine des Bonaparte a fait l'objet de vives discussions. Nous ne retiendrons ici que deux livres: L. de Brotonne, Les Bonaparte et leurs alliances (1901), et J. Valynseele, Le Sang des Bonaparte (1954, excellent, malgré quelques coquilles typographiques, faisant par exemple mourir Charles Bonaparte en 1788, p. 25). Les conclusions de ce dernier emportent l'adhésion: « Nobles de province, du type noblesse de robe, se prétendant sans preuve mais non sans une certaine vraisemblance issus d'une famille toscane du même nom. » Sur la généalogie des Ramolino, cf. F. Beaucour, « La Famille maternelle de Napoléon Ier», Bulletin de la Société de Pont-de-Briques, 1974, pp. 263-336. Biographie de Charles Bonaparte par X. Versini (1977). Sur Madame Mère: Larrey, Madame Mère (1892), reste fondamental, L. Peretti (1932) et A. Decaux (1951) apportent d'intéressants compléments. La fortune des Bonaparte pose bien des problèmes. L'étude de P. Lamotte, « Les Biens de la famille Bonaparte», Études corses, 1956, confirme qu'il s'agit bien de notables. Il semble pourtant que les Bonaparte aient eu à souffrir de l'annexion, sans devenir ces indigents que peint Masson. C'est avec la mort du père que commencent les difficultés sérieuses. Autre point de contestation : la date de naissance de Napoléon (et le lieu de cette naissance: on l'a situé en Bretagne !). S'appuyant sur une brochure d'Eckard (Napoléon est-il né français?, 1826), Chateaubriand avance la date du 5 février 1768. lung, dans Bonaparte et son temps (t.I, hostile à Napoléon), affirme que Napoléon serait né le 7 janvier 1768, et son frère Joseph, qui ne serait pas l'aîné, le 15 août 1769. Charles Bonaparte aurait opéré une substitution des actes de baptême, pour permettre à Napoléon d'entrer, après l'âge requis, à Brienne. Hypothèse que F. Masson a démolie. Napoléon indique lui-même « 15 août 1769 » comme date de naissance dans ses écrits intimes et c'est la date qu'a consignée Charles Bonaparte dans son Livre des dépenses. Les études sur Napoléon ont été déformées par de nombreuses légendes. Sur Brienne, en dehors de Masson et de Chuquet: A. Assier, Napoléon à l'école de Brienne (1874), et surtout Prévost, Les Minimes de Brienne (1915) ; y ajouter le numéro spécial du Souvenir napoléonien (1972). Nous sommes mieux renseignés sur le séjour à l'École militaire de Paris grâce aux recherches de R. Laulan (notamment « La chère à l'École militaire au temps de Bonaparte », Revue de l'Institut Napoléon, 1959, pp. 18-23) et du général Gambiez, « Napoléon Bonaparte à l'École royale militaire de Paris » (Ibidem, 1971, pp. 48-56). Les points d'interrogation posés par la vie de garnison à Valence et les voyages en Corse font l'objet d'excellentes mises au point dans l'Itinéraire de L. Garros. Retenons qu'il est peu probable que Napoléon se soit rendu à Strasbourg en 1788 (Pariset, «Le lieutenant Bonaparte étudiant à Strasbourg », Revue historique, 1917, p. 78). Sur Auxonne : M. Bois, Napoléon Bonaparte lieutenant d'artillerie à Auxonne (s.d.), est très sûr. Le compléter par J. du Teil, Napoléon Bonaparte et les généraux du Teil (1897), et B. Simiot, De quoi vivait Bonaparte? (1952). On est bien renseigné sur les lectures de Napoléon grâce aux notes abondantes qu'il a prises. Mais d'où lui vint son admiration fanatique pour Paoli ? De Boswell, semble-t-il, selon A. Dupuy, « Un inspirateur des juvenilia de Napoléon », Bulletin Association Guillaume Budé, 1966, pp. 331-339. Lire aussi F. Ettori, «Pascal Paoli, modèle du jeune Bonaparte », Problèmes d'Histoire de la Corse, 1971, pp. 89-99. Rappelons que tout le monde écrit à l'époque, de Robespierre à Carnot, d'Hérault de Séchelles à Fabre d'Églantine. Un détail: l'origine du prénom Napoléon. Le P. Delehaye a montré (Mélanges Pirenne, t. I) que saint Neopolus ou Neopolis n'avait jamais existé. Un copiste aurait pris le nom de Naples pour celui d'un saint. Toutefois le nom primitif d'Alexandrie était Nea Polis: étant donné que les noms des martyrs dérivaient souvent des lieux où ils vécurent et moururent, l'origine du nom pourrait remonter à Alexandrie. H. Grégoire (Bulletin de l'Académie royale de Belgique, 1936, pp. 351-357) voit dans ce prénom une origine allemande : Nibelung. Sur les problèmes posés par la maison natale de Napoléon transformée en musée: Y. David fait le point dans Le musée national de la maison Bonaparte (1968). Cf. aussi G. Hubert, «La maison Bonaparte », Rev. Inst. Napoléon (1968). Dans le Souvenir napoléonien de sept. 1977, G. Godlewski lave Madame Mère du reproche d'infidélité lancé par Montbas (Revue des Deux Mondes, 15 sept. 1952) et P. Bartel (Figaro littéraire, 1er mai 1954). CHAPITRE II L'homme de Paoli Le 15 juillet 1789, Napoléon prend sa plume pour informer son oncle, l'archidiacre Lucien, de son projet de se rendre dans la capitale pour y régler des affaires personnelles, mais, ajoute-t-il, je reçois dans le moment des nouvelles de Paris. Elles sont étonnantes et faites pour singulièrement alarmer. La fermentation est à son comble. L'on ne peut prévoir où tout cela finira. M. Necker s'est acheminé du côté de la Picardie, probablement pour passer en Hollande. Peut-être ce soir, peut-être cette nuit, battra-t-on la générale pour nous faire aller à Dijon ou Lyon. Ce serait bien désagréable et fort ruineux pour moi. A Auxonne en effet la garnison est aussitôt mise en état d'alerte. Des émeutes ne tardent pas à éclater. Au milieu du bruit des tambours, des armes, du sang, confie Napoléon à son frère Joseph, je t'écris cette lettre. La populace de cette ville renforcée d'un tas de brigands étrangers qui sont venus pour piller, se sont mis dimanche au soir à renverser les corps de bâtiments où logent les commis de la ferme, ont pillé la douane et plusieurs maisons. Le général a soixante-quinze ans. Il s'est trouvé fatigué. Il a appelé le chef de la bourgeoisie et leur (sic) a ordonné de prendre l'ordre de moi. Après bien des manœuvres, nous en avons arrêté 33 et nous les avons mis au cachot. L'on va, je crois, en pendre deux ou trois prévôtale-ment. Napoléon ne paraît pas nourrir une sympathie excessive pour la « canaille » mais il considère avec moins de sympathie encore ces privilégiés, une caste à laquelle il appartient pourtant: « Par toute la France le sang a coulé mais presque partout cela a été le sang impur des ennemis de la Liberté, de la Nation et qui depuis longtemps, s'engraissent à leurs dépens. » Exposant dans cette lettre du 9 août 1789 à son frère Joseph les résultats de la fameuse nuit du 4, il les résume ainsi: « C'est un grand pas vers le bien. » C'est qu'il confond dans une même haine les privilégiés et cette monarchie qui a mis en coupe réglée sa patrie corse. Le 12 juin, n'a-t-il pas écrit à Paoli une lettre où il ne dissimule guère ses sentiments à l'égard de la France: Je naquis quand la patrie périssait. Trente mille Français vomis sur nos côtes, noyant le trône de la liberté dans les flots de sang, tel fut le spectacle odieux qui vint le premier frapper mes regards. Les cris du mourant, les gémissements de l'opprimé, les larmes du désespoir environnaient mon berceau dès ma naissance. Vous quittâtes notre île et avec vous disparut l'espérance du bonheur, l'esclavage fut le prix de notre soumission. Accablés par la triple chaîne du soldat, du légiste et du percepteur d'impôts, nos compatriotes vivent méprisés. La Corse inspire également à Bonaparte des Lettres à M. Necker d'un ton identique. « On ne saurait garder aucun doute, écrit Frédéric Masson, sur les opinions que professe Napoléon, sur la haine qu'il garde contre les conquérants de son pays et sur le mépris qu'il ressent contre quiconque ne suit pas la ligne de Paoli; il est Corse, entièrement Corse, rien que Corse. » LA RÉVOLUTION EN CORSE Cette Révolution française, qui se déroule sous l'œil quelque peu indifférent du jeune officier, avait été accueillie avec enthousiasme par la Corse. Comme les autres provinces du royaume, l'île envoya des députés aux États généraux: le comte de Buttafuoco, celui qui avait sollicité de Rousseau un projet de constitution, représentait la noblesse, Peretti Della Rocca le clergé, Salicetti et Colonna Cesari le Tiers État. En août 1789, Bonaparte demandait un congé pour le semestre d'hiver. Demande régulière mais que l'on peut s'étonner de voir accorder en raison des événements. On suppose qu'il a quitté Auxonne dans les premiers jours de septembre, descendu le Rhône et probablement rencontré à Marseille l'un de ses penseurs favoris, l'abbé Raynal. Pendant quinze mois, jusqu'en février 1791, Napoléon ne va connaître les bouleversements qui secouent la France que par leurs contrecoups en Corse. L'île demandait seulement à être intégrée dans le royaume au lieu d'être traitée en pays conquis. Une telle revendication semblait légitime au commandant en chef des troupes françaises, le vicomte de Sarrin. Mais ce modéré devait compter avec les royalistes exaltés, comme son adjoint le maréchal de camp Gaffori, nommé le 20 août. Cependant les changements de municipalité s'opérèrent dans le calme, une Garde nationale fut créée à Ajaccio et Napoléon en devint le lieutenant-colonel en second. Les événements commencèrent à se gâter à la fin de l'été. Des incidents éclatèrent notamment à Bastia, le 5 novembre 1789, à propos de la constitution de la Garde nationale. Bonaparte y fut mêlé mais son rôle reste difficile à préciser. Les patriotes ayant présenté leurs doléances à l'Assemblée constituante, celle-ci déclarait, le 30 novembre, la Corse «partie intégrante de l'Empire français». Elle promettait que ses habitants seraient régis par la même constitution que les autres Français. Ce décret répondait-il aux aspirations profondes de la population? On le croirait à lire Napoléon écrivant à l'abbé Raynal: « Désormais, nous avons les mêmes intérêts, les mêmes sollicitudes, il n'est plus de mer qui nous sépare. » Mais l'idée d'une « nation corse » était solidement enracinée. Le départ de nombreux Français montrait les craintes et les réticences qui secouaient l'île. Déjà le 12 octobre, lorsque avait été demandé le maintien du titre de roi de France et de Navarre, Salicetti, réclamant la parole, s'était exclamé: « Le titre de roi des Français est suffisant, mais si l'on ajoute celui de roi de Navarre, je suis autorisé et même obligé par mon cahier à demander qu'on dise aussi roi de Corse. » Le même Salicetti favorisait, en février 1790, la réunion à Bastia d'une assemblée sous la présidence du colonel Petriconi. Elle décidait le retour du général Paoli, amnistié par l'Assemblée constituante, et mettait en place les différentes instances administratives dont un Comité supérieur qui concentra la plupart des responsabilités dans l'île. Les difficultés venaient principalement des habitants du « delà des monts » qui, s'estimant lésés dans la distribution des emplois et la répartition des impôts, demandaient une division de l'île. Joseph Bonaparte s'y était opposé: « Il y a peu de temps, nous étions encore esclaves; à peine renaissons-nous que déjà on veut nous diviser en énumérant les erreurs d'une administration absurde. Au lieu d'en attribuer la faute aux tyrans de toute sorte qui nous opprimaient, on tente de semer entre nous la discorde et d'en rendre responsables nos compatriotes qui en furent comme nous les victimes. » L'unité l'emporta. Unité géographique mais non politique. Les Corses restaient partagés en deux camps: les paolistes ou patriotes avaient dominé de 1729 à 1769 avant d'être écrasés par les canons français à Ponte Novo ; les royalistes ou gafforistes tenaient le haut du pavé depuis l'occupation française et avaient envoyé aux États-Généraux des orateurs écoutés comme Buttafuoco et Peretti. La Révolution accentua le clivage. Les royalistes demeuraient partisans de l'ancien régime, ils s'appuyaient sur l'armée et l'administration; les patriotes s'étaient ralliés aux principes de 1789 et bénéficiaient d'un large appui populaire. On le vit lors de l'accueil délirant qui fut réservé à Paoli, de retour dans l'île, le 17 juillet 1790. Les élections pour désigner les administrateurs du département se déroulèrent sans incidents. Lors de l'assemblée tenue à Orezza en vue de ces élections, Paoli, redevenu la figure de proue des forces nouvelles, exalta la généreuse nation française. « Vous avez été ses compagnons dans la servitude, elle veut que vous soyez ses frères sous les mêmes emblèmes de la liberté. » L'autonomie était donc exclue. Le général invitait les Corses à « jurer spontanément une fidélité perpétuelle et une pleine adhésion à l'heureuse constitution qui nous réunit avec cette nation sous les mêmes lois et sous un roi citoyen». La protection de la France révolutionnaire lui semblait indispensable pour préserver l'île de toute menace, mais il n'était pas, semble-t-il, partisan de l'assimilation totale. Il souhaitait vraisemblablement un lien fédéral. « La patrie » dans ses discours demeure la Corse, les Français ne sont pas ses « compatriotes » mais ses « confrères». Sentiment qui paraît avoir été partagé par Napoléon que l'on trouve mêlé de près, avec son frère aîné, aux élections qui agitent l'île. Des élections qui assurent le triomphe des paolistes. Ainsi Joseph devenait-il président du directoire d'Ajaccio. Le problème de l'unité de l'île sous la forme d'un seul département réglé, la désignation des administrateurs terminée, restait à choisir le chef-lieu de la Corse. Bastia? Ajaccio? Corte? C'est Bastia qui l'emporta, provisoirement du moins. Les décisions prises à l'assemblée d'Orezza avaient été combattues par Buttafuoco, chef de file des royalistes, qui accusait Paoli de vouloir rattacher en définitive l'île à l'Angleterre. La suite des événements devait lui donner raison. Mais les paolistes ne supportaient pas de critique à l'encontre de leur idole. Ils ripostèrent en rappelant la trahison de Buttafuoco qui avait suggéré à Choiseul, de son propre mouvement, lors d'une mission diplomatique que lui avait confiée Paoli, l'annexion de la Corse à la France. Cependant que l'effigie de Buttafuoco était brûlée le 2 août 1790 dans les rues d'Ajaccio, des électeurs d'Orezza décidaient l'envoi de deux députés extraordinaires à la Constituante, Gentile et Pozzo di Borgo, pour y exposer la position des patriotes. Buttafuoco prit les devants: Le 29 octobre 1790, il montait à la tribune de l'Assemblée nationale: « Des hommes audacieux, se couvrant du masque du bien public, n'ont cessé de répandre en Corse les plus odieuses calomnies sur ma conduite et sur celle de l'abbé Peretti. On a provoqué le peuple contre nous. M. Paoli a accrédité ces impostures. » Combattus par Mirabeau (auquel Napoléon ne cessera de vouer une grande admiration au point de prendre Frochot, l'exécuteur testamentaire du tribun, comme préfet de la Seine) et Salicetti, Buttafuoco et Peretti ne purent empêcher les délégués de la Corse d'être admis aux honneurs de la séance. Les royalistes corses essuyaient un revers sérieux. Napoléon, qui avait obtenu une prolongation de congé, ne se pressait guère de revenir sur le continent. Paoliste fervent, il prit parti avec violence contre Buttafuoco. Le 23 janvier 1791, il rédigeait dans le cabinet de la résidence familiale des Milelli sa Lettre à Buttafuoco dont le club patriotique d'Ajaccio votait avec enthousiasme l'impression. Premier écrit public de Napoléon, cette lettre ne mérite intérêt qu'en raison de la personnalité de l'auteur. Stendhal force un peu la note lorsqu'il affirme qu'il s'agit « d'une œuvre satirique, absolument dans le goût de Plutarque. La donnée est ingénieuse et forte. On dirait un pamphlet écrit en 1630 et en Hollande ». Paoli ne fut pas du même avis: « J'ai reçu la brochure de votre frère, écrit-il à Joseph, elle aurait fait plus grande impression si elle avait dit moins et si elle avait montré moins de partialité. » Seule la péroraison finale retient l'attention. Après avoir dénoncé les activités de Buttafuoco, l'auteur s'exclame : « O Lameth ! O Robespierre! O Pétion! O Volney! O Mirabeau! O Barnave! O Bailly ! O La Fayette! Voilà l'homme qui ose s'asseoir à côté de vous! tout dégouttant du sang de ses frères, souillé par des crimes de toute espèce, il ose se dire représentant de la nation, lui qui la vendit. » Ce rapprochement d'hommes politiques siégeant — non sans nuances — à « l'aile gauche » de l'assemblée indique le camp vers lequel va la sympathie de Bonaparte. Sans doute la raison d'un tel choix réside-t-elle dans le soutien que ces députés ont apporté aux délégués corses. C'est l'attachement à Paoli qui conduit Napoléon vers les révolutionnaires les plus avancés de la Constituante. Mais il est permis de croire à un sentiment plus profond. Un texte nous éclaire. Il est présumé de 1791 et aurait été inspiré par la fuite du roi. Probablement s'agit-il de l'ébauche d'une brochure que comptait faire publier Bonaparte en faveur de la thèse républicaine qui commençait à se développer. J'ai lu tous les discours des orateurs monarchistes. J'y ai vu de grands efforts pour soutenir une mauvaise cause. Ils divaguent dans des assertions qu'ils ne prouvent pas. En vérité si j'avais eu des doutes, la lecture de leurs discours me les aurait dissipés. Vingt-cinq millions d'habitants ne peuvent pas vivre en République est un adage impolitique. VERS LA RUPTURE Victorieux, les patriotes corses se divisèrent à propos de la Constitution civile du Clergé à laquelle s'était rallié non sans hésitation Paoli. Le vieux guide avait prêché la prudence. Peut-être se sentait-il peu à peu dépassé. L'élection de Guasco comme évêque constitutionnel, le 9 mai 1791, n'apaisa guère les esprits. Une violente insurrection éclata en juin à Bastia. La répression fut relativement sévère; mais surtout Bastia perdit son rang de capitale. Autre victime de l'insurrection, Paoli, qui laissa une partie de son prestige dans l'affaire. C'est ainsi qu'une opposition antipaoliste se manifesta lors de l'élection des députés de l'Assemblée législative appelée à remplacer la Constituante. Crime de lèse-majesté: Arena se présenta contre Leonetti, neveu du grand homme. La foi de Napoléon en Paoli restait immuable. Certes c'est une France transformée que Bonaparte trouvait à son retour sur le continent en février 1791. Il avait emmené avec lui, à Auxonne, son jeune frère Louis, âgé de douze ans, mais ni l'éducation de ce cadet, ni les troubles révolutionnaires, ni son affectation le 1er juin 1791 à Valence, ne le détournaient de sa véritable patrie. Après s'être occupé de l'impression de sa Lettre à Buttafuoco, il entreprenait une Histoire de la Corse pour laquelle il sollicita de Paoli « les documents nécessaires ». « L'histoire ne s'écrit pas dans les années de jeunesse », lui répondit sèchement son héros, le 2 avril 1791. Décidément Paoli faisait preuve de beaucoup de froideur envers Napoléon. Irritation suscitée par une admiration un peu trop encombrante et plutôt exclusive? Agacement du vieux conservateur, ce qu'était devenu en définitive Paoli, envers un jeune jacobin? Rancune à l'égard de Charles Bonaparte rallié un peu trop vite, jadis, à la cause française? Napoléon ne se décourage pas et tout en rédigeant un mémoire pour l'académie de Lyon, où se trouve un nouvel éloge des réformes de Paoli en Corse, mémoire sur lequel nous reviendrons, il sollicite un congé. Et le revoilà en Corse au mois d'octobre. Il espère cette fois un grade important dans un bataillon de volontaires et multiplie les intrigues dans ce sens, renonçant à rejoindre son unité continentale. Il est enfin élu lieutenant-colonel en second du deuxième bataillon de volontaires, le 1er avril 1792. Manque de chance: il est aussi conduit à participer aux affrontements qui opposent citadins et paysans et dans lesquels se dilue l'autorité de Paoli. Des bagarres sanglantes éclatent à Ajaccio. A l'origine, toujours des problèmes religieux. Napoléon ne porte pas de responsabilité particulière, mais les contre-révolutionnaires s'emparent de l'affaire. Jugé quelque peu remuant, le deuxième bataillon de volontaires est envoyé à Corte. Compromis dans l'agitation, Napoléon doit rédiger un mémoire justificatif. Il s'oppose ainsi au clan contre-révolutionnaire des Peraldi et des Pozzo di Borgo. C'est l'échec de ses ambitions corses. Un échec qu'il considère encore comme provisoire. Premier objectif : se faire réintégrer dans l'armée continentale. Ne vient-il pas, en raison de son absence trop prolongée, d'être rayé des cadres de son régiment? Il est à Paris le 28 mai; la guerre a éclaté en avril ; on manque d'officiers, mais sa réintégration se fait attendre. Faisons, pour une fois, confiance aux Mémoires de Bourrienne: Au mois d'avril 1792, j'arrivai à Paris et j'y revis Bonaparte ; notre amitié d'enfance et de collège se retrouva tout entière. Je n'étais pas très heureux; l'adversité pesait sur lui. Les ressources lui manquaient souvent. Nous passions notre temps comme deux jeunes gens de vingt-trois ans qui n'ont rien à faire et qui ont peu d'argent; il en avait encore moins que moi. Nous enfantions chaque jour de nouveaux projets: nous cherchions à faire quelque utile spéculation. Il voulait une fois louer avec moi plusieurs maisons en construction dans la rue Montholon pour les sous-louer ensuite. Nous trouvâmes les demandes des propriétaires trop exagérées; tout nous manqua. Bonaparte est enfin réintégré et promu au grade de capitaine. Rêvons: il s'agit de l'une des dernières signatures données par Louis XVI. A-t-il assisté à la journée du 20 juin lorsque le peuple envahit les Tuileries et faut-il croire les témoignages affirmant que très énervé contre « la canaille » il aurait déclaré que « s'il était roi, cela ne se passerait pas de même»? Mais le 3 juillet il écrivait à son frère Lucien: « Vivre tranquille, jouir des affections de sa famille et de soi-même, voilà, mon cher, le parti que l'on doit prendre. » On se méfiera des déclarations de Napoléon à Sainte-Hélène. Il a laissé néanmoins un récit du 10 août qui montre l'impression que fit sur lui l'émeute populaire. Je me trouvais, confiera-t-il à Las Cases, à cette hideuse époque, à Paris, logé au Mail, Place des Victoires. Au bruit du tocsin et de la nouvelle qu'on donnait l'assaut aux Tuileries, je courus au Carrousel, chez Fauvelet, frère de Bourrienne, qui y tenait un magasin de meubles. C'est de cette maison que je pus voir à mon aise tous les détails de la journée. Avant d'arriver au Carrousel, j'avais été rencontré dans la rue des Petits-Champs par un groupe d'hommes hideux, promenant une tête au bout d'une pique. Me voyant passablement vêtu et me trouvant l'air d'un Monsieur, ils étaient venus à moi pour me faire crier Vive la Nation! ce que je fis sans peine, comme on peut bien le croire. Les excès qui accompagnèrent la chute des Tuileries ont montré à Napoléon que le « détrônement des rois » n'était pas aussi simple dans la réalité que sur le papier. Le palais forcé et le roi rendu dans le sein de l'assemblée, je me hasardais à pénétrer dans le jardin. Jamais, depuis, aucun de mes champs de bataille ne me donna l'idée d'autant de cadavres que m'en présentèrent les masses de Suisses, soit que la petitesse du local en fit ressortir le nombre, soit que ce fût le résultat de la première impression que j'éprouvais de ce genre. J'ai vu des femmes bien mises se porter aux dernières indécences sur les cadavres des Suisses. Louis XIV avait gardé un souvenir épouvanté de la Fronde et une haine vivace à l'égard de Paris. De même Napoléon se méfiera toujours de la capitale et se refusera à armer les faubourgs. Le 10 août lui aura montré à quels excès peut se porter « la plus vile canaille». La révolution préconisée par les philosophes, oui; les révoltes populaires, non. Son alliance avec la bourgeoisie est en germe dans la leçon que retire Bonaparte de cette journée. Des élections sont prévues pour la formation d'une convention qui doit rédiger une nouvelle constitution. Il faut se rendre au plus vite en Corse. Un prétexte est trouvé: sa sœur Elisa, retirée de Saint-Cyr, doit être conduite par son frère dans sa famille. A peine réintégré, le capitaine Bonaparte obtient donc une nouvelle permission. Rarement officier aura fait aussi peu de présence à l'armée. LA RUPTURE Au mois d'octobre, Bonaparte est en Corse. Les élections ont vu l'échec de Joseph combattu par les partisans de Pozzo di Borgo mais les Bonaparte peuvent compter parmi les députés sur l'amitié de Salicetti, Chiappe et Casabianca. Napoléon prend aussitôt contact avec Paoli. Celui-ci, passé sous l'influence de Pozzo di Borgo, a dû le voir revenir sans plaisir. Pour s'en débarrasser, il le lance dans la guerre, une expédition d'intérêt mineur mais que Napoléon prend à cœur. Au moment où la victoire, depuis Valmy, se dessine pour la France, il s'agit d'inquiéter la Sardaigne, hostile à la Révolution, en occupant quelques îlots, la Maddalena notamment. Peut-être envisage-t-on de s'emparer de son blé pour ravitailler le Midi de la France; plus sûrement songe-t-on à intimider Florence et Naples. Truguet a le commandement de l'opération. Il doit faire relâche à Ajaccio pour embarquer des volontaires corses, mais l'amalgame se faisant difficilement entre ses propres troupes et celles de l'île, deux expéditions distinctes sont finalement envisagées: pendant que Truguet attaquera Cagliari, les Corses opéreront une manœuvre de diversion sur la Maddalena, séparée par un bras de mer (les Bouches de Bonifacio) de la Corse, et défendue par cinq cents Sardes peu combatifs. La Maddalena pourrait ensuite devenir une base contre la Sardaigne. Voilà l'expédition dont Bonaparte est appelé à faire partie. Le commandement en est confié à Colonna Cesari, ancien député à la Constituante et parent de Paoli. Bonaparte fait mouvement sur Bonifacio avec l'artillerie formée de deux canons et d'un mortier. Il s'y morfond plusieurs semaines. Le 18 février 1793, on embarque enfin les six cents hommes. Sur l'ordre de Cesari, Napoléon s'empare de l'îlot de San Stefano, voisin de la Maddalena. Il entreprend aussitôt le bombardement de l'île. Tout est prêt pour le débarquement, mais les marins provençaux de la flottille se rebellent et exigent de Cesari de regagner la Corse. Bonaparte, la rage au cœur, évacue San Stefano, abandonnant ses canons. C'est un échec dont il ne porte en rien la responsabilité. Il se justifie d'ailleurs dans deux projets de reconquête des îles et dénonce Cesari. Au-delà de ce dernier, c'est Paoli qui est visé. Ne murmure-ton pas qu'il aurait donné secrètement pour mission à son parent de faire échouer l'entreprise, jugée trop jacobine ? Profitant de la guerre civile en France, Paoli a-t-il été tenté d'assurer l'indépendance de la Corse ? Sa politique paraît, vue de France, de plus en plus contre-révolutionnaire, sous l'influence, sans nul doute, de Pozzo di Borgo. Comment s'étonner que les rapports entre Napoléon et Paoli se tendent? On parle d'une entrevue orageuse à Corte à propos de la politique de la Convention, avant ou après l'expédition de la Maddalena, les versions varient. De toute façon, Bonaparte se rapproche de Salicetti, de plus en plus hostile à Paoli qu'il soupçonne de duplicité à l'égard de la France. Les événements s'accélèrent. Le 2 avril 1793, sur proposition d'Escudier, député du Var, appuyé par Marat, la Convention décide de convoquer Paoli à Paris. Les accusations qui pèsent sur lui sont graves. C'est Lucien Bonaparte — entrant dans l'histoire ainsi — qui l'aurait dénoncé à la société populaire de Toulon, mettant en lumière les vues séparatistes du vieux chef et lui faisant porter la responsabilité de l'échec de l'expédition de Sardaigne. Ces critiques reprises par Escudier ont fait impression sur la Convention. Salicetti reçoit mission de se saisir de Paoli. Une imprudence de Lucien — il écrit à ses frères pour leur narrer son intervention — révèle à Paoli l'origine des dénonciations dont il est l'objet. La rupture entre Napoléon et lui est consommée. Elle va l'être également entre les Bonaparte et la Corse. Il est établi que Napoléon ignorait tout de l'initiative de Lucien. Il l'eût probablement désavouée par un reste de fidélité à Paoli, mais le clan des Pozzo l'exclut désormais des premiers rôles en Corse et la fureur des paolistes le rejette dans le camp de Salicetti. Il s'enfuit clandestinement d'Ajaccio dont la municipalité est acquise à Paoli, espérant rejoindre sans encombre Bastia où s'est déjà réfugié Joseph et où sont établis les commissaires de la Convention, Lacombe-Saint-Michel, Delcher et Salicetti, envoyés pour mettre « les ports de Corse en état de sûreté », en raison des méfiances qu'inspire Paoli accusé de s'entourer des anciens partisans de Gaffori et Buttafuoco. Arrêté à Bocognano, Napoléon échappe à ses adversaires, revient à Ajaccio où il se cache chez Jean-Jérôme Levie, puis passant par la voie de mer, il atteint enfin Bastia. Là, il aide Salicetti à armer une petite flottille qui tente de s'emparer par surprise d'Ajaccio aux mains des paolistes. C'est un échec. La majorité de la population reste acquise à Paoli. On pille les demeures des partisans de Napoléon. La maison des Bonaparte est saccagée. Toute la famille se réfugie à Calvi puis s'exile à Toulon le 11 juin 1793. L'aventure corse est terminée. Dans la défaite du clan des Bonaparte, faut-il voir la défaite de la Côte face à la Montagne, de la noblesse et de la bourgeoisie des ports, gros acheteurs de terres dans l'intérieur, face aux cultivateurs et aux bergers ardemment paolistes ? On serait tenté de suivre les hypothèses présentées par M. Defranceschi : Le conflit idéologique entre le parti de la Corse aux Corses et celui de la Corse française devient alors plus simplement un conflit économique entre le parti des spoliés et celui des spoliateurs, entre le petit peuple que l'on dépouille et qui se défend et la bourgeoisie envahissante qui prend le masque de la liberté pour parvenir à ses fins. Les réfugiés qui suivent Bonaparte dans l'exil sont, dans l'écrasante majorité, des propriétaires ou des marchands, peut-être aussi, il est vrai, parce qu'ils avaient davantage les possibilités de fuir la Corse. Il n'en demeure pas moins que Paoli s'était assuré de larges soutiens dans la population rurale. Comment expliquer autrement l'échec de Salicetti ? Les guerres nationales sont souvent complexes ; on le verra à nouveau avec celle d'Espagne en 1808 : les idéologies les plus avancées ne sont pas toujours celles qui ont le soutien des plus pauvres. Ainsi, lecteur enthousiaste de Rousseau et ardent républicain en France, Bonaparte aurait été en Corse plus réactionnaire sur le plan social que le contre-révolutionnaire Paoli. Voilà qui expliquerait sa défaite en 1793. NOTES SOURCES : Ernest d'Hauterive a publié d'importantes « Lettres de jeunesse de Bonaparte » dans La Revue des Deux Mondes du 15 décembre 1931. En dehors des Mémoires de Joseph, on consultera, avec précaution, ceux de Lucien et de Bourrienne. Les écrits de Napoléon sont réunis dans Napoléon. Œuvres littéraires (éd. Tulard), t. Il (1968). Pour la Corse même, l'article de Volney, «Précis sur l'état actuel de la Corse » (Le Moniteur du 20 mars 1793), est un violent réquisitoire contre Paoli. OUVRAGES : Les ouvrages de F. Masson, Napoléon inconnu (1895), A. Chuquet, La Jeunesse de Napoléon, t. II, La Révolution (1898), et J. B. Marcaggi, La Genèse de Napoléon (1902), s'ils ont fait l'objet de contestations de détail, restent fondamentaux. Les livres de L. Madelin, J. Thiry, Estre et P. Bartel, cités au chapitre précédent, n'apportent pas de documents nouveaux sur la Corse à l'époque révolutionnaire. M. Mirtil, Napoléon dAjaccio (1947), contient en revanche des pièces inédites tirées des archives corses. Deux thèses importantes ont renouvelé nos connaissances : J. Defranceschi, La Corse française, 30 novembre 1789, 25 juin 1794 (1980), et F. Beaucour, Un Fidèle de l'Empereur, Jean-Mathieu-Alexandre Sari (T. I, dactylographié 1972). DÉBATS OUVERTS DÉBATS OUVERTS Il n'est pas facile de se reconnaître dans les luttes politiques qui opposent les Corses en 1789. L'union faite autour de Paoli contre les royalistes francophiles s'est rapidement brisée. Pour y voir clair, on pourra consulter Casanova, La Corse et les États-Généraux de 1789 (Ajaccio, 1931); F. Pomponi, « Sentiments révolutionnaires et esprit de parti en Corse », Problèmes d'Histoire de la Corse (1971, pp. 147-178), F. Chailley-Pompei, « Troubles de Pâques 1792 » (ibidem, pp. 179-189) et Antoine Casanova et Ange Rovere, Peuple corse, révolutions et nation française (1979). La politique de Paoli reste obscure. Peut-être a-t-elle subi la pression des événements plus qu'elle ne les a créés. Dans sa thèse, Defranceschi montre que Paoli n'a pas souhaité au départ séparer la Corse de la France pour la donner à l'Angleterre. Selon l'auteur, une telle légende, avant d'être reprise par les bonapartistes, aurait été forgée par Rossi dans ses Osservazioni storiche sopra la Corsica. Il rejette la responsabilité de la rupture sur la Convention qui a accueilli, sans les vérifier; les calomnies contre Paoli. On consultera aussi D. Perelli, Lettres de Pascal Paoli (Bastia, 1884-1889, 6 vol.), Jollivet, Paoli, Napoléon, Pozzo di Borgo (1892), et sur un point de détail, C. Bordini, « Nota sulla fortuna di Pasquale Paoli », Rassegna storica del Resorgimento (1973). Si Pozzo di Borgo est bien étudié (P. Ordioni, Pozzo di Borgo, 1935 ; Albertini et Marinetti, Pozzo di Borgo contre Napoléon (1966) ; J.M.P. McErlean, The formative years of a russian diplomat, 1967 ; D. Carrington, « Pozzo di Borgo et les Bonaparte », Problèmes d'Histoire de la Corse, pp. 101-129), Salicetti mériterait, pour son rôle capital dans les événements de Corse, une biographie approfondie (Franceschini, « Salicetti et Napoléon », Revue des Études napoléoniennes, sept. 1930, pp. 131-155, et J. Godechot, « Salicetti »,dans Studia in onore di Nino Cortese, 1976, pp. 257-272). Beaucour (Sari, t. I, p. 91) montre que c'est Salicetti qui, le premier, rappelant que Paoli avait été le protégé du roi d'Angleterre, éveilla les soupçons de la Convention. La genèse des écrits de Napoléon est encore mal éclaircie: outre N. Tomiche, Napoléon écrivain (1952), cf. E. Desprez, « Les origines républicaines de Napoléon. Le mémoire sur la Corse en 1793 », Revue historique (1908) qui corrige des erreurs de Masson et de Chuquet, et J. Feuvrier, « Napoléon Bonaparte à Dole », dans Correspondance archéologique et historique (1911), qui explique les conditions dans lesquelles fut imprimée la Lettre à Buttafuoco. Première campagne militaire où Napoléon ait pu révéler son génie, l'affaire de la Maddalena a retenu particulièrement l'attention. Si Bonaparte ne fut pour rien dans l'échec de l'entreprise, la responsabilité de Paoli n'a pas été prouvée : E.J. Peyrou, L'Expédition de Sardaigne, Le Lieutenant Bonaparte à la Maddalena, Paris 1912, accable Truguet ; G. Godlewski, « Bonaparte et l'affaire de la Maddalena », Revue de lInstitut Napoléon, 1964, pp. 1-12. Le témoignage de Bonaparte figure dans Œuvres littéraires, t. II, pp. 331-352. L'attitude de Lucien qui précipita la rupture des Bonaparte avec Paoli a fait l'objet de controverses. Dans Lucien Bonaparte (1939), Pietri qui lui est très favorable le montre s'opposant à Napoléon (« il me semble penché à être tyran ») et le lave de toute trahison envers Paoli : « Les violences de langage prêtées à Lucien contre Paoli se rapportent au voyage qu'il fera à Toulon après la rupture de Paoli et des Bonaparte » (p. 45). Les Mémoires de Lucien seraient ici exacts. En revanche, Defranceschi laisse entière la responsabilité de Lucien dans « Paoli et les frères Bonaparte », Problèmes d'Histoire de la Corse (p. 141). Il s'attache à démontrer qu'il n'y eut aucune opposition entre l'anglophilie prêtée à Paoli et la francophilie révolutionnaire de Napoléon. C'est Lucien, agissant sans consulter ses frères, qui a bien provoqué la rupture et conduit Napoléon à accuser à son tour Paoli dans sa Position politique et militaire de la Corse aux premiers jours de juin 1793. Il existait en Corse un clan bonapartiste (les Sari, Pô, Costa, Barbieri, Lafranchi) que Beaucour a bien mis en lumière (Sari, t. I, p. 100). Defranceschi en précise les contours sociaux à l'aide de la liste de 1003 réfugiés corses à Marseille, « les bons républicains », dont il compare les origines à l'ensemble de la société corse : c'est la population aisée des villes qui a pris le chemin de l'exil (La Corse française 1784-1794, p. 247). Ce clan fut vaincu en 1793 par les partisans des Peraldi et de Pozzo di Borgo. Il aura sa revanche en 1796 lors de la reconquête de la Corse après la démission de Pozzo di Borgo qui s'était débarrassé de Paoli. Celui-ci, exilé une nouvelle fois en Angleterre, illuminera son hôtel en signe de joie à l'annonce du Consulat à vie. Sur quelques points restés obscurs dans la chronologie : cf. McErlean, « Où était Napoléon le 9 mai 1793 ? », Revue de l'Institut Napoléon, 1981, pp. 3-14. CHAPITRE III L'homme de Robespierre Voilà Bonaparte rejeté dans le camp le plus avancé de la Révolution, celui des jacobins, la cause de Paoli se confondant, un peu abusivement d'ailleurs, avec la révolte fédéraliste qui soulève la France contre la dictature montagnarde. On peut s'interroger sur le destin d'un Napoléon resté fidèle à Paoli. Il eût été sans doute condamné à l'exil en Angleterre et serait rentré en 1815 pour servir dans l'armée royale, émigré chagrin devenu ultra aigri. Décidément, avant même Brumaire, Lucien fut le bon génie de son frère. L'échec corse n'explique pas à lui seul le ralliement de Napoléon à la Révolution. Le jeune officier a été fasciné — influence de la mode ou sentiment sincère? — par les philosophes du XVIIIe siècle. Il ne paraît pas intéressé par Montesquieu ; il a lu comme tout le monde Voltaire, mais sa préférence va sans conteste à Rousseau, Raynal et Mably, ceux qui sont allés le plus loin dans la critique de la société. Lui-même n'hésite pas, dès 1788, à contester, dans une ébauche de dissertation sur l'autorité royale, le principe monarchique : « Il n'y a que fort peu de rois qui n'eussent pas mérité d'être détrônés. » Ce que pensaient peut-être ses maîtres mais qu'ils n'avaient osé écrire. LE DISCOURS DE LYON C'est durant son séjour à Valence, en 1791, que Bonaparte participe au concours ouvert par l'Académie de Lyon sur la question de déterminer les vérités et les sentiments qu'il importe le plus d'inculquer aux hommes pour leur bonheur. On y trouve une violente dénonciation de l'injustice sociale que n'aurait pas désavouée, s'il l'avait connue quelques années plus tard, Gracchus Babeuf. « L'homme en naissant, affirme Bonaparte, porte avec lui des droits sur la portion des fruits de la terre nécessaires à son existence. » L'inégalité entre les hommes doit être abolie ; elle ne pourra l'être tant que la religion et la loi se feront les alliées de ceux qui profitent de cette inégalité. Une page mérite d'être citée en entier. Après l'étourderie de l'enfance vient le réveil des passions; l'homme choisit parmi les compagnes de ses jeux celle qui doit l'être de sa destinée. Son bras vigoureux, de concert avec ses besoins, demande du travail; il jette un regard autour de lui, il voit la terre, partagée en peu de mains, servir d'aliment au luxe et à la superfluité ; il se demande quels sont donc les titres de ces gens-là? Pourquoi le fainéant a-t-il tout, l'homme qui travaille presque rien? Pourquoi enfin, à moi qui ai une femme, un père et une mère décrépits à nourrir, ne m'ont-ils rien laissé ? Il court chez le ministre dépositaire de sa confiance, lui expose ses doutes : « Homme, lui répond le prêtre, ne réfléchis jamais sur l'existence de la société. [...] Dieu conduit tout, abandonne-toi à sa providence. Cette vie n'est qu'un voyage. Les choses y sont faites par une justice dont nous ne devons pas chercher à approfondir les décrets. Crois, obéis, ne raisonne jamais et travaille : voilà tes devoirs. » Une âme fière, un cœur sensible, une raison naturelle ne peut être satisfaite de cette réponse. Il porte ailleurs ses doutes et ses inquiétudes. Il arrive chez le plus savant du pays : c'est un notaire. « Homme savant, lui dit-il, on s'est partagé les biens de la contrée et l'on ne m'a rien donné. » L'homme savant rit de sa simplicité, le conduit dans son étude, et là, d'acte en acte, de contrat en contrat, de testament en testament, il lui prouve la légitimité des partages dont il se plaint. « Quoi ! Ce sont là les titres de ces messieurs, s'écrie-t-il indigné. Les miens sont plus sacrés, plus incontestables, plus universels. Ils se recueillent avec ma transpiration, circulent avec mon sang, sont écrits sur mes nerfs, dans mon cœur. C'est la nécessité de mon existence et surtout de mon bonheur ! » En achevant ces paroles, il saisit ces paperasses qu'il jette aux flammes. Qui aurait deviné, dans l'auteur de ces pages, le futur inspirateur du Code civil ? L'ouvrage s'ouvre par une citation de Raynal placée en épigraphe : « II y aura des mœurs lorsque les gouvernements seront libres », et contient un éloge de Rousseau : « Ô Rousseau, pourquoi faut-il que tu n'aies vécu que soixante ans! Pour l'intérêt de la vertu tu eusses dû être immortel ! » Raynal, Rousseau, voilà les maîtres à penser de Bonaparte en 1791. N'exagérons pas toutefois l'enthousiasme de l'auteur. Les procédés un peu appuyés (Napoléon avait réuni un certain nombre de mots rares et savants sur un cahier en vue de les utiliser dans sa dissertation) et les idées révolutionnaires quelque peu convenues font douter de la sincérité du mémoire. Il s'agissait avant tout de flatter l'académie de Lyon. Nouvel échec d'ailleurs : le manuscrit fut déclaré au-dessous de médiocre. Croyant plaire à l'Empereur, Talleyrand l'exhumera un jour et le présentera à Napoléon. Celui-ci le jettera au feu. Les idées contenues dans le Discours sur le bonheur étaient dépassées. « LE SOUPER DE BEAUCAIRE » Au demeurant les problèmes matériels ont été plus déterminants que les raisons idéologiques dans le ralliement de Napoléon à la Révolution. Pour nourrir sa famille fixée à Marseille, il doit reprendre du service. Il rejoint à Nice le 4e régiment d'artillerie. La révolte fédéraliste secoue le Midi. Si la chronologie napoléonienne est incertaine entre le début de juillet et la fin d'août 1793 (Bonaparte a-t-il participé à la prise d'Avignon ? ), un élément paraît assuré : Le Souper de Beaucaire montre son adhésion complète aux thèses montagnardes. Datée du 29 juillet 1793, cette brochure rapporte une conversation à laquelle, dit-on, Napoléon aurait réellement pris part, ce qui semble peu probable. Il s'agit en réalité d'un pamphlet destiné à servir la propagande révolutionnaire, et ni le lieu ni la date du 29 juillet n'ont une signification précise touchant la vie de Napoléon. Salicetti, qui était alors en mission dans le Midi avec Robespierre le Jeune, Ricord, Escudier, Albitte et Gasparin, appuya de son autorité la décision de publier cette œuvre de circonstance qui met en scène un Nîmois, un Marseillais, un fabricant de Montpellier et un militaire. Le Marseillais expose le point de vue fédéraliste; il est vivement combattu par le militaire. L'on vous a dit que vous traverseriez la France, que vous donneriez le ton à la République et vos premiers pas ont été des échecs ; l'on vous a dit que le Midi était levé et vous vous êtes trouvés seuls ; l'on vous a dit que quatre mille Lyonnais étaient en marche pour vous secourir et les Lyonnais négociaient leur accommodement. En fait, poursuit l'officier, Marseille joue dans l'insurrection son avenir. Et d'utiliser un curieux argument : Laissez les pays pauvres se battre jusqu'à la dernière extrémité. L'habitant du Vivarais, des Cévennes, de la Corse, s'expose sans crainte à l'issue d'un combat : s'il gagne, il a rempli son but ; s'il perd, il se trouve comme auparavant, dans le cas de faire la paix et dans la même position. Mais vous ! Perdez une bataille et le fruit de mille ans de fatigues, de peines, d'économies, de bonheur, devient la proie du soldat. Avec beaucoup d'habileté, Bonaparte distingue le fédéralisme de la cause royale pour souligner que les divergences entre Girondins et Montagnards sont faibles et que le véritable péril est ailleurs. La Vendée veut un roi, la Vendée veut une contre-révolution déclarée, déclare le Marseillais. La guerre de la Vendée est celle du fanatisme, du despotisme, la nôtre au contraire (entendons l'insurrection fédéraliste) est celle des vrais républicains amis des lois, de l'ordre, ennemis de l'anarchie et des scélérats. N'avons-nous pas le drapeau tricolore? C'est aussi le cas de Paoli ; il faut donc être prudent, reprend l'officier qui dresse un véritable réquisitoire contre l'ancienne idole. Paoli aussi arbora (le drapeau tricolore) en Corse pour avoir le temps de tromper le peuple, d'écraser les vrais amis de la liberté, pour pouvoir entraîner ses compatriotes dans ses projets ambitieux et criminels ; il arbora le drapeau tricolore et il fit tirer contre les bâtiments de la République et il fit chasser nos troupes des forteresses, et il désarma celles qui y étaient... et il ravagea et confisqua les biens des familles les plus aisées parce qu'elles étaient attachées à l'unité de la République, et il déclara ennemis de la patrie tous ceux qui resteraient dans nos armées. Il avait précédemment fait échouer l'expédition de Sardaigne. Et cependant il avait l'impudence de se dire ami de la France et bon républicain. Que les troupes fédéralistes prennent garde de faire le jeu de l'ennemi commun : le royaliste, l'Espagnol, l'Autrichien. Qu'elles se méfient aussi des talents militaires de leurs chefs. Déjà perce la stratégie napoléonienne : Que fera votre armée si elle se concentre à Aix? Elle est perdue ; c'est un système dans l'art militaire que celui qui reste dans ses retranchements est battu ; l'expérience et la théorie sont d'accord sur ce point. Après avoir pris une tournure un peu vive à propos d'une éventuelle intervention espagnole, la discussion s'achève sur la promesse d'une négociation et d'une réconciliation générale. Un thème que Bonaparte reprendra après Brumaire. Car tout Napoléon est dans Le Souper de Beaucaire, et ce n'est pas sans raison que Panckoucke rééditera la brochure en 1821 et que Bourrienne la publiera également en annexe à ses Mémoires. Napoléon y découvre l'importance de la propagande, un domaine où il se révèle dès 1793 un maître : style aisé, débat plein de vie et de naturel ; en dépit d'inexactitudes vénielles, l'ouvrage montre que son auteur était fort bien informé sur la situation politique et militaire de la France. Bien sûr, Le Souper n'eut à l'époque aucun retentissement. Il surclasse pourtant aisément des brochures diffusées par le camp adverse ou les jacobins. TOULON La notoriété, c'est au siège de Toulon que Bonaparte la conquiert. Salicetti lui offre en septembre le commandement de l'artillerie de l'armée de Carteaux où il remplace Dammartin blessé à Ollioules. Arrivé devant Toulon, Bonaparte réunit son artillerie : deux canons de 24, deux de 16, deux mortiers. C'est peu. Les munitions font défaut, mais l'efficacité du tir supplée les défaillances en personnel et en matériel. Le général Doppet qui remplace Carteaux écrira dans ses Mémoires : Ce jeune officier joignait à beaucoup de talents une intrépidité rare et la plus infatigable activité. Dans toutes les visites de postes que j'ai faites à cette armée, je l'ai toujours trouvé au sien ; s'il avait besoin d'un moment de repos il le prenait sur la terre et enveloppé d'un manteau; il ne quittait jamais ses batteries. Il se lie aussi avec de jeunes officiers dont il fera la carrière : Duroc, Marmont, Victor, Suchet, Leclerc, ou Desaix. Lors de la construction d'une des premières batteries, devait confier l'Empereur à Las Cases, je demandai sur le terrain un sergent ou un caporal qui sût écrire. Quelqu'un sortit des rangs et écrivit sous la dictée, sur l'épaulement même. La lettre à peine finie, un boulet la couvre de terre. « Bien, dit l'écrivain, je n'aurai pas besoin de sable. » Cette plaisanterie et le calme avec lequel elle fut dite, fixa mon attention et fit la fortune du sergent; c'était Junot. Les représentants en mission proposent le capitaine Bonaparte pour le grade de chef de bataillon. Face à l'impéritie du commandement militaire, il présente un plan d'attaque. Il y révèle la sûreté de son jugement : il a compris en effet que l'occupation de la pointe de l'Éguillette pourrait rendre la rade intenable pour les Anglais. Ce qu'il faut c'est s'emparer du fort Mulgrave, dit Petit Gibraltar, qui défend la pointe. Plan adopté par Dugommier, le 25 novembre. Le 11 décembre 1793, l'offensive est décidée. Cinq jours plus tard, lors du bombardement préliminaire, le vent d'un boulet jette Bonaparte par terre. Il a frôlé la mort. L'attaque est lancée; le 17 à une heure du matin, le fort Mulgrave tombe. Bonaparte reçoit, lors de l'assaut, un coup d'esponton dans la cuisse. Le 18, les Anglais évacuent Toulon, cependant que, le 22, Bonaparte est nommé, par les représentants en mission, général de brigade. La nomination sera confirmée le 6 février 1794. La protection de Robespierre le Jeune lui vaut le commandement de l'artillerie. Salicetti l'envoie à Nice préparer une expédition contre la Corse. Bonaparte multiplie les plans d'attaque contre l'Italie. Un projet consistant à tourner les Alpes tenues par les forces du roi de Sardaigne et à s'emparer d'Oneglia est mis au point. Oneglia tombe le 9 avril 1794. Un succès qui confirme les vues du général Bonaparte. Mais en dépit de l'appui de Robespierre le Jeune, le comité de Salut public semble rester froid. Carnot aurait préconisé l'offensive à outrance... à la frontière espagnole. Bonaparte envoie un mémoire intitulé Notes sur la position de nos armées de Piémont et d'Espagne, pour souligner les avantages d'une attaque contre le Piémont. Il affirme qu'une guerre en Espagne serait longue et coûteuse, et exigerait des forces considérables en raison de l'esprit national qui anime les Espagnols. Considération qu'il oubliera en 1808. De surcroît, l'ennemi à abattre étant l'Autriche, il faut que la guerre « porte des coups directs ou indirects à cette puissance ». Or l'empereur ne serait nullement touché par la guerre d'Espagne. En revanche, si les armées qui sont sur la frontière du Piémont embrassaient le système offensif, elles obligeraient la maison d'Autriche à garder ses États d'Italie, et dès lors ce système serait dans l'esprit général de notre guerre... Si nous obtenons de grands succès, nous pourrons dans les campagnes prochaines attaquer l'Allemagne par la Lombardie, le Tessin et le comté de Tyrol, dans le temps que nos armées du Rhin attaqueraient le cœur. C'est en Italie, point vulnérable du dispositif ennemi, que l'offensive doit être concentrée. Une offensive générale, sur toutes les frontières, telle qu'elle est préconisée au comité de Salut public, n'aboutirait à aucun résultat. La République ne peut soutenir l'offensive avec ses quatorze armées ; elle n'aurait pas assez d'officiers, pas assez d'artillerie et de cavalerie. Attaquer partout serait du reste une faute militaire : il ne faut point disséminer ses attaques mais les concentrer. Il en est des systèmes de guerre comme des sièges des places : réunir ses feux contre un seul point; la brèche faite, l'équilibre est rompu, tout le reste devient inutile et la place est prise. Il va de soi que l'Italie ne doit pas perdre de vue l'objectif final : l'Autriche. Réaliste, Bonaparte se souvient des désastres anciens. « Frapper l'Allemagne, jamais l'Espagne ni l'Italie. Jamais on ne doit prendre le change en s'enfonçant dans l'Italie (entendons Rome et Naples), tant que l'Allemagne offrira un front redoutable et ne sera pas affaiblie. » Carnot refusait tout affaiblissement à la frontière espagnole au profit de l'offensive en Italie. Il se heurtait à Robespierre le Jeune monté à Paris défendre les idées de son protégé. Faut-il aller jusqu'à écrire, avec le capitaine Colin, que « l'ingérence des Robespierre dans les questions militaires leur aliéna irrévocablement l'organisateur de la victoire et décida de leur perte »? Pressentant un coup de force, Robespierre le Jeune a-t-il offert à Bonaparte de venir à Paris remplacer Hanriot? On imagine alors le cours différent pris par la Révolution. Reste que Bonaparte demeure aux yeux de la Convention l'« homme des Robespierre », « leur faiseur de plans » selon la formule d'un représentant en mission. Comment ses biographes ont-ils oublié qu'en juillet 1794, Bonaparte est devenu un général en vue, un patriote sûr, qu'il a donné des gages à la Révolution? On ne peut exclure qu'il ait éprouvé pour l'Incorruptible une réelle sympathie. Les deux hommes ne se sont pas connus mais il y a des affinités entre eux : même jeunesse difficile ; même caractère renfermé; même orgueil ; même admiration pour Rousseau. N'ont-ils pas rêvé l'un et l'autre d'un État « où ne subsiste nul privilège, où l'égalité serait complète, où le paupérisme serait inconnu, où les mœurs seraient pures, où les lois, expression de la volonté de tous, seraient obéies et respectées par tous »? En réalité le jeune officier ne s'est jamais prononcé ouvertement en faveur de l'Incorruptible. Prudence ? Indifférence à la politique intérieure? Curieuse est la lettre qu'il aurait écrite le 20 thermidor à Tilly et que reproduit Coston : « J'ai été un peu affecté de la catastrophe de Robespierre le Jeune que j'aimais et que je croyais pur; mais fût-il mon frère, je l'eusse moi-même poignardé s'il aspirait à la tyrannie. » L'authenticité de la lettre laisse quelque doute, mais ce Bonaparte pur et dur, à la Saint-Just, serait-on tenté d'écrire, ne paraît pas invraisemblable. LA DISGRCE La chute de Robespierre laisse Camot libre de diriger les opérations à sa guise. Ordre est donné d'interrompre l'offensive à la frontière italienne. C'est l'échec des plans élaborés par Bonaparte. Mais il y a plus grave. Ricord, un des représentants en mission, avait envoyé, le 13 juillet, Bonaparte à Gênes pour répondre à une manœuvre d'intimidation des Autrichiens, au début du mois. Salicetti crut, ou feignit de croire, à un plan secret établi par Robespierre et Bonaparte en liaison avec l'ennemi. Le 9 août 1794, le général était mis en état d'arrestation. Salicetti écrivait à Arrighi, dès le 6 août : « Il me serait impossible de sauver Bonaparte, sans trahir la République et sans me perdre moi-même. » Toutefois il semble que Bonaparte n'ait pas été incarcéré au Fort Carré d'Antibes, mais simplement mis « aux arrêts de rigueur chez le négociant Laurenti qui était alors son hôte. Le général parvint à se justifier et fut « remis en liberté le 20 août. En réalité les représentants en mission avaient besoin de Bonaparte face à la contre-attaque piémontaise. Dumerbion, qui avait reçu le commandement en chef de l'armée des Alpes et d'Italie, sollicita ses conseils. Adoptant le plan d'attaque sur Cairo que lui proposait Napoléon, il parvint à assurer à l'armée d'Italie une base d'opération excellente pour une future invasion du Piémont. « C'est au talent du général Bonaparte que je dois les savantes combinaisons qui ont assuré notre victoire », reconnaissait Dumerbion. Il se tenait prêt pour une nouvelle offensive visant, sur le conseil de Bonaparte, à séparer les Sardes des Autrichiens. Carnot fit rejeter le projet. Restait un espoir : l'expédition de Corse toujours en préparation. Elle occupait ses pensées, hélas ! Bonaparte n'en fit pas partie. Une consolation parut s'offrir à lui. C'est à Marseille qu'il connut, par l'intermédiaire de son frère Joseph, Désirée Clary qui appartenait à une riche famille dont la fortune était fondée sur la savonnerie et le commerce des tissus avec le Levant. Cependant que Joseph épousait l'aînée de la maison, Julie, Napoléon obtenait le consentement de la cadette, Désirée. Mais le destin s'acharnait. Bonaparte apprit qu'il était rayé des cadres de l'artillerie et affecté au commandement d'une brigade d'infanterie en Vendée. Sa décision est prise. Il se rendra à Paris pour s'expliquer et demander un commandement en Provence. Aubry, un ancien capitaine d'artillerie, est devenu l'homme fort du comité de Salut public pour les affaires militaires. C'est à lui qu'il faut s'adresser, mais Aubry reçoit mal les demandes de Bonaparte qu'il soupçonne de jacobinisme. Rallié à l'idée d'une restauration monarchique, il sera « fructidorisé » sous le Directoire et mourra en exil. Pour ne pas se rendre en Vendée, Napoléon se fait mettre en congé. Il est d'ailleurs probablement malade. Son moral est atteint par le refroidissement de ses relations avec Désirée Clary et une incontestable gêne financière. Image vivante du désespoir, symbole du désenchantement, Bonaparte promène dans les rues de Paris une curieuse silhouette. La future duchesse d'Abrantès, qui le connut alors, nous en a laissé un portrait pittoresque : A cette époque, Napoléon était si laid, il se soignait si peu que ses cheveux mal peignés, mal poudrés, lui donnaient un aspect désagréable. Je le vois encore entrant dans la cour de l'hotel de la Tranquillité, la traversant d'un pas gauche et incertain, ayant un mauvais chapeau rond, enfoncé sur les yeux et laissant échapper ses deux oreilles de chien qui retombaient sur la redingote, les mains longues, maigres et noires, sans gants parce que, disait-il, c'était une dépense inutile, portant des bottes mal faites, mal cirées, et puis tout cet ensemble maladif résultant de sa maigreur, de son teint jaune. C'est probablement à cette époque qu'il écrivit une ébauche de roman, Clisson et Eugénie. Clisson, c'est Bonaparte. Clisson était né pour la guerre. Encore enfant il connaissait la vie des grands capitaines. Il méditait les principes de l'art militaire dans le temps que ceux de son âge étaient à l'école et cherchaient des filles. Dès l'âge de porter les armes, il marqua chaque pas par des actions d'éclat. Ses victoires se succédaient et son nom était connu du peuple comme celui d'un de ses plus chers défenseurs. Eugénie, c'est Désirée. Elle avait seize ans. Elle était douce, bonne et vive, de jolis yeux, une taille ordinaire. Sans être laide, elle n'était pas une beauté, mais la bonté, la douceur, une tendresse vive lui appartenaient essentiellement. Blessé au combat, Clisson envoie Berville, son aide de camp, rassurer Eugénie. Les deux jeunes gens s'éprennent l'un de l'autre. Clisson comprend son infortune et décide de mourir au cours d'une bataille qu'il doit livrer : Adieu, toi que j'avais choisie pour l'arbitre de ma vie, adieu, la compagne de mes plus beaux jours ! J'ai goûté dans tes bras le bonheur suprême. J'avais épuisé la vie et ses biens. Que me restait-il pour l'âge futur que la satiété et l'ennui ? J'ai, à vingt-six ans, épuisé les plaisirs éphémères de la réputation, mais dans ton amour, j'ai goûté le sentiment suave de la vie de l'homme. Ce souvenir déchire mon cœur. Puisses-tu vivre heureuse, ne pensant plus au malheureux Clisson ! Embrasse mes fils ! Qu'ils n'aient pas l'âme ardente de leur père; ils seraient comme lui victimes des hommes, de la gloire et de l'amour. Cet adieu de Clisson qui va expirer, « percé de mille coups », c'est aussi celui de Bonaparte à la vie. La tentation suicidaire réapparaît. Malgré son génie, le sort lui a été funeste. Il a tout manqué. NOTES SOURCES : La grande publication de la correspondance de Napoléon, entreprise sous le Second Empire, commence au siège de Toulon et devient désormais une source essentielle. En dehors du tome I, le tome XXIX contient une relation de Toulon (p. 1 à 26) dictée à Sainte-Hélène. La compléter par Œuvres littéraires (éd. Tulard), t. II (1968). En dehors du Mémorial où Napoléon évoque Toulon, on pourra consulter les Mémoires de Doppet, de Marmont, de Victor. Le témoignage de la duchesse d'Abrantès est ici plus sûr que dans les autres parties de ses inépuisables Mémoires. Des documents concernant Bonaparte figurent dans H. Wallon, Les Représentants en mission, t. III (1889). OUVRAGES : Deux livres fondamentaux : Chuquet, La Jeunesse de Napoléon (t. III, Toulon) et J. Colin, L'Éducation militaire de Napoléon (1901). Ici encore l'Itinéraire de Garros est un guide précieux. Pour le contexte révolutionnaire : P. Gaxotte et J. Tulard, La Révolution française (1975), avec une copieuse bibliographie. Suggestifs mais discutés, le tome Il de la Révolution française par Furet et Richet (1966) et le Précis d'A. Soboul (1962). DÉBATS OUVERTS Les difficultés matérielles rencontrées par la famille Bonaparte ont suscité des témoignages contradictoires; on lira les mises au point de Gaffarel, Les Bonaparte à Marseille, 1793-1797 (Marseille, 1905), et P. Masson, Marseille et Napoléon (Paris, 1920). O. Lemoine, Le Capitaine Bonaparte à Avignon (1899), a dissipé les légendes entourant la participation, affirmée par les érudits locaux, de Napoléon à l'affaire d'Avignon. Une nouvelle mise au point a été faite par Jacques Fradin, « Le capitaine Bonaparte à Avignon », Revue de l'Institut Napoléon, 1985, n° 144, pp. 11-36. Le Mémorial donne un récit assez embelli du siège de Toulon dont s'est emparée l'imagerie d'Épinal. Utiles précisions dans Du Teil, L'École d'artillerie d'Auxonne et le siège de Toulon (1897) ; Cottin, Toulon et les Anglais en 1793 (1898) ; Nel, Bonaparte au siège de Toulon ; Agulhon, Vovelle, E. Constant, Histoire de Toulon (1980). Médiocre est Recouly, L'Aurore de Napoléon, Bonaparte à Toulon (1921). C'est à Toulon que Bonaparte attrapa la gale (Helmerich, Le Secret de Napoléon, p. 138) dans des conditions différentes de celles - héroïques - relatées par le Mémorial. Napoléon fut-il un jacobin convaincu ? Aulard le pense : « Bonaparte républicain », Études et leçons sur la Révolution, 9e série, pp. 71-92. Le problème des rapports avec Robespierre a été repris par J. Tulard, « Robespierre vu par Napoléon », Actes du colloque Robespierre (1965). Bonaparte pensait que l'Incorruptible se préparait à mettre fin à la Révolution après avoir épuré la Convention des représentants les plus corrompus. L'opposition de Carnot aux projets de Napoléon en Italie est incontestable. Elle ne doit pas être exagérée : cf. Reinhard ; Le Grand Carnot, t. II. La date de l'arrestation et le lieu de l'incarcération de Bonaparte ont suscité un nombre imposaht d'études souvent contradictoires. Quel fut notamment le rôle exact de Salicetti ? Mauguin a tenté de l'élucider : « Salicetti et l'arrestation de Bonaparte à Nice », Revue des Études napoléoniennes (nov: déc. 1934). Augustin-Thierry («Un amour inconnu de Bonaparte », La Revue des Deux Mondes, 15 nov. 1940) a attiré l'attention sur l'idylle de Napoléon et d'Émilie Laurenti en mars 1794. Le père d'Émilie aurait évité à Bonaparte le voyage à Paris après son arrestation, obtenant, grâce à une caution, que l'officier gardât les arrêts dans la maison de ses hôtes. Sur les opérations d'Italie, tous les plans de Napoléon ont été conservés ; ils sont analysés par Camon, La Première Manœuvre de Napoléon (1937) et de façon générale par Krebs et H. Moris, Campagnes dans les Alpes pendant la Révolution 1792-1793 (1891). La liaison avec Désirée Clary est évoquée par Hochschild, Désirée, reine de Suède et de Norvège (1888), que complète Girod de l'Ain, Désirée Clary d'après sa correspondance inédite avec Bonaparte, Bernadotte et sa famille (1959). On peut lire encore F. Verang, La Famille Clary et Oscar II (Marseille, 1893). Clisson et Eugénie a suscité bien des polémiques, quant à sa date, l'authenticité paraissant peu douteuse. F. Masson (Napoléon dans sa jeunesse, p. 111) a contesté que sa passion malheureuse pour Désirée ait inspiré à Bonaparte Clisson et Eugénie qu'il situe plutôt vers 1789, en raison d'analogies avec la Nouvelle Corse. Il ne veut y voir que l'influence de Rousseau. Il est difficile d'admettre le point de vue de Masson : Clisson a vingt-six ans comme Bonaparte en 1795; Eugénie a seize ans, l'âge de Désirée quand Bonaparte la rencontra pour la première fois; elle s'appelait Désirée-Eugénie. Askenazy, qui publia le premier Clisson et Eugénie (Manuscrits de Napoléon en Pologne, 1793-1795, Varsovie 1929), constatait une lacune au milieu du roman. Ces feuillets appartenaient à la collection d'André de Coppet (pour leur histoire, cf. J. Gallini, a L'étrange odyssée de Clisson et Eugénie », Revue de l'Institut Napoléon, juillet 1955, pp. 82-92) et ont été revendus à Londres. On trouvera le texte complet dans Napoléon, Œuvres littéraires (éd. Tulard), t. II, pp. 440-453. Pour l'évolution de la signature de Napoléon : Ciana, Napoléon, autographes, manuscrits, signatures (1939). CHAPITRE IV L'homme de Barras Paris redevint très gai. Il y eut famine, il est vrai, mais le Perron rayonnait, le Palais-Royal était plein, les spectacles combles. Puis ouvrirent ces bals des victimes, où la luxure impudente roulait dans l'orgie son faux deuil. Peu de jours après Thermidor, un homme qui vit encore et qui avait alors dix ans fut mené par ses parents au théâtre, et à la sortie admira la longue file de voitures brillantes qui, pour la première fois, frappaient ses yeux. Des gens en veste, chapeau bas, disaient aux spectateurs sortants : « Faut-il une voiture, mon maître ? » L'enfant ne comprit pas trop ces termes nouveaux. Il se les fit expliquer et on lui dit seulement qu'il y avait eu un grand changement par la mort de Robespierre. Ainsi Michelet termine-t-il son Histoire de la Révolution. Très vite, en effet, le rideau s'est déchiré sur les intentions des vainqueurs de Robespierre, de ceux que l'on appelle désormais « les thermidoriens », amalgame de girondins rescapés, de dantonistes prudents, de montagnards repentis, dominé par la « majorité silencieuse a de la Plaine. Le programme de ces thermidoriens est contenu dans une formule lancée par Boissy d'Anglas : « un pays gouverné par les propriétaires est dans l'ordre social, celui où les non-propriétaires gouvernent est dans l'état de nature ». C'est considérer que la Révolution doit désormais s'arrêter sans que les revendications des sans-culottes aient été satisfaites. Les faubourgs de la capitale en font l'amère constatation. La pénurie provoquée par la mauvaise récolte et la suppression des réquisitions, la fantastique montée des prix et le développement du chômage jettent une nouvelle fois sur le pavé les « patriotes ». Ils prennent d'assaut la Convention le 12 germinal an III (1er avril 1795), mais sont dispersés par la Garde nationale, faute de chefs. Nouveau soulèvement, le 1er prairial (20 mai). « Du pain et la constitution de 1793! », tel est le mot d'ordre. Le manque de meneurs se fait à nouveau sentir. Les troupes restées fidèles à la Convention et les bataillons de la Garde nationale venus des sections de l'Ouest dispersent facilement les manifestants. Émeutes de la faim plutôt que véritables insurrections politiques, telles apparaissent aujourd'hui ces dernières « journées » révolutionnaires. La répression n'en est pas moins impitoyable. Le personnel sectionnaire est décimé, les sans-culottes sont désarmés ; Paris, écrasé, ne bougera plus pendant trente ans. « C'est sur le maintien des propriétés que reposent la culture de la terre, toutes les productions, tout moyen de travail et tout l'ordre social », réaffirment les thermidoriens. Défense de la propriété, certes, encore faut-il préciser, de la propriété telle qu'elle est répartie en 1795: Les thermidoriens constituent le parti des profiteurs de la Révolution, de ceux qui ont acheté les propriétés de l'Église ou des nobles émigrés, spéculé sur les fournitures aux armées ou sur la baisse des assignats, accaparé les grands emplois publics. Postulat essentiel du programme : ne pas remettre en cause la vente des biens nationaux. Programme qui vaut aux thermidoriens l'appui de la paysannerie aisée, grande acheteuse de ces biens. C'est en revanche repousser toute idée de restauration de l'Ancien Régime. La fraction thermidorienne compte trop de régicides parmi ses membres, pour envisager le retour de Louis XVIII, frère du roi martyr, même porté au pouvoir par ses partisans les plus modérés, bien implantés dans l'Ouest, le Centre et le Midi. Après avoir voté la constitution de 1795 qui confie le pouvoir exécutif à cinq directeurs et le législatif à deux conseils, les Anciens et les Cinq-Cents, la Convention doit se séparer. De nouvelles élections sont prévues. Or les intentions conservatrices des thermidoriens demeurent encore mal connues des notables provinciaux qui les associent aux excès de la Terreur. Ne risque-t-on pas d'assister à un raz de marée royaliste qui remettrait en cause sinon le pouvoir collectif de la bourgeoisie, du moins celui des vainqueurs de Robespierre ? Les décrets des 22 et 30 août 1795, qui stipulaient que les nouveaux élus devraient être choisis pour deux tiers parmi les conventionnels, visaient surtout à écarter des assemblées « Monarchiens »et« Feuillants »partisans d'une royauté constitutionnelle. Ils devaient susciter une nouvelle émeute parisienne. LE GÉNÉRAL VENDÉMIAIRE On avait connu le Paris sans-culotte insurgé, on découvre pour la première fois, en 1795, un autre visage de la capitale : le soulèvement des sections royalistes. Le décret des deux tiers avait été fort mal accueilli par l'opinion, on y voyait surtout la volonté des conventionnels de se maintenir au pouvoir : à Paris, l'ensemble des sections, sauf une, l'avait rejeté. L'occasion était bonne pour les royalistes modérés de tenter de s'emparer par la force d'un pouvoir qu'ils ne pouvaient plus espérer conquérir par la voie légale de l'élection. A l'annonce de troubles survenus à Dreux, sept sections parisiennes, à l'instigation de celle de Le Peletier, siège de la Bourse, se déclarèrent en état d'insurrection, le 11 vendémiaire (3 octobre 1795). Le mouvement entraîna à sa suite tous les mécontents. Le commandant de la force armée, Menou, un ancien noble, dissimulait mal sa sympathie pour les insurgés. La Convention confia la responsabilité des opérations à une commission de cinq membres, dont Barras, le véritable vainqueur du 9 Thermidor. Ce n'était plus ici des patriotes égarés que nous avions à combattre, lit-on dans les mémoires publiés sous son nom, mais un très grand nombre de bataillons de la Garde nationale. Ces honnêtes bourgeois, qui se disaient et peut-être se croyaient des républicains, ne s'apercevaient point qu'ils avaient placé à leur tête de lâches conspirateurs à privilèges. Il n'y avait rien de mieux à faire, pour combattre de sérieux adversaires, que de leur opposer leurs ennemis naturels, les patriotes incarcérés par suite des réactions de Thermidor. Barras pensa tout naturellement à les encadrer par des généraux jacobins qui étaient sans emploi à Paris, depuis Thermidor. Or précisément, Bonaparte, qu'il avait connu au siège de Toulon, ne cessait de le harceler pour obtenir un commandement. On le fit chercher. Ce n'est que par pure perfidie que le rédacteur des Mémoires de Barras affirme que Bonaparte avait déjà pris des contacts sans succès avec des membres de la section Le Peletier. Mais de son côté, dans le récit qu'il a donné de la journée du 13 vendémiaire, Bonaparte a beaucoup déformé les faits. D'après le Mémorial il aurait été sollicité par des conventionnels pour remplacer Menou. Il aurait longtemps hésité : Était-il sage de se déclarer, de parler au nom de la France? La victoire même aurait quelque chose d'odieux, tandis que la défaite vouerait pour jamais à l'exécration des races futures. Mais d'un autre côté si la Convention succombe, que deviennent les grandes vérités de notre Révolution ? La défaite de la Convention ceindrait le front de l'étranger et scellerait la honte et l'esclavage de la patrie. Aussi se décide-t-il. Il accepte le commandement, mais pose ses conditions. Donnons-lui la parole : Il peignit vivement l'impossibilité de pouvoir diriger une opération aussi importante, avec trois représentants qui, dans le fait, exerçaient tous les pouvoirs et gênaient toutes les opérations du général ; il ajouta qu'il avait été témoin de l'événement de la rue de Vivienne, que les commissaires avaient été les plus coupables, et s'étaient pourtant trouvés, au sein de l'Assemblée, des accusateurs triomphants. Frappé de ces raisons, mais dans l'impossibilité de destituer les commissaires sans une longue discussion de l'Assemblée, le Comité, pour tout concilier, car on n'avait pas de temps à perdre, détermina de prendre le général dans l'Assemblée même. Dans cette vue, il proposa Barras à la Convention comme général en chef et donna le commandement à Napoléon qui, par là, se trouvait débarrassé des trois commissaires, sans qu'ils eussent à se plaindre. Tout est faux dans ce récit. La Convention n'a pas désigné Bonaparte pour le commandement en chef. Ni le procès-verbal de l'Assemblée ni Le Moniteur ne mentionnent son nom. Un nom encore obscur, à l'inverse de celui de Barras qui avait déjà sauvé la Convention en Thermidor. Fut-il même commandant en second, le 13 vendémiaire ? Probablement a-t-il été appelé à reprendre du service avec d'autres officiers sans emploi. Les documents sont formels : « Les comités de Salut public et de Sûreté générale arrêtent que le général Bonaparte sera employé dans l'armée de l'Intérieur, sous les ordres du représentant du peuple Barras, général en chef de cette armée. » Celui-ci déforme à son tour la vérité lorsqu'il affirme : « De la journée Bonaparte ne bougea du Carrousel, mon quartier général, ne le quitta que pour accomplir une mission au Pont-Neuf, qui venait d'être abandonné par Carteaux. » Les dispositions qui furent prises semblent être l'œuvre de Napoléon. Les forces dont disposait la Convention étaient médiocres : cinq à six mille hommes, ni artillerie, ni munitions. C'est Bonaparte qui donna l'ordre à Murat, chef d'escadrons au 21e chasseurs, de s'emparer des pièces du camp des Sablons et de les ramener aux Tuileries. C'est encore lui qui prit les dispositions nécessaires pour assurer la défense de la Convention en barrant les avenues qui conduisaient aux Tuileries par de l'artillerie, empêchant ainsi les sections insurgées de concentrer, comme au 10 août, leurs forces sous les fenêtres du palais. Il n'avait pas assisté inutilement à la chute de la royauté en 1792. En revanche, il n'a pas balayé à coups de canon les royalistes établis sur les marches de Saint-Roch, une telle mitraillade était impossible, compte tenu de la topographie, et c'est Barras qui, se portant sur les principaux points du combat, galvanisa les troupes de la Convention. La victoire fut rendue facile par le manque de combativité des gardes nationaux, leur absence d'artillerie, et l'impéritie du commandant des insurgés, Danican. Pour la première fois depuis Toulon, Bonaparte se trouvait dans le camp des vainqueurs. Les officiers qui avaient sauvé la Convention furent présentés à l'Assemblée le 17 vendémiaire. Fréron rappela qu'ils avaient pour la plupart été destitués comme patriotes par Aubry. « N'oubliez pas, s'exclamait Fréron, que le général d'artillerie Bonaparte, nommé dans la nuit du 12 pour remplacer Menou et qui n'a eu que la matinée du 13 pour faire les dispositions savantes dont vous avez vu les heureux effets, avait été retiré de son arme pour le faire entrer dans l'infanterie. » Avec la complicité de Barras, Fréron qui aspire à la main de la belle Pauline, pousse son futur beau-frère le général Bonaparte. Celui-ci reçoit officiellement le titre de général en second de l'armée de l'Intérieur ; le 24 vendémiaire il devient général de division; confirmé dans son grade, il prend le commandement de l'armée de l'Intérieur après la démission de Barras le 3 brumaire an IV. A ce titre il est chargé du maintien de l'ordre dans la capitale, poste de confiance, même s'il perd de son importance depuis l'écrasement des oppositions de droite et de gauche. Il démantèle la Garde nationale, réorganise la légion de police destinée à la remplacer, en épurant les éléments royalistes précédemment nommés par Aubry. Mais il doit aussi tenir compte de la disette : nouvelle hausse du pain, pénurie du bois de chauffage, chômage encore aggravé par le prolongement de la crise. Pour prévenir l'exploitation du mécontentement aux portes des boulangeries ou sur les marchés, il frappe les jacobins en fermant le club du Panthéon où ils se réunissaient. Il fait manœuvrer ses troupes — il dispose d'un effectif voisin de quarante mille hommes, chiffre alors considérable — dans les rues de Paris pour dissuader les meneurs. Retenons une anecdote, peut-être apocryphe, reproduite dans le Mémorial. Napoléon eut à lutter surtout contre une grande disette qui donna lieu à plusieurs scènes populaires. Un jour entre autres que la distribution avait manqué et qu'il s'était formé des attroupements nombreux à la porte des boulangers, Napoléon passait avec une partie de son état-major, pour veiller à la tranquillité publique, un gros de la populace, des femmes surtout, l'entourent, le pressent, demandant du pain à grands cris; la foule s'augmente, les menaces s'accroissent, et la situation devient des plus critiques. Une femme monstrueusement grosse et grasse se fait particulièrement remarquer par ses gestes et ses paroles : « Tout ce tas d'épauletiers, crie-t-elle en apostrophant le groupe d'officiers, se moquent de nous; pourvu qu'ils mangent et qu'ils s'engraissent bien, il leur est fort égal que le pauvre peuple meure de faim. » Napoléon l'interpelle : « La bonne, regarde-moi bien, quel est le plus gras de nous deux ? » Or Napoléon était alors extrêmement maigre. « J'étais un vrai parchemin », disait-il. Un rire universel désarme la populace, et l'état-major continue sa route. De cette époque date sa liaison avec Joséphine Tascher de la Pagerie, veuve d'un général guillotiné et mère de deux enfants; il l'avait rencontrée avant Vendémiaire chez Barras. Oubliées Désirée et les quelques amourettes que lui prête à tort ou à raison la duchesse d'Abrantès. Joséphine, qui a trente-trois ans, paraît quelque peu fanée si l'on en croit ses contemporains. Elle était « plus que sur le retour », écrit Lucien. Avec une bouche « garnie de dents jaunes, cariées et puantes », d'après l'un, une « coupe de sein manquant de grâce et le pied plutôt grand », selon l'autre, Joséphine ne serait guère tentante si elle ne savait plaire. Elle a su avant tout charmer Barras qui en a fait l'une de ses maîtresses. Là réside peut-être la raison de la fascination qu'elle exerce sur Bonaparte : celui-ci compte sur elle pour obtenir de Barras, devenu tout-puissant après Vendémiaire, un grand commandement. Mais à l'intérêt s'allie le plaisir. Joséphine n'avait d'ailleurs nul besoin de déployer les talents que lui prête un pamphlet de l'époque, Zoloé, pour enflammer un novice comme Bonaparte. Je me réveille plein de toi, lui écrit-il. Ton portrait et le souvenir de l'enivrante soirée d'hier n'ont point laissé de repos à mes sens. Douce et incomparable Joséphine, quel effet bizarre faites-vous sur mon cœur ? Vous fâchez-vous ? Vous vois-je triste ? Êtes-vous inquiète ? Mon âme est brisée de douleur et il n'est point de repos pour votre ami. Mais en est-il donc davantage pour moi, lorsque, me livrant au sentiment profond qui me maîtrise, je puise sur vos lèvres, sur votre cœur, une flamme qui me brûle. Ah ! c'est cette nuit que je me suis bien aperçu que votre portrait n'est pas vous. Tu pars à midi. Je te verrai dans trois heures. En attendant, mio dolce amor, reçois un million de baisers, mais ne m'en donne pas, car ils brûlent mon sang. Évidemment Bonaparte n'est pas Laclos. La niaiserie affligeante de cette lettre — et des suivantes — plaiderait en faveur d'une passion sincère. La meilleure preuve de cette sincérité, ne faut-il pas la voir dans le mariage célébré le 9 mars 1796 entre Napoléon Bonaparte et Joséphine de Beauharnais ? Sans doute, par ce mariage, le général espérait-il s'allier plus étroitement à la faction qui gouvernait la France et dont Joséphine était devenue l'une des égéries. Mais il est peu vraisemblable que Barras lui ait imposé cette cérémonie en échange du commandement de l'armée d'Italie. Le sentiment a joué pour une fois, chez ce réaliste, un rôle non négligeable. Force est de reconnaître qu'une telle union étonna quelque peu des contemporains pourtant blasés. L'ARMÉE D'ITALIE La guerre continuait. Certes l'Espagne, la Hollande et la Prusse venaient de se retirer de la coalition destinée à écraser la Révolution française. Mais l'ennemi principal, l'Angleterre, restait inaccessible. Il fallait donc frapper son allié continental : l'Autriche. L'Italie n'offrait-elle pas le point le plus vulnérable ? C'était l'idée de Bonaparte, déjà exprimée au temps de Robespierre et qu'il développa devant le Directoire auquel il était amené à rendre compte quotidiennement de la situation de la capitale. En fait Carnot demeurait hostile à toute offensive de ce genre et il ne fallait guère compter sur le commandant en chef de l'armée d'Italie, Scherer, sceptique et désabusé, pour foncer sur le Piémont. N'écrivait-il pas à Masséna : J'ai besoin du rapport d'Aubernon (un commissaire ordonateur) pour taire la bouche à des faiseurs qui, de Paris, prétendent que nous pourrions beaucoup mieux faire que nous n'avons fait. Vous devinez de qui je veux parler, de Bonaparte, qui assiège le Directoire et le ministre de projets plus insensés les uns que les autres et qui a quelquefois l'air de se faire écouter. Masséna traitait Bonaparte d'intrigant et Augereau le qualifiait d'imbécile. Néanmoins, Scherer, lassé par les critiques dont était l'objet l'armée d'Italie, envoya sa démission le 4 février. Au reçu de la lettre, Bonaparte aurait été appelé par les directeurs et leur aurait exposé une nouvelle fois ses idées. D'après les Mémoires de La Révellière-Lépeaux, ces idées furent en partie acceptées et sur proposition de Carnot, Bonaparte reçut la succession de Scherer. Barras se serait contenté d'approuver cette décision. Le plan d'ensemble établi par Carnot consistait à lancer trois armées sur Vienne. Commandées par Jourdan, Moreau et Bonaparte, elles devaient marcher sur la capitale autrichienne, la première (quatre-vingt mille hommes) par la vallée du Main, la deuxième (quatre-vingt mille hommes également) par celle du Danube, routes classiques déjà utilisées au XVIIe siècle, la troisième enfin par la plaine du Pô et les vallées des Alpes autrichiennes. Initialement, l'armée d'Italie ne devait avoir qu'un rôle statique, assurer une diversion. Bonaparte obtint qu'elle participât à l'offensive. Le 26 mars, il est à Nice, le lendemain, il reçoit ses subordonnés Masséna, Sérurier, Laharpe, Augereau. Son autorité leur en impose, même si la légende a quelque peu embelli cette première rencontre. Le 28, Bonaparte écrit au Directoire qu'il a été très bien reçu. Mais il dénonce le dénuement des troupes qui lui sont confiées. Ne l'exagérons pas toutefois. Le commissaire du Directoire Salicetti, que l'on retrouve une nouvelle fois auprès de Bonaparte, était déjà au travail pour mobiliser toutes les ressources. Autre légende: la fameuse proclamation : « Soldats, vous êtes nus, mal nourris. » Elle date de Sainte-Hélène, mais on peut considérer qu'elle résume assez bien les harangues plus longues et plus décousues prononcées devant les demi-brigades passées à la hâte en revue avant l'offensive. On n'entrera pas ici dans le détail d'une campagne qui a fait l'admiration de tous les stratèges. Une armée autrichienne et une armée sarde fortes de soixante-dix mille hommes tenaient le versant intérieur des Alpes et de l'Apennin de Coni à Gênes, assurant la protection du Piémont. Bonaparte disposait de trente-six mille hommes. Son plan consistait à séparer les deux armées adverses. Passant par le col de Cadibone et la vallée de la Bormida, il se glissa entre elles, frappant sur sa droite les Autrichiens à Montenotte le 12 avril et à Dego, le 14 avril, écrasant sur sa gauche les Sardes à Millesimo, le 13 avril. Coupées de leurs alliés autrichiens, les troupes du roi de Sardaigne furent à nouveau battues à Mondovi, le 21 avril, et sollicitèrent un armistice à Cherasco, six jours plus tard. Le verrou piémontais était forcé. Les Sardes balayés, Bonaparte se retourna contre les Autrichiens. Ceux-ci l'attendaient sur la rive gauche du Pô, vers Pavie ; il surgit au sud, après avoir franchi le fleuve à Plaisance. Craignant d'être débordés, les Autrichiens se retirèrent sans combattre jusqu'à l'Ad-da, où Bonaparte vint les forcer dans le combat meurtrier du pont de Lodi, le 10 mai. Sans coup férir, la Lombardie se trouvait libérée de la domination autrichienne. Milan accueillit Bonaparte en libérateur. Le général plaça à la tête de sa municipalité des patriotes modérés, bourgeois et nobles libéraux, Milan devint un centre d'attraction pour tous les patriotes de la péninsule. Effrayés, les ducs de Parme et de Modène se hâtèrent de solliciter la paix que Bonaparte leur accorda contre de lourdes contributions de guerre dont une partie seulement parvint à Paris. Le 13 mai, Bonaparte avait reçu des directives de Carnot lui enjoignant de renoncer provisoirement à l'invasion du Tyrol, ordre que le général accepta sans difficultés, Moreau et Jourdan paraissant frappés d'immobilisme. Carnot lui annonçait aussi que Kellermann serait chargé d'organiser la défense du Piémont, ce que Bonaparte refusa au nom d'une indispensable unité de commandement en Italie. Le ton énergique de la lettre du vainqueur de Lodi, suivie de sa démission, surprit le Directoire qui céda. La rapidité de ses succès militaires avait étonné Bonaparte lui-même. Elle le confirmait dans l'idée de sa propre valeur; elle aiguisait son ambition. «Après Lodi, dira plus tard Napoléon, je me regardai non plus comme un simple général mais comme un homme appelé à influer sur le sort d'un peuple. Il me vint à l'idée que je pourrais bien devenir un acteur décisif sur notre scène politique. » Néanmoins il convenait encore d'être prudent, il obéit aux sollicitations du Directoire qui, influencé par La Révellière-Lépeaux, l'invitait « à faire chanceler la tiare au prétendu chef de l'Église universelle ». L'armée française occupa Bologne, Ferrare et Longo : le pape consentit finalement à traiter au terme de négociations où Bonaparte joue un rôle ambigu, formulant dans ses lettres au Directoire des accusations contre la « prêtraille », mais témoignant en sous-main, dans sa correspondance avec le cardinal Mattéi, d'une grande déférence envers le Saint-Père. Souci de ménager l'avenir — il a mesuré la force du sentiment religieux en Italie — plutôt que conviction réelle. Cependant en Allemagne la situation se renversait; l'archiduc Charles battait Jourdan le 24 août ; Marceau était tué à Altenkirchen ; Moreau opérait, dans des conditions douteuses, un repli qualifié de « stratégique ». Lorsque les Autrichiens, libérés de tout souci à l'Ouest, se retournèrent vers le Sud, la position de Bonaparte devint précaire. La partie se joua à Mantoue, place forte qui commandait les vallées du Mincio et de l'Adige, voies d'accès des armées autrichiennes vers l'Italie. La lutte dura six mois, du ler août 1796 au 2 février 1797. Une armée de soixante-dix mille hommes commandée par Würmser tenta de libérer la ville assiégée par Bonaparte. Elle fut défaite à Lonato et Castiglione, les 3 et 5 août 1796. En cinq jours Würmser perdit vingt mille prisonniers et cinquante canons. Un mois plus tard, Würmser lançait une nouvelle offensive par la vallée de l'Adige avec une deuxième armée forte de cinquante mille hommes. Bonaparte prit les devants, il en anéantit l'avant-garde à Roverdo, le 4 septembre, puis bouscula Würmser lui-même à Bassano, quatre jours plus tard. Les survivants se jetèrent dans Mantoue définitivement bloquée après un ultime combat par Würmser le 15 septembre. Durée de la campagne : douze jours. C'est à Alvinzi que revint en novembre le commandement d'une troisième armée, aux effectifs comparables à ceux de l'armée de Würmser. Cette fois Bonaparte, faute de renforts, parut en difficulté et évacua Vérone; il s'agissait en réalité d'une ruse. Par un audacieux mouvement tournant, il prit l'ennemi à revers dans les marais d'Arcole. Au terme d'une bataille de trois jours, Alvinzi dut se replier. Il tenta un dernier effort, en janvier 1797. Il disposait de soixante-quinze mille hommes qu'il commit l'erreur de diviser pour envelopper Bonaparte. Le principal choc eut lieu sur le plateau de Rivoli au débouché de l'Adige, le 14 janvier 1797. Bonaparte avait l'avantage de connaître le terrain et de disposer d'officiers de valeur, Joubert, Masséna, Berthier surtout, parfait chef d'état-major. Masséna enfonça l'ennemi à gauche, les charges de cavalerie des chasseurs de Lasalle redressèrent la situation au centre et à droite où Quasdanovitch avait eu la supériorité numérique. Bonaparte remporta finalement la victoire. Le 2 février, Mantoue capitulait. Maître de l'Italie du Nord, les mains libres en Italie centrale où le pape signait avec la France le traité de Tolentino, le 17 février, assuré de la prudente neutralité de Naples, Bonaparte se mit en marche en direction de Vienne. Désormais le rôle principal était réservé à l'armée d'Italie, alors que les armées d'Allemagne étaient cantonnées dans des manoeuvres de diversion. Vienne opposa à Bonaparte son meilleur général, l'archiduc Charles. En vain. Les troupes françaises forcèrent le passage de la Piave, du Tagliamento, du col de Tarvis et se trouvaient au Semmering, à cent kilomètres de Vienne, lorsqu'un armistice de cinq jours interrompit, le 7 avril, les opérations. Il était temps. « L'armée d'Italie est seule exposée aux efforts d'une des premières puissances de l'Europe », se plaignait Bonaparte. Hoche et Moreau bougèrent enfin ; les Autrichiens transformèrent l'armistice, renouvelé le 13 avril, en préliminaires de paix à Léoben, le 18. Ainsi, contrairement aux prévisions du Directoire, c'est Bonaparte qui avait porté le coup décisif à l'Autriche. Ses victoires furent obtenues grâce à deux types de combinaison stratégique qui surprirent l'adversaire : la manœuvre par débordement, qui lui permit de s'emparer du Milanais sans véritable combat, uniquement avec les jambes de ses soldats; la manœuvre en lignes intérieures, favorisant, derrière un rideau formé par une avant-garde déployée devant l'ennemi, convaincu d'avoir affaire à l'ensemble de l'armée, des opérations destinées à le surprendre sur l'un des points faibles de son dispositif. Tout reposait sur l'endurance des troupes. On peut citer le cas de la division Masséna: elle se battait, le 13 janvier 1797 à Vérone, parcourait la nuit suivante, par des routes neigeuses, trente-deux kilomètres, arrivait le 14 au matin sur le plateau de Rivoli, y combattait toute la journée du 15, franchissait plus de soixante-dix kilomètres en trente heures, et le 16, arrivait à temps pour décider la victoire en faveur des Français à la Favorite devant Mantoue. « Elle avait fait plus de cent kilomètres et pris part à trois batailles en quatre jours. » L'EXPLOITATION POLITIQUE DE LA VICTOIRE La principale raison de tels exploits? La fidélité au chef. Car Bonaparte a su d'emblée s'attacher ses soldats non seulement par des avantages matériels (le paiement de la moitié de la solde en numéraire, par exemple) mais en créant un état d'esprit particulier à l'armée d'Italie. On s'en aperçut en 1797 lors de l'envoi de renforts venus d'Allemagne: l'amalgame se fit difficilement. Cet état d'esprit, Bonaparte l'a créé en utilisant la presse. L'idée n'était pas nouvelle, mais jamais auparavant, elle n'avait été exploitée aussi systématiquement. Le 1er thermidor an V était fondé Le Courrier de l'armée d'Italie ou le patriote français à Milan dont la rédaction aurait été confiée à Jullien, un ancien jacobin, qui avait été impliqué dans la conjuration de Babeuf avant de passer au service de Bonaparte. Son succès entraîna la publication d'une autre feuille, La France vue de l'armée d'Italie, placée sous la direction de Regnault de Saint-Jean-d'Angély, qui avait appartenu à la Constituante et représentait l'aile modérée de la Révolution par rapport à Jullien. Distribué gratuitement, Le Courrier de l'armée d'Italie informait les soldats des nouvelles venues de France, il visait naturellement à les orienter politiquement dans le sens souhaité par Bonaparte. Il avait aussi pour mission de renforcer l'attachement des hommes à leur chef présenté ainsi dans le numéro du 23 octobre : « il vole comme l'éclair et frappe comme la foudre. Il est partout et il voit tout». La France vue de l'armée d'Italie exaltait par ailleurs les mœurs austères de ce demi-dieu: Si l'on pénètre dans son intérieur, on y trouvera l'homme simple et se dépouillant volontiers de sa grandeur auprès de sa famille; portant habituellement un esprit occupé de quelque grande idée qui interrompt souvent son repas et son sommeil ; disant avec une digne simplicité à ceux qu'il estime : « J'ai vu les rois à mes pieds, j'aurais pu avoir cinquante millions dans mes coffres, j'aurais pu prétendre à bien autre chose; mais je suis citoyen français, je suis le premier général de la Grande Nation; je sais que la postérité me rendra justice. » Au-delà des soldats de l'armée d'Italie, les journaux créés à Milan visaient l'opinion française, déjà mise en condition par la publicité qui entourait les rapports que Bonaparte adressait au Directoire, l'envoi de drapeaux, les prises de guerre. Le Courrier était largement diffusé en France : il y avait un tarif d'abonnement prévu, mais il est probable que les feuilles furent répandues gratuitement. L'argent ne faisait pas défaut à Bonaparte grâce au butin de guerre. « On peut dire, note Tocqueville, qu'il a étonné le monde avant qu'on sût son nom. Car, lors de la première campagne d'Italie, on le voit écrit et prononcé de différentes manières. » Ainsi les succès de l'armée de la péninsule furent-ils enflés ou même déformés — dans le cas de la bataille d'Arcole, par exemple — grâce à une habile propagande dont, Hoche excepté, aucun général n'avait mesuré l'importance. Ne minimisons pas les victoires de Bonaparte mais tenons compte de la manière dont elles ont été présentées aux contemporains. La légende napoléonienne n'est pas née à Sainte-Hélène, mais dans les plaines d'Italie. Depuis Lodi, Bonaparte a les yeux tournés vers Paris. Il sait l'impopularité du Directoire ; il n'ignore pas que le pouvoir est à prendre, à condition de ménager tous ceux qui ont tiré un profit quelconque de la Révolution. Le Directoire s'en est inquiété. Bonaparte prenait une dimension politique imprévue : il disposait d'une armée, d'un important butin, de plusieurs journaux, y compris à Paris où l'on vit paraître, en février 1797, un Journal de Bonaparte et des hommes vertueux au titre évocateur : il opposait la pureté du général à la corruption du personnel directorial. Dans les négociations qui s'engageaient avec l'Autriche, sur les conditions de la paix, Bonaparte ne tenait aucun compte des instructions des directeurs transmises par Clarke: il réclamait la Lombardie quand Reubell, au Directoire, préconisait de tout sacrifier à la Rhénanie. Profitant du massacre des Français à Vérone, le 17 avril, il déclarait la guerre à Venise, le 2 mai, et s'emparait sans coup férir de la cité le 15. Prélude à un dépècement de la République qui permettait d'offrir à l'Autriche les compensations nécessaires à la perte de la Lombardie et de la Belgique. Sans perdre de temps, Bonaparte faisait le 29 juin de la Lombardie une République cisalpine, dont les institutions étaient calquées sur la France. Il manquait à la République un accès à la mer : un ultimatum de Bonaparte à Gênes lui assurait ce débouché en faisant passer le port sous l'influence française. Cette politique personnelle de Bonaparte irritait Paris. Les attaques vinrent de la droite monarchiste qui avait enregistré une forte poussée aux élections. Elle ne lui pardonnait pas d'avoir joué un rôle important le 13 Vendémiaire et de soutenir les jacobins en Italie. Mallet du Pan faisait du « petit bamboche aux cheveux éparpillés » sa cible favorite. Puis Dumolard dénonçait à la tribune des Cinq-Cents le général en chef de l'armée d'Italie coupable d'être intervenu à Venise et à Gênes sans consulter le Directoire et les assemblées. Des soldats de cette armée, blessés ou réformés, étaient maltraités et insultés à leur retour en France. On les invitait à crier : « Vive le Roi ! » Bonaparte était suffisamment armé pour se défendre. Il venait de s'emparer de l'un des principaux agents royalistes, le comte d'Antraigues, et de mettre la main sur ses papiers. Dans le portefeuille du comte d'Antraigues, figurait un rapport de Montgaillard - un aventurier — relatant des négociations avec les chefs militaires de la République pour les rallier à Louis XVIII. Pichegru, devenu président du conseil des Cinq-Cents, s'y trouvait impliqué. A Paris, le Directoire se divisait. Carnot et Barthélemy s'étaient ralliés à la majorité de droite. Reubell, La Révellière-Lépeaux et Barras lui étaient hostiles. Barras avait envisagé un coup d'État militaire en s'appuyant sur Hoche, nommé par ses soins ministre de la Guerre, mais Hoche ne put occuper ses fonctions, en raison de son âge. Il n'avait pas les trente ans requis. Il souffrit de voir sa réputation ternie par les attaques dont il devint l'objet et mourut peu après : maladie, désespoir ou poison. Les encouragements de Bonaparte ne faisaient pourtant pas défaut à Barras. Il lui aurait transmis les preuves de la trahison de Pichegru ; il envoyait en tout cas à Paris, Augereau porteur d'adresses incendiaires de l'armée d'Italie : « Si vous craignez les royalistes, appelez l'armée d'Italie, elle aura bientôt balayé les chouans, les royalistes et les Anglais. » Dans la nuit du 17 au 18 Fructidor (3 au 4 septembre), Barras, Reubell et La Révellière confiaient à Augereau le soin de prendre de vitesse les royalistes. Pichegru et Barthélemy étaient arrêtés, Carnot parvint à s'enfuir. Sur les murs de Paris étaient collées des affiches reproduisant les papiers saisis chez d'Antraigues par Bonaparte. Une nouvelle fois celui-ci avait fait échouer les projets de restauration royaliste. Avait-il pourtant beaucoup gagné dans le coup d'État? Reubell, adversaire des négociations avec l'Autriche, était resté en place; Augereau, grisé par le succès, critiquait son chef; Barras prenait ses distances. Je vous prie, écrivait Bonaparte au Directoire, de me remplacer et de m'accorder ma démission. Aucune puissance sur la terre ne sera capable de me faire continuer de servir après cette marque horrible de l'ingratitude du gouvernement à laquelle j'étais bien loin de m'attendre. Ma santé, considérablement affectée, demande impérieusement du repos et de la tranquillité. La situation de mon âme a aussi besoin de se retremper dans la masse des citoyens. Depuis trop longtemps un grand pouvoir est confié dans mes mains ; je m'en suis servi dans toutes les circonstances pour le bien de la patrie, tant pis pour ceux qui ne croient pas à la vertu et qui pourraient avoir suspecté la mienne. Ma récompense est dans ma conscience et dans l'opinion de la postérité. En fait les thermidoriens, au sortir de l'épreuve de Fructidor, ne peuvent se passer de Bonaparte. Jourdan est discrédité, Moreau suspect, Augereau bavard, Bernadotte affiche des convictions ultra-républicaines. Le général en chef de l'armée d'Italie ne l'ignore pas. Il peut donc mener à sa guise les négociations avec le représentant autrichien, Cobenzl. C'est lui qui inspire, sans consulter les directeurs, les articles de la paix signée à Campo-Formio, le 18 octobre 1797. L'Autriche abandonne à la France la possession de la Belgique et reconnaît la République cisalpine. En retour, elle reçoit la république de Venise, moins les îles Ioniennes. Quant à la rive gauche du Rhin, il en sera discuté à la diète prévue à Rastadt. Bonaparte confie : « Les avocats de Paris qu'on a mis au Directoire, n'entendent rien au gouvernement. Ce sont de petits esprits... Je doute fort que nous puissions rester longtemps d'accord. Ils sont jaloux de moi... je ne puis plus obéir. J'ai goûté du commandement et je ne saurais y renoncer. » Décidément, Lodi a bien marqué un tournant dans sa vie. Apporté par Berthier et Monge, le texte du traité de Campo-Formio fut examiné par « les avocats de Paris », le 26 octobre. D'après La Révellière-Lépeaux, les directeurs admettaient difficilement que Venise fût abandonnée aux Habsbourg. Mais il fallait tenir compte de l'opinion française : les témoignages de lassitude se multipliaient à l'égard de la guerre; on craignait une réaction des soldats de Bonaparte. Le Directoire était déjà fort impopulaire, aussi Barras fit-il approuver le traité. Mais que faire de Bonaparte? Pour s'en débarrasser, on le nomma commandant en chef de l'armée d'Angleterre ; il devait préparer dans le Nord une expédition contre les Iles britanniques ; dans l'immédiat, pour être sûr de le tenir éloigné de la capitale, on le chargea d'achever à Rastadt les négociations de paix commencées à Campo-Formio. C'est que Bonaparte devenait pour les thermidoriens un général bien encombrant. Aux yeux des contemporains, il avait vaincu l'Autriche et imposé la paix sur le continent. Quand celle-ci fut annoncée, « tous les chapeaux, écrit le journaliste du Rédacteur, furent lancés en l'air, l'enthousiasme était indescriptible, le nom de l'heureux négociateur volait de bouche en bouche ». NOTES SOURCES : Les procès-verbaux des séances du Directoire sont aux Arch. nat. (AF III); les arrêtés directoriaux ont été en partie publiés par Ant. Debidour : Recueil des actes du Directoire exécutif, 4 vol., 1910-1917 (s'arrête en février 1797). Pour la Convention thermidorienne, puis le conseil des Anciens et celui des Cinq-Cents, en dehors des procès-verbaux qui ont été conservés (J. Chaumié, Les papiers des assemblées du Directoire aux Archives nationales, 1976), se reporter à l'Histoire parlementaire de Buchez et Roux, et au Moniteur. Sur l'évolution de l'opinion, lire les rapports de police, accompagnés d'extraits de presse publiés par Aulard, Paris pendant la réaction thermidorienne et sous le Directoire (5 vol., 1898-1902). La Correspondance de Napoléon Ier, t. I-III, est fondamentale. La compléter par Léonce de Brotonne, Dernières lettres inédites de Napoléon Ier (t. I, 1903), et la correspondance amoureuse avec Joséphine. Les éditions de J. Bourgeat, 1941, de J. Savant, 1955 et S. d'Huart, 1970 ont été remplacées par J. Tulard et Ch. de Tourtier-Bonazzi, Lettres d'amour à Joséphine, 1981, première édition intégrale. Le tome XIX de la Correspondance contient le récit du 13 Vendémiaire et celui de la campagne d'Italie, dictés par Napoléon à Sainte-Hélène. Ajouter Arnna, Pages de l'épopée impériale, 1952. Cf. aussi Montholon, Mémoires de Napoléon, t. X (1824). Le texte des traités figure dans De Clercq, Recueil des traités de la France depuis 1713 jusqu'à nos jours, t. I, 1864 (paix de Campo-Formio notamment). Les Mémoires sont abondants. En dehors du Mémorial de Sainte-Hélène. citons ceux des membres du Directoire : Barras (éd. Duruy, 1895 ; très hostile à Napoléon) ; La Révellière-Lépeaux (1893, hostile également à Napoléon); Carnot (Mémoires sur Carnot publiés par son fils, 1861; d'un médiocre intérêt) ; Reubell (fragments dans La Nouvelle Revue rétrospective, 1904); Barthélemy (éd. Dampierre, 1914). Les militaires sont plus intéressants, encore que suspects : Masséna (1848-1850), Victor (1847), Marmont (1857), Gouvion-Saint-Cyr (éd. Jourquin, 1982), Jourdan (1818), Landrieux (1893), Savary (1900), Roguet (1862), Pelleport (1857), Thiébault (t. I et II, 1893-1894), etc. Autres témoignages : Thibaudeau (2 vol. 1824), Abrantès (1831), Hortense de Beauharnais (éd. J. Hanoteau, 1927), Fain, Le Manuscrit de l'an III (1828), Hamelin (Revue de Paris, 1926). Dans le camp adverse, on ne peut négliger : Archiduc Charles, Grundsätze der Strategie, traduit par Jomini en 1818, et Mallet du Pan, Correspondance inédite avec la cour de Vienne, 1794-1798 (1884). Le grand théoricien de la contre-Révolution et futur adversaire de Napoléon reste toutefois Joseph de Maistre. En 1797, il publie la troisième édition de ses Considérations sur la France à Bâle ; l'ouvrage sera réédité en 1802 et 1814. Pour la chronologie des autres œuvres : R. Triomphe, Joseph de Maistre (1968, hostile) et l'édition des oeuvres complètes (1884-1887). On peut lui opposer la pensée de Roederer dans le Journal de Paris ou les cours du Lycée (Roels, La notion de représentation chez Rœderer, 1968 ; Cabanis, «Rœderer », Revue de l'Institut Napoléon, 1977). Sur la presse des émigrés : Maspéro-Clerc, Peltier (1973). OUVRAGES : La fin de la Convention thermidorienne et le Directoire ont fait l'objet de plusieurs synthèses : A. Mathiez, La Rédaction thermidorienne (1929), G. Lefebvre, Les Thermidoriens (1937) et Le Directoire (1946) ; M. Reinhard, La France du Directoire (1956); Mathiez et Godechot, Le Directoire, an IV-an V (1934) ; A. Soboul, Le Directoire et le Consulat (1967) ; D. Woronoff, La République bourgeoise (1972). Sur le 13 Vendémiaire il n'existe que Henri Zivy,Le 13 Vendémiaire an IV (1898). En revanche la campagne d'Italie a fait l'objet d'une abondante production dont on peut retenir, depuis l'étude de Clausewitz, publiée en 1833 (rééd. 1975), Bouvier, Bonaparte en Italie (1899); Fabry, La Campagne d'Italie (3 vol., 1900-1901, fondamental); Driault, Napoléon en Italie (1906); Estre, Les Années éblouissantes. Italie, 1796-1797 (1944); M. Reinhard, Avec Bonaparte en Italie (1946, d'après les lettres de Sulkowski, son aide de camp) ; A. Fugier, Napoléon et l'Italie (1947) ; J. Thiry, Bonaparte en Italie (1973, copieuse bibliographie). Les principaux généraux ont été le sujet de biographies : Sérurier par Tuetey (1899) ; Masséna par Gachot (La Première Campagne d'Italie, 1902), Laharpe par Sécrétant (1897), tandis que Joubert se voit consacrer un numéro spécial de Visages de l'Ain (1969). Sur l'armée elle-même : J. Godechot, « L'Armée d'Italie de 1796 à 1799» (Cahiers de la Révolution française, 1936); du même, Les Commissaires aux armées sous la Direction (2 vol., 1937). DÉBATS OUVERTS Barras qui domine la période attend Son biographe: H. d'Alméras, Barras et son temps (1930); J. Vivent, Barras, le roi de la République (1937) ; J. Savant, Tel fut Barras (1954) ; J.-P. Garnier, Barras, roi du Directoire (1970),sont superficiels. Sur la protection qu'il accorda à Bonaparte, cf. Monteagle, « La première rencontre de Barras et de Bonaparte », Revue de l'Institut Napoléon, 1958, pp. 141-145. On tend aujourd'hui à réduire le rôle joué par Bonaparte en Vendémiaire. Zivy (Le 13 Vendémiaire, p. 74 et suiv.) a montré de façon convaincante qu'il ne fut nommé général en second de l'armée de l'Intérieur qu'après l'écrasement de l'insurrection. Le 14 vendémiaire, dans son rapport, Merlin de Douai, citant des généraux qui se sont distingués, oublie même Bonaparte. Reste que celui-ci a dû néanmoins avoir une activité importante au niveau de la stratégie, auprès de Barras, tout au moins, puisqu'il reçut en récompense le commandement de l'armée de l'intérieur. Il en profita pour modifier le recrutement de la légion de police chargée du maintien de l'ordre dans Paris, favorisant l'entrée d'éléments avancés qui seront compromis plus tard dans le mouvement babouviste (J. Tulard, « Le recrutement de la légion de police sous la Convention thermidorienne et sous le Directoire », Annales historiques de la Révolution française, 1964, pp. 38-64). Il eut surtout à faire face aux problèmes des subsistances (cf. Reinhard, La France du Directoire, t. I, 1956). Le personnage de Joséphine a suscité de nombreux livres : son infidélité est prouvée (L. Hastier, Le Grand Amour de Joséphine, 1955 ; A. Gavoty, Les Amoureux de l'impératrice Joséphine, 1961; A. Castelot, Joséphine, 1964), mais son rôle politique demeure mal connu; peut-être fut-il inexistant. La campagne d'Italie a trouvé en G. Ferrero (Aventure. Bonaparte en Italie. 1796-1797, 1936) un critique qu'avait précédé Bouvier, montrant comment Bonaparte avait dissimulé des échecs (Bonaparte en Italie, 1902) et Fabry détruisant la légende de « la misère de l'armée d'Italie (Fabry, Histoire de l'armée d'Italie, 1900). Pour Ferrero, Bonaparte ne fut qu'un exécutant fidèle des plans du Directoire, aussi bien sur le plan militaire que sur le plan diplomatique — point de vue excessif qui a suscité des observations de Louis Madelin (L'Écho de Paris, 17 et 24 février 1937) et du lieutenant-colonel Gallini (Revue militaire générale d'avril 1937). On ne peut toutefois contester que Bonaparte ait quelque peu arrangé à son avantage, dès 1796, le récit des opérations d'Italie. L'intérêt s'est récemment porté sur les journaux qu'il fit publier alors dans un souci de propagande : Marc Martin, Les Origines de la presse militaire en France à la fin de l'Ancien Régime et sous la Révolution (1975). Malheureusement on connaît mal le financement et la diffusion de ces feuilles. Curieuse est la personnalité du rédacteur du Courrier de l'Armée d'Italie, Jullien, qui a traversé sans trop de dommages les troubles politiques en dépit d'idées très avancées (H. Goetz, M. A. Jullien, « L'évolution spirituelle d'un révolutionnaire» (faible) et M. V. Daline, « Marc-Antoine Jullien après le 9 Thermidor », Annales historiques de la Révolution française, 1964 à 1966). La fameuse proclamation « Soldats ! vous êtes nus... » aurait été rédigée en 1815 sur le Northumberland. Fausse quant à la forme, elle serait exacte quant au sens général. La politique italienne de Bonaparte commence à être mieux connue depuis le livre de P. Gaffarel, Bonaparte et les Républiques italiennes 1796-1799 (1895) et celui de G. Bourgin et J. Godechot, L'Italie et Napoléon (1936). Bonaparte a-t-il promis aux délégués milanais Resta et Melzi, en mai 1796, le respect des croyances et le droit d'autodétermination des populations? C'est probable. A-t-il parlé de l'unité italienne? C'est en revanche peu vraisemblable. Voir Jacques Godechot, « Les Français et l'unité italienne sous le Directoire », Revue politique et constitutionnelle, 1952, pp. 96-110 et 193-204; le chapitre IIIde l'Histoire de l'Italie moderne du même auteur; Renzo de Felice, Italia Giacobina (Naples, 1965); G. Vaccarino, Patrioti « anarchistes » e l'idea dell'unita Italiana (Turin 1956) ; A. Saitta, « Struttura soziale e realta politica nel progetto costituzionale del giacobini piemontesi», Sociétà, 1949, pp. 436-475. D. Woronoff a bien résumé (La République bourgeoise, pp. 93-95) les attitudes contradictoires de Bonaparte, laissant se développer, dans le courant de l'été 1796, l'agitation dans la Lombardie en faveur de l'indépendance et de l'unité, puis devant l'inquiétude du Directoire, après la découverte de la conjuration des Égaux, brisant le mouvement et favorisant la formation par Modène, Reggio, Ferrare et Bologne d'une République cispadane en octobre. Cette politique italienne se trouvait en désaccord avec les directives du Directoire. La politique extérieure de celui-ci a suscité de brillants exégètes, d'Albert Sorel, L'Europe et la Révolution française, t. V, 1903, à R. Guyot, Le Directoire et la paix de l'Europe, 1795-1799 (1911). B. Nabonne, La Diplomatie du Directoire et Bonaparte (1951), a mis plus particulièrement en lumière le rôle de Reubell dans la définition de cette politique et son opposition à Carnot. Le Directoire, avec Reubell, était attaché au « système du Rhin », les conquêtes italiennes devant servir de monnaie d'échange : la Lombardie prise par Bonaparte serait échangée contre la rive gauche du Rhin. Mais Bonaparte ne voulait pas se dessaisir de la Lombardie. Y voyait-il le point de départ d'une grandiose politique orientale (Villat, Napoléon, p. 391)? Cela paraît excessif. Mais peut-être a-t-il nourri en revanche des ambitions italiennes que pouvaient favoriser ses origines? L'opposition entre les deux systèmes politiques, celui du Directoire et celui de Bonaparte, s'affirme lors de la mission de Clarke, maintenant bien connue. C'est le partage de Venise qui permit un compromis avec l'Autriche, ajoutant la rive gauche du Rhin et la Belgique à la Lombardie. A cet égard, il est normal de s'interroger sur l'origine des « Pâques véronaises » qui fournirent un prétexte idéal pour intervenir contre Venise (cf. les Mémoires de Landrieux). Il fallait aller vite: Bonaparte, remarque Suratteau («Le Directoire d'après des travaux récents », Annales historiques de la Révolution française, 1976, p. 197), ne veut pas qu'une victoire de Jourdan ou de Moreau en Allemagne vienne rétablir un équilibre que le gouvernement pourrait utiliser (cf. Bourdeau, Les Armées du Rhin au début du Directoire, 1909). La rivalité avec Hoche est évoquée par A. Sorel, Bonaparte et Hoche en 1797 (1897). Imposé par Barras, Bonaparte aurait surtout servi, jusqu'en Fructidor, la politique de Carnot (Reinhard, Le Grand Carnot, t. II, 1952). Il abandonna d'autant plus facilement, avec l'accord de Carnot, les patriotes du Piémont qu'ils s'inspiraient des idées de Buonarroti compromis dans la conjuration des Égaux. Quelle fut l'attitude de Bonaparte à la veille du coup d'État de Fructidor ? Il a ménagé longtemps Carnot (avec lequel il gardait contact par Lavalette, selon Suratteau, op. cit.). Mais il n'en a pas moins communiqué à Barras les documents du comte d'Antraigues prouvant la trahison de Pichegru (selon A. Ollivier, Le Dix-Huit Brumaire, il en aurait expurgé la mention d'une « entente probable » entre le général Bonaparte et les royalistes). Sur la personnalité du comte d'Antraigues, on peut consulter Pingaud, Le comte d'Antraigues (1899), et surtout J. Godechot, La Contre-Révolution (1961). Il y a peu à tirer des Mémoires secrets de Montgaillard publiés en 1804. On lira aussi G. Caudrillier, La Trahison de Pichegru et les Intrigues royalistes dans l'Est avant Fructidor (1908). D'après une note du journaliste Barbet, les directeurs, dont Barras, auraient sciemment laissé Bonaparte développer sa propagande personnelle : « Le nom de Bonaparte était utile pour assurer le succès du 18 Fructidor » (Mathiez, Le Directoire, p. 375). En fait le général de l'armée d'Italie n'a pas eu besoin d'encouragements, et comme le reconnut Barbet : « L'influence du général prenait déjà son ascendant naturel au-dessus de tous les éléments civils. » Le coup d'État du 18 Fructidor a fait l'objet d'une étude bien vieillie d'A. Meynier (Les Coups d É'tat du Directoire, t. I, Le 18 Fructidor an V, 1928) qui ne croit pas à la réalité du complot royaliste. Augereau qui fut l'exécutant du Directoire, en accord avec Bonaparte, mériterait une biographie. Sur les pillages de l'armée d'Italie : Saunier, Les Conquêtes artistiques de la Révolution et de l'Empire (1902), et F. Boyer, «Les responsabilités de Napoléon dans le transfert à Paris des œuvres d'art de l'étranger «, Revue d'Histoire moderne et contemporaine, oct. 1964, pp. 241-262. La paix de Campo-Formio assurait à la France de considérables avantages territoriaux : Belgique, rive gauche du Rhin et influence prédominante sur la République cisalpine. Mais elle était lourde de menaces. « Elle engageait la France, remarque justement M. Reinhard, dans J. Mistler, Napoléon et l'Empire, t. I, p. 61, dans une aventure italienne dont les répercussions ne pouvaient que remettre en cause la paix elle-même. La cession de la rive gauche du Rhin dans le cadre d'un remaniement territorial de l'Allemagne à Rastadt, annonçait une longue série de difficultés. » Dans ses souvenirs, Hamelin énumère les cadeaux qu'il dut faire à Joséphine pour accéder à Bonaparte. Il raconte comment la confiscation des mines d'Idria rapporta un million au fournisseur Collot, autant à Bonaparte,100 000 francs à Berthier, 50 000 francs à Bernadotte et à Murat. Envers de l'épopée encore mal connu. CHAPITRE V Rêve oriental ou manœuvre politique ? L'expédition d'Égypte « Vingt batailles gagnées vont si bien à la jeunesse, à un beau regard, à de la pâleur et à une sorte d'épuisement. » Le Directoire tremblait devant Bonaparte dont la puissance se révélait soudain menaçante : commandant de l'armée d'Angleterre, pouvant compter sur le dévouement aveugle de celle d'Italie, ayant gagné à Rastadt les faveurs d'une partie des troupes d'Allemagne, le général disposait de forces suffisantes pour balayer le pouvoir exécutif. Le prétexte était tout trouvé : il lui suffisait d'utiliser les documents saisis dans le portefeuille du comte d'Antraigues pour dénoncer les intrigues de certains membres du Directoire. Bonaparte, avec un sens politique très sûr, jugea que l'heure d'un nouveau coup d'État n'avait pas sonné. Les royalistes venaient d'être « fructidorisés »; les jacobins ne l'auraient pas suivi et l'opinion n'eût pas, admis un pouvoir militaire, tant restait grande la méfiance à l'égard des généraux politiciens. Le prestige de Bonaparte tenait à ses victoires mais aussi à sa loyauté envers la République. Il offrait à l'opinion l'image d'un héros pur de toute compromission, du seul général qui n'ait pas été vaincu lors de la dernière campagne. Les gravures populaires, la chanson et la poésie s'emparaient de lui, relayant l'active propagande lancée en Italie. Au théâtre, était représenté Le Pont de Lodi et le nom du vainqueur acclamé à chaque séance. La rue Chantereine où se trouvait sa résidence fut même rebaptisée rue de la Victoire. Mais une imprudence, et l'opinion particulièrement versatile l'eût abandonné, comme dans le cas de Hoche. De retour à Paris, Bonaparte se contenta de promener une attitude modeste et un peu ennuyée dans les banquets et les fêtes données en son honneur. Il ne se départit de cette réserve que pour entrer, le 25 décembre 1797, à l'Institut dans la première classe, celle des sciences, au siège laissé vacant par Carnot. Manœuvre habile qui lui assurait l'appui des idéologues, véritables « consciences » de la Révolution finissante. De plus, le prestige de l'Institut ajoutait encore à la gloire de Bonaparte. La séance publique du 4 janvier 1798 prit, du fait de cette élection, un éclat tout particulier. Bonaparte, lit-on dans Le Moniteur, est arrivé à la séance sans faste, y a assisté avec modestie, a reçu avec désintéressement les éloges que lui ont prodigués les lecteurs et les spectateurs, et s'est retiré incognito. Ah! que cet homme connaît bien le cœur humain et en particulier les gouvernements populaires ! L'homme de mérite y est forcé d'acheter, à force de modestie et de simplicité, une grâce que les ignorants et les hommes vulgaires lui accordent difficilement partout, mais plus rarement encore dans les républiques. POURQUOI L'EGYPTE ? « Vous franchîtes les monts; vous franchirez les flots, Des tyrans de la mer punissez les complots. Ils combattent pour l'or; vous, pour une patrie. Quels rochers;quels remparts deviendront leur asile Quand Neptune irrité lancera dans leur île D'Arcole et de Lodi les terribles soldats, Tous ces jeunes héros, vieux dans l'art des combats, La grande Nation â vaincre accoutumée Et le Grand Général guidant la Grande Armée? » En réalité, au cours d'un voyage du 8 au 20 février 1798, Bonaparte s'était rendu compte des difficultés que présentait le projet de débarquement en Angleterre. Il risquait de laisser tout son prestige dans une expédition où Hoche avait déjà échoué. Dans le rapport qu'il adressait au Directoire le 23 février, il observait : Quelques efforts que nous fassions, nous n'acquerrons pas, d'ici à plusieurs années, la supériorité des mers. Opérer une descente en Angleterre sans être maître de la mer est l'opération la plus hardie et la plus difficile qui ait été faite. Il faut de longues nuits et dès lors l'hiver. Passé le mois d'avril, il n'est plus possible de rien entreprendre. Il proposait deux autres solutions : attaquer le Hanovre ou conquérir l'Égypte, projet qu'avait développé Talleyrand, ministre des Relations extérieures, le 14 février, devant le Directoire. La première solution était raisonnable : trop pour la soif de gloire de Bonaparte, trop également pour les directeurs soucieux de se débarrasser au plus vite d'un général encombrant. La conquête de l'Égypte semblait une folie : il fallait priver la France d'une armée et d'un général expérimenté, alors que la guerre menaçait à tout moment de reprendre sur le continent, tenter d'échapper à la flotte anglaise en Méditerranée, affronter un pays encore mal connu malgré les affirmations du consul français au Caire Magallon sur la facilité d'une telle conquête. Mais l'Orient parlait à l'imagination de Bonaparte ; plus encore l'opération lui permettait de laisser pourrir, en son absence, la situation politique de la France ; l'opinion, quand elle eut connaissance du projet, s'enthousiasma pour une expédition vers une contrée mystérieuse mise à la mode par Volney dans Les Ruines; le Directoire voyait enfin sans déplaisir s'éloigner une menace redoutable. L'Égypte présentait un triple intérêt; elle permettait dans l'immédiat, en occupant l'isthme de Suez, de couper l'une des routes de l'Inde vers l'Angleterre; elle était appelée à constituer une colonie qui, disait Talleyrand, « vaudrait à elle seule toutes celles que la France avait perdues » ; elle fournirait par la suite une base utile pour une future conquête de la source principale de la richesse anglaise : l'Inde, où Tippo-Sahib menait le combat contre l'envahisseur britannique. L'expédition d'Orient mêlait à des objectifs militaires et économiques des préoccupations scientifiques. Elle s'inscrivait dans la grande lignée des voyages d'exploration du XVIIIe siècle. Une commission des sciences et des arts devait accompagner l'armée et former l'Institut d'Égypte. Choisis par Monge, Berthollet et Arnault, 21 mathématiciens, 3 astronomes, 17 ingénieurs civils, 13 naturalistes et ingénieurs des mines, autant de géographes, 3 ingénieurs des poudres et salpêtres, 4 architectes, 8 dessinateurs, 10 artistes mécaniciens, 1 sculpteur, 15 interprètes, 10 hommes de lettres, 22 imprimeurs munis de caractères latins, grecs et arabes, furent du voyage. La liste de ces personnalités est impressionnante : Monge, Berthollet, Costaz, le géomètre Fourier, le minéralogiste Dolomieu, l'astronome Mechain, le naturaliste Geoffroy-Saint-Hilaire, le médecin Desgenettes, le chimiste Conté, célèbre pour ses crayons, l'archéologue Jomard, l'orientaliste Jaubert, le graveur Vivant Denon... Sans oublier un poète, Parseval-Grandmaison, dont la muse ne sera guère inspirée par cette épopée, un peintre de fleurs, Redouté, et un pianiste, Rigel. En donnant un caractère scientifique à son expédition, Bonaparte confirmait ainsi son alliance avec les idéologues. En définitive la conquête de l'Égypte apparaît avant tout comme une opération de politique intérieure : Bonaparte était trop réaliste malgré les déclarations qu'on lui prête, pour songer à se tailler, à la façon d'Alexandre, un empire en Orient. Trop d'obstacles, à commencer par la religion et la langue, se présentaient sur son chemin. Qu'il ait envisagé par la suite un partage des possessions ottomanes avec le tsar, qu'il ait rêvé, plus tard, d'une Égypte rénovée par l'administration française et même d'un Empire universel, tout cela est incontestable. Mais en 1798, il songe surtout à s'éloigner pour éviter de compromettre le prestige qu'il a acquis : l'Égypte semble, la Méditerranée franchie, une proie facile. Bonaparte espère retirer de sa conquête un surcroît de gloire pendant que se poursuit à Paris la décomposition du pouvoir. Il l'a avoué: il vise la France en attendant l'Europe. Quand? Comment ? Il l'ignore encore. Mais on peut tenir pour certain qu'il n'a pas songé s'enfermer en Égypte. LA CONQUÊTE Le 19 mai, deux cents navires sous le commandement de l'amiral Brueys, portant une armée de trente-cinq mille hommes, quittaient Toulon. Tout avait été réuni en un mois : soldats, matériel et vaisseaux, c'est dire l'impatience de Bonaparte de s'éloigner — provisoirement, bien sûr — de Paris; c'est dire aussi les inévitables lacunes qui apparurent bientôt dans la préparation matérielle de l'expédition. Ces préparatifs n'avaient pas échappé à l'amirauté britannique, mais Nelson manqua deux fois la flotte française et crut à une intervention en Turquie. Cependant au passage, Bonaparte s'emparait sans coup férir de Malte. Le 1er juillet, le débarquement s'effectuait sans susciter de résistance dans la baie d'Alexandrie. La ville tombait bientôt aux mains des Français. Mais l'enthousiasme disparut vite devant la chaleur (Bonaparte avait bien mal choisi son époque et paraît ne s'être jamais soucié dans ses campagnes des considérations météorologiques !), le désert, la crasse et la misère. D'après le témoignage du canonnier Bricard, «nos soldats périssaient dans les sables faute d'eau et de subsistances, une chaleur excessive les avait contraints de jeter leur butin et plusieurs, las de souffrir, s'étaient brûlé la cervelle ». Beaucoup se demandaient, malgré la lecture d'une proclamation, les raisons de leur venue sur une terre aussi inhospitalière. François Bernoyer, chef de l'atelier d'habillement de l'armée d'Orient, écrivait à son épouse : Je me suis informé sur ce que notre gouvernement escomptait en envoyant une armée s'établir dans les États du Grand Seigneur, sans aucune déclaration de guerre, ni aucun motif à la lui déclarer. Il suffit, m'a-t-on dit, d'un peu de sagacité. Bonaparte, par son génie et par les victoires qu'il a remportées avec une armée devenue invincible, avait trop d'influence en France. Il était une gêne, pour ne pas dire un obstacle à ceux qui détiennent les rênes du pouvoir. Je n'ai pas pu déceler d'autres causes. C'est dire l'état d'esprit de l'armée d'Orient. Province de l'Empire ottoman, l'Égypte était soumise en fait à la féodalité militaire des Mamelouks, à l'origine des esclaves achetés parmi les populations du Caucase. Cette caste guerrière gouvernait un peuple de petits artisans, de boutiquiers et de fellahs qui supportait d'autant plus impatiemment son autorité que l'Égypte connaissait un déclin économique incontestable en cette fin du XVIIIe siècle. Les avertissements du consul Magallon furent confirmés par le rapide effondrement des Mamelouks. Une bataille suffit : elle se déroula à Gizeh, en face du Caire, à proximité des grandes Pyramides, le 21 juillet. Les charges de cavalerie des Mamelouks se brisèrent sur les carrés de l'infanterie française. La légende s'empara de cette victoire et la grossit démesurément. Elle assurait du moins à Bonaparte la possession du Caire. Mais le 1er août la flotte française qui avait échappé pendant la traversée aux navires anglais, fut surprise en rade d'Aboukir par Nelson et entièrement détruite. Bonaparte était prisonnier de sa conquête. La situation s'aggrava avec la déclaration de guerre de la Turquie, en septembre, et la menace d'une intervention des forces ottomanes. Il fallait également tenir compte des maladies dues au climat. L'hostilité des habitants se traduisit par la révolte du Caire, le 21 octobre, qui coûta la vie au général Dupuy et à l'aide de camp préféré de Bonaparte, Sulkowski. Cette terrible insurrection montrait les limites du ralliement des notables musulmans. Tout était entrepris pourtant pour gagner les sympathies de la population. Respect de ses croyances, destruction de l'ancienne féodalité, remise en état des canaux, réveil de l'activité économique. Le nivellement de l'isthme de Suez et les travaux préparatoires à la jonction de la mer Rouge et de la Méditerranée furent commencés sous la direction de l'ingénieur en chef Le Père. Un Institut d'Égypte fut fondé sur le modèle de l'Institut de France. Il avait pour mission « le progrès et la propagation des lumières en Égypte ». Deux journaux étaient publiés en français : Le Courrier de l'Égypte et La Décade égyptienne. On a pu parler d'un nouveau démarrage de l'Égypte libérée des contraintes économiques et sociales, sinon religieuses, imposées par la domination des Mamelouks. Le passé n'était pas négligé : les fouilles archéologiques à Thèbes, Louqsor et Karnak, la découverte de la pierre de Rosette, les nombreux croquis pris par Vivant Denon et les dessinateurs de son équipe fournissaient les principaux éléments d'une fructueuse moisson qui aboutira à la publication des gros volumes de la Description de l'Égypte à partir de 1809. La guerre continuait. Les Turcs en effet marchaient sur l'Égypte : Bonaparte se porta en février 1799 à leur rencontre en Syrie. Expédition soigneusement préparée. Gaza (où deux mille Turcs furent massacrés), puis Jaffa tombèrent sans difficultés. Mais les Français vinrent buter contre Saint-Jean-d'Acre défendu par le pacha Djezzar et un ancien condisciple de Bonaparte, Phélippeaux. La ville était ravitaillée par la flotte anglaise du commodore Sidney Smith alors que les troupes françaises manquaient en revanche d'artillerie de siège, leurs canons qui devaient les rejoindre par mer depuis Da-miette ayant été interceptés par les Anglais. Dans ses lettres, Bernoyer affirme que certains généraux, comme Dommartin, rendus inquiets par les projets que l'on prêtait à Bonaparte, notamment celui de se faire couronner roi de Perse, « firent tout pour nuire à la prise de Saint-Jean-d'Acre ». La maladie s'en mêla. Il fallut, en outre, arrêter à la bataille de Mont-Thabor, près de Nazareth, le 16 avril, une armée turque venue de Damas. Une nouvelle armée, débarquée à Aboukir, était écrasée, le 25 juillet, par Bonaparte revenu à la hâte en Egypte. Auparavant, Lanusse avait réprimé un soulèvement fomenté par El Modhy. Le rêve oriental se transformait en cauchemar. D'autant que les nouvelles venues de Paris étaient mauvaises. Les rumeurs les plus fantaisistes, faute d'informations exactes, circulaient sur la campagne d'Égypte : le désastre maritime d'Aboukir, la révolte du Caire étaient amplifiés par les adversaires de Bonaparte. Celui-ci, coupé de la France, souffrant de ce manque de liaisons, ne pouvait réagir que difficilement. Les Anglais s'en mêlaient, dénonçant les atrocités de Bonaparte : ils décrivaient complaisamment le massacre de soldats français atteints par la peste ou de Turcs désarmés. La propagande bonapartiste manquait de nerf et pouvait difficilement faire croire à une « déportation du général et de l'élite de l'armée d'Italie ». L'attention du public, avec la reprise de la guerre sur le continent, se portait sur d'autres champs de bataille. On parlait d'un coup d'État préparé par Sieyès avec l'accord d'un brillant général, Joubert. L'éloignement de Bonaparte se retournait contre lui. Le 26 août, Kléber, devenu commandant en chef de l'armée d'Égypte, informait les troupes du départ, le 23, de leur général. Le message laissé par celui-ci expliquait ainsi cet étrange abandon : « L'intérêt de la patrie, sa gloire, l'obéissance, des événements extraordinaires, me décident seuls à passer, au milieu des escadres ennemies, pour me rendre en Europe. » Bonaparte emmenait avec lui Berthier, Lannes, Murat, ainsi que Monge et Berthollet. C'était tenter doublement la chance : il fallait échapper à la surveillance anglaise en Méditerranée ; il convenait de justifier le retour, même si Bonaparte avait fait l'objet d'un rappel officiel le 26 mai. Deux fois le miracle se produisit : d'une part le navire ne fut pas intercepté ; d'autre part le compte rendu de la victoire d'Aboukir du 24 juillet parvint à Paris quelques jours avant l'arrivée de Bonaparte : il démentait les informations pessimistes qui avaient couru jusqu'alors sur l'armée d'Égypte ; il fit impression sur le public par le récit qu'il donnait de l'éclatante victoire remportée par Bonaparte. On oublia que l'armée d'Orient restait dans une impasse et que son absence avait pesé lourdement dans les premiers échecs continentaux de la nouvelle guerre. Ainsi Bonaparte avait eu raison de prendre ses distances par rapport au Directoire. En dépit de l'échec de l'expédition d'Égypte, il revenait en France auréolé du prestige de victoires lointaines amplifiées par la propagande de ses partisans. « Toutes les villes et villages par lesquels il a passé pour se rendre dans la capitale ont été illuminés » a noté avec peut-être un peu d'exagération un contemporain. Le journal le Surveillant observait le 18 octobre : « Bonaparte est arrivé à Paris. Il est descendu chez lui, rue de la Victoire. Il y a trouvé sa mère qui peut encore jouir longtemps de la gloire de son fils, puisqu'elle n'a que quarante-sept ans. » Après cette émouvante remarque, le journaliste continuait : « Bonaparte est presque le seul officier de notre armée en Egypte qui n'ait pas été malade. Ainsi avec une complexion en apparence assez faible, il est extraordinaire au physique comme au moral. » La propagande imposait une nouvelle fois l'image du héros déjà dessinée lors de la campagne d'Italie. Joubert avait été tué, Moreau était trop compromis, Bernadotte trop prudent. La voie était libre. Ce messie botté, appelé à finir la Révolution, qu'annonçait Robespierre en 1792, lorsqu'il dénonçait les conséquences de la politique belliciste des girondins, ce serait donc Bonaparte. NOTES SOURCES : Jean Thiry, dans Bonaparte en Égypte (1973), donne un bon aperçu des sources manuscrites dont beaucoup sont inédites. Il faut se référer à la Correspondance de Napoléon dont, de surcroît, les tomes XXIX et XXX sont constitués par la relation officielle des campagnes d'Égypte et de Syrie. La Décade égyptienne a fait l'objet d'une réédition commode en 1971. Les Mémoires sont très nombreux : Berthier (Relation des campagnes du général Bonaparte en Égypte et en Syrie, 1801) : Bernoyer (Avec Bonaparte en Égypte et en Syrie, 19 lettres inédites, éd. Tortel, 1976) ; Bourrienne ; Bricard (1891) ; Dejuine (1983) ; Denon (Voyage dans la Basse et la Haute-Égypte, 1802), Desaix (Journal de voyage, éd. Chuquet, 1907) ; Desgenettes (Souvenirs d'un médecin de l'armée d'Egypte, 1892) ; Desvernois (1898) ; François (1903-1904, rééd. Jourquin en 1984) ; Geoffroy-Saint-Hilaire (Lettres écrites d'Égypte. 1901 ) ; Gerbaud (1910) ; Jollois (Journal d'un ingénieur attaché à l'expédition française, 1798-1802, éd. Lefèvre-Pontalis, 1904, excellent) ; Kléber (« Carnets », La Revue d'Égypte. 1895) ; Krettly (1838, décevant) ; Lacorre (1852) ; Lavalette (1910) ; Malus (1892) ; Marmont (t. 1 et II, 1857) ; Millet (1803) ; Miot (Mémoires pour servir à l'histoire des expéditions en Égypte et en Syrie, 1804) ; Moiret (1984) ; Niello-Sargy (1825) ; Redouté (Revue politique et littéraire, 1894) ; Reynier (1827) ; Savary (t. I) ; Talleyrand ; Thurman (1802) ; Vaxelaire (1900) ; Vertray (1883); Villiers du Terrage (1899; important). On consultera également l'admirable Description de l'Égypte (20 vol., 1809-1822). Le point de vue de l'adversaire est donné par Nicolas Turc, Chroniques d'Égypte (éd. Wiet, 1950), le journal d'un bourgeois du Caire (1981, il s'agit de Jabarti) et Nelson, Dispatches and Letters (Londres, 7 vol., 1844-1846). Sur l'Inde de Tippo-Sahib : Michaud, Histoire de Mysore sous HyderAli et Tipoo-Sahib (1801). OUVRAGES : L'expédition d'Égypte a suscité de nombreux ouvrages. On n'a retenu ici que les plus importants: Wilson, History of the british expedition to Egypt (Londres, 1802; à l'origine de toutes les dénonciations d'atrocités françaises; Wilson devait en 1815 changer d'opinion); Reybaud, Histoire scientifique et militaire de l'expédition française en Égypte (10 vol., 1830-1836, très dépassée); Boulay de la Meurthe, Le Directoire et l'expédition d'Égypte (1885); R. Peyre, L'Expédition d'Égypte (1890); La Jonquière, L'Expédition d'Égypte (5 vol., 1900-1907; fondamental); Hanotaux, Histoire de la Nation égyptienne (t. V, 1934; description de l'Égypte avant l'expédition française); Bainville, Bonaparte en Égypte (1936); Charles-Roux, Bonaparte, gouverneur d'Egypte (1936, excellent sur l'œuvre intérieure) ; Estre, Bonaparte, le mirage oriental. L'Égypte (1946) ; Vendryès, De la probabilité en histoire; l'exemple de l'expédition d'Egypte (1952 ; plus philosophique qu'historique) ; Benoist-Méchin, Bonaparte en Égypte et le rêve inassouvi (1966, brillant) ; Herold, Bonaparte et l'expédition d'Egypte (trad. fr. 1962 ; hostile à Bonaparte) ; J. Thiry, Bonaparte en Égypte (1973). Revue des Études napoléoniennes, n° spécial, janvier 1925. Souvenir napoléonien, n° spécial, 1977. On trouvera des bibliographies détaillées, concernant notamment les travaux publiés en Égypte, dans les articles de J. E. Goby, Revue de l'Institut Napoléon, 1955 (pp. 4-16) et 1976 (pp. 207-213), 1979 (pp. 67-85). Sur Desaix : A. Sauzet, Le Sultan juste (1954). Pour Kléber : Lucas-Dubreton (1937), cf. aussi Spillman, Les auxiliaires de l'armée d'Orient », Souvenir napoléonien, mars 1979. DÉBATS OUVERTS L'historiographie égyptienne a traversé des phases de sympathie et d'hostilité pour l'expédition française. Pour les Égyptiens occidentalisés, ce fut le « take off » du pays, préparant la voie à Mehemet Ali. Pour les musulmans intégristes, la condamnation est sans appel. Les Origines de l'Expédition d'Égypte ont été étudiées en 1910 par F. Charles-Roux. Le mémoire de Magallon qui attira l'attention sur la faiblesse de la domination des Mamelouks a été publié dans La Revue d'ÉGYPTE de sept. 1896. N'a-t-il pas un peu forcé sur le déclin de l'Égypte? André Raymond, dans Artisans et commerçants du Caire au XVIIIe siècle (1975), en donne un tableau moins pessimiste. Quel fut le rôle de Talleyrand ? G. Lacour-Gayet (Talleyrand, t. I, pp. 317-318) l'accuse de n'avoir jamais songé à appuyer vraiment l'action militaire de Bonaparte par une action diplomatique sous forme d'une mission à Constantinople comme il en avait été convenu. Aussi Bonaparte est-il contraint de repousser les assauts des armées turques. Guyot croit en revanche à la sincérité de Talleyrand. Celui-ci ne partit pas de crainte d'être évincé, en son absence, des Relations extérieures. C. L. Lokke (« Pourquoi Talleyrand ne fut pas envoyé à Constantinople ? » An. hist. Rév. fr., 1933, pp. 153-159) en fait porter la responsabilité au Directoire qui ne voulait pas se passer, dans les négociations avec les États-Unis, d'un ministre expérimenté. Michel Poniatowski dans une étude quasi exhaustive sur Talleyrand et le Directoire (1982) souligne tout à la fois les responsabilités du ministre et la manière dont il sut s'en dégager dans son rapport du 3 septembre 1799. Quant au « rêve oriental de Bonaparte que l'on fait remonter à Campo Formio (il avait, après la chute de Robespierre, songé à louer ses services à Constantinople) et qui a été étudié notamment par G. Spillman, Napoléon et l'Islam (1969), il a peut-être été exagéré par Benoist-Méchin. Certes Bonaparte déclarait à Bourrienne, en 1798 : « L'Europe n'est qu'une taupinière. Tout s'use ici. Il faut aller en Orient, toutes les grandes gloires viennent de là! » mais il pense surtout, pendant l'expédition d'Égypte, aux affaires politiques françaises. Le rêve oriental pouvait-il d'ailleurs devenir réalité? La jonction avec l'Inde était difficile et la révolte de Tippo-Sahib demeurait limitée (cf. Saint-Yves, « La chute de Tippo », Revue des Questions historiques, 1910, et le charmant roman de Paul Morand, Montociel). Les projets de conversion de l'armée à l'Islam se heurtaient à de sérieuses difficultés (comme la consommation de vin). Or, sans conversion, impossible d'espérer s'étendre au Proche-Orient comme le montre Charles-Roux (Bonaparte gouverneur d'ÉgypteJ. Bonaparte a-t-il songé à rétablir l'ancien royaume de Jérusalem au profit des juifs ? Le Moniteur du 22 mai 1799 lui attribua une proclamation invitant les juifs d'Asie et d'Afrique à se joindre à lui. J. Godechot a montré qu'il s'agissait d'un faux! (Les Juifs et la Révolution française, 1976, pp. 68-69). Comment la conquête puis l'occupation de l'Égypte ont-elles pu être menées avec si peu d'hommes ? Au désespoir des débuts (le général Dumas, père de l'écrivain, choisira de rentrer par ses propres moyens, ce que ne lui pardonnera pas Bonaparte) suit une incontestable fascination qu'illustrent bien les admirables dessins du sous-officier Dejuine retrouvés et publiés par F. Beaucour, prélude à la monumentale Description de l'Égypte. Certains musulmans finirent par se rallier aux Français. Mais il s'agissait d'une bourgeoisie éclairée que symbolise Jabarti. Sur l'étape intermédiaire du retour avant Paris : la Corse, on lira Ch. Barbaud et L. Carbo, « Le retour d'Égypte », Revue des Études napoléoniennes, nov. 1922, pp. 161-198, qui élucide tous les problèmes posés par le séjour de Bonaparte dans l'île. Les conditions de l'élection de Bonaparte à l'Institut dans la classe des Sciences physiques et mathématiques le 25 décembre 1797, par 305 voix sur 624 votants, ont été décrites par Lacour-Gayet, Bonaparte membre de l'Institut (1921). Les connaissances du général ne dépassaient pas le cours de Bezout. DEUXIÈME PARTIE La Révolution sauvée « La Révolution est finie », répète à plusieurs reprises Bonaparte. C'est une évidence. La Révolution a pris fin pour beaucoup d'historiens avec la chute de Robespierre, mais il serait plus exact d'en faire remonter le coup d'arrêt à l'élimination des enragés. Le mouvement révolutionnaire a atteint, en 1794, un seuil qu'il ne dépassera pas. N'a-t-il pas alors satisfait les principales revendications des paysans et des bourgeois ? Les premiers sont désormais libérés du joug féodal; ils écartent progressivement par la coalition ou la menace toute concurrence dans la vente aux enchères des biens du clergé. Plus du tiers des villageois, dans certaines régions du Nord ou de l'Est, aurait accédé à la propriété; de quoi apaiser cette fringale de terre que les ruraux ont manifestée à travers tout le XVIIIe siècle. Par ailleurs, l'obstacle de la noblesse brisé, les entraves des corporations abattues, la bourgeoisie, du moins celle qui a su tirer son épingle du jeu, peut envisager l'avenir avec confiance. Même la guerre, devenue victorieuse, permet un essor économique dont sont toutefois exclus, avec des nuances, les ports. Seul le prolétariat urbain, fer de lance de la Révolution, n'a rien gagné, sinon la disparition provisoire, après 1802, de la famine et du chômage. C'est qu'il a perdu très vite ses chefs qui ont, davantage que l'aristocratie, fourni à la guillotine sa moisson de têtes coupées; c'est que l'échec de Babeuf a révélé des objectifs trop vagues, trop utopiques. Le problème de la propriété a rendu impossible l'alliance, un moment esquissée, entre la bourgeoisie et le monde du travail. Le « quatrième État » est encore à la recherche d'une conscience de classe que les transformations industrielles hâtées par l'Empire vont lui faire découvrir. Pour l'heure il est à bout de souffle. « Cette partie de la population, si animée aux premiers jours de la Révolution, avait éprouvé de si pénibles mécomptes qu'elle était depuis longtemps tout à fait portée au repos », écrit Barras dans ses Mémoires. La Révolution est finie. Certes, Mais le mouvement du balancier ne va-t-il pas revenir en arrière? Vendémiaire et Fructidor ont conjuré la menace royaliste, mais ne l'ont pas définitivement écartée. Il importe aux thermidoriens de trouver un rempart. Pourquoi pas Bonaparte ? La Révolution est finie. Mais une révolution qui s'arrête est une révolution condamnée. Il faut cependant souffler, le but atteint, pour mieux liquider le passif et consolider les conquêtes de la bourgeoisie et de la paysannerie aisée. Là encore, un rôle à la mesure de Bonaparte. L'alliance s'établit — une alliance tacite et qui ne va pas sans quelques bavures inévitables — entre le général et les thermidoriens devenus brumairiens. La révision constitutionnelle n'eût pas suffi à l'établissement d'un pouvoir fort capable de tenir en respect les oppositions intérieures ou extérieures. Sieyès découvre les vertus du sabre et accepte de s'effacer, non sans mauvaise humeur. En quatre ans, Bonaparte passe du titre de consul provisoire à celui d'Empereur. En sept ans, il débarrasse la France révolutionnaire de ses adversaires continentaux: une Russie restée profondément barbare sous un tsar autocrate à la merci des complots de palais, une Prusse dont la réputation militaire acquise sous Frédéric II n'est plus en rapport avec la réalité, un Empire autrichien empêtré dans le kaléidoscope de nationalités diverses où la chancellerie de Vienne se reconnaît à grand-peine. Laissons les cours du Nord et les Bourbons décadents de Naples et d'Espagne, les cantons suisses et le Portugal, malgré son empire. Seule la Grande-Bretagne, avec sa flotte, son crédit et ses manufactures peut rivaliser avec la France, dont elle refuse la présence à Anvers; mais protégée par la mer, l'Angleterre elle-même supporte mal le blocus, son arme préférée, que lui retourne Napoléon. A Tilsit, en 1807, la Révolutionfrançaise a gagné. Consolidée sur le plan intérieur, elle est reconnue par l'Europe. Goethe peut célébrer la Révolution «consommée dans ce qu'elle a de raisonnable, de légitime, d'européen». CHAPITRE I Le passif Traditionnellement l'histoire du Consulat commence par le tableau de la France sous le Directoire ; un pays dévasté par la guerre, parcouru dans l'Ouest et le Midi par les bandes de malfaiteurs qui pillaient les caisses publiques et dévalisaient les voyageurs; une industrie ruinée, un commerce paralysé ; des finances en détresse ; une armée où les soldats, faute d'argent et de vivres, désertaient par milliers ; des hôpitaux où l'on mourait de faim ; une nation démoralisée, indifférente aux nouvelles des frontières, soucieuse uniquement de profiter des plaisirs que lui offrait la capitale. Telle était la France en 1799. Alors parut un jeune général qui redressa la situation militaire, épura les milieux politiques, ranima l'économie et fonda de nouvelles institutions. A l'anarchie succéda l'ordre ; aux défaites, la victoire. Ce contraste n'est-il pas trop simple pour être vrai? La rupture fut-elle totale entre le Directoire et le Consulat? LA GRANDE ENQUÊTE DE L'AN IX On connaît la source où, depuis Thiers, ont puisé tous les historiens de la France du Directoire. Les rapports adressés par des conseillers d'État au gouvernement consulaire, à la suite d'enquêtes ordonnées par lui, au début de l'an IX, ont en effet donné de la situation, à peine quelques mois après le 18 Brumaire, un tableau singulièrement sombre. Parce qu'ils n'étaient pas destinés à la publicité et qu'ils furent signés par des hommes de valeur, Champagny, Thibaudeau, Fourcroy ou Lacuée, ces rapports ont paru présenter quelque garantie de vérité. Ce qui frappe en premier lieu les conseillers d'État en déplacement, c'est le mauvais entretien des routes. Fourcroy note au cours de sa mission dans la 16e division militaire que « toutes les routes du département du Nord, excepté celle de Lille à Dunkerque, la moins fréquentée par les rouliers, sont dans le plus mauvais état. Il existe, ajoute-t-il, de vraies fondrières ; beaucoup de pavés sont arrachés ; en général les routes ressemblent à des champs labourés. » Dans le Pas-de-Calais les accidents du terrain brisent constamment les voitures légères. La situation n'est guère meilleure dans le Midi où Français de Nantes observe que les deux tiers des routes sont impraticables ou particulièrement mauvaises. Le brigandage ajoute encore à l'insécurité. Très répandu dans l'Ouest, il marque un recul sensible depuis peu dans le Midi. Mais Fourcroy rapporte que, quelques mois auparavant, on ne pouvait traverser le Ventoux sans crainte. « Ceux qui voyageaient dans ces contrées étaient obligés de prendre des passeports du chef des brigands et de payer le rachat du pillage. Des placards avertissaient les voituriers que s'ils ne portaient pas avec eux au moins quatre louis, ils seraient fusillés et plusieurs l'ont été. » Le calme, observe le conseiller d'État Najac, n'est pas encore revenu dans le Rhône que terrorisaient les compagnons de Jéhu. A Paris se sont organisées des bandes qui fraudent les droits d'octroi rétablis par le Directoire. « Elles tiennent, écrit Lacuée, à de prétendus négociants ou faiseurs d'affaires et même à des sociétés qui les payent. » Aux frontières, le pays porte la trace de l'invasion. A Valenciennes une maison sur trois est en ruine; le long du Rhin, les forêts portent les traces de nombreuses dévastations; en Provence, des dizaines de villages ont été anéantis. Les ravages de la guerre civile sont plus étendus encore : massacres, incendies et pillages ont fait par endroits de la Vendée un désert. Mais les reproches qu'adressent les conseillers d'État au régime précédent, vont surtout à l'anarchie administrative. L'application des lois variait d'un département à l'autre. Barbé-Marbois, chargé d'inspecter la 13e division militaire, écrit que « les mêmes objets étaient régis par des principes contraires », et en attribue la responsabilité à l'absence de concordance des ordres ministériels. C'est aux finances que s'intéressent tout particulièrement les envoyés du gouvernement. Le désordre le plus complet paraît avoir régné dans les livres des percepteurs que Fourcroy accuse d'être en majorité coupables d'exactions. L'armée elle-même ne s'était pas privée de puiser dans les caisses de l'État, et Barbé-Marbois rapporte ce mot d'un officier : « La richesse appartient aux braves ; prenons ; on trouvera nos comptes à la bouche des canons. » Le Directoire s'est également heurté au problème religieux né de la Constitution civile du clergé. Quand la connaissance du cœur humain, écrit Fourcroy, n'apprendrait pas que la grande masse des hommes a besoin de religion, de culte, de prêtres, la fréquentation des habitants des campagnes et surtout de celles qui sont très éloignées de Paris, la visite des départements que j'ai parcourus, me l'aurait seule bien prouvé. L'échec des cultes décadaire et théophilanthropique, souligné par les rapports, est en définitive celui du Directoire qui a prétendu les imposer. A l'échec spirituel répond l'échec matériel. Najac note la ruine de la soierie lyonnaise : quatre mille trois cent trente-cinq métiers de moins qu'en 1788. Les réponses du préfet de la Seine, Frochot, au questionnaire de Lacuée sont pessimistes : L'état des manufactures parisiennes s'est beaucoup détérioré pendant la Révolution. D'une part l'insubordination des ouvriers, la guerre, la stagnation du commerce, les difficultés des recouvrements, les faillites ont forcé les entrepreneurs à restreindre leurs spéculations ; de l'autre les paiements qu'ils ont reçus en assignats ont englouti toutes leurs avances, détruit leurs ressources et la plupart d'entre eux ont été obligés d'emprunter des capitaux à de très gros intérêts qui les minent journellement en absorbant le plus clair de leurs bénéfices. Canaux en mauvais état dans le Nord, marais gagnant sans cesse autour de Rochefort au point de rendre le port inhabitable ; la dégradation des travaux d'intérêt public est considérable. Parlant du commerce de Marseille, Français de Nantes écrit: «L'état des importations et des exportations dans les derniers mois de l'an IX ne présente pas un mouvement égal à celui qu'offraient autrefois quinze jours de paix. » La misère est parfois si grande qu'elle ne touche pas seulement les classes populaires. Français de Nantes signale le cas de deux ingénieurs des ponts et chaussées qui sont morts de faim, faute d'être payés par l'État. Que dire des rentiers? Le bilan du Directoire, à la lecture de ces rapports, est donc lourd. Mais le passif n'en a-t-il pas été volontairement exagéré ? Était-il juste de lui faire endosser des erreurs commises antérieurement à son avènement? L'ŒUVRE DU DIRECTOIRE En lisant les résultats de l'enquête de l'an IX, il faut tenir compte des sentiments d'hostilité de certains conseillers d'État à la Révolution. De plus, L'État de la France à la fin de l'an VIII, d'Alexandre d'Hauterive, et bien d'autres brochures de circonstance montrent que les partisans de Bonaparte, bien avant la Légende, avaient eu intérêt à noircir le Directoire pour justifier le coup d'État. Non que la période qui précéda le Consulat ait été l'une des plus glorieuses de l'Histoire de France. Mais on a volontairement laissé dans l'ombre les succès de Masséna triomphant des Russes à Zurich et de Brune repoussant à Bergen en Hollande un débarquement anglo-russe ; ces victoires écartaient dès septembre 1799 tout péril extérieur. On a oublié l'œuvre de Ramel, créant l'administration des contributions qui enlevait aux corps élus la répartition et la perception des impôts. On a négligé la politique scolaire du ministre de l'Intérieur puis directeur, François de Neufchâteau, multipliant les écoles centrales et imaginant le régime des bourses. Sa politique économique ne mérite pas moins d'attention. « Le peuple, observait-il, ne se rattachera au régime que par la prospérité. » Bien avant le Blocus napoléonien, François de Neufchâteau a tenté d'assurer l'hégémonie française sur le continent en imposant des traités de commerce favorables à.l'industrie, en ouvrant des routes transalpines et en fermant l'Europe aux produits anglais par un système douanier renforcé. Le 4 frimaire an VI est créée une caisse d'escompte du commerce. De douze actionnaires au début, elle en compte cent à la fin de l'année 1798. Pour mener à bien une telle politique, le ministère de l'Intérieur a renoué avec la tradition des grandes enquêtes administratives de l'Ancien Régime ; ainsi l'enquête industrielle de l'an V qui concernait non seulement la production mais le nombre d'ouvriers par fabrique, le développement du machinisme, la comparaison avec les produits étrangers et le problème des débouchés. Une circulaire du 27 fructidor an VI lança le projet d'une description statistique des départements. Un dénombrement cantonal « de la population et des bestiaux de toute espèce » fut entrepris. François de Neufchâteau envisagea également l'établissement d'un tableau de la population par canton avec des observations sur les causes d'augmentation ou de diminution. La politique du Directoire annonça sur de nombreux points celle du Consulat. La tradition n'a retenu que l'instabilité politique d'un régime soumis à la pression de deux oppositions: à gauche les jacobins, à droite les royalistes. Les coups d'État et l'insécurité née d'une guerre civile larvée ont masqué des succès intérieurs et extérieurs dont le Consulat sut tirer profit. Les récentes recherches des historiens ont montré que la malchance du Directoire est d'avoir correspondu à une longue période de dépression économique qui s'étend de 1796 à 1801. Il eut la lourde charge de liquider la gestion financière de la Révolution. L'émission excessive des assignats en était arrivée vers 1796 au point que les frais d'impression dépassaient la valeur du papier monnaie lui-même. La création des mandats territoriaux vint accélérer cet avilissement ; leur suppression n'eut pour résultat que de diminuer les échanges: si l'offre redevenait abondante, l'argent continuait à se cacher. L'agio passe de 1 à 3 % par mois. L'anéantissement du crédit et la diminution du volume de la monnaie métallique aboutirent à une déflation. A la hausse des prix agricoles qui avait enrichi les paysans succédait une baisse générale aggravée encore par une série de récoltes abondantes. Le prix de l'hectolitre de blé tomba de 19,48 francs à 16,20 francs. La conséquence logique de cet effondrement fut une sous-consommation rurale dont souffrirent le commerce et l'industrie au moment où se rétrécissaient les débouchés extérieurs en Europe et où se produisait la rupture avec la Turquie à cause de l'expédition d'Égypte. Le mouvement de déflation se répercuta sur les salaires et favorisa le chômage, empêchant les ouvriers des villes de profiter suffisamment de la baisse du prix du pain. Marasme dans les grands centres textiles du Nord et de l'Ouest; situation désastreuse de la soierie lyonnaise ; crise du commerce à Paris. Les ports n'offrent pas un tableau plus brillant : Marseille a vu décliner le trafic avec le Levant pour des raisons exposées plus haut ; Bordeaux, qui avait bien résisté jusqu'alors grâce à la venue de navires américains qui embarquaient vins et eaux-de-vie en dépit de l'interdiction du Directoire, le 29 nivôse an VI, s'effondre ; Nantes offre un spectacle de désolation; même Toulon, en dépit de son arsenal, n'est pas épargné. Le Journal du Commerce de Bordeaux énumère les maux qui assaillent «les principales villes maritimes»: pénurie des espèces, banqueroute, gêne apportée par la marine anglaise aux communications. Dans les dernières années du Directoire, la dépression qui touchait toutes les catégories sociales, anéantit les efforts de rétablissement entrepris par François de Neufchâteau. C'est la fin du marasme économique (qui devient évidente à partir de 1801) et la façon spectaculaire dont fut surmontée la brève crise de 1802, qui ont contribué à accréditer l'idée d'un redressement miraculeux de la France dû au Premier Consul. Il n'en demeure pas moins que Bonaparte a su créer le climat de confiance indispensable à une reprise de l'activité économique en se conciliant les faveurs de la bourgeoisie sans laquelle en 1799 rien n'eût été possible, dans la mesure où elle détenait à la fois l'argent et les talents. A l'origine de l'autorité acquise auprès d'elle par le nouveau chef de l'État, plusieurs réussites dans un intervalle de deux ans : le budget en équilibre et le paiement de la rente en numéraire, la pacification de la Vendée et le rétablissement de l'ordre, la réconciliation avec Rome, la fin de la guerre non seulement continentale mais maritime. Molé confiera à Tocqueville: «J'avoue que j'ai été ébloui en voyant cette reconstruction si rapide du gouvernement. Tout me paraissait pulvérisé, détruit sans ressource. Je n'imaginais pas comment on pouvait rien reconstruire.» Et il ajoute: « Ma jeunesse me dérobait les ressources que présentait la société d'alors pour une pareille œuvre; ce fut ma grande erreur, je le confesse.» Le «miracle consulaire » n'eût pas été possible sans l'appui des notables et de la classe moyenne. C'est encore Tocqueville qui note: Bonaparte impose vingt-cinq centimes additionnels en arrivant au pouvoir, on ne dit rien. Le peuple ne se retourne pas contre lui; l'ensemble de ce qu'il faisait était populaire. Le gouvernement provisoire prendra la même mesure en 1848 et succombera aussitôt sous l'anathème. Le premier faisait la révolution dont on voulait; le second, celle dont on ne voulait pas. NOTES SOURCES : Sur l'état de la France en Brumaire, en dehors de l'Almanach national de l'an VII et de l'an VIII, les sources essentielles datent du Consulat, on ne perdra pas de vue en conséquence leur caractère partiel et partial : F. Rocquain, L'Etat de la France au 18 Brumaire (1874 ; rapports des conseillers envoyés en mission dans les départements); A. Aulard, L'État de la France en l'an VIII et en l'an IX (1897; rapports de Fouché et du ministre de l'Intérieur). Les statistiques des préfets en l'an IX complètent cette documentation: l'Aisne par Dauchy, l'Allier par Huguet, l'Aube par Bruslé (cf. Bourdon, Révolution française, 1912, pp. 102-130), les Bouches-du-Rhône par Michel, la Charente par Delaistre, le Doubs par Debry, la Drôme par Colin, le Gers par Balguerie, l'Ille-et-Vilaine par Borie (étudié par H. Sée, Annales historiques de la Révolution française, 1925, p. 151-163), la Loire-Inférieure par Huet, la Lozère par Jerphanion, le Lot-et-Garonne par Pieyre, la Meurthe par Marquis, le Mont-Blanc par Saussay, la Moselle par Colchen, les Basses-Pyrénées par Serviez, le Bas-Rhin par Laumond, le Rhône par Verninac, la Haute-Saône par Vergnes, la Sarthe par Auvray, la Seine-Inférieure par Beugnot (Dejean, Révolution française, 1906, pp. 512-537 et 30-52), les Deux-Sèvres par Dupin, le Tarn par Lamarque, la Vendée par Lebretonnière et les Vosges par Desgouttes ont fait l'objet de publications entre l'an IX et l'an XII. La meilleure a été fournie pour le Nord par Dieudonné, 3 vol., an XII, réédition récente à compléter par l'Annuaire statistique de S. Bottin. Cette statistique a été étudiée par J. Bridenne dans La Revue du Nord, 1964, pp. 371-383. On lira G. Hottenger, L'Etat économique de la Lorraine au lendemain de la Révolution d'après les mémoires statistiques des préfets de l'an IX ( 1924). Parmi les brochures : Hauterive, De l'État de la France à la fin de l'an VIII (œuvre fameuse de l'an IX, pure propagande bonapartiste) ; Ramel, Les Finances de la République de l'an IX (1801; défend l'œuvre du Directoire); F. d'Ivernois, Tableau historique et politique des pertes que la Révolution et la Guerre ont causées au Peuple français (Londres, 1799). OUVRAGES : L'historiographie du Directoire est discutée dans L. Sciout. Le Directoire ( 1895-1897) ; G. Lefebvre, Le Directoire (nouvelle édition par Suratteau, 1978) ; M. Dunan, Histoire intérieure du Directoire (1953); M. Reinhard, La France du Directoire (1956) ; A. Soboul, Le Directoire et le Consulat (1967) ; D. Woronoff, La République bourgeoise (1972). Parmi les études locales qui montrent les tentatives du Directoire pour reprendre en main son administration : M. Reinhard, Le Département de la Sarthe sous le régime directorial (1935); Suratteau, Le Département du Mont-Terrible sous le régime du Directoire (1965); Clemendot, Le Département de la Meurthe à l'époque du Directoire (1966); J. Merley, « La situation économique et politique de la Haute-Loire sous le Directoire... », Cahiers d'Histoire, 1971, pp. 393-402. La conjoncture économique a ruiné les efforts de redressement du Directoire : Dejoint, La Politique économique du Directoire (1951), et surtout Chabert, Essai sur le mouvement des revenus et de l'activité économique en France de 1798 à 1820 (1949). Sur l'un des artisans du redressement, François de Neufchâteau: les biographies de J. Lhomer (1913), Lacape (1960), Marot (1966, cf. compte rendu par J. Tulard, Journal des Savants, 1966, pp. 234-242). Sur la vie quotidienne: M. Lyons (1975) et Godechot (1977). DÉBATS OUVERTS Longtemps accablé par l'historiographie de droite (L. Madelin, La France du Directoire, 1922) ou de gauche (Mathiez, Le Directoire, 1933 ; s'arrête en Fructidor), le Directoire a-t-il été victime de la légende napoléonienne ? Une tentative de réhabilitation s'esquisse aujourd'hui dont on trouvera les éléments dans Gaxotte et Tulard, La Révolution française, p. 404. Ainsi A. Soboul ne voit-il aucune solution de continuité entre le Directoire et le Consulat ; simplement, au lieu d'une dictature révolutionnaire on eut une dictature militaire. Les réformes financières du Consulat ont dû beaucoup à Ramel (M. Marion, Histoire financière, t. IV); le brigandage a persisté sous le Consulat (M. Marion, Le Brigandage pendant la Révolution, 1934; G. Sangnier, Le Brigandage dans le Pas-de-Calais de 1789 à 1815, 1962); c'est le Directoire qui a inventé le Blocus continental (G. Pariset, Études d'Histoire révolutionnaire et contemporaine, 1929, p. 113). « Le Consulat hérita d'entreprises en cours d'exécution et s'en attribua le mérite. En politique, seul le court terme est efficace » (Woronoff, La République bourgeoise, p. 225). CHAPITRE II Les nouvelles institutions En décembre 1799 un mot court Paris: « Qu'y a-t-il dans la Constitution ? — Il y a Bonaparte. Pourtant ce n'est que par étapes que Napoléon parvint à la plénitude du pouvoir. Il n'était pas le seul vainqueur de Brumaire et dut d'abord se séparer de Sieyès ; jusqu'à la victoire de Marengo, son pouvoir resta contesté. Les thermidoriens s'interrogeaient sur ses intentions. Étranger aux assemblées, absent de Paris sous le Directoire, Bonaparte connaissait mal les hommes politiques de son temps, il fut donc obligé de s'en remettre à son frère Lucien, à Cambacérès ou à Talleyrand pour le choix du nouveau personnel ; son expérience juridique et financière était limitée et ses interventions au Conseil d'État témoignèrent d'effarantes ignorances. Aussi faut-il se garder de voir en Bonaparte l'ordonnateur unique des grandes réformes du Consulat. Il convient d'attribuer une part importante du redressement de l'an VIII à ces grands commis de l'Ancien Régime qu'étaient Lebrun et Gaudin. L'œuvre institutionnelle alors accomplie porte leur marque, elle reflète la volonté politique des nouveaux notables ; elle est un compromis entre les conquêtes de la Révolution et les institutions de la vieille monarchie, sans le roi et la noblesse. L'HEURE DE SIEYÈS Après le coup d'État de Brumaire, les vainqueurs s'étaient mis au travail. Le pouvoir exécutif avait été confié à trois consuls, Sieyès, Roger Ducos et Bonaparte. Ils choisirent aussitôt leurs ministres. Cambacérès et Fouché furent conservés à la Justice et à la Police, Gaudin était appelé aux finances et Berthier à la Guerre; Talleyrand remplaça Reinhardt aux Relations extérieures le 22 novembre. Quatre ministres et deux consuls étaient des survivants du Directoire. Le coup d'État ne s'était pas fait au profit d'hommes nouveaux mais d'un nouveau régime. Des commissions avaient été en effet nommées le soir même pour préparer une réforme politique. Mais les commissaires n'avaient guère d'idées ; ils se tournèrent vers Sieyès, réputé pour sa profonde connaissance du droit constitutionnel. L'heure avait enfin sonné pour l'ancien abbé, dévoré par la passion de rédiger des constitutions. Après dix jours de méditation, l'oracle rendit sa réponse : le pouvoir exécutif appartiendrait au grand électeur, assisté de deux consuls, l'un à la guerre, l'autre à la paix, indépendants l'un de l'autre et nommés par le grand électeur ; le pouvoir législatif reviendrait à trois assemblées choisies sur des listes de notabilités. Le mot était lâché, la France serait celle des notables, entendons des propriétaires. L'une de ces assemblées, le Sénat, pourrait absorber le grand électeur et les consuls, s'ils devenaient trop puissants. Sieyès résuma son projet en une formule qui en définissait exactement l'esprit césarien : « L'autorité vient d'en haut et la confiance d'en bas. » Précisons toutefois que son plan ne conduisait pas le peuple à abandonner ses prérogatives à un homme mais à une assemblée, le Sénat, que Sieyès entendait recruter lui-même parmi les thermidoriens, ces conventionnels qui s'étaient maintenus constamment au pouvoir depuis la chute de Robespierre. Homme de la Révolution, Sieyès ne croyait qu'au gouvernement d'assemblée et refusait toute autorité aux individus. Comment dans ces conditions Bonaparte aurait-il pu s'accommoder des idées de Sieyès ? Quand l'ancien abbé vint lui proposer la place du grand électeur, poste honorifique et pourvu d'un traitement énorme, le général refusa brutalement ce rôle de « cochon à l'engrais ». Une vive tension s'instaura entre les deux vainqueurs de Brumaire. « Sieyès, disait Bonaparte, croit seul posséder la vérité ; quand on lui fait une objection, il répond comme un prétendu inspiré et tout est dit. » De son côté Sieyès dénonçait publiquement l'intention de Bonaparte « de devenir roi », accusation terrible en un temps où les convictions républicaines de nombreux brumairiens étaient encore solidement ancrées. Talleyrand usa vainement de ses talents de diplomate pour raccommoder les adversaires. D'un coup l'avenir du régime nouveau parut compromis par ces dissensions, et Barras, l'ancien maître du Directoire, envisageait déjà l'éventualité d'un retour au pouvoir. Quand l'opinion apprit que Bonaparte refusait le poste d'électeur à vie que lui destinait Sieyès, ce fut Bonaparte qui passa pour le vrai républicain et qui se concilia, si l'on en croit les rapports de police, la faveur du public. Assuré de l'appui populaire, le consul convoqua chez lui les commissaires chargés de rédiger la constitution. Les séances de travail eurent lieu, onze soirs de suite, dans un salon du Luxembourg. Des amendements considérables furent apportés aux projets de Sieyès. Comment Bonaparte, inexpérimenté en matière de droit constitutionnel, parvint-il à les imposer ? Il devait en donner l'explication plus tard à Sainte-Helène. « Ces hommes, qui écrivaient très bien et avaient de l'éloquence, étaient cependant privés de toute solidité dans le jugement, n'avaient pas de logique et discutaient pitoyablement. » Appréciation sévère mais exacte. Bonaparte sut dominer les idéologues par son bon sens et plus encore par sa résistance physique. « Pour les affaires publiques, administratives et militaires, ajoutait-il, il faut une forte pensée, une analyse profonde et la faculté de pouvoir fixer longtemps les objets sans être fatigué. » Sciemment Bonaparte prolongeait tard dans la nuit les débats sur la Constitution pour désarmer par la lassitude ses adversaires. LA CONSTITUTION DE L'AN VIII A Roederer, l'un de ses conseillers, il déclarait : « Il faut qu'une constitution soit courte et... » claire, allait ajouter Roederer, « courte et obscure », trancha Bonaparte. A cet égard la nouvelle constitution, qui reprenait au profit de Bonaparte les grandes lignes du projet de Sieyès, était un chef-d'œuvre d'ambiguïté. On ne pouvait néanmoins s'y tromper très longtemps. Le pouvoir était concentré entre les mains du Premier Consul, bien qu'il fût flanqué de deux autres consuls et de quatre assemblées dont le Sénat conservateur cher à Sieyès. Le peuple n'avait eu aucune part dans le coup d'État; étranger à la formation du nouveau régime, il était écarté de son fonctionnement. Aucune mention n'était faite du principe de la souveraineté nationale. En apparence le suffrage universel était rétabli. Tout citoyen âgé de vingt et un ans, domicilié depuis un an dans sa commune, avait le droit de vote; mais il n'y avait pas d'élections, seulement des présentations. Les électeurs réunis au chef-lieu d'arrondissement désignaient le dixième d'entre eux pour former une liste de notabilités communales. Ces notabilités désignaient à leur tour dans la même proportion des notabilités départementales et celles-ci établissaient, selon un procédé identique, des listes de notabilités nationales. Sur ces listes, le gouvernement choisissait les fonctionnaires communaux et départementaux et les membres des assemblées nationales. Le pouvoir législatif était partagé entre quatre assemblées. Le gouvernement avait seul l'initiative des lois, les projets étaient préparés au Conseil d'État formé de trente à quarante membres nommés et présidés par le Premier Consul. Ils étaient ensuite soumis au Tribunat, assemblée de cent membres, renouvelée par cinquième tous les ans, qui pouvait les discuter et indiquait son opinion par un vœu de refus ou d'acceptation. Les projets passaient ensuite au Corps législatif (trois cents membres dont le cinquième renouvelable annuellement). Celui-ci, après avoir entendu trois commissaires du gouvernement expliquer les intentions du Premier Consul et trois tribuns faire connaître le vœu de leur assemblée, procédait à un vote sans débat. Le Sénat, composé de soixante inéligibles à tout autre emploi public, âgés d'au moins quarante ans et se recrutant par cooptation, nommait les membres du Tribunat et du Corps législatif en les choisissant sur les listes de notabilités nationales. Gardien de la constitution, le Sénat pouvait annuler les actes qui lui avaient été présentés par le Tribunat comme inconstitutionnels. Aucune publicité n'était donnée à ses séances, ce qui l'isolait de la nation. Ce mécanisme compliqué qui aboutissait à la paralysie du pouvoir parlementaire venait du système de Sieyès, et Bonaparte l'avait habilement gardé. Mais pour le pouvoir exécutif, il en fut autrement. Le grand électeur disparut ; le remplacèrent trois consuls décennaux nommés par le Sénat. Les trois premiers, Bonaparte, Cambacérès et Lebrun, furent désignés par la constitution. Le Premier Consul, Bonaparte, avait seul la réalité du pouvoir : initiatitive des lois qu'il promulguait, nomination des conseillers d'État, des ministres et des fonctionnaires, droit de guerre et de paix. Les deux autres consuls avaient simplement voix consultative. Les ministres étaient responsables devant les consuls. Il n'y avait pas de ministère proprement dit. Encouragés par Bonaparte, des antagonismes personnels opposaient d'ailleurs ces ministres. Lucien, à l'Intérieur, entra en rivalité avec le responsable de la police, Fouché, que détestait également Talleyrand. Certains ministères furent dédoublés par la création d'un directeur général puis ministre du Trésor, à côté du ministre des Finances, et à côté de celui de la Guerre, d'un directeur de l'administration de la guerre. Principal ministère visé : l'Intérieur. Lucien protesta lorsqu'on proposa de le flanquer de directeurs généraux recrutés parmi les conseillers d'État. Il ne put empêcher toutefois l'institution d'une direction générale des Ponts et Chaussées confiée à Cretet. «Il est utile, déclarait son frère, qu'un conseiller d'État soit appelé à la manipulation des affaires, pour que les lois dont il s'occupe dans son cabinet soient d'accord avec les besoins et la possibilité de l'exécution. » LE PLÉBISCITE Un article de la constitution prévoyait: «La présente constitution sera offerte de suite à l'acceptation du peuple français.» Cette règle, déjà posée sous la Révolution à propos des constitutions de 1793 et 1795, servait en réalité Bonaparte. A des élections était substitué un plébiscite sur un projet constitutionnel qui, fatalement — par suite de la personnalité de Bonaparte —, se transformait en plébiscite sur un homme. Comment se déroula ce plébiscite ? D'une manière qui ne manque pas aujourd'hui de nous surprendre mais qui n'étonna pas les contemporains. Il fut décidé que seraient ouverts dans chaque commune des registres où les citoyens inscriraient, à la suite de leur nom, un oui ou un non qu'ils pourraient d'ailleurs motiver. Une telle consultation, si elle permettait à chacun d'expliquer sa position, ne respectait pas le secret du vote. Celui-ci, de surcroît, n'eut pas lieu partout en même temps. Il commença immédiatement à Paris mais fut retardé en province. Beaucoup de citoyens hésitaient à venir voter, ils craignaient qu'en cas de troubles, les listes des personnes ayant exprimé leur opinion ne devinssent des listes de proscription. Pour les rassurer, le gouvernement dut promettre qu'après la consultation les registres seraient brûlés. Il n'en fit rien, et la plupart de ceux qui furent ouverts dans les administrations, les mairies, les études de notaire et les justices de paix, nous ont été conservés. Ces registres montrent la confusion dans laquelle s'est déroulée la consultation. Un dépouillement permet d'y retrouver un nombre important de savants et d'artistes. Fait significatif, les anciens conventionnels apportèrent leurs suffrages à Bonaparte. Il y eut peu de votes négatifs. D'après Le Moniteur, on enregistra à Paris 12 440 « oui » et 10 « non ». La proportion des refus paraît nettement plus élevée en Corse : nul n'est prophète en son pays. La Constitution fut finalement approuvée par 3011007 voix contre 1 562. Faut-il s'en étonner ? Il est exceptionnel qu'un gouvernement perde un référendum à moins de témoigner d'une volonté suicidaire. Mais le danger peut venir des abstentionnistes. Comment n'auraient-ils pas été nombreux en l'an VIII ? Les conditions de hâte dans lesquelles fut organisée la consultation, le retard venant des nouveaux administrateurs qui n'avaient pas été mis en place partout, et l'influence jacobine qui restait grande en province et le fait qu'il fallait aussi compter avec les royalistes. Si l'abstention pouvait s'expliquer dans les temps troublés de la Révolution, ne risquait-elle pas d'être interprétée, dans une époque plus calme, comme un désaveu du gouvernement ou tout au moins comme une marque de défiance à son endroit ? Or Bonaparte avait besoin d'un large soutien populaire se traduisant par une participation électorale plus élevée. Lucien a compris cette nécessité. Dépouillant les résultats, un chercheur, M. Langlois, a mis en lumière les truquages opérés par le ministre de l'Intérieur. Le chiffre de trois millions de « oui » pour un électorat de cinq millions de citoyens parut représenter une franche majorité. Or il n'y aurait eu qu'un million et demi de « oui » véritablement exprimés. N'importe; les services de Lucien arrondirent tous les chiffres des départements, récupérant ainsi près de 900 000 voix. On y ajouta 500 000 « oui » représentant le vote de l'armée qui ne fut pas consultée mais dont on affirma — un peu vite — qu'elle témoignait de sentiments bonapartistes. Le tour était joué. Bonaparte n'avait d'ailleurs pas attendu les résultats définitifs pour mettre en application la constitution. Il est donc impossible de tirer un enseignement sérieux de cette consultation, le vote étant public et les résultats truqués. Mais il ne faut pas croire les contemporains qui affirmèrent que « tout individu, quels que fussent son âge, son sexe, sa condition, son pays, fut non seulement admis mais invité à signer ». L'examen des registres ne confirme en rien de telles assertions. Les résultats ont reflété l'opinion générale mais le plébiscite ainsi compris, loin d'être une libre consultation populaire, n'était que la ratification du fait accompli : « C'est de la sorte que fut fondée en France, écrivait A. Aulard en 1926, la République plébiscitaire. » A la place des multiples représentants qu'il avait jusque-là chargés de légiférer et de gouverner, le peuple français se donna un représentant unique, Napoléon Bonaparte. Avant même d'avoir été adoptée, la constitution était entrée en vigueur. Le personnel politique fut recruté parmi les modérés, anciens feuillants ou thermidoriens auxquels on s'efforça de mêler quelques notables qui s'étaient précédemment abstenus. On y ajouta quelques monarchistes repentis. Au Sénat entrèrent, choisis principalement par Sieyès, des généraux (Kellermann, Hatry, Lespinasse, Sérurier), des amiraux (Bougainville et Morard des Galles), des magistrats, des savants (Berthollet, Monge, Laplace, Daubenton, Lagrange), des écrivains (Volney, Destutt de Tracy), des banquiers (Perrégaux), un peintre (Vien). Trente-sept sur soixante étaient des parlementaires de carrière (Cornudet). Les Anciens et les Cinq-Cents avait fourni Dubois-Dubais, Garat, Lenoir-Laroche, Vimar et Cornet, pour ne retenir que les plus connus; les assemblées antérieures, Garan-Coulon, Dailly et François de Neufchâteau. Au Tribunat dominaient les idéologues : Daunou, Benjamin Constant (poussé par Mme de Staël), Dupuis, Jean-Baptiste Say, Laromiguière, Andrieux, Marie-Joseph Chénier, Desrenaudes, Ginguené. Le choix avait porté sur des hommes jeunes, connus pour leur esprit critique. Sieyès espérait constituer ainsi une opposition officielle et constructive. Il restait, contrairement à Bonaparte, un parlementaire dans l'âme. Sieyès, maître de la France, le Tribunat eût joué un grand rôle. Sur les trois cents membres du Corps législatif, deux cent soixante-dix-sept venaient des anciennes assemblées. Citons Grégoire, Dalphonse, Bréard... Ainsi allait se perpétuer à travers les régimes le personnel politique hérité de la Révolution. LES RÉFORMES ADMINISTRATIVES Dans l'élaboration de la Constitution, Bonaparte avait joué un rôle prépondérant ; il n'en fut pas tout à fait de même dans les réformes administratives où les interventions de Chaptal et de Cambacérès furent déterminantes. Les principes libéraux de la Révolution — pouvoir collégial, élection et autonomie des administrations locales — furent abandonnés par la loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800). On revint ainsi dans un souci d'efficacité à la politique de centralisation. La division du territoire en départements, arrondissements et communes était conservée, mais leur administration fut confiée au préfet dans le département, au sous-préfet dans l'arrondissement, au maire dans les communes, tous nommés par le Premier Consul mais choisis par les notables. Le préfet ressuscitait l'intendant; cependant ce dernier avait eu ses pouvoirs limités sous l'Ancien Régime par l'existence des corps privilégiés, parlements et États provinciaux. Balayés par la Révolution, de tels obstacles n'existaient plus devant le préfet. Les conseils locaux (conseils municipaux, d'arrondissement et généraux), nommés par le gouvernement, n'avaient d'autres pouvoirs que financiers. Les conseils de préfecture se consacraient au contentieux administratif. Paris et le département de la Seine occupaient une place particulière. Par réaction contre les institutions collégiales mises en place sous la Révolution et qui s'étaient révélées inefficaces, Bonaparte et ses conseillers établirent une administration qui s'inspirait de celle antérieure à 1789. Le département de la Seine fut divisé en trois arrondissements communaux. Le premier (Pantin, Belleville, Clichy, Passy) et le deuxième (Vincennes, Montreuil, Sceaux) eurent un sous-préfet. Le troisième arrondissement constitué par Paris n'en reçut pas. La capitale, redevenue commune unique, resta pourtant divisée en douze arrondissements municipaux, ayant chacun à leur tête un maire responsable de l'état civil. Mais le véritable maire de Paris fut le préfet de la Seine, installé à l'Hôtel de Ville, et qui hérita des pouvoirs du prévôt des marchands. Paris n'eut pas de conseil municipal, le conseil général de la Seine en tint lieu. On souhaitait éviter non seulement la présence à la tête de la ville d'un maire élu qui eût été plus puissant que le préfet mais aussi prévenir la résurrection d'une assemblée analogue à la commune insurrectionnelle de 1792 qui porta la responsabilité des massacres de septembre. Ménagée sur le plan fiscal comme sur celui de la conscription, la capitale était l'objet d'une surveillance attentive. Comme la tâche du préfet s'annonçait écrasante et qu'on pouvait craindre de le voir négliger la sécurité de la capitale, on lui adjoignit un second magistrat spécialement chargé du maintien de l'ordre. Ce fut le préfet de police, héritier du lieutenant général de la vieille monarchie. Bonaparte choisit, sur la recommandation de Fouché, un ancien procureur au Châtelet, Louis-Nicolas Dubois. Le recrutement des préfets s'opéra surtout, comme celui du Sénat et du Corps législatif, parmi les anciens membres des assemblées révolutionnaires. Frochot préfet de la Seine, Mounier qui remplaça Borie, en Ille-et-Vilaine, Dauchy (Aisne), Lameth (dans les Basses-Alpes en 1802), Marquis (Meurthe), Huguet (Allier), Giraud (Morbihan), Méchin (Landes), Eymar (Léman), Harmand (Mayenne), Joubert (Nord), Ricard (Isère), Pougeard (Haute-Vienne) étaient d'anciens constituants. Beugnot (Seine-Inférieure), Rabusson-Lamothe (Haute-Loire), Rougier de la Bergerie (Yonne), Montaut-Desilles (Maine-et-Loire), Verneilh-Puiraseau (Corrèze), Boullé (Côtes-du-Nord), Richard (Haute-Garonne), Nogaret (Hérault), Lamarque (Tarn), Imbert (Loire), Roujoux (Saône-et-Loire) venaient de la Législative ; Letourneur (Loire-Inférieure), Jean de Bry (Doubs où il remplaça Marsson en 1801), Thibaudeau (Gironde), Colchen (Moselle), Quinette (Somme), Jean Bon Saint-André (Mayence), Pelet de la Lozère (Vaucluse), Cochon de Lapparent (Vienne), Bailly (Lot), Musset (Creuse), Lacoste (Forêts), Delacroix (Bouches-du-Rhône), Guillemardet (Charente-Inférieure), Brun (Ariège) avaient appartenu à la Convention ; Texier-Olivier (Basses-Alpes) et Riou (Cantal) siégeaient auparavant dans les assemblées du Directoire. Quelques généraux étaient là pour rappeler le caractère autoritaire de la fonction. Diplomates et littérateurs (Ramon de Carbonnières refusa) étaient en revanche peu nombreux. Le choix fut effectué par le Premier Consul à partir de listes présentées par Cambacérès, Lebrun, Talleyrand et Lucien Bonaparte qui eut souvent le dernier mot. Clarke joua aussi son rôle, il imposa Shée, son oncle, dans le Bas-Rhin ; lui succédera Lezay-Marnesia, parent de Joséphine. Même lorsqu'ils avaient été ministres (Bourdon, Delacroix, Faypoult), membres du comité de Salut public (Jean Bon Saint-André) ou du Directoire (Letourneur), les préfets n'étaient en réalité que des comparses. Les vedettes de la Révolution étaient mortes ou en exil. Mais ces personnages de second plan n'en symbolisaient pas moins l'esprit de 1789. Qu'attend-on de ces préfets ? Qu'ils représentent le gouvernement dans les départements, qu'ils développent, en liaison avec le corps des Ponts et Chaussées animé par une équipe exceptionnelle de grands ingénieurs (Prony, Becquey-Beaupré, Dumoustier, Brémontier), une politique de travaux publics que, faute d'argent, le Directoire n'a pu mener à bien. Améliorer l'état des routes apparaît comme la priorité des priorités, mais les ponts, la navigation intérieure, les ports, les fortifications doivent également retenir leur attention. On n'en est pas encore à l'heure des bilans, mais si les premiers résultats seront souvent brillants, très vite les préfets ont été noyés sous la paperasse. Dans ses Mémoires, Vaublanc se plaindra des difficultés qu'il rencontra comme préfet de la Moselle, mais c'était en 1810. Les problèmes matériels ont été les premiers que les préfets ont dû surmonter. Texier-Olivier rend compte au ministre de l'Intérieur de son installation : « Après onze jours de route, je suis arrivé hier au poste qui m'a été délégué, non sans peines et sans fatigues. Le mauvais état des routes et la difficulté de voyager dans les montagnes ont retardé ma marche. » Souvent le bâtiment réservé à la préfecture est inconfortable ; il arrive même que le préfet doive le partager avec l'évêque. Du moins l'éloignement de Paris assure-t-il une plus grande indépendance, partant un plus grand pouvoir. Les nouvelles parviennent au préfet du Lot avec six jours de retard. Lors de la conspiration de l'an XII, ce préfet se plaint de n'avoir eu connaissance du complot que par les journaux et des informations recueillies par d'autres fonctionnaires. Les préfets doivent prendre des initiatives. Leur indépendance est toutefois limitée par la surveillance qu'exercent plus ou moins sur eux dans le département l'évêque ou le commandant de la division militaire. La loi du 27 ventôse an VIII (18 mars 1800) compléta la réorganisation administrative de la France en adaptant aux nouveaux cadres la hiérarchie judiciaire. Chaque canton eut un juge de paix; chaque arrondissement un tribunal civil de première instance et un tribunal correctionnel, chaque département un tribunal criminel. Au-dessus : vingt-neuf tribunaux d'appel dont le ressort correspondait à peu près aux anciennes divisions provinciales, et à Paris un tribunal de Cassation dont le procureur général fut Merlin de Douai, « la démarche d'une hyène », dira Molé, mais une exceptionnelle connaissance de la jurisprudence. Si l'inamovibilité des juges était rétablie, ceux-ci étaient désormais des fonctionnaires nommés par le Premier Consul, et près de chaque tribunal un commissaire du gouvernement jouait à la fois le rôle du ministère public et celui de surveillant de ses confrères. LE REDRESSEMENT FINANCIER Plus encore qu'une réorganisation administrative, c'était un redressement des finances qu'il importait en priorité de mener à bien. La condition était indispensable à toute consolidation du nouveau régime. Or, en Brumaire, il ne restait dans les caisses de l'État, dit-on, que 16 1000 francs. Ancien collaborateur de Necker, Gaudin, appelé au ministère des Finances, poursuivit les réformes entreprises sous le Directoire. En novembre 1799 était créée une direction des contributions directes. Aux corps élus furent substitués pour la répartition et la perception des impôts des agents de l'État : directeurs et contrôleurs dressaient les rôles des contributions; receveurs et percepteurs recueillaient l'argent. Ils étaient astreints à verser un cautionnement. Comme l'avait tenté Ramel sous le Directoire, le gouvernement demanda moins à l'impôt foncier qu'aux impôts indirects (enregistrement, tabac, boissons). Les rentrées d'argent devinrent régulières et le budget de l'État était enfin en équilibre en 1802. Restait à ranimer le crédit. Gaudin créa le 29 novembre 1799 une caisse d'amortissement alimentée par les cautionnements des receveurs généraux et dont la gestion fut confiée à Mollien qui avait appartenu, sous l'Ancien Régime, aux Fermes générales. Il eut pour mission de diminuer la dette publique en rachetant des rentes. Pour rendre confiance au commerce, la caisse des comptes courants créée en 1796 par Perrégaux s'effaça au profit d'une Banque de France fondée le 13 février 1800. Banque privée, dirigée par des régents (Perier, Perregaux, Mallet, Lecouteulx, Récamier, Barillon), elle devait faciliter et régulariser le marché monétaire et atténuer les crises en offrant un large crédit aux maisons gênées. L'escompte des lettres de change et des billets à ordre, des avances sur recouvrement, l'ouverture de comptes courants et l'émission de billets au porteur : telles étaient ses principales opérations. Son union avec le gouvernement favorisa son succès. Une loi du 14 avril 1803 lui attribua le monopole pour quinze ans de l'émission des billets de banque. Le souvenir des assignats était apparemment effacé. Mais l'effet psychologique le plus spectaculaire du redressement financier fut la reprise du paiement en numéraire des rentes de l'État. Cette mesure contribua à accroître la popularité du régime dans les milieux bourgeois, la confiance retrouvée permit l'établissement d'une nouvelle monnaie : en mars 1803 une loi créait un franc de cinq grammes d'argent, le fameux franc germinal, qui devait rester stable jusqu'en 1914. Redressement spectaculaire que celui des deux premières années du Consulat, même si l'on ne peut oublier les réformes déjà mises en route sous le Directoire. Faut-il y voir « la préface d'un nouvel Ancien Régime » ou la stabilisation de la Révolution ? Certes les préfets continuent l'œuvre des intendants, le Conseil d'État remplace le Conseil du roi comme le préfet de police de Paris le lieutenant général. Bonaparte avait appartenu à la noblesse pauvre de l'Ancien Régime et son entourage à l'administration de la vieille monarchie. Comment l'auraient-ils oublié au moment de réorganiser la France ? Mais celle-ci avait été transformée par dix années de révolution : ils devaient aussi en tenir compte. De ce compromis naquit, selon la formule d'Hippolyte Taine, « la France contemporaine », dont les institutions sont parvenues jusqu'à nous. C'est qu'elles assuraient la prépondérance de la nouvelle bourgeoisie et non cette dictature militaire que l'on dénonce à tort, alors que Bonaparte a précisément écarté du pouvoir politique les généraux qui gravitaient autour du Directoire, pour s'appuyer sur les notables. Les régimes passeront, les institutions consulaires ne seront pas modifiées. Empire, Monarchie, République ne seront que des épiphénomènes. Au-delà de l'instabilité politique, c'est la permanence de l'administration mise en place sous le Consulat qu'il faut considérer. NOTES SOURCES : Le fonds de la secrétairie d'État aux archives nationales (AF IV) est capital. On y ajoutera l'ensemble de la série F pour le ministère de l'Intérieur (les dossiers des préfets sont dans la série FIBI) et BB pour la Justice. Y adjoindre les séries K, L, M des archives départementales. Les débats des assemblées figurent dans Le Moniteur et les Archives parlementaires (Nlle série, t.I et II) ainsi que dans l'Histoire parlementaire de Buchez et Roux. Pour les lois, en dehors du Bulletin des Lois, se reporter au recueil plus commode de Duvergier (t. XI, XII et XIII). Le texte de la Constitution de l'an VIII est donné par J. Godechot, Les Constitutions de la France (1970). On trouvera une bonne description de l'administration dans l'Almanach national (annuel). Aulard a publié en 1894 le Registre des délibérations du Consulat provisoire. Chaptal a fourni dès 1801 l'Analyse des procès-verbaux des Conseils généraux des départements (an VIII, an IX). On pourra se référer également au Recueil de lettres circulaires et instructions émanées du ministre de l'Intérieur (1820). La lecture de la Correspondance de Napoléon It' (t. VI à VIII) avec les suppléments de L. de Brotonne et de Lecestre est indispensable. Parmi les Mémoires : Barante (t. I, 1890), Barère (t. III), Barthélemy (1914), Beugnot (1889), Billaud-Varenne (éd. Begis, 1893, sur l'opposition républicaine), Fouché (éd. Madelin, 1945), Gaillard (Un ami de Fouché d'après les Mémoires de Gaillard, par Despatys, 1911), Gaudin (1826 ; capital pour l'histoire financière de la période), Mercier (Bull. Soc. archéol. et hist. de l'Orne, 1962, pp. 99-126 ; intéressant pour la Banque de France et le conseil général de l'Orne), Miot (1858), Mollien (éd. Gomel, 1898 ; fondamental), Pelet (Opinions de Napoléon, 1833), Plancy (1904), Puymaigre (1884), Réal (éd. Musnier-Desclozeaux, 1835), Roederer (Journal, éd. Vitrac, 1909), Thibaudeau (Mémoires sur le Consulat, 1827 ; Mémoires, 1913 ; remarquable témoignage sur le Conseil d'État et les préfectures), Vaublanc (1833). On lira aussi Ramel, Des Finances de la République (an X). OUVRAGES : Une bonne description des institutions est donnée dans A. Edmond-Blanc, Napoléon Ier. Ses institutions civiles et administratives (1880; très clair); Poullet, Les Institutions françaises de 1795 à 1814 (1907 ; vieilli et confus) ; F. Ponteil, Napoléon Ier et l'organisation autoritaire de la France (1956, commode), J. Godechot, Les Institutions de la France sous la Révolution et l'Empire (éd. 1968, essentiel); F. de Dainville et J. Tulard, Atlas administratif du Premier Empire (1973). La genèse de la Constitution de l'an VIII est exposée par M. Deslandres, Histoire constitutionnelle de la France, t. I (1932), et surtout J. Bourdon, La Constitution de l'an VIII (1942). Le plébiscite de l'an VIII a fait l'objet d'une étude très neuve de Cl. Langlois qui a mis en lumière les falsifications de Lucien Bonaparte (Annales historiques de la Révolution française, 1972, pp. 42-65, 231-246, 390-415). Le rôle de Cambacérès dans l'établissement des nouvelles institutions nous est connu grâce à ses biographes : Vialles (1908), Thiry (1934), Papillard (1961) et surtout J. Bourdon (Bulletin de la Société d'Histoire moderne, 1928, pp. 67-74), et P. Metzger, « Cambacérès remplaçant de Bonaparte an VIII - an XIII, Révolution française, 1902, pp. 528-551). Les Assemblées n'ont inspiré que quelques travaux superficiels : Dutruch, Le Tribunat, 1921, Welschinger, « Tribuns, députés et sénateurs de 1804 à 1810 » (Revue hebdomadaire, 1898, pp. 246-263), L. de Brotonne, Les Sénateurs du Consulat et de l'Empire (1895), et l'utile Sénat de Napoléon, de J. Thiry (1931). En revanche, le Conseil d'Etat est maintenant bien connu, malgré la perte de ses archives. Au gros volume collectif, Le Conseil d'État, 1799-1974 (1974), il faut ajouter les ouvrages précis et détaillés de Ch. Durand : Études sur le Conseil d'État napoléonien (1949); Le Fonctionnement du Conseil d'État napoléonien (1954); L'Emploi des Conseillers d'État et des Maîtres des Requêtes en dehors du Conseil (1952); Les Auditeurs au Conseil d'État de 1803 à 1814 (1958); La Procédure contentieuse devant le Conseil d'État de 1800 à 1814 (1953); «Les intérêts commerciaux et le recrutement du Conseil d'État sous le Consulat et l'Empire » (Conseil d'État. Études et Documents, 1961, pp. 189-206); La Fin du Conseil d'ÉTAT napoléonien (1954). Autres travaux : Marquiset, Napoléon sténographié au Conseil d'État (1913; débats du conseil en 1804 et 1805); J. Bourdon, Napoléon au Conseil d'État (1963, procès-verbaux inédits de Locré); T. Sauvel, « L'Empereur et le Conseil d'Etat statuant au contentieux, 1806-1815 » (Revue de Droit public, 1973, pp. 1389-1403). Les préfets ont été beaucoup étudiés. Les ouvrages généraux peuvent rendre des services : Aulard, « La Centralisation napoléonienne » dans Études et leçons, t. VII (1913), pp. 113-195; Regnier, Les Préfets du Consulat et de l'Empire (1913); P. Henry, Histoire des Préfets (1950); J. Savant, Les Préfets de Napoléon (1958; commode liste des préfets avec leurs notes administratives en annexe; des inexactitudes) ; Ch. Durand, Quelques aspects de l'administration préfectorale sous le Consulat et l'Empire (1962; très neuf; critique Savant); J. Waquet, « Note sur les origines des premiers préfets du Consulat », Actes du 96e congrès nat. des Soc. sav. 1971 (1976) ; met en rapport lieux de naissance et nominations des préfets ; souligne que plus du tiers des préfets n'étaient plus en poste après l'an X ; Whitcomb, « Napoleon's prefects», American historical Review (1974); J. Tulard, Les préfets napoléoniens dans les actes du colloque Les préfets en France (1978). On trouvera des biographies dans H. Faure, Galerie administrative ou Biographie des préfets (1839), Lamothe-Langon, Biographie des préfets (1826) et Les préfets (Arch. nat., 1981). Parmi les études régionales: Dejean, Un Préfet du Consulat, Beugnot (1897); Saint-Yves et Fournier, Le Département des Bouches-du-Rhône de 1800 à 1810 (1899); Lévy-Schneider, Jean Bon Saint-André (t. il- 1901); Chavanon et Saint-Yves, Le Pas-de-Calais de 1800 à 1810 (1907); Pingaud, Jean de Bry (1909); Benaerts, Le Régime consulaire en Bretagne (1914); Viard, L'Administration préfectorale dans le département de la Côte-d'Or (1914); Barada, « Les préfets du Gers sous le Consulat et l'Empire », Annuaire du Gers, 1922, pp. 415-431; R. Durand, L'Administration des Côtes-du-Nord sous le Consulat et l'Empire (1925; étude modèle qui envisage tous les aspects de la fonction préfectorale); E. Gauthier, « Les préfets du Calvados sous le Consulat et l'Empire », Mém. académie de Caen, 1942, pp. 467-496 ; Rocal, Du 18 Brumaire à Waterloo en Périgord (1943); L'Huillier, Études sur l'Alsace napoléonienne (1947); J. Godechot, « Les premiers préfets de l'Aude », Actes Congrès rég. Soc. sav. de Carcassonne (1953, pp. 17-33); L. Gros, La Maurienne sous le Consulat et l'Empire (1955); J.-L. Thiry, Le Département de la Meurthe sous le Consulat (1957); Soulet, Les Premiers Préfets des Hautes-Pyrénées, 1800-1814 (1965); P. Boucher, Cochon de Lapparent (1969); Derlange, « L'administration préfectorale de Dubouchage dans les Alpes-Maritimes, 1803-1814 » (Nice historique, 1969, pp. 119-124); G. Clause, « Un préfet napoléonien, Bourgeois de Jessaint, préfet de la Marne », Vie en Champagne (1970, pp. 10-16 : résumé d'une volumineuse thèse de doctorat encore inédite sous forme imprimée mais ronéotypée en 1983, et consacrée à un exceptionnel cas de longévité préfectorale) ; M. Rebouillat, « L'administration préfectorale dans le département de Saône-et-Loire », Revue d'Histoire moderne, 1970, pp. 860-879 ; G. Thuillier, « Le corps préfectoral de la Nièvre de 1800 à 1814», Sociétés savantes 1970 (1974, pp. 413-432) ; Riouffol, « Un type de mauvais préfet », Revue de l'Institut Napoléon (1976, pp. 21-29 ; Rabusson-Lamothe, Haute-Loire) ; Eckert, « Lezay-Marnesia », Saisons d'Alsace, 1964, pp. 265-311 ; Molitor, Von Utertan zum administré (1980, le département de Rhin et Moselle) ; Suissa, Le département de l'Eure sous le Consulat et l'Empire (1983). Les sous-préfets sont moins connus : G. Clause, «J.-B. Drouet, sous-préfet de Sainte-Menehould. 1800-1814 », Revue de l'Institut Napoléon (1975, pp. 51-71); A. Antoine, La Sous-Préfecture d'Auxerre,1811-1816 (1908) ; M. Molinier, « Samuel Bernard, sous-préfet d'Annecy», Revue Savoisienne (1976). Peu d'études sur les conseils généraux : J. Godechot, « L'opposition au Premier Empire dans les conseils généraux et les conseils municipaux » (Mélanges Jacquemyns. Bruxelles, 1968, pp. 385-391, vote de crédits plus réduits que ceux demandes par les préfets à l'occasion de fêtes impériales; concerne surtout le Sud-Ouest); Curie-Saimbres, « De quelques préoccupations des préfets et du conseil général tarnais sous le Consulat » (Congrès féd. Soc. Languedoc-Pyrénées; Roussillon-Gascogne, 1971, pp. 407-426) ; A. Maureau,« Le personnel du conseil général du Vaucluse, an VII-1815 », Revue de l'Institut Napoléon (1977). Rien sur les communes, en dehors des considérations générales de J. Bourdon, « L'administration communale sous le Consulat », Revue des Études napoléoniennes, 1914, pp. 289-304, et d'un point de détail concernant Lyon, étudié par Dutacq, « Napoléon et l'autonomie communale », ibidem, nov. 1922, pp. 199-204 ; cf. aussi Tournerie, « Les secrétaires municipaux ambulants » (Cahiers de l'IFSA, 1979, institution destinée à pallier les carences des maires). Sur la qualité du personnel municipal (médiocre dans l'ensemble) : A. Maureau, « Maires et adjoints dans le Vaucluse » (Provence historique, 1979). Les conseils de préfecture ont été également négligés : J. Bienvenu, « Recherches sur la pratique contentieuse des conseils de préfecture, an VIII-an XII », Rev. hist. Droit, 1975, pp. 12-37 ; Laporte sur le Puy-de-Dôme, Rev. Auv., 1960. Paris occupe une situation particulière décrite par J. Tulard, Paris et son administration, 1800-1830 (1976). Sur des points particuliers : Passy, Frochot (1867; a eu des documents disparus dans l'incendie de l'Hôtel de Ville en 1871); M. Roussier, Le Conseil général de la Seine sous le Consulat (1960); M. Fleury et B. Gille, Dictionnaire biographique du Conseil municipal de Paris et du Conseil général de la Seine, Ire partie (1800-1830) (en cours de publication ; travail fondamental pour la connaissance des notables parisiens) ; le manuel de Felix (éd.1957, par Lévy et col.). Le rouage essentiel du gouvernement est la secrétairerie d'Etat étudiée par Ernouf, Maret (1878). Il y a peu à tirer de J. Savant, Les Ministres de Napoléon (1959, anecdotique). Sur le ministère de l'Intérieur, Pigeire, Chaptal (1932); sur la Justice, J. Bourdon, La Réformejudiciaire de l'an VIII (1942) et La Formation de la magistrature sous le Consulat décennal, an VIII-an X (1942); Tribunal et Cour de Cassation. Notices sur le personnel, 1791-1879 (1879); Guillaume Metairie, Les juges de paix parisiens sous le Consulat et l'Empire, Bulletin de la Société de l'histoire de Paris, 1983, pp. 199-239 ; sur les Finances, Stourm, Les Finances du Consulat (1902) ; M. Marion, Histoire financière de la France depuis 1715, t. IV (1925, ouvrage capital) ; R. Bigo, La Caisse d'escompte et les débuts de la Banque de France (1927) ; G. Ramon, Histoire de la Banque de France (1929, excellent), R. Lacour-Gayet, « Les Idées financières de Napoléon », Revue de Paris, 1938, t. III, pp. 562-593 ; Fr. La Tour, Le grand argentier de Napoléon, Gaudin, duc de Gaëte (1962) ; R. Szramkiewicz, Les Régents et Censeurs de la Banque de France (1974, important). On peut compléter les études anciennes de Braesch, Finances et Monnaie révolutionnaire (1936), t. V, la livre tournois et le franc germinal et l'Histoire du Franc (1953) de R. Sedillot par M.-O. Piquet-Marchal, « Pourquoi la France a-t-elle choisi le bi-métallisme en 1803 ?» Revue Hist. Droit, 1973, pp. 579-626. DÉBATS OUVERTS L'histoire de l'administration, longtemps négligée, connaît un nouvel essor. Or la période consulaire et impériale a été un véritable âge d'or pour la bureaucratie en raison du caractère centralisateur et autoritaire du régime. Si l'on commence à mieux percevoir la vie des bureaux (J. Bourdon, « Les conditions générales de nomination des fonctionnaires au début du Consulat », Bull. Soc. Histoire moderne, 1931, pp. 31-33 ; G. Thuillier, La Vie des bureaux sous le Premier Empire, Témoins de l'administration, 1967, ch. II; J. Tulard, « Les directeurs de ministère sous l'Empire », Actes du colloque sur les directeurs de ministère XIXe -Ire moitié XXe siècle, 1976), on saisit mal le pouvoir de décision des ministres. Quel fut le poids de leur entourage, les Gaillard, Jal ou Beauchamp autour de Fouché, les Montrond, Le Chevalier, Roux-Laborie et autres Villemarest qui formaient « l'atelier » de Talleyrand ? Leur contrôle sur les services paraît nul, les tâches techniques leur échappent. Le cabinet ministériel ne se développera qu'avec le régime parlementaire (J. Tulard, « La notion de cabinet ministériel sous le Consulat et l'Empire » dans Histoire des Cabinets des ministres de France, 1975). La création de directeurs généraux, rivaux en puissance des ministres, gagnerait à être étudiée (Petot, L'Administration des Ponts et Chaussées, 1958). Ils venaient du Conseil d'État (Duchâtel à l'enregistrement, etc.). Le redressement financier a fait l'objet de nombreux travaux sans qu'il soit répondu à toutes les questions. C'est G. Thuillier qui, se fondant sur diverses brochures (Basterreche, Essai sur les Monnaies, an IX ; Des Rotours, Mémoire sur la nécessité d'une refonte générale, an XI et les rapports de Bérenger), a mis en lumière l'anarchie monétaire du Consulat et la genèse de la loi du 7 germinal an XI concernant la fabrication et la vérification des monnaies. G. Thuillier est sévère pour la réforme : « En dressant une monnaie réelle contre la monnaie de compte, cette loi engageait pour un demi-siècle la France dans un rigoureux métallisme qui freina en partie l'essor industriel. » (« La réforme de l'an XI », Revue de l'Institut Napoléon, 1975, pp. 83-102). Le même auteur a souligné la curieuse persistance des banques de sols (« Pour une histoire des banques de sols », Revue de l'Institut Napoléon, 1973, pp. 45-53). Quel est alors le stock monétaire ? D'après G. Thuillier, compte tenu de l'émigration et de la déthésaurisation provoquée par la fonte de l'orfèvrerie religieuse, du numéraire importé de Belgique et des régions rhénanes, ce stock s'élèverait à 2,6 milliards (« Le stock monétaire de la France en l'an X », Revue d'histoire économique et sociale. 1974, pp. 247-257). On a maintes fois rappelé que les institutions données à la France par le Consulat s'inspiraient de l'Ancien Régime (Conseil d'État, préfets, en attendant la Cour des comptes, en 1807) : ce côté « réactionnaire » de la législation napoléonienne qui, « sur des fondations révolutionnaires, rétablissait un édifice de style ancien » se vérifie également dans le domaine hospitalier où « sur les assises posées par le Directoire, resurgirent la plupart des institutions exécrées par les philosophes ou les économistes du XVIIIe siècle » (développement de la charité privée, rétablissement des Filles de la Charité, rappel des aumôniers...), ainsi que le montre J. Imbert, Le Droit hospitalier de la Révolution et de l'Empire (1954). Que valait cette nouvelle administration? De Balzac à Vivien, elle semble avoir laissé une grande nostalgie. Bonin essayait de fonder une science administrative; Herbouville et Stendhal rêvaient d'une école d'administration (G. Thuillier, Témoins de l'administration, 1967 ; P. Legendre, Histoire de l'administration, 1968). Mais G. Ardant montre que son rendement fut médiocre (« Napoléon et le rendement des services publics», Revue de défense nationale, 1953). J. Favier, dans une note sur les feuilles de travail de la Secrétairerie d'État (Inventaire général de la série AF, t. I), met en lumière l'étroite subordination des ministres à Bonaparte dès le Consulat. L'emprise de la « bureaucratie », mot forgé par Peuchet date du Directoire : Clive Church, Revolution and Red Tape (1981). CHAPITRE III La paix Les résultats exacts du plébiscite de l'an VIII confirmeraient, s'il en était besoin, l'absence d'enthousiasme suscité par le coup d'État et par la nouvelle Constitution. Lors du vote on note un Midi plutôt froid, un Paris réservé, des départements belges glacés. L'adhésion de l'armée elle-même n'était pas unanime. Rien ne différenciait encore le régime consulaire du Directoire. Si grand qu'ait été le prestige de Bonaparte, on le distinguait mal dans l'opinion du clan des thermidoriens devenus brumairiens ; beaucoup pensaient assister à une seconde opération des deux tiers destinée à perpétuer au pouvoir les anciens conventionnels, après la mise à l'écart des plus compromis comme Barras. Ce sont les réussites de Bonaparte qui en deux ans ont modifié l'esprit public, rassurant aussi bien les bénéficiaires de la Révolution, bourgeois et paysans acquéreurs de biens nationaux, que les nobles rentrés ou restés en France, suscitant la reconnaissance des rentiers enfin payés en numéraire et s'attirant, comme le signalent les rapports de police, la confiance des ouvriers. LA VENDÉE PACIFIÉE Première réussite : la pacification de la Vendée. Elle avait été manquée en 1795. Les conventions signées en mai n'avaient pas été respectées par suite des excès commis de part et d'autre. Hoche, alors au sommet de sa gloire, s'était usé dans de stériles négociations. Curieuse carrière vouée à l'échec par comparaison avec Bonaparte. L'exécution de Stofflet, le 25 février 1796, avait durci les positions mais favorisé en définitive l'ascension à la tête de la Vendée du curé de Saint-Laud, Bernier, gagné à l'idée d'un accord avec la République. Là où avait échoué Hoche, Bonaparte allait réussir, grâce à Bernier. Ce dernier, bien que sans illusion sur les intentions du Premier Consul, recommandait, après le coup d'État de Brumaire, l'ouverture de nouvelles discussions. Fort de son autorité, il n'allait cesser de réclamer la fin des hostilités. Malgré des appels à la résistance de Frotté, puis de Cadoudal, un premier armistice était signé le 24 novembre 1799, entre Hédouville, pour le gouvernement consulaire, Châtillon, Autichamp et Bourmont pour les insurgés. La trêve fut prolongée jusqu'au 22 février 1800. Dans le camp royaliste on nourrissait quelques illusions (inattendues après Vendémiaire et Fructidor, mais c'étaient Barras et Augereau qui avaient eu alors le rôle principal) sur les desseins de Bonaparte. Sous prétexte de discuter quelques points de l'accord, le chef chouan d'Andigné fut envoyé à Paris. Hyde de Neuville qui dirigeait, au nom du comte d'Artois, l' « agence anglaise » dans la capitale prépara l'entrevue par l'intermédiaire de Talleyrand. Le 26 décembre 1799, Hyde était introduit au Luxembourg pour en arrêter les détails : « Un homme petit entra, vêtu d'un mauvais frac verdâtre, la tête baissée, l'aspect presque minable. » C'était Bonaparte que le conspirateur prit pour un domestique. Mais quand le général s'approcha de la cheminée et releva la tête, « il parut tout d'un coup grandi et la flamme de son regard, subitement dardée, signala Bonaparte ». L'entrevue décisive eut lieu le lendemain. Il n'y a pas lieu de soupçonner le récit donné par Hyde de Neuville. Celui du général d'Andigné n'est pas moins intéressant. Même sentiment de surprise devant l'apparence physique de Bonaparte : On nous fit entrer dans un cabinet, au rez-de-chaussée. Un petit homme de mauvaise mine y entra peu d'instants après nous. Un frac olive, des cheveux plats, un air de négligence extrême ; rien, dans son ensemble, ne me donnait à penser que ce pût être un homme important. Aussi je fus un peu surpris, lorsque Hyde m'annonça que cet homme était le Premier Consul. Bonaparte reconnut, au cours de la discussion, sinon la légitimité de la révolte de l'Ouest, du moins le droit à l'insurrection contre un « oppresseur ». On parla du traité. L'accord se fit sur les principales clauses : exemption de la conscription dans les départements insurgés, remise des impôts arriérés, restitution des biens non vendus aux émigrés. Un moment il fut question du roi. « Je ne suis pas royaliste », confirma Bonaparte. Néanmoins toute ambiguité était dissipée... Comment aurait-il pu en être autrement? Au début de 1800 le Premier Consul est trop lié aux anciens thermidoriens pour esquisser un rapprochement avec les royalistes. D'Andigné en eut confirmation peu après. Je ne voulus point quitter Paris sans faire connaître à Bonaparte le véritable objet de ma mission. Je lui écrivis donc que le but de mon voyage avait été de lui offrir, de la part des chefs royalistes, tous les moyens qui étaient en leur pouvoir, s'il voulait les employer à la restauration de la monarchie. Dans cette lettre, extrêmement flatteuse pour lui, je parlais de la gloire immortelle qu'il attacherait à son nom, de la reconnaissance éternelle que lui devraient les Français. D'un côté, je lui faisais entrevoir qu'il n'y aurait point de récompense au-dessus d'un tel service ; de l'autre je lui montrais le peu de sûreté qu'il trouverait au milieu d'hommes qui, dans des vues intéressées, avaient servi tour à tour les divers gouvernements qui s'étaient succédé, et qui se tourneraient contre lui, s'il essuyait de grands revers, avec la même facilité qu'ils s'étaient portés à renverser le Directoire, dès qu'ils l'avaient vu mal assuré. Vue prophétique qu'allait d'ailleurs confirmer dans l'immédiat l'annonce, en juin, de l'issue d'abord incertaine de la bataille livrée à Marengo par Bonaparte. Celui-ci répondit par un refus voilé à d'Andigné, le 30 décembre 1799 : « Il n'a déjà que trop coulé de sang français depuis dix ans... » Néanmoins, par crainte de ses alliés, Bonaparte parut ne souhaiter donner aucune publicité à cette missive. Lorsque, par suite de l'imprudence de l'abbé Godard, tous les papiers de Hyde de Neuville furent saisis, une copie de la lettre du Premier Consul y figurait. Elle ne fut pas publiée dans le recueil imprimé des documents de l'agence royaliste livrés au public. Le 10 janvier 1800, Bonaparte lançait une proclamation dans laquelle il affirmait que la paix ne passerait que par la soumission des insurgés. « Il ne peut plus rester armés contre la France que des hommes sans foi comme sans patrie, des perfides instruments d'un ennemi étranger. » Des concentrations de troupes, sous le commandement de Brune, appelé à la tête de l'armée de l'Ouest, donnèrent un poids supplémentaire à ces menaces ; les nobles d'abord, Bourmont, Châtillon, d'Autichamp, Suzannet, renoncèrent à la lutte en janvier. Cadoudal n'abandonna qu'en février après la bataille incertaine de Grandchamp. Quant à Frotté, il tomba dans un guet-apens que l'on ne manquera pas d'imputer — à tort — au Premier Consul. « Je n'ai pas donné l'ordre, aurait-il dit en réalité, mais je ne puis dire que je sois fâché de son exécution. » La chouannerie était provisoirement éteinte. Dans ses Mémoires, d'Andigné donne la raison de cet échec : « La levée de boucliers du parti royaliste avait eu, dans son principe, l'assentiment de tout ce qui pensait bien en France. Les vœux des honnêtes gens nous suivaient, mais c'était tout. Aucun individu étranger à nos départements ne s'était réuni à nous. L'Angleterre voulait nous fournir quelques moyens de résister; elle nous refusait ceux de triompher. » Si la cause royaliste avait rencontré quelque sympathie dans l'ensemble du pays, un changement d'opinion s'opérait, de l'aveu même de d'Andigné, en faveur de Bonaparte : « Les habitants des provinces de l'Ouest virent pour la plupart, avec plaisir, un traité qui les laissait respirer. » Dans le Midi, les rapports restaient alarmants. Le 4 février 1800, la police dénonçait les agissements de l'abbé de Cyran, dit Desbaumes, et du marquis de Villard : « Le plan combiné entre les agents de l'étranger, d'anciens chefs du camp de Jalès et des gardes du corps est d'anéantir le commerce, d'intimider les négociants, d'empêcher les communications, de s'opposer à l'approvisionnement de nos armées et de forcer le peuple à la révolte. » La « chouannerie », le terme est employé également par la police pour les régions méridionales, ne se distinguait que difficilement du brigandage. Il fallut attendre le vote par le Corps législatif, après des débats houleux au Tribunat, de la loi dite du 18 pluviôse an IX (7 février 1801) établissant des tribunaux spéciaux sans jury pour pouvoir donner un coup d'arrêt au brigandage. Un arrêté du 4 ventôse créa des juridictions spéciales dans treize départements de l'Ouest et quatorze départements du Midi. L'effet fut surtout psychologique : le brigandage ne disparut pas entièrement, mais dans le Vaucluse ou le Var, tout confirme que les habitants éprouvèrent un sentiment de soulagement. D'autant que Bonaparte eut l'habileté de mêler l'indulgence à la fermeté. Le 3 mars 1800, il déclarait close la liste des émigrés à la date du 25 décembre. C'était préciser sa volonté de réconciliation nationale, tout en respectant les nouveaux droits des acquéreurs de biens nationaux. D'autres mesures suivant, on évaluait à 40 pour 100 le nombre des émigrés rentrés, vers le début de 1802. LES DERNIERS TERRORISTES A gauche les hésitations des généraux jacobins et l'épuration des administrations provinciales avaient désamorcé le danger d'une guerre civile. Les anciens « exclusifs » disposaient encore de deux moyens : provoquer des émeutes populaires et exploiter le mécontentement de l'armée ou assassiner Bonaparte. L'idée d'un soulèvement parisien était exclue, sauf explosion due à la famine. La situation du faubourg Antoine, expliqua un rapport du 16 mai 1800, est telle qu'elle ne donne lieu à aucune inquiétude. A la vérité les malveillants cherchent chaque jour à l'agiter mais la très grande majorité des habitants, quoique mécontente du défaut d'ouvrage et de la stagnation du commerce, se refuse à toute espèce de mouvement et est fortement décidée à n'y jamais prendre la moindre part. Dans la capitale, les jacobins, en dehors des conversations de café, ont seulement tenté de soudoyer les soldats qui s'y trouvaient en grand nombre depuis Brumaire. Les royalistes aussi, d'ailleurs. Les rapports de police du premier trimestre de 1800 traduisent une incontestable inquiétude : excitation à l'insubordination, tentative pour opposer certains corps à la garde consulaire présentée comme mieux équipée et mieux soldée ; déchaînement de la violence dans les rues pour créer un climat d'insécurité. Par ailleurs des émeutes éclataient dans certaines villes de province, sous prétexte de difficultés d'approvisionnement : à Toulouse des séditieux obtenaient, en mars, l'établissement d'une taxe, si l'on en croit un bulletin de Fouché, dont le ton n'est toutefois pas alarmiste, en date du 30; à Marseille on notait des désordres ainsi que dans d'autres villes du Midi. La propagande des jacobins était rendue difficile, il est vrai, par la suppression de la liberté de la presse dont ils furent les principales victimes. Jusqu'au 17 janvier 1800, les journaux avaient paru, libres de toute censure. A cette date un arrêté supprima toutes les feuilles politiques publiées à Paris sauf treize : Le Moniteur, Le Journal des Débats, Le Journal de Paris, Le Bien informé, Le Publiciste, L'Ami des Lois, la Clef du Cabinet, Le Citoyen français, La Gazette de France, Le Journal des Hommes libres, Le Journal du Soir, Le Journal des Défenseurs de la Patrie, La Décade philosophique, sous réserve d'une suppression immédiate en cas d'opposition au gouvernement. « Les journaux, écrivait Fouché, ont toujours été le tocsin des révolutions ; ils les annoncent, les préparent et finissent par les rendre indispensables. Leur nombre étant diminué, ils seront plus facilement surveillés et dirigés plus sûrement vers l'affermissement du régime constitutionnel. » Le colportage fut réglementé. Restait la circulation clandestine des pamphlets. Ils appelèrent bien vite aù « tyrannicide ». Citons Le Turc et le Militaire français de Metge qui invitait les Français à se transformer en « milliers de Brutus ». Invitation entendue. Les tentatives furent nombreuses, de la machine infernale de Chevalier au projet d'un ancien aide de camp du général Hanriot d'assassiner Bonaparte sur la route de Malmaison. La police s'en mêla : « la conspiration des poignards », visant à transpercer à coups de « stilet » le Premier Consul dans sa loge à l'Opéra le 10 octobre 1800, fut probablement la conséquence de « propos de café » gonflés par la police; elle aboutit à l'arrestation du peintre Topino-Lebrun, d'un secrétaire de Barère, du sculpteur romain Ceracchi et de l'adjudant-général Arena, frère de ce Barthélemy Arena qui aurait levé un poignard sur Bonaparte, au conseil des Cinq-Cents, le 19 Brumaire. Comment s'étonner que lorsqu'explosa, rue Nicaise, le 24 décembre 1800, une machine infernale au passage de la voiture du Premier Consul qui se rendait à l'Opéra, la responsabilité de l'attentat en ait été attribuée aux exclusifs ? Fouché eut beau faire observer que les milieux jacobins étaient bien trop surveillés pour avoir tenté un coup aussi important, Bonaparte ne voulut rien entendre. Le prétexte était trouvé pour débarrasser la capitale des derniers terroristes, bien qu'il n'y ait pas lieu de soupçonner la bonne foi du Premier Consul, convaincu de l'origine jacobine de l'attentat. Le sénatus-consulte du 14 nivôse an IX décidait « la surveillance spéciale, hors du territoire européen de la république », de cent trente exclusifs; certains étaient qualifiés de « septembriseurs » de façon à rendre impopulaires tous les déportés. Chevalier fut fusillé; Arena, Ceracchi et Topino-Lebrun montèrent à l'échafaud. Lemare avait de son côté vainement tenté d'assassiner Bonaparte au passage des Alpes, lors de la deuxième campagne d'Italie. L'opposition de gauche était brisée. Il n'y eut aucun mouvement en sa faveur, même lorsque Fouché apporta la preuve que les véritables auteurs de l'attentat de la rue Nicaise étaient des chouans, Saint-Rejeant, Carbon et Limoelan. Les deux premiers furent capturés et envoyés à la guillotine, vêtus de la chemise rouge des parricides. Hyde de Neuville désavoua l'attentat et s'enfuit. Il ne pouvait pourtant nier que l'explosion ait été la réponse des royalistes à la lettre que Bonaparte avait adressée le 7 septembre à Louis XVIII qui avait tenté une nouvelle approche le 4 juin : « Vous ne devez pas souhaiter votre retour en France; il vous faudrait marcher sur cent mille cadavres. » La maladresse de Saint-Rejeant et de Carbon entraîna le démantèlement par la police des réseaux du comte d'Artois restés actifs dans la capitale. Les rivaux de Hyde de Neuville, Précy, Imbert-Colomès et Dandré, qui avaient fondé l'agence d'Augsbourg en liaison avec Louis XVIII et travaillaient surtout dans le Midi, n'étaient guère plus heureux. Privés de l'argent anglais de Wickham, passés d'Augsbourg à Bayreuth, ils furent arrêtés par les autorités prussiennes à la demande du gouvernement français, et leurs papiers envoyés à Paris où ils furent publiés par ordre du Premier Consul en 1802. Rien ne semblait réussir à l'opposition. Les brumairiens eux-mêmes, rendus inquiets par les aléas de la campagne d'Italie, avaient cru, après le départ de Bonaparte pour la péninsule le 6 mai 1800, pouvoir préparer son remplacement en cas de décès ou de défaite. Moreau, La Fayette, Bernadotte, un triumvirat unissant Talleyrand, Fouché et le sénateur Clément de Ris avaient été envisagés pour succéder au Premier Consul; L'annonce prématurée d'un désastre français à Marengo incita certains à l'imprudence, permettant à Bonaparte de prendre ses distances lors de son retour. La « crise » servit ses intérêts en imposant à l'opinion l'idée que le Premier Consul n'était pas prisonnier de la faction politique des brumairiens, ex-thermidoriens, peu populaires en définitive dans le pays. Bonaparte pouvait se placer au-dessus des factions et apparaître comme le réconciliateur des Français. LA PACIFICATION RELIGIEUSE La pacification politique eût été impossible sans l'apaisement du conflit religieux. Parce que le trône et l'autel avaient été liés sous l'Ancien Régime, les constituants avaient cru, par la Constitution civile du clergé, pouvoir réformer l'Église en même temps que l'État; parce que l'Église avait paru confondre sa cause avec celle de la monarchie, les révolutionnaires furent entraînés dans une politique de déchristianisation que beaucoup n'avaient pas souhaitée. Les thermidoriens en vinrent, mais trop tard, à un régime de séparation qui fut surtout néfaste pour le clergé constitutionnel qui perdit tout appui officiel en même temps que le traitement que lui versait l'État. Un personnel décimé, divisé entre constitutionnels et non-jureurs; des édifices confisqués et vendus (Michelet a raconté dans ses souvenirs comment il naquit en 1798 dans l'église des dames de Saint-Chaumont, rue Saint-Denis, où son père avait installé son imprimerie) ; la foi en recul à Paris et en province : la situation de l'Église de France pouvait sembler désespérée tandis que mourait, prisonnier du Directoire, l'infortuné Pie VI. Beaucoup eurent le sentiment que l'Apocalypse était venue, que la fin du monde approchait. Une élite toutefois avait survécu aux persécutions et la masse demeurait encore attachée aux formes extérieures de la religion (les cloches, les chants et le latin) que n'avaient pu remplacer la théophilanthropie et le culte décadaire. Assez efficace en milieu urbain, la déchristianisation n'avait qu'à peine effleuré les campagnes. Le paysan n'en avait retenu que ce- qui pouvait le servir : l'affranchissement de certains « tabous » sexuels et la disparition générale de la dîme. Aussi le nouveau régime ne pouvait-il ignorer l'existence d'un problème religieux dont la solution était vitale pour son avenir. Les catholiques, au moins à Paris, avaient accueilli avec réserve un coup d'État qui n'annonçait apparemment aucun changement puisque conventionnels et idéologues restaient au gouvernement. On ignorait les intentions du Premier Consul et il est probable que Bonaparte lui-même n'avait pas d'idées bien arrêtées sur le problème religieux, sinon qu'il importait de le résoudre au plus vite. Deux solutions s'offraient à lui : laisser se développer le mouvement de restauration religieuse sans intervenir et consacrer ainsi la séparation de l'Église et de l'État, ou conclure un accord avec le chef de la chrétienté pour mettre fin au conflit et s'attribuer de la sorte le bénéfice de la paix retrouvée. Si certains idéologues penchaient pour la première solution, Bonaparte était par tempérament et par calcul davantage porté vers la, seconde. Les difficultés que soulevaient la question de l'autorité du pape sur l'Église de France, la restitution des biens nationaux, la reconstitution des ordres religieux, ne pouvaient guère être résolues par la liberté. Il était plus avantageux pour le Premier Consul de négocier avec le Pape, non seulement pour détourner ainsi les catholiques des Bourbons, mais pour asseoir l'autorité du nouveau régime. Dans son rapport sur le Concordat, Portalis a parfaitement résumé l'état d'esprit du Premier Consul : « Le bon ordre et la sûreté publique ne permettent pas que l'on abandonne les institutions de l'Église à elles-mêmes. » La religion pouvait se révéler un frein social efficace. Au-delà de la pacification, Bonaparte ne souhaitait-il pas la restauration d'une Église gallicane à sa dévotion? C'est la froide raison d'État et non les croyances personnelles qui ont dicté au Premier Consul sa conduite. Il est inutile de revenir sur le vieux problème des idées religieuses de Bonaparte. Les premières mesures prises par les consuls indiquaient la volonté du gouvernement de mettre fin aux persécutions. Par les arrêtés du 28 décembre 1799, les églises non aliénées étaient remises à la disposition « des citoyens des communes qui en étaient en possession au premier jour de l'an II » ; elles pouvaient être ouvertes en dehors du décadi. Ces décisions coïncidaient avec le Jour de l'an : « L'affluence, notait un rapport de police, a été considérable ces jours-ci à la porte des églises. Un grand nombre de celles qui avaient été fermées ont été rouvertes à la satisfaction d'une foule de personnes de tout sexe. Plusieurs se serraient la main et s'embrassaient. » Mais il était encore permis de s'interroger sur les intentions réelles du Premier Consul. Avant de partir pour la seconde campagne d'Italie, Bonaparte les avait confiées à Talleyrand : « s'aboucher avec le nouveau pape », Pie VII, que venait d'élire un laborieux conclave le 14 mars 1800. NÉGOCIATIONS AVEC ROME La victoire de Marengo, en assurant son pouvoir, permit à Bonaparte de démasquer ses intentions. Après avoir fait célébrer un Te Deum le 18 juin dans la cathédrale de Milan, moins pour « faire impression sur les peuples d'Italie », comme le prétendit le Bulletin de l'armée de réserve, que pour éclairer l'opinion française, il révéla au cardinal Martiniana, à Verceil, le 25, son dessein de négocier avec le pape. La nouvelle fut aussitôt transmise à Rome. Pie VII accepta le principe de négociations sans se dissimuler les difficultés qui l'attendaient. Mgr Spina, archevêque de Corinthe, fut invité par Bonaparte à se rendre à Paris. Après avoir obtenu l'accord de la Curie, il parvint dans la capitale le 5 novembre. C'est là seulement qu'il apprit le nom de son interlocuteur, l'ancien commissaire général des armées vendéennes, Bernier, auquel Bonaparte avait remis le soin des négociations sous l'autorité de Talleyrand. Celui-ci, en effet, ne pouvait intervenir directement en raison de son passé de prélat défroqué et concubinaire, et pas davantage Grégoire, le chef de file des « constitutionnels » qui ne cessait de prêcher la défiance à l'égard des ruses diplomatiques de la cour de Rome. En revanche, Bernier offrait une carrière plus rassurante et des qualités éprouvées de diplomate. Il lui en fallut. Commencées en novembre, les négociations durèrent plusieurs mois. Bernier sut se montrer patient. Il avait assuré la pacification politique en Vendée, il mit fin au conflit religieux. Plus que les généraux, il fut le principal artisan de la gloire de Bonaparte. Très vite les discussions achoppèrent sur la démission des évêques. Celle des évêques constitutionnels ne posait pas de problèmes, mais il n'en allait pas de même pour les anciens titulaires auxquels le pape avait demandé de se démettre. Pie VII pouvait-il exiger cet ultime sacrifice de ceux qui avaient voulu rester fidèles au Saint-Siège malgré les persécutions ? Autre difficulté : Rome souhaitait que le catholicisme fût déclaré religion d'État ou tout au moins « religion dominante », mais les négociateurs français devaient compter avec l'opinion publique qui n'aurait pas toléré un retour trop évident à l'Ancien Régime. Dernier problème : celui des biens d'Église vendus sous la Révolution comme biens nationaux. Le pape consentait à ne pas réclamer leur restitution mais les modalités de l'indemnisation restaient à fixer. Plutôt qu'une somme globale, Bonaparte préférait s'engager à assurer la subsistance du clergé sous la forme d'un traitement. Manœuvre habile qui favorisait la « fonctionnarisation» des évêques et des curés. LE CONCORDAT Un premier projet échoua au début de novembre 1800 à la suite d'une intrigue de Talleyrand qui le jugeait trop désavantageux pour les évêques mariés, et pour lui-même. Un nouveau projet fut remis en cause par l'explosion de la machine infernale : Fouché en découvrant les véritables auteurs, des agents royalistes, provoqua un durcissement de l'attitude du Premier Consul dans les ultimes discussions. Bonaparte s'impatientait, il avait besoin du Concordat pour asseoir sa popularité et détacher les catholiques de la cause royale qui conservait encore beaucoup de partisans; la lenteur romaine l'exaspérait. Devant la menace d'une occupation militaire de Rome, Consalvi, secrétaire d'État de Pie VII, dut prendre la route de Paris. D'une autre envergure que Spina, il déjoua les pièges de Talleyrand. Les dernières négociations furent dramatiques. Après trois jours de discussions autour d'un texte sans cesse corrigé et recorrigé, la date du 13 juillet 1801 avait été choisie pour la signature officielle. Au moment d'apposer son paraphe, Consalvi (directement prévenu par Bernier) découvrit que le texte qu'on lui présentait n'était pas le document retenu. Protestation, menace de rupture, élaboration d'un nouveau Concordat. Fureur de Bonaparte qui le jeta au feu et en dicta un neuvième (!) qu'il entendit imposer sans modifications aux négociateurs. Mais Consalvi resta ferme. On peut saisir alors un trait de caractère de Bonaparte : il ne s'obstine pas dans une voie qui conduit à une impasse. Une solution conciliante fut retenue. « La convention entre Sa Sainteté Pie VII et le gouvernement français » était finalement signée le 15 juillet à minuit. Dans le préambule, le gouvernement reconnaissait la religion catholique et romaine comme la religion de la grande majorité des Français. La réorganisation de l'Église de France était réglée dans les articles suivants. Principaux points : le Saint-Siège devait examiner avec le gouvernement français une nouvelle répartition des diocèses; le Premier Consul nommait les évêques auxquels le pape accordait l'investiture canonique ; évêques et curés prêtaient serment de fidélité au gouvernement; en retour ils recevaient un traitement et les églises pouvaient bénéficier de fondations. L'impression de soulagement fut générale chez les croyants. Sans tarder Pie VII signa le traité le 15 août 1801. Par le bref Tam multa, il invitait les évêques légitimes à remettre leur démission. La plupart se soumirent; quelques-uns formèrent dans l'Ouest une petite Église anticoncordataire, royaliste et schismatique, mais leur audience a été surestimée. Peu après Rome envoyait un légat dans la capitale, le cardinal Caprara; de son côté Bonaparte remplaçait dans la ville éternelle son ambassadeur, Cacault, par un personnage plus prestigieux, le cardinal Fesch, son oncle, archevêque de Lyon. Les nouvelles circonscriptions ecclésiastiques furent rapidement fixées et les nouveaux évêques en mesure d'être désignés : douze anciens constitutionnels (dont Le Coz), seize réfractaires (notamment Champion de Cicé) et trente-deux nouveaux appelés (parmi eux Bernier, qui avait espéré l'archevêché de Paris, n'en fut que le coadjuteur, et dut se contenter du diocèse d'Orléans). Il y eut pourtant des réticences. Elles vinrent moins de la Curie romaine que des assemblées françaises. Le Conseil d'État accueillit d'un silence réprobateur le Concordat; au Tribunat on ironisa ouvertement sur le texte de l'accord; le Corps législatif élut pour président un athée et le Sénat coopta Grégoire, l'ancien évêque constitutionnel, qui avait vivement critiqué l'accord. Enfin l'armée ne dissimulait pas son hostilité. Bonaparte se servit de cette opposition, facilement maîtrisée, pour faire rédiger, à l'insu du pape, par Portalis, nouveau ministre des Cultes, les articles organiques qui modifiaient profondément l'esprit du Concordat. Désormais Rome ne pouvait publier aucune bulle, n'envoyer aucun légat, sans l'autorisation du gouvernement; interdiction était faite de s'assembler en conciles sans permission, la déclaration gallicane de 1682 devait être enseignée dans tous les séminaires. Tous les ecclésiastiques s'habilleraient désormais à la française et il n'y aurait qu'un catéchisme pour toutes les églises. Pour souligner que le catholicisme avait cessé d'être religion d'État, le ministre de l'Intérieur, Chaptal, rédigea les articles organiques des cultes protestants, prévoyant pour les pasteurs comme pour les curés un traitement de l'État. LES CONSÉQUENCES DU CONCORDAT Le 18 avril 1802, jour de Pâques, une grande manifestation religieuse célébra le retour à « la paix des consciences » dans Notre-Dame de Paris rendue au culte. En sortant de l'office, le général Delmas, farouche républicain, aurait bougonné : « Belle capucinade ! il n'y manquait que les cent mille hommes qui se sont fait tuer pour supprimer tout cela. » Reproche injuste. Sauf au temps de la Terreur, parce que la confusion s'était opérée entre le catholicisme et la cause monarchiste, la Révolution n'avait pas, à ses débuts, été hostile à l'ÉGLISE. La Constitution civile du clergé fut davantage un accident qu'un complot délibéré contre le christianisme. L'enthousiasme populaire, où dominait le soulagement de voir terminée la guerre civile, balaya les réserves et fit du Génie du Christianisme, publié opportunément par Chateaubriand, un énorme succès de librairie. Ainsi le Premier Consul était-il parvenu à ses deux buts : établir la paix religieuse et soumettre l'Église à l'autorité de l'État. Sur le premier point, Louis XVIII comprit immédiatement le danger que représentait pour sa cause la perte de l'appui catholique. Dès qu'il apprit l'ouverture des négociations, il adressa des lettres de créance à Maury chargé de le représenter auprès du Saint-Siège et de faire échouer toute conciliation entre la papauté et le « gouvernement monstrueux qui désole la France depuis dix ans ». Mais Pie VII renvoya Maury dans son diocèse de Montefiascone. La fureur des royalistes après la signature du Concordat éclata en propos violents. Joseph de Maistre écrivait : « Je souhaite au pape de tout mon cœur la mort de la même manière et par la même raison que je la souhaiterais à mon père, s'il devait me déshonorer demain. » La faiblesse de l'opposition royaliste de 1803 à 1809 s'explique en partie par l'apaisement du conflit religieux. En revanche la victoire de Bonaparte sur Rome était plus précaire. Il avait souhaité un clergé dépendant de l'État et indépendant du Saint-Siège. Mais le gallicanisme, qui se justifiait à l'époque de la monarchie chrétienne, avait-il quelque chance de ressusciter sous une république dépourvue de croyances religieuses? Le réflexe de cette Église ne serait-il pas plus mystique que national ? Comment ne pourrait-elle pas préférer le Saint-Siège, centre de la chrétienté, à un chef d'État qui affirmait avec cynisme ne voir en elle qu'une force politique et sociale ? L'évêque de Nantes, Duvoisin, l'ami de Fouché, et l'un des partisans les plus fidèles du régime impérial, illustrera ce déchirement des évêques au moment du conflit entre le Sacerdoce et l'Empire : « Je supplie l'Empereur, dictait-il, quelques heures avant sa mort, en 1813, de rendre la liberté au Saint-Père; sa captivité trouble encore les derniers instants de ma vie. » VERS LA PAIX CONTINENTALE L'avènement du Consulat trouvait la France aux prises avec la deuxième coalition formée de l'Autriche, de la Russie et de l'Angleterre. Si le territoire avait été sauvé de l'invasion en septembre 1799, le rétablissement de la paix n'en était pas moins urgent. La guerre contre l'Europe ne durait-elle pas depuis plus de sept années? Bonaparte avait pu mesurer la popularité acquise lors de la signature de la paix de Campo-Formio. D'entrée de jeu, il s'adressa à l'Angleterre et à l'Autriche pour leur faire des offres de paix, mais ni le Premier ministre Pitt, ni le chancelier Thugut ne voulurent engager de négociations. La réponse de l'Angleterre fut même insolente. « Le jacobinisme de Robespierre, du Triumvirat, des cinq directeurs a-t-il donc disparu parce qu'il s'est concentré dans un homme qui a été élevé dans son sein ? » s'exclamait William Pitt. A dire vrai, Bonaparte n'attendait guère une réaction favorable ; mais l'habileté de sa démarche lui assurait l'appui de l'opinion française. Aux attaques de la presse anglaise, Le Moniteur répondait par des articles anonymes, dictés en réalité par le Premier Consul : « C'est un usage très ancien que de dire des injures à ses ennemis. Nous ne pouvons nier qu'en ce genre les Anglais n'eussent sur nous l'avantage. » Pour abattre l'Autriche, son plus proche adversaire, deux solutions s'offraient à Bonaparte : l'alliance turque à la manière de François Ier ou l'alliance prussienne de Louis XV. Descorches de Sainte-Croix, envoyé à Constantinople pour y négocier avec le sultan sur le problème de l'occupation de l'Égypte, voyait sa mission rendue sans objet par la capitulation des forces françaises à El-Arich. Auprès du roi de Prusse, le Premier Consul chargea son fidèle Duroc d'une mission diplomatique. L'accueil fut favorable : Berlin n'était pas hostile à un rapprochement dont la Prusse pouvait espérer un agrandissement en Allemagne. Mais le ministre Haugwitz n'offrit en définitive qu'une médiation. Les sentiments de Bonaparte changèrent totalement lorsqu'il apprit que Kléber, dont la capitulation d'El-Arich n'avait pas été reconnue par les Anglais, venait de remporter la victoire d'Heliopolis. Repris par son vieux rêve oriental, Bonaparte, pour sauver sa conquête égyptienne, se résolut non plus à discuter mais à dicter la paix. LA SECONDE CAMPAGNE D'ITALIE En Italie Masséna, assiégé dans Gênes, résistait héroïquement à la pression autrichienne; sur le Var, Suchet contenait l'ennemi. Pour mettre fin aux attaques autrichiennes, Bonaparte imagina une double offensive. Moreau reçut le commandement d'une armée de cent mille hommes destinée à opérer en Bavière et à y occuper, loin de la péninsule italienne, les forces que commandait le général Kray. Le Premier Consul se réservait l'Italie. Une manœuvre audacieuse — le passage du Grand-Saint-Bernard —, que la presse française rapprocha de l'exploit d'Hannibal, lui permit de contourner les Autrichiens non sans d'atroces souffrances faute de l'équipement et de l'expérience nécessaires à la conduite en montagne de grandes unités. Au débouché du col, le fort de Bard, tenu par le capitaine Bernkopf, faillit être fatal à l'expédition. Il fallut le contourner par des sentiers abrupts que ne put suivre qu'une faible partie de l'artillerie, déjà fortement éprouvée. Bonaparte entrait en Italie avec un matériel presque aussi faible que celui de 1796. Un tel effort visait à prendre à revers les Autrichiens occupés à Gênes et à Nice, coupant les routes qui les reliaient à leurs bases. Aussi Bonaparte, au lieu d'aller aider Masséna à Gênes, prit la route de Milan, où il entrait le 2 juin 1800. Les renforts venus d'Allemagne arrivaient au même moment par le Saint-Gothard. Les Autrichiens étaient pris au piège et Mélas réagit comme l'avait prévu Bonaparte en marchant vers Milan pour rétablir le contact avec son soutien logistique. Mais ce plan si bien agencé fut compromis par la chute prématurée de Gênes. Les forces de Mélas disposaient désormais d'une place forte où elles pourraient être ravitaillées par la flotte anglaise. Il n'était donc plus question d'attendre que l'ennemi tentât une percée sur le terrain choisi par Bonaparte, il fallait au contraire courir vers Mêlas pour lui interdire tout repli sur Gênes. Le contact fut difficile à trouver. Envoyé en avant-garde, Lannes accrocha l'ennemi à Montebello, le 9 juin, puis on perdit la trace des Autrichiens. Pour la retrouver, Bonaparte dut étaler ses troupes en envoyant de gros détachements — l'un d'eux sous le commandement de Desaix — vers Gênes et vers le Pô septentrional. C'était une imprudence. Napoléon la renouvellera à Waterloo et au moment décisif du combat le corps de Grouchy n'aura pas le temps de rejoindre le champ de bataille. Le 14 juin, Mélas qui avait concentré l'ensemble de ses forces sur la Bormida attaquait Bonaparte dont les effectifs avaient été considérablement réduits par l'envoi en avant des détachements. Si ces derniers ne revenaient pas à temps, la bataille qui s'engageait à Marengo ne pouvait qu'être favorable aux Autrichiens dont la supériorité numérique était écrasante. A trois heures de l'après-midi, malgré une résistance désespérée, l'armée de Bonaparte se décidait à la retraite et Mélas pouvait considérer la victoire autrichienne comme acquise. C'est alors que surgit, vers cinq heures, guidé par le bruit du canon, le général Desaix avec la division Boudet ! L'effet de surprise sur les Autrichiens fut total; ils avaient cru la bataille terminée. A dix heures les troupes de Mélas avaient repassé la Bormida; la défaite française s'était transformée en victoire. Elle le devait au retour de Desaix, tué peu après, et non au génie militaire de Bonaparte. A cet égard, les différents récits de la bataille donnés par Napoléon, du bulletin de l'armée d'Italie aux dictées de Sainte-Hélène, ont donné une version très remaniée de ce combat où la part de Desaix fut minimisée au profit du Premier Consul. LE TRAITÉ DE LUNÉVILLE La victoire de Marengo qu'amplifia la propagande bonapartiste renforçait l'autorité personnelle de Bonaparte en France. Mais les termes de la convention signée par Mélas à Alexandrie, prévoyant l'évacuation par les Autrichiens du Piémont, de la Lombardie et de la Ligurie, ne mettaient pas fin à la guerre. Vienne pouvait encore espérer une victoire en Allemagne. Les défaites de Kray devant Moreau en Bavière rendirent cet espoir illusoire. L'Autriche se décida à négocier. Le nouveau chancelier Cobenzl vint à Lunéville pour discuter avec Joseph Bonaparte, mais les pourparlers traînèrent en longueur sous le prétexte que son traité de subsides avec l'Angleterre interdisait à l'Autriche toute paix séparée avant février 1801. « Il est aisé de voir, écrivait Joseph, qu'à chaque pas vers une pacification raisonnable la cour de Vienne n'a été déterminée que par le sentiment de ses dangers et c'est surtout sur l'attitude de nos armées que nous devons compter. » Exaspéré, le Premier Consul fit rouvrir les hostilités. Pendant que l'armée d'Italie, sous le commandement de Brune, se mettait en marche en Lombardie, du côté allemand, Moreau cernait l'archiduc Jean, le 3 décembre 1800, dans la forêt de Hohenlinden, et anéantissait le gros des forces autrichiennes, ouvrant aux Français la route de Vienne. Victoire éclatante que Bonaparte ne devait pas pardonner à son rival. L'Italie, après les succès de Dupont à Pezzolo, de Macdonald dans les Alpes et de Murat dans le royaume de Naples, passait à peu près entièrement aux mains des Français. Les Autrichiens étaient donc contraints d'accepter les conditions de Bonaparte. Signé le 9 février 1801, le traité de Lunéville confirma les cessions de territoires faites à Campo-Formio, en Italie, en Belgique et sur le Rhin. De l'Italie, l'Autriche ne conservait que la Vénétie. Elle reconnaissait les Républiques batave, helvétique et cisalpine, cette dernière agrandie de Modène et des Légations. A travers les clauses de ce traité, apparaissaient les deux objectifs de Bonaparte : l'Italie et le Rhin. La reconnaissance par Vienne de la République cisalpine consolidait l'influence française sur l'Italie du Nord. La cession de la Toscane par l'archiduc Ferdinand à l'infante d'Espagne, mariée au duc de Parme, confirmait la pénétration de cette influence au-delà de la République cisalpine. Du côté allemand, l'Autriche devait admettre le Rhin comme limite entre la France et l'Empire mais elle se trouvait dans l'impossibilité d'interdire une intervention de la France dans les problèmes d'indemnisation des princes de l'Empire dépossédés sur la rive gauche du fleuve. LA PAIX D'AMIENS L'Autriche éliminée, restaient l'Angleterre et la Russie. De la Russie Bonaparte pouvait attendre beaucoup. Paul Ier s'était en effet pris d'admiration pour lui et un parti francophile s'était dessiné dans une cour lassée par les exigences des émigrés. Pour renforcer ce courant, Bonaparte fit libérer les sept mille soldats capturés en Suisse et écrivit au tsar, le 21 décembre 1800, pour lui proposer l'alliance « des deux plus puissantes nations du monde ». Il s'agissait plus particulièrement d'un partage de l'Empire turc qui eût donné Constantinople au tsar et l'Égypte à la France, partage auquel était hostile l'Angleterre qui protégeait le sultan pour couvrir l'Inde. Déjà le tsar se détachait de Londres et avait mis sur pieds en décembre 1800 une Ligue des neutres (Suède, Danemark et Prusse) qui fermait au commerce britannique ses débouchés essentiels, lorsqu'il fut étranglé dans sa chambre, en mars 1801, par des officiers soudoyés par le parti anglophile. Le bombardement de Copenhague par la flotte anglaise, le 2 avril, précipita la dissolution de la Ligue des neutres. Le nouveau tsar, Alexandre Ier, inaugura un rapprochement immédiat avec l'Angleterre. La nouvelle de la mort de Paul Ier fut accueillie avec consternation par Paris : « Paul Ier est mort dans la nuit du 24 au 25 mars, lisait-on dans Le Moniteur. L'escadre anglaise a passé le Sund, le 31. L'histoire nous apprendra les rapports qui peuvent exister entre ces deux événements. » Pourtant Bonaparte continua ses avances à la Russie en envoyant Duroc à Saint-Pétersbourg en avril 1801. Il n'ignorait pas qu'il ne pouvait vaincre l'Angleterre sans la maîtrise des mers; aussi travaillait-il en ce sens. Le 1er octobre était conclu à Saint-Ildefonse un pacte secret avec l'Espagne. Moyennant la promesse pour le duc de Parme d'un royaume italien, promesse tenue à Lunéville, Bonaparte recevait la Louisiane qui pouvait jouer le rôle de point d'appui dans la lutte contre l'Angleterre et six navires de guerre. Le traité d'Aranjuez confirma, le 21 mars 1801, les stipulations de Saint-Ildefonse. Par celui de Florence, le 29 mars, le roi de Naples cédait l'île d'Elbe à la France et fermait ses ports aux Anglais. Des accords étaient conclus avec Alger, Tunis et Tripoli. Le traité de Mortefontaine, le 3 octobre 1800, rétablissait, entre la France et les États-Unis, « une paix ferme, inviolable et universelle », fondée sur le respect des principes fondamentaux du droit maritime. La situation pouvait devenir dangereuse pour l'Angleterre. Certes la guerre lui avait assuré tous les profits qu'elle pouvait en attendre : conquête des colonies de la France et de la Hollande ; prise de Malte en septembre 1800; fructueuse contrebande avec les colonies américaines d'Espagne; progrès de son influence en Inde; chute imminente de l'Égypte après l'assassinat, le 14 juin 1800, de Kléber, remplacé par le pâle Menou qui signait la capitulation des troupes françaises en août 1801. Mais le nouveau prestige de la France, qui atteignait ses élites et y développait un parti francophile, inquiétait l'Angleterre. De plus l'économie insulaire se trouvait menacée par une crise née de l'inflation et des mauvaises récoltes de 1799 et de 1800. La hausse des prix provoquait des émeutes que dut réprimer l'armée. La question irlandaise et la folie du roi aggravaient encore la situation. Au début de février, Pitt s'effaçait au profit d'Addington. Lord Hawkesbury, nommé au Foreign Office, offrit à Paris de discuter sur les possibilités de paix. En réponse, Bonaparte envoya à Londres le Badois Louis Otto. Les négociations faillirent achopper sur le problème égyptien. Finalement, par les préliminaires de Londres (1er octobre 1801) il fut décidé que l'Égypte serait rendue à la Turquie et Malte restituée à ses anciens possesseurs, les chevaliers de Saint-Jean, mais l'évacuation par les Anglais en serait subordonnée à celle des ports napolitains par les Français. L'Angleterre restituait toutes ses conquêtes coloniales sauf la Trinité et Ceylan. Les préliminaires furent accueillis avec enthousiasme par l'opinion britannique lassée de la guerre et affolée par les progrès de la misère (15 pour 100 des Anglais devaient être secourus pour indigence). Il y eut pourtant quelques voix pour déplorer l'absence d'une convention commerciale. En France on fut reconnaissant au Premier Consul d'avoir tenu les promesses de Brumaire en mettant un terme au conflit. On aboutit enfin à l'élaboration d'un traité définitif à Amiens où la paix fut signée le 27 mars 1802 par Joseph Bonaparte et Cornwallis. Un accord avait déjà été conclu avec la Russie le 8 octobre 1801 et le lendemain avec la Turquie. Ravagée par la guerre depuis dix ans, l'Europe retrouvait enfin la paix. En réalité il s'agissait plutôt d'une trêve. Napoléon n'entendait nullement renoncer à son rêve oriental et l'Angleterre n'était pas résolue à reconnaître l'hégémonie de la France sur le Continent. Reprenant un mot de Burke qui voyait en 1790 un grand vide à la place de notre pays, Sheridan s'exclamait aux Communes : «Regardez maintenant cette carte, on n'y aperçoit partout que la France. » La paix d'Amiens n'en eut pas moins un énorme retentissement. Les ouvriers continuent à parler de la paix et du Premier Consul avec un enthousiasme difficile à rendre. Leur confiance dans le gouvernement est sans bornes. Il n'en est pas de même dans les grandes sociétés, on ne s'y occupe presque pas de cet heureux événement ; on en paraît, au contraire, atterré. On se contente de dire, avec une sorte d'ironie, que le peuple croit à présent que les alouettes vont lui tomber toutes rôties et l'on s'étonne du bonheur constant qui accompagne toutes les opérations du Premier Consul. En province, la nouvelle fut accueillie plus chaleureusement qu'à Paris, surtout dans les ports ruinés par les opérations maritimes. On aurait illuminé les maisons à Bordeaux. D'après les rapports des préfets, le Midi, côte méditerranéenne exceptée, aurait été plus réservé que le Nord. De toute façon le prestige de Bonaparte sortait considérablement grandi de la fin des hostilités. Après Campo-Formio et Lunéville : Amiens. Bonaparte apparaissait comme l'homme de la paix. On est encore loin de l'Ogre de Corse. LA CRISE ÉCONOMIQUE VAINCUE On doutait encore, en 1801, de la solidité du régime. Certes jacobins et royalistes avaient subi de graves échecs. L'annonce de la victoire de Marengo venait d'écraser dans l'œuf les complots que préparaient certains brumairiens inquiets du lendemain. L'armée ne bougeait pas, en dépit des intrigues de quelques généraux. Fouché assurait que les faubourgs parisiens restaient calmes. Mais à tout moment une insurrection de la rue, entraînant toutes les autres forces d'opposition, pouvait balayer le gouvernement consulaire. Bonaparte redoutait par-dessus tout une émeute de la faim. Ni Louis XVI, ni les montagnards n'avaient trouvé la parade. La force ? « Les soldats, confiait Napoléon à Gourgaud, n'aiment pas tirer sur les femmes qui, avec des enfants sur le dos, viennent crier devant les boulangeries. » La récolte de 1799 avait été médiocre et le prix du sac de farine s'était brusquement élevé; mais en juin tout rentrait dans l'ordre. La nouvelle du succès de Marengo coïncida avec une baisse du prix du pain; elle n'en eut que plus de retentissement. Subitement, au printemps de 1801, le pain renchérit dans l'ensemble de la France. Vers la fin de l'été, il valait dans la capitale 18 sous les 4 livres; la limite supportable pour un budget ouvrier était dépassée. Les habitants des environs de Paris où le prix était plus élevé, venaient s'approvisionner dans la ville, contribuant ainsi à l'accroissement de la disette. Dès quatre heures du matin, les queues se formaient aux portes des boulangeries ; un convoi fut attaqué rue Saint-Honoré. Les pillages devinrent fréquents en province. A Marseille, Lille et Amiens les magasins étaient protégés par l'armée. Déjà des orateurs s'improvisaient aux carrefours ou sur les marchés, rejetant la responsabilité de la pénurie sur le gouvernement. L'atmosphère devint dramatique quand la situation économique s'aggrava parallèlement à la disette : chômage à Lyon, Rouen et Sedan. Les rapports de préfets laissaient entrevoir un net fléchissement de l'esprit public. Les mauvais jours de la Terreur semblaient revenus. Les négociations entre la France et l'Angleterre étaient éclipsées dans l'opinion par le marasme économique et la peur de la disette. Il importait de réagir au plus vite. Bonaparte, après quelques hésitations, convoquait le 27 novembre ses ministres de la Police et de l'Intérieur, quatre conseillers d'ÉTAT, Cretet, Defermon, Roederer, Réal, et le préfet de police Dubois. Le silence sur la situation fut imposé à la presse : « La disette est une matière dont on n'entretient jamais le peuple impunément », rappelait Chaptal. Cinq banquiers reçurent mission, par arrêté du 30 novembre, de faire arriver à Paris de quarante-cinq mille à cinquante-cinq mille quintaux de grains par mois. On leur substitua bientôt une compagnie formée par les financiers Ouvrard et Vanlerberghe. Bonaparte, raconte Ouvrard dans ses Mémoires, savait que toutes les disettes peuvent amener des désordres et des commotions ; inquiétantes pour les vieux gouvernements, elles le sont encore bien plus pour un pouvoir nouveau ; il sentait que sa popularité lui échappait ; il voyait son autorité avilie, s'il tolérait des mutineries; il la voyait compromise s'il recourait à la force. Il fallait à tout prix qu'il sortît de cette position, aussi avec quel empressement, il accepta nos idées ! Contre une commission de 2 pour 100, Ouvrard et Vanlerberghe proposaient d'acheter dans les ports anglais et hollandais tous les chargements de grains qui y étaient déjà arrivés et de les faire transporter au Havre. « Le succès fut si prompt et si complet, les arrivages aux ports du Havre et de Rouen furent si considérables qu'en moins de trois semaines toutes les craintes se dissipèrent. C'était tout ce qu'il fallait pour faire cesser la disette qui affligeait la France ! » Importance de l'action psychologique, que met bien en lumière un rapport du préfet de police : « Ces arrivages produisent un bon effet, peuvent empêcher la hausse des grains et des farines et calment beaucoup les petites inquiétudes. » Le prix du pain fut maintenu en dessous du seuil fatidique des 18 sous et la boulangerie réglementée. Paris échappait à la famine. Des chantiers furent ouverts dans la capitale et des soupes « économiques » distribuées aux indigents, pour aider la population ouvrière à passer l'hiver. Des prêts sans intérêt étaient consentis à quelques manufactures en difficulté à Paris, Lyon et Amiens. « Dans les circonstances où nous nous trouvons, la Banque est trop circonspecte, écrivait Bonaparte à Perrégaux, l'un des régents ; elle pourrait davantage aider la place. » Le Premier Consul stimulait la Caisse d'escompte du commerce, surveillait les autres établissements (Comptoir commercial, Banque territoriale, caisse Lafarge, Société du numéraire) dont il se faisait remettre les états par les comités secrets. A la fin de 1802, la crise était terminée. Bonaparte avait apparemment réussi là où Louis XVI et la Révolution venaient d'échouer. On ne prit pas garde au caractère infiniment moins grave de la dépression ; il s'agissait davantage d'une panique que d'une réelle disette. On ne retint que la victoire du Premier Consul sur la famine et le chômage. Succès plus décisif aux yeux de l'opinion que Marengo et dont l'effet psychologique fut aussi grand que celui provoqué par la signature de la paix d'Amiens. NOTES SOURCES : Aux archives nationales la sous-série F' est essentielle pour les complots. Y ajouter la série Aa des Archives de la Préfecture de police. Pour les affaires religieuses, c'est la sous-série F18 (cultes) qui est fondamentale. Mais il y a beaucoup à prendre dans les archives diocésaines. L'intérêt présenté par la Correspondance de Napoléon Ier est considérable. On peut suivre l'évolution de l'esprit public dans Aulard, Paris sous le Consulat, t. II (1904). Les procès instruits contre Demerville et autres, puis contre Saint-Rejeant et Carbon ont été publiés en l'an IX. Les négociations du Concordat ont fait l'objet d'une vaste publication de Boulay de la Meurthe, Documents sur la négociation du Concordat (6 vol., 1891-1905). Pour la suite : Delacroix, Documents sur la réorganisation de l'Église de France 1801-1809 (1957). Les sentiments du clergé constitutionnel sont bien évoqués dans la correspondance entre Grégoire et Le Coz (éd. Pingaud, 1906). Du point de vue administratif : Portalis, Discours, rapports et travaux sur le Concordat (1845). Parmi les Mémoires, pour les complots, cf. Andigné (1901), Desmarest (éd. Grasilier, 1900), Fauche-Borel (suspects, 1829), Fauriel (1886, l'auteur fut secrétaire de Fouché), Fouché (éd. Madelin, 1945), Gaillard (éd. Despatys, 1911), Hyde de Neuville (1888, fondamentaux), Lavalette (1905), Nodier (1831; beaucoup d'inventions, mais des portraits assez justes des chefs de la police dont le célèbre Bertrand), Peuchet (1838; fut archiviste de la Préfecture de police). Sur le Concordat, le témoignage de Consalvi (éd. Crétineau-Joly, 1864) est fondamental malgré les critiques dont il a fait l'objet. La campagne de 1800 en Italie a fait l'objet d'une relation officielle de Berthier à laquelle il faut ajouter les récits de Coignet (éd. Mistler, 1968), Marbot (1891, nouvelle édition par J. Garnier en 1983), Masséna (1849), Thiébault (Journal du blocus de Gênes, 1801), Victor (inachevé, 1847). Sur la campagne d'Allemagne : Decaen (t. 11, 1911); sur la fin de l'Egypte : Bricard (1891), François (1903), Millet (1903), Reynier (1827), Thurman (1902). Texte des traités de Lunéville et d'Amiens dans le Recueil des Traités de la France d'A. de Clercq (t. I, 1864). Utiles sont les récits des voyageurs anglais (Yorke, trad. fr. 1921) et allemands (Heinzmann, 1800; Kotzebue, trad. Pixérecourt, 1805; Reichardt, éd. Laquiante, 1896). On lira A. Babeau, Les Anglais en France après la paix d'Amiens (1898) et Holzhausen, Les Allemands à Paris sous le Consulat (1914 dont Schopenhauer). OUVRAGES : Nombreux travaux sur la pacification de l'Ouest (L. de la Sicotière, L. de Frotté, 1888 ; Chassin, Les Pacifications de l'Ouest, t. III, 1899 ; Lenotre, Tournebut (1910), E. Gabory, Napoléon et la Vendée, 1914 ; L. Dubreuil, Histoire des Insurrections de l'Ouest, t. II, 1930; Roussel, De Cadoudal à Frotté (1962) ; P. Benâtre, « La pacification de la Mayenne (La Mayenne, 1984, pp. 95-146). Le mythe de la puissance policière du régime a suscité de multiples études depuis l'Histoire de la police de Paris, d'Horace Raisson (1844), jusqu'à L. Madelin, Fouché, et E. d'Hauterive, Napoléon et sa police (1943). Du même : Mouchards et Policiers (1936, de l'inspecteur général Veyrat à l'espion Schulmeister). Portraits des chefs de la Préfecture de police (Henry, Piis, Bertrand, Boucheseiche) dans J. Tulard, Paris et son administration. 1800-1830 (1976). Un portrait de commissaire : M. Le Clère, « Louis Beffara », Revue de criminologie de la police technique, 1951, pp. 1-8. Se reporter aussi à Guyon, Biographie des Commissaires de police (1826), et à P. Montarlot, « Un agent de la police secrète, Jean-Marie François », Bul. Soc. Hist. cont., 1912, Vue générale sur les complots dans H. Gaubert, Conspirateurs au temps de Napoléon Ier (1962), et L. de Villefosse et J. Bouissounouse, L'Opposition à Napoléon (1969). Les attentats jacobins sont évoqués par Gaffarel, « L'opposition républicaine sous le Consulat », Revue française, 1887, pp. 530-550 ; Hue, Un complot de police sous le Consulat (1909; pense que la conspiration des poignards fut un complot monté par la police et Bourrienne) ; F. Masson, «Les complots jacobins au lendemain de Brumaire », Revue des Études napoléoniennes, 1922, pp. 5-28. « La machine infernale » (J. Lorédan, 1924 ; J. Thiry, 1952) servit de prétexte pour liquider les jacobins : J. Destrem, Les Déportations du Consulat et de l'Empire (1885) ; G. Lenotre, Les Derniers Terroristes (1932) ; R. Cobb, « Note sur la répression contre le personnel sans-culotte », dans Terreur et Subsistances (1964). Le Clère a reconstitué le détail de l'enquête qui conduisit aux chouans (Revue de criminologie, 1951, pp. 33-36 ; cf. aussi E. Daudet, La Police et les Chouans, 1895) et Godechot, le Comte d'Antraigues (1986). Sur la garde nationale, force d'ordre, Carrot numéro spécial du Souvenir napoléonien (1981). Sur les complots militaires : Gaffarel, « L'Opposition militaire sous le Consulat », Revue française, 1887, pp. 865-887, 982-997, 1 096-1 111; E. Guillon, Les Complots militaires, 1894 ; G. Augustin-Thierry, La Mystérieuse affaire Donnadieu (1909, un attentat individuel contre Bonaparte où fut mêlé Fournier-Sarlovèse). La crise de Marengo, magistralement évoquée par Balzac dans Une Ténébreuse Affaire, a inspiré Ch. Rinn, Un Mystérieux Enlèvement (1910), et Hauterive, L'Enlèvement du sénateur Clément de Ris (1926). La responsabilité de Fouché est évidente sinon prouvée. Les intrigues royalistes ont fait l'objet d'études diverses : L. Pingaud, Le Comte d'Antraigues (1894, l'un des meilleurs réseaux d'espionnage) ; G. Lenotre, L'Affaire Perlet, 1923, sur l'agent royaliste Fauche-Borel) ; Reiset, Autour des Bourbons (1927; une tentative d'empoisonnement contre Louis XVIII; le rôle d'Avaray, du chevalier de Cussy, de Puisaye). Sur les contre-polices : F. Masson, « La contre-police de Cadoudal », Revue des Études napoléoniennes, 1923, pp. 97-112 ; E. d'Hauterive, Figaro policier (1928, Dossonville fut le type du conspirateur royaliste infiltré dans la police officielle) ; du même, La Contre-Police royaliste en 1800 (1931, autre infiltration par Dupérou). On peut lire aussi R. Bailly, Ange Pitou, conspirateur et chansonnier (1944). Les mesures d'amnistie prises à l'égard des émigrés sont analysées dans les livres anciens de Forneron (Histoire générale des Émigrés, t. III, 1907), Daudet (t. III) et surtout J. Vidalenc, Les Èmigrés français (1963) et Castries, La Vie quotidienne des Émigrés (1966). Le Concordat et les problèmes religieux ont suscité tant de travaux qu'il n'est pas possible de les citer ici. Excellentes synthèses dues à V. Bindel, Histoire religieuse de Napoléon, t. I (1940); A. Latreille, L'Église catholique et la Révolution française t. II (1950); Jean Leflon, La Crise révolutionnoire (1949, Histoire de l'Église de Fliche et Martin) ; A. Dansette, Histoire religieuse de la France contemporaine, t. I (1948), et surtout S. Delacroix, La Réorganisation de l'Église de France après la Révolution, t. I seul paru (1962, thèse très détaillée). Sur l'esprit nouveau : B. Plongeron, Théologie et politique au siècle des Lumières (1973). Les négociations du Concordat sont bien résumées par Boulay de la Meurthe, Histoire de la Négociation du Concordat (1920); les suites sont évoquées par A. Latreille, Napoléon et le Saint-Siège 1801-1808 (1935). Sur Pie VII, se reporter à sa biographie par Mgr Leflon (t. I seul paru, 1958). l'application du Concordat est connue grâce aux multiples études régionales : Lévy-Schneider, L'Application du Concordat par un prélat d'Ancien Régime, Mgr Champion de Cicé (1921, sur Aix); J. Leflon, Bernier, évêque d'Orléans (1938, fondamental); Roussel, Le Coz, archevêque de Besançon (1898); E. Gabory, Mgr Duvoisin, évêque de Nantes ; A. Durand, Un Prélat constitutionnel, Jean-François Perier (1900, sur Avignon); Ch. Ledré, Le Cardinal Cambacérès, archevêque de Rouen (1943, exhaustif); Mazin, Mgr Pidoll (1932, sur Le Mans); Preteseille, « Un Prélat d'Empire, Barral, archevêque de Tours », Bull. Soc. Arch. Touraine (1969, pp. 507-527); Pinet, Le Diocèse de Valence sous le régime du Concordat. L'épiscopat de Becherel (1963); J.Dissard, Mgr d'Aviau (1953, sur Bordeaux); Clause, «La mise en application du Concordat dans la Marne », 82e Congrès des Soc. sav. (1957, pp. 293-306; sur l'effacement de Reims); Palluel, L'Épiscopat de Savoie au début du XIXe siècle (1972, sur Chambéry); Le Douarec, Le Concordat dans un diocèse de l'Ouest (1958; Mgr Caffarelli à Saint-Brieuc) ; Guillaume, Mgr d'Osmond (1892, sur Nancy); Tacel, « Mgr de Villaret, évêque d'Amiens », Revue du Rouergue (1955, pp. 1-30) ; Lyonnet, Le Cardinal Fesch, archevêque de Lyon (1891); L. Mahieu, Mgr Belmas (1934, sur Cambrai); G. Lacroix, Un Cardinal de l'église d'Arras, Charles de la Tour d'Auvergne (1960); Chapusot, Mgr Colonna d'Istria (1970, sur Nice); A. Lorion, « Mgr Leblanc-Beaulieu », Revue de l'Institut Napoléon (1960, pp. 263-274, sur Soissons); Deriès, Mgr Rousseau (1930, sur Avranches); Villepelet, «Le diocèse de Bourges sous le Concordat », Cahiers Hist. arch. Berry (1972), et surtout deux monographies exemplaires : Godel, La Reconstruction concordataire dans le diocèse de Grenoble (1962),et Cl. Langlois, Le Diocèse de Vannes, 1800-1830 (1974). Sur l'abbé de Pradt, la rapide biographie de Dousset (1959) doit être complétée par le numéro spécial des Cahiers d'histoire. Les résistances au Concordat ont donné naissance au schisme de « la Petite Église » : C. Latreille, L'Opposition religieuse au Concordat (1910), et Drochon, La Petite Église (1894), sont très vieillis. Leur préférer : Billaud, La Petite Église dans la Vendée et les Deux-Sèvres, 1800-1830 (1962); P. Flament, « Recherches sur la Petite Église au diocèse de Sées » (Revue de l'Institut Napoléon, 1975, pp. 21-50). Les implications politiques sont mises en lumière par A. Dechêne, Le Blanchardisme (1932). Parmi les hérésies : Cl. Hau, Le Messie de l'an XIII (1955). Sur la vie quotidienne du clergé : Cahiers du Berry (déc. 1968). L'enquête de 1805 permit de dresser un premier bilan : Laspougeas, « Une source de l'histoire du clergé dans le diocèse de Bayeux : le recensement départemental de 1805 », Annales de Normandie, 1974, pp. 73-88. Sur les premières mesures concernant l'enseignement : R. Boudard, « La restauration de l'instruction publique dans le département de la Creuse », Revue de l'Institut Napoléon, 1984. Mise au pas progressive de la presse, outre Hatin : Cabanis, La presse sous le Consulat et l'Empire (1975, excellent), t. I de l'Histoire générale de la presse (1969); Albert, Histoire de la presse (1970); Périvier, Napoléon journaliste (1918, sur le Moniteur); Welschinger, La censure sous le Premier Empire (1887); Le Poittevin, La liberté de la presse, 1789-1815 (1901), sur le Journal des débats : Périvier (1914), sur le Bulletin de Paris: Riberette, Rev. Inst. Nap., 1969. La campagne d'Italie de 1800 n'a pas suscité autant d'intérêt que sa devancière, encore que de Bulow lui ait consacré une étude dès 1801. On lira Cugnac, Campagne de l'armée de Réserve en 1800 (1900-1901). Campana, Marengo (1900); Driault, Napoléon en Italie (1906), Gachot, La Deuxième Campagne d'Italie (1899) et Le Siège de Génes (1908), Fugier, Napoléon et l'Italie (1947) et un gros livre italien, Marengo (par Thiry, Cervi, Frassati, H. Favier) 1980. Quelques vues nouvelles dans Rodger, The War of the second coalition, a strategic commentary (1964). La bataille décisive eut lieu en Allemagne à Hohenlinden : Picard, Hohenlinden (1909). Sur la perte de l'Égypte : Rousseau, Kléber et Menou en Égypte (1900) ; Rigault, Le général Abdallah Menou et la dernière phase de l'expédition d'Egypte (1911). Pour la paix d'Amiens, on peut se limiter aux pages fameuses de Sorel, L'Europe et la Révolution française (t. VI, 1903). DÉBATS OUVERTS En dépit d'une abondante documentation, le rôle des négociateurs du Concordat continue à passionner certains historiens (C. P. Caselli, « Il cardinale Caselli », Rivista Storica svizzera, 1976, pp. 33-86). De même le problème politique lie à l'adhésion au Concordat : Lavaquery a ouvert la voie avec Le Cardinal de Boisgelin (1921). On a aussi attiré l'attention sur les origines des évêques souvent étrangers à leur diocèse : E. Hout, « Un Lyonnais évêque de Versailles », 89e Congrès des Soc. sav., Lyon, 1964, pp. 915-929 ; Balmelle, « Un Aixois évêque de Mende, archevêque d'Avignon, Mgr Morel de Mons », 83e Congrès des Soc. sav., 1958, pp. 37-39. Une comparaison avec les préfets serait utile à partir du recueil biographique des évêques de Benard. L'application du Concordat a-t-elle eu des conséquences bénéfiques pour le bas clergé? Le problème a été soulevé par J. leflon, « Le clergé du second ordre sous le Consulat et l'Empire », Rev. Hist. Égl. Fr., 1945, pp. 97-135. Il est par ailleurs dommage que la thèse de S. Delacroix, Les Congrégations religieuses sous le Consulat et l'Empire, soit restée inédite (EPHE, Ve section, 1955). Pour la discussion de tous ces problèmes on ne peut que renvoyer à Plongeron et Godel, « Un quart de siècle d'histoire religieuse », Annales hist. Rev.fr., 1972, pp. 181-203 et 352-389. Le protestantisme, on l'oublie parfois, fut victime lui aussi de la déchristianisation : déficit en pasteurs, finances amoindries, discordes profondes (Bordeaux contre Sainte-Foy, le Bocage normand contre Caen). C'est la raison pour laquelle Bonaparte, même s'il l'avait voulu, n'aurait pu faire du protestantisme la religion nationale des Français (M. Guerrini ne pense pas qu'il en ait eu l'idée : Napoléon devant Dieu, 1960). Comme l'a montré dans une thèse magistrale (qui remplace un livre ancien de Ch. Durand, Histoire du Protestantisme français pendant la Révolution et l'Empire, 1902) Daniel Robert, Les Églises réformées en France, 1800-1830 (1961), les articles organiques ont permis au protestantisme un nouveau départ (cf. aussi l'Histoire du Protestantisme d'E.G. Léonard). Mais D. Robert souligne également les dangers que la politique napoléonienne faisait courir aux Eglises réformées : le regroupement artificiel en consistoriales de six mille âmes, la suppression des synodes (en fait soumis à l'autorisation du gouvernement), la fonctionnarisation des pasteurs, l'interdiction de relations avec les communautés étrangères, allaient à l'encontre des traditions du protestantisme. Pour les Luthériens : Marcel Scheidhauer, Les églises luthériennes en France, 1800-1815 (1975 ; centré sur l'Alsace, Montbéliard et Paris). Napoléon fut-il antisémite, comme le soutient Boisandré dans une brochure rééditée en 1938, ou favorable aux juifs comme le prétendait, en le déplorant, le titre de l'étude de l'abbé Lemann, Napoléon et les Israélites, La prépondérance juive (1895) ou encore Fr. Pietri, Napoléon et les Israélites (1965) qui voulait démontrer que Napoléon avait souhaité compléter par l'assimilation des juifs, votée par la Constituante, mais restée lettre morte, son œuvre de pacification religieuse : l'assemblée juive de 1806, le Sanhédrin de 1807, les décrets de 1808, autant d'étapes visant à faire du judaïsme un troisième culte officiel? Même point de vue dans un article de Sagnac, «Les Juifs et Napoléon », Revue d'Histoire moderne, 1900-1901. R. Anchel, dans Napoléon et les Juifs (1928), ne veut retenir qu'un côté positif : l'organisation officielle du culte ; pour le reste, il pense que Napoléon, influencé par son entourage venu de l'Ancien Régime, méprisait les juifs et prit contre eux la loi sur l'usure de 1808. Cette position suscita l'irritation de Mathiez qui ne supportait pas que soit altérée une image de la Révolution et de l'Empire, protecteurs des minorités (R. Anchel, « Napoléon et les Juifs », Annales Hist. Rév. fr., 1928 et les actes du colloque La Révolution française et les Juifs, 1976). Les mises au point les plus récentes sont : Simon Schwarzfuchs, Napoléon, The Jews and the Sanhedrin (1974) et Le Grand Sanhedrin de Napoléon (1979). Les Francs-Maçons fossoyeurs du Premier Empire, il y a beaucoup d'exagération dans ce titre d'une brochure de Ch. de Flahault publiée en 1943. La Franc-Maçonnerie se limite, après sa réorganisation par Roettiers de Montaleau (cf. les calendriers maçonniques publiés alors par le Grand Orient et G. Bourgin, « La Franc-Maçonnerie sous l'Empire », Revue française, 1905), à des discours en l'honneur des autorités officielles et à de grands banquets (Bouton, Les Francs-Maçons manceaux et la Révolution française, 1741-1815, 1958 ; G. Gayot, « Les Francs-Maçons ardennais à l'époque du Consulat et de l'Empire », Revue du Nord, 1970, pp. 339-366). Le soutien entre fonctionnaires, malgré un témoignage d'Arnault, fut très limité. Les loges ont été étroitement surveillées et Napoléon n'a pas eu à s'en plaindre, sauf en ce qui concerne les loges militaires dont l'opposition donna naissance au fameux mythe des Philadelphes du colonel Oudet, lancé notamment par Nodier. Napoléon fut-il lui-même franc-maçon ? J. Palou (La Franc-Maçonnerie, 1964) le pense et reproduit des documents maçonniques qui mentionneraient une participation de Napoléon « aux travaux » de la Maçonnerie. J. Boisson, Napoléon était-il Jianc-maçon ? (1967), est sceptique. A son tour, de façon très convaincante, J. Ligou, lui-même maçon, détruit l'hypothèse d'une adhésion de Napoléon à la maçonnerie (celle de Joseph étant incontestable) : « Les Bonaparte et la Franc-Maçonnerie », Problèmes d'Histoire de la Corse, 1971, pp. 233-253. François Collaveri pense qu'il fut initié en Égypte et veut voir pour preuve de cette adhésion les nombreux documents des loges de l'époque qui font allusion à cette appartenance (La Franc-Maçonnerie des Bonaparte, 1982 ; la meilleure synthèse sur l'histoire des Loges sous l'Empire et Napoléon franc-maçon, 1986). Sur le rôle de la maçonnerie dans l'armée : Quoy-Bodin, « La Franc-Maçonnerie dans les armées de la Révolution et de l'Empire », Revue de l'Institut Napoléon, 1981 (donne la liste des 347 généraux ayant appartenu à la franc-maçonnerie). A l'exception du Fareinisme on n'a guère porté intérêt aux innombrables sectes religieuses qui pullulent alors. Les esprits avaient été profondément troublés par les événements révolutionnaires : l'exécution du roi puis la captivité du pape ne préfiguraient-elles pas l'Apocalypse? Prophètes et illuminés furent traqués par la police, non sur le plan religieux, mais sur celui de l'ordre et des bonnes mœurs. Il y avait de quoi d'ailleurs. On lit dans le bulletin de Fouché du 16 août 1805 : « L'objet de la secte de l'état de réparation est de réparer par la prostitution et la débauche la plus effrénée, les crimes d'impureté et de luxure du monde corrompu. » Singulière façon de combattre le péché ! CHAPITRE IV Un Washington couronné Après Marengo, on ne parlait plus, écrit Thibaudeau, que d'hérédité et de dynastie, de fortifier le gouvernement et de diminuer l'influence des autres corps d'État, surtout du Tribunat, et d'organiser définitivement la Nation. Lucien, ministre de l'Intérieur, était un des plus ardents propagateurs de ces idées ; Roederer les appuyait de toute la puissance de sa métaphysique et Talleyrand du suffrage de tous les cabinets. L'opinion souhaitait une transformation des pouvoirs du Premier Consul. Scrupule ou opportunisme? Bonaparte se taisait. Lucien faillit tout compromettre en répandant prématurément en octobre 1800 un Parallèle entre César, Cromwell, Monk et Bonaparte. Son frère l'envoya en disgrâce à l'ambassade de France à Madrid et le remplaça au ministère de l'Intérieur par Chaptal. Néanmoins, encouragée par l'entourage de Bonaparte et les gages donnés aux brumairiens, l'idée d'une consolidation du pouvoir consulaire cheminait; elle aboutit enfin en 1802 au Consulat à vie et deux ans plus tard à l'Empire. Il faut, disait Bonaparte à Thibaudeau, ou que la forme des gouvernements qui nous environnent se rapproche de la nôtre, ou que nos institutions politiques soient un peu plus en harmonie avec les leurs. Il y a toujours un esprit de guerre entre les vieilles monarchies et une République toute nouvelle. Voilà la raison des discordes européennes. Ainsi se trouve invoquée la nécessité d'établir un pouvoir monarchique en France pour rétablir définitivement la paix. Le mot « forme » était essentiel. L'esprit de la Révolution serait respecté mais il convenait de changer les apparences extérieures du pouvoir exécutif, de lui conférer un titre qui fût en harmonie avec ceux des autres pays d'Europe. L'affaire fut engagée sous le prétexte de donner au Premier Consul un témoignage de reconnaissance nationale après les succès tant intérieurs qu'extérieurs accumulés depuis deux ans. Mais il fallut passer par-dessus « la classe politique » réticente pour en appeler une nouvelle fois au peuple. Le vote de l'an VIII s'inspirait encore d'une procédure révolutionnaire, ceux de l'an X et de l'an XII furent de véritables plébiscites. L'OPPOSITION POLITIQUE Les brumairiens et plus particulièrement le clan des idéologues s'inquiétaient. Bonaparte prenait une importance de plus en plus grande. L'idée d'une dictature, autre que collective, les affolait d'autant que Sieyès était écarté du pouvoir. Conformément aux suggestions de Benjamin Constant, il avait peuplé les assemblées de ses partisans pour opposer aux ambitions du Premier Consul le barrage du législatif, et les tribuns avaient manifesté très tôt leur défiance. Dès l'ouverture de la première session en janvier 1800, ils avaient élu comme président Daunou, un membre de l'Institut. Duveyrier avait, à propos de l'endroit des séances de l'assemblée, le Palais-Royal, lancé : « Dans ce lieu, si l'on osait parler d'une idole de quinze jours, nous rappellerions qu'on y vit abattre une idole de quinze siècles » ; des murmures avaient accueilli un discours de Riouffe qui comparait Bonaparte à Hannibal. L'opposition gagnait le Corps législatif que présidait Grégoire. Ne l'exagérons pas toutefois. La loi sur les contributions de l'an X, celle sur les préfectures, la réorganisation juridique furent votées sans problème. La deuxième session s'ouvre en novembre 1800. Animée par Ganilh, Mallarmé, Andrieux et Constant qu'inspire Mme de Staël, l'opposition du Tribunat reprend avec plus de violence. Un projet sur les archives nationales est repoussé ainsi que celui sur la procédure des verdicts en matière criminelle. Bonaparte s'en irrite. Il s'en prend, le 5 décembre, au Conseil d'État, à « ces cordons bleus de 1793 dont l'amour-propre paraît offensé par des souvenirs mal éteints ». « Il résulte de tout ceci, poursuit-il, qu'ils nous conduiront à faire le moins de lois qu'il nous soit possible, à nous borner à celles qui seront indispensables, comme la loi du budget, et à nous taire sur le reste. » L'avertissement n'est pas entendu. La bataille continue autour des mesures d'exception, des créances de l'État et des justices de paix. Bonaparte s'irrite : « Ils sont là deux douzaines de métaphysiciens bons à jeter à l'eau. C'est une vermine que j'ai sur mes habits; mais croient-ils que je me laisserai faire comme Louis XVI ? » La menace est précise à l'égard des idéologues. En octobre 1801, commence une nouvelle session. Dupuis, l'auteur de L'Origine de tous les cultes, est élu président du Tribunat. Cet athée, ancien conventionnel, est hostile aux négociations que Bonaparte engage avec Rome, nouveau camouflet à l'égard du Premier Consul. Le mot « sujet » employé dans l'un des traités de paix que Bonaparte vient de signer avec la Russie, la Bavière, les États-Unis, les Deux-Siciles et le Portugal, suscite l'ire de Ginguené, Costaz et Jard-Panvilliers. Mais la grande bataille se livre sur les premiers projets concernant le Code civil. Bonaparte doit retirer son texte sur la jouissance des droits civils. C'est l'échec. Échec que vient encore souligner l'intervention de Chazal qui pousse l'insolence, au moment où Bonaparte part recevoir le titre de président de la République italienne, jusqu'à rappeler qu'aucun citoyen français ne peut accepter un emploi d'un gouvernement étranger. Le renouvellement du cinquième des tribuns et des législateurs fournit à Bonaparte l'occasion de se débarrasser des partisans de l'idéologie. Cambacérès, deuxième consul, fut à l'origine de l'opération. Au lieu de faire appel au tirage au sort, qui était la procédure habituelle, bien que non prévue dans la Constitution, le Sénat désigna les trois cent vingt « maintenus » et les quatre-vingts « nouveaux ». Ainsi disparurent discrètement Benjamin Constant, Laromiguière, Ginguené, Daunou, Jean-Baptiste Say, Andrieux, Isnard, Ganilh et Bailleul. Au Corps législatif où la résistance avait été plus feutrée, en raison du silence de ses membres et de l'anonymat des votes, tombèrent ceux qui avaient trop approché Sieyès ou les amis de Mme de Staël : Bréard, Lacretelle... Il n'y eut pas de protestations. En réalité, désignés et non élus, les tenants de l'idéologie ne bénéficiaient d'aucun appui populaire. Ils croyaient en leur prestige intellectuel pour en imposer à Bonaparte et à l'opinion. Lâchés par une partie des brumairiens, abandonnés par le public resté indifférent à leur sort, ils furent aisément vaincus. Les intérêts primaient les principes. Les victoires de Bonaparte pesaient d'un poids plus lourd que les œuvres complètes des idéologues. Les salons de Mme de Condorcet et de Mme de Staël n'étaient pas la France. Autre foyer de résistance, l'armée. Ses cadres étaient profondément républicains. Comment s'en étonner? Tous les généraux ne devaient-ils par leur rapide avancement à la Révolution ? « Ce qu'ils prenaient pour l'amour de la République était surtout l'amour de la Révolution, écrit Tocqueville. L'armée formait en effet, parmi les Français, la seule chose dont tous les membres, indistinctement, eussent gagné à la Révolution et eussent un intérêt personnel. » Le désœuvrement provoqué par la paix continentale, la jalousie envers un chef plus heureux ou plus audacieux, inspiraient également bien des rancœurs. On s'agitait autour de Moreau; Augereau, Lecourbe, Delmas tenaient des propos incendiaires. A Rennes, dans l'entourage de Bernadotte et de son adjoint, le général Simon, se développait la conspiration dite « des pots de beurre », ces pots étant utilisés pour véhiculer des pamphlets hostiles à Bonaparte. Celui-ci rappela à l'ordre, sans difficulté, les principaux meneurs ; Decaen partit pour l'île de France, Richepanse pour la Guadeloupe; Lecourbe fut destitué puis impliqué dans une affaire de mœurs ; Brune devint ambassadeur à Constantinople. Au manque de caractère des généraux républicains, et plus particulièrement de Bernadotte, ménagé parce qu'il était le beau-frère de Joseph Bonaparte, s'ajoutait l'attitude des troupes. Les complots militaires restaient l'apanage des cadres ; le soldat ne suivait pas. La fin des hostilités n'était pas pour lui déplaire. Soupçonné de trop ménager l'opposition et d'être hostile au projet d'un Consulat à vie, Fouché fut écarté de la police. Avec ménagements il est vrai : le ministère fut supprimé et son titulaire nommé au Sénat. Royalistes dans l'expectative, jacobins décimés et idéologues désormais sur la touche assistent, impuissants, à l'exploitation par la propagande officielle des succès de Bonaparte. Celui-ci prend figure de héros : il est l'homme du rétablissement de la paix tant intérieure qu'extérieure, le véritable rempart des conquêtes révolutionnaires, le réconciliateur national qui permet le retour des émigrés mais préserve les biens nationaux, rétablit le curé, mais refuse toute résurrection des droits féodaux. Citons les Mémoires de Lamartine. On y trouve le reflet de la ferveur populaire que suscitait Bonaparte : Le premier enthousiasme politique dont je me souviens me frappa dans une cour de village attenante à la cour de notre maison. Elle appartenait à un jeune homme nommé Janin, un peu plus instruit que ses voisins et qui enseignait à lire aux enfants de la paroisse. Un jour, il sortit d'une masure qui lui servait d'école, au son d'une clarinette et d'un tambour, et ayant rassemblé autour de lui les garçons et les filles de Milly, il leur montra les images de ces grands hommes que vendait le colporteur à côté de lui. « Voilà, leur disait-il, la bataille des Pyramides, en Égypte, gagnée par le général Bonaparte. C'est ce petit homme maigre et noir, qui caracole avec son long sabre à la main devant ces tas de pierres taillées qu'on appelle des pyramides » ; le colporteur passa la matinée à vendre cette gloire nationale et Janin à l'expliquer aux vignerons. Son enthousiasme se communiquait à tout le pays. C'est ainsi que j'eus les premières sensations de la gloire. Un cheval, un plumet, un grand sabre étaient toujours symboliques. Ce peuple était un soldat pour longtemps, peut-être pour toujours. On parla pendant toutes les soirées d'hiver, dans les écuries, de la vente de ce colporteur et Janin était sans cesse rappelé dans les maisons pour déchiffrer les textes de ces belles et véridiques images. La poésie s'en mêlait, du chantre officiel au modeste élève d'une école centrale : « Toi qui ne connus pas l'enfance dans la vie Qui suivant les élans de ton puissant génie Par la gradation craignant d'être arrêté, Arriva d'un seul pas, à la maturité. » Ou encore : a II est l'espérance Et l'appui de la France, Il lui rendra toute sa splendeur, V'là ce que c'est d'avoir du cœur.» C'est le Journal de Paris qui présente ainsi Bonaparte : La force prodigieuse des organes du Premier Consul lui permet dix-huit heures de travail par jour, elle lui permet de fixer son attention pendant ces dix-huit heures sur une même affaire ou de l'attacher successivement sur vingt, sans que la difficulté ou la fatigue d'aucune embarrasse l'examen d'une autre. C'est Joseph, grenadier à cheval de la garde des consuls, qui raconte Marengo en termes vibrants. Vaste conditionnement des esprits, commencé dès la première campagne d'Italie et qui porte rapidement ses fruits. Les notables comme le petit peuple sont acquis à Bonaparte. Dans le même temps s'opère un changement dans le soutien apporté par le personnel politique au Premier Consul et divisé en clans, Fouché contre Lucien, Talleyrand et Roederer, éminence grise des débuts du Consulat, contre le même Fouché. Les brumairiens les plus souples ou les plus convaincus de la nécessité d'un renforcement du pouvoir exécutif, Talleyrand, Cambacérès et Roederer, se rapprochent des modérés, Barbé-Marbois, Muraire, Dumas, Portalis, anciens « fructidorisés », partisans d'une monarchie constitutionnelle. Siméon résume ainsi l'attitude de ces héritiers des « monarchiens » de 1789 qui se substituent aux tenants de l'idéologie : Le peuple, propriétaire et dispensateur de la souveraineté, peut changer son gouvernement. Le retour d'une dynastie détrônée, abattue par le malheur moins encore que par ses fautes, ne saurait convenir à une Nation qui s'estime. Si la Révolution nous a fatigués, n'aurions-nous pas d'autres moyens, lorsqu'elle est arrivée à son terme, que de nous replacer sous ce joug brisé depuis douze ans? Qu'on ne se trompe pas en regardant comme une révolution ce qui n'est que la conséquence de la Révolution. Nous la terminerons. Ainsi se développe un courant « néo-monarchiste » qui pousse à la consolidation perpétuelle du pouvoir de Bonaparte. LE CONSULAT À VIE Les succès de Bonaparte justifiaient une mesure de reconnaissance nationale que réclama le 6 mai 1802 le Tribunat. Mais travaillé par Fouché, chef de file des partisans de la République, le Sénat n'offrit que la réélection anticipée de Bonaparte pour dix ans. A sa manière où se mêlaient l'habileté politique et l'astuce juridique, Cambacérès conseilla au Premier Consul de n'accepter que « si le vœu du peuple le lui commandait », ce qui revenait à faire appel à nouveau au plébiscite. Et la question qui fut posée transforma complètement la décision du Sénat. La nation fut interrogée non pas sur une réélection anticipée de dix ans mais sur la reconduction à vie du pouvoir de Bonaparte. «Napoléon Bonaparte sera-t-il consul à vie?» Telle était la question posée. Notons au passage la nouvelle appellation. Jusqu'alors on disait « le citoyen Bonaparte » ou « le général Bonaparte ». Pour la première fois depuis Brienne où il avait été l'objet de tant de sarcasmes, sort de l'ombre ce prénom original : Napoléon souvent écrit jusque-là Napoleone, et c'est pour apparaître dans un texte officiel. Du Général Bonaparte on est passé à Napoléon Bonaparte ; le temps est proche où l'on dira Napoléon, reléguant dans l'obscurité Bonaparte. Le plébiscite sur la question de savoir si Napoléon Bonaparte serait consul à vie se déroula dans des conditions identiques à celles de la consultation sur la Constitution de l'an VIII. Il y eut 3 600 000 « oui » contre 8 374 « non ». Le 2 août 1802, le Sénat, bon gré mal gré, proclamait Napoléon Bonaparte Premier Consul à vie. Les « oui » s'étaient accrus de 500 000 voix : résultat normal, même s'il y eut quelques arrangements. Il reflétait l'opinion publique. La paix d'Amiens, la pacification religieuse, l'amnistie accordée aux émigrés avaient valu à Bonaparte les suffrages de nombreux royalistes et ceux des modérés qui s'étaient précédemment abstenus. En revanche, les républicains l'abandonnèrent : on ne retrouve plus sur les registres un certain nombre de conventionnels restés à l'écart depuis Brumaire, et les idéologues de l'Institut ont boudé le scrutin. Ainsi se concrétisait le divorce entre Bonaparte et l'aile avancée des brumairiens. Quant aux huit mille « non », ils vinrent souvent de l'armée. Il fallut d'ailleurs prendre des mesures. Stanislas de Girardin raconte : Un de nos généraux a fait assembler les soldats placés sous ses ordres et leur a dit : « Camarades, il est question de nommer le général Bonaparte consul à vie. Les opinions sont libres; cependant je dois vous prévenir que le premier d'entre vous qui ne votera pas pour le Consulat à vie, je le fais fusiller à la tête du régiment. » Parmi les opposants retenons un revenant de marque : La Fayette. « Je ne puis voter pour une telle magistrature jusqu'à ce que la liberté publique soit suffisamment garantie ; alors je donnerai ma voix à Napoléon Bonaparte. » Dans une lettre adressée au Premier Consul il justifiait longuement son vote. Il est impossible que vous, général, le premier dans cet ordre d'hommes qui, pour se comparer et se placer, embrassent tous les siècles, vouliez qu'une telle révolution, tant de victoires et de sang, de douleurs et de prodiges, n'aient pour le monde et pour vous d'autre résultat qu'un régime arbitraire. On peut lire dans un registre du département de la Seine, sous une plume plus obscure, celle d'un sieur Duchesne, cette formule vigoureuse : « Comme doit le faire tout ami de la liberté, je réponds non, parce que cette perpétuation de pouvoir entre les mêmes mains ne saurait s'allier dans aucun cas avec les principes d'un gouvernement sagement constitué. » Duchesne ne fut pas inquiété. LA RÉFORME DE THERMIDOR AN X Le sénatus-consulte adopté le 4 août 1802 à la suite du plébiscite modifia le régime institué en l'an VIII. Il renforçait considérablement les pouvoirs du Premier Consul qui recevait le droit de présenter au Sénat son successeur, étape importante vers l'hérédité. Étaient accordés au Premier Consul la conclusion des traités de paix et d'alliance, le droit de grâce et la désignation des deux autres consuls. La réforme favorisait aussi le Sénat. S'il perdait toute importance dans la désignation des consuls, il obtenait de régler par des sénatus-consultes organiques (votés par les deux tiers des présents) « tout ce qui n'a pas été prévu par la Constitution et qui est nécessaire à sa marche », il avait mission d'expliquer « ceux des articles donnant lieu à différentes interprétations », enfin il pouvait prendre à la majorité relative, par sénatus-consulte, diverses mesures exceptionnelles : réduction de la liberté individuelle, suspension des jurys, dissolution du Corps législatif et du Tribunat. Mais l'accroissement des pouvoirs du Sénat s'accompagnait de sa domestication : s'il continuait à se recruter par cooptation, le Premier Consul avait le droit toutefois de porter le nombre de ses membres à cent vingt, en nommant, « sans présentation préalable par les collèges électoraux de département, des citoyens distingués par leurs talents et leurs services ». D'autre part le Premier Consul disposait d'importants moyens de séduction non seulement par la suppression de cette incompatibilité qui avait écarté en frimaire an VIII les sénateurs de toute autre fonction publique mais par la distribution de sénatoreries (une par ressort de tribunal d'appel) dotées d'une habitation et d'un revenu de 20 à 25 000 francs. Le Sénat devenait donc le premier parmi les grands corps de l'État. Mais en réalité, comme le confiait Bonaparte à son frère Joseph : « Le Sénat tirait toute sa considération de son accord avec le gouvernement; il était destiné à être un corps d'hommes vieux et usés, incapables de lutter contre un consul énergique. » Parallèlement les autres assemblées perdaient une partie importante de leurs pouvoirs. Le Corps législatif cessait de tenir des sessions régulières; le Tribunat était ramené à cinquante membres et le Conseil d'État tendait à devenir de plus en plus une simple juridiction administrative. Au système des listes de confiance étaient substitués des collèges électoraux de canton, d'arrondissement et de département. L'assemblée de canton, formée de tous les citoyens domiciliés dans le canton, présentait des candidats aux conseils municipaux et aux justices de paix sur la liste des cent plus imposés dressée par le préfet. Elle désignait les membres du collège électoral d'arrondissement et ceux du collège électoral de département, ces derniers choisis sur la liste des six cents plus imposés. Les collèges d'arrondissement présentaient deux candidats par siège vacant au Tribunat et au Corps législatif; le collège de département deux candidats par siège vacant au Corps législatif et au Sénat. C'était le retour à une représentation nationale par des élus locaux et en apparence un progrès du principe représentatif bien que le régime électoral fût censitaire. En fait, le Premier Consul contrôlait indirectement ces désignations, car il nommait les présidents des collèges électoraux et pouvait ajouter de sa propre autorité dix membres à chaque collège d'arrondissement et vingt aux collèges de département. C'est au cours de l'été de l'an X que s'est opérée la transformation du régime encore républicain de Brumaire en un despotisme auquel ne manquait plus que le titre monarchique ou impérial. RETOUR AUX FORMES MONARCHIQUES DU POUVOIR Voici, racontée par Thibaudeau, l'arrivée de Bonaparte au Sénat le 9 fructidor an X : Ce fut la première fois qu'il déploya réellement en public tout l'appareil de la suprême puissance. Dès le matin, les ponts et les rues où il devait passer étaient gardés. Des troupes formaient une double haie depuis les Tuileries jusqu'au Luxembourg ! Le Premier Consul était dans une voiture à huit chevaux. Il était suivi de six voitures du gouvernement, pour les second et troisième consuls, les ministres et les orateurs du Conseil d'État, et accompagné d'une escorte nombreuse et magnifique d'aides de camp, de généraux de la garde, d'inspecteurs généraux des différentes armes. Une députation de dix sénateurs vint le recevoir au pied de l'escalier. Nous voilà loin du consul de Brumaire. C'est déjà un souverain qui se rend au Luxembourg. Réapparition des livrées et disparition du tutoiement ; cérémonies, chasses et messes à Saint-Cloud ; développement de la garde consulaire ; organisation d'une cour à dominante militaire mais où se faufilent dans l'entourage de Joséphine — qui reçoit en 1802 un rang officiel — des noms à particule (Mmes de Rémusat, de Lauriston, de Talhouet, de Luçay), étiquette de plus en plus minutieuse et costumes de cour : tout annonce une restauration des formes monarchiques et les grandes lois de l'an X laissent prévoir la politique sociale de l'Empire. Cependant que s'accélère le mouvement de rentrée des émigrés, le rétablissement de la noblesse semble s'esquisser dans la création de la Légion d'honneur qui se heurte à de vives résistances : trois séances au Conseil d'État et un vote acquis de justesse (14 voix contre 10); violentes résistances du Tribunat et du Corps législatif où le projet ne passe qu'avec difficultés. Sans doute s'agissait-il de récompenser des soldats — ou des civils — ayant rendu de grands services à la République. Aux armes qui leur étaient précédemment distribuées était substitué un ordre hiérarchisé, formé de seize cohortes, d'un conseil d'administration et d'un grand chancelier. Sa richesse devait être constituée par des domaines pris parmi les biens nationaux non vendus. Bien que ses membres aient eu obligation de prêter serment de combattre tout rétablissement du régime féodal et des titres qui en étaient les attributs, une partie des brumairiens vit, dans cette avant-garde d'un nouveau patriciat, une trahison de Bonaparte à l'égard de la République. Le 28 floréal an X (18 mai 1802), Savoye-Rollin attaquait le projet dans l'enceinte du Tribunat : « L'institution blesse littéralement la Constitution » ; il précisait : « En la plaçant parmi vous vous acceptez un patriciat dont la continuelle tendance sera de vous rendre une noblesse héréditaire et militaire. » A son tour Chauvelin dénonçait une corporation établie et répartie sur toute la France grâce aux chefs-lieux de cohortes et dont toute la hiérarchie et les affiliations subordonnées ou collatérales concouraient à former une organisation forte et puissante, menaçant de revenir à « cet esprit de corps qui dénature les meilleures pensées et corrompt les intentions les plus généreuses ». Finalement le Tribunat n'approuva le projet que par 56 suffrages contre 36. Le lendemain, le Corps législatif se prononçait par un vote non moins disputé, compte tenu des conditions de l'époque : 166 voix pour, 110 contre. Malgré les réserves formulées, la Légion d'honneur, instituée le 19 mai 1802, rencontra un immense succès. On a distribué près de 9 000 décorations en deux ans. Les intellectuels comme Stendhal firent la fine bouche. L'armée fut enthousiaste : il n'est que de lire le récit par Coignet de la grande distribution du 14 juillet 1804. La date avait été choisie à dessein par Bonaparte. En 1808 on comptait 20 275 légionnaires. S'il heurtait parfois de front l'aile gauche, Bonaparte savait préserver les acquisitions de la révolution bourgeoise. La loi du 11 floréal an X abandonna l'enseignement secondaire, fondé sur le latin et les mathématiques, aux notables. Œuvre de Portalis, Tronchet et Maleville, le Code civil qui ne fut promulgué que le 21 mars 1804, consacrait la disparition de l'aristocratie féodale et le maintien des principes de 1789 : liberté des personnes, égalité devant la loi, liberté du travail. La codification était déjà en elle-même contraire à l'esprit de l'Ancien Régime. Mais sur le divorce (suppression de l'incompatibilité d'humeur, maintien, avec restrictions, du consentement mutuel, rétablissement de la séparation de corps supprimée par la Révolution), sur la situation de la femme traitée en mineure, sur les enfants naturels exclus de l'héritage, le Code marquait un net recul par rapport à la législation révolutionnaire. La volonté du père redevenait la base de la cellule familiale et la séparation était rétablie entre famille légitime et famille naturelle. La liberté d'entreprise et la liberté de concurrence chères à la bourgeoisie étaient proclamées. Code fait pour une société conservatrice, que n'intéresse que la propriété de la terre — les valeurs mobilières sont ignorées —, c'est, a-t-on pu dire, « la victoire de l'esprit juridique sur l'esprit philosophique ». Victoire accueillie favorablement, si l'on en croit les rapports des préfets, par les notables des départements. La hiérarchie sociale est rétablie au profit de ces notables, les professions libérales sont reconstituées et soumises à des règles précises (médecins, avoués, notaires), on met en place, dans les grandes villes, les chambres de commerce : la bourgeoisie devient le support du régime qui garantit également les paysans contre le retour de la féodalité. Seuls sacrifiés : les ouvriers. La loi du 22 germinal an XI (12 avril 1803) leur renouvelle l'interdiction de se coaliser et les astreint au port d'un livret. Mais le Premier Consul maintient le prix du pain à un bas niveau (de 12 sous la livre en 1803 il est tombé à 9 sous l'année suivante), et leur assure du travail grâce à la reprise des affaires qui favorise par ailleurs une hausse des salaires. L'évolution vers un régime monarchique peut donc se poursuivre. Elle est précipitée par la reprise du conflit avec l'Angleterre. Le 12 mai 1803, l'ambassadeur Whitworth quittait Paris : le 19 la rupture entre les deux nations était consommée. Les Anglais ayant commencé les hostilités sans déclaration de guerre, la France ne pouvait faire retomber sur son chef la responsabilité du conflit : elle eut au contraire tendance à accroître ses pouvoirs pour assurer la défense du territoire. Une dictature de Salut public s'imposait. Comment ne pas la confier à Bonaparte? Ce fut le moment que choisirent maladroitement les royalistes pour reprendre leurs intrigues contre le Premier Consul, renforçant ainsi la popularité de ce dernier et liant son sort à celui des conquêtes révolutionnaires. LA CONSPIRATION DE L'AN XII En octobre 1803, plusieurs chouans surpris à Paris sont arrêtés et traduits devant une commission militaire qui les condamne à mort. L'un d'eux, Querelle, au moment d'être fusillé, demande à être entendu. Il révèle qu'il est arrivé dans la capitale en même temps que Cadoudal qui a le projet d'assassiner le Premier Consul. Ces révélations sèment l'effroi dans la police déjà désorganisée par la suppression du ministère de Fouché disgracié le 15 septembre 1802. Le grand juge Régnier qui dirige la police, assisté du conseiller d'État Réal, n'a pas l'envergure de son prédécesseur. Or l'affaire prend des proportions considérables à la suite des aveux d'un comparse, Bouvet de Lozier, qui, après une tentative de suicide manquée, donne les noms des instigateurs du complot : Moreau, le vainqueur de Hohenlinden, dont le prestige dans l'armée est comparable à celui de Bonaparte, et Pichegru, déporté lors du coup d'État de fructidor et rentré clandestinement en France. L'interrogatoire de Bouvet éclaire les principaux aspects du complot : « le rétablissement des Bourbons ; les assemblées travaillées par Pichegru ; un mouvement dans Paris soutenu par la présence d'un prince; une attaque de vive force dirigée contre le Premier Consul; la présentation du prince aux armées par Moreau qui d'avance devait avoir préparé les esprits ». A la suite d'un conseil extraordinaire, Bonaparte se décide à faire arrêter Moreau. Mais l'opinion le désavoue : elle voit dans le rival de Bonaparte la victime d'une machination politique d'autant que Cadoudal et Pichegru demeurent introuvables. Tous les rapports de police signalent l'émotion des Parisiens et le mécontentement de l'armée. Toutefois les événements tournent rapidement en faveur de Bonaparte. Pichegru puis les représentants du comte d'Artois, Polignac et Rivière, tombent entre les mains de la police. A son tour, Cadoudal est arrêté, preuve de la réalité de la conspiration. La foule prête main forte aux agents qui appréhendent le chouan, c'est le signe d'un revirement de l'opinion. Dans les interrogatoires de Cadoudal, il est fait mention d'un prince dont on attendait la venue en France. Or Louis de Bourbon Condé, duc d'Enghien, se trouvait alors à Ettenheim près de la frontière française. Sur le conseil de Talleyrand (qui s'en défendra), Bonaparte le fait enlever en territoire allemand, le 15 mars 1804. Le duc arrive à Paris le 20 mars; dans la nuit du 20 au 21 il est traduit devant une commission militaire formée à la hâte. Il repousse toute participation au complot mais reconnaît avoir porté les armes contre la France révolutionnaire. Préparée par Savary, son exécution a lieu dans les fossés de Vincennes à trois heures du matin. Sa mort ne causa, quoi qu'ait prétendu Chateaubriand, aucune émotion dans l'opinion française. Joseph rapporte qu'au cours d'un dîner à Mortefontaine, en mars 1804, alors qu'il s'apitoyait sur le sort du duc d'Enghien, l'un des membres les plus éminents de l'ancienne noblesse, qui n'avait pas émigré, approuva l'exécution : « Sera-t-il donc permis aux Bourbons de conspirer impunément? Le Premier Consul est trompé, s'il pense que la noblesse qui n'a pas émigré, et surtout la noblesse historique, procure un grand intérêt aux Bourbons. Comment ont-ils traité Biron, et mon aïeul, et tant d'autres ? » Ce n'est que sous la Restauration que les principaux acteurs du drame — Talleyrand, Savary et Napoléon lui-même dans le Mémorial — chercheront à se justifier. Dans l'immédiat, l'instruction de la conspiration se poursuivit. Le procès Moreau-Cadoudal (Pichegru avait été trouvé étranglé dans sa cellule) s'ouvrait le 25 mai 1804. Le 25 juin, douze chouans dont Cadoudal montèrent sur l'échafaud. Les conspirateurs d'origine noble (Polignac, Rivière) avaient été graciés : Moreau, condamné initialement à deux ans de prison, fut en définitive banni. Mal préparée, la grande conspiration de l'an XII a été de surcroît victime de la conjoncture économique; le bas prix du pain et l'absence de chômage éliminaient les principales causes d'un mécontentement populaire. Les protagonistes du complot apparaissaient comme les alliés d'un pays en guerre avec la France. Enfin l'attitude ambiguë de Moreau découragea l'armée. L'échec de la conspiration n'a pas mis fin aux agissements des royalistes — d'autres complots suivront — mais il leur porte un coup décisif. L'action antinapoléonienne va se concentrer désormais au sein des sociétés secrètes, loges maçonniques militaires ou associations mystiques et charitables. De la conjonction de leur action naîtra en 1812, à la faveur d'une dépression économique, le coup d'État du général Malet. Pour l'instant, la conspiration de l'an XII servait involontairement Bonaparte. Les révolutionnaires voyaient dans l'affermissement du pouvoir consulaire, désormais lié, par l'exécution du duc d'Enghien, « aux horreurs de la Révolution », le seul rempart à opposer aux tentatives de restauration royaliste. Ce n'est pas sans raison que le conventionnel régicide Alquier déclarait : « L'élévation prochaine du Premier Consul à la dignité impériale héréditaire comble mes vœux. » Bonaparte est plus que jamais « le sauveur ». LA CONSTITUTION DE L'AN XII La conspiration avait indigné une large fraction de l'opinion. Habilement la propagande bonapartiste s'empara de l'émotion populaire. Bien dirigée, la presse fit comprendre à ses lecteurs la nécessité d'asseoir le pouvoir du Premier Consul sur des bases stables. « Le grand nombre des complots tramés contre ma vie ne m'inspire aucune crainte, affirmait Bonaparte. Mais je ne puis me défendre d'un sentiment profond et pénible lorsque je songe dans quelle situation se trouverait aujourd'hui ce grand peuple si le dernier attentat avait pu réussir » (comprenons, les avantages acquis par la Révolution auraient été aussitôt menacés). Et le Sénat de répondre par une adresse du 27 mars qui envisageait une réforme constitutionnelle. Le problème essentiel était celui de l'hérédité. Consulté sur la question de savoir s'il fallait donner l'hérédité pour base au gouvernement de la France, le Conseil d'État montra de l'hésitation. C'est du Tribunat que vint la proposition attendue. Un ancien révolutionnaire, Curée, y présenta une motion « tendant à ce que Napoléon Bonaparte, actuellement Premier Consul, fût déclaré empereur des Français et à ce que la dignité impériale fût déclarée héréditaire dans sa famille ». Carnot, seul, s'opposa publiquement à cette proposition. Le 4 mai, le vœu était porté au Sénat qui l'approuva. Les adresses commencèrent à affluer. Rédigée rapidement, la nouvelle constitution fut promulguée sous la forme du sénatus-consulte du 18 mai 1804 (28 floréal an XII). Ce texte de 142 articles fondait un nouveau régime, l'Empire, et adaptait à ce régime les anciennes institutions. « Le gouvernement de la République est confié à un empereur qui prend le titre d'empereur des Français. » Le titre avait été choisi de préférence à celui de roi pour ménager la susceptibilité des révolutionnaires. Il avait séduit Napoléon par sa référence à Charlemagne et par ce qu'il avait d'« illimité ». Ses nombreux ennemis en Europe, observe Thiers, en lui prêtant tous les jours des projets qu'il n'avait pas du tout, ou pas encore, en répétant dans une multitude de feuilles qu'il songeait à reconstituer l'Empire d'Occident ou du moins celui des Gaules, avaient préparé tous les esprits, même le sien, au titre d'Empereur. L'article 2 désignait le titulaire, Napoléon Bonaparte, sans préciser l'essence de son pouvoir. L'Empire était un fait, imposé par la force des choses. La dignité impériale passait à la descendance directe de l'Empereur — à l'exclusion des femmes et de leur descendance : vieux souvenir monarchique — mais comme il n'avait pas d'héritier, Napoléon pouvait choisir son successeur par adoption parmi les enfants et petits-enfants de ses frères : ces enfants adoptifs devant céder le pas à des descendants survenant après leur adoption. Dans l'adoption était la nouveauté : parce qu'il avait fait l'Empire, Napoléon revendiquait le droit d'en disposer à sa guise. L'hérédité fut admise sans difficulté par l'opinion dans la mesure où Napoléon n'avait pas d'enfants. Elle apparut surtout comme le moyen le plus sûr de maintenir la stabilité du pouvoir en coupant court aux intrigues et aux complots. Ce qui ne signifiait nullement l'acceptation d'une dynastie à la façon des Bourbons. L'Empire était avant tout une dictature de salut public, destinée à préserver les conquêtes révolutionnaires. Une nouvelle étape était franchie dans la reconstitution de la noblesse par la création de six grands dignitaires (grand électeur, archichancelier, architrésorier, archichancelier d'État, grand connétable, grand amiral) et de grands officiers de l'Empire (dont seize maréchaux). Les dignitaires présidaient les collèges électoraux. Contrepartie apparente de ce nouvel absolutisme : de l'Empereur au plus modeste fonctionnaire, tous les détenteurs de l'autorité étaient appelés à prêter serment. Par là l'Empire affirmait une différence avec la royauté : il revêtait ce caractère de salut public indiqué plus haut. De plus étaient instituées au Sénat deux commissions : la commission de la liberté individuelle chargée d'examiner les arrestations arbitraires, et la commission de la liberté de la presse destinée à freiner les abus de la censure. En réalité ces commissions n'adressaient que des avis sans sanction aux ministres. Un troisième plébiscite fut organisé. Le peuple était invité à accepter « l'hérédité de la dignité impériale dans la descendance directe, naturelle, légitime et adoptive de Napoléon et dans la descendance directe, naturelle et légitime de Joseph Bonaparte et de Louis Bonaparte ». Il n'était pas question du titre impérial. Les résultats furent proclamés le 6 novembre 1804 : 3 572 329 « oui » contre 2 569 « non ». Dans certaines communes, les registres ne portent qu'une mention : « Votes unanimes pour oui ». Beaucoup de suffrages à Paris furent motivés. Les apprentis poètes s'en donnèrent à cœur joie : « Régnez nouveau César sur la nouvelle Rome Et n'oubliez jamais qu'un Empereur est homme. » Ou encore : « Je ne suis rien et je fais plus qu'un roi. Eux si puissants que feront-ils de moi ? » Les résultats donnèrent lieu à des réjouissances. Un général, commandant le département de la Charente, refusa toute festivité. Son nom? Le général Malet. LE SACRE Conclusion inattendue du plébiscite : la cérémonie du sacre. L'auteur du Concordat a voulu pouvoir invoquer comme Louis XVI, dernier roi de France, le droit divin. L'idée parut choquante aux brumairiens, trop imprégnés encore de l'esprit de la Révolution. Les résistances furent vives au Conseil d'État. Reims et Aix-la-Chapelle écartées au profit de Paris, Napoléon se mit en tête, pour ressusciter la tradition impériale, de faire venir le pape dans la capitale. Pie VII accepta, dans l'espoir d'obtenir quelques concessions sur les articles organiques. Un incident faillit tout compromettre : il fallut procéder à la hâte, dans la nuit du 1er au 2 décembre, au mariage religieux de Napoléon et de Joséphine. Le 2 décembre 1804 se déroulait à Notre-Dame, en présence du corps diplomatique, de la cour, des assemblées et des représentants des « bonnes villes », une fastueuse cérémonie immortalisée par Isabey et David. Le cérémonial avait été revu et corrigé par Portalis et Bernier : il convenait d'éviter tout ce qui eût prêté à rire de la part du public fort peu croyant, tout ce qui eût marqué la supériorité du spirituel sur le temporel. Napoléon, on le sait, se couronna lui-même, geste non d'indépendance ou d'improvisation personnelle, comme on le dit souvent, mais prévu par le protocole, longuement discuté ainsi que la dispense de la communion publique. Puis l'Empereur couronna lui-même Joséphine. Caprice? Amour? Manœuvre politique? Le pape s'étant retiré, vint l'heure du serment. C'était la contrepartie de la cérémonie, indispensable pour apaiser les scrupules des anciens révolutionnaires, le moment où se trouvait scellée solennellement l'alliance de Napoléon et des notables : «Je jure, déclarait l'Empereur, de maintenir l'intégrité du territoire de la République, de respecter et de faire respecter les lois du Concordat et la liberté des cultes, de respecter et de faire respecter l'égalité des droits, la liberté politique et civile, l'irrévocabilité des ventes des biens nationaux, de ne lever aucun impôt, de n'établir aucune taxe qu'en vertu de la loi, de maintenir l'institution de la Légion d'honneur, de gouverner dans la seule vue de l'intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français. » Par ce serment, Napoléon s'affirmait bien comme « représentant couronné de la Révolution triomphante ». Il annonçait qu'il servirait les intérêts de la classe possédante issue de 1789, attendant d'en être servi à son tour et méditant déjà peut-être l'amalgame entre ces nouveaux notables et les anciennes familles. Il apparut, écrit Balzac dans Les Paysans, comme « l'homme qui assurait la possession des biens nationaux. Son sacre fut trempé dans cette idée ». NOTES SOURCES : Le Moniteur et les Archives parlementaires sont essentiels pour la connaissance de la vie des assemblées. On trouvera dans le recueil de Duvergier (t. XIII-XV) les principaux décrets; le texte des Constitutions est publié, avec des commentaires, par J. Godechot, Les Constitutions de la France (1970). Pour l'esprit public, deux sources essentielles : Aulard, Paris sous le Consulat, t. III et IV (1906-1909) Remacle, Relations secrètes des agents de Louis XVIII, 1802-1803 (1899), la Correspondance de Napoléon (t. VII à X) et les Lettres de Cambacérès à Napoléon (éd. Tulard, t. I, 1973) permettent de préciser les intentions du gouvernement. Les Mémoires sont nombreux : Bourrienne (1829), Carnot (par son fils, t. II, 1893), Caulaincourt (1933), Chateaubriand, Cornet (1824), Desmarets, Quinze ans de haute police (éd. Grasilier, 1900), Fouché (1824), Fauche-Borel (1829), Fauriel (1886, intéressant pour connaître la police), Hulin (1823), Miot (1858), Musnier-Desclozeaux sur Réal (1835), Pasquier (1893), Roederer (Journal. éd. Vitrac, 1909), Savary (1828), Talleyrand (1891), Thibaudeau (Mémoires sur le,Consulat, 1827). Les pièces essentielles sur le procès de Moreau et de Cadoudal ont fait l'objet d'une publication en l'an XII ainsi que le Recueil des interrogatoires subis par le général Moreau. On consultera également la correspondance du duc d'Enghien par Boulay de la Meurthe (4 vol., 1904-1913). Témoignage de Fiévée, Correspondance avec Bonaparte (t. I et II, 1836; cf. J. Caritey, Rev. adm., 1961. Lire la note d'H. Tulard sur les archives de la Préf. de Police (1962), dans inventaire série Ba. OUVRAGES : Les Constitutions sont analysées dans M. Deslandres, Histoire constitutionnelle de la France (t. I, 1932). Sur l'opposition politique on consultera les travaux essentiels : L. Madelin, La Contre-Révolution sous la révolution (1935), J. Godechot, La Contre-Révolution (ch. XVIII, 1961), Gaubert, Conspirateurs au temps de Napoléon Ier (1962); J. Vidalenc, « L'opposition sous le Consulat et l'Empire », Annales Hist. de la Rév. française (1968, pp. 472-488); L. de Villefosse et J. Bouissounouse, L'Opposition à Napoléon (1969, hostile à Napoléon et favorable aux idéologues). L'idéologie prend la tête de cette opposition se retournant contre celui qu'elle a poussé au pouvoir, mais qu'elle découvre despote sans « les lumières ». L'action des salons est bien connue grâce à A. Guillois, Le Salon de Mme Helvetius, Cabanis et les idéologues (1894) et La Marquise de Condorcet (1887). Elle s'exprime surtout à travers le Tribunat et le Corps législatif : A. Gobert, L'Opposition des assemblées pendant le Consulat, 1800-1804 (1925); F. Pietri, Napoléon et le Parlement (1955, soutient, non sans quelque excès, que Napoléon respecta toujours les décisions des assemblées); Ch. Durand, L'Exercice de la fonction législative de 1800 à 1814 ( 1956 ; vive critique, en annexe, du livre de Pietri). Depuis, on lira J. Collins, Napoleon and his parliament (1979) et sur la parodie de consultation électorale prévue par la Constitution, Coppolani, Les Élections en France à l'époque napoléonienne (1979). Également : Haiperin, « La composition du corps législatif », Revue de l'Institut Napoléon. 1985, pp. 37-57. Sur le courant néo-monarchiste qui s'exprime à travers Le Journal des débats et Le Mercure de France : A. Cabanis, « Le courant contre-révolutionnaire sous le Consulat et l'Empire », Revue des Sciences politiques, 1971, pp. 9-87 ; J. Tulard, Fiévée, conseiller secret de Napoléon (1985 ; il fut avec Montlosier, Mme de Genlis et quelques autres, un correspondant de Napoléon qu'il a influencé dans certaines occasions). L'armée fut un foyer incessant d'intrigues. Beaucoup de généraux formulaient des réserves sur les victoires de Bonaparte et affichaient des sentiments républicains. On consultera, à défaut de l'étude quelque peu vieillie publiée par Gaffarel dans La Révolutionfrançaise en 1887 (« L'opposition militaire sous le Consulat» que complètent deux autres articles en 1888 et 1889 sur «l'opposition républicaine» et sur « l'opposition littéraire »), E. Guillon, Les Complots militaires sous le Consulat et l'Empire ( 1894, excellent) et G. Augustin-Thierry, Conspirateurs et Gens de police (1903, étude un peu romancée du complot des « pots de beurre »). Mais c'est la grande conspiration de l'an XII qui a suscité le plus grand nombre de travaux : H. Welschinger, Le Duc d'Enghien (1888, très vieilli) ; Huon de Penanster, Une Conspiration en l'an XI et en l'an XII (1896 ; vives critiques de Caudrillier, « Le Complot de l'an XII », Revue historique, 1900, pp. 278-286 ; 1901, pp. 257-285 ; 1902, pp. 45-71) ; Picard, Bonaparte et Moreau ( 1905) ; F. Barbey, La Mort de Pichegru (1909; défend la thèse du suicide); J. Durieux, « L'arrestation de Cadoudal et la Légion d'honneur », Revue des Études napoléoniennes (1919, pp. 237-243); M. Dupont, Le Tragique Destin du duc d'Enghien (1938; superficiel); Lachouque, Cadoudal et les Chouans (1951); Garçot, Le Duel Moreau-Napoléon (1951); La Varende, Cadoudal (1952; plus littéraire qu'historique); B. Melchior-Bonnet, Le Duc d'Enghien (1954); duc de Castries : La Conspiration de Cadoudal (1963); J.-F. Chiappe, Cadoudal et la Liberté (1971; la meilleure synthèse sur le sujet); J.-P. Bertaud, Bonaparte et le Duc d'Enghien (1972 ; excellent, nombreux documents cités ; Marco de Saint-Hilaire, Cadoudal, Moreau et Pichegru (éd. Poniatowski, 1977). M. Schumann, Qui a tué le duc d'Enghien ?, préf. de J. Tulard ( 1984 ; la mise au point la plus objective). Sur la cour: H. La Lachouque, Bonaparte et la Cour consulaire (1958). Le sacre nous est bien connu, non seulement grâce à l'album d'Isabey, réédité en 1969, mais aussi à travers trois études ; F. Masson, Le Sacre et le Couronnement de Napoléon (1925, fondamental), H. Gaubert, Le Sacre de Napoléon Ier ( 1964 ; anecdotique) et José Cabanis, Le Sacre de Napoléon (1970). Très dépassé, en revanche, G. d'Esparbès et H. Fleischmann, L'Épopée du Sacre (1908). Le témoignage des simples soldats sur ces cérémonies est intéressant : Coignet, Lecoq(Revue de Paris, 1911), etc. Sur la symbolique du sacre, les armoiries napoléoniennes et les insignes du pouvoir: H. Pinoteau, «Problème napoleonischer Symbolik», Der Tappert, 1970-1972-1974 qui montre que l'anneau du Sacre est un faux. Rappelons que la musique du Sacre due à Paisiello et Lesueur (la Marche) a été retrouvée par J. Mongredien et enregistrée par A. Birbaum. Les trois couleurs furent conservées sur les drapeaux. DÉBATS OUVERTS Dans le passage du Consulat provisoire à l'Empire un certain nombre d'étapes ont été bien mises en lumière par Ph. Sagnac, « L'avènement de Bonaparte à l'Empire », Revue des Etudes napoléoniennes (1925, pp. 133-154, 193-211). Le rôle de Lucien est connu, celui de Fouché également, à travers les biographies de Pietri pour le premier, de Madelin pour le second. On entrevoit mieux ce que fut l'action efficace de Cambacérès grâce à sa correspondance retrouvée par Jean Duhamel et publiée en 1973 par J. Tulard. Sur le plébiscite, concernant le Consulat à vie, on attend avec impatience le résultat des recherches de Langlois ; les falsifications étaient moins nécessaires qu'en l'an VIII car ses succès avaient valu, si du moins l'on fait confiance aux rapports des préfets sur l'esprit public dans les départements (arch. nat. FICIII), une grande popularité à Bonaparte. C'est cette popularité qui lui a permis d'éliminer l'opposition parlementaire : la différence de points de vue entre François Pietri qui croit au respect de Bonaparte pour les députés (pourquoi le Premier Consul en aurait-il eu à l'égard de représentants non élus mais désignés ?) et Charles Durand qui a relevé les inexactitudes et les outrances de la thèse de Pietri, tourne à l'avantage de Charles Durand. Reste que Bonaparte, malgré la dureté de ses propos, a ménagé les sénateurs et maintenu une fiction parlementaire; conséquence de l'alliance conclue en Brumaire? Le Code civil, enfin promulgué, établit une société fondée sur la propriété et l'égalité, mais cette égalité « est encore celle des propriétaires » (Bertaud). On trouvera une bonne analyse de l'évolution des idées sur la propriété foncière et le régime successoral dans Ph. Sagnac, La Législation civile de la Révolution française (1898): « De la Constituante à la Convention tous les révolutionnaires présentent le droit de propriété et par suite celui de tester, comme une création sociale »; vers 1800 la doctrine se modifie, les défenseurs de l'origine naturelle de la propriété et du testament prédominent. Boulay de la Meurthe et Duveyrier soutiennent que le droit de propriété est antérieur à la Société, que le droit de disposer est lui aussi un droit naturel. Même changement en ce qui concerne l'autorité paternelle; le Consulat réagit contre l'égalité successorale absolue. Sagnac y voyait la marque du droit romain; en fait André-Jean Arnaud, Les Origines doctrinales du Code civil ( 1969), montre que l'article 544 (droit de propriété) vient non du droit romain mais des romanistes modernes repris par Pothier. D'autres articles (notamment le 1134) ont été inspirés par Pothier (1689-1772). R. Martinage-Baranger a montré de son côté l'influence de Bourjon, juriste du XVIIIe siècle (Bourjon et le Code civil, 1971). Encore utile est R. Savatier, Bonaparte et le Code civil (1927). La mort du duc d'Enghien marque un tournant dans l'évolution vers l'Empire ; elle a rassuré les conventionnels régicides et autres brumairiens trop compromis avec la Révolution (Talleyrand, Roederer) et renforcé leur alliance avec Bonaparte. L'Empire pouvait prendre le caractère d'une dictature de salut public. Mais le Premier Consul a-t-il voulu la mort du duc d'Enghien ? Henri Welschinger lui fait porter la responsabilité de l'exécution. J. Dontenville, dans « La Catastrophe du duc d'Enghien », Revue des Études napoléoniennes (1925, pp. 43-69), accable en revanche l'infortuné Bourbon. Maricourt (La Mort du duc d'Enghien, 1931) insiste sur la faute de Réal qui, ayant reçu de Bonaparte, à huit heures du soir, l'ordre d'interroger le prince, n'arrive à Vincennes qu'après minuit, quant tout est terminé. Pour Jean-Paul Bertaud, l'exécution du duc d'Enghien comme celle de Cadoudal ont été voulues par Bonaparte comme autant de «cérémonies par lesquelles il entendait renouveler le temps de la Terreur et frapper les imaginations en souligant l'opposition des deux France, la révolutionnaire et la royaliste. La part de responsabilité de Talleyrand, de Caulaincourt, de Hulin et de Savary est difficile à déteminer. Dans Qui a tué le duc d'Enghien, Maurice Schumann répond : « l'excès de zèle ». Sa conclusion est nette : « Qui a fait enlever et juger le duc d'Enghien ? Bonaparte. Qui a déterminé la sentence de mort ? Le duc d'Enghien par un sens bourbonien de l'honneur. Qui a tué le duc d'Enghien ? Anne-Jean-Marie-René Savary surtout impatient de servir instantanément son maître au risque de le desservir éternellement. » De toute façon Napoléon a tranché le problème en affirmant à Sainte-Hélène : « J'ai fait arrêter et juger le duc d'Enghien parce que cela était nécessaire à la sûreté, à l'intérêt et à l'honneur du peuple français, lorsque le comte d'Artois entretenait de son aveu soixante assassins à Paris. Dans une semblable circonstance, j'agirais de même. » L'article de G. Mauguin, « Le plébiscite pour l'hérédité impériale en l'an XII », Revue de l'Institut Napoléon (1939, pp. 5-16), parle un peu trop vite d'une « France unanime » ; mais si l'opposition n'osait plus se manifester ouvertement, il n'en reste pas moins que l'Empire paraît avoir été accueilli favorablement par l'opinion. De Bonaparte, le vicomte de Ségur ne disait-il pas : « C'est un homme que personne n'aime mais que tout le monde préfère. » CHAPITRE V Les victoires continentales Le traité d'Amiens avait mis fin au conflit qui opposait depuis 1792 la France révolutionnaire à l'Europe des rois. Les vieilles monarchies s'inclinaient; elles reconnaissaient, du moins en France, la légitimité des nouvelles idées de liberté et d'égalité, qu'elles n'avaient pu étouffer par l'intervention armée. Bonaparte n'était pas seulement l'homme de la paix, il apparaissait comme le sauveur de la Révolution. La formation d'une nouvelle coalition en 1805, suite prévisible de la rupture des relations diplomatiques deux ans auparavant, avec l'Angleterre, s'inscrivait-elle dans la continuité des guerres révolutionnaires ou s'agissait-il au contraire de guerres nouvelles dont Napoléon aurait porté la responsabilité? Les contemporains n'ont pas hésité : l'Angleterre reprenait un combat qu'elle n'avait interrompu que pour retrouver son souffle. L'opinion française a fait porter sans hésitation la responsabilité de la rupture sur l'Angleterre. Les Anglais, lit-on dans les bulletins d'informations venus de Londres, disent que la guerre leur paraît à présent presque certaine, que la presse et les armements vont avec une telle activité qu'il n'y a point de doute que leur gouvernement n'ait réellement des intentions hostiles. Ils ajoutent que d'ailleurs il ne peut y avoir de moment plus favorable ; que c'est le seul moyen de détourner le Premier Consul des grandes améliorations qu'il prépare pour l'intérêt de la France et qui, une fois exécutées dans toute leur étendue, ne laisseraient plus d'espoir à l'Angleterre. A leur tour, malgré des réticences, les historiens ont accepté les expressions de «troisième coalition» et de «quatrième coalition», admettant ainsi une continuité. Les campagnes de 1805 et de 1806 sont encore celles de la «Grande Nation». LA RUPTURE Rapport de police du 14 mars 1803 : «Les Anglais ne parlent que de guerre. Ils disent avoir reçu hier et avant-hier des lettres de Londres annonçant que le Parlement, d'après le message du roi, a voté des sommes considérables, la levée d'un grand nombre de troupes et l'armement subit de quarante vaisseaux de ligne. » On lit dans un rapport de la même source, le 16 mars : «Macdonald, médecin du duc d'York, demeurant rue du Bac, dit que tous les officiers anglais qui sont à Paris et avec lesquels il est lié pensent que la guerre est certaine.» Le 21 mars: «Des Anglais annoncent que de nouvelles lettres arrivées de Londres portent que l'armement redouble d'activité, que la presse n'a jamais été aussi forte, qu'on ne néglige aucun moyen pour se mettre en mesure, qu'on ne doute pas dans toute l'Angleterre que la guerre ne soit inévitable.» Ainsi peut-on suivre à travers les renseignements recueillis à l'intention du Premier Consul la dégradation des rapports franco-anglais. La rupture devint définitive le 17 mai 1803. Comme l'avaient laissé prévoir les rapports de police, ce furent les Anglais qui prirent l'initiative des hostilités. Leurs griefs étaient nombreux. Whitworth, leur ambassadeur à Paris, les avait énumérés dans une conversation privée aussitôt rapportée à Bonaparte par sa police: 1° On avait signé à Amiens de ne point se mêler de la Suisse et qu'on s'en était mêlé à main armée ; 2° en stipulant l'évacuation de Malte, on avait promis la garantie de la Russie et la cour de Pétersbourg ne voulait garantir qu'en mettant garnison dans l'île, ce qui ne pouvait convenir ni à l'Angleterre ni à la France; 3° on avait promis un traité de commerce et on ne voulait point en entendre parler ; 4° enfin on ne voulait pas dire le véritable motif des armements militaires. La déception de l'Angleterre avait été vive devant le refus opposé par Bonaparte, sous la pression des manufacturiers mais aussi par conviction mercantiliste, d'ouvrir des négociations commerciales : le souvenir du traité de 1786 qui avait ruiné l'industrie textile en ouvrant la France à la libre circulation des produits anglais était encore trop proche. A peine sortie de la guerre civile, la France eût été incapable de résister à la concurrence britannique. Mais il y avait plus grave : Bonaparte entendait réserver le continent aux marchandises françaises. Londres s'inquiétait de la transformation de l'Allemagne. Le 23 février 1803 la diète d'Empire en avait remanié la carte au profit des grands États, Prusse, Bavière et Wurtemberg. Dalberg, archichancelier de l'Empire qui avait présidé aux destinées de ce remaniement, était gagné à la France. L'Autriche alliée de l'Angleterre se trouvait peu à peu évincée. En Italie, l'occupation française s'étendait à Gênes et à la Toscane. Depuis le 19 février 1803, Bonaparte était médiateur de la Confédération helvétique. Déjà très forte sur la Belgique, l'emprise française s'était resserrée sur la République batave. Autant de marchés perdus pour l'Angleterre. Plus fâcheux encore : Bonaparte lançait les bases d'un grand empire colonial. Réapparition du rêve oriental ? La paix signée avec la Porte, le 26 juin 1801, Brune était envoyé comme ambassadeur à Constantinople ; Sébastiani se rendait en Méditerranée dans le courant de septembre 1802 et son rapport sur l'état défensif de l'ÉGYPTE, publié dans Le Moniteur du 30 janvier 1803, appelait à une nouvelle intervention de la France. Le 7 août venait d'être effectuée une démonstration navale contre Alger; le 18 juin Decaen avait reçu sa nomination de capitaine général des comptoirs de l'Inde et de l'île de France, où il avait mission de s'installer. Cavaignac devenait commissaire des relations commerciales à Mascate le 20 juin. Naissance d'un rêve américain? Le 24 septembre 1802, Victor était nommé capitaine général de la Louisiane que l'Espagne venait de rétrocéder à la France. La France retrouvait avec Victor Hugues son influence en Guyane. Une base en Amérique du Nord : La Nouvelle-Orléans ; une base en Amérique du Sud : Cayenne : les desseins américains du Premier Consul se précisaient. A Saint-Domingue, ancienne possession française passée sous la domination d'un Noir, Toussaint-Louverture, Bonaparte envoyait son beau-frère le général Leclerc rétablir l'ordre avec vingt-cinq mille hommes. Mais le rêve américain s'écroulait rapidement : mal préparée — on ne s'était pas préoccupé du climat —, l'expédition de Saint-Domingue, décimée par la fièvre jaune et la révolte des anciens esclaves, échouait définitivement en décembre 1803. Depuis mai, le Premier Consul avait vendu la Louisiane aux États-Unis. Enfin, à l'exception de celle de Sébastiani, les missions envoyées en Orient n'aboutissaient pas. Decaen devait se replier sur les Mascareignes. L'iman de Mascate repoussait les propositions de Cavaignac. Sous un prétexte scientifique, l'expédition de Baudin aux « Terres australes », de 1800 à 1804, avait tenté d'implanter l'influence française sur les côtes méridionales de l'Australie, rebaptisées dans l'Atlas publié par Peron et Lesueur notamment, à l'issue du voyage, « Terre Napoléon » ; mais là encore c'était l'échec. Les ébauches d'impérialisme colonial n'avaient pas réussi faute de continuité dans les vues et en raison de la disproportion entre les moyens et le but poursuivi ; du moins indiquaient-elles un réveil des ambitions françaises outre-mer qui avait de quoi inquiéter le cabinet britannique. Ce fut le problème de l'évacuation de Malte qui provoqua la rupture. Face aux empiétements européens de la France, l'Angleterre n'entendait pas lâcher un gage aussi important, repris à la France après la brève occupation. Bonaparte rétorquait qu'il avait retiré ses troupes des ports napolitains conformément aux accords et qu'il se montrerait intransigeant dans les affaires méditerranéennes et plus particulièrement sur l'île. Talleyrand se faisait le porte-parole du chef du gouvernement. « Le Premier Consul a trente-trois ans et il n'a encore détruit que des États de second ordre ; qui sait ce qu'il faudrait de temps, s'il y était forcé, pour changer de nouveau la face de l'Europe et ressusciter l'Empire d'Occident ? » Le ton montait rapidement; le 13 mars 1803, Bonaparte eut une altercation — calculée — avec l'ambassadeur d'Angleterre. Londres ripostait par un ultimatum où était exigée l'évacuation de la Hollande et de la Suisse, puis seulement de la Hollande moyennant le retrait, dans un délai de dix ans, des forces anglaises établies à Malte, la base de Lampedouse exceptée. En mai, Bonaparte proposait un arbitrage des puissances neutres. Malte serait provisoirement occupée par les Russes. Mais les Anglais n'entendaient nullement se dessaisir d'un bastion qui commandait en Méditerranée la route de l'Égypte sur laquelle les Français ne dissimulaient pas leurs visées. Le 16 mai, c'était la rupture. Tous les bateaux français mouillant dans les ports britanniques furent saisis. Bonaparte, de son côté, faisait aussitôt arrêter les Anglais résidant en France, cependant que ses troupes occupaient le Hanovre et plusieurs ports de l'Italie du Sud. La guerre reprenait. L'initiative venait de l'Angleterre, mais la guerre servait les desseins de Bonaparte : l'œuvre de redressement en bonne voie, la République consolidée, le danger extérieur écarté, la bourgeoisie révolutionnaire ne risquait-elle pas d'évincer le Premier Consul dont le pouvoir personnel ne cessait de grandir et de menacer les libertés ? Il fallait à tout prix maintenir l'image du Sauveur: «Un Premier Consul ne ressemble pas à ces rois par la grâce de Dieu qui regardent leurs États comme un héritage. Il a besoin d'actions d'éclat et par conséquent de la guerre », aurait confié Bonaparte. Mais la guerre n'était pas non plus pour déplaire à une bourgeoisie anglophile dans ses goûts, anglophobe dans ses intérêts. Il fallait abattre la puissance économique de la Grande-Bretagne : la guerre paraissait comme le seul moyen de ruiner la perfide Albion en un temps où les théoriciens français affirmaient que toute prospérité repose sur un mercantilisme rigoureux et une orthodoxie financière fondée sur la monnaie métallique et l'exclusion du crédit. LA GUERRE FRANCO-ANGLAISE Pour vaincre l'Angleterre, Napoléon reprit un vieux projet du Directoire : le débarquement. Hoche avait suggéré jadis l'Irlande, catholique et opprimée, en pleine ébullition depuis la guerre d'Indépendance, comme premier objectif. La sévère répression qui avait suivi la tentative du général Humbert rendait désormais cette solution impossible : il fallait affronter directement l'Angleterre, débarquer vers Douvres et marcher sur Londres. La Grande-Bretagne venait de montrer sa supériorité navale en bloquant les ports français et en reprenant Sainte-Lucie et Tabago. Or pour franchir la Manche, il était nécessaire de disposer pendant dix heures de la maîtrise de cette mer. Ensuite, la résistance sur terre des milices anglaises serait des plus médiocres: l'occupation de Londres devait se faire sans coup férir. Hypothèse optimiste, qui négligeait la capacité de résistance des Anglais et les difficultés que devait rencontrer une armée coupée de ses bases par la mer. De toute façon, le problème du passage de la Manche restait entier. Mais là encore l'optimisme semblait de commande: Peu de lieues nous séparent de l'Angleterre et quelle que soit la surveillance présumée de ses croisières, elles ne peuvent se promettre cette continuité de mesures et de concours des éléments nécessaires pour fermer la route d'une flottille qui sera aidée de l'avantage de sa position, de la multiplicité de ses moyens et de la vélocité de son appareillage. Texte essentiel pour comprendre la stratégie choisie initialement par Napoléon et ses conseillers, celle de l'attaque par surprise grâce à une flottille chargée de soldats. La flottille doit comprendre trois mille unités : il n'y en aura que deux mille cent quarante le 28 juillet 1805. La position choisie: Boulogne où Napoléon fixe son quartier général : il dispose de deux cent mille hommes, tenus ainsi loin de Paris et des jeux de la politique. Mais si Boulogne est près de la capitale, permettant à l'Empereur de mener de front les affaires intérieures et les projets militaires, il s'agit probablement du « plus mauvais port de la Manche », celui dont les Anglais peuvent le mieux surveiller les préparatifs. La multiplicité des moyens laisse à désirer : que valent ces chalands framés ou chaloupes canonnières ? L'incident survenu le 20 juillet 1804, où une terrible tempête dispersa une douzaine d'embarcations, montrait la fragilité de la flottille. Il faut bien vite admettre que le recours aux escadres est indispensable. Quant à la vélocité de l'appareillage, il est nécessaire d'envisager deux marées pour sortir de Boulogne. Ainsi en revient-on au problème fondamental de la maîtrise de la Manche. Les différents plans envisagés jusqu'alors, fondés sur une attaque-surprise de la côte anglaise par la flottille, à la faveur de la nuit, au cours de la mauvaise saison, sont écartés. L'entrée en guerre de l'Espagne, dont l'appoint naval est important, modifie en effet la stratégie initiale : désormais la marine retrouve son rôle essentiel. Les instructions de février-mars 1805 prévoyaient que les escadres de Brest (Ganteaume) et de Toulon (Villeneuve), échappant au blocus britannique, se dirigeraient vers les Antilles où elles seraient rejointes par celles de Rochefort (Missiessy), de Cadix et de Ferrol, obligeant les Anglais à envoyer leurs flottes aux Indes, en Méditerranée et aux Antilles, et libérant ainsi la Manche. Le 30 mars 1805, Villeneuve sort de Toulon; déjà le 11 janvier, Missiessy a quitté Rochefort et Gravina part à son tour de Cadix. Mais la concentration aux Antilles ne se fait pas. A l'origine : l'absence de coordination entre les flottes française et espagnole et le remaniement du plan initial car Ganteaume est invité par Napoléon à rester dans Brest; d'autres modifications suivent qui se heurtent au problème des communications; de plus les délais prévus par l'Empereur sont trop brefs. Les flottes se manquent au rendez-vous et regagnent leurs ports d'attache. Dans le même temps l'amirauté britannique a su éviter la dispersion. Les instructions de Lord Barham sont impératives : « En cas d'incertitude sur les mouvements de l'ennemi, tout le monde devra se rallier sur Ouessant, de façon à couvrir l'entrée de la Manche. C'est là qu'il importe d'avoir la supériorité décisive, car si l'ennemi est maître du canal, l'Angleterre est perdue. » De retour en Europe, Villeneuve se voit confronté avec une nouvelle mission, opérer sa jonction avec Allemand, sorti de Rochefort, et dégager l'escadre de Brest. Mission impossible : Villeneuve préfère réserver l'avenir en s'enfermant dans Cadix. Cependant Napoléon s'impatiente ; la situation se dégrade sur le continent, il faut réussir la descente dans les plus brefs délais. De là les ordres pressants qui parviennent à Villeneuve au moment où Napoléon a déjà renoncé au débarquement. Le 26 août, l'Empereur a pris sa décision ; le 29, les premiers détachements partent pour l'Allemagne. C'est Villeneuve qui portera dans l'esprit de Napoléon la responsabilité de l'échec d'une entreprise à laquelle personne ne croyait à Boulogne. Pressé d'ordres contradictoires, Villeneuve finit par sortir et se heurta, au large du cap Trafalgar, à Nelson et Collingwood, le 21 octobre : la ligne franco-espagnole fut enfoncée : un vaisseau sautait, dix-sept étaient pris, Villeneuve se rendait. Dumanoir, qui avait réussi à s'enfuir, était écrasé au combat d'Ortegal. Victoire décisive de la flotte anglaise, due au niveau technique élevé de ses équipages et à la précision de ses canonniers, mais victoire chèrement payée par la mort de Nelson, tué sur le Victory d'une balle tirée par un gabier du Redoutable. Victoire décisive dans la mesure où Napoléon n'a plus de flotte de valeur à opposer à l'Angleterre; découragé, il lui abandonne la maîtrise des mers, c'est-à-dire la victoire finale. Mais nul ne sait encore, pas même Pitt, le premier ministre, que les Anglais ont gagné la guerre. AUSTERLITZ L'or anglais n'était pas resté inactif sur le continent. Il parvint à nouer une coalition, la troisième contre la France. La Russie se laissa convaincre sans difficulté : Alexandre Ier jalousait Bonaparte, l'anglomanie triomphait à Saint-Pétersbourg où l'exécution du duc d'Enghien avait fait une vive impression ; le principal conseiller du tsar, le Polonais Czartoryski, poussait son maître à reprendre la guerre contre la France. L'Angleterre promettait 1 250 000 livres par an pour chaque centaine de milliers d'hommes engagés dans le conflit par la Russie. Mécontente des remaniements territoriaux décidés par la France en Allemagne et en Italie, l'Autriche se joignit à la coalition où entrèrent également les Bourbons de Naples. La formation de cette coalition rappelait celles qu'avait constituées l'Angleterre contre la Révolution; elle ne pouvait donc surprendre l'opinion française. Napoléon lui-même, dans sa proclamation du 30 septembre 1805, parlait de « troisième coalition » : « Soldats, Votre Empereur est au milieu de vous ; vous n'êtes que l'avant-garde du grand peuple. S'il est nécessaire, il se lèvera tout entier à ma voix pour confondre et dissoudre cette nouvelle ligue qu'ont tissée la haine et l'or de l'Angleterre. » Une certaine inquiétude devant la reprise des opérations continentales se manifestait toutefois. Des bruits couraient concernant les caisses de la Banque : Napoléon les aurait vidées au moment de partir en campagne. L'inquiétude se transforma en panique. Panique excessive mais qui aggrava les embarras de la Banque compromise par l'impéritie du ministre du Trésor dans la gigantesque spéculation sur les piastres mexicaines montée par Ouvrard. La dépression de 1806 sur laquelle nous reviendrons fut avant tout une crise de confiance née du renouveau des hostilités sur le continent. Napoléon sut par les bulletins de la Grande Armée, qui justifiaient et expliquaient les opérations militaires, rétablir « le moral de la nation ». Ces bulletins connurent dès 1806 une vaste diffusion : les acteurs les déclamaient sur la scène des théâtres, les professeurs les lisaient aux élèves, les curés les commentaient en chaire; ils pénétraient jusque dans les villages les plus reculés où leur arrivée était annoncée au son de la cloche ou du tambour. Leur retentissement était prolongé par la presse et par la poésie : Le Bulletin impérial, tel était le titre donné en 1806 à ses « stances héroïques » par Colson. Un lien s'établissait ainsi entre les forces militaires et le pays, et maintenait la fiction d'une armée nationale, quand la Grande Armée n'était plus que l'instrument des desseins de l'Empereur. Mais plus encore que les bulletins, ce furent les victoires foudroyantes de Napoléon qui rétablirent la confiance. De Boulogne, le 13 août 1805, il avait dicté un plan d'opérations qui prévoyait le déplacement de la Grande Armée des côtes de la Manche vers l'Allemagne. L'attaque-surprise des forces autrichiennes contre la Bavière, alliée de la France, loin de le prendre au dépourvu, fournit à l'Empereur l'occasion de se retirer du guêpier de Boulogne. Cependant que le commandement du camp était confié à Brune, la Grande Armée divisée en sept corps (Bernadotte, Marmont, Davout, Soult, Lannes, Ney et Augereau, la réserve de cavalerie étant sous Murat) marchait vers le Rhin, selon des itinéraires prévus à l'avance. En vingt jours, la Grande Armée était concentrée à Mayence. Par la vallée du Main et Donauwoerth, sur le Danube, Napoléon venait couper la ligne de retraite du général Mack, agresseur de la Bavière. Battus à Elchingen où s'illustra Ney, le 14 octobre, les Autrichiens s'enfermaient dans Ulm. Mack capitulait le 20 octobre 1805, veille de Trafalgar. La première partie de la campagne avait duré deux semaines. En dépit de ce qui a été généralement écrit, la campagne se heurta à des difficultés matérielles : si chaque soldat reçut sur le Rhin les paires de chaussures nécessaires ainsi que la solde jusqu'au 23 octobre, si les lignes d'approvisionnement, à mesure que l'armée pénétrait en Allemagne, furent bien conçues, on comptait déjà, le 22 novembre, huit mille malades, la marche trop rapide avait fait périr de nombreux chevaux et les vols étaient si nombreux à l'arrière que Napoléon, par un ordre du jour du 25 novembre, avait dû mettre en place des commissions militaires. D'Ulm, Napoléon fonçait sur Vienne dont il s'emparait sans résistance, le 15 novembre. François II avait évacué sa capitale pour opérer sa jonction avec les forces du tsar Alexandre. La « bataille des trois empereurs » eut lieu le 2 décembre, jour anniversaire du sacre, sur un champ de bataille choisi par Napoléon lui-même : Austerlitz. La plus belle des victoires napoléoniennes est aussi la plus limpide. Le plan de l'Empereur était simple : après avoir abandonné aux Austro-Russes le plateau de Pratzen et déployé ses divisions devant ce plateau (Soult au centre, Davout à droite, Lannes et Murat à gauche), inspirer à l'ennemi le projet, dans l'espoir de lui couper la retraite vers Vienne, de tourner l'armée française par sa droite volontairement affaiblie. Pour exécuter ce projet, l'état-major adverse devait dégarnir son centre, à Pratzen, de façon à renforcer sa gauche. Dès que cette faute serait commise, Napoléon escaladerait le plateau, enfoncerait le centre du dispositif austro-russe ainsi dégarni, couperait l'armée ennemie en deux et écraserait l'aile la plus faible. Tout se passa comme prévu. Engagée à sept heures avec le lever du soleil, la bataille s'achevait vers seize heures, à la tombée de la nuit, par la déroute des Russes. « J'avais vu déjà quelques batailles perdues, dira l'un des principaux acteurs, l'émigré Langeron; je n'avais pas l'idée d'une pareille défaite. » L'ennemi perdait 27 000 hommes, 40 drapeaux et 180 canons. Cependant que les Russes se retiraient par étapes, les Autrichiens entamaient des négociations qui aboutirent à la signature du traité de Presbourg, le 26 décembre 1805. Malgré les recommandations de modération de Talleyrand à Napoléon, l'Autriche abandonnait Venise, l'Istrie et la Dalmatie au royaume d'Italie (l'ancienne République cisalpine transformée en royaume par la volonté de l'Empereur qui s'était fait couronner à Milan le 26 mai 1805), la Souabe et le Tyrol aux électeurs de Wurtemberg et de Bavière. Elle s'était engagée à verser 32 millions en lettres de change et 8 millions en numéraire. Les comptes de l'intendance militaire révèlent le caractère fructueux de la campagne de 1805. Les conséquences européennes de la défaite autrichienne étaient immenses : déjà maître de l'Italie du Nord, Napoléon, contournant Rome, s'installait dans le Sud ; par un simple décret daté du 27 septembre 1805, « comme s'il se fût agi de la révocation d'un de ses préfets », il enlevait le royaume de Naples aux Bourbons, imprudemment entrés dans la troisième coalition. « Soldats ! La dynastie de Naples a cessé de régner. Son existence est incompatible avec le repos de l'Europe et l'honneur de ma Couronne (il n'était plus question du Grand Peuple ou de la Grande Nation). Marchez, précipitez dans les flots, si tant est qu'ils vous attendent, ces débiles bataillons des tyrans des mers. Ne tardez pas à m'apprendre que l'Italie entière est soumise à mes lois et à celles de mes alliés. » Joseph, qui avait refusé le royaume d'Italie, reçut, sans possibilité de discussion, le trône de Naples. « Vous lui direz que je le fais roi de Naples, mais que la moindre hésitation, la moindre incertitude le perd entièrement. Je ne reconnais pour parents que ceux qui me servent. Ceux qui ne s'élèveront pas avec moi ne seront plus de ma famille. J'en fais une famille de rois ou plutôt de vice-rois. » Joseph et Masséna marchèrent avec quarante mille hommes sur Naples. Ferdinand IV puis sa terrible épouse Marie-Caroline devaient s'enfuir en Sicile. Aucune résistance dans le peuple, plutôt de l'indifférence. Le 15 février, le nouveau monarque faisait son entrée dans Naples. Rien ne paraissait résister à Napoléon. Chassée d'Italie, l'Autriche le fut aussi d'Allemagne. Les victoires de la Révolution avaient reculé jusqu'au Rhin la frontière française ; le recès de 1803 avait procédé à une première simplification de la carte de l'Allemagne; Austerlitz ouvrit la voie à de nouveaux remaniements : le grand-duché de Berg fut attribué à Murat, Neuchâtel à Berthier; les électeurs de Bavière et de Wurtemberg reçurent la couronne royale, par décision de l'Empereur qui se substituait ainsi aux anciennes institutions. Les nouveaux rois entraient avec la totalité des princes de l'Allemagne du Sud et de l'Ouest dans une Confédération du Rhin placée sous l'hégémonie française. Les États confédérés du Rhin, dont la capitale était Francfort, siège d'une diète formée de deux collèges, reconnaissaient Napoléon comme protecteur et lui abandonnaient la direction de la politique extérieure, le droit de guerre et de paix et le commandement des forces armées. Cette sécession entraînait la ruine du Saint-Empire romain germanique, réduit à l'Autriche, à la Prusse et à quelques États du Nord. Le 6 août 1806, François II renonçait à son titre d'empereur d'Allemagne : devenu François Ier — exemple rare de rétrogradation —, il s'intitula désormais empereur héréditaire d'Autriche. Ces remaniements furent suivis par la transformation de la République batave en un royaume de Hollande confié à Louis. Une active politique matrimoniale complétait ces succès diplomatiques. Adopté par Napoléon, successeur de celui-ci au trône de Milan, dont la paix de Presbourg avait imposé, en guise de concession à l'Autriche, la future séparation à perpétuité du trône impérial français, altesse impériale et royale, Eugène de Beauharnais épousait Augusta de Bavière. Napoléon songeait également à marier Jérôme, lorsque l'union de celui-ci avec l'Américaine Patterson aurait été cassée. Jérôme épousera en 1807 la fille du roi de Wurtemberg, et Stéphanie de Beauharnais, devenue pour la circonstance fille adoptive de l'Empereur (elle était la cousine de Joséphine), sera mariée à l'héritier de Bade. L'opinion française avait appris avec enthousiasme la victoire d'Austerlitz. Elle en escomptait la paix tant désirée. On lit dans le Journal de Paris du 4 décembre : Hier matin, au petit jour, trois décharges d'artillerie ont annoncé à Paris l'ouverture des négociations de paix, et au mouvement de joie bien sentie que cette nouvelle a excitée dans toutes les classes, on a pu s'assurer que, si l'éclat de nos victoires a transporté tous les cœurs, c'est qu'elles réfléchissaient avec la gloire du vainqueur, l'espérance d'une paix prochaine qui fut toujours sa grande et principale pensée. Bon résumé de l'esprit public, que confirment les rapports des préfets. La paix de Presbourg apparut comme « la préface de la paix générale », l'abandon du Hanovre à la Prusse semblait annoncer la naissance d'un axe franco-prussien, garant de l'équilibre continental. Versatile, le tsar commençait à négocier. En Angleterre Pitt, tué, disait-on, par Austerlitz, avait disparu, laissant la place à un whig, Fox, mieux disposé à l'égard de la France, et surtout convaincu de l'insuffisance de ses partenaires européens. En juin, Lord Yarmouth arrivait à Paris. Depuis mai, le représentant du tsar, Oubril, y séjournait. Du côté anglais, on achoppa sur la Sicile, que Napoléon voulait enlever aux Bourbons; du côté russe, Czartoryski, qui poussait Alexandre vers l'Orient, fut écarté au profit du francophobe Budberg. Tout espoir de paix s'éloigna. Une belle occasion de rétablir l'équilibre européen était manquée. La déception fut vive en France ; s'y ajoutait une sourde inquiétude devant l'étrange politique menée par Napoléon. Que signifiaient la création de nouvelles royautés, cette orientation dynastique donnée à la diplomatie française? Où était l'intérêt de la Grande Nation, évoquée au début de la campagne, dans ces tractations matrimoniales, dans ces distributions de couronnes? L'un des principaux bénéficiaires, Murat, aurait critiqué son beau-frère en ces termes : « La France, quand elle vous a élevé sur le trône, a cru trouver en vous un chef populaire, décoré d'un titre qui devait le placer au-dessus de tous les souverains de l'Europe. Aujourd'hui vous rendez hommage à des titres de puissance qui ne sont pas les vôtres, qui sont en opposition avec les nôtres, et vous allez seulement montrer à l'Europe combien vous mettez de prix à ce qui nous manque à tous, l'illustration de la naissance. — Monsieur le prince Murat, aurait répondu l'Empereur, je vous vois toujours avec confiance à la tête de ma cavalerie. Mais il ne s'agit pas ici d'une opération militaire, il s'agit d'un acte de politique et j'y ai bien réfléchi. Ce mariage (celui d'Eugène avec la fille de Max Joseph de Bavière) vous déplaît. Il me convient, et je le regarde comme un grand succès, comme un succès égal à la victoire d'Austerlitz. » Murat ne fut-il pas, après Lucien, le plus lucide des membres de la famille Bonaparte ? Il alertait Napoléon : celui-ci était en train de trahir la Révolution. L'avertissement a-t-il été connu de certains ministres ? Murat avait été attiré dans les rais de Talleyrand et de Fouché dès la crise de Marengo ; on entendra à nouveau son nom prononcé dans les conciliabules de ces représentants de la notabilité révolutionnaire, en 1808, lorsque la guerre d'Espagne prendra un tour fâcheux; en 1814, c'est l'Italie qui regardera dans la direction de ce brillant « cavalier et roi », un peu vite réduit par les historiens au rôle de reître. Faut-il attribuer cette lucidité politique à Caroline Bonaparte, son épouse ? IÉNA Mais on n'a guère le temps en 1806 de s'interroger sur les intentions de Napoléon, sur sa fidélité aux principes de la Révolution, sur le passage de la « Grande Nation » au « Grand Empire », sur la transformation du « Robespierre à cheval » en nouveau Charlemagne. Déjà les opérations reprennent. Pour la deuxième fois depuis 1792, la France et la Prusse vont en découdre. Incontestablement Berlin porte la responsabilité de cette nouvelle guerre; indubitablement le conflit prolonge les guerres révolutionnaires. Voici la « quatrième coalition » en marche contre les idées de 1789. Un moment désorienté, le pays resserre ses rangs autour du Sauveur. Jamais le danger ne fut plus grand : la Prusse était considérée comme la première puissance militaire de l'Europe depuis Frédéric II. Son intervention aurait pu changer en 1805 le cours de la guerre. Napoléon lui avait offert le Hanovre, à titre définitif en cas d'alliance, à titre provisoire si elle maintenait une neutralité amicale. De leur côté la Russie et l'Autriche avaient prié Frédéric-Guillaume III de se joindre à la coalition. Les conseillers du roi de Prusse, Haugwitz, Hardenberg et Brunswick, recommandaient d'armer ostensiblement mais de différer toute intervention. La victoire d'Austerlitz et la session du Hanovre à Frédéric-Guillaume donnaient raison à leur prudente expectative, mais la formation de la Confédération du Rhin inquiétait Berlin : l' « unité allemande » passerait-elle par Paris? A dire vrai, Talleyrand avait fait miroiter aux ministres prussiens, le 22 juillet 1806, en cette année où la paix générale semblait si proche, de riantes perspectives : « Sa Majesté prussienne peut réunir sous une nouvelle loi fédérale les États qui appartiennent encore à l'Empire germanique et faire entrer la couronne impériale dans la maison de Brandebourg. » Qu'eût donné cette division de l'Allemagne en deux Confédérations? Napoléon était-il sincère? Son offre de restitution du Hanovre à l'Angleterre fut interprétée par Berlin comme une trahison et détermina un rapprochement russo-prussien le 12 juillet. La Prusse se laissa finalement entraîner dans la guerre : dès le 9 août, elle mobilisait ses forces; le 26, elle lançait un ultimatum à la France : Napoléon devait ramener ses troupes en deçà du Rhin avant le 8 octobre. L'ultimatum parvint à l'Empereur alors qu'il se trouvait à Bamberg. Dans un souci d'économie, il avait laissé la Grande Armée en Allemagne où elle vivait sur le pays. La proclamation du 6 octobre ne laissait aucun doute sur les intentions de Napoléon. Après avoir atténué l'amertume de ses soldats (« l'ordre pour votre entrée en France était parti ; des fêtes triomphales vous attendaient et les préparatifs pour vous recevoir étaient commencés dans la capitale »), Napoléon rejetait la responsabilité du nouveau conflit sur Berlin et rappelait le précédent des plaines de Champagne, en 1792, où les Prussiens avaient déjà trouvé « la défaite, la mort et la honte ». C'était habilement souligner que le même combat continuait quatorze ans plus tard. Dans le premier bulletin de la Grande Armée il parlait de « l'égarement » de la reine Louise de Prusse qui avait été la plus violente dans le déchaînement des haines contre la France. « Égarement » était bien le mot qui convenait : la Prusse se jetait dans la guerre, sans attendre l'arrivée de l'alliée russe, avec des finances délabrées et une opinion indifférente, à l'exception des hautes classes. Le plan prussien consistait à faire envahir la Bavière par trois armées : soixante mille hommes sous le commandement du roi et du duc de Brunswick, cinquante mille Saxons et Prussiens sous celui du prince de Hohenlohe et trente mille sous Ruchel. Avant qu'elles aient pu opérer leur jonction, Napoléon les interceptait. A Iéna, le 14 octobre, il surprenait Hohenlohe : la supériorité numérique des Français transformait la défaite prussienne en déroute totale. Selon le récit officiel de la bataille donnée par le 5e bulletin : Le brouillard couvrit les deux armées pendant deux heures, mais enfin il fut dissipé par un beau soleil d'automne. Les deux armées s'aperçurent à une petite portée de canon. La gauche de l'armée française, appuyée sur un village et des bois, était commandée par le maréchal Augereau. La garde impériale la séparait du centre qu'occupait le corps du maréchal Lannes. La droite était formée par le corps du maréchal Soult. L'armée ennemie était nombreuse et montrait une belle cavalerie : ses manœuvres étaient exécutées avec précision et rapidité. L'Empereur eût désiré de retarder de deux heures d'en venir aux mains, afin d'attendre, dans la position qu'il venait de prendre, après l'attaque du matin, les troupes qui devaient le joindre et surtout sa cavalerie, mais l'ardeur française l'emporta. Plusieurs bataillons s'étant engagés au village d'Holhstaedt, il vit l'ennemi s'ébranler pour les en déposter; le maréchal Lannes reçut ordre sur-le-champ de marcher en échelons pour soutenir ce village. Le maréchal Soult attaqua un bois sur la droite. L'ennemi ayant fait un mouvement de sa droite sur notre gauche, le maréchal Augereau fut chargé de le repousser. En moins d'une heure l'action devint générale : deux cent cinquante mille ou trois cent mille hommes, avec sept ou huit cents pièces de canon, semaient partout la mort et offraient un de ces spectacles rares dans l'histoire. De part et d'autre on manœuvra constamment comme à la parade ; parmi nos troupes, il n'y eut jamais le moindre désordre, la victoire ne fut pas un moment incertaine... Le maréchal Soult ayant enlevé le bois qu'il attaquait depuis deux heures, fit un mouvement en avant : dans cet instant on prévint l'Empereur que les divisions de cavalerie française de réserve commençaient à se placer et que deux nouvelles divisions du corps du maréchal Ney se plaçaient en arrière, sur le champ de bataille. On fit alors avancer toutes les troupes qui étaient en réserve, sur la première ligne qui, se trouvant ainsi appuyée, culbuta l'ennemi en un clin d'œil et le mit en pleine retraite. Il la fit en ordre pendant la première heure, mais elle devint un affreux désordre, du moment que nos divisions de dragons et nos cuirassiers, ayant le grand-duc de Berg à leur tête, purent prendre part à l'affaire. A trois lieues au nord, à Auerstaedt, le gros des forces de Brunswick se heurtait à l'avant-garde de Napoléon, commandée par Davout qu'assistaient trois remarquables divisionnaires, Friant, Gudin et Morand. Davout soutint le choc et culbuta même Brunswick, blessé à mort dans l'action. Les fuyards des deux armées prussiennes s'entremêlèrent, provoquant une panique générale. Que Davout eût flanché et le sort de la bataille eût été changé : on remarquera que le récit officiel est très discret sur le combat d'Auerstaedt. Rien non plus sur Bernadotte qui, placé entre les deux champs de bataille, n'intervint pas. Les Prussiens avaient perdu d'un coup vingt-sept mille tués et blessés, vingt mille prisonniers, la totalité de leur artillerie. Les forteresses tombèrent sans résistance, à l'exception de Kolberg, de Dantzig et de Graudentz. Le 27 octobre, Napoléon entrait dans Berlin tandis que Frédéric-Guillaume se réfugiait auprès du tsar. Sans attendre, Napoléon réglait le sort de l'Allemagne conquise. Il ordonnait la prise de possession de tous les États prussiens entre Rhin et Elbe, de ceux du duc de Brunswick, du prince d'Orange et de l'électeur de Hesse-Cassel. La Prusse devait payer une énorme contribution de guerre : 159 425 000 francs. Ses anciennes possessions étaient divisées par le décret du 3 novembre 1806 en quatre départements : Berlin, Custrin, Stettin et Magdebourg, placés sous l'autorité d'un gouverneur général, Clarke, assisté de l'intendant général Daru, du trésorier général Estève et du receveur général des contributions La Bouillerie. L'Empereur pardonnait en revanche à la Saxe dont il libérait, au lendemain d'Iéna, les six mille soldats et les trois cents officiers prisonniers, avant de faire de l'électeur un roi de Saxe entrant dans la Confédération du Rhin avec les cinq ducs de Saxe-Weimar, Gotha, Meiningen, Hildburghausen et Cobourg. Le contingent de la Saxe pour la suite de la guerre était fixé à vingt mille hommes. Ainsi l'Allemagne du Nord entrait-elle à son tour dans la mouvance française. LA GUERRE FRANCO-RUSSE Restait la Russie. Napoléon renforça son armée (le sénatus-consulte du 15 décembre autorisait la levée de quatre-vingt mille conscrits dont soixante mille immédiatement qui devaient être habillés, chaussées et équipés dans les trois centres de Boulogne, Mayence et Potsdam) puis il se porta à la rencontre des Russes en Prusse orientale. Mais le théâtre des opérations n'était adapté ni à son génie, ni aux conditions de vie et de manœuvres de la Grande Armée. De surcroît, en se retirant, les Russes brûlaient tout, ce qui provoqua des difficultés d'approvisionnement. En revanche l'armée russe, nombreuse et tenace, opérait sur un terrain et dans des conditions climatiques qui lui convenaient à merveille. A la guerre-éclair succédaient l'enlisement dans la boue, les difficultés d'approvisionnement, le froid et la pluie, et à l'arrière, les attaques isolées des partisans prussiens. Le 6 février, Napoléon écrivait à Daru : « Vous ne devez pas vous dissimuler que de tout ce que vous avez envoyé à l'armée, rien n'y est arrivé, parce que l'armée a toujours marché, au lieu que si tout cela avait pu partir en même temps que l'armée, elle eût été abondamment nourrie. » L'affrontement des deux forces eut lieu à Eylau, le 8 février 1807, au milieu d'une aveuglante tempête de neige. Bataille indécise. Napoléon avait cru surprendre les Russes, c'est lui qui fut surpris en état d'infériorité : aux cinquante mille Français, Bennigsen opposait soixante-dix mille hommes. Perdant sa direction dans la tourmente, le corps d'Augereau fut anéanti ; l'offensive russe faillit enfoncer le centre du dispositif français. Napoléon ne redressa la situation qu'en lançant une colossale charge de cavalerie, quatre-vingts escadrons sous le commandement de Murat. La nuit tombait et les Russes restaient accrochés au terrain quand l'arrivée de Ney sur leur droite les contraignit à se retirer. Sur la neige gisaient vingt-cinq mille Russes et peut-être dix-huit mille Français. A propos de cette bataille on évoque traditionnellement le célèbre tableau de Gros. L'envers du combat nous est donné par Percy, le chirurgien de la Grande Armée : Jamais tant de cadavres n'avaient couvert un si petit espace. La neige était partout teintée de sang; celle qui était tombée et qui tombait encore commençait à dérober les corps aux regards affligés des passants. Les cadavres étaient amoncelés partout où il y avait quelques bouquets de sapins, derrière lesquels les Russes avaient combattu. Des milliers de fusils, de bonnets, de cuirasses étaient répandus sur la route ou dans les champs. Au déclin d'une montagne dont l'ennemi avait sans doute choisi le revers pour mieux se défendre, il y avait des groupes de cent corps ensanglantés ; des chevaux estropiés mais vivants, attendaient que la faim vînt les faire tomber à leur tour sur ces monceaux de morts. Nous avions à peine traversé un champ de bataille que nous en rencontrions un autre, et tous étaient jonchés de cadavres. Vision d'horreur que le 64e bulletin ne peut dissimuler : « Après la bataille d'Eylau, l'Empereur a passé tous les jours plusieurs heures sur le champ de bataille, spectacle horrible, mais que le devoir rendait nécessaire. Il a fallu beaucoup de travail pour enterrer tous les morts. » Épuisé nerveusement, Napoléon suspend les opérations. Il s'installe au château de Finkenstein. De là, il prépare un nouveau plan de campagne contre le tsar : Sébastiani à Constantinople, Marmont en Dalmatie, Gardanne envoyé auprès du shah de Perse à Téhéran, doivent détourner une partie des forces russes vers l'Orient. En mai 1807, Dantzig, assiégé par Lefebvre et d'excellents officiers d'artillerie et du génie comme Lariboisière et Chasseloup-Laubat, tombe, ouvrant la route de la Pologne. Dans le même temps Napoléon renforce ses effectifs. La vie matérielle reste difficile : les transports sont paralysés par le manque de chevaux et la médiocrité du réseau fluvial. D'où le problème persistant du ravitaillement qui provoque la multiplication des déserteurs et des pillards. « Si j'avais à Osterode six mille quintaux de farine, je serais maître de mes mouvements », soupire Napoléon le 8 mars 1807. Avec le printemps, reprennent les opérations. Napoléon marche sur Koenigsberg où se trouvent les principaux magasins de l'armée russe. Bennigsen tente une attaque de flanc pour dégager la citadelle. L'affrontement se produit le 14 juin à Friedland, dans une situation désavantageuse pour les Russes, le dos à la rivière d'Alle. Lannes, qui avait accroché l'ennemi dès trois heures du matin, fit durer les opérations pour donner à Napoléon le temps d'accourir d'Eylau avec le gros de ses troupes. La véritable bataille s'engagea à dix-sept heures; elle dura six heures. A gauche et au centre Mortier et Lannes avaient mission de contenir Gortchakof. A droite Ney devait, sans souci des pertes, enfoncer la gauche ennemie sous Bagration, enlever Friedland qui dominait le terrain en arrière du dispositif russe, et couper les ponts de l'Alle par où les Russes avaient franchi la rivière. Lannes et Mortier prendraient alors l'offensive. Dès vingt heures Friedland était aux mains des Français; à vingt-deux heures, Lannes et Mortier jetaient dans l'Alle Gortchakof privé de retraite faute de ponts; des centaines de Russes périrent noyés dans la rivière. La journée coûtait au tsar vingt-cinq mille hommes et quatre-vingts canons. Ses forces battaient en retraite sur le Niémen. Malgré la médiocrité des subsides anglais, la guerre avec la Turquie, la menace d'une insurrection polonaise, rien n'était pourtant perdu, mais de caractère versatile, passant par des phases d'enthousiasme puis de dépression, Alexandre se décida à traiter avec Napoléon. La rencontre des deux empereurs eut lieu à Tilsit, le 25 juin 1807, sur un radeau établi au milieu du Niémen. « Sire, je hais les Anglais autant que vous ! — En ce cas la paix est faite. » Dans l'échange de ces mots tient la signification de l'accord conclu entre les deux empereurs. Il n'y eut pas, comme on l'a écrit abusivement, partage du monde, mais alliance contre l'Angleterre. Le but de Napoléon, note justement Albert Vandal, était de vaincre l'Angleterre et de conquérir la paix générale. De toutes les puissances, la Russie lui semblait la mieux placée pour l'assister dans cette tâche; elle pourrait l'y aider par sa situation géographique, à la fois continentale et maritime, par sa force, par l'immensité de ses moyens ; elle lui offrait prise par son désarroi présent, il allait à elle afin de lui proposer de lutter à deux contre l'Angleterre. La Prusse dans l'immédiat, la Turquie dans un avenir plus lointain, faisaient les frais de l'accord signé le 7 juillet. Les États enlevés à la Prusse entre l'Elbe et le Rhin ainsi qu'une partie du Hanovre formaient le royaume de Westphalie donné par Napoléon à Jérôme. Les parties polonaises de la Prusse constituaient par ailleurs le grand-duché de Varsovie confié au roi de Saxe qui entrait, avec le roi de Westphalie, dans la Confédération du Rhin. Celle-ci englobait désormais toute l'Allemagne à l'exception de la Prusse et de l'Autriche. Napoléon proposait sa médiation dans le conflit russo-turc ; si le sultan ne l'acceptait pas, on procéderait au démembrement des provinces ottomanes d'Europe pour ne laisser aux Turcs que Constantinople et la Roumélie. Alexandre, qui reconnaissait par ailleurs tous les changements survenus en Europe, offrait de son côté sa médiation dans la guerre franco-anglaise : en cas de refus, Alexandre s'engageait à se joindre à Napoléon pour faire pression sur les cours de Copenhague, Stockholm et Lisbonne en vue de la fermeture de leurs ports aux marchandises britanniques. Dans la nouvelle stratégie définie par Napoléon après l'échec de Trafalgar et connue sous le nom de « Blocus continental », la Russie devenait l'atout décisif. Les Anglais en firent l'amère expérience dès le début de 1808. Jamais Napoléon ne fut alors si près de la victoire et le continent de la paix générale. POURQUOI AUSTERLITZ ET IÉNA Les victoires foudroyantes de Napoléon à Austerlitz et Iéna ont fasciné les contemporains. Clausewitz et Jomini ont consacré de longues analyses au génie militaire de Napoléon, ouvrant la voie aux théoriciens et aux stratèges du XIXe et du XXe siècle. Les erreurs d'appréciation de Napoléon furent pourtant considérables. Notons au passif son refus des innovations techniques; « chariot d'eau mû par le feu » de Fulton ou fusées de Congreve, télégraphe de Jean Alexandre et ballons d'observations du commandant Coutelle. Il a fait toutes ses campagnes avec les armes héritées de l'Ancien Régime : le fusil modèle 1777 (à peine modifié en 1803) et les canons de Gribeauval. Il demeurait indifférent aux recherches de Berthollet qui proposait de remplacer dans la fabrication de la poudre le salpêtre (nitrate de potasse) par le chlorate de potasse; il négligeait la découverte de Forsyth remplaçant la platine à silex par une amorce fulminante placée au contact de la charge. Il savait que le fusil prussien portait une lame coupante avec laquelle le troupier ouvrait la cartouche sans avoir besoin de la mordre : cette innovation peu coûteuse permettait à l'infanterie de Frédéric-Guillaume III de tirer plus vite que la nôtre. Napoléon n'y attacha aucune importance. Il décida même de rendre à douze régiments de cavalerie le casque et la cuirasse abandonnés depuis Louis XIV. On a moins souvent souligné son étonnante ignorance du climat, de la géographie qu'illustrent les terribles pertes d'Égypte et de Saint-Domingue dues aux conditions naturelles ; on oublie l'imprudence qui lui a fait franchir l'Oder en 1806 sans tenir compte au départ de la neige, de la boue et du froid. La méconnaissance du terrain et l'absence d'éclaireurs l'ont mis dans des positions fâcheuses à Marengo et à Eylau. Mauvais joueur d'échecs, Napoléon n'en était pas moins convaincu, comme tous les généraux issus de la Révolution, des mérites de l'offensive. Clausewitz montrera, en sens contraire, que « toute offensive s'affaiblit du fait même de sa progression ». La campagne de Russie lui donnera raison : « Un demi-million d'hommes traversèrent le Niémen, cent vingt mille combattirent à Borodino, et moins encore atteignirent Moscou. » Clausewitz concluait que « la forme défensive de la bataille est plus forte que la forme offensive ». Les idées stratégiques de Napoléon n'étaient pas neuves; elles venaient tout droit de Guibert et du principe divisionnaire : articulation de l'armée en corps d'armée autonomes formés de deux ou trois divisions d'infanterie, une division de cavalerie, de l'artillerie et des services. Principale raison de ses succès : il distingue entre le dispositif de marche dispersé et le dispositif de bataille concentré. En dispersant ses troupes dans les déplacements, il peut vivre sans problème sur le pays et constituer une nasse dans laquelle l'ennemi continuant à manœuvrer de façon groupée viendra se prendre. Mack reste-t-il immobile à Ulm, il est encerclé; les Prussiens se déplacent-ils en 1806, ils se font contourner par Napoléon et se voient contraints de livrer bataille à fronts renversés, c'est la déroute d'Iéna. La guerre devient rapide, foudroyante. Quand l'ennemi marche en colonnes séparées, Napoléon peut manœuvrer en « lignes intérieures » : il freine l'une ou l'autre colonne par des détachements qui ont pour mission de retarder leur avance. Il porte cependant le gros de ses forces sur l'une de ces colonnes qu'il écrase, puis se retourne contre l'autre. Toute la manœuvre repose sur son dispositif de marche en filet qui lui permet à tout moment de tirer les cordons et de refermer la nasse sur tout ou une partie de l'ennemi. Pendant la bataille, il sait exploiter l'erreur de l'adversaire ou même l'inciter à commettre la faute qui le perdra, ainsi à Austerlitz. Au pire, par l'intervention inattendue d'un corps séparé, sur le flanc ou les arrières de son vis-à-vis, il crée « l'événement » qui détermine la victoire. Mais l'Europe apprendra vite les règles de ce nouveau jeu et éventera les pièges que lui tend l'Empereur. La tactique napoléonienne se heurtera non plus à des armées en rase campagne mais à des forces retranchées au Portugal, à Borodino ou à Waterloo. De plus la lourdeur des effectifs, la difficulté des communications, les problèmes de langue dans une armée de plus en plus internationale, interdisent à Napoléon une aussi grande mobilité que lors de la première campagne d'Italie. Il manœuvre de moins en moins, et recherche l'avantage par la puissance du feu de gigantesques batteries ou par des charges massives de cavalerie, comme à Eylau. La bataille devient alors boucherie. Dès la campagne de Prusse orientale à la fin de 1806, le déclin est évident. L'effet de surprise qui avait favorisé la guerre-éclair a cessé de jouer. Encore en 1806 et 1807, Napoléon rencontrait-il en Pologne un environnement politique favorable (les Polonais attendaient de lui la résurrection de leur royaume). Vienne et Berlin n'avaient pas opposé de résistance à l'entrée dans leurs murs du vainqueur d'Austerlitz et d'Iéna. Avec la guérilla, Napoléon se heurtera à une forme de guerre contre laquelle il ne trouvera pas de parade. La force des armées révolutionnaires et de la Grande Armée à ses débuts résidait dans le fait qu'il s'agissait d'armées nationales face à des bandes de mercenaires. Quand la Grande Armée aura perdu son caractère national par suite de l'hétérogénéité de son recrutement, l'ère des victoires sera révolue pour elle. Les maréchaux et généraux de Napoléon n'étaient guère des stratèges mais des fonceurs (Ney, Murat, Delort, Lasalle, Saint-Hilaire, Pacthod, Pajol, Compans, Curely, Claparède). Certains furent d'honnêtes diplomates (Lauriston, Caulaincourt, Andreossy). Il y eut des « lâches » (Monnet, mais non Baraguey d'Hilliers Marescot ou Dupont malgré leurs ennuis), des escrocs (Dutertre), des corrompus (Chabran), des déserteurs (Sarrazin, Bourmont), des généraux de père en fils (les Abbatucci, les Aboville). Certains moururent en captivité dans des conditions atroces (Lefranc), d'autres furent écartés pour républicanisme (Ambert, Delmas, Monnier) ou suspects de sympathie pour Moreau (Durutte). Plus nombreux encore furent ceux que la mitraille faucha avant qu'ils aient donné leur mesure (Desaix, Valhubert).Napoléon garda toujours le souvenir de son aide de camp, Muiron. Enfin le réservoir en hommes ira en s'affaiblissant. La conscription ne fournira plus de façon suffisante « l'Ogre » en soldats. L'avantage numérique perdu définitivement face à une Europe coalisée, Napoléon sera condamné, d'autant que la proportion des pertes jusque-là favorable aux Français tend à s'égaliser. A partir d'Eylau, l'armée paraît mal équipée, mal encadrée, souvent indisciplinée. Des forces de Boulogne il reste peu d'hommes et tous sont gradés ou dans la Garde. Les recrues de 1806 et 1807 peu instruites forment les quatre cinquièmes de l'effectif. L'élan national est vite retombé : la guerre se déroulait loin de la France et les intérêts vitaux du pays ne paraissaient pas menacés. La bourgeoisie s'inquiétait du dépassement des frontières naturelles et ne se rassurait qu'avec la perspective de nouveaux débouchés pour ses manufactures. La chambre de commerce de Paris, « prenant en considération l'état de guerre dans lequel la République se trouve replacée par la mauvaise foi de l'ennemi », avait fait l'hommage au Premier Consul, le 5 prairial an XI, d'un vaisseau de 120 canons, appelé à recevoir le nom de Commerce de Paris. Mais le cœur n'y était pas. Pourtant la guerre hormis les pertes humaines ne pesait en rien sur le pays ; elle ne se déroulait pas sur son territoire. Elle rapportait au lieu de coûter. On a pu, à partir des comptes de Daru, établir le bilan de la campagne du 1er octobre 1806 au 15 octobre 1808 : les contributions extraordinaires donnèrent 311 662 000 francs, les impositions des domaines 79 667 000, les saisies de caisses 16 172 000. Aux divers impôts prélevés sur l'ennemi s'ajoutait la remonte qui avait fourni 40 000 chevaux ainsi que de nombreuses fournitures, soit un total de 600 millions tirés officiellement de Prusse, sans compter le pillage. La dépense de la Grande Armée aurait été, selon Daru, de 212 879 335 francs et le payeur général aurait encaissé 248 479 691 francs. Ainsi les campagnes de Prusse et de Pologne n'ont-elles rien coûté au contribuable français. L'opinion populaire, déjà conditionnée par les bulletins, ne pouvait qu'approuver. D'autant que les victoires de 1805 et de 1806 ont provoqué dans toute l'Europe un choc et assuré, après les deux campagnes d'Italie, la réputation d'invincibilité de Napoléon. La Révolution avait bien choisi son Sauveur. NOTES SOURCES : Sur les fonds des Affaires étrangères on consultera E. Driault, « Les sources napoléoniennes aux archives des Affaires étrangères », Revue des Études napoléoniennes, 1913, pp. 161-186, et les «Chroniques» de M. Dunan sur la Commission des archives diplomatiques dans la Revue de l'Institut Napoléon. Les archives de la guerre sont également essentielles pour les opérations militaires ainsi que la Correspondance de Napoléon Ier que l'on doit compléter par E. Picard et L. Tuetey, Correspondance inédite de Napoléon conservée aux Archives de la Guerre 1804-1810 (t. I). Y ajouter Lettres, décisions et actes de Napoléon à Pont-de-Briques et au Camp de Boulogne, par F. Beaucour (1977). Édition commode des bulletins de la Grande Armée en format de poche par J. Tulard (col. 10-18, 1964). Les textes essentiels concernant les campagnes ont été réunis et excellemment commentés par J. Delmas et P. Lesouef dans Napoléon Bonaparte, l'œuvre et l'histoire : Napoléon chef de guerre (1969). On peut suivre les opérations dans le remarquable Atlas de la Grande Armée, par J.C. Quennevat (1966). On ne peut faire abstraction de Berriat, Législation militaire (1812), et des nombreux volumes consacrés aux uniformes depuis Sauzey (1901) et Bucquoy (1907), jusqu'à L. et F. Funcken, L'Uniforme et les Armes des soldats du Premier Empire (1969) et Quennevat, Les Vrais Soldats de Napoléon (1968, d'après Adam, Bagetti, Faber du Faur, Zix et le Bourgeois de Hambourg). Cf. aussi les planches de Vernet publiées par J. et R. Brunon, et Soldats et Uniformes du Premier Empire sous la direction du docteur Hourtoulle, sans oublier les études de détail et les planches publiées régulièrement par le Carnet de la Sabretache. Sur les états de service des généraux, le Dictionnaire des généraux et amiraux français de la Révolution et de l'Empire de Six (1934-1938) ; compléments de Labarre de Raillicourt (1963 et 1966) et Chandler, Dictionary of the Napoleonic Wars (1979). Sur un point particulier : Lemonchois, Dictionnaire des officiers du Consulat et de l'Empire originaires de la Manche (1980). Les Mémoires sont abondants. Pour Saint-Domingue les Mémoires de Malouet s'arrêtent en 1799; on retiendra surtout Pamphile de Lacroix (1819) et Norvins (Mémorial, t. II, 1896). Sur Austerlitz : Barrés (1923), Bigarré (1893), Coignet (éd. Mistler, 1968), Comeau (1900), Gervais (1939), Marbot (1891), Pils (1895), Pouget (1895), Rapp (1923), Thiébault (1893). Sur Iéna : à Marbot, Pils et Rapp, ajouter Lavaux (s.d.), Levavasseur (1914), Lorencez (1902). Sur Eylau : Choderlos de Laclos (1912), Puffeney (1891) et Putigny (1950, peu sûrs). Pour Naples : Desvernois. A propos du camp de Boulogne, les notes de Bellavoine publiées par F. Beaucour dans La Revue du Nord ( 1968, pp. 435-448) sont pittoresques. On ne négligera ni Brun (1953) ni Tupinier (La Revue de France, 1924, pp. 709-740). Les Mémoires et Correspondance de Joseph (1853, t. III), Jérôme (1861, t. II et III) et Eugène de Beauharnais (1858, t. II et III) sont essentiels ainsi que les Documents historiques et réflexions sur le gouvernement de la Hollande par Louis Bonaparte (1820), et les Mémoires de la reine Hortense (1927). Du côté russe: Bennigsen, Mémoires, 1806- 1813 (s.d., 3 vol.). Sur la mentalité des troupes : Fairon et Heuse, Lettres de Grognards (1936). Lire aussi le tome de la Correspondance générale de Paul-Louis Courier (1976). Sur Saint-Domingue, Correspondance de Leclerc, éd. Roussier (1937) et les descriptions de Moreau de Saint-Méry (1798). Les souvenirs de Freminville ont été repris dans J. Nerrien, Un certain chevalier de Freminville (1970). Pour les traités : De Clercq, Recueil des traités de la France, t. II. Principaux documents diplomatiques : Select dispatches from the British Foreign Office Archives relating to the formation of the third coalition (éd. Holland Rose, 1904, fondamental) ; Mémoires et correspondance du prince Czartoryski avec l'empereur Alexandre (éd. Mazade, 1887); Vnyechnaya politika Rossy (documents provenant du ministère des Affaires étrangères de l'U.R.S.S., cf. compte rendu de M. Spivak, Revue de l'Institut Napoléon, 1976); P. Bailleu, Briefwechsel König Friedrich - Wilhem's III und der Königin Luise mit Kaiser Alexander I (1900) ; Montgaillard, Mémoires diplomatiques (publiés par Ch. de Lacroix, 1906); Talleyrand, Lettres à Napoléon, 1800-1809 (éd. Bertrand, 1889) ; l'Ambigu de Peltier à Londres. Sur la Louisiane : inventaire des documents par Bush (Revue de l'Institut Napoléon, 1979). OUVRAGES : On peut délaisser les histoires diplomatiques trop anciennes de Bignon (1838), de Capefigue (1840) et de Lefebvre (1847) ou encore de Bourgeois (Manuel d'Histoire diplomatique, t. II, 1898). En revanche Sorel (L'Europe et la Révolution française, t. VI, 1903), Driault (Napoléon et l'Europe, t. II, 1912), Fugier (La Révolution française et l'Empire napoléonien, 1954), Napoléon et l'Europe (ouvrage collectif, 1961), Connelly, Napoléon's satellite kingdoms (1965), Sieburg, Napoléon und Europa (1971) sont d'une très grande utilité. La politique coloniale du Consulat fut l'une des causes de la rupture : bons exposés dans G. Hardy, Histoire de la Colonisation française (1943), Saintoyant, La Colonisation française pendant la période napoléonienne (1931, très détaillé), Ch. A. Julien, La Politique coloniale de la France sous la Révolution, le Premier Empire et la Restauration (1955, ronéotypé). De l'abondante littérature relative à Saint-Domingue, on retiendra les histoires générales de Metral (1825), Nemours (2 vol., 1925-1928) et de James (Les Jacobins noirs : Toussaint-Louverture et la révolution de Saint-Domingue, 1949), un portrait contestable du « Napoléon noir », par A. Césaire ( 1960) et sur Leclerc, M. Champion, Bulletin de la Société historique de Pontoise (1979). Sur la Louisiane : outre la vieille histoire de Barbé-Marbois, Krebs, « Laussat préfet de la Louisiane (août 1802-avril 1804) », Revue de l'lnstitut Napoléon, 1953, pp. 65-72 ; Villiers du Terrage, Les DernièresAnnées de la Louisiane française (1904). E. Vilson-Lyon, Louisiana in French diplomacy (1934), et I. Murat, Napoléon et le Rêve américain (1976) croient à la réalité d'une « politique américaine » de Napoléon. On n'oubliera pas le grand voyage d'Humboldt et Bonpland en Amérique du Sud : commodes extraits de la relation d'Humboldt dans L'Amérique espagnole en 1800 par J. Tulard (1965), et Bouvier et Maynial, Bonpland (1952). Sur Baudin : J.-P. Faivre, L'Expansion française dans le Pacifique 1800-1842 (1953). L'intervention française en Suisse, autre motif d'inquiétude pour l'Angleterre, est étudiée par Guillon, Napoléon et la Suisse (1910); M. Dunan, « Napoléon et les cantons suisses », Revue des Études napoléoniennes, 1912, pp. 190-218. La politique italienne de Napoléon enfin est minutieusement décrite par L. Pingaud, « Bonaparte président de la République italienne » ( 1914) et « Le royaume d'Italie » (articles parus dans la Revue d'Histoire diplomatique, entre 1926 et 1934). Clair résumé dans Fugier, Napoléon et l'Italie (1947). Le projet de débarquement en Angleterre est analysé dans le tome III de Projets et tentatives de débarquement aux Iles britanniques (1901) de Desbrière. Le point de vue anglais est donné par R. Glover, Britain at Bay, Defence against Bonaparte, 1803-1814 (1973). On consultera le Bulletin historique de la Société de Sauvegarde de Pont-de-Briques qui contient plusieurs articles de détail sur le camp de Boulogne. Sur celui-ci, cf. aussi Nicolay, Napoléon aux camps de Boulogne ( 1905), et H. Rose, et A.M. Broadley, Dumouriez and the defense of England against Napoleon (1909). Trafalgar a été étudié par Desbrière (1907), Thomazi (1932), Chack (1938), Maine (1957), J. Terraine (1976, belles illustrations). On lira aussi Jurien de la Gravière, Guerres maritimes sous le Consulat et l'Empire (1881), Mahan, Influence of the sea power upon the French Revolution (1919), Tramond, Manuel d'Histoire maritime (1927), Thomazi, Napoléon et ses marins (1950), Masson et Muracciole, Napoléon et la Marine (1968). Bonnes analyses dans Dufestre, «La Manoeuvre de Boulogne», Revue des Études napoléoniennes, sept. 1922, pp. 81-109, et P. Guiot, « Le Camp de Boulogne (série d'articles publiés par Neptunia). De Boulogne à Austerlitz, la reconversion de la Grande Armée est bien évoquée par Burton, From Boulogne to Austerlitz (1912). Récit des campagnes dans Camon, La guerre napoléonienne (1903). L'histoire militaire de la troisième coalition est décrite par Alombert et Colin, La Campagne de 1805 en Allemagne (6 vol. 1902-1908, fondamental) du côté français (à compléter par Le Corps d'armée aux ordres du maréchal Mortier des mêmes auteurs, et de Colin seul, « La question des étangs d'Austerlitz », Revue historique de l'Armée, 1908), et par Mayerhoffer von Vedropolje, Die Schlacht bei Austerlitz (Vienne, 1912) du côté autrichien. Récit pittoresque d'Henry Lachouque, Napoléon à Austerlitz (1961). L'Austerlitz de Cl. Manceron (1960) relève en revanche de l'image d'Épinal. La bataille est replacée dans son ordre général par Thiry, Ulm, Trafalgar, Austerlitz (1962), et Vachée, Napoléon en campagne (1913). Pour la quatrième coalition, on ne peut ignorer les travaux de P. Foucart, Campagne de Prusse, 1806 (2 vol., 1887-1890), Campagne de Pologne, 1806-1807 (2 vol., 1882) et le Petre 1906, les Notes de Clausewitz (1903). Iéna est excellemment étudiée par H. Houssaye (1912), par Rousset, Revue des Études napoléoniennes, 1912, t. II, pp. 321-334, et de façon vivante par H. Lachouque (1961), Thiry, Iéna (1964), Tranié et Carmigniani, Prusse 1806 (1984). Plus stratégique est l'ouvrage du général Bonnal, La Manœuvre d'Iéna (1904). Sur l'entrée à Berlin, G. Lacour-Gayet, « Napoléon à Berlin », Revue des Etudes napoléoniennes, 1922, pp. 29-48. L'ouvrage de P. Grenier, Les Manœuvres d'Eylau et de Friedland (1901), n'a pas été remplacé par Petre, Napoleon's campaign in Poland (1907), et Vidal de la Blache. « La campagne de 1807 revue d'Histoire, 1939. On trouve de précieux détails dans certaines bibliographies de généraux ou de maréchaux qui se sont illustrés dans les campagnes : Comte Vigier, Davout (1898), Hourtoulle, Davout (1975) sans oublier les documents réunis par Blocqueville et Mazade, mais surtout D. Reichel, Davout ou l'art de la guerre (1975, tout à fait remarquable sur Iéna) que l'on peut compléter par G. Rivollet, Le Général de bataille Morand, les généraux Friant et Gudin... (1963) ; Thoumas, Le Maréchal Lannes (1891) ; H. Bonnal, La Vie militaire du maréchal Ney (1910-1914, 3 vol., précision des descriptions mais but apologétique ; l'on doit compléter par S. de Saint-Exupéry et Ch. de Tourtier, Les Archives du maréchal Ney, 1962 ; cf. également Lucas-Dubreton, 1941, L. Garros, 1955) et Hourtoulle, 1981 ; L. Moreel, Le Maréchal Mortier (1957), R. Lehmann, Augereau (1945, insuffisant) ; P. Saint-Marc, Le Maréchal Marmont (1957, moins bon qu'une biographie précédente de R. Christophe publiée en 1955) ; Derrécagaix, Le Maréchal Berthier ( 1905), J.S. Watson, The life of the Marshal Berthier (Londres, 1957 ; médiocre), J. Zieseniss, Berthier (1985) ; Girod de l'Ain, Bernadotte chef de guerre et chef d'État (1968, le lave du reproche d'être resté inactif à Iéna en rappelant les instructions de l'Empereur, le 13 octobre à quinze heures, d'attendre sur place de nouveaux ordres). Aucun travail sérieux sur Soult; sur Lasalle: Dupont, 1929; Hourtoulle, 1979; sur Lefebvre Wirth, 1904; sur Duroc, n° spécial du Souvenir napoléonien (1977) ; sur Bacler d'Albe, Troude (1954) ; sur Arrighi de Casanova, Du Casse (1866), sur Belliard, Derrécagaix (1909) ; sur Pajol, le livre de son descendant, 3 vol., (1874) ; sur Michaud, Fonville, 1978. On trouvera plus loin les biographies de Murat, Masséna, Suchet, Bessières, au chapitre sur la guerre d'Espagne. Les conséquences européennes des campagnes ont suscité d'innombrables travaux. Sur Naples où les Bourbons furent destitués « par un simple décret » : Ch. Auriol, La France., l'Angleterre et Naples de 1803 à 1806 (1905) ; la campagne est racontée par Éd. Gachot, la Troisième Campagne d'Italie, 1805-1806 (1911) ; l'avènement du nouveau roi et son gouvernement sont très bien décrits par J. Rambaud, Naples sous Joseph Bonaparte (1911). Louis devint roi de Hollande : Jorissen, Napoléon Ier et le Roi de Hollande (1898), Rocquain, Napoléon Ier et le Roi Louis (1875), Dubosq, Louis Bonaparte en Hollande (1911), Labarre de Raillicourt, Louis Bonaparte (1963) ont publié de nombreux documents qui éclairent d'un jour plutôt favorable l'infortuné roi accablé par F. Masson dans Napoléon et sa Famille. Les répercussions des défaites prussiennes et russes sur la Pologne ont été bien vues par Handelsman, Napoléon et la Pologne, 1806-1807 (1909), et Askenazy, Napoléon et la Pologne (1925). Signalons pour la Suisse l'excellente étude de J. Courvoisier, Le Maréchal Berthier et sa principauté de Neuchâtel (1959). Mais c'est l'Allemagne qui a été l'objet des principales modifications. Excellentes études générales par A. Rambaud, La France sur le Rhin et L'Allemagne française sous Napoléon Ier (1897); M. Dunan, L'Allemagne de la Révolution et de l'Empire (IIe partie, ronéotypé, 1954), et M. Freund, Napoléon und die Deutschen (1969). Sur les nouveaux Etats : Ch. Schmidt, Le Grand-Duché de Berg (1905; capital); A. Martinet, Jérôme Napoléon, roi de Westphalie (1902, que n'a pas remplacé Fabre, Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie, 1952). Sur les nouveaux rois : M. Dunan, Le Système continental et les débuts du royaume de Bavière (1943, un livre fondamental qui déborde le cadre de son sujet pour constituer une véritable histoire de l'Allemagne et du Blocus continental) : Bonnefons, Frédéric-Auguste, premier roi de Saxe et grand-duc de Varsovie (1902). Sur la Confédération du Rhin : Beaulieu-Marconay, Karl von Dalberg und seine Zeit (1879). Sur les dettes imposées à la Prusse, Lesage, Napoléon Ier, créancier de la Prusse (1924), et Ernouf, Les Français en Prusse en 1807 et 1808 (1875). Les papiers d'Estève, qui fut trésorier général des pays au-delà de l'Elbe, devraient permettre de préciser, lorsqu'ils seront devenus publics, les conditions de paiement. Les problèmes orientaux ont eu un rôle sinon décisif du moins important sur le déroulement des relations franco-russes, comme le montrent bien B. Mouravieff, L'Alliance russo-turque au milieu des guerres napoléoniennes (1954); N. Saül, Russia and the mediterranean, 1797-1807 (1970). Passionnant est à cet égard le livre d'Ed. Driault, La Politique orientale de Napoléon — Les missions de Sébastiani et de Gardanne (1904). Cette politique orientale a visé deux objectifs : la destruction de la puissance anglaise aux Indes et le dépècement de l'empire turc préparé par les menées séparatistes de Pasvan-Oglou en Bulgarie, de Kara-Georges en Serbie, d'Ali pacha de Janina et des Wahabites en Arabie. Rappelons la mission Boutin à Alger. Tilsit, qui marque l'apogée de Napoléon, a fait l'objet d'études importantes : S. Tatistcheff, Alexandre Ier et Napoléon (nombreux documents tirés des archives russes aujourd'hui inaccessibles, 1891); A. Vandal, Napoléon Ier et Alexandre (t. I, 1893); Driault, Tilsit (1917); M. Dunan, «Les deux grands à Tilsit» dans Napoléon («Génies et réalités», 1961); J. Thiry, Eylau, Friedland, Tilsit (1965). Sur la stratégie napoléonienne : Colin, L'Éducation militaire de Napoléon (1900, montre l'influence de Feuquières Guibert, Lloyd, Bourcet et du Teil sur la pensée napoléonienne); Camon, Quand et comment Napoléon a conçu son système de bataille (1935). Cf. du même, Quand et comment Napoléon a conçu son système de manœuvre (1931); Bonnal, Psychologie militaire de Napoléon; Yorck de Wartenbourg, Napoléon chef d'armée (1899); Druene, « Napoléon chef de guerre », Revue de l'Institut Napoléon (1967, pp. 97-116); clair et documenté est le livre de Vadrée, Napoléon en campagne (1913). Ajouter Rothenberg, The art of warfare in the age of Napoleon (1977). Quimby dans The background of Napoleonic Warfare (1957) a renouvelé le problème. Cf. aussi Chandler, The campaigns of Napoléon ( 1966). Quelques bonnes études sur les soldats : Morvan, Le Soldat impérial (1904, excellent); M. Dupont, Napoléon et ses Grognards; M. Baldet, La Vie quotidienne dans les armées de Napoléon (1964); M. Choury, Les Grognards et Napoléon (1968); Lucas-Dubreton, Soldats de Napoléon (1977); G. Blond, La Grande Armée ( 1979). Sur la Garde : Lachouque, Napoléon et la Garde impériale (1957). Picard, La cavalerie dans les guerres de la Révolution et de l'Empire (t. II, 1895). Sur les services : Philip, Études sur le service d'État-Major pendant les guerres du Premier Empire ( 1900), Lechartier, Les Services de l'arrière à la Grande Armée (1910) ; La Barre de Nanteuil, Le Comte Daru (1966, sur les commissaires des guerres et l'intendance) ; J. Bourdon, « L'administration militaire sous Napoléon Ier », Revue des Études napoléoniennes, 1917, pp. 17-47. (Excellent pour la fourniture des munitions, des armes, le nombre des chevaux, il en fallait annuellement 80 000, etc.) A. Soubiran, Larrey (1966) sur le service de santé. Sur les aides de camp : Marge-rand, Les aides de camp de Bonaparte, 1931 ; Gillot, Le Général Le Marois (1957). Bonne étude des généraux par Six en 1947 (synthèse de son dictionnaire). Sur « les oubliés de la gloire le livre de Rivollet (1969) et la biographie de l'un de ces obscurs, Hurel, par M. Le Clère, Revue de l'Institut Napoléon (1972). Il faut citer les numéros spéciaux du Souvenir napoléonien sur « Napoléon et le service de santé », sous la direction d'Alain Gérard (1976). Pour les transmissions (les estafettes, le tambour ou la trompette, le canon tirant à blanc) : Quennevat, ibidem, mars 1975, pp. 12-16. Les procédés de cryptographie étaient médiocres : les Russes, selon Alexandre Ier, lisaient sans difficultés les dépêches qu'échangeaient Napoléon et ses maréchaux (R. Ceillier, La Cryptographie, 1948). Sur le quartier impérial : M. Doher, « Napoléon en campagne », Souvenir napoléonien, nov. 1974. Mentionnons aussi Regnault, Les Aigles impériales, 1804-1815 (.1967) et P. Charrié, Drapeaux et étendards de la Révolution et de l'Empire (1982). Le système de recrutement par la conscription n'a fait l'objet d'aucune étude d'ensemble, exception faite de la publication par G. Vallée du compte général de la conscription d'Hargenvilliers (1937). Monographies régionales essentielles : P. Viard pour le Nord (La Revue du Nord, 1924, pp. 287-304; 1926, pp. 273-302); G. Vallée, La Conscription dans le département de la Charente, 1798-1807 (1973, remarquable) ; M. Lantier, « L'opposition à la conscription dans le département de la Manche de 1808 à 1815 », Rev. Dép. Manche (1960, pp. 23-47); R. Legrand, Le Recrutement et les Désertions en Picardie (1957); Vidalenc, « La désertion dans le Calvados sous le Premier Empire », Revue d'Histoire moderne (1959, pp. 60-72). J. Imbert, « Économie et Guerre, 1806 Mélanges Jacquemyns (1967), insiste sur les inégalités entre villes et campagnes dans le régime de la conscription. J. Waquet, « La société civile devant l'insoumission et la désertion, 1798-1814 », Bibl. Ecole des Chartes (1968, pp. 187-222). Notons que l'Ouest et Paris furent ménagés (Tulard, « Guerre et expansion démographique à Paris dans Contributions à l'histoire démographique de la Révolution, 1970, pp. 254-263). Les incidences démographiques sont dégagées par G. Vallée, « Population et Conscription de 1798 à 1814 », Revue de l'Institut Napoléon, 1938, pp. 152-159, 212-224 et 1939, pp. 17-23. Les levées n'ont pas compromis l'essor démographique de la France, estime avec raison Vallée. Mais elles furent injustes. L'Ariège peuplée de 196 454 habitants fournissait en 1805 444 soldats contre 956 pour Paris et en 1811 1 105 contre 1 086 venant de la capitale (Dessat et l'Estoile, Aux origines des armées révolutionnaires et impériales (1906). Cf. aussi Darquenne sur le département de Jemmapes. Sur le remplacement : Désert (Rev. Hist. Écon. et Soc. 1965) et Maureau (Rev. Inst. Nap. 1975 qui indique les prix à partir des contrats passés devant notaires). L'anthropologie du conscrit amorcée par E. Leroy-Ladurie est donnée dans le cas précis de l'Anjou par J.P. Bois (Annales de Bretagne, 1977). DÉBATS OUVERTS Qui porte la responsabilité de la reprise de la guerre? Le problème a longtemps fasciné les historiens. A. Lévy (Napoléon et la Paix, 1902) défend la thèse d'un Napoléon pacifiste reprise par Cassagnac, Napoléon pacifiste (1932). Sorel également, dans L'Europe et la Révolution française, voit dans l'Angleterre l'âme de toutes les guerres. Responsabilité de l'Angleterre dénoncée également par J. Dechamps, « La rupture de la paix d'Amiens », Revue des Études napoléoniennes, 1939, pp. 172-207. Les historiens anglais feraient davantage porter l'origine de la guerre sur Napoléon (cf. t. XII de l'Oxford history of England, par Sir George Clark, 1960). La vente de la Louisiane aux États-Unis était-elle légale ? Dans une thèse encore inédite, l'abbé Garnier a montré que le projet de vente aurait dû être soumis au Sénat. Les négociations de 1806 sont bien éclairées par P. Coquelle, Napoléon et l'Angleterre, 1803-1813 (1904), notamment le double jeu de Napoléon à l'égard de la Russie et de l'Angleterre. M. Bruguière a mis en lumière le rôle des forces financières dans ces tractations : « Hambourg et " le parti de la paix"», Francia, 1973, pp. 467-481. Quels furent le rôle et les motivations de Talleyrand ? La bibliographie qui le concerne est énorme. On négligera les ouvrages anecdotiques particulièrement nombreux : Vivent (1940), Savant (1960), Orieux (1970, Talleyrand aurait toujours agi dans l'intérêt national !), Carrère (1975) et les livres très dépassés de Bulwer (1868), Loliée (1910), Saint-Aulaire (1936) et Duff Cooper (1937). On ne peut en revanche ignorer les ouvrages consacrés à des aspects de sa vie : Greenbaum, Talleyrand statesman priest, the agent general of the clergy (1970) ; Poniatowski, Talleyrand aux États-Unis (1967) ; du même, Talleyrand et le Directoire (1982) ; L. Noël, Talleyrand (1975 ; principaux chapitres : Talleyrand était-il le père de Delacroix ? ; le mariage religieux de l'ancien évêque ; la ténébreuse affaire Maubreuil) ; M. Missoffe, Le Cœur secret de Talleyrand (1966, intéressant chapitre VIIIsur les placements financiers) ; Martinie-Dubousquet, « Talleyrand et d'illustres goutteux », Information médicale (fév. 1974, pp. 3-18). Mais l'ouvrage fondamental reste G. Lacour-Gayet, Talleyrand (4 vol., 1930-1934) que complète E. Dard, Napoléon et Talleyrand (1937, cite les archives de Vienne où figure la preuve de la trahison de Talleyrand à Erfurt, documents que M. Dunan avait découverts précédemment et qu'il a utilisés dans le chapitre VIdu Talleyrand collectif de «Génies et Réalités », 1964). Résumant les travaux précédents, L. Madelin (Talleyrand, 1944) insiste sur la politique autrichienne de celui dont Tarlé (Talleyrand, trad. Champenois) a fait le « diplomate de la bourgeoisie ascendante » : « L'Autriche est en Europe la seule puissance que puissent alarmer autant que les agrandissements de la France, les desseins tous les jours plus patents de la Russie comme de l'Angleterre sur l'Empire ottoman, la seule puissance aussi qui se puisse irriter du travail constant d'amoindrissement mené en Allemagne par les Hohenzollern contre les Habsbourg. » Il faut donc établir un axe Vienne-Paris garant de l'équilibre européen. La France doit se faire reconnaître ses frontières naturelles et n'exiger rien de plus, soit en Italie (dont la couronne serait donnée à un successeur que se désignerait Napoléon), soit en Allemagne. L. Madelin lui donne raison. Talleyrand exprimait en effet les craintes de la bourgeoisie : « L'Empereur, en arrachant des provinces à l'Autriche et en grossissant ce royaume d'Italie auquel son ministre eût voulu qu'il renonçât, entrait dans "la carrière sans terme" dont, sous le Consulat, avait parlé Talleyrand, inquiet, et la catastrophe était au bout de l'aventure à laquelle celui-ci avait, en cette fin de 1805, te,nté vainement de mettre un frein. » La biographie la plus récente de Talleyrand est celle d'André Castelot (1980). Comment s'est opéré le mouvement de la Grande Armée de Boulogne à Ulm? P.A. Wimet a contesté la célèbre dictée de Napoléon à Daru où il exposait d'un trait tout le plan de la campagne qu'il allait entreprendre contre l'Autriche et les itinéraires des sept corps de la Grande Armée : il s'agirait d'une création du « trop lyrique Ségur » (« Napoléon a-t-il dicté à Daru le plan de la campagne de 1805 ? », Revue de l'Institut Napoléon, 1971, pp. 173-182.) Le colonel Daru, s'appuyant sur les témoignages de Joseph et de Monge, a réfuté les arguments de Wimet (« A propos de la dictée de Boulogne, Revue de l'Institut Napoléon, 1972, pp. 113-115). Dans une thèse inédite sur Daru et l'Intendance militaire (dactylographiée, 1977), à laquelle nous avons emprunté les chiffres donnés dans le chapitre, M. Bergerot minimise le rôle de Daru : « L'Empereur attendait de Daru qu'il s'occupât surtout de la liste civile; le quartier général impérial était à Boulogne avec Berthier ; un plan de campagne relève plus d'un état-major que d'un commissaire général adjoint, fût-il Daru ; les étapes sont déterminées par l'état-major et l'intendance suit, si les ordres sont exécutables. Que Pierre Daru ait été mis dans la confidence de la campagne de 1805 est vraisemblable, mais qu'il en ait été le préparateur secret et quasi unique, avec Dejean, est peu compatible avec les faits établis et la coutume militaire. » Et l'auteur rappelle le rôle joué par l'intendant général Petiet, bien que malade. C'est lui, qui, le 5 septembre, sur ordre de Berthier invite les préfets à rendre praticables les routes qui mènent au Rhin. Y eut-il des fuites à propos de la manœuvre navale qui aboutit à Trafalgar ? L. Pingaud dans sa biographie du comte d'Antraigues (ch. VI) a montre que cet agent contre-révolutionnaire était renseigné de France par « le fils de l'ami », mystérieux correspondant que l'on a voulu identifier avec Daru, le parent et protecteur de Stendhal. Le colonel Daru a réfuté cette identification et montré que de toute façon les renseignements communiqués par « le fils de l'ami » n'avaient pu favoriser Nelson à Trafalgar (« La bataille de Trafalgar et le fils de l'ami », Annales historiques de la Révolution française, 1973, pp. 128-133). Contre l'opinion de Pingaud, on lira aussi J. Godechot, « D'Antraigues et les Daru ». Ibidem, 1965, pp. 401-449, très convaincant, et du même, Le comte d'Antraigues, 1986. L'espionnage a-t-il d'ailleurs joué un rôle important? Bonaparte avait déjà utilisé un agent double, Mehée de la Touche, en 1803, pour discréditer le réseau anglais de Drake. Lire P. Muller (L'Espionnage militaire sous Napoléon, 1896) et J. Savant (Les Espions de Napoléon, 1957) qui prétend que Mack fut abusé par le célèbre espion Schulmeister, véritable vainqueur d'Ulm. Il reprend la démonstration d'A. Elmer, L'Agent secret de Napoléon (1932) que l'on peut compléter par Harsany, « Schulmeister, citoyen de Strasbourg et espion de Napoléon », Saisons d'Alsace, n° 51, pp. 84-99. Mais il convient de nuancer beaucoup de telles affirmations dans l'attente de la thèse de Montarras. Sur divers aventuriers : L. Grasilier, Le baron de Kolli, le comte Pagowski (1902). La fin de certains généraux demeure mal connue : Dorsenne est probablement mort des suites de ses blessures en 1812, comme Ordener ou Rochambeau. Mais Nansouty ? Boudet s'est-il suicidé après avoir perdu son artillerie à Aspern ? On aimerait mieux connaître certains généraux restés obscurs (Rey, Jalras) ou qui attendent leur biographe (Espagne, Marchand, Haxo, Gazan et les frères Faucher fusillés en 1815). Cf. P. Conard,« Napoléon et les vocations militaires », Revue de Paris, 1902. Abondants sont les témoignages sur les prisonniers de guerre français en Espagne, notamment à Cabrera (Wagré, Gille...) repris par Geisendorf des Gouttes (1932) puis Pelissier et Phelipeau, Les Grognards de Cabrera (1979) ; Kirkor, « Les prisonniers de guerre en Grande-Bretagne », Revue de l'Institut Napoléon (1982). On oublie les prisonniers français des campagnes allemandes dont le sort est évoqué par Georgescu, « Prisonniers français du sud-est de l'Europe », Revue Roumaine d'Histoire, 1976, pp. 509-531. Dominant les autres témoignages, celui de Pillet, L'Angleterre vue à Londres, gagnerait à être réédité. Le sort des prisonniers anglais en France fut plus agréable : M. Lewis, Napoleon and his british captives (1962). Sur les fabriques de guerre, la thèse de J. Rousseau résumée dans Souvenir napoléonien ( 1971 ) indique que la production était en 1806 de 265 800 armes à feu, de 216 258 en 1811. Le fusil à silex, canon lisse, chargement en avant, a une portée utile de 500 m. On peut tirer trois coups à la minute. Les canons tirent des boulets de 1 à 24 livres. On se servait aussi de la mitraille. Mais l'on discute sur l'efficacité des tirs. Cette armée était-elle prête à affronter des guerres nationales ? La défaite, le 4 juillet 1806, de Reynier en Calabre devant l'Anglais Stuart aurait dû alerter Napoléon (cf. Rambaud, Naples sous Joseph Bonaparte, ch. tt1). Le général Hugo à la poursuite de Fra Diavolo et P.L. Courier ont souligné le caractère atroce des opérations de Calabre, prélude à la guerre d'Espagne évoquée plus loin. Un aspect de la guerre souvent négligé : le séquestre des biens ennemis qui fait l'objet de la thèse de P. Robin (1929). Sur l'exploitation de la victoire : M. Reinhard, «l'Historiographie militaire officielle sous Napoléon Ier » (Revue historique, 1946); Mathews, « Napoleon's bulletin» (Journal of Modern History, 1950); J. Tulard, «Napoléon et l'arrière » (Rev. de Défense nationale, 1969). Quant à la caste des maréchaux, elle est bien étudiée par L. Chardigny, Les maréchaux de Napoléon (1977), qui évite les excès de l'hagiographie tout en nuançant les critiques féroces du Journal de Stendhal. Les jugements de Napoléon sur ses maréchaux sont regroupés dans le célèbre dictionnaire de Damas Hinard ( 1854). C'est avec Gouvion Saint-Cyr que Napoléon fut le plus injuste : Christiane d'Ainval (Gouvion Saint-Cyr, 1981) nous en donne les raisons. Rappelons que l'Empereur fit interdire, après l'an XIII, la publication de l'Etat militaire de l'Empire, pour des raisons évidentes. Les raisons des victoires tiennent à la qualité des soldats : des paysans aguerris, habitués à la vie de plein air. Les ouvriers seront moins résistants. CHAPITRE VI Le Blocus continental Après Tilsit, Napoléon n'avait plus à combattre que l'Angleterre. Vainqueur sur le continent, il ne pouvait espérer l'emporter sur la mer ; le désastre de Trafalgar et la trop lente reconstitution de la flotte française l'empêchaient d'atteindre directement les Iles britanniques. Aussi envisagea-t-il une nouvelle forme de lutte : la guerre économique. Voulant frapper le commerce et l'industrie britanniques, bases de. la puissance anglaise, Napoléon invita ou contraignit l'ensemble du continent européen à refuser vaisseaux et marchandises venus d'Angleterre. Dès la rupture de la paix d'Amiens, Bonaparte avait essayé d'interdire aux navires britanniques par le coast system l'accès aux côtes du continent soumises à son influence. Il obéissait encore à un souci défensif, protéger l'industrie française contre la concurrence anglaise. Par les décrets de Berlin et de Milan, le Blocus étendu à l'ensemble du continent devenait la pierre angulaire de sa politique extérieure. Désormais, qui n'entrait pas dans le système continental était contre lui ; il n'y avait plus de possibilité d'être neutre dans le conflit qui opposait Napoléon aux « océanocrates ». LES ORIGINES DU BLOCUS Leur histoire enseignait aux Français à voir dans le crédit une base instable et fragile dont l'écroulement entraînait la chute du gouvernement qui s'était appuyé sur lui. Le point le plus vulnérable de l'Angleterre n'était-il pas son système financier ? De Thomas Payne à Lassalle dont le traité Des Finances de l'Angleterre parut en 1803, de nombreux auteurs avaient mis en lumière une dette nationale anglaise démesurément accrue, une monnaie de papier qui commençait à se discréditer, des milliers d'hommes menacés de chômage. Si imposante en apparence, la prospérité anglaise, constataient des économistes comme Saladin ou Monbrion, n'était-elle pas artificielle ? Fermer à la Grande-Bretagne le continent c'était l'amener par la banqueroute à implorer la paix. Le Directoire, en lutte avec l'orgueilleuse Albion, avait songé à appliquer une telle politique mais n'en avait pas eu entièrement les moyens. Après la rupture de la paix d'Amiens, Napoléon reprit le projet. C'est dans le 15e bulletin de la Grande Armée, publié dans Le Moniteur du 30 octobre 1806, que l'expression de Blocus continental est employée pour la première fois. Mais, empruntée au Directoire, l'idée figurait déjà dans une improvisation de Bonaparte au Conseil d'État, le 1er mai 1803, à la veille de la rupture. Miot de Melito nous l'a conservée dans ses Mémoires : Nous aurons à regretter des pertes sur mer, peut-être même celles de nos colonies, mais nous nous affermirons sur le continent. Déjà nous avons acquis une assez grande étendue de côtes pour nous rendre redoutables. Nous ajouterons encore à cette étendue ; nous formerons un système de côtes plus complet et l'Angleterre finira par pleurer en larmes de sang la guerre qu'elle aura entreprise. En fait, il s'agissait de retourner contre l'Angleterre une arme dont elle avait fait usage la première, depuis la guerre de Cent Ans jusqu'à la lutte contre Louis XVI, et qu'elle venait de reprendre le 16 mai 1806 par l'ordre en conseil déclarant en état de blocus les côtes de France. Blocus fictif mais qui justifiait de la part des croiseurs britanniques la visite des navires, la plupart américains, qui trafiquaient avec l'Empire. Après Iéna, Napoléon, se jugeant assez fort pour riposter, signa, le 21 novembre 1806, le décret de Berlin qui instituait le Blocus continental, terme auquel il conviendrait peut-être de préférer celui de blocus anglais, l'expression de Blocus continental paraissant mieux appropriée à l'action de la marine britannique. La décision de l'Empereur était inattendue et quelque peu brutale. Napoléon ne paraît pas avoir consulté les chambres de commerce mais celles-ci avaient fait connaître leurs vœux. Le 23 nivôse an XII, Delessert à Paris avait réclamé la prohibition de préférence à la taxation, pour protéger l'industrie naissante. En 1806 le Blocus continental apparut comme le moyen de relancer une économie secouée par la crise née du krach des négociants réunis où le Trésor s'était imprudemment engagé; l'accueil fut donc favorable chez les manufacturiers et nullement hostile dans le négoce directement concerné pourtant. Le change remontait sensiblement dans les derniers jours de 1806; « l'intérêt de l'argent dans les transactions commerciales s'est bonifié à Paris », signalait un rapport de la chambre de commerce. LE BLOCUS CONTINENTAL Dans les considérants du décret de Berlin, l'Empereur constate que contrairement au « droit des gens suivi universellement par tous les peuples policés », l'Angleterre réputant « ennemi » tout sujet d'un État ennemi, fait prisonniers de guerre les équipages des navires de commerce et jusqu'aux voyageurs. Elle étend aux propriétés des particuliers le droit de conquête qui ne peut s'appliquer qu'aux biens de l'État ennemi, elle déclare en état de blocus « des lieux que toutes ses forces réunies seraient incapables de bloquer, des côtes entières et tout un Empire ». L'Empereur ajoute: Considérant que cet abus monstrueux du droit de blocus n'a d'autre but que d'empêcher les communications entre les peuples et d'élever le commerce et l'industrie de l'Angleterre sur la ruine de l'industrie et du commerce du continent, qu'il est de droit naturel d'opposer à l'ennemi les armes dont il se sert, nous avons résolu d'appliquer à l'Angleterre les usages qu'elle a consacrés dans sa législation maritime et décrété en conséquence : article Ier, les Iles britanniques sont en état de blocus. Ainsi dans le texte même du décret de Berlin, il ne s'agit nullement de bloquer le continent mais l'Angleterre. Comme Napoléon manquait de flotte pour y parvenir, il dut fermer le continent aux vaisseaux et aux marchandises des Anglais. Désormais, tout commerce et toute correspondance avec les Iles britanniques sont interdits; tout individu, sujet de l'Angleterre, qui sera trouvé dans les pays occupés par les troupes françaises ou alliées sera fait prisonnier de guerre; tout magasin, toute marchandise, toute propriété de quelque nature qu'elle puisse être, appartenant à un sujet de l'Angleterre, sera déclaré de bonne prise. Le commerce des marchandises anglaises est défendu et toute marchandise appartenant à l'Angleterre ou provenant de ses fabriques et de ses colonies, est déclarée de bonne prise. Communication du décret est adressée « aux rois d'Espagne, de Naples, de Hollande et d'Étrurie, dont les sujets sont victimes comme les nôtres de l'injustice et de la barbarie de la législation maritime anglaise ». A un blocus maritime, Napoléon répond ainsi par un blocus terrestre. « Je veux, dit-il dans une phrase célèbre, conquérir la mer par la puissance de la terre. » La prohibition des produits anglais n'était pas une nouveauté, mais les neutres étaient cette fois implicitement atteints puisque le blocus abandonnait son caractère protectionniste pour devenir un instrument de guerre. LES DÉCRETS DE MILAN Au décret de Berlin, Londres riposta par les ordres en conseil de novembre 1807. Le cabinet britannique déclarait en état de blocus rigoureux tous les ports de la France et des pays en guerre contre la Grande-Bretagne. Il entendait interdire tout commerce qui ne fût pas avec la Grande-Bretagne et faciliter en revanche le trafic entre cette dernière et l'Europe napoléonienne. Aussi la libre circulation sur mer n'était-elle accordée qu'aux navires qui seraient venus dans un port britannique payer des droits de transit équivalant en moyenne à 25 pour 100. Rendant coup pour coup, Napoléon ordonna par le premier décret de Milan (23 novembre 1807) la saisie des navires ayant touché un port d'Angleterre, puis par un second décret (17 décembre 1807) la saisie de tout navire qui se serait conformé aux ordres en conseil. Le premier décret de Milan se terminait par une adresse directe aux Américains, les invitant à secouer le joug maritime de l'Angleterre. Les circonstances étaient excellentes : après l'incident de la frégate Chesapeake que l'amiral anglais Berkeley avait fait canonner le 22 juin 1807, le président Jefferson avait, le 2 juillet, exclu les navires de guerre britanniques des eaux territoriales des États-Unis. Napoléon escomptait une alliance avec l'Amérique. Une suite de contretemps compromit ce projet indispensable pourtant à la réalisation de ses plans. Par une décision du 18 septembre 1807, l'Empereur avait autorisé ses corsaires à saisir en mer sur les navires neutres les marchandises de provenance anglaise. Dans ces conditions, Jefferson préféra retenir dans ses ports tous les navires au long cours américains par l'acte d'embargo voté le 22 décembre 1807. En conséquence, Napoléon signait le 17 avril 1808 le décret de Bayonne déclarant de bonne prise les navires américains qui entreraient dans les ports européens. « Les États-Unis, déclarait-il à Gaudin, ont mis un embargo sur les bâtiments. Il est donc évident que ceux qui se disent venir d'Amérique viennent d'Angleterre et que leurs papiers sont fabriqués. » C'était malgré tout prendre le risque de froissements avec la jeune puissance des États-Unis et compromettre les chances d'un rapprochement qui eût favorisé le succès du Blocus. L'APPLICATION DU BLOCUS Après Tilsit, l'alliance russe permit à Napoléon d'envisager la fermeture totale du continent. Grand et puissant effet de l'alliance des deux premières puissances du globe, lit-on dans un document de 1807. A leur voix le continent se lève tout entier et va au gré de leurs désirs se coaliser contre l'ennemi du continent. Cet état de guerre de tant de puissances contre les insulaires, qui anéantira leur commerce, paralysera leur industrie, rendra stérile pour eux la mer, le plus fertile de leurs domaines, est une belle conception et le plan le plus vaste comme le plus difficile à exécuter. Il est exécuté. Entre juillet et novembre 1807, le continent se ferma en effet presque entièrement au commerce anglais. Le Danemark s'alliait à la France, le 31 octobre 1807, par le traité de Fontainebleau. La route de Tönningen était ainsi coupée au trafic britannique. Vaincues, l'Autriche et la Prusse devaient également accepter le Blocus mais c'est surtout la fermeture du marché russe, après le traité de Tilsit, qui portait le coup le plus sensible au commerce de l'Angleterre. Les effets ne se firent pas sentir immédiatement en raison de la fermeture tardive des ports russes, mais à long terme l'Angleterre risquait d'être privée de matières premières importantes pour sa flotte, comme le chanvre, le lin et les bois. La Hollande, confiée depuis 1806 à Louis Bonaparte, avait accueilli avec quelques réticences le Blocus continental. Le nouveau souverain comprenait que le système, s'il devait ruiner l'Angleterre, ne manquerait pas de ruiner auparavant la Hollande. Il cherchait à en éluder les dispositions les plus sévères. Rappelé à l'ordre par son frère, il dut se résigner à faire paraître le 15 décembre 1806 un décret établissant dans son royaume le Blocus. Il n'en laissa pas moins se développer une importante contrebande, sorte de « soupape de sûreté » pour l'économie hollandaise. Menacé par Napoléon de l'envoi dans son royaume de colonnes mobiles, il se résolut à publier le 28 août 1807 un décret plus énergique suivi de la saisie dans les ports de son royaume d'une quarantaine de bâtiments britanniques. A la fin de 1807, la Hollande était presque totalement fermée aux marchandises venues de Grande-Bretagne. Après les côtes du Nord, Napoléon devait interdire aux Anglais celles du Midi. Des mesures sévères furent appliquées en Italie. Le 29 août 1807, le général Miollis faisait saisir les marchandises anglaises entreposées à Livourne. Pise fut également occupée; des garnisons s'établirent dans les ports des États pontificaux, à Ancône, Pesaro et Civita-Vecchia. En Espagne un décret du 19 février 1807 décidait une application rigoureuse du Blocus. Les communications étaient interrompues avec Gibraltar. A son tour, après de longues tergiversations, le Portugal devait adhérer à la fin de 1807 au système continental. Capitulant devant un ultimatum de la France, les ministres portugais acceptèrent, le 6 novembre, de mettre l'embargo sur les navires anglais ; le 8, ils donnaient l'ordre d'arrêter les sujets britanniques et de séquestrer leurs biens. Décision trop tardive pour éviter l'invasion du territoire par les troupes françaises ; le 21 novembre, on apprenait que Junot avait franchi la frontière portugaise. Le coup était particulièrement dur pour le commerce britannique : déjà les exportations vers Lisbonne avaient été, en 1807, de 40 pour 100 inférieures à celles de 1806. LA CRISE ANGLAISE DE 1808 A la fin de 1807, le Blocus était adopté par toutes les puissances européennes à l'exception de la Suède, restée fidèle à l'alliance anglaise. Les conséquences de la fermeture du continent se firent rapidement sentir à Londres. Le premier semestre de 1808 fut particulièrement difficile pour l'économie britannique. Pendant les trois premiers mois la valeur des exportations tomba de 9 000 livres sterling à 7 244. Le second trimestre accusa par rapport à 1807 un net fléchissement : 7 688 livres contre 10 754. Ces difficultés furent encore aggravées par la rupture des relations avec les États-Unis d'où les Anglais faisaient venir céréales et coton. Le marasme sur le marché des produits coloniaux s'accompagna d'une crise dans les exportations d'articles manufacturés britanniques. Les industriels de Manchester ne parvenaient pas à écouler leurs stocks de coton ; la situation n'était pas moins difficile dans le Lancashire et en Écosse. Crise également sérieuse dans l'industrie lainière cependant que la hausse des cours du lin suivait la rupture des relations avec la Baltique. Des troubles sociaux éclataient dans le Lancashire en mai et juin 1808 à la suite du mouvement de hausse des prix. En août 1808 se dessinaient les premiers symptômes de la dévaluation de la livre. Napoléon pouvait désormais envisager une victoire qu'il annonçait au Corps législatif dès 1807: L'Angleterre, punie dans la cause même qui a inspiré sa cruelle politique, voit ses marchandises repoussées par l'Europe entière et ses vaisseaux chargés d'inutiles richesses, errant sur ces vastes mers où ils affectaient de régner, cherchent en vain depuis le détroit du Sund jusqu'à l'Hellespont un port qui s'ouvre pour les recevoir. NOTES SOURCES : Archives des Affaires étrangères et des chambres de commerce séries F7 et Fl2 des Archives nationales, Mémoires de Gaudin, Mollien (véritable ministre de l'Économie), Chaptal, Miot de Melito, Bourrienne (sur Hambourg), Talleyrand et le point de vue des douaniers donné par Boucher de Perthes et surtout Gruyer (Souvenirs d'un gabelou de Napoléon, rééd. 1947). La Correspondance de Napoléon (t. XIII) contient les textes essentiels, notamment le décret de Berlin. Compléter par L. Ph. May, « Une version inédite d'une allocution de Napoléon au sujet du Blocus continental », Revue historique, 1939, pp. 264-272 (condamnation vigoureuse des spéculateurs) et Napoléon Ier, Lettres au comte Mollien, éd. Amna et Gille (1959). Il faut aussi dépouiller les nombreuses brochures de Monbrion, De la prépondérance maritime et commerciale de l'Angleterre (1805); André, Analyse fondamentale de la puissance de l'Angleterre (1805); les ouvrages de Montgaillard repris dans ses Mémoires diplomatiques (1896). Dans le camp opposé, Gentz, Essai sur l'état actuel... de la Grande-Bretagne (1800), et F. d'Ivernois, Effets du Blocus continental (1809). OUVRAGES : A cinquante ans d'intervalle, deux articles ont proposé un bilan des recherches sur le Blocus continental: en 1913, Marcel Dunan publiait dans la Revue des Études napoléoniennes (pp. 115-146) un article très remarqué sur « Le système continental », Bulletin d'histoire économique »; en 1966, Roger Dufraisse présentait un nouveau bilan des recherches dans la Revue d'Histoire économique et sociale: «Régime douanier, blocus, système continental (pp. 518-543). Il existe plusieurs synthèses sur le Blocus continental: Kiesselbach, Die Continentalsperre in ihrer ökonomischpolitischen Bedeutung (1850; vieilli, mais prophétique); Lumbroso, Napoleone I e l'Inghillerra (1897); Bertin, Le Blocus continental (1901); J. Holland Rose, Napoleon and british commerce dans Napoleon Studies (1906); Tarlé, Kontinental' naja blokada (Moscou, 1913); Melvin, Napoleon's Navigation system (New York, 1919); Heckscher, The continental System (Oxford, 1922) ; B. de Jouvenel, Napoléon et l'Économie dirigée. Le Blocus continental (1942); M. Dunan, Le Système continental et les débuts du royaume de Bavière (1943, importants chapitres sur le Blocus avec bibliographie exhaustive à cette date); Lacour-Gayet, Histoire du Commerce, t. IV (1961); Louaisil, « Le Blocus continental », Information historique, 1949, pp. 32-35 (résumé commode). Parmi les études particulières : l'ouvrage capital de F. Crouzet, L'Économie britannique et le Blocus continental (1958), remarquable étude des répercussions du Blocus sur l'industrie et le commerce anglais ; D. Heils, Les Rapports économiques franco-danois sous le Directoire, le Consulat et l'Empire (1958), et Ulane Bonnel, La France, les États-Unis et la guerre de course, 1797-1815 (1961, illustre la difficulté d'être neutres). La condition d'alliés ou de pays annexés n'était guère enviable: Tarlé, Le Blocus continental et le royaume d'Italie (1928); Cerenville, Le Système continental et la Suisse, 1803-1813 (Lausanne, 1906) ; Mercader Riba, « España en el Bloquero continental », Estudios de Historia moderna ; Macedo, O Bloqueio continental (1962, étudie uniquement le Portugal). On trouvera dans l'ouvrage cité plus haut de M. Dunan une bibliographie relative aux conséquences du Blocus continental dans les États allemands (p. 675). Quant à sa place dans la guerre maritime, elle a été magistralement mise en lumière par Mahan, The influence of sea power upon the French Revolution and Empire (1892). DÉBATS OUVERTS Blocus continental ou système continental ? Marcel Dunan a établi la distinction nécessaire dans Napoléon, l'Italie et le système continental, communication à l'Académie des Sciences morales et politiques reprise dans la Revue de l'Institut Napoléon, 1965, pp. 176-190. « Le système continental, d'un mot inventé par Napoléon et dont tous les contemporains avant les historiens se sont servis avec l'acception précise qu'il lui avait donnée, ne doit pas être confondu avec le Blocus continental. » Alors que la guerre sur le continent conserve ses aspects traditionnels, le duel franco-anglais revêt un caractère économique. Napoléon veut frapper l'orgueilleuse puissance britannique fondée sur l'avance de ses techniques industrielles et commerciales en lui fermant ses débouchés européens. C'est le Blocus continental proclamé par le décret et dont le système continental ou coast system est l'extension. « Le système des côtes devenu système continental par l'instinctive extension du nom de Blocus, prend sa forme définitive où celui-ci, sous sa forme économique d'entreprise contre la fortune anglaise, se complète d'une emprise d'impérialisme industriel et commerçant au bénéfice du détenteur de l'hégémonie européenne. » Le douanier devient un personnage essentiel de l'épopée napoléonienne, au même titre que le grognard ou le préfet. On lira J. Clinquart, L'administration des douanes en France sous le Consulat et l'Empire (1979, exhaustif sur l'organisation douanière). Le Blocus modifie la géographie économique de la France. Les centres d'activité se déplacent de la façade atlantique vers le sillon rhénan. Comment s'opère cette mutation ? C'est ce que met en valeur Geoffrey Ellis dans Napoleon's Continental Blockade, The Case of Alsace (1981). Comment l'Angleterre a-t-elle pu résister? A. Cunningham dans British crédit in the last napoleonic War (1910) avait mis en valeur le rôle du crédit, F. Crouzet a renouvelé le problème dans « La Formation du capital en Grande-Bretagne pendant la Révolution industrielle », Deuxième Conférence internationale d'Histoire économique, Aix-en-Provence, 1962. Le même auteur a montré les limites de cette résistance. Le Blocus Continental fut incontestablement un des facteurs qui déterminèrent la dépréciation de la livre sterling. Les ressources financières de la Grande-Bretagne n'étaient pas inépuisables. L'inflation, loin de permettre la prolongation de l'effort de guerre, l'a au contraire paralysé. Elle fut la cause de l'échec de la cinquième coalition (« La crise monétaire britannique et la cinquième coalition », Bulletin de la Société d'Histoire moderne, oct.-déc. 1955, pp. 14-19). En 1815 l'endettement de la Grande-Bretagne sera prodigieux alors que la France disposera d'importantes réserves d'or. Quant à l'alliance avec la Russie, était-elle solide? Le comportement d'Alexandre Ier a suscité une abondante littérature : Waliszewski (1923), Paléologue (1937), C. de Grunwald (1955), Valloton (1966), Palmer (en anglais, 1974), Troyat (1981), et surtout Ley, Alexandre Ier et la Sainte-Alliance qui met en lumière le rôle des mystiques russes (Kochelev et Galitzine) dans la politique impériale. TROISIÈME PARTIE L'équilibre Ce n'est pas en 1811, lors de la naissance du roi de Rome, que Napoléon atteint son apogée, mais en 1807, après l'entrevue de Tilsit. Désormais le continent, dans sa totalité, est soit l'allié, soit le vassal de la France. Totalement isolée, l'Angleterre se trouve menacée d'effondrement financier par suite de la fermeture de ses débouchés européens. Les frontières naturelles de la France, Rhin, Alpes et Pyrénées, sont assurées; le vieux rêve de la monarchie et du comité de Salut public devient réalité. A l'intérieur du pays la dépression de 1806 a été finalement surmontée comme celle de 1801, montrant un pouvoir parfaitement maître des mécanismes économiques du temps; au sortir de deux siècles d'absolutisme, la suppression de la liberté n'est guère ressentie sauf par la bourgeoisie, mais celle-ci craint plus encore le désordre ; or les luttes de partis paraissent éteintes, malgré quelques actes de brigandage dont la signification politique n'est pas toujours évidente ; un nouvel équilibre social se met en place; les notables en sont les principaux bénéficiaires, mais le peuple accorde sa confiance à celui qui reste le garant des conquêtes révolutionnaires : vente des biens nationaux, partage des communaux et égalité civile. Au demeurant les salaires sont élevés et le chômage en partie résorbé, du moins à Paris, laissant aux ouvriers, par rapport aux dures conditions qui suivront, le souvenir, sans doute excessif, d'un véritable « âge d'or », que n'effaceront pas l'aggravation du poids de la conscription et les horreurs des invasions de 1814 et de 1815. Jamais peut-être la France ne fut aussi puissante, aussi unie, aussi respectée. Bref moment avant que ne se dessinent les premières lézardes; moment privilégié pour décrire cette France de Napoléon, moment exceptionnel dont le pays gardera, à travers le XIXe siècle, la nostalgie; autant que la propagande officielle et les victoires, ce court moment d'équilibre territorial, politique et social, est à l'origine du succès de la légende impériale. CHAPITRE I L'Empire napoléonien Étonnante diversité que celle de la France impériale ! A qui veut la visiter Langlois offre, dans un Itinéraire publié en 1806, réédité en 1811 et qui rivalise avec le Guide des Voyageùrs de Reichard, de précieux conseils. Au voyageur, il est recommandé de ne pas entrer en France avec des paquets scellés ou même de simples lettres cachetées sous peine « non seulement d'être jeté en prison mais encore de payer 500 livres d'amende pour chaque lettre ». En revanche il est conseillé de porter sur soi des pistolets à deux coups et surtout de ne jamais faire confiance aux postillons. Un voyageur qui a sa propre voiture doit se borner à un coffre, une malle de cuir appelée vache et une cassette pour les bijoux, l'argent et les lettres de change, cassette munie de vis qui permettent de l'assujettir fortement dans la voiture ou dans la chambre de l'auberge. Le prix des voyages n'est pas excessif: «On peut compter un franc pour chaque lieue faite dans les diligences, y compris le pourboire des postillons et du conducteur; et en poste, en ne comptant que deux chevaux, un maître et un domestique, cinq francs. » Stendhal n'est pas du même avis lorsqu'il récapitule les frais de son déplacement de Grenoble à Paris en l'an XII. Mais l'auteur de l'Itinéraire complet de l'Empire français insiste tout particulièrement sur les différences entre la France méridionale et celle du Nord, entre les départements de l'Ouest et ceux de la rive gauche du Rhin : opposition de mentalités et de paysages, d'activités et de richesses dont le voyageur est appelé à tenir compte. La même observation se retrouve sous la plume du Hambourgeois Nemnich dans la précieuse relation de son voyage que publie le grand éditeur de Tubingue, Cotta en 1810. LA FRANCE DU NORD Au Nord la France impériale ne s'arrête plus aux frontières de l'Ancien Régime mais déborde sur la Belgique et s'étendra après l'annexion du royaume de Hollande aux Provinces-Unies. A cette France du Nord, la façade maritime et l'embouchure du Rhin donnent seules une unité que démentent paysages et langages. Au Nord : la Hollande, ancienne République batave devenue royaume en 1806 au profit de Louis Bonaparte en attendant d'être brutalement annexée à la France en 1810, Napoléon ne pouvant tolérer les manifestations d'indépendance de son frère. Déjà lorsque celui-ci souhaite adapter le Code civil au droit local, il s'attire une sévère réprimande de l'Empereur: «Une nation de 1800000 âmes ne peut avoir une législation à part. Les Romains donnaient leurs lois à leurs alliés ; pourquoi la France ne ferait-elle pas adopter les siennes en Hollande ? » Par la suite, l'application du Blocus continental précipite le conflit entre Napoléon et son frère. Pour éviter la ruine de son royaume dont l'économie repose sur le commerce maritime, Louis n'est-il pas contraint de tolérer la contrebande anglaise, faisant ainsi de la Hollande le point le plus vulnérable du système continental ? Aussi, dès 1808, Napoléon est-il décidé à l'annexion. L'invasion manquée de Walcheren par les Anglais, en juillet 1809, le confirmera dans son dessein. Louis est invité dès mars 1810 à céder sans compensation les territoires au sud du Rhin. Sept mille Français doivent assurer désormais le contrôle des côtes hollandaises ; il en vint en réalité vingt mille. Louis devancera l'Empereur en abdiquant le 1er juillet 1810. Moins agités, les neuf départements belges englobent les anciens Pays-Bas autrichiens et la principauté de Liège. De ce rattachement à la France date le développement de la Belgique. Si la transformation politique est profonde puisque le souvenir même des anciennes principautés est effacé par une uniformisation administrative et juridique qu'entreprennent les autorités françaises, les bouleversements économiques et sociaux sont encore plus considérables. Certes la noblesse, malgré la perte de ses privilèges, conserve ses propriétés et son influence dans les campagnes. Mais la vente des biens nationaux qui a frappé l'Église, s'est opérée non pas au profit des paysans que des scrupules religieux ont empêchés d'acquérir les domaines du clergé, mais en faveur d'une bourgeoisie qui n'avait eu jusqu'alors quelque poids que dans la principauté de Liège. Grâce aux capitaux que leur procure la spéculation sur les biens nationaux et aux possibilités que leur offre l'ouverture d'un vaste marché, ces bourgeois s'intéressent au développement industriel. A Gand apparaît une industrie mécanisée du coton, fondée sur l'introduction de machines anglaises. De 500 en 1808 le nombre des métiers atteint 2 900 deux ans plus tard. Le Blocus continental et la nouvelle législation minière favorisent l'extraction houillère. En 1795 la Belgique produisait 800 000 tonnes de charbon ; elle en produit 1 300 000 tonnes en 1811. Les commandes des industries de guerre stimulent la métallurtie du Hainaut ; Anvers où se rend Napoléon en 1803 et en 1810 est le siège d'importants chantiers de construction navales : quatre navires — dont deux de 74 canons — sont lancés en 1807. Dans la vie industrielle de l'Empire, la Belgique occupe une place de plus en plus importante : elle fournit la moitié du charbon et le quart des produits de hauts fourneaux. Après Paris, note le voyageur allemand Nemnich, Gand est la première ville « à se distinguer par une grande variété de fabriques ». A l'inverse de la Hollande, trop orientée vers le commerce extérieur, la Belgique a donc tiré de l'occupation française d'importants bénéfices. Ainsi s'explique l'absence d'opposition au régime impérial. La bourgeoisie se satisfait provisoirement d'un système politique qui favorise ses intérêts économiques; la noblesse, après avoir longtemps regardé vers Vienne, se rallie à Napoléon après son mariage avec Marie-Louise et accepte de siéger dans les assemblées françaises. Le duc d'Arenberg et le comte de Mérode entrent au Sénat. Malgré la conscription qui avait provoqué en 1798 un soulèvement et en dépit du conflit avec le pape, les masses paysannes ont conservé jusqu'au bout leur attachement à Napoléon. On peut en voir une preuve dans la faible proportion de réfractaires et dans l'élan patriotique de 1813 lorsque fut reconstituée l'armée française après le désastre de Russie. Reste la France du Nord proprement dite avec ses métropoles industrielles de Lille, Valenciennes et Amiens. Lille est à la fois centre industriel et marché agricole d'une région qui produit notamment des graines oléagineuses dont plusieurs centaines de moulins tirent une huile exportée en Hollande, à Aix-la-Chapelle ou encore à Düsseldorf. Houblon, tabac, lin et tulipes complètent la production. La ville elle-même accueille en dehors de la dentellerie des raffineries de sucre et des filatures de coton à l'anglaise. A Tourcoing on tisse des nankins, des satinades et des « napoléons ». Valenciennes a davantage souffert de la Révolution ; les familles riches qui y entretenaient une vie mondaine ont été décimées, mais la batiste, tissée dans des caves, et la dentelle, malgré son prix de revient élevé, conservent leur réputation. Le coton progresse, à Saint-Quentin - où le nombre des ouvriers passe de 502 en 1806 à 1 500 en 1810 — et à Amiens où Morgan et Delaye furent les premiers à établir des jennys. En 1806, on compte 15 348 broches. Achevant de faire de la région du Nord l'une des parties les plus industrialisées de l'Empire, les mines d'Anzin connaissent grâce aux machines à vapeur qu'on y installe un considérable essor: le poids du charbon extrait passe de 242 277 quintaux en 1807 à 420706 en 1809. L'esprit public des départements du Nord est excellent : recul considérable du brigandage dont les méfaits avaient été considérables au temps des chauffeurs, net fléchissement du nombre des déserteurs et des insoumis. En 1803, il y avait environ 300 réfractaires dans le Pas-de-Calais, on n'en compte que 134 en 1804 et 12 en 1812. LA FRANCE DE L'EST A l'Est le Rhin a cessé d'être une frontière. L'Alsace retrouve une prospérité qu'elle avait pu croire perdue. L'Empire y développe le tabac et la betterave, y favorise le reboisement, y multiplie les pépinières et les pâturages artificiels. Le Blocus continental permet le développement des industries du Haut-Rhin : on y remarque deux grosses maisons de filature, Gros, Roman et Cie (5 038 broches et 185 ouvriers en 1806 à Wesserling) et Dolfuss et Cie (1404 broches et 72 ouvriers à la même époque). Sous l'effet de la poussée industrielle, Mulhouse, grand centre cotonnier, passe de 6 000 à 8 000 habitants. L'assimilation de l'Alsace s'opère sans difficultés. Elle progresse également dans les quatre départements de la rive gauche du Rhin qui ont remplacé quelque quatre-vingt-dix-sept États. A eux seuls ils comptent une population d'un million et demi d'habitants. Le développement économique est là aussi indiscutable. Deux innovations : la suppression de la dîme et des droits seigneuriaux qui stimule l'agriculture (essor de la betterave sucrière, important reboisement, extension du vignoble), et l'élimination de la concurrence anglaise dont bénéficient le textile et la métallurgie (à Crefeld les entreprises de soierie ont doublé; à Aix-la-Chapelle où la population passe de 10 à 30 000 habitants, le nombre des manufactures a décuplé; avec 2 550 entreprises et 65 000 ouvriers le département de la Roër est le plus industrialisé de l'Empire en 1811). Des mesures sont prises pour améliorer, par la suppression des anciens péages, la navigation sur le Rhin. Celle-ci change d'ailleurs de caractère : désormais le trafic vers l'amont des matières premières du bassin rhénan l'emporte sur le trafic vers l'aval des marchandises coloniales de Hollande que le Blocus a raréfiées. Les progrès de l'industrie et du commerce permettent la formation d'une bourgeoisie d'affaires qui devient le principal soutien du régime napoléonien. Mais la noblesse locale, malgré la perte de ses titres et de ses privilèges, se garde de bouder le nouveau système : elle peuple les sous-préfectures, entre au conseil général et force sans difficulté la porte du Sénat. Quant aux paysans, ils accueillent avec enthousiasme la fin du brigandage (le fameux Schinderhannes est mis hors de combat) et l'application du Code civil (dans aucun pays annexé, on n'a autant traduit et commenté le Code Napoléon). Ce qui paraît avoir gagné l'opinion rhénane à la France ce fut la sage administration de préfets comme Lezay-Marnesia à Coblence ou Jean Bon Saint-André à Mayence ; ils surent éviter une politique de francisation trop brutale, notamment dans le domaine linguistique. Sans devenir Français, les Rhénans prennent conscience de leur originalité par rapport aux autres Allemands. Les déclarations francophobes de Goerres, fondateur du Mercure rhénan, n'ont rencontré qu'un faible écho avant 1813. L'influence française pénètre jusqu'au cœur de l'Allemagne avec le royaume de Westphalie créé en 1807 à partir des terres du duc de Brunswick, de celles de l'électeur de Hesse, des pays de Goettingen, Osnabrück et Grubenhafen enlevés à l'électeur de Hanovre. Une Allemagne française par opposition à la France allemande de la rive gauche du Rhin ; « ce royaume donnera l'existence, annonçait l'Empereur le 24 août 1807, à un peuple qui divisé en un si grand nombre de souverains n'avait pas même un nom. Les habitants de tant de petits États auront enfin une patrie, ils seront gouvernés par un prince français ». Ce fut Jérôme, le plus jeune frère de Napoléon. Celui-ci l'invitait, dans une lettre du 7 juillet 1807, à répondre aux aspirations du peuple allemand: Que les individus qui ne sont point nobles et qui ont des talents aient un égal droit à votre considération et aux emplois; que toute espèce de servage et de liens intermédiaires entre le souverain et la dernière classe du peuple soit entièrement abolie. Les bienfaits du Code Napoléon, la publicité des procédures, l'établissement des jurys seront autant de caractères distinctifs de votre monarchie. Assisté par Siméon, venu du Conseil d'État, Jérôme divisa son royaume en huit départements, avec à leur tête des préfets. La hiérarchie judiciaire fut inspirée du modèle français. Des États étaient élus par les collèges électoraux. Coexistaient un personnel allemand venu de l'aristocratie et des milieux intellectuels (Jean de Muller, Leist, professeur de droit à Goettingen, Jacob Grimm) et français (Norvins, Pichon, Duviquet, Lecamus). La féodalité fut abolie par le décret du 23 janvier 1808 ; mais si la corvée disparaissait, certaines redevances (cens, rentes, prestations en argent) furent simplement déclarées rachetables. Or les paysans manquaient d'argent. C'est que les préfets en provoquant le partage des biens communaux et l'abolition de la vaine pâture, afin de hâter la disparition de l'assolement obligatoire, avaient ébranlé la commune rurale. Néanmoins, il faut reconnaître que les idées de la Révolution, en dépit d'une application limitée, étaient quand même largement diffusées en Allemagne. LA FRANCE DE L'OUEST C'est à l'Ouest que réside l'un des points faibles de l'Empire : la Vendée. La pacification de l'an VIII puis l'échec de Coudoudal en l'an XII n'ont pas entièrement mis fin à l'agitation royaliste. Le comte de Puisaye continue à travailler pour les Anglais. Il a défini dans ses Mémoires le sens de l'action qu'il entendait mener : En dernier résultat, toute guerre civile n'est qu'une suite de combats entre ceux qui n'ont rien ou qui n'ont pas assez à leur gré, soit de richesses, soit de distinctions, soit de privilèges ou d'autorité et ceux qui, selon eux, ont beaucoup ou trop de cela. L'intervention d'un fanatisme quelconque peut apporter quelque diversité dans la forme ou dans les détails, mais elle n'en apporte aucune dans le principe. Puisage est en réalité paralysé par les intrigues des émigrés. De nouveaux coups sont portés aux conspirateurs en 1808. Après l'arrestation de Prigent, principal agent de Puisaye, puis celle de Chateaubriand, cousin de l'écrivain, l'agence de Jersey est désormais décapitée. Puisaye se brouille d'ailleurs avec d'Avaray, favori de Louis XVIII. Le brigandage continue à sévir dans la Sarthe, la Mayenne, le Maine-et-Loire et la Loire-Inférieure. Le bulletin de police du 11 mars 1809 analyse les causes d'une telle persistance : difficulté de concerter les mesures entre les quatre départements, inertie des habitants, influence de la Petite Église, diminution du nombre des gendarmes, indulgence des magistrats. D'où viennent ces brigands ? Fouché distingue trois classes : la première, et « c'est la moins nombreuse», est formée «des malfaiteurs du pays qui ont profité de l'occasion pour voler et donner à leur brigandage une couleur politique ». La deuxième classe, « celle qui fait le principal fonds du mouvement, se compose de déserteurs et surtout de conscrits réfractaires »; la troisième, « d'anciens chouans dont on retrouve quelques noms, mais surtout l'esprit et les manières ». Quant aux menées anglo-royalistes : «la Bretagne est trop comprimée et surveillée, la Normandie tient trop à un sentiment d'immobilité et c'est sur le Maine que portent leurs espérances pour un premier soulèvement ». Les ports de l'Ouest sont en effet bloqués, toutes les baies et anses d'où partaient le cabotage et la pêche, voient leur trafic réduit à néant. Le mécontentement est donc vif et l'esprit public incertain. Pour désarmer l'opposition, Napoléon épargne la Vendée : le poids de la conscription y est moins lourd que dans le reste de l'Empire ; pour la surveiller, il décide la fondation d'une ville au cœur même de la Vendée et choisit en 1804 le site de La Roche-sur-Yon à la limite du bocage. La nouvelle cité, chef-lieu du département de la Vendée, reçoit le nom de Napoléon. Mais elle ne compte encore en 1812 que 1 900 habitants. Enfin pour gagner la Vendée, Napoléon accorde en 1808 une exemption de contributions pour quinze ans à toutes les habitations détruites pendant la guerre civile et qui auront été reconstruites avant le 1er janvier 1812. «Cause-t-on encore des Bourbons?» demande Napoléon à l'avoué Torlat, lors de son voyage dans l'Ouest en 1808. « Sire, répond celui-ci, il y a longtemps que votre gloire et vos bienfaits les ont fait oublier. » Torlat est un flatteur et Napoléon ne s'y trompe pas. Il n'en est pas moins vrai qu'entre 1808 et 1812, l'Ouest qui gardait encore les cicatrices de la guerre civile a profondément aspiré à la paix. Preuve de cet apaisement, le décret du 6 novembre 1810 qui réduit à cent cinquante les brigades de gendarmerie des départements occidentaux. LE CENTRE L'Auvergne ne brille pas par sa richesse, elle apparaît même comme un peu délaissée par la politique impériale. Si le Sud-Ouest trouve dans le pastel et le tabac un complément de ressources parfois incertain, il est vrai (les fabriques, qui n'utilisent la production locale que pour un huitième et importent du tabac de Virginie, sont déficitaires à partir de 1806), le Centre de la France ne peut offrir qu'un spectacle de désolation à en croire les rapports des préfets. Voici ce qu'écrit celui de la Haute-Loire en l'an IX : Le partage des communaux a été un vrai fléau pour l'agriculture. Le pays dont la principale richesse était le grand nombre de pâturages répandus dans ses montagnes, avait perdu entièrement ses ressources par le défrichement. Les mottes couvertes d'herbes enlevées dans les pays montueux sont changées en terres à blé. La première pluie entraîne ce peu de terre et après une ou deux récoltes de grains, au lieu d'un gros pâturage qui fournissait un élément abondant à des milliers de troupeaux, il ne reste plus qu'un roc aride et décharné. Autre fléau, la dévastation des bois, non seulement nationaux mais particuliers : pacage abusif, prolifération de chèvres contre lesquelles les anciennes interdictions des intendants ne s'exercent plus. L'Auvergne reste donc un foyer d'émigration, au moins temporaire. La Révolution avait ralenti le mouvement; dans les premières années de l'Empire la conscription l'accroît. On pense trouver dans la capitale un refuge qui permettra d'échapper au service. Avec les levées incessantes et la raréfaction de la main-d'œuvre rurale, l'émigration vers Paris décline. Une autre émigration lui est substituée, selon le préfet du Cantal, celle des enfants : « Il existe une espèce de bande noire qui, tous les ans, fouille les communes les plus pauvres, les plus isolées, et recrute une petite armée d'enfants qu'elle dirige sur Paris; on en fait soit des ramoneurs soit des mendiants.» Mais l'esprit public reste bon, et si la vie est rude, le paysan ne se plaint pas. LA FRANCE MÉRIDIONALE Les deux grandes façades maritimes du Midi de la France sur l'Atlantique et la Méditerranée n'offrent plus qu'un spectacle de désolation si l'on en croit les contemporains. Voici La Rochelle que décrit ainsi l'Allemand Nemnich en 1809 : Avant ces temps si néfastes, il régnait une grande activité à La Rochelle ; on y comptait plus de 20 000 habitants en s'étonnant que la population ne fût pas plus grande. Maintenant c'est le silence de la mort; on parcourt les rues sans rencontrer âme qui vive; l'herbe a ici autant de place que dans les champs ; la population, réduite de plus de moitié, demeure en général à la maison parce qu'il n'y a rien à faire au-dehors. Les exportations d'eaux-de-vie vers l'Angleterre sont en effet à la merci des vicissitudes du Blocus continental. Même situation à Bordeaux : Au lieu de progrès, note Nemnich, on craint sans cesse une toujours plus grande régression. La population s'est réduite à 60 ou 70 000; certains l'estiment même encore plus tombée. Des centaines de maisons cherchent des habitants et l'on rit des anciens projets d'extension. On voit des navires parcimonieusement dispersés sur la large surface de l'eau, et la vue n'est plus découpée à l'infini par une forêt de mâts. Les conséquences de ce marasme commercial, qu'il faut nuancer comme on verra plus loin, ont pour effet d'orienter les investissements des négociants vers l'industrie de la terre, faute de spéculations maritimes. Les raffineries de sucre fournissent l'un des plus beaux sucres de France, vendu surtout dans le Sud-Est. Bordeaux compte également une cinquantaine de manufactures de tabac et des fabriques de papier. Mais d'autres industries périclitent, comme la verrerie ou la tonnellerie. Si, dans les Landes, Duplantier a repris l'œuvre de Bremontier de plantation des pins, si l'arrière-pays de Bordeaux connaît un exceptionnel essor, notamment le vignoble, le problème des débouchés se pose avec une plus grande acuité. Aussi l'esprit public à Bordeaux est-il détestable. Il n'est guère meilleur sur la façade méditerranéenne. Le blocus anglais s'y fait toujours plus étroit et le régime impérial se déconsidère par son impuissance à maintenir la sécurité des côtes. Chaque soir, en 1813, la flotte anglaise mouillera dans la rade d'Hyères. « Sa présence ne peut donner de l'inquiétude parce que n'ayant pas de troupes de débarquement, elle ne peut rien entreprendre sur nos îles et nos côtes. Ce n'est que son audace qui blesse et la sécurité avec laquelle elle promène des embarcations sur toute la rade. » Déjà, en 1808 dans son journal, Maurice de Tascher note que «l'escadre anglaise, composée de 12 vaisseaux et 4 frégates, bloque exactement le port de Toulon». Marseille n'a plus sa grande prospérité d'antan ; la suppression du port franc en 1794 puis le Blocus continental ont réduit le commerce à l'inactivité. Les relations avec la Corse sont difficiles. Le général Morand déjoue en 1809 une conspiration fomentée par les Anglais à Ajaccio. La situation industrielle n'est pas moins catastrophique. Si les draps de Limoux conservent leur clientèle en Italie, les fabricants de Carcassonne ont perdu leurs débouchés du Levant. Avant même la crise de 1810, la soierie nîmoise est en difficulté. Les espoirs placés dans le marché des États-Unis pour relayer la perte de l'Espagne sont rapidement anéantis. A Marseille les savonneries qui avaient alimenté avec les bonnets de laine rouge de l'Hérault un courant important d'exportation en Orient, sont également victimes de la guerre. Le ralentissement du commerce a conduit en effet nombre de négociants à investir leurs capitaux dans la savonnerie. De là une surproduction coïncidant avec une crise de débouchés. Les départements méditerranéens souffrent enfin de l'insuffisance de leur production céréalière. Ils doivent importer chaque année une grande quantité de blé et ne peuvent compenser leurs achats que par la vente souvent difficile d'autres produits, principalement ceux du vignoble et de l'arboriculture. Dans ces conditions faut-il s'étonner que les rapports sur l'esprit public soient si pessimistes. Le sous-préfet d'Aix écrit : « Les hommes dévoués au gouvernement sont rares. On n'en trouve guère que parmi les fonctionnaires publics et les magistrats. Les partisans de l'Empereur on les compte, mais les inquiets et les mécontents, il en fourmille. Les royalistes ne sont pas seuls à s'agiter ; les anarchistes sont également actifs dans la région marseillaise, le Var et les Alpes. Des alliances sont conclues. La police découvrira en 1811 un complot dont le chef paraît avoir été Guidal, le futur complice de Malet; il s'agissait de livrer le littoral de Toulon aux Anglais. Accusé d'être le centre de cette intrigue par le préfet des Bouches-du-Rhône, Barras, alors retiré pour raison de santé dans le Midi, dut s'exiler à Rome. Remontant le Rhône, Nemnich constate en 1809 que la situation économique de la région lyonnaise est en revanche très brillante. Après les destructions de la Terreur et des troubles du Directoire, la Fabrique opère un étonnant redressement grâce à l'action de sa chambre de commerce et aux innovations techniques de Jacquard pour la mécanique et Raymond pour la teinture. Mais cet essor, Lyon le doit avant tout aux nouvelles percées des Alpes et plus particulièrement à la route du Cenis. Ainsi la ville peut-elle s'approvisionner aisément en coton illyrien et levantin ou en riz piémontais, et par la même voie expédier livres et draps. Le transit lyonnais représente dès 1801 les sept huitièmes du commerce local. Après la tourmente, la société retrouve peu à peu son équilibre. La vie intellectuelle reprend son ancien lustre et ne mérite nullement le jugement sévère de Benjamin Constant en 1804 : « Cette ville me paraît joindre à l'ennui des petites villes commerçantes d'Allemagne toute l'insipidité des petites villes de France. » Lyon fut en effet le centre de la renaissance religieuse étroitement liée à la philosophie de Ballanche. Réunie à Thonon et Bonneville dans le département du Léman, constitué le 25 avril 1798, Genève, comme le rappelait Benjamin Constant dans un mémoire de 1799, symbolise l'esprit républicain et protestant face aux Savoyards catholiques et monarchistes. Le ménage marche très mal. Pendant que quelques fabriques s'implantent dans la ville, le reste du département est voué exclusivement à l'agriculture. En fait la fortune de Genève s'est considérablement amoindrie. Incorporée dans un système rigide, elle a perdu son rôle traditionnel de commissionnaire et d'entrepôt. Contrepartie du retour de la tranquillité intérieure, ce marasme financier et commercial est impatiemment supporté par certaines catégories de la bourgeoisie. Cette sécurité, la Confédération helvétique, dont Napoléon est le médiateur, l'a également retrouvée. L'opinion suisse a salué en Napoléon l'homme qui a, comme en France, mis fin aux luttes de partis et surtout balayé l'impopulaire république helvétique. L'acte de médiation de 1803 a maintenu le régime de l'égalité entre les citoyens tout en préservant l'autonomie des cantons. Du régime helvétique, établi par le Directoire, il a gardé les avantages sociaux; de l'ancienne confédération, la tradition fédéraliste. En réalité, l'acte de médiation s'est doublé d'un traité d'alliance qui ramène la Confédération au rang d'État satellite. De là les protestations des patriciens qui ont joué la carte autrichienne, le mécontentement des négociants et des industriels touchés par le Blocus continental, et une certaine irritation des Suisses lors de l'annexion du Valais par la France en 1810, ou lors de l'occupation du Tessin. L'ITALIE FRANÇAISE La barrière des Alpes cesse d'exister dans le Grand Empire. Par le col du Simplon, Milan est rattaché à la haute vallée du Rhône et à Genève. Dès 1802, Bonaparte avait compris l'importance économique et stratégique de cette voie, mais jusqu'en 1810, le Simplon ne joue pas le rôle attendu. On lui reproche de permettre aux Milanais de pratiquer une fructueuse contrebande avec la Suisse au détriment de la France. La faveur va davantage au Cenis; les Savoyards avaient plaidé pour cette route que la Maurienne relie à Chambéry ; la soierie lyonnaise avait également soutenu une voie de passage qui lui permettait de se procurer aisément sa matière première en Piémont et même par Ancône et l'Adriatique au Levant. Le Piémont enfin souhaitait le développement de la route du Cenis favorable à son commerce. Le Cenis est donc devenu dès 1805 le passage obligé du grand axe Paris-Turin-Gênes. Les décrets de 1807 et de 1808 confirment cette option. Le roulage du Cenis est alors quatre fois supérieur à celui du Simplon. En 1810 la situation change. L'annexion du Valais redonne au Simplon de l'importance en facilitant désormais le travail des douaniers. Et comme l'on redoute depuis l'annexion de l'Illyrie un embouteillage des cotons du Levant sur la voie du Cenis, un décret du 12 avril 1811 accorde au Simplon les mêmes avantages douaniers qu'au Cenis. Le transit se répartit entre les deux voies. Sous la domination napoléonienne, la carte de l'Italie est considérablement simplifiée. L'Italie française, soit quinze départements, s'étend de Turin à Rome qui sera enlevée au pape en 1809 et deviendra la seconde ville de l'Empire. Le royaume d'Italie, formé de vingt-quatre départements, est administré à Milan par un vice-roi, Eugène de Beauharnais. Enfin le royaume de Naples, enlevé aux Bourbons, rejetés en Sicile, bénéficie, sous Joseph Bonaparte puis sous Murat, d'une relative indépendance. L'Italie se trouve donc engagée dans la voie de l'unification et Napoléon à Saint-Hélène en tirera orgueil non sans quelque exagération : Quant aux quinze millions d'Italiens, l'agglomération en était déjà fort avancée; il ne fallait plus que vieillir et chaque jour mûrissait chez eux l'unité de principes et de législation, celle de penser et de sentir, ce ciment assuré, infaillible des agglomérations humaines. La réunion du Piémont à la France, celle de Parme, de la Toscane, de Rome n'avaient été que temporaires dans ma pensée et n'avaient d'autre but que de surveiller, garantir et avancer l'éducation nationale des Italiens. A la volonté d'unification politique, fortement exagérée par Napoléon à Sainte-Hélène, s'ajoute une volonté d'unification juridique. L'introduction des codes français a pour but à Rome comme à Turin de consacrer l'annexion, à Milan de la préparer, à Naples de briser l'opposition de l'ancienne féodalité. Appuyé sur une force de quarante mille hommes qui servit à contenir le brigandage, particulièrement actif, Joseph entreprit une œuvre de réorganisation importante ; institution d'un ministère de l'Intérieur et d'intendants provinciaux sur le modèle des préfets français, remaniement du système fiscal et établissement d'une contribution foncière, vente des biens d'Église. Joseph eut la chance d'être entouré d'excellents ministres, Miot, Roederer, Salicetti. Avec Murat qui succède à Joseph en 1808, la bourgeoisie napolitaine est associée au gouvernement grâce notamment à deux grands ministres, Zurlo à l'Intérieur, Ricciardi à la Justice, dominant le gouvernement. Parallèlement se constitue une classe moyenne de fonctionnaires et de cadres militaires où se développera la carboneria. Naples s'éveille en dépit des contraintes du Blocus continental. Toutes les vieilles juridictions sont abolies. Dans le Nord (Lombardie, Toscane et Piémont) où la législation était déjà avancée après les réformes du despotisme éclairé de Vienne et de l'illuminisme italien, les innovations napoléoniennes ne produisent aucune sensation. Il n'en va pas de même dans le Sud. A Rome disparaîtront les tribunaux pontificaux ; pour la bourgeoisie romaine formée essentiellement d'hommes de loi, ce sera un bouleversement profond. Révolution plus grande encore : l'introduction du divorce qui heurte le clergé italien. Dès l'entrée des troupes françaises en Italie, sous la Révolution, les droits seigneuriaux avaient été abolis; l'occupation napoléonienne en consacre la disparition avec d'importantes nuances toutefois dans le Sud. Mais le paysan italien ne profite pas de la domination française pour accéder à la propriété ; le transfert s'opère de l'aristocratie à la bourgeoisie, permettant le maintien de grands domaines sur lesquels les nouveaux propriétaires développent des productions d'avant-garde. Dans le Piémont, les rizières prennent une extension considérable sous l'action de riches fermiers devenus grands propriétaires. Les effets en sont désastreux pour la salubrité publique. « Les rizières continuent à moissonner des hommes », écrit en 1803 le préfet de la Sésia. Mais par ailleurs l'administration française encourage les sociétés agricoles, les diverses formes de reboisement, les travaux d'irrigation dans le Mincio et l'Adige et d'assèchement dans la région de Vérone, les bergeries modèles. Dans le Nord, le blé et le mûrier, au Sud le coton, le pastel, et la canne à sucre sont en progression. De l'Italie, Napoléon entend faire un fournisseur de produits agricoles. En revanche sur le plan industriel, il ne voit en elle qu'un débouché pour les produits manufacturés français. Il existait pourtant des conditions favorables à l'industrialisation dans le Nord où les corporations avaient été abolies bien avant l'arrivée des Français. En fait les soieries périclitent dans le Piémont; la soie grège ou moulinée s'écoule directement vers Lyon. Ainsi le commerce de la France avec les pays italiens prend-il la forme de relations entre métropole et colonies. Les résistances nationales sont faibles en Italie du Nord. Grands propriétaires fonciers et anciens jacobins acceptent de servir dans la nouvelle administration. Il en va autrement à Rome où la bourgeoisie avait trop vécu des familles nobles et du Saint-Siège pour s'en désolidariser. Quant aux grandes familles, en dépit de quelques ralliements — un Borghèse, un Spada, un Chigi —, elles conservent leur distance. Rome ne pardonnera pas aux Français l'enlèvement de Pie VII et les projets d'établissement du Vatican à Paris. Plus que les humiliations nationales c'est la conscription qui irrite l'opinion. Lorsque les nouveaux préfets de Trasimène et de Rome, Tournon et Roederer, annoncent le 30 avril 1810 la première levée, le tiers des appelés prend le maquis. Les grands travaux de Tournon qui assèche en trois ans les Marais Pontins, construit les terrasses et les jardins qui s'étendent de la Villa Médicis à la Villa Borghèse, exhume la Rome antique et transforme la Campagne romaine en un immense champ de coton, ne font pas oublier l'absence de Pie VII. Rome ne sera pas longtemps la deuxième ville de l'Empire, malgré les projets gigantesques conçus pour elle par Napoléon. Déjà, en Italie, le fragile équilibre obtenu en 1807 est brisé deux ans plus tard par l'enlèvement du pape. PARIS Paris reste la capitale de l'Empire malgré l'intention manifestée en 1804 par Napoléon d'installer le siège de son gouvernement à Lyon, à proximité de l'Italie. La ville abrite le siège du gouvernement établi au palais des Tuileries, les assemblées (Corps législatif au Palais-Bourbon et Sénat au Luxembourg), les ministères et les directions générales. Le visage de la capitale, dont la population passe de 500 à 700 000 habitants en quinze ans, n'a pas énormément changé sous l'Empire. Le Paris de Napoléon, c'est encore le Paris de Louis XVI avec quelques monuments en plus : la colonne Vendôme, achevée en 1810 par Gondouin et que surmonte la statue de l'Empereur sculptée par Chaudet, l'Arc de Triomphe du Carrousel que terminent à la fin de 1808 Percier et Fontaine, les fondations de l'Arc de l'Étoile, dues à Chalgrin, la rue de Rivoli et ses arcades, l'église de la Madeleine commencée avant la Révolution et dont Napoléon a souhaité faire le temple de la gloire, certains quais et ponts... Le bilan n'est pas négligeable mais il ne modifie pas le visage de Paris aussi profondément que l'aurait voulu Napoléon qui désirait en faire une ville grandiose composée de palais et d'édifices publics. Sous l'Empire commence le grand exode des provinciaux vers Paris. Mais il s'opère encore par le biais de l'émigration saisonnière. Quarante mille ouvriers viennent chaque année s'employer à Paris à l'époque des travaux. Beaucoup de ces ouvriers ne repartent pas à la morte saison et s'agglutinent dans les taudis du centre où il constituent le noyau de ces classes dangereuses que découvriront Eugène Sue et Victor Hugo au temps de Louis-Philippe. Le nouvel essor industriel de Paris, commencé pendant la Révolution, se poursuit en effet sous l'Empire. La disparition de la concurrence anglaise favorise l'industrie cotonnière; les découvertes scientifiques et les nécessités de la guerre expliquent la progression de l'industrie chimique et des constructions mécaniques, l'afflux d'étrangers stimule l'industrie de luxe (orfèvrerie, horlogerie et ébénisterie). Mais ce développement reste fragile en raison de l'hostilité de l'administration qui craint une trop grande concentration d'ouvriers dans la capitale. Cette concentration n'est d'ailleurs pas souhaitée par les industriels parisiens. Sur dix mille ouvriers, Richard-Lenoir n'en emploie qu'un millier à peine à Paris. C'est répondre aux vœux d'une administration qui craint une trop forte agglomération dans la capitale de l'Empire. Éviter la disette, le chômage et l'épidémie, tel est le souci constant des autorités. C'est dans le domaine artistique et intellectuel que doit s'exprimer et que s'exprime la supériorité de Paris. Après avoir goûté aux plaisirs de la capitale, Stendhal n'a que mépris pour la province. Mépris souvent injustifié; la province n'a-t-elle pas ses journaux, ses académies et ses théâtres ? Mais ils ne peuvent rivaliser avec ceux de la capitale. De là cette fascination qu'exerce Paris sur le reste de l'Empire. L'UNIFICATION Prospérité du Nord et de l'Est manufacturiers,des plaines à blé de l'Ile-de-France et du Bocage normand, mais ruine des régions portuaires et accentuation du retard économique du Massif Central, cette France de 42 millions d'habitants, où l'on parlait au moins six langues sans compter les patois, était-elle solide ? L'équilibre atteint en 1807 ne semblait-il pas des plus fragiles ? Pour en maintenir l'unité, Napoléon s'inspire des principes romains. Il accorde une importance primordiale aux voies de communication. Dès 1805 il écrit : « De tous les chemins ou routes, ceux qui tendent à réunir l'Italie à la France sont les plus politiques. » Et en 1811 : « La chaussée d'Amsterdam à Anvers rapprochera cette première ville de Paris de vingt-quatre heures et celle de Hambourg à Wesel rapprochera Hambourg de Paris de quatre jours ; cela assure et consolide la réunion de ces pays à l'Empire. » Le décret du 16 décembre 1811 établit le classement des quatorze routes de première classe qui rayonnent de Paris vers les parties les plus reculées de l'Empire. Les plus importantes sont la route n° 2 de Paris à Amsterdam par Bruxelles et Anvers, la route n° 3 Paris-Hambourg par Liège et Brême, la route n° 4 vers Mayence et la Prusse, la route n° 6 Paris-Rome par le Simplon et Milan, la route n° 7 Paris-Turin par le Mont-Cenis, la route n° 11 Paris-Bayonne. N'exagérons pas la qualité des routes : Poumiès de la Siboutie doit affronter de véritables fondrières pour se rendre de sa Dordogne à Paris ; Maurice de Tascher préfère quant à lui, malgré les dangers, le coche d'eau, dont il donne, à propos de son voyage sur la Saône, une pittoresque description dans son Journal. La poste aux lettres fut organisée en service d'État dès le 16 décembre 1799 et confiée par la suite à La Valette qui établit pour l'Empereur un système d'estafettes dont il exalte les mérites dans ses Mémoires. L'État étendit son contrôle aux transports publics des voyageurs et des marchandises notamment par le décret du 20 mai 1805. Seul le roulage restait libre. Dans la société française, le maître de poste prend figure de notable. Mais le voyage demeure une aventure. On mettait cent vingt heures, raconte Poumiès de la Siboutie, pour aller de Bordeaux à Paris par la diligence. « On partait le matin à six ou sept heures, on s'arrêtait vers midi pour déjeuner et on y mettait tout le temps. Le soir on dînait et on se couchait jusqu'au lendemain. » Beaucoup ne se déplaçaient qu'à pied. On marchait alors énormément, ce qui explique l'endurance des soldats de Napoléon. Comme Rome, Napoléon impose à cet Empire une législation commune. Le Code civil est introduit dans tous les pays annexés et les royaumes vassaux. Une société nouvelle doit naître où le paysan se libérera des droits seigneuriaux, où la bourgeoisie obtiendra une situation économique prépondérante. Napoléon voit dans le Code civil une machine de guerre contre une féodalité qu'il sait ménager si les circonstances l'exigent. « Établissez le Code civil à Naples, écrit-il à Joseph en 1806. Tout ce qui ne vous est pas attaché va se détruire alors en peu d'années et ce que vous voudrez conserver se consolidera. Voilà le grand avantage du Code civil. » Mais à l'exception des territoires annexés, il se garde d'en imposer partout une complète application. C'est un réformateur qui sait procéder par étapes. On le voit bien à propos de la langue ; l'administration est naturellement bilingue et les fonctions de responsabilités exercées de préférence par des Français, mais des Italiens, des Belges, des Hollandais entrent au Sénat ; certains préfets, d'origine belge surtout, se forment dans les départements français. L'enseignement dans les pays annexés conserve son originalité, le français ne devient pas une seconde langue obligatoire, aucune tentative n'est faite pour détruire l'âme des provinces conquises. Les brassages de population que provoque la conscription constituent d'ailleurs un facteur important de fusion entre peuples de langue différente. En 1806, le sous-préfet de Montélimar note que dans la ci-devant Provence, dans le Languedoc et dans la partie méridionale du Dauphiné, l'idiome patois est d'un usage un peu moins général ; les mouvements de troupes, la circulation des voyageurs, le retour des militaires dans leurs foyers ont dû porter à la langue française l'application d'un certain nombre d'individus. Enfin, l'unification est également économique, les départements sont enfermés dans le cordon protectionniste des douanes impériales qui interdit la concurrence étrangère. Cet empire qui s'étend de Dantzig à Bayonne représente un marché de quatre-vingts millions de consommateurs. Le caractère essentiel du système économique napoléonien a consisté à réserver ce marché à l'industrie française à laquelle les autres parties de l'Empire devaient fournir les produits dont elle avait besoin: « Mon principe, écrit Napoléon à Eugène de Beauharnais, est la France avant tout ! L'historien du système continental, Marcel Dunan, écrit : Politiquement, Napoléon a voulu s'entourer de vassaux, non d'alliés ; économiquement il ne veut pas d'amis mais des tributaires. Les avantages qu'il exige des autres pays pour l'industrie et le commerce français, il ne songe nullement à les leur offrir dans ses propres États. Nos produits doivent circuler partout, entrer librement, même être favorisés par une série de concessions cavalièrement négociées, mais les frontières restent inexorablement fermées à toute concurrence étrangère et les articles qui ne tombent pas sous le coup des prohibitions multipliées, plus ou moins lourdement taxés, rapportent des millions aux caisses des douanes impériales. C'est au moins jusqu'en 1810 servir les intérêts de la nouvelle bourgeoisie française. Aussi très vite, l'image de la révolution va-t-elle se confondre dans les pays annexés avec un impérialisme économique souvent brutal et hors de rapport avec les possibilités de production de la France proprement dite, une France encore mal remise de la guerre civile qu'elle vient de connaître. NOTES SOURCES : Les ouvrages de statistique (il y aura en 1808 celle du Vaucluse par Pazzis, étudiée par A. Maureau, Études vauclusiennes, 1973) et les mémoires des préfets cités au chapitre Ide la deuxième partie (cf. A. de Saint-Léger, « Les mémoires statistiques des départements pendant le Directoire, le Consulat et l'Empire », Le Bibliographe moderne, 1918-1919 ; B. Gille, Les Sources statistiques de l'Histoire de France (1964) et J.-Cl. Perrot, L'Age d'or de la statistique régionale (an IV-1804) donnent d'utiles descriptions que l'on peut compléter par les annuaires départementaux (cf. pour la Seine, l'excellent annuaire d'Allard et les articles contenus dans les Annales de statistique. Pour les communications : État général des postes et relais de l'Empire français. Les récits des voyageurs ne sont nullement dépourvus d'intérêt. Lequinio avec son Voyage dans le Jura (an IX), un autre ancien conventionnel, Camus, avec un Voyage dans l'Est et le Nord (an IX) et Raymond de Carbonnières avec son fameux Voyage au Mont-Perdu et... Hautes-Pyrénées (an IX) avaient ouvert la voie au retentissant Voyage dans les départements du Midi de la France de Millin (1807), plagié plus tard par Stendhal dans ses Mémoires d'un touriste (Monglond, « Millin », Revue des Etudes napoléoniennes, 1940, pp. 81-107 et 161-188) et au Dictionnaire topographique des environs de Paris, d'Oudiette. Parmi les étrangers, Nemnich en 1809 (éd. O. Viennet, 1947) est particulièrement intéressant, ainsi que le prince Clary et Aldringen (Trois Mois à Paris, 1912). Les guides de voyage sont très nombreux: le meilleur est l'Itinéraire de l'Empire français de Langlois (3 vol. et un supplément), plusieurs fois réédité. Le goût des topographies nous a valu la remarquable Topographie de Paris par Maire (1re éd. 1808). Scènes de moeurs dans Jouy, L'Hermite de la Chaussée-d'Antin (1814), et Fortia de Piles, L'Ermite du Faubourg-Saint-Honoré (1814), ainsi que dans les tableaux ou chroniques de Nougaret, Pujoulx, Prudhomme, du père Lantimèche et Salgues sur Paris. Pour l'Italie, la magnifique statistique du Montenotte par Chabrol (1824). OUVRAGES : Vue d'ensemble sur la génèse et les facteurs d'unification de l'Europe dans J. Tulard, Le grand Empire (1982) et R. Dufraisse, « l'intégration hégémoniale de l'Europe sous Napoléon », Revue de l'Institut Napoléon, 1984. Capitale de cet Empire, Paris a inspiré de nombreux travaux. On ne citera ici que les synthèses de Lanzac de Laborie (Paris sous Napoléon, 8 vol., 1905-1911), M.-L. Biver (Le Paris de Napoléon, 1963), G. Poisson, Napoléon et Paris (1964), M. Guerini, Napoléon et Paris (1967) et J. Tulard, Nouvelle Histoire de Paris : le Consulat et l'Empire (1970). Pour la province, la bibliographie est énorme, enfouie dans les revues régionales. Retenons quelques histoires de grandes villes : Trenard, Lyon, de l'Encyclopédie au Préromantisme (1958); Histoire de Bordeaux (t. V., 1968); CI. Fohlen, Histoire de Besançon, t. II (1965); A. Vion, La Vie calaisienne sous le Consulat et l'Empire ( 1972), et sur des points particuliers: Gaffarel pour Marseille (Revue des Études napoléoniennes, 1916, pp. 65-93) ou Villat, «Napoléon à Nantes » (Ibid., 1912, pp. 335-365). Citons aussi sur Pontivy (Napoléonville) l'article de P. Lavedan dans le Bul. Soc. Art Fr., 1950, pp. 186-198. Études de région : Rocal, Du 18 Brumaire à Waterloo en Périgord (1943), F. L'Huillier, Recherches sur l'Alsace napoléonienne (1947) que l'on peut compléter par le numéro spécial de Saisons d'Alsace (1963), A. Maureau, Souvenirs du Consulat et de l'Empire dans le Vaucluse (1976) ou J. Vidalenc, Textes sur l'histoire de la Seine-Inférieure à l'époque napoléonienne (1976). La Vie sociale en Provence intérieure au lendemain de la Révolution, d'Agulhon (1970), doit être également citée. Il y a beaucoup à tirer des volumes de l'Univers de la France (Languedoc sous la direction de Wolff, Bretagne par Delumeau, Ile-de-France par Mollat...) qui contiennent des chapitres très développés sur la période napoléonienne. Lire aussi C. Bosc, La Conspiration d'Ajaccio contre la France en 1809. Les régions annexées sont beaucoup étudiées. Pour la Belgique : S. Balau, La Belgique sous l'Empire (1894), Lanzac de Laborie, La Domination française en Belgique (t. II, 1895), P. Verhaegen, La Belgique sous la domination française (5 vol., 1922-1929), Pirenne, Histoire de la Belgique (t. VI, 1926), J. Cathelin, La Vie quotidienne en Belgique (1966), R. Devleeshouwer, « La Belgique annexée à la France » dans Les Pays sous domination française (ronéo. 1968), sans oublier l'édition des Mémoires du général Dumonceau par J. Puraye (t. I, 1958; un Belge au service de la France. Sur le Luxembourg : J. Dollar, Napoléon et le Luxembourg, 1979. Sur la rive gauche du Rhin, les vieux livres de Sagnac, Le Rhin français (1917), et de Capot-Rey, Quand la Sarre était française (1928), ainsi que la biographie du préfet du Mont-Tonnerre, Jean Bon Saint-André par Levy Schneider (1901) ont été remplacés par la remarquable synthèse de R. Dufraisse, « Les Départements du Rhin sous le régime napoléonien » dans Les Pays sous domination française (ronéo, 1968, avec orientation bibliographique) ; ajouter, du même auteur, « Le soulèvement des gardes nationales de la Sarre en 1809», Bull. Soc. d'Histoire moderne, 1969, pp. 1-6 : le mécontentement avait été causé par l'institution impopulaire de la garde nationale et par les condamnations nombreuses pour délits forestiers. Il n'y eut pas un mouvement patriotique en liaison avec l'agitation de l'Allemagne. Pour l'Italie, cf. plus bas. Pour l'lllyrie : Pisani, La Dalmatie de 1797 à 1815 (1893 ; bonne étude des administrations de Marmont, Junot et Fouché) ; Pivec-Stellé, La Vie économique des provinces illyriennes, 1809-1813 (1931) ; M. Senkowska-Gluck, « Pouvoir et Société en Illyrie », Revue de l'Institut Napoléon, 1980. Sur les îles Ioniennes occupées à partir de 1807 et où le général Donzelot devait se maintenir jusqu'en 1814 : J. Baeyens, Les Français à Corfou (1973) qui remplace Rodocanachi, Bonaparte et les îles Ioniennes (1899). Avancée vers la Grèce que met en lumière J. Savant : Napoléon et les Grecs ( 1945) et Boppe; L'Albanie et Napoléon (1914). Parmi les vassaux, lire sur la Westphalie: H. Berding, Napoleonische Herrschafts und Gesellschaftspolitik (1973); J. Tulard, « Siméon et l'organisation du royaume de Westphalie », Francia, 1973, pp. 557-568; sur Berg: Ch. Schmidt, Le Grand-Duché de Berg (1905). Quant à la Suisse, consulter Suratteau, «La Suisse dans le système français » dans Les Pays sous domination française (1968). Le cas de Genève est bien évoqué dans Chapuisat, Le Commerce et l'Industrie de Genève pendant la domination française (1908). Sur Neufchatel, l'étude de Courvoisier (1961). On se reportera, en ce qui concerne l'Italie et la Hollande, aux études citées dans les autres chapitres. Pour le grand-duché de Varsovie : H. Grynwasser, «Le Code Napoléon dans le duché de Varsovie», Revue des Études napoléoniennes, 1917, pp. 129-170, le numéro spécial des Annales historiques de la Revue française, 1964 (notamment les articles de B. Grochulska sur les structures économiques et de M. Senkowska sur les majorats français) ; A. Soboul, « Le Duché de Varsovie » dans Les Pays sous domination française (1968). Pour l'Italie : Fugier, Napoléon et l'Italie (1947); les actes du colloque de l'académie dei Lincei, Napoléon et l'Italie (1973, fondamental); Zaghi, Il regno d'Italia (1965); Roberti, Milano capitale napoleonica (1946) ; Borel, Gênes sous Napoléon (1929) ; Convegno storico savonese (2 vol., 1984, contenant une mise au point de J. Godechot sur la Ligurie) ; La Toscana nell'eta rivoluzionare e napoleonica (recueil d'études fondamental, 1985) remplace la vieille étude de Marmottan sur le royaume d'Étrurie. Lire aussi A. Lorion, « Bonaparte et la République de Saint-Marin », Revue de l'Institut Napoléon (1979). La route sert de facteur d'unité : Cavaillès, La Route française (1946) ; J. Petot, L'Administration des Ponts et Chaussées (1958) ; le Code civil est un autre élément d'unification, mais il rencontre des résistances en Allemagne mises en lumière par E. Fehrenbach, Traditionale Gesselschaft und revolutionares Recht (1974) et R. Chabanne, « Napoléon, son code et les Allemands » (Études offertes à J. Lambert, 1975). Il faut y ajouter le culte de Napoléon (W. Zajewski, « Le culte de Napoléon à Dantzig », Revue d'Histoire moderne, 1976, pp. 556-572). DÉBATS OUVERTS Au moment où la France domine l'Europe, les contemporains s'interrogent sur l'identité du Français. On trouvera des éléments de réponse dans M.N. Bourguet, « Race et folklore, l'image officielle de la France en 1800 », Annales, 1976, pp. 802-823, qui analyse les statistiques officielles, « distribuant les Français à travers l'espace national selon leur taille, leur physionomie et leur caractère ». Peut-on l'approcher physiquement, ce Français? S'appuyant sur les statistiques, les conseils de révision et les passeports, J. Houdaille a donné deux articles descriptifs : « La taille des Français au début du XIXe siècle », Population, 1970, et « La couleur des yeux à l'époque du Premier Empire», Annales, 1976. Et la femme? Y. Knibiehler (« La nature féminine au temps du Code civil », Annales, 1976) explique la régression relative de la condition de la femme (exclusion de l'enseignement comme de la politique) par l'influence de la médecine (Moreau de la Sarthe, Virey) qui insiste sur deux aspects physiques de la femme : sa faiblesse par rapport à l'homme et sa prédestination à la maternité. Un atlas linguistique de l'Empire serait indispensable. Le français était la langue officielle, celle de l'administration, mais en France même il se heurtait aux patois et aux dialectes. Fut-il un instrument de domination de la bourgeoisie comme l'affirment Balibart et Laporte, dans Politique et pratique de la langue nationale sous la Révolution (1974)? C'est possible mais ce rôle de domination sinon d'unification paraît contestable dans les pays annexés ou vassaux. Représentant de la France auprès de la Westphalie, Reinhard interrogeait plusieurs conseillers d'État sur la langue officielle dans le royaume de Jérôme : « Ils m'ont répondu que c'était la langue allemande puisqu'elle était employée dans les tribunaux et les administrations, puisque le texte allemand du code Napoléon était déclaré code du royaume. Toutefois, dans trois ministères au moins, toutes les affaires se traitent en français, les discussions du Conseil d'État ont lieu en français, la rédaction des décrets est française, les traductions allemandes sont souvent inexactes. » Ailleurs, affiches ou proclamations étaient bilingues. En Italie, où « la langue française est peu répandue », notait Thiard dans ses Mémoires, p. 67, on utilisait des dictionnaires portatifs comme le Cormon et Manni (1802). Rappelons que le français était dans les chancelleries (Vienne par exemple) la langue courante. Mêmes difficultés pour les poids et mesures. L'unification n'était pas encore achevée en France. Difficultés aussi grandes pour les monnaies. Des tableaux de change étaient régulièrement publiés. On sait comment les Rothschild bâtirent leur fortune sur le fructueux transfert de guinées d'Angleterre en France (B. Gille, Histoire de la maison Rothschild, t. I, 1965). Notons l'existence d'un courant favorable à une union douanière des États d'obédience impériale, d'une confédération commerciale continentale (J.-B. Dubois, Catineau-Laroche) que repoussa toujours Napoléon. Ce refus joua un rôle décisif dans l'échec du Grand-Empire. Une étude intéressante serait celle des diplomates de Napoléon. Elle est esquissée par Whitcomb, Napoleon's Diplomatic Service (1979). On dispose d'un bon portrait d'ambassadeur et d'une solide analyse de son action : Perrin de Boussac, Alquier, ambassadeur à Madrid, Naples, Rome, Stockholm et Copenhague (1983). Un cliché à réviser : celui de la France des 130 départements. Le 26 janvier 1812 étaient créés les départements du Ter (Gérone), du Segré (Puicerda), des Bouches-de-l'Èbre (Lerida) et du Montserrat (Barcelone). Des conseillers d'État Gerando pour le Nord et Chauvelin pour le Sud coiffaient les quatre préfets. La législation française fut mise en place. Par décret du 7 mars 1813, les départements du Montserrat et des Bouches-de-l'Èbre furent fusionnés. Le problème des Français au service des Napoléonides dans les royaumes vassaux (Siméon en Westphalie, Agar à Naples...) a été étudié par Goasguen, Les Français au service de l'étranger sous le Premier Empire (thèse de droit inédite) : pour Napoléon ce sont avant tout des Français au service de la France ; ils ne peuvent être naturalisés à l'étranger sans autorisation impériale, ce qui en dit long sur l'indépendance des royaumes vassaux. Un cas exemplaire : Reinhardt (ou Reinhard). Sur sa mission à Cassel : Marquant, dans Bibliothèque de l'École des Chartes (1962) et la thèse inédite de Delinière, Un intellectuel allemand au service de la France (1983). CHAPITRE II Le règne des notables Si l'on se plaît à faire de Bertin l'Aîné, peint vers 1832 par Ingres, le symbole de la France « Louis-philipparde », c'est Français de Nantes, tel que l'a vu David (visage congestionné, corpulence et uniforme chamarré de l'homme important), qui caractériserait le mieux les aspirations des Français sous l'Empire : richesse, grands emplois, honneurs. Le règne des nouveaux notables commence. Citons Barante. L'autorité publique, dans ses diverses branches et dans tous ses degrés, avait, depuis plusieurs années, passé entre les mains de fonctionnaires qui n'avaient pas été choisis pour leur capacité, pour leur expérience, pour la considération dont ils jouissaient. Les opinions qu'ils avaient professées, les chances successives de la révolution, les hasards de l'élection, la confiance ou la faveur des représentants en mission avaient été les seuls titres à ces promotions. C'était à cette aristocratie nouvelle que la Convention avait légué la France. La classe supérieure, qui se composait des hommes distingués par leurs talents, leur position sociale, leur indépendance ou l'exercice des emplois publics, avait été décimée par l'échafaud, l'exil, la persécution... La richesse avait été détruite par les confiscations, les banqueroutes, le maximum et le papier monnaie. Banqueroutes, maximum et papier monnaie qui, avec les biens nationaux, sont à l'origine de la fortune des nouveaux notables. A. Malraux aura une formule inattendue pour traduire ce passage de l'aristocratie à la banque : « C'est à cause de Napoléon que Mme Récamier sur sa chaise longue succède à la Maja desnuda. » LES FONDEMENTS DE LA NOUVELLE SOCIÉTÉ La terre demeure, en 1808, la base essentielle de la richesse, même si d'autres formes font leur apparition. Au prestige qui reste attaché à sa possession s'est ajouté le sentiment de sécurité qu'elle procure depuis la désastreuse inflation des assignats. Terre libérée des sujétions féodales : le Code civil consacre l'abolition de l'Ancien Régime et ne limite plus le droit de propriété inviolable et sacré que par celui de l'État. Le Code est conçu pour l'individu possédant — et surtout possédant la terre. L'intérêt s'y porte davantage sur la propriété immobilière que sur la propriété mobilière. A partir de 1807 commencent les travaux du cadastre destinés à fixer la répartition de la propriété foncière et à entériner la vente des biens nationaux. La liquidation de ces biens se poursuit, mais à un rythme très ralenti. Suspendues par le décret du 9 floréal an IX qui exceptait toutefois les reventes par des porteurs d'obligations et l'aliénation des maisons affectées au remboursement des bons des deux tiers, les ventes ont repris après les lois des 15 et 16 floréal an X, puis du 15 ventôse an XII. Alors que le chiffre des ventes s'était élevé pour la Révolution à 1 100 674, il n'y en aura plus, après l'an X, que 40 000. C'est que le stock avait été fortement entamé par la Révolution et que les restitutions aux nobles et aux « fabriques » contribuèrent encore à sa diminution. Ajoutons que le décret du 15 brumaire an IX attribuait aux hospices quatre millions en biens nationaux et que d'autres biens furent donnés à la Légion d'honneur puis aux sénatoreries. Encore importantes dans le Nord, les ventes sont en baisse constante dans le Midi et l'Ouest, stagnantes dans le Haut-Rhin et en Lorraine. Quels sont les acheteurs? On compte en moyenne 10 pour 100 de négociants et de marchands, à peu près autant d'hommes de loi ; 7 à 8 pour 100 d'anciens nobles, quelques fonctionnaires ou ecclésiastiques, les autres sont des paysans groupés fréquemment en associations. Parce qu'il s'agit de terres médiocres, d'un revenu minime, souvent constituées de pièces isolées, ne permettant aucun remembrement, l'ère des spéculateurs paraît révolue. Sauf à proximité de Paris, dans la Seine-et-Marne notamment, où le préfet devra annuler, sous le Consulat, des adjudications à la suite de coalitions « d'une poignée d'hommes avides ». Profitent de ces ultimes ventes, les petits propriétaires, moins dans l'Est, il est vrai, que dans le Nord et le Midi. L'aliénation des biens communaux décidée en raison des difficultés du Trésor par la loi du 20 mars 1813 relancera la spéculation, mais de façon brève et géographiquement limitée (on ne trouve aucune trace de vente en Haute-Loire ou dans les Dombes). L'intérêt se porte sur les propriétés privées que leurs possesseurs non exploitants (anciens nobles ou bourgeois) sont contraints de vendre par suite de difficultés héritées de la Révolution et que résume bien dans ses Mémoires Rémusat : « Le séquestre, les mesures révolutionnaires, les mauvaises années avaient dégradé les propriétés, supprimé les revenus, aggravé les dettes », et ce n'était qu'au prix de procès longs et difficiles que bien des successions étaient récupérées pour être aussitôt revendues. Le paiement des fermages en assignats dévalués avait porté un coup très dur à l'ancienne richesse foncière. Souvent la préoccupation de l'émigré rentré était de concentrer toutes ses ressources pour récupérer un domaine particulier. Il se défaisait ainsi de certaines de ses terres. Financiers, marchands, manufacturiers enrichis par la spéculation sur les denrées coloniales ou l'essor donné à l'industrie par l'ouverture de débouchés continentaux se portent aussitôt acquéreurs et investissent leurs liquidités en biens immobiliers. N'est-il pas significatif que sur les 1 056 plus gros propriétaires fonciers de France, on relève 130 manufacturiers et commerçants? La fortune d'un Richard-Lenoir, d'un Ternaux, d'un Récamier, est en partie immobilière, urbaine ou rurale. Fortune constituée surtout au cours de la Révolution par des biens nationaux. Lorsque Bidermann fait faillite en janvier 1811, il dispose d'un actif supérieur au passif de 1 800 000 francs, mais il s'agit de biens immobiliers qu'il se trouve dans l'impossibilité de réaliser. La terre est une valeur refuge pour les capitaux. Mais elle est aussi une source de prestige social. Fiévée note en décembre 1802 que la constitution des collèges électoraux recrutés parmi les citoyens les plus imposés fit « remonter la valeur des grandes propriétés territoriales ». Une élite ne se peut concevoir, en ce début de siècle, sans propriété foncière. C'est encore la possession de la terre qui fixe la hiérarchie. LES NOTABLES Tout le système napoléonien repose sur les notables qui dominent la vie économique, administrative et judiciaire du pays. La notion, sinon le mot, apparaît dès la Constitution de l'an VIII qui leur réserve les charges publiques, départementales et nationales. Mais c'est avec l'établissement des listes de notabilités, prévues par la loi du 13 ventôse an IX, que l'on peut saisir le mieux leurs contours sociaux. Quels critères devaient dominer : la naissance? l'âge? le mérite ? la fortune ? Les anciens révolutionnaires étaient hostiles à la naissance, Bonaparte s'opposait à la fortune : « On ne peut faire un titre de la richesse. Qui est-ce qui est riche? L'acquéreur de biens nationaux, le fournisseur, le voleur. Comment fonder sur la richesse ainsi acquise une notabilité ? » Si les bonnes mœurs jouent un certain rôle, à lire les rapports des préfets, ce fut pourtant l'argent qui devint le critère essentiel d'un régime de désignation censitaire, combiné avec le droit de nomination réservé au Premier Consul pour les fonctionnaires et au Sénat pour les assemblées. Avec la réforme de l'an X, les membres des collèges de départements devaient être élus à vie parmi les six cents citoyens les plus imposés du département. Ces listes nous donnent le premier tableau des notables qui vont dominer la vie politique française en ce début du XIXe siècle. Retenons le cas de Paris : on y constate une nette prédominance des propriétaires et des rentiers (plus de 240), des commerçants (72, bien que la patente ait été parfois écartée du calcul des impositions), des hauts fonctionnaires (54). Certaines professions sont largement représentées : les notaires (22), les banquiers (15); d'autres ne comptent qu'un effectif restreint : les médecins, par exemple. La moyenne générale des revenus varie selon les quartiers : 40 000 francs à la Fontaine de Grenelle, 35 000 francs dans le quartier du Roule, 12 000 francs dans celui de la Réunion, 15 000 francs dans le quartier d'Arcis ! Les revenus ne sont jamais inférieurs à 5 000 francs. Cette moyenne de 5 000 francs de revenu annuel, soit 100 000 francs de capital, c'est celle que l'on retrouve le plus fréquemment en province. Mais elle peut tomber, dans les régions les plus défavorisées, à 3 000 francs. Qu'est-ce qu'un notable sous l'Empire? Un propriétaire (très fréquemment un ancien noble), un rentier, un gros négociant, un homme de loi, le plus souvent un notaire ou un avoué, dont les revenues immobiliers sont généralement supérieurs à 5 000 francs. S'il figure parmi les six cents plus imposés de son département, il a des chances d'entrer au collège électoral du chef-lieu, peut-être d'en devenir président, d'être désigné pour les fonctions de sénateur ou de député au Corps législatif. Certes l'on peut exercer une grande influence dans un département sans posséder une grande fortune et entrer ainsi au collège d'arrondissement dont le recrutement n'est pas censitaire. Mais ce propriétaire modeste, cette « conscience » d'une petite ville, sera écarté du collège de département réservé aux six cents plus imposés. Encore dans le calcul de l'impôt, le poids de la contribution foncière est-il déterminant, d'autant qu'il n'y a pas, sauf exceptions, de grandes fortunes mobilières. Une mentalité se crée qui se perpétuera : si la possession d'un portefeuille boursier prendra, avec le développement du capitalisme, une importance qu'elle ne pouvait avoir en 1808, elle ne résistera jamais à la concurrence exercée par un patrimoine immobilier (maisons, fermes, forêts) qui apparaîtra, avec les dévaluations successives, comme le refuge le plus sûr pour les capitaux. Reste que le rentier de l'État est probablement le plus intéressé, parmi les notables, à la survie du régime. Napoléon ne s'y trompe pas, qui exige de connaître quotidiennement le cours de la rente 5 pour 100 et qui, pour assainir le marché financier compromis par l'agiotage, réglemente la profession d'agent de change et l'activité de la Bourse. L'effet des décisions consulaires, malgré la reprise des paiements en numéraire, reste lent, en raison de la guerre et du krach des négociants réunis. Mais la méfiance des rentiers fond, après la victoire de Friedland : la rente 5 pour 100 qui était à 17,37, le 8 février 1800, passe à 93 le 27 août 1807. Elle se stabilisera pendant trois ans autour de 84. Souvent le notable est un fonctionnaire. Balzac, l'un des premiers, a souligné l'importance croissante prise sous l'Empire par une population d'employés tenant du gouvernement honneurs et moyens d'existence. Le 21 avril 1809, Cretet, ministre de l'Intérieur, établit le premier statut des fonctionnaires. Un barème des traitements est alors élaboré. Dans le prestige de la fonction publique (il y aura deux mille candidats pour quatre-vingts places lors de la création de la Cour des comptes), le traitement (enfin payé de manière régulière) joue un rôle décisif. Un préfet touche à Paris 30 000 francs, en province de 8 000 à 24 000 francs; un sous-préfet gagne entre 3 000 et 4 000 francs ; un inspecteur général des ponts-et-chaussées 12 000 francs. A Paris, un chef de division reçoit 12 000 francs, un chef de bureau de 1re classe 6 000 francs, un sous-chef 4 500 francs, un rédacteur 3 400 francs, un commis d'ordre de 2 000 à 3 000 - francs. Au sommet de la hiérarchie, le traitement d'un conseiller d'État est de 25 000 francs auxquels s'ajoutent d'importantes gratifications. Les « talents », selon l'expression du temps, membres de l'Institut, médecins, écrivains, professeurs n'ont occupé en revanche qu'une très faible place sur les listes de notabilités. Preuve, s'il en était besoin, du caractère censitaire du régime. Le notable est celui qui exerce une autorité : le patron sur ses ouvriers, le haut fonctionnaire sur ses commis, le propriétaire sur ses fermiers et ses métayers. Autorité à l'origine de laquelle on retrouve l'argent. L'ancienneté des fortunes n'est pas prise en considération. La richesse des notables est le plus souvent, quant à son origine, antérieure à la Révolution et s'est accrue à la faveur de cette Révolution. Ce sont les Dietrich, les Rambourg, les Wendel qui continuent à dominer les forges; les entreprises fondées avant 1789 dépassent 50 pour 100 dans le textile. Presque toute la grande bourgeoisie d'affaires de l'Ancien Régime se retrouve dans les enquêtes industrielles de l'Empire. Il en va de même pour la banque où les Mallet, les Hottinguer, Lecouteulx, et autres Perregaux ont commencé à bâtir leur fortune avant 1789. N'est-il pas significatif que dans l'enquête ordonnée sous le Consulat pour connaître les douze contribuables les plus imposés à l'impôt foncier vienne fréquemment en tête un noble : de Luynes en Seine-et-Oise, le duc de Luxembourg en Seine-et-Marne ? La vieille bourgeoisie rentière du sol a largement profité de la vente des biens nationaux et mieux résisté que celle des offices. Et l'on découvre que les gros négociants spécialisés dans le trafic triangulaire à Nantes ou Bordeaux ont opéré parfois d'habiles reconversions. Les nouveaux notables viennent des emplois publics, de la politique et surtout de la spéculation sur les biens nationaux, les denrées coloniales, les assignats ou les fournitures militaires. L'AUTRE FRANCE : LES CLASSES POPULAIRES Si la France s'embourgeoise, elle reste profondément rurale. Toutefois le monde paysan offre une grande diversité, du gros propriétaire qui spécule sur la vente de ses produits au petit métayer dont la situation est souvent difficile. Un point difficilement contestable : l'emprise des notables — ancienne noblesse ou nouveaux propriétaires — sur les campagnes. Tous les préfets confirment cette influence et le gouvernement ne la sous-estime pas. Deux catégories profitent des progrès de la production agricole et de la conjoncture née de la guerre : le gros propriétaire et le journalier. Le gros propriétaire, grâce à ses capitaux et à la bonne productivité de ses terres, s'enrichit dans les périodes de disette, notamment en 1801; en temps ordinaire, il bénéficie de l'accroissement des débouchés que lui assurent les conquêtes napoléoniennes. « Les victoires de nos armées, en étendant les limites de l'Empire, favorisent considérablement la vente des produits de nos campagnes, écrit Caillot dans ses Mémoires; alors des armées immenses de blé passérent chez des nations dont le maigre territoire ne pouvait se couvrir d'épis. » Remarque exacte pour le Nord et l'Est, non pour la façade atlantique. Quant au journalier, qui constitue le prolétariat rural, majoritaire dans les campagnes (60 à 70 pour 100), il profite de la pénurie de main-d'œuvre due à une conscription de plus en plus exigeante. La hausse des salaires qui en résulte atteint entre 1798 et 1815 près de 20 pour 100. Aussi sa condition s'améliorant, peut-il envisager parfois de jouer le rôle d'acquéreur — bien modeste il est vrai — dans les dernières ventes de biens nationaux. Le préfet du Var, Fauchet, en signale qui, dans son département, ont acquis « à force d'économie et par des arrangements peu onéreux » un petit champ qu'ils cultivent en dehors de leur journée de travail. Dans l'arrondissement de Provins, les 6 271 manouvriers recensés exploitent 34 680 hectares sur une superficie cultivable de 84 000 hectares. Cas peut-être moins exceptionnel qu'il ne le paraît, des journaliers ont même des domestiques, sous-prolétariat de gardeuses de vaches, de bergers et de charretiers. Cette ascension ne va pas sans susciter l'irritation: «Les journaliers, note l'auteur de la statistique départementale du Nord, se sont montrés insolents et audacieux depuis que leurs bras sont devenus plus nécessaires par les levées faites pour le service des armées. » Pour éviter des hausses trop fortes, il est défendu aux domestiques et aux ouvriers saisonniers (moissonneurs, vendangeurs) de se coaliser. La conjoncture est moins favorable pour le fermier et le métayer. Si le gros fermier, comme le propriétaire vendeur, profite de la hausse des prix et de l'élargissement des débouchés, le petit fermier rencontre de sérieuses difficultés. Après une époque d'euphorie, la hausse du blé est à peine, dans la période 1809-1812, de 18 pour 100, alors que celle du fermage dans la même période atteint 37 pour 100. Voici, décrit par le préfet de la Meurthe, le cas d'un fermier de l'arrondissement de Lunéville, exploitant une propriété de douze hectares. Le fermage est de 1 200 francs ; le fermier doit payer un garçon de charrue et un pâtre, employés toute l'année, et s'assurer, pendant la saison, le service des manouvriers. S'y ajoutent l'entretien du matériel, la nourriture et le vêtement. Au total les dépenses du fermier dépassent 3 488 francs alors que les recettes atteignent 3 646 francs, le bénéfice est obtenu par la vente du blé soit au marché, soit à des forains qui viennent l'acheter dans les fermes. La durée trop limitée des baux — de trois à neuf ans — est un handicap sérieux. Plus grave encore est la situation du métayer qui représente, d'après Sismondi, les neuf dixièmes des exploitants. Travaillant sur des terres de faible rendement, il ne dispose pas d'un excédent négociable suffisant pour bénéficier des avantages assurés par la nouvelle conjoncture. Sa condition s'est néanmoins considérablement améliorée : sa part n'est plus soumise à la dîme et échappe souvent aux contributions. Dans ses Mémoires sur le Métayage, Gasparin observe que la classe des métayers est en France la moins chargée d'impôts. Un cas particulier, celui des vignerons, généralement de petits exploitants. D'après les rapports des sous-préfets, une année médiocre qui donne du vin de bonne qualité est plus favorable qu'une année abondante en raison de la diminution des frais et de l'accroissement en revanche du prix de l'hectolitre. Les frais sont en effet élevés : fumier, échalas, cultures, futailles. Même pour le Bordelais, où se pose le problème du débouché vers l'Angleterre, le revenu est donc faible. Il n'en demeure pas moins que les campagnes ont été attachées jusqu'en 1809 au régime impérial qui leur garantissait le retour à la sécurité, grâce au recul du brigandage, une plus juste répartition de l'impôt et le maintien des conquêtes révolutionnaires (abolition des droits féodaux et, dans une certaine mesure, vente des biens nationaux). Incontestablement les conditions de vie dans les campagnes s'améliorent. Peuchet l'observe dès 1805 dans ses Statistiques élémentaires de la France : Il se mange aujourd'hui plus de pain, plus de viande en France qu'autrefois. L'homme des campagnes qui ne connaissait qu'une nourriture grossière, une boisson peu saine, a aujourd'hui de la viande, du pain, du bon cidre et de la bière. Les denrées coloniales (entendons le sucre et le café) se sont répandues aussi dans les campagnes depuis l'augmentation de la richesse des cultivateurs. Et Chaptal lui-même de reconnaître : Le système de ruine pour la campagne, joint à celui des réquisitions et de la conscription, aurait dû faire abhorrer l'Empereur du paysan, mais on se trompe. Ses plus chauds partisans étaient là, parce qu'il les rassurait sur le retour des dîmes, des droits féodaux et la restitution des biens des émigrés et de l'oppression des seigneurs. Cette popularité, l'Empereur la retrouve également dans les rangs du prolétariat urbain. Ce peuple des villes, artisans, ouvriers, gagne-deniers, qui avait été à la pointe des grandes journées révolutionnaires de Paris, qui avait fourni à Lyon le gros des effectifs des « chaliers » et à Marseille celui des terroristes, s'est rallié sans grandes difficultés à l'Empire. L'idéal des sans-culottes n'est plus qu'un souvenir qui ne fait encore trembler que quelques vétérans de la police. Comment expliquer un tel engouement — le mot n'est pas trop fort — pour Napoléon? La condition juridique de l'ouvrier s'est en effet aggravée sous l'Empire. La loi du 22 germinal an XI lui a imposé l'obligation du livret qu'il doit remettre à son patron lors de l'embauche et que celui-ci lui restitue à son départ. Le livret place donc l'ouvrier dans la dépendance du maître et permet à la police de surveiller les migrations ouvrières. Mais on oublie parfois que le ministère de l'Intérieur a justifié l'institution du livret, qui n'était qu'un retour à une pratique de l'Ancien Régime, par la pénurie de main-d'œuvre ; les entreprises cherchaient à débaucher les ouvriers des maisons rivales ; aussi les ouvriers avaient-ils tendance à profiter, sans tenir compte de leurs engagements antérieurs, des avantages que leur procurait une telle surenchère. Le livret avait pour but d'assurer aux manufactures un effectif à peu près stable. Mais les patrons encouragèrent eux-mêmes, surtout dans le bâtiment, les ouvriers à tourner la loi, en embauchant sans livret, les maîtres ne faisant l'objet d'aucune sanction. De plus les tentatives faites par la police pour contrôler le mouvement ouvrier grâce à des bureaux de placement, se soldèrent par des échecs. Les coalitions furent interdites par les articles 414, 415 et 416 du code pénal. Néanmoins les grèves ont été nombreuses, surtout à Paris. Sans doute se limitaient-elles à un chantier, au mieux à quelques éléments d'un même métier, et ne dépassaient-elles pas huit jours. Elles ne prirent jamais un caractère politique. Elles furent provoquées essentiellement par l'introduction de machines (à Lille en 1805, à Sedan en 1803) ou par la longueur de la journée de travail. En 1801 les ouvriers occupés à dresser les échafaudages pour la fête du 14 juillet à Paris réclament une augmentation de 10 pour 100; les meneurs, dont un marchand de vin, sont arrêtés par la police; au mois d'août 1802, les constructions sont interrompues au pont d'Austerlitz. L'approche du sacre fournit un prétexte en 1804 aux ouvriers employés à Notre-Dame. L'année suivante ce sont les ouvriers travaillant au Louvre qui refusent un accroissement de leur journée. En 1805, la grève est plus sérieuse, s'étendant à un nombre élevé de chantiers publics. Nouvelle grève, en août 1807, des tailleurs de pierre du Louvre. Un mouvement très sérieux se produit sur le chantier de l'Arc de l'Étoile, en mars 1810, à la suite d'un accident : il faut l'intervention de la force armée. Il s'agit là de manifestations spectaculaires, nombre de coalitions se terminant par un compromis. En octobre 1806 une ordonnance de police détermina à Paris un nouvel horaire sur les chantiers publics : une seule heure de repos était prévue, entre dix et onze heures. Les ouvriers refusèrent ce retour aux anciens règlements, ils réclamaient dans l'après-midi la pause du goûter que l'on nommait « repas sur la pierre ». Détail significatif : « Ils prétendaient que si l'Empereur avait été à Paris, S.M. n'aurait point permis que l'ordonnance passât. » Commencé le 6 octobre, le mouvement ne prit fin que le 13, sur une transaction : les ouvriers déjeuneraient de dix à onze heures et goûteraient sur place de quatorze heures trente à quinze heures. Le cas reste exceptionnel ; la répression fut souvent sévère : emprisonnement ou renvoi des meneurs en province. Mais les maîtres n'étaient pas épargnés. Lorsqu'ils se concertaient pour diminuer les salaires, la police se mettait aussitôt en travers de leurs projets. Sans doute s'agissait-il davantage d'un souci d'ordre que d'une préoccupation d'équité, mais une telle attitude impressionnait favorablement les ouvriers de la capitale et explique la popularité de l'Empereur dans les faubourgs. Ainsi les maîtres papetiers de la région parisienne, pour couper court aux réclamations de leurs ouvriers, ayant sollicité la fixation d'un maximum des salaires furent-ils éconduits par Dubois, le préfet de police. En 1801 et 1810 des tarifs établis par les maîtres chapeliers furent parallèlement annulés. Institués par la loi du 18 mars 1806, les conseils de prudhommes destinés à éviter par voie d'arbitrage les conflits entre patrons et ouvriers ont été loin d'être paritaires, comme l'avait prévu Napoléon. Mais l'ouvrier disposait d'armes suffisantes : on vit renaître — illégalement — les compagnonnages. Fallait-il les interdire ? Réal, l'un des chefs de la police, recommandait une politique tolérante : « Le compagnonnage, espèce de maçonnerie, existe de temps immémorial. Désespérant de l'attaquer avec fruit dans son essence, je me borne à prévenir ses excès autant que cela dépend de moi. » Pouvait-il faire autrement? D'autant que les différents compagnonnages s'épuisèrent en rixes et n'eurent aucune action politique. De là certaines complaisances de la police impériale, en province sinon à Paris. Comme dans les campagnes, les ponctions opérées par les guerres napoléoniennes vidaient les villes de leurs éléments les plus jeunes, provoquant une grave crise de main-d'œuvre. Sans doute la proportion était-elle faible par rapport à la population en âge de travailler, mais elle enlevait les éléments les plus actifs et les plus recherchés. L'immigration saisonnière, qui représentait quelque quarante mille ouvriers venant chercher chaque année dans la capitale du travail, à la belle saison, décline à partir de 1812. Visitant les chantiers parisiens, en décembre 1813, Napoléon s'étonne de ne plus y apercevoir que des ouvriers âgés. « On en trouve des vieux plus qu'on en veut, réplique l'entrepreneur, mais ça n'a ni courage ni force à l'ouvrage. Et pour les jeunes, on n'en voit plus ; la conscription a fait rafle dessus. » La relève n'est pas assurée en raison de la durée des guerres. L'ouvrier ne s'en plaint pas, à condition qu'il ait échappé au service militaire. C'est qu'une telle pénurie favorise la hausse des salaires. Hausse variable selon les professions : elle est surtout sensible dans le bâtiment, beaucoup moins dans le textile. Hausse plus forte à Paris qu'en province : de là l'importance de l'émigration saisonnière à destination de la capitale. Hausse irrégulière que va interrompre la crise de 1810. On peut l'évaluer à plus de 25 pour 100 depuis 1789 (mais le coût de la vie a également augmenté, sauf pour le prix du pain maintenu par la volonté de Napoléon, à Paris, à moins de 18 sous les quatre livres). La journée d'un ouvrier lui rapporte dans la capitale entre 3 et 4 francs, soit, compte tenu des fêtes et dimanches, moins de 900 francs par an, ce qui est peu par rapport aux 25 000 francs d'un conseiller d'État. En province le salaire moyen d'un manouvrier est de 1 franc 20 en 1801 ; celui d'un ouvrier plus spécialisé varie entre 1 franc 60 et 2 francs, mais la vie est moins chère que dans la capitale sauf pour le pain. Toutefois la disparition du chômage et la hausse relative des salaires ont entraîné une amélioration de la condition matérielle. Certes les accidents du travail sont nombreux et la maladie exerce ses ravages. Dans l'accablant rapport établi par la préfecture de police, en 1807, on note que les espérances de vie dépassent rarement cinquante ans dans certaines professions (cordonniers, boulangers, cardeurs) et que les suicides sont fréquents. Alexis de Ferrière observe en l'an IX : « L'ouvrier a un peu amélioré sa nourriture ; il use plus fréquemment de la viande, il boit des liqueurs fermentées, ses vêtements sont plus propres et meilleurs. » D'autres témoignages confirment cette observation. L'anglais Birbeck note en 1814 : « La classe laborieuse ici est sur une échelle sociale bien plus élevée que chez nous. » Napoléon a d'ailleurs favorisé la constitution de sociétés de secours mutuel, ainsi pour les mineurs de Liège par décret du 26 mai 1813. La caisse était alimentée par une retenue de 2 pour 100 sur les salaires et une participation patronale calculée sur 0,5 pour 100 de ces salaires. L'expérience annonçait notre Sécurité sociale. Ce relatif bien-être et l'absence d'un sentiment de classe (à l'exception des manufactures d'armes, il y a peu de grandes entreprises, la moyenne nationale se situant autour de quatre ouvriers par atelier) expliquent, autant qu'une surveillance policière tatillonne, le calme des faubourgs. Un calme qui durera jusqu'en 1830. UNE SOCIÉTÉ BLOQUÉE L'ascension d'un Murat, fils de cabaretier, devenu roi de Naples, ou celle de la maréchale Lefebvre, populaire Madame Sans-Gêne, ont pu faire croire à une très grande mobilité sociale sous l'Empire; en réalité, les grosses fortunes foncières sont le plus souvent d'origine ancienne ; elles ont traversé la Révolution sans accroc ou ont été reconstituées après 1800; les plus récentes datent de la Révolution. Malheur à ceux qui n'ont pas su profiter de la vente des biens nationaux pour s'enrichir. En dépit d'exemples éclatants, de telles occasions deviennent plus rares sous l'Empire où ne subsistent que la spéculation sur les denrées coloniales et le pillage des pays vaincus. La conquête de l'Europe ne profite finalement qu'aux privilégiés : gratifications provenant du domaine extraordinaire pour les généraux, les hauts fonctionnaires, puis les membres de la vieille noblesse ; profits commerciaux pour les manufacturiers et les négociants. En deçà, l'ascension sociale est difficile. Dans certaines régions, les paysans continuent à accéder à la petite propriété, mais ils n'ont guère de possibilité, en dehors du service militaire, d'échapper à leur condition. C'est l'inconvénient du retour à l'équilibre. Encore la promotion sociale par l'armée doit-elle être nuancée. Le passage de simple soldat au rang d'officier devient difficile sous l'Empire, malgré l'accroissement du nombre de bataillons et la formation de ceux-ci en six compagnies. Les sondages effectués dans les registres de contrôle montrent qu'avant l'an XII la proportion d'officiers sortis d'une école militaire ne dépassait pas 2 pour 100; entre 1807 et 1809 elle s'éleva à 15 pour 100. Entré au service en 1799, le célèbre Coignet n'était que caporal en 1807 et sergent en 1809; il devient enfin lieutenant en 1812. La giberne des grognards ne renfermait aucun bâton de maréchal (Lefebvre était déjà général et commandait la division militaire de Paris au 18 Brumaire, c'est à la Révolution qu'il doit son ascension). Tout au plus, en dehors de la Légion d'honneur, à laquelle était attaché un traitement, le soldat a-t-il l'espoir de finir lieutenant, et la solde qu'il touchera non sans difficultés lui fera une situation supérieure à ses camarades restés paysans. Au sommet de la hiérarchie, l'esprit de caste se développe. Forgée dans les guerres de la Révolution, une solidarité se crée ; des dynasties naissent. Voici celle des Berthier. Deux frères du maréchal deviennent généraux, une sœur épouse un vieil officier, d'Haugéranville, dont le fils obtiendra un rapide avancement; le gendre de César Berthier, Bruyères, est nommé aide de camp du maréchal. On trouverait des cas semblables avec les Dejean, les Ney, les Leclerc liés aux Davout. Faut-il croire les Moeurs administratives d'Ymbert qui écrit en 1826 : Lorsqu'un chef de division satisfaisait couramment et sans hésitation aux vives interrogations de Napoléon, il revenait ordinairement des Tuileries avec le ruban de la Légion d'honneur ou la dignité de conseiller d'État. C'était là un des dédommagements de ce règne de fer : quand un homme avait du talent, chef, sous-chef ou commis, dans quelque rang obscur que la fortune l'eût placé, Napoléon, de son bras herculéen, le saisissait par les cheveux, le posait sur un piédestal et disait : voilà ma créature. La fonction publique n'a pas été, contrairement à ce que l'on a écrit, un facteur d'ascension sociale : les commis ne sont pas devenus chefs de division, ni les chefs de bureau conseillers d'État. Lorsque se constitue en 1807 la Cour des comptes : 20 pour 100 des nouveaux membres ont pour origine la comptabilité nationale, 17 pour 100 le Tribunat, 5 pour 100 la magistrature, 5 pour 100 la Ferme générale. Pas d'hommes nouveaux, mais la consécration d'une fin de carrière. Dans l'administration, comme dans l'armée, s'établit, après les brusques promotions qui ont suivi 1789, une stricte hiérarchie qui ralentit les chances d'avancement. On objectera que la période est trop courte — quatorze années — pour permettre des ascensions sociales. Mais l'on peut deviner comment Napoléon envisageait l'avenir. La nouvelle élite devait se recruter parmi les auditeurs du Conseil d'État. «Je ménageais à mon fils, confiera l'Empereur à Las Cases, une situation des plus heureuses. J'élevais pour lui à l'école nouvelle, la classe nombreuse des auditeurs au Conseil d'ÉTAT. Leur éducation finie et leur âge venu, ils eussent un beau jour relevé tous les postes de l'Empire. » Créée par un arrêté consulaire du 19 germinal an XI, l'institution a connu un grand développement. En fait le recrutement s'est opéré d'emblée parmi les fils, gendres ou neveux des ministres, sénateurs, conseillers d'État, généraux et préfets. Ces milieux fourniront des auditeurs jusqu'à la fin de l'Empire. C'est la naissance de dynasties sinon bourgeoises du moins administratives. Regnier, Abrial, Treilhard, Roederer, Mounier, tels sont les noms des premiers auditeurs. On trouve également dans ces premières promotions la haute bourgeoisie d'autrefois, Anisson-Duperron ou Vincent-Marnolia, des fils de banquiers, Perregaux et Lecouteulx, des membres de la noblesse belge comme d'Arberg. A partir de 1809, les candidats doivent jouir, soit par eux-mêmes, soit sous la forme d'une pension versée par leur famille, d'un revenu annuel de 6 000 francs. L'exigence d'un revenu ou d'une pension de 6 000 francs, note Charles Durand, écarte officiellement des rangs des auditeurs, tous les jeunes gens moins fortunés, fussent-ils instruits, bien doués, laborieux, de parfaite éducation, de famille aisée et très considérée. Un fonctionnaire même de cadre élevé, le président d'un tribunal, un maître des requêtes, un général, ne peuvent, s'ils n'ont des ressources en outre de leur traitement, faire entrer leur fils, même unique, parmi les auditeurs. Bien moins encore peut désormais aspirer à ce titre le fils d'un général tué sur le champ de bataille ou d'un administrateur mort à la peine sans laisser de fortune. « Le principal obstacle vient de la fortune », écrit justement Stendhal à sa sœur au moment de faire partie de ce corps. Il devra justifier d'un revenu de 7 000 livres pour devenir auditeur. De même faut-il verser un cautionnement pour devenir receveur des finances. Volontairement mal payés, les juges ne peuvent se recruter eux aussi que parmi les citoyens aisés. Le caractère « élitaire » du régime s'est trouvé encore renforcé par la création, le 17 mars 1808, de l'Université impériale qui vise à former dans un même moule la jeunesse bourgeoise dont les études secondaires sont sanctionnées par un diplôme, le baccalauréat. Si l'enseignement supérieur retrouve une importance perdue sous l'Ancien Régime, avec les grandes Écoles (dont Polytechnique) et les facultés, l'enseignement primaire est négligé, pratiquement abandonné aux frères des Écoles chrétiennes. Les chances d'accéder à l'élite administrative sont désormais réservées à une ploutocratie enrichie par la Révolution ou encore à l'ancienne aristocratie. La société napoléonienne est celle du retour à l'ordre au profit des notables. NOTES SOURCES : La sous-série F20 des Archives nationales (migrations ouvrières, enquêtes sur la consommation), les listes des six cents plus imposés (cf. Agulhon, « Les sources statististiques de l'histoire des notables au début de XIXe siècle dans les archives d'un département : le Var », 84e Congrès des Soc. sav., 1959, pp. 453-459), les annuaires statistiques (Bottin, Annuaire statistique du Nord) et les enquêtes statistiques (celle de Dartonne pour l'arrondissement de Gien a été publiée par B. Gitton en 1963 ; le mémoire de l'abbé Marchand sur les communes de Rahay et Valennes en l'an IX avait été édité en 1908 par J. L'Hermitte) sont essentiels. Parmi les Mémoires les plus intéressants, ceux de Hue, Journal d'un Paysan publié par Veuclin en 1886 (document d'une grande rareté sur la vie des campagnes), Lamartine (1870, la vie de Milly au début de l'Empire), Poumiès de la Siboutie (Souvenirs d'un Médecin de Paris, 1910), Agricol Perdiguier (Mémoires d'un Compagnon, 1854-1855, la condition rurale dans les dernières années de l'Empire), Ouvrard (1826), Vidocq (1828, rééd. par J. Savant, 1950 : les frontières incertaines entre ouvriers et monde du crime), Véron (Mémoires d'un Bourgeois de Paris, t. I, 1853), Moitte (la femme du sculpteur; excellent sur la vie quotidienne), Stendhal (Journal, éd. Martineau, 1955), Pierre Foucher (par le beau-père de Victor Hugo, la vie d'un employé de ministère, éd. Guimbaud, 1929). Beaucoup d'observations intéressantes sur la société dans la Correspondance de Fiévée (1836), dans les chroniques de Jouy réunies dans L'Hermite de la Chaussée-d'Antin et dans l'Itinéraire parisien d'Alletz, un commissaire de police de la Révolution et de l'Empire. OUVRAGES : Les études générales anciennes sont dépassées : Bondois, Napoléon et la Société de son temps, 1895 ; F. Corréard, La France sous le Consulat; G. Stenger, La Société française pendant le Consulat (1902-1908, 6 vol.) ; Hanotaux, « Les transformations sociales à l'époque napoléonienne» (La Revue des Deux-Mondes, 1926, pp. 89-123, 562-577), à l'exception de Brousse et Thurot, Le Consulat et l'Empire, t. VI de l'Histoire socialiste de Jaurès (1905) où se trouvent dépouillés de nombreux documents conservés aux Archives nationales. Parmi les synthèses récentes : la contribution de Jacques Godechot dans l'Histoire de la Société française d'Halphen et Doucet, et celle de Bertrand Gille dans Napoléon et l'Empire de J. Mistler; le rapport d'A. Soboul, Bilan social en 1815 (Comité international des sciences historiques, XIIe Congrès, 1965, pp. 517-545) et celui de J. Tulard, « Problèmes sociaux de la France impériale », Revue d'Histoire moderne et contemporaine (1970, pp. 639-663). Sur une région particulière: M. Agulhon, La Vie sociale en Provence intérieure au lendemain de la Révolution (1971). Le régime de la propriété est bien analysé par M. Garaud, La Révolution et la Propriété foncière (1960). Sur la « survivance des droits féodaux » dans l'Ouest, cf. l'article de P. Massé dans les Annales historiques de la Révolution française, 1965, pp. 270-298 (examine le cas de la rente féodale arroturée et de la néo-dîme). Sur la vente des biens nationaux sous l'Empire, en dehors des observations de M. Marion (La Vente des Biens nationaux pendant la Révolution, 1908) et G. Lefebvre (« La vente des biens nationaux » dans Études sur la Révolution française, 1963, pp. 307-337), les nombreuses études régionales dont le modèle reste Dubreuil, La Vente des Biens nationaux dans le département des Côtes-du-Nord (1911). Sur le rôle des biens nationaux dans la constitution d'une fortune : Barral, Les Perier dans l'Isère au XIXe siècle (1964). Sur les notables, E. Beau de Loménie: Les Responsabilités des Dynasties bourgeoises, t. I (1943); Ch. Morazé, La France bourgeoise (1946); G. Chaussinand-Nogaret, L. Bergeron et R. Forster, « Les notables du grand Empire en 1810 », Annales, 1971, pp. 1 052-1 075 (« Le notable est un homme d'âge mûr, appartenant à des catégories professionnelles qui lui assurent prestige moral, autorité de fonction ou pouvoir économique. »). Cas régionaux étudiés par F. Spannel, « Les éléments de la fortune des grands notables marseillais au début du XIXe siècle», La Provence historique (1957), Vitte, «La société mâconnaise à la fin du Premier Empire », Cahiers d'Histoire (1956), Bouyoux, « Les six cents plus imposés du département de la Haute-Garonne en l'an X »,Annales du Midi (1958, pp. 317-327), et dans la Revue d'Histoire moderne de 1970, série d'études par A. Palluel (« Les notables dans les Alpes du Nord », pp. 741-757), Agulhon (« Les notables du Var », pp. 720-725), J.M. Lévy (« Les notables de l'Ain », pp. 726-740), Dufraisse (« Les notables de la rive gauche du Rhin », pp. 758-776), J. Vidalenc (« Les notables des départements hanséatiques », pp. 777-792), Nicolas (« Le ralliement des notables au régime impérial dans le département du Mont-Blanc », ibidem, 1972). L'enquête des grands notables par le CNRS a permis la publication des volumes sur le Vaucluse et l'Ardèche (A. Maureau et G. Payron), sur le Mont-Blanc (Palluel, 1978), etc. Synthèse par Bergeron et Chaussinand-Nogaret, Les masses de granit (1979). N. Célestin s'attache à un cas particulier, « Le Notariat parisien sous le Consulat et l'Empire », ibidem (pp. 699-708). Sur les propriétaires urbains : A. Daumard, Maisons de Paris et propriétaires parisiens, 1809-1880 (1965). Beau de Loménie a attiré l'attention sur la naissance des dynasties bourgeoises qui vont dominer le XIXe siècle, Fiévée met à part le monde de la banque, le mieux étudié : Lhomer, Le Banquier Perrégaux et sa fille, la duchesse de Raguse (1926) ; J. Stern, Le Mari de Mlle Lange, Michel-Jean Simons (1933) ; M. Payard, « Bonaparte et le fournisseur Collot (Revue des Études napoléoniennes, 1935, pp. 129-143) ; Palmade, Capitalisme et Capitalistes français au XIXe siècle (1961) ; Gille, Histoire de la maison Rothschild (1965) ; Bouvier, Les Rothschild (1967) ; Gérard, Messieurs Hottinguer banquiers à Paris (1968) ; L. Bergeron, Banguiers, négociants et manufacturiers parisiens du Directoire à l'Empire (1975). Ouvrard a fait l'objet de plusieurs études d'A. Lévy, J. Savant et Payard évoquées plus haut. Rappelons également R. Szramkiewicz, Les Régents et Censeurs de la Banque de France (1974). Les travaux sur le monde paysan sont peu nombreux et englobent généralement (cas de la thèse de Desert pour la Normandie, de Merley pour la Haute-Loire ou de Garrier pour le Beaujolais) l'ensemble du XIXe siècle. Retenons toutefois Berland, « Les cultures et la vie paysanne dans la Vienne à l'époque napoléonienne » dans les Mémoires publiés par la Commission de recherche des documents relatifs à la vie économique de la Révolution française (1937, pp. 189-230). « La lutte pour l'individualisme agraire dans la France du Premier Empire» est évoquée par Laurent (Annales de Bourgogne, 1950). Sur les difficultés d'élaboration du code rural : Françoise Fortunet, « Le code rural ou l'impossible codification »,Annales historiques de la Révolution, 1982, pp. 95-112. Les renseignements sont plus abondants sur les ouvriers, encore que les observations recueillies aient surtout trait à Paris. C'est le cas du vieux livre de Gerando, Des Progrès de l'industrie considérés dans leurs rapports avec la moralité de la classe ouvrière (1841) ou des chiffres rassemblés par Duchatellier, Essai sur les salaires et les prix de consommation de 1202 à 1830 (1830). L'ouvrage d'E. Levasseur. Histoire des Classes ouvrières en France depuis 1789 jusqu'à nos jours (t. I, 1867) reste utile malgré des partis-pris évidents; on le complétera par le t. VI du Paris sous Napoléon de Lanzac de Laborie (1910) et G. Vauthier, « Les ouvriers de Paris sous l'Empire », Revue des Études napoléoniennes, 1913, t. II, pp. 426-451. Les migrations saisonnières ont été étudiées par G. Mauco, Les Migrations ouvrières en France au début du XIXe siècle (1932); Arbos, « Un rapport sur l'émigration saisonnière dans le Puy-de-Dôme en 1808 », Revue d'Auvergne (1934); A. Chatelain, « Les migrations temporaires en France au XIXe siècle », Annales de démographie historique, 1967 ; du même, « Résistance à la conscription et migrations temporaires sous le Premier Empire, » Annales hist. Rév.fr., 1972, pp. 606-625 ; R. Beteille, « Les migrations saisonnières en France sous l'Empire », Revue d'Histoire moderne, 1970, pp. 424-441, et surtout L. Chevalier, La Formation de la Population parisienne au XIXe siècle (1950). Pour les centres provinciaux : G. Clause, Les Cardeurs et Fileurs de laine en 1812 (colloque de l'Association inter-universitaire de l'Est, 1972). R. Marquant s'est attaché aux « Bureaux de placement en France sous l'Empire et la Restauration », Revue d'Histoire économique et sociale (1962), pp. 200-237. Le passage de « la classe laborieuse » à la « classe dangereuse » est bien mis en lumière par L. Chevalier, Classes laborieuses et Classes dangereuses (1958). La résurrection du compagnonnage est analysée par E. Coornaert, Les Compagnonnages en France, du Moyen Age à nos jours (1966). Sur le problème du livret, H. Sazerac de Forge, « La législation ouvrière sous l'Empire », Bulletin de l'Institut Napoléon, 1949 (défend les intentions de Napoléon contre l'avis de G. Bourgin, « Contribution à l'histoire du placement et du livret en France », Revue politique et parlementaire, 1912. Sur le faubourg ouvrier par excellence de Paris : Raymonde Monnier, Le faubourg Saint-Antoine, /789-/8/5 (198 1). ). L'évolution du salaire est reconstituée par J. Rougerie, « Remarques sur l'histoire des salaires à Paris au XIXe siècle », Mouvement social, 1968, pp. 71-108. Quelques grèves ont été étudiées : P. Viard, « Une grève sous le Premier Empire au Tregueil », Mélanges Pirenne, 1926, pp. 663-668 ; Lorenzi, « Une grève parisienne en 1810 », Miroir de l'Histoire, déc. 1954, pp. 643-748 (utilise les carnets du contrôleur des travaux de l'Arc de Triomphe de l'Étoile, Héricart de Thury); J. Bruhat, «Le Mouvement ouvrier français du début du XIXe siècle et les survivances d'Ancien Régime», La Pensée, déc. 1968, pp. 44-56. Il y a peu à tirer pour l'histoire sociale de Broc, La Vie en France sous le Premier Empire (1895); J. Bertaut, La Vie à Paris sous le Premier Empire (1943); J. Robiquet, La Vie quotidienne au temps de Napoléon (1944); F. Darle, Au temps de Napoléon Bonaparte (1961), et H. d'Almeras, La Vie parisienne sous le Consulat et l'Empire (s.d.); mais louons Z. Harsany, La Vie quotidienne à Strasbourg (1976); Rousseaux-Berrens, «La Gastronomie à Paris », Rev. Inst. Nap., 1961, attire l'attention sur un aspect bien connu de la vie de société d'après l'almanach des gourmands de Grimod de la Reynière. Vue d'ensemble dans J. Tulard, La vie quotidienne des Français sous Napoléon (1978). DÉBATS OUVERTS Quel est le mouvement de la population sous le Consulat et l'Empire? Marcel Reinhard est le premier à avoir orienté les recherches dans ce domaine (« La statistique de la population sous la Révolution et l'Empire », Population, 1950, pp. 103-120; « Étude de la population pendant la Révolution et l'Empire », Bulletin d'Histoire économique et sociale de la Révolution française; 1959-1960, pp. 20-28 ; « Supplément », ibidem, 1962, pp. 19-20; « Bilan démographique de l'Europe, 1789-1815 », Rapport au XIIe Congrès international des Sciences historiques, Vienne, 1965) avec Michel Fleury et Louis Henry (« Pour connaître la population de la France depuis Louis XIV — Plan de travaux par sondages », Population, 1958, pp. 663-686). L'Empire n'a pas eu de politique démographique, mais il n'a pas négligé pour autant ces problèmes. Peuchet s'y est intéressé dans son Essai d'une statistique générale de la France (an IX) et dans sa Statistique élémentaire (1805), ainsi que Duquesnoy, mais un rôle essentiel fut dévolu jusqu'à sa suppression de 1812 au bureau de Statistique du ministère de l'Intérieur animé par Duvillard, Alexandre de Ferrière puis Coquebert de Montbret (B. Gille, Les Sources statistiques de l'Histoire de France, 1964; Biraben, « La statistique de population sous le Consulat et l'Empire », Revue d'Histoire moderne et contemporaine, 1970, pp. 339-372). Il y eut trois grands recensements ; 1801 (peu sûr, donne une population de 27,9 millions d'habitants pour la France des limites de 1861), 1806 (29,5 millions d'habitants, plus exacte et 1811. Pour leur interprétation : J. Dupaquier, « Problèmes démographiques de la France napoléonienne », Revue d'Histoire moderne, 1970, pp. 339-358, et R. LeMée, « Population agglomérée, population éparse au début du XIXe siècle », Annales de Démographie historique, 1971, pp. 455-510 (l'enquête de 1809 fixe à 2 000 âmes le seuil de la population agglomérée). La proportion de la population urbaine était surtout forte dans la Seine (89 pour 100), le Sud-Est (Bouches-du-Rhône : 67 pour 100, Var, Hérault et Vaucluse : 41 pour 100), le Rhône (38 pour 100), le département du Nord (34 pour 100). La Russie compte alors 45 millions d'habitants, l'Autriche, 29 millions, le Grande-Bretagne 20 millions. On observe une incontestable chute de la natalité par suite des progrès de la contraception liés peut-être à la déchristianisation (le taux tombe de 34,6 pour 1000 à 31,8 pour la période 1806-1810 selon Armengaud, «Mariages et naissances sous le Consulat et l'Empire », Revue d'Histoire moderne, 1970, pp. 373-389) mais il y aura une élévation des naissances illégitimes (4,6 pour 100 en l'an X, 6,5 pour 100 en 1812). On note parallèlement une nette diminution de la mortalité (de 31,5 à 26,3 entre 1806 et 1810). Faut-il l'attribuer à la vaccination? Mais elle n'a été inventée par Jenner qu'en 1796 : ses effets sont encore réduits sous l'Empire. Pourtant en 1811, un rapport du docteur Husson indique que le nombre annuel des varioles qui avoisinait le million est tombé en-deçà de la barre des cent mille (Darmon, La longue traque de la variole. 1986). Sans doute l'amélioration des conditions de vie a-t-elle été également déterminante. Reprenant les conclusions d'une vaste enquête de l'I.N.E.D. dans le n° spécial de Population de novembre 1975, L. Henry et Y. Blayo proposent les chiffres suivants pour la France (limites de 1861). On le voit, le bilan démographique reste positif; la nuptialité n'a cessé de s'élever en raison, semble-t-il, du système de conscription qui dispensait les hommes mariés du service : la natalité a suivi, encore que dans une proportion plus faible. Si le nombre des décès est particulièrement fort, surtout après 1809, c'est que la guerre pèse d'un poids de plus en plus lourd à partir de l'expédition d'Espagne. Passy avait parlé de 1 700 000 morts, chiffre emprunté à Hargenvilliers, directeur adjoint de la Conscription et repris par Taine. Vacher de Lapouge avançait 2 600 000 hommes pour la France et 3 500 000 pour l'étranger. En 1930, Albert Meynier, utilisant les indications données par Martinien, Officiers tués et blessés, 1805-1815, diminuait, dans la Revue des Études napoléoniennes de 1930 (pp. 26-51) «Levées et pertes d'hommes sous le Consulat et l'Empire », les estimations précédentes à 427 500 morts au champ d'honneur. Mais il ne tenait pas compte des soldats morts de maladie ou des prisonniers non revenus. Il admet, dans une réédition de son article, en 1932, sous forme de tirage à part (Une Erreur historique, les morts de la Grande Armée et des armées ennemies) que le montant des pertes devait être fixé à un million pour la période 1800-1815. Chiffre adopté par G. Lefebvre. Reprenant le problème, à partir du recensement de 1851 (qui donne la distribution par âge), Bourgeois-Pichat, dans Population (1951), propose 860 000 disparus. Utilisant cette fois les registres de contrôle conservés aux Archives du ministère de la Guerre, Jacques Houdaille arrive pour l'armée de terre à un total de 916 000 morts pour la France (« Le problème des pertes de guerre », Revue d'Histoire moderne, 1970, pp. 411-423). On ne saurait parler d'une saignée démographique en raison de l'excédent des naissances sur les décès et d'une immigration étrangère, mise en lumière par Houdaille. Un autre facteur de morbidité : les épidémies, en régression sous l'Empire, à l'exception du typhus, à partir de 1813. On lira avec intérêt R. Darquenne, « La dysenterie en Belgique à la fin de l'Empire », La Revue du Nord, 1970, pp. 367-373, en attendant une histoire de la maladie pour la période 1800-1815 (cf. G. Thuillier, « Pour une histoire du médicament en Nivernais au XIXe siècle », Revue d'Histoire économique, 1975, pp. 73-98). Les nosographies utilisées par Biraben (« Les causes de décès sous la Révolution et l'Empire» dans Mélanges Reinhard, 1973, pp. 59-71) mettent en lumière l'écrasante majorité des décès par lésions organiques (syphilis, cancer, gangrène...). Au niveau de la ville ou du village on lira les études sur Nancy, Toulouse, Strasbourg et Caen dans Contributions à l'Histoire démographique de la Révolution française, 2e série (1965). Pour Paris : J. Tulard, « Guerre et expansion démographique à Paris sous le Consulat et l'Empire », et L. Bergeron, « Recrutement et engagements volontaires à Paris sous le Consulat et l'Empire», ibidem, 3e série (1970). Balzac explique la popularité de Napoléon auprès des paysans par la garantie qu'il leur assurait concernant la vente des biens nationaux. Telle est également l'idée développée par G. Lefebvre et Chabert (Essai sur le mouvement des prix et des revenus en France de 1789 à 1820, 1949). En revanche Tocqueville, M. Bloch (Caractères originaux de l'Histoire rurale française, 1952), Godechot (Les Institutions de la France sous la Révolution et l'Empire) minimisent la portée sociale de la vente de ces biens. Blandine Maurel a repris la question : « Vente des biens nationaux et popularité de l'Empereur », Revue d'Histoire économique et sociale, 1975, p. 428. Certes, constate-t-elle, Foville dans Le Morcellement (1885) relève l'apparition de 500 000 propriétaires nouveaux entre 1789 et 1816. Mais l'établissement du cadastre parcellaire et la vente de ses biens par la noblesse pour faire face à ses besoins interviennent largement dans cet accroissement. Ce sont surtout les bourgeois aisés qui ont acheté les biens nationaux. « Si la part foncière des paysans et des classes populaires, ouvriers et artisans, s'éleva de 16 milliards en 1789 à 16 milliards 700 millions après la vente des biens nationaux, cette augmentation de 4,3 pour 100 ne peut être considérée comme un transfert du capital foncier au profit du peuple... En réalité, outre les habiles politiciens-profiteurs du nouveau régime, la vente des biens nationaux a avantagé beaucoup les bourgeois cossus et fort peu les paysans dont les plus intéressants durent se contenter de bribes dédaignées par les autres. » Mais l'auteur ne parle pas de l'abolition de la féodalité, maintenue par Napoléon, et de la hausse des salaires des journaliers, facteurs décisifs dans la popularité de l'Empereur. La criminalité est encore mal connue. Quelques affaires fameuses de faux-monnayeurs, de contrebandiers et le crime horrible de l'épicier Trumeau ont détourné l'attention des réalités. A Paris, 30 pour 100 des délinquants étaient des femmes; 62 pour 100 venaient de province. On compte 65 pour 100 d'ouvriers et seulement 8 pour 100 de domestiques, 19 pour 100 ont moins de vingt ans. Pasquier, préfet de police, signale l'existence de bandes d'enfants bien organisées. Napoléon attachait une importance considérable au cours de la rente, le fameux 5 pour 100 (cf. Lanzac de Laborie, Paris sous Napoléon, t. VI, 1910) négocié à la Bourse. En réalité, le monde des rentiers parait lui avoir préféré les prêts hypothécaires, les tontines, sortes de sociétés d'assurances mutuelles, la spéculation dans les pays conquis ou même « la course ». De là l'atonie de la Bourse (cf. A. Colling, Histoire de la Bourse). Sur la loi du 21 nivôse an VIII : G. Massa-Gille, « Les rentes foncières sous le Consulat et l'Empire », Bibl. École des Chartes, 1975). Un problème de vocabulaire : l'emploi du mot bourgeois dont le sens s'est modifié depuis le Moyen Age. Sous l'Empire, on parle plutôt de propriétaire pour désigner la classe bourgeoise, les notables représentant une élite (Vovelle et Roche, « Bourgeois, rentiers et propriétaires », 84e Congrès des Sociétés savantes,1959, pp. 419-452). La considération continue à s'attacher au monde des villes : Ph. Delpuech, « Une institution de Napoléon 1er, les bonnes villes », Rev. Institut Napoléon, 1971. Pour la Normandie: J. Vidalenc, «Sociétés urbaines et villes de la Seine inférieure sous le Premier Empire », Annales de Nice, 1969, pp. 291-314, et le Journal d'un bourgeois d'Evreux (1850). Faut-il ranger au rayon des légendes le mépris de Napoléon pour les commerçants? Ch. Durand est nuancé («Les intérêts commerciaux et le recrutement du Conseil d'État pendant le Consulat et l'Empire », Études et documents, Conseil d'État, 1961); de même Begouën-Demeaux dans sa biographie de Jacques-François Begouën (t. II, 1958), gros négociant du Havre appelé au Conseil d'État mais qui ne put jamais entrer au Sénat. Fait significatif: la plupart des conseillers d'État appelés à traiter d'affaires financières (Jaubert à la Banque de France, Berenger à la caisse d'amortissement...) étaient issus de la bourgeoisie mais pas de confidents auprès de Napoléon, à la façon des compères de Louis XI (Olivier le Daim, Tristan l'Hermite). Narbonne (fils naturel de Louis XV) a été, avec peut-être Rœderer auparavant, l'un des rares à jouer vaguement ce rôle (cf. Dard, Le comte de Narbonne, 1943). Domination de la bourgeoisie dans le recrutement des nouveaux cadres de l'armée, comme l'a montré P. Carles, dans le cas de l'Hérault (50 % de fils de propriétaires parmi les aspirants à l'épaulette) lors du colloque d'histoire militaire de Montpellier (1974). Les frais d'études à Polytechnique, à l'École spéciale militaire instituée en 1802 et à l'École de cavalerie de Saint-Germain créée en 1809, étaient assez élevés pour ne pouvoir être supportés, malgré les bourses, que par des parents aisés. Cela n'a pas atténué le conflit entre société civile et société militaire (cf. les exemples donnés par G. Canton, Napoléon antimilitariste, 1902). Notons parallèlement là création de cercles (Agulhon, Le Cercle dans la France bourgeoise, 1977) qui traduisent une réaction masculine contre la domination de la femme dans le Salon ; les épouses sont exclues des cercles. La société napoléonienne a été, semble-t-il, profondément mysogine. Un point positif pourtant : Napoléon a été l'un des précurseurs de la sécurité sociale lorsqu'il signe, le 26 mai 1813, le décret autorisant la création d'une société de prévoyance et de secours pour les mineurs du département de l'Ourthe alimentée par une retenue de 2 % sur les salaires et une participation patronale (Puraye, « Napoléon et le mineur Goffin », Revue de l'Institut Napoléon, 1957, pp. 1-8). CHAPITRE III Une économie de guerre A l'avènement des notables se trouve lié l'essor économique de la France. De même que l'on date le fabuleux destin des « dynasties bourgeoises » de l'époque napoléonienne, de même est-on tenté de faire partir de l'Empire le triomphe du capitalisme en France. Napoléon y aide. « C'est moi qui ai créé l'industrie française », confie-t-il à Caulaincourt en 1812. Une législation s'élabore en effet, favorable, sans l'avoir peut-être consciemment voulu, aux grandes sociétés; les progrès du machinisme sont encouragés par un gouvernement plus attentif que ses prédécesseurs aux problèmes économiques, mais dont il ne faut pas exagérer le dirigisme; la statistique enfin occupe une place importante dans les écrits du temps, même si elle n'a pas été inventée par l'Empire. Toutefois cette économie nouvelle est avant tout soumise à une conjoncture de guerre, celle du blocus. Apparemment la victoire ouvre à l'industrie française de fabuleux marchés, ceux que possédait en Europe l'Angleterre jusqu'alors; mais la France napoléonienne ne dispose pas d'une production suffisante pour les conquérir en raison d'une mécanisation tardive et lente. Les anciens moteurs de l'expansion du XVIIIe siècle, les ports de l'Atlantique, sont ruinés par la guerre maritime et les futurs centres charbonniers de l'intérieur n'ont pas encore pris le relais. Certes l'agriculture voit apparaître de nouvelles cultures en rapport avec la pénurie provoquée par l'arrêt des importations de produits coloniaux, mais les vins et les eaux-de-vie éprouvent des difficultés à s'exporter vers leur principal client, la Grande-Bretagne. Face aux crises qui secouent cette économie, les notables du Premier Empire ne semblent pas avoir encore assimilé les mécanismes économiques qui font la fortune de l'Angleterre. Assurément la révolution industrielle et capitaliste n'en est qu'à ses débuts. Mais les trois coups sont frappés. LES ROUTINES DE L'AGRICULTURE « Qu'est-ce que l'agriculture? La base de la richesse de l'État, l'atelier principal où tous les autres viennent se pourvoir », écrit Pradt en l'an X. Termes que reprend Napoléon : « L'âme, la base première de l'Empire. » C'est dire que, de même que la propriété foncière demeure la source essentielle de la richesse, l'agriculture reste la principale activité économique. Pradt, dans son livre De l'État de la Culture en France placé sous le patronage d'Arthur Young et de l'agronomie anglaise, invitait les agriculteurs à améliorer leurs techniques. Il traçait un vaste programme auquel le gouvernement consulaire puis impérial ne fut pas indifférent : création de fermes expérimentales, acclimatation de plantes exotiques, « soin particulier à donner aux animaux utiles », intérêt plus grand porté au vignoble. Supprimées sous la Révolution, les sociétés d'agriculture avaient été reconstituées en l'an VI. On en comptait cinquante-deux en 1808. Leur rôle fut important dans l'amélioration des instruments de labour et l'extension des prairies artificielles. L'impulsion vint surtout de Paris dont la société publiait des mémoires tirés à mille exemplaires aux frais du département. Aux discussions théoriques, elle ajoutait des consultations accordées aux propriétaires exploitants venus lui exposer leurs difficultés. En province, des concours étaient ouverts sur l'abolition des jachères et l'introduction de la luzerne. Mais les initiatives privées eurent souvent une influence plus importante que les mémoires des agronomes: citons par exemple, dans le Doubs, le domaine de la Roche où le comte de Scey entreprit, en accord avec le préfet Jean Debry, la culture de la betterave sucrière. En fait, les progrès restent lents sous l'Empire. Sur les 52 millions d'hectares qui constituaient alors la superficie de la France on comptait, écrit Chaptal, 23 millions d'hectares de terres labourables, 3,5 millions d'hectares en pâturages, autant de prés ; environ 4 millions sont des terres vagues, landes et bruyères ; 7 millions d'hectares sont occupés par les bois. La jachère ne recule que dans les régions riches, Normandie, Alsace ou Nord de la France. Le grand problème reste celui du manque de fumier. Insuffisance de l'élevage, mais aussi médiocre qualité des fumures, mal préparées à base de mauvaises pailles. Peu de progrès de l'outillage (charrue de Brie, préférence accordée à la faucille — plus économique — sur la faux, battage au fléau). Parmi les cultures nouvelles la pomme de terre ne connaîtra son véritable développement que sous Louis-Philippe. Le tabac est sujet dans le Midi à fluctuations : dans l'hiver de l'an XIII, le prix de la livre monta jusqu'à 16 sols; mais à partir de 1806, les bénéfices diminuèrent : arrêt des importations de tabac de Virginie et multiplication des fabriques clandestines étaient à l'origine de ce déclin. Le gouvernement réagit par le décret du 29 décembre 1810; tous les tabacs étaient achetés par la Régie des Droits réunis et vendus par des débitants pourvus de licence. Des manufactures de tabac apparurent alors, comme celle de Tonneins dans le Lot. Napoléon accueillit avec enthousiasme l'invention de Delessert permettant l'extraction du sucre de la betterave. Dans un rapport du 23 mars 1811, le ministre de l'Intérieur affirmait que « la betterave est l'une des meilleures plantes qu'on puisse employer à la nourriture des bestiaux ; elle est des plus productives et elle exerce une heureuse influence sur l'amendement des terres et les dispose favorablement à la production des céréales ». L'extension de cette culture, ajoutait Montalivet, doit être assurée par de grands avantages, et d'ailleurs la portion de terrain nécessaire à fournir les betteraves dont on pourrait extraire tout le sucre qu'il faut à notre consommation n'excédant pas 35 000 hectares, il suffit que chacun des départements de l'Empire fournisse un contingent depuis 100 hectares jusqu'à 400. Des droits d'entrée et de consommation sur le sucre des colonies avaient déjà été fixés par décret du 5 août 1810. Ils furent maintenus et des primes accordées aux fabricants. Mais les rendements en sucre demeurèrent médiocres, en dépit de la multiplication des fabriques : Passy, Château-Thierry, Bourges, Pau, Castelnaudary, Douai, Mons, Namur, Parme. Moins heureux encore fut le coton: des établissements fondés dans les Bouches-du-Rhône et les Pyrénées ne donnèrent guère de résultats. Succès en revanche du pastel dans le Midi : l'école expérimentale d'Albi en perfectionna la technique. Mais les plantes industrielles dérangeaient les habitudes des campagnes et les notables ruraux qui eussent pu les imposer n'en comprenaient pas toujours l'intérêt. On ne recherche au mieux qu'un profit rapide, des fermages sûrs. Triomphe de la routine également dans l'élevage. Quelques dépôts de béliers (Sabres, Loriol, Adge ou Cambrai) ou d'étalons (Pau, Tarbes, Perpignan, Grandpré dans les Ardennes ou Le Bec en Normandie), le croisement des ovins landais avec les mérinos espagnols ou l'apparition de buffles dans les Landes ne suffirent pas à reconstituer les anciens troupeaux. Dans les Alpes, la transhumance reste la règle. D'octobre à mai, plus de cinquante mille bêtes viennent pâturer en Provence, l'été elles gagnent les montagnes par colonnes de deux mille. Les habitants recueillent quelques engrais de ces passages tout en déplorant l'accroissement du nombre des loups. Le principal obstacle au progrès de l'élevage tient, soulignent les rapports des préfets, au morcellement des propriétés comme la médiocrité des rendements en céréales s'explique par la faiblesse des fumures ; cercle vicieux dans lequel se trouve enfermée l'agriculture française tant qu'elle refuse la prairie artificielle. Les ravages exercés dans les forêts n'ont pas cessé. Principal ennemi : les chèvres. « Elles sont la perte des forêts dont elles empêchent la reproduction », écrit le préfet des Basses-Alpes, Alexandre de Lameth. Le 6 janvier 1801 puis le 26 janvier 1805 l'administration des forêts est réorganisée. Un directeur général préside un conseil de cinq membres. Des inspecteurs parcourent les trente et un arrondissements forestiers de l'Empire, confiés à des conservateurs assistés de gardes généraux. En vain, les délits forestiers demeurent nombreux. On compte 8 millions d'hectares de forêt dont 1 800 000 à des particuliers et le reste à l'État ou aux communes. Reste la vigne, particulièrement prospère sous l'Empire. Vers 1808, elle couvre, selon les estimations de Chaptal, 1 613 939 hectares et donne une récolte de 35 millions d'hectolitres. « Quelle fureur de vigne, la France en est couverte », note un contemporain. La diversité de la production est considérable, de la Bourgogne, où le chambertin passe pour le vin préféré de l'Empereur, à la Champagne où Moët et Chandon imposent leurs mousseux. Malgré le Blocus, les exportations des vins du Bordelais, toujours recherchés, se poursuivent par roulage sur le continent, mais aussi par voie maritime vers l'Angleterre, à la faveur du système des licences : 2 593 gallons en 1805, 13 105 en 1809. En revanche, on n'obtient dans les environs de Paris que des vins « froids » et « acerbes » mais qui servent à la consommation de la capitale. On comprend dans ces conditions l'intérêt porté à la culture de la vigne : l'art de la planter, de la tailler et de la fumer suscite de nombreux ouvrages. Cadet de Vaux insiste de son côté sur l'intervention du chimiste dans la préparation du vin. On lit dans La Feuille du Cultivateur, qu'à part la vigne qui est bien tenue, les autres parties de l'agriculture sont nulles ou vicieuses. Remarque excessive mais qui souligne le retard de la France par rapport à l'agronomie anglaise. Le partage des communaux est souvent invoqué par les préfets pour expliquer ce retard. La vente des biens nationaux, en revanche, a permis l'exploitation de grands domaines laissés jusqu'alors en friche par l'Église. A condition toutefois qu'ils aient été acquis par de gros fermiers ou des propriétaires exploitants. Car la recherche du prestige social a été souvent plus déterminante que le souci de rentabilité dans l'acquisition de la terre par les nouveaux notables qui sacrifient à leur tour les sols arables aux parcs d'agrément et aux forêts giboyeuses. Napoléon s'en irrite : « Je ne souffrirai pas qu'un particulier frappe de stérilité 20 hectares de terrain dans un département fromenteux pour s'en former un parc. » Colère sans lendemain. LES PROGRÈS DE L'INDUSTRIE En quatre ans les Français purent mesurer les progrès accomplis dans le domaine industriel. L'exposition de l'an IX avait réuni 220 exposants dans la cour du Louvre, celle de l'année suivante en compta 540. La guerre interrompit cette tradition. Elle fut reprise en 1806 et la nouvelle exposition rassembla 1422 exposants, venant de tous les départements. A lire le rapport du jury chargé d'examiner les produits exposés, c'est un résumé de toutes les activités industrielles du temps qui est présenté: draperies, casimirs, serges et étamines, étoffes de fantaisie, velours et soie, chapellerie et rubannerie, dentelles et blondes, chanvre, lin, coton, basins et piqués, mousselines et nankins pour le textile, fers et aciers pour la métallurgie, machines à filer pour la mécanique, alun, soude, sulfate de fer et couleurs pour l'industrie chimique, cristaux, porcelaine, orfèvrerie de Biennais et horlogerie de Breguet... Une place particulière était réservée aux manufactures d'État : porcelaine de Sèvres, tapisseries des Gobelins et de Beauvais, tapis de la Savonnerie. Retenu par la campagne de Prusse, Napoléon ne put la visiter. Champagny lui écrivait, le 4 octobre 1806 : « Tout le monde s'accorde à dire que les expositions précédentes étaient bien loin d'avoir excité un tel concours. Il atteste que nos manufactures ont fait des progrès. » Trois secteurs en pointe: le coton, la chimie et les armements. Le premier n'a pas joui des faveurs de l'Empereur qui lui reprochait d'importer sa matière première et préférait encourager la soie, le lin ou la laine. Les tentatives d'acclimatation dans le Midi de la France et en Italie ayant échoué, il fallut se résigner à utiliser des fibres venues du Moyen-Orient ou du Brésil. Mais la disparition de la concurrence anglaise et la vogue des nankins, basins et indiennes furent de puissants stimulants, en rapport avec le développement de luxe. Les progrès techniques furent importants, surtout dans la filature où l'on obtint des fils de plus en plus fins. Mule-jennies et navettes volantes se multiplient. « C'est dans les machines à filer le coton que notre industrie paraît avoir fait le plus de progrès », signalait Champagny à l'Empereur dans sa lettre du 4 octobre. Il eût fallu citer aussi la machine à filer le lin de Philippe de Girard et le métier à tisser de Jacquard, mais le rendement du matériel anglais demeure de quatre à cinq fois supérieur à celui de l'outillage français. La chimie connut également un brillant essor. Longtemps la France était restée tributaire des importations étrangères, en ce qui concerne la soude. Celle-ci provenait de la barille que l'on faisait venir d'Espagne et de Sicile pour alimenter les verreries, blanchisseries et teintureries du pays. La reprise de la guerre avec l'Angleterre puis les difficultés avec l'Espagne provoquèrent une hausse spectaculaire du prix du quintal de 45 francs en 1807 à 350 francs en 1808. Acclimater la barille en Provence était une solution, mais insuffisante. Un décret du 13 octobre 1809 libéra l'industrie de la soude de ses entraves fiscales (à savoir l'impôt sur le sel employé dans la fabrication) : on comptait trente-trois fabriques. Le prix du quintal des soudes d'Espagne tombait de 120 à 55 francs. Dans un autre secteur, l'eau de Javel, esprit de sel étendu d'eau, connut un grand succès. Dans son usine des Ternes, Chaptal produisait tous les acides, le chlorate de sodium et les sels de plomb. Faut-il s'étonner des chiffres élevés de production obtenus par les manufactures d'armes ? Aux manufactures anciennes de Maubeuge, Charleroi, Saint-Étienne, Tulle et Klingenthal, il faut désormais ajouter Mutzig, Liège, Turin et Culembourg. La production totale atteignait, en 1806, 265 800 armes. Les ouvriers, bien que soumis au régime militaire, échappaient au champ de bataille : de là peut-être leur nombre élevé. La fabrication était soumise à la surveillance d'inspecteurs généraux dont les rapports aboutissaient au VIe bureau du ministère de la Guerre dirigé par Gassendi. On a souvent rendu Napoléon responsable de l'absence de progrès techniques dans l'armement. Ce fut souvent la bureaucratie qui freina en réalité les améliorations. Ainsi les armuriers ayant signalé que « le fréquent renouvellement de la vis du chien du fusil d'infanterie provient de la facilité avec laquelle elle se brise lorsque, par inattention, le soldat tire la détente avec la batterie renversée », et qu'il serait souhaitable que cette vis soit faite en acier et non en fer, le projet fut enfoui dans les cartons du ministère de la Guerre sans avoir été transmis à l'Empereur. Le machinisme sans lequel la révolution industrielle eût été impossible a été salué en termes enthousiastes par Chaptal : en réalité la machine à vapeur ne connut sous l'Empire qu'une faible diffusion. La métallurgie, à l'exception du Creusot, grâce à ses hauts fourneaux au coke, piétina. Deux facteurs toutefois ont, à plus long terme, préparé l'essor du capitalisme. La législation napoléonienne consacra le triomphe de la libre entreprise grâce au maintien de la suppression des corporations, en dépit de quelques velléités de rétablissement de la part de la police impériale. Si l'État intervint, dans le cas de concessions minières par exemple, ce fut dans le sens des intérêts privés. Rompant avec la loi du 28 juillet 1791 qui laissait toute liberté aux « propriétaires de la surface », le nouveau droit minier séparait en effet, par la loi du 21 avril 1810, la propriété du sol de celle du sous-sol et attribuait à l'État le droit de concéder l'exploitation de ce dernier. Les concessions s'effectuèrent contre le paiement d'une redevance modique par rapport aux bénéfices ; peu nombreuses en définitive, elles permirent une première concentration des exploitations. Les survivances de l'Ancien Régime étaient abolies. Sur la rive gauche du Rhin, disparut l'utilisation collective des hauts fourneaux et des forges; la loi française transformant les anciennes emphythéoses en libres propriétés héréditaires. Enfin le code du commerce de 1807, en créant les sociétés anonymes, favorisait ainsi les nouveaux apports de capitaux. Parallèlement à la législation mise en place, un deuxième facteur doit être pris en compte : le capitalisme foncier qui fut à l'origine du développement de la métallurgie de la fonte au XVIIIe siècle, tend, sous l'Empire, à s'effacer devant un capitalisme bancaire, plus conquérant. On le voit dans le Dauphiné avec les Périer : Augustin s'occupe à la fois de sa banque et de sa fabrique d'indiennes à Vizille. A côté des maréchaux et des conseillers d'État prennent place dans la légende napoléonienne les grands capitaines d'industrie. Voici Richard (1765-1839), roi du coton. Ce fils de paysan a fait tous les métiers avant d'ouvrir, en association avec Lenoir-Dufresne, grâce à d'heureuses spéculations sur les biens nationaux, un magasin de draps dont les bénéfices furent rapidement considérables. Richard et Lenoir « inventèrent » la vente à prix fixes. Passant du commerce à la fabrication, ils installèrent des ateliers de tissage et de filature dans l'ancien couvent du Bon-Secours, rue de Charonne. De Paris, ils essaimèrent en Province : Alençon en 1800, Sées en 1802, Laigle en 1806... En 1810, à la mort de Lenoir, l'entreprise employait 12 800 ouvriers. Autre grande figure du textile : Oberkampf qui avait établi à Jouy, avant la Révolution, une manufacture de toiles peintes. Celle-ci comptait en 1805 1 322 employés et faisait un bénéfice annuel de 1 650 000 francs. François de Wendel (1778-1825), dans le domaine de la sidérurgie, reconstituait une fortune dont il avait été dépossédé comme émigré: le rachat d'Hayange, puis en 1809 de Creutzwald, l'acquisition enfin de Moyeuvre en 1811, marquaient une nouvelle étape dans le destin de cette famille. Il faudrait citer Ternaux qui révolutionna l'industrie drapière, Douglas et ses machines à carder la laine, Kœchlin. En dépit de la pénurie de certaines matières premières et de la faiblesse des sources d'énergie, l'industrie française baigne dans l'optimisme entre 1806 et 1810. Le retour de l'ordre et de la sécurité, le rétablissement du luxe et l'élargissement des débouchés en rapport avec les conquêtes napoléoniennes (Napoléon n'hésitait pas à faire pression sur ses alliés pour qu'ils ouvrent leurs frontières aux produits français) sont à l'origine d'une euphorie qui conduira à des imprudences. Mais ce développement industriel ne va pas sans inquiéter les plus conservateurs des notables. Chaptal résume leurs craintes bien que lui-même toujours favorable au progrès : Lorsque la guerre ou des prohibitions ferment des débouchés aux produits industriels, on voit avec douleur des réunions d'hommes inactifs souffrir, s'agiter et trop souvent troubler le repos public. Il eût été à désirer sans doute qu'au lieu de former ces agglomérations d'individus pour exploiter quelque genre d'industrie, on les eût laissés disséminés dans les campagnes où la fabrication n'eût été qu'un utile auxiliaire des travaux de la terre. Par peur d'une explosion sociale, les autorités parisiennes freineront l'essor manufacturier de la capitale, déjà entravé par le manque de matières premières et de sources d'énergie. AVANCÉES ET RECULS DU COMMERCE Si le Blocus continental a assuré à l'industrie une efficace barrière protectionniste, il a précipité en revanche le déclin des grands ports, du moins de ceux auxquels la course (comme à Calais, Boulogne et Dunkerque) et le cabotage n'assurent pas un complément de ressources ou qui n'ont pas de racines profondes à l'intérieur du pays grâce aux rivières ou aux canaux. C'est le cas de La Rochelle. « La ruine des colonies et la continuation de la guerre portent un préjudice immense aux villes maritimes. Jamais le découragement de toute entreprise du commerce n'a été porté plus loin. Beaucoup de gens sont ruinés », indique le conseil général de la Charente-Inférieure dans sa session de l'an XII. Entre 1804 et 1810, c'est à peine si une soixantaine de navires battant pavillon du Nord de l'Europe et une vingtaine de navires américains venus chercher vins, sels et eaux-de-vie, mouilleront dans les ports de La Rochelle, si l'on en croit l'Annuaire statistique du département de 1813. La maison de commerce la plus importante de la place, celle des frères Garesché, n'y résiste pas, laissant un passif de 900 000 francs. Nantes et Bordeaux ont mieux supporté le Blocus. Avec la paix d'Amiens, l'armement colonial avait retrouvé un peu de sa splendeur passée. En 1802, Bordeaux armait près de deux cent huit navires pour les colonies, « soit un chiffre assez comparable à ceux de la fin de l'Ancien Régime » selon les évaluations des historiens. Le port reçut, cette année-là, deux cent vingt cargaisons coloniales. Dans les armements, les îles de France et de Bourbon prenaient le relais des Antilles. Enfin les exportations des grands crus bordelais vers l'Angleterre retrouvaient leur ancien tonnage. Après 1803 et jusqu'en 1807, Bordeaux, comme les autres ports de l'Atlantique, plus favorisés que ceux de la Manche, soumis à l'étroite surveillance de la flotte anglaise, conserva une partie de son trafic grâce aux neutres, États-Unis et Danemark. Le durcissement du Blocus affectant le commerce des neutres, l'arrêt fut général en 1808 ; c'est le système des licences, avec dans une moindre mesure l'armement en course qui sauvèrent le port de l'asphyxie. Mais l'on assiste dans l'arrière-pays à un phénomène de « désindustrialisation » qui finit par affecter la majeure partie de la façade atlantique. Marseille connut un répit analogue entre 1801 et 1807 avant de s'effacer au profit de Trieste, Livourne et Malte. L'Empereur avait acquis Gênes en l'an XIII, Livourne en 1808, le traité de Vienne lui donna Trieste. Ce qui flattait l'orgueil national affligeait de plus en plus les négociants de Marseille, écrit dans ses Mémoires Thibaudeau, bien placé pour recueillir les doléances des Marseillais puisqu'il était préfet des Bouches-du-Rhône. Ils regardaient ces trois ports étrangers comme des intrus dans la famille française, des rivaux que l'Empereur favorisait comme nouveaux venus. Indice significatif de l'inquiétude que commençait à causer chez les « notables » la politique d'incessantes annexions de l'Empereur. La foire de Beaucaire voit son déclin lié à celui de Marseille. Toutefois le commerce intérieur, on l'a maintes fois souligné, a largement profité de la conjoncture. Le déplacement vers l'Est favorisait les grandes voies navigables ; le Rhin fait de Strasbourg un entrepôt à l'échelle européenne. Que Napoléon ait repris la politique des canaux commencée par la monarchie (canal de Saint-Quentin, canal de l'Ourcq, etc.) ne peut étonner. L'intérêt porté au système routier provient quant à lui de l'exemple romain. Le décret du 16 décembre 1811 établissait un classement entre routes impériales et routes départementales. De telles voies devaient naturellement faciliter la circulation des marchandises et permettre aux courriers comme aux messageries d'améliorer leur vitesse. En fait il fallait encore quinze heures pour aller de Paris à Orléans, et l'enquête sur le roulage en 1811 mit en lumière les retards entraînés par les pratiques routinières des commissionnaires et des rouliers. Mais pour Napoléon la route avait surtout une valeur stratégique. La route du Simplon inaugurée le 9 octobre 1805, mais achevée en 1809, assurait la domination française sur l'Italie. Il en alla de même du passage du Mont-Cenis. Lyon profita de son ouverture pour accroître son importance commerciale. D'autres facteurs stimulèrent le commerce intérieur: la stabilité monétaire, l'entrée dans les mœurs du système métrique (non sans de vives résistances, il est vrai), la promulgation d'un code de commerce en 1807, l'établissement de chambres de commerce dont le rôle était simplement consultatif mais dont les vœux pouvaient éclairer le gouvernement. Signe des temps : la devanture supplante peu à peu l'enseigne. Cette transformation de la boutique s'opère plus rapidement à Paris qu'en province. LA CRISE DE 1805 La vulnérabilité de l'économie française est attestée par plusieurs crises dont la dernière, nous y reviendrons, sera fatale au régime. Cette vulnérabilité tenait à la faiblesse du crédit : la moindre crise de confiance suffisait à l'ébranler et l'on sait comment en période de guerre la moindre rumeur alarmante peut prendre rapidement consistance. On le vit bien dans l'affaire des Négociants réunis qui revêtit en 1805 des proportions inattendues. Fiévée en donnait à la faveur d'une note de février 1806 une pénétrante analyse : il y voyait l'abus de la spéculation dans une capitale dont la résistance financière n'était pas aussi forte que celle de Londres. Dès septembre 1805, Barbé-Marbois, ministre du Trésor, avait ramené la crise à ses justes proportions: un manque de confiance survenu dans un moment délicat de la conjoncture. Il s'était, au départ, laissé entraîner par d'habiles spéculateurs, Ouvrard, Desprez et Vanlerberghe, dans un projet d'importation en France de piastres mexicaines. L'opération ayant mal tourné, des bruits se répandirent sur un possible ébranlement de la Banque de France : les retraits y prirent une ampleur considérable, d'autant que l'on murmurait qu'en s'éloignant pour une nouvelle campagne, l'Empereur avait vidé les caisses de tout numéraire. L'affluence aux guichets de remboursement tourna à l'émeute. La victoire d'Austerlitz rétablit tant bien que mal la confiance. Mais le numéraire s'étant subitement raréfié, une série de faillites suivit, dont la plus illustre fut celle de Récamier. La mévente dans le textile vint aggraver la situation. Le chômage s'abattit sur les grands centres manufacturiers: l'hiver de 1806 à 1807 fut encore rude à Lyon et à Paris pour les ouvriers. Commencé au début de 1806, le marasme industriel fut général de la Normandie à l'Alsace, du Nord au Midi. Napoléon réagit énergiquement: renforcement du protectionnisme dès février 1806, véritable prélude au Blocus qui fut décrété à Berlin le 21 novembre de la même année; prêts importants aux industriels, commandes à l'industrie de luxe. Au printemps de 1807 la crise était surmontée. Comme en 1802 le régime y gagna une nouvelle popularité et en retira une trop grande impression de sûreté qui devait l'aveugler en 1810. La dépression de 1805 n'était qu'une crise de confiance dans la Banque, compliquée par une surproduction textile, peut-être indépendante, peut-être liée à la déflation du crédit, les économistes en discutent. Le secteur agricole ne fut pas touché; les récoltes demeurèrent satisfaisantes en 1805, 1806 et 1807. On perdit de vue cet aspect du problème: l'exposition de 1806 avec Ternaux pour ses draps fins, Bellanger pour ses cachemires, Richard-Lenoir pour ses basins, Nast et Dilh pour leur porcelaine, Seghers pour ses toiles cirées, Salleron pour ses cuirs, Thomire pour ses bronzes, Jacquemard et Bernard pour leurs papiers peints, montrait la vitalité de l'industrie. On loua Napoléon. Déjà, en bon courtisan, le ministre du Trésor, Barbé-Marbois, qui allait pourtant perdre sa place, écrivait à Napoléon au début de janvier 1806 que le ciel s'éclaircissait. La raison ? « Il a suffi de la nouvelle du prochain retour de Votre Majesté pour améliorer sensiblement toutes les affaires. Les faillites ont aussitôt cessé à Paris. » NOTES SOURCES: Sous-séries F10 (agriculture), F11 (subsistances), F12 (commerce et industrie), F14 (travaux publics) et surtout F20 (statistiques) des Archives nationales. On peut recourir également aux archives des Chambres de commerce; les procès-verbaux du Conseil général des manufactures ont été publiés par B. Gille (1961) ainsi que les enquêtes concernant Paris (Documents pour l'état de l'industrie et du commerce de Paris et du département de la Seine, 1778-1810 (1963). La Description topographique et statistique de la France de Peuchet et Chanlaire (1810) contient de précieux renseignements. On trouvera en annexe de Festy, L'Agriculture française sous le Consulat (1952), une liste commode d'annuaires et de descriptions statistiques, classés par département. La statistique du département du Nord par Dieudonné a été réimprimée. Pour Paris, consulter l'Almanach du Commerce de La Tynna et les Recherches statistiques de Chabrol. Renseignements officiels (donc sujets à caution) dans les Exposés de la situation de l'Empire, surtout celui de 1813 par Montalivet qui dresse un bilan de l'évolution économique avec indications chiffrées. Pour l'ensemble des grandes enquêtes statistiques du temps : B. Gille, Les Sources statistiques de l'Histoire de France (1964, à compléter par B. Desgrey, « Montalivet et la statistique au temps de l'Empire », Revue de l'Institut Napoléon, 1968, pp. 103-108) et L. Bergeron, La statistique en France à l'époque napoléonienne (1981). Parmi les écrits du temps sur l'agriculture : Pradt, De l'État de la culture en France et de ses améliorations (an X) ; François de Neufchâteau, L'Art de multiplier les grains (1809), Voyage agronomique dans la sénatorerie de Dijon (1860) ainsi que ses nombreux rapports imprimés à la société d'agriculture du département de la Seine ; Héron de Villefosse, De la Richesse minérale (1810) ; Rougier de la Bergerie, Mémoires sur les abus des défrichements et la destruction des bois et forêts (an IX), et plus encore son Histoire de l'Agriculture française (1815) ; y ajouter, Les Forêts de la France (1817) ; Costaz, Essai sur l'administration de l'agriculture... suivi de l'historique des moyens qui ont amené le grand essor pris par les arts depuis 1793 jusqu'à 1815 (1818) ; Chaptal, Mémoire sur la culture de la vigne (1820) ; C. Sonnini, Manuel des propriétaires ruraux et de tous les habitants de la campagne (1808). Sur l'industrie : les rapports des jurys sur les produits présentés lors des expositions ont été publiés à l'époque (cf. surtout celui de Costaz en 1806). Une source essentielle : Chaptal, De l'Industrie française (passe en revue, avec des chiffres, toutes les branches de l'activité manufacturière, 1819). On ne peut ignorer les écrits de certains économistes : Ganilh, Des Systèmes d'économie politique (1802) ; Sismondi, Nouveaux Principes d'économie politique (1819) ; Say. Principales causes de la richesse ou de la misère des peuples et des particuliers (1818), et surtout d'Ivernois, Napoléon administrateur et financier ( 1814) qu'a précédé Des causes qui ont amené l'usurpation du général Bonaparte et qui préparent sa chute (1800). Les Mémoires de Richard-Lenoir (t. I seul paru en 1873) sont apocryphes. Il y a peu à tirer des Mémoires de Laffitte (1932). Pour les transports les Almanachs des postes fournissent de précieuses indications. On lira aussi le Code du commerce annoté par Fournel (1807) ; Dupré Saint-Maur sur le commerce de l'Aude (1808). OUVRAGES : Excellentes synthèses dues à Brousse et Thurot, Histoire socialiste de Jaurès, t. VI (vieilli mais nombreux documents) ; H. See (Histoire économique et sociale de la France, t. II, 1939); Chabert (Essai sur le mouvement des revenus et de l'activité économique en France de 1798 à 1820, 1949, première tentative d'application des méthodes de l'histoire sérielle à la période); Palmade, Capitalisme et Capitalistes français au XIXe siècle (1961); F. Labrousse, « Éléments d'un bilan économique : la croissance dans la guerre », XIIe Congrès international de Sciences historiques (1965), pp. 473-496 ; Bergeron, « Problèmes économiques de la France napoléonienne », Revue d'Histoire moderne, 1970, pp. 469-505 ; les pages consacrées à l'Empire par A. Soboul dans le tome III de l'Histoire économique et sociale de la France (1976). Un modèle de monographie locale: J. Vidalenc, «La vie économique des départements méditerranéens pendant le Premier Empire », Revue d'Histoire moderne, 1954, pp. 164-198. On retiendra sur l'agriculture la remarquable synthèse de Festy, L'Agriculture française sous le Consulat ( 1952) que complète «Les progrès de l'agriculture sous l'Empire », Revue d'Histoire économique et sociale, 1957. Certaines régions ont fait l'objet de monographies : R. Laurent, L'Agriculture en Côte-d'Or pendant la première moitié du XIXe siècle (1931); R. Berland, « Les cultures et la vie paysanne dans la Vienne à l'époque napoléonienne » (Com. recherche et publ. de documents économiques, 1937, pp. 189-231); Roque, Aspects économiques de la vie niçoise (1957); J. Vidalenc, « L'agriculture et l'industrie dans les départements normands à la fin du Premier Empire », Annales de Normandie (1957, pp. 281-307). Les forêts n'ont fait l'objet que de travaux fragmentaires : A. Granger, « Notes sur l'administration des forêts sous le Consulat et l'Empire », Revue forestière, 1930, pp. 541-558 ; Cointat et Choulet, « La forêt haut-marnaise sous l'Empire », ibidem, 1952, pp. 453-459 ; Dufraisse, « La forêt de Haguenau sous la Révolution et l'Empire », Études haguenoviennes, 1958, pp. 145-184. Woronoff, « La crise de la forêt française » (Cahiers d'Histoire, 1979) ; Buttoud, « L'administration forestière sous le Consulat et l'Empire », Revue forestière française, 1981, pp. 401-414. Sur la vigne, bonne vue d'ensemble par P. Boussel, Napoléon au royaume des vins de France (1951). Pour le champagne, G. Clause, « Notes sur la viticulture et le vignoble champenois au début du XIXe siècle », Mémoires. Soc. agr. Dép. Marne, 1965, pp. 137-147. A défaut de synthèse sur l'élevage, on pourra consulter la monographie de M. Rebouillat, Les Progrès de l'élevage dans la Saône-et-Loire sous le Premier Empire (Congrès national des sociétés savantes, 1967) et l'excellente étude de P. Pervecaux, « La Dombes sous la Révolution et l'Empire », Cahiers d'Histoire, 1971, pp. 371-391 ; met en valeur le cercle vicieux : le bétail est mal nourri, comme son produit s'écoule mal, on ne peut financer la moindre amélioration de sa nourriture. L'industrie a suscité de nombreux travaux. Bonnes vues d'ensemble par A. Meynier, «L'Industrie française de 1800 à 1814 », Revue de l'Institut Napoléon, 1938, pp. 65-80, A. Viennet, Napoléon et l'Industrie française (1947, ouvrage surtout centré sur la crise de 1811), «Napoléon et l'industrie (remarquable n° spécial du Souvenir napoléonien, janvier 1971). Quelques études régionales : P. Léon, La Naissance de la Grande Industrie en Dauphiné (t. I, 1954), F. Crouzet, «Les origines du sous-développement économique du Sud-Ouest », Annales du Midi, 1959, pp. 71-79 (montre la désindustrialisation du Midi), G. Thuillier, Aspects de l'économie nivernaise au XIXe siècle (1966), Brandt, « L'Alsace napoléonienne et la Révolution industrielle » (Saisons d'Alsace, 1963). L. Bergeron, Banquiers, Négociants et Manufacturiers à Paris (1975), souligne le rôle dirigeant joué par Paris. Le financement nouveau de l'économie et plus particulièrement du textile est mis en lumière par M. Lévy-Leboyer, Les Banques européennes et l'Industrialisation de l'Europe au début du XIXe siècle (1964). Le secteur privilégié reste le textile : Pinkney, « Paris, capitale du coton sous le Premier Empire », Annales, 1950, pp. 56-60; Dhondt, « L'industrie cotonnière gantoise à l'époque française », Revue d'Histoire moderne (1955, pp. 233-279); Dornic, L'Industrie textile dans le Maine (1955); Labasse, Le Commerce des soies à Lyon sous Napoléon et la crise de 1811 (1957); E. Baux, «Les draperies audoises sous le Premier Empire », Revue d'Histoire moderne (1937. insiste sur les difficultés de crédit, les prêts usuraires atteignaient 8 à 10%); Clause, « L'industrie rémoise lainière à l'époque napoléonienne », Revue d'Histoire moderne. 1970, pp. 574-595 : Bergeron, « Douglas. Ternaux, Cockerill : aux origines de la mécanisation de l'industrie lainière en France », Revue historique, 1972. Quelques figures d'industriels : A. Laboucherie, Oberkampf (1884); H. Causse, « Un industriel toulousain au temps de la Révolution et de l'Empire : Boyer-Fonfrède », Annales du Midi, 1957 ; F. Leleux, Lievin Bauwens, industriel gantois (1969); Collignon, Ternaux, manufacturier français (1903) et surtout Lomüller, Ternaux (1977, nombreux documents). La métallurgie a suscité également d'importants travaux : B. Gille, Les Origines de la Grande Industrie métallurgique en France ( 1947) ; G. Thuillier, G. Dufaud et les débuts du grand capitalisme dans la métallurgie en Nivernais au XIXe siècle (1954); H.-J. Favier, « Forges du Centre vues par un maître de forges vosgien », Revue Hist. de la Sidérurgie (1964); B. Gille, « Le grand patronat dans la sidérurgie française du Premier Empire », Revue His. de la Sidérurgie (1965, pp. 103-122); du même, « La psychologie d'un maître de forges au début du XIXe siècle », ibidem, 1965, pp. 61-72 ; Woronoff, « Tradition et innovation dans la sidérurgie », Revue d'Histoire moderne et contemporaine, 1970, pp. 559-573 (le cas de la Haute-Marne sous le premier Empire ; du même, L'industrie sidérurgique en France pendant la Révolution et l'Empire (1984). Sur l'industrie charbonnière naissante : G., Thuillier, «Les houillères de la Ruhr », Annales, 1950, pp. 882-897. Industrie de pointe, la chimie (R. Tinthouin, « Chaptal, créateur de l'industrie chimique française », Féd. hist. du Languedoc Médit. et du Roussillon, 1956, pp. 195-206 ; A. Thépot, «Le système continental et les débuts de l'industrie chimique en France », Revue de l'Institut Napoléon, 1966, pp. 79-84). A propos de l'intervention de l'État : Ballot, « Les prêts aux manufacturiers sous le Premier Empire », Revue des Études napoléoniennes, 1912, pp. 45-47 ; A. Lorion, « Les expositions de l'industrie française à Paris », Revue de l'Institut Napoléon, 1968, pp. 125-130 (complète le t. VI du Paris sous Napoléon de Lanzac de Laborie) ; A. Thépot, La direction des mines dans Les directeurs de ministère en France au XIXe siècle ( 1976 ; insiste sur le rôle de Laumont à partir de 1810 et sur celui des ingénieurs des mines). L'activité des ports est inégalement connue. Bordeaux est maintenant bien étudié : outre le t. V de l'Histoire de Bordeaux (1968) et l'étude très fouillée de F. Crouzet, « Les importations d'eau-de-vie et de vins français en Grande-Bretagne pendant le Blocus continental », Annales du Midi, 1953, on lira les articles de P. Butel, « Le commerce maritime de la France sous le Consulat et l'Empire : l'exemple du négoce bordelais », Information historique, 1968, pp. 211-215, et surtout « Crise et mutation de l'activité économique à Bordeaux sous le Consulat et l'Empire », Revue d'Histoire moderne, 1970, pp. 540-558, qui mettent en lumière les progrès et les crises que connut alors le trafic de Bordeaux. L 'Histoire du Commerce de Marseille peut rendre des services et remplacer P. Masson, « Le commerce de Marseille de 1789 à 1814», Annales de l'Université d'Aix, 1916. Sur Calais: A. Vion, La Vie calaisienne sous le Consulat et l'Empire, 1972. Pas de travaux, en revanche, sur Le Havre, Nantes ou La Rochelle. Sur les chambres de commerce : P. Cayez, « La chambre de Commerce de Lyon et le régime impérial », Cahiers d'histoire, 1971, pp. 403-408 (sa tendance fut plus conservatrice qu'à Paris). Quant aux routes, on lira M. Blanchard, Les Routes des Alpes occidentales à l'époque napoléonienne (1920, fondamental); A. Palluel, « Le Consulat et l'aménagement des cols alpins », Revue de l'Institut Napoléon, 1969, pp. 139-148. J. Sermet, « Les routes transpyrénéennes », Soc. Hist. Communication Midi de la Fr., 1963 (Napoléon avait ordonné au 1808 l'ouverture de la route du Somport). Assez confuse mais riche en renseignements: A. Remond, Études sur la circulation marchande, t. I, Les Prix des transports marchands de la Révolution au Premier Empire (1956). Pour l'entretien des routes, on dispose de l'Histoire de l'Administration des Ponts-et-Chaussées (1958), par Petot. Là encore les monographies locales sont d'une grande utilité, qu'elles soient régionales (Vidalenc, « Les relations économiques et la circulation en Normandie à la fin du Premier Empire », Annales de Normandie, 1957 ; R. Dufraisse, « Les fonctions commerciales de l'Alsace napoléonienne », Saisons d'Alsace, 1963), ou qu'elles concernent un produit (Évrard, « Le commerce des laines d'Espagne sous le Premier Empire », Revue d'Histoire moderne, 1937, pp. 197-226). Autre éclairage : Cottez, L'octroi de Lyon (1938). DÉBATS OUVERTS Faut-il dater de l'Empire le démarrage de la Révolution industrielle en France ? C'est le point de vue qui a été défendu par Marczewski et Toutain notamment dans l'Histoire quantitative de l'Économie française (1961) et Markovitch L'Industrie française de 1789 à 1859, t. I (1965) : accroissement des taux de production (3 pour 100 chaque année entre 1796 et 1812), développement d'industries de pointe et introduction accélérée du machinisme (Ballot, L'Introduction du Machinisme dans l'Industrie française, 1923) en seraient les principaux indices. François Crouzet a contesté cette opinion : « La croissance qui fut réalisée de 1800 à 1810 ne fut en partie qu'une récupération des pertes subies pendant la Révolution, et les industries qui se modernisèrent ne constituaient qu'un secteur très minoritaire de l'industrie (avant-propos au n° spécial du Souvenir napoléonien, 1971, « Napoléon et l'industrie »). Pour Pierre Chaunu, plus radical encore, l'essor du XVIIIe siècle, rompu par la Révolution, n'a pas repris sous l'Empire (La Civilisation de l'Europe classique, 1965). Selon Albert Soboul, au contraire, « si l'absence d'une véritable révolution technologique et le caractère modeste du taux annuel de croissance ne permettent pas de parler d'un véritable démarrage industriel », on ne peut cependant masquer l'essor des années 1800-1810 et la prospérité qui s'y rattache (Le Premier Empire, 1973). E. Labrousse parle de « croissance de la guerre ». Le Blocus a pu avoir « un effet de décélération mais non d'inhibition », il a pu retarder la croissance globale, non la freiner, il a « efficacement aidé à l'accumulation des capitaux où puiseront après la paix les emprunts publics et l'investissement privé» (Rapport au XIIe Congrès international des Sciences historiques, 1965). Dans « Wars, Blockade and Economic Change in Europe 1792-1815 », Journal of Economic History, dée. 1964, pp. 567-588, François Crouzet a mis en relief le phénomène de « désindustrialisation » et de « pastoralisation » de l'arrière-pays des grands ports, Bordeaux notamment, qui travaillait pour foutre-mer. En contrepartie on assista au développement d'industries situées plus à l'intérieur du continent (le coton en Saxe et dans la France de l'Est). Il s'ensuit que contrairement à ce qu'affirmait Tarlé (« Napoléon et les intérêts économiques de la France », Revue des Études napoléoniennes, 1926, pp. 117-137), montrant Napoléon sacrifiant les pays annexés à « l'intérêt national », la Belgique et la rive gauche du Rhin ont connu un incontestable progrès industriel, qu'il faut certes nuancer mais qui fut réel : R. Devleeshouwer, « Le Consulat et l'Empire, période de take-off pour l'économie belge? », Revue d'Histoire moderne, 1970, pp. 610-610 ; l'auteur y souligne qu'en 1807 la Belgique avait une industrie relativement plus importante que le reste de l'Empire et que sa croissance fut la plus grande dans « l'ensemble dont elle relevait » ; et R. Dufraisse, « L'industrialisation de la rive gauche du Rhin », Souvenir napoléonien, 1970, pp. 28-33. Ainsi le déplacement des centres vitaux de l'économie européenne vers le fossé rhénan a-t-il favorisé ce qui constitue aujourd'hui encore le « triangle d'or » Paris-Hambourg-Milan. La pensée économique sous l'Empire mérite-t-elle le discrédit dans lequel elle est tenue? Émile James a attiré l'attention sur les grands courants entre lesquels elle se partage (« Napoléon et la pensée économique de son temps », Revue de l'Institut Napoléon, 1966, pp. 113-123. Dans un mémoire resté inédit, M. Michel Chelini a établi une bibliographie critique des ouvrages parus dans ce domaine entre 1800 et 1815, qui atteste la richesse de ces courants. Dès 1801, Guer montrait, dans son Essai sur le crédit commercial, que la France était plus riche que l'Angleterre; seule l'absence d'un bon système de crédit expliquait le retard de notre pays sur la Grande-Bretagne. De Guer s'est attaché à réfuter Gentz (Essai sur l'état actuel de l'administration des finances et de la richesse nationale de la Grande-Bretagne) et a présenté, ainsi que Bosc et Sabatier, autres économistes injustement oubliés, une méthode de calcul du revenu national (G. Thuillier, « Les essais de calcul du revenu national de 1800 à 1808 », Revue de l'Institut Napoléon, 1976, pp. 41-53) qui contrebalançait les évaluations de Francis d'Ivernois, l'économiste genevois passé au service de l'Angleterre (O. Karmin, Sir Francis d'Ivernois, 1920). La crise de 1805 a donné lieu à une abondante littérature : Lanzac de Laborie, Paris sous Napoléon, t. VI (1910), Marion, Histoire financière, t. IV (1927), A. Fugier, Napoléon et l'Espagne (1930); A. Duchêne, Guerre et Finances: une crise du Trésor sous le Premier Empire (1940); J. Gabillard, «Le financement des guerres napoléoniennes et la conjoncture du Premier Empire», Revue économique, 1953, pp. 548-572 (prend le contre-pied de Chabert qui dans son Essai sur l'activité économique déjà cité avait surtout mis en cause une industrialisation trop rapide et une mévente dans le textile ; pour Gabillard la crise s'explique plutôt par un phénomène de thésaurisation, essentiellement urbain, qui provoque une déflation). B. Gille dans sa «Contribution à l'étude de la crise de 1805 », Bulletin du Centre de recherches sur l'histoire des entreprises, 1954, insiste également sur ce phénomène de déflation. Pour J. Bouvier, « A propos de la crise de 1805 », Revue d'Histoire moderne, 1970, pp. 506-513, il s'agit d'une crise typique du Premier Empire : crise de déflation engendrée par le financement de la guerre et par les comportements monétaires accompagnant l'absence de confiance. « Faut-il réhabiliter Barbé-Marbois ? » interroge Escoube dans la Revue de l'Institut Napoléon, 1975, pp. 101-119. Pour lui la cause essentielle fut l'absence d'un recours systématique au crédit public. Napoléon a voulu que la guerre nourrisse la guerre; il s'est condamné à n'avoir pas les finances qu'exigeait sa politique. Du moins, la guerre napoléonienne a-t-elle ainsi moins coûté qu'on ne l'aurait cru. J. Muracciole, « Le tournant de l'Empire (1808-1812)», Bull. Soc. Hist. moderne, 1978, en évalue le prix à 7 milliards. (Ce que confirmeraient les évaluations de Daru pour la période 1805-1807, citées plus haut.) CHAPITRE IV Le style Empire : art bourgeois ou napoléonien ? On ne dit pas «style Napoléon » mais «style Empire ». Moins sans doute pour majorer le rôle dans l'art officiel de ce que nous appelons dans notre actuel vocabulaire «l'idéologie de la classe dominante », à savoir la bourgeoisie, que pour souligner l'inculture prétendue du grand homme. Quel singulier lecteur, en effet, que ce souverain qui jetait par les fenêtres de sa berline les livres qu'il n'aimait pas! Quelle piètre culture que celle de cet empereur qui ignorait les règles les plus élémentaires de l'orthographe et confondait l'Elbe et l'Ebre, Smolensk et Salamanque ! Et comme il prêterait à sourire l'historien qui parlerait du «siècle de Napoléon» avec les mêmes accents que pour Périclès ou Louis XIV. La dictature militaire de Napoléon n'a pas bonne réputation. Aucun régime en France n'a passé pour avoir autant étouffé la vie intellectuelle et artistique de son temps! Et pourtant nul gouvernement ne s'est peut-être autant intéressé à ces problèmes que celui de ce général qui affirmait : « Il n'y a que deux puissances au monde, le sabre et l'esprit. A la longue le sabre est toujours battu par l'esprit. » Triomphe du goût bourgeois, malgré des accents guerriers et échec de la culture dirigée, a-t-on dit, de l'orientation donnée aux lettres, aux arts et aux sciences par Napoléon. Encore convient-il d'en dresser le bilan à l'apogée de l'Empire; on risque d'être surpris. DÉCLIN DE LA LITTÉRATURE? On a beaucoup parlé d'un déclin de la littérature dont Napoléon porterait la responsabilité. Seuls Chateaubriand et Mme de Staël mériteraient attention, or ils se trouvaient dans l'opposition. Le régime impérial aurait tari toute inspiration, étouffé toute forme d'indépendance et coulé dans le moule officiel les grands genres du XVIIIe siècle. Principal grief: la censure, une censure tatillonne, bien que confiée à des hommes de lettres. Sade, il est vrai, fut interné à Charenton, mais il bénéficia d'une relative liberté et y monta des spectacles — peu sadiques au demeurant — réservés par le directeur de l'hospice, Coulmier, à quelques privilégiés. Son journal, retrouvé depuis, nous révèle les facilités de «toutes sortes» dont il bénéficia. Desorgues connut un sort voisin, mais pour une durée limitée; Brifaut dut changer le sujet de Don Sanche en raison de la guerre d'Espagne. Mais Barcelone devenue Babylone, ce qui laissait la rime intacte, il ne rencontra plus d'obstacles. Les États de Blois de Raynouard furent interdits en 1810, l'auteur y avait mis trop d'allusions politiques, mais il ne fut pas inquiété. Pourquoi taire que ce déclin dont la censure serait la cause remonte à la Révolution ? Celle-ci a établi une répression plus impitoyable que l'Empire : Chénier et Roucher furent guillotinés alors qu'aucun écrivain n'a été exécuté sous l'Empire. François de Neufchâteau pour sa Pamela, Destutt de Tracy et Garat furent emprisonnés, ainsi que Sade et Laclos. Marie-Joseph Chénier dut renoncer à son Timoléon, portrait trop ressemblant de Robespierre. Plusieurs pièces furent bannies du répertoire (Athalie ou le Mahomet de Voltaire), d'autres expurgées de toute allusion à la monarchie ou au christianisme. L'Empire en comparaison paraît infiniment plus doux. Ce qui ne signifie nullement que la surveillance se soit relâchée sous Napoléon. Le décret du 29 juillet 1807 ramenait le nombre des théâtres parisiens à huit : Comédie-Française, Théâtre de l'Impératrice (Odéon), Opéra, Opéra-Comique, Variétés, Gaîté, Ambigu-Comique et Vaudeville. En conséquence, « on ne pouvait représenter aucune pièce sur d'autres théâtres ni y admettre le public, même gratuitement, faire aucune affiche, distribuer aucun billet imprimé ou à la main ». Chaque théâtre se voyait assigné un répertoire donné. Mais le décret n'a pas toujours été bien compris. Il s'agissait de remettre de l'ordre dans l'anarchie et d'éviter les faillites qui contraignaient à fermer les salles. Il en fut de même, plus tard, pour la création de la direction de la Librairie et de l'Imprimerie en 1810. Les préoccupations policières étaient évidentes. Ramener le nombre des libraires parisiens à soixante, leur imposer un brevet et le serment de « ne rien imprimer de contraire aux devoirs envers le souverain et à l'intérêt de l'État», revenait à les mettre dans le main du gouvernement. Mais la situation de l'imprimerie appelait des réformes. Un état des imprimeurs établis dans la capitale en recensait, vers 1808, cent cinquante-sept dont la plupart, le père de Michelet notamment, « misérables et sans patente », selon l'auteur du rapport, végétaient sans véritable qualification professionnelle, beaucoup s'étant improvisés imprimeurs depuis la Révolution. Seules quelques afffaires étaient florissantes, Firmin-Didot ou Agasse, gendre de Panckoucke. Les plaintes étaient nombreuses : « Les libraires-éditeurs prendront tôt ou tard le parti de faire imprimer en province où ils trouveront à meilleur marché le papier et les journées des ouvriers imprimeurs. Solution adoptée d'ailleurs par Marne. Les libraires eux-mêmes ne sont pas exempts de reproches. Barba avait acquis une réputation fâcheuse dans le commerce des livres vendus « sous le manteau ». Selon Werdet, l'éditeur de Balzac, auteur d'un ouvrage De la Librairie, paru en 1860, certains libraires, dont Bossange, firent l'acquisition de licences d'importation pour les produits coloniaux dont l'Angleterre contrôlait le marché. Seule condition mise par le gouvernement impérial : exporter vers la Grande-Bretagne des marchandises pour une valeur équivalente. Ils chargèrent ainsi plusieurs navires de livres que l'on jetait dans la Manche, la revente des denrées coloniales devant couvrir largement le prix des ouvrages sacrifiés. Mais la spéculation ne fut pas heureuse et Bossange dut réduire ses activités. Un autre avantage de l'établissement de la direction générale de l'Imprimerie fut la publication d'un Journal général de la Librairie qui signalait l'ensemble des livres parus. Cet aspect policier eut donc des côtés positifs et ne saurait à lui seul expliquer le déclin présumé de la littérature. LITTÉRATURE OFFICIELLE ET MARGINAUX On prête à Napoléon un mot souvent reproduit. «J'ai pour moi la petite littérature et contre moi la grande. » L'Institut et plus particulièrement la section de langue et littérature française méritent-ils les critiques qui les ont entourés? A la section de langue et littérature française, héritière de l'académie et reconstituée en 1803, siègent à côté d'hommes politiques comme Sieyès, Maret ou Cambacérès, d'estimables poètes comme Parny, connu surtout par sa Guerre des Dieux (1799) que la censure persécutera après le Concordat, Legouvé qui célèbre en 1801, avec un énorme succès, Le Mérite des Femmes, et Lebrun-Pindare, rallié finalement à Bonaparte après avoir fait l'apologie de Robespierre dans une Ode à l'Être suprême. Sa verve caustique était redoutée. Citons de lui ce quatrain sur l'un de ses confrères : « On vient de me voler... — Que je plains ton malheur. — Tous mes vers manuscrits. — Que je plains le voleur. » Poésie un peu plate mais qui séduit, surtout chez Legouvé, un public bourgeois volontiers moralisateur. Le grand poète de l'époque est Delille, professeur au Collège de France et laborieux traducteur de Virgile. Sa mort en 1813 lui vaut des obsèques officielles. Un rival se dessine : Baour-Lormian, habile adaptateur du pseudo-Ossian qui avait mis les bardes à la mode. Le théâtre est représenté en force à l'Académie : Collin d'Harleville, le charmant inventeur du baron de Crac, Picard qui annonce Labiche avec La Petite Ville et Monsieur Musard ou le Vieux Fat, Alexandre Duval, Andrieux et surtout Étienne dont Les Deux Gendres (1810) fut l'un des plus grands succès du temps. Là encore c'est un public bourgeois qui fait le triomphe de pièces qui le flattent tout en se moquant de lui. Pour la tragédie et le drame historique, citons Ducis, adaptateur de Shakespeare en France, Marie-Joseph Chénier, Népomucène Lemercier (Pinto, 1800, Christophe Colomb, 1809), et surtout Raynouard dont Les Templiers rencontrèrent en 1805 un triomphe grâce à certains vers de facture cornélienne: « Qui désire échapper déjà se déshonore », ou encore : « L'homme a créé l'honneur, Dieu créa la vertu.» On trouve aussi dans la section de langue et littérature française, des historiens, Lemontey, Lacretelle et Michaud, et un survivant du XVIIIe siècle, Bernardin de Saint-Pierre. L'oubli qui s'est abattu sur la plupart des auteurs cités ici paraît parfois injuste. Certains, comme Delille, méritent sans doute la disgrâce du temps ; d'autres, comme Raynouard, ne sont pas dépourvus de souffle. C'est l'idéologie qui domine, entendons par là les derniers tenants de la philosophie des lumières : Volney, Garat, Destutt de Tracy, Cabanis, Naigeon, Roederer. Ils s'opposent lors des élections au courant néo-chrétien-monarchiste (Fontanes, Chateaubriand) dont l'influence s'exerce dans le Journal de l'Empire grâce au feuilleton du critique Geoffroy que Stendhal lui-même lit avec passion. Mais l'Académie est divisée aussi en salons rivaux. Ceux de Maret et de Régnault de Saint-Jean-d'Angély ; la candidature d'ÉTIENNE fera l'objet d'une furieuse bataille entre ces deux salons. A la littérature officielle on peut rattacher une floraison d'œuvres hagiographiques, de L'Épopée des Francs de Lesur à Austerlitz de Millevoye, l'un des meilleurs poètes de la période avec Chênedollé. En face, les marginaux. Le courant libertin, déjà persécuté par la Révolution au nom de la vertu robespierriste, est étouffé par l'Empire comme contraire aux principes de cette société bourgeoise que Napoléon substitue à l'ancien monde aristocratique. Si Laclos est « récupéré », c'est comme général; il meurt d'ailleurs en 1803. Restif de la Bretonne végète comme employé au ministère de la Police générale. Ses dernières œuvres, car il écrit jusqu'à sa mort en 1806, n'ont pas amélioré sa situation matérielle. Il a été écarté de l'Institut malgré l'appui de Mercier. Sade finit ses jours à Charenton en 1814. Louvet a disparu en 1797, Nerciat en 1800; Mirabeau les a précédés au début de la Révolution. Casanova est mort en 1798. Autre courant marginal: l'illuminisme également étranger aux préoccupations de la nouvelle bourgeoisie. Saint-Martin, «le philosophe inconnu », disparaît en 1803 et le mouvement semble à bout de souffle. Quelques œuvres pourtant le relancent : les travaux de Fabré-Pélaprat sur les Templiers, les Recherches sur l'origine et la destination des Pyramides de Dewismes en 1812, Les Vers dorés de Pythagore par Fabre d'Olivet l'année suivante. Ballanche et l'école mystique lyonnaise occupent une place à part. Quelques personnalités sont difficiles à classer : Senancour et son Obermann (1804) qui annonce le Romantisme, Charles Nodier auquel une satire, La Napoléone, vaut quelques désagréments de la part de la police consulaire; Joseph Fiévée surtout dont La Dot de Suzette rééditée en 1803 est l'une des peintures les plus féroces de la société thermidorienne. Dernier d'une longue lignée de moralistes (les Pensées de Chamfort sont publiées en 1803), Joubert dont l'œuvre ne sera connue du public qu'après sa mort. Citons également Azaïs et sa théorie des compensations. Mettons à part la littérature gastronomique qu'illustrent Berchoux et Grimod de la Reynière, en attendant Brillat-Savarin. Elle traduit l'appétit de jouissance des parvenus. Restent les marginaux politiques: Mme de Staël et Chateaubriand. Leur destin fut toutefois différent : la première reçut l'ordre de s'exiler à Coppet, le second de se présenter à l'Académie. C'est pourtant Chateaubriand qui se plaignit le plus. Le caractère remuant et peu féminin de Mme de Staël irritait Bonaparte; ses livres précipitèrent la rupture. De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (1800) défendait des idées assez éloignées des préoccupations du Premier Consul. Sa théorie des climats, l'affranchissement à l'égard des modèles anciens, l'exaltation d'une littérature «républicaine» ne rencontrèrent aucun écho chez Bonaparte. Les romans à tendance féministe, Delphine, puis Corinne, allaient à l'encontre des principes de la société bourgeoise mise en place, où la femme était subordonnée à son mari. Imprudemment, Germaine se compromit auprès de Bernadotte et de Moreau. Elle dut quitter Paris. Coppet devint un centre d'opposition cependant que sa châtelaine multipliait les démarches pour rentrer en grâce, ne réussissant qu'à importuner. Elle y méditait son grand livre De l'Allemagne, dressant un parallèle entre la philosophie et la littérature germanique d'une part, les écrivains et les penseurs français de l'autre, parallèle qui tourna en faveur de nos voisins d'outre-Rhin. On ne s'en étonnera pas en pensant que Hegel a achevé d'écrire sa Phénoménologie de l'Esprit et que Kant vient de mourir en 1804. Mais c'était trop. Le livre fut saisi et détruit; Mme de Staël s'enfuit à l'étranger. Le Génie du Christianisme, qu'ont précédé Atala (1801) et René (1802), fait de Chateaubriand, à l'inverse de Mme de Staël, un écrivain officiel. L'ouvrage répondait aux vues de restauration religieuse du gouvernement. L'auteur en fut récompensé par un poste de secrétaire d'ambassade à Rome puis de ministre plénipotentiaire dans le Valais. Récompense insuffisante aux yeux de l'auteur de René. L'exécution du duc d'Enghien lui fournit un prétexte pour prendre ses distances. Méditant une vaste épopée chrétienne, il entreprit en 1806-1807 un grand voyage «de Paris à Jérusalem ». Il en ramena Les Martyrs (1809) qui furent publiés au moment où la querelle du pape et de l'Empereur prenait un tour tragique. Échec. Élu à l'Académie en 1811, il ne put prononcer son discours de réception, condamnation plutôt qu'éloge de son prédécesseur Marie-Joseph Chénier, conventionnel régicide. « J'étais déterminé, écrira-t-il dans les Mémoires d'outre-tombe, à faire entendre mes réclamations en faveur de la liberté et à élever ma voix contre la tyrannie. Mais sans excès de courage jusqu'en 1814. Deux penseurs annoncent l'avenir : Fourier lance en 1808 sa Théorie des quatre mouvements, Saint-Simon élabore la sienne en spéculant sur les biens nationaux. LA LITTÉRATURE POPULAIRE On ne saurait négliger la littérature populaire. La chanson se révélera bien vite séditieuse (Le Conscrit du Languedoc, Le Roi d'Yvetot de Béranger en 1813); en revanche le vaudeville avec Desaugiers restera anodin dans sa peinture de la société. Si l'on peut trouver quelque agrément à la poésie légère de Piis et de l'Almanach des Muses, force est de reconnaître que les romans de Mme Cottin ou de Mme de Genlis sont illisibles. Deux genres font fureur. D'abord le roman noir inspiré des œuvres « gothiques » de Walpole, Anne Radcliffe ou Lewis. Ducray-Duminil (Victor ou l'Enfant de la Forêt, 1796, Coelina ou l'Enfant du Mystère, 1798, Lolotte et Fanfan, 1807) et Pigault-Lebrun (Monsieur Botte, 1802, L'Homme à projets, 1807) connaissent des tirages fabuleux. Souterrains et châteaux hantés, hommes masqués et filles séduites, malédiction paternelle et reconnaissance filiale ne font pas seulement les délices des cochers et des portières, quand ils savent lire, mais aussi celles d'une clientèle bourgeoise. Les thèmes en sont transposés sur la scène par les soins de Loaisel-Tréogate, Caigniez, «le Racine du Boulevard», et surtout Pixérécourt qui se compare sans fausse modestie à Sophocle. Le mélodrame, comme son nom l'indique, est un drame mêlé de chants et de danse. Boïeldieu et Kreutzer ne l'ont pas dédaigné. Il est pourtant l'objet de vives polémiques entre La Harpe, partisan d'un théâtre réservé à une élite, et Mercier qui s'écriait: «Pourquoi fermez-vous votre théâtre au peuple, nation orgueilleuse ou avare? Le pauvre a plus besoin qu'un autre de pleurer et de s'attendrir. Quel sera l'auteur qui songera à ce bon peuple, qui lui donnera une nourriture saine et agréable, qui présidera à ses plaisirs honnêtes et lui apprendra à les goûter ? » On se précipite en foule au mélodrame. La Femme à deux maris de Pixérécourt connaît 451 représentations à Paris et plus d'un millier en province. Le Premier Empire fut une époque où la lecture fit d'énormes progrès. Napoléon lui-même donnait l'exemple et son bibliothécaire Barbier l'informait des nouveautés. «Le nombre des cabinets d'abonnement augmente chaque jour, signale le bulletin de l'imprimerie et de la librairie de Paris, le 21 octobre 1809; des perruquiers s'en mêlent. » Que lit-on ? Ducray-Duminil et Pigault-Lebrun, des traductions de Radcliffe et de Walpole. La littérature « académique », à l'exception de Chateaubriand, est absente des catalogues des cabinets. En revanche on note un goût prononcé pour les sociétés savantes : Mangourit fonde la Société des Antiquaires de France en 1813 et Malte-Brun remet la géographie à l'honneur. LES BEAUX-ARTS À LA MODE Le goût pour la peinture et la sculpture devient engouement. Les publications esthétiques se multiplient: on discute les théories de Winckelmann ou de Quatremère de Quincy; Legrand traduit les œuvres de Piranèse sur l'architecture ; Amaury Duval souligne l'influence de la peinture sur les arts industriels ; inversement Reveroni Saint-Cyr montre le perfectionnement des arts par les sciences exactes. En 1801, Ballanche publie Du sentiment dans ses rapports avec la littérature et les arts, mais son œuvre est éclipsée par Le Génie du Christianisme de Chateaubriand. Landon édite les Annales du Musée et de l'École moderne des Beaux-Arts. Les collections privées se multiplient (Fesch, Lucien Bonaparte, Vivant Denon, Soult) ; l'Europe grâce aux conquêtes s'ouvre aux curiosités. Le prix des tableaux, malgré une offre abondante, ne cesse de monter. On s'écrase au Salon dont l'entrée, il est vrai, est gratuite. « Quelle foule abominable, note un contemporain. Des portefaix ! des harengères ! des valets ! Le Musée Napoléon attire également le public. On compte trente mille visiteurs lors de l'exposition des tableaux venus d'Italie. Sans doute l'orgueil de la victoire militaire qui a permis un aussi fructueux butin est-il, plus encore que la curiosité artistique, à l'origine de cet afflux de visiteurs. Napoléon comprend parfaitement combien l'art est un merveilleux instrument de propagande. « L'intention de Sa Majesté, écrit Montalivet à Denon en 1810, est que l'ouverture du Salon ait lieu pendant les fêtes qui doivent être données à la Grande Armée et que le Muséum à cette époque se trouve aussi dans tout son éclat. On a pu dénoncer une certaine ostentation dans les rapports de l'Empereur avec les artistes. En 1808, il se rend au salon, bien désireux d'honorer Gros; il distribue des décorations, bavarde avec les peintres, affectant d'ignorer l'auteur de La Bataille d'Eylau ; la répartition des médailles terminée, il se tourne vers lui et détachant sa propre croix de la Légion d'honneur, il l'épingle sur la poitrine de l'artiste. Allant voir le tableau du Sacre que David vient de terminer, il regarde longuement, ne dit rien, «puis, faisant deux pas vers David, selon le témoignage de Delécluze, il lève son chapeau et faisant une légère inclination de la tête, il lui dit d'une voix élevée: "David, je vous salue." » David règne sans partage sur le monde de la peinture qui grâce aux commandes officielles ou privées connaît une grande activité. Premier peintre de l'Empereur, sénateur, officier de la Légion d'honneur, de l'Institut, David atteint son apogée. Il est celui qui représente les grands moments de l'épopée: Bonaparte au Saint-Bernard, La Distribution des Aigles, Le Sacre. Il ne néglige pas pour autant l'antique. Il entreprend sous le Consulat Léonidas aux Thermopyles qu'il terminera en 1814; il peint en 1809 L'Amour et Phaéton; en 1812 Homère et Calliope. Avec lui triomphe cette esthétique néo-classique à laquelle il a attaché son nom. Ses élèves sont nombreux. Son fils en recense quatre cent trente-trois. On voit les principaux dans un tableau intitulé L'Atelier de David. Voici Gros (1771-1835), l'enfant prodigue de la famille de David ; classique avec Sapho à Leucade en 1801, il devient lui aussi témoin de la légende dans ses tableaux d'histoire, Aboukir, Eylau (1807) et Les Pestiférés de Jaffa (1804); Gérard (1770-1837) entré chez David en 1786, qui délaisse Bélisaire ou Psyché pour se spécialiser dans les portraits de la famille impériale et des grands dignitaires ; Girodet-Trioson (1767-1824) s'impose avec Le Sommeil d'Endymion dès 1793; son Ossian ou l'apothéose des héros français morts pour la patrie, commandé en 1800 pour le Salon doré de Malmaison, Les Funérailles d'Atala et surtout Le Déluge (1806) qui sera préféré aux Sabines de David lors du concours décennal de 1810, en font l'un des plus grands maîtres de son temps. On aimerait s'attarder sur Hennequin qui a laissé d'intéressants souvenirs, sur Fabre (1766-1837), deuxième élève de David à obtenir le Grand prix de Rome, sur Alexandre-Évariste Fragonard (1780-1850), fils du grand Fragonard mort en 1806 et disciple infidèle de David qu'il abandonne pour le « gothique troubadour », Franque, Mulard, Wicar, Drolling ou Revoil. Ingres (1780-1867) occupe une place à part. Ses portraits de Napoléon surprennent par leur côté majestueux, quasi byzantin. Mais il est aussi l'auteur de la série des Odalisques qui donne des lignes de la femme une image plus voluptueuse que chez David. Le néo-classicisme n'épuise pas toute l'activité picturale. La peinture a ses marginaux. Ainsi Prud'hon (1758-1823), fils d'un tailleur de pierre de Cluny, influencé par les Allemands, mêlé aux milieux révolutionnaires puis introduit dans les salons officiels par le préfet de la Seine, son compatriote Frochot. Le Triomphe de Bonaparte, en 1801, consacre sa réputation ; il devient le décorateur des grandes fêtes données à Paris en l'honneur de l'Empereur. Jean Broc (1771-1850), rebelle à l'influence de David, rejoint les primitifs, exigeant de l'art, sous l'influence de Maurice Quay et Charles Nodier, une originalité et une pureté absolues. Ingres n'y sera pas insensible. Broc est l'auteur, longtemps méconnu, d'une extraordinaire Mort d'Hyacinthe (1801). L'école condamne le gibier à la Weenix et les ruines de Panini que défend Suvée. Tous les genres sont à l'honneur. Valenciennes (1754-1819) publie un traité de peinture où il défend le paysage historique cadre d'une scène de l'Antiquité ou de la mythologie. Le paysage lui-même reste à la mode avec Hubert Robert qui ne meurt qu'en 1808, Bidault (1758-1846) ou Moreau l'Aîné (1739-1805). Boilly (1761-1845) s'illustre dans les scènes familières: L'Arrivée de la Diligence (1804), Le Départ des Conscrits de 1807 ou encore La Lecture du 7e Bulletin de la Grande Armée (1808). Il a pour rival Taunay (1755-1830). Duplessis-Bertaux a pour domaine l'anecdote militaire; Danloux rivalise dans le portrait avec les maîtres du genre. Cependant que l'animalier Huet meurt en 1811, Carle Vernet (1758-1836) se spécialise dans les chevaux. Citons aussi Meynier (1768-1832). Et voici que paraît Géricault (1791-1824). Son Portrait équestre d'un officier de chasseur à cheval en 1812 puis Le Cuirassier blessé, de 1814, annoncent par leur mouvement dramatique l'arrivée du Romantisme. Comme Delacroix, Géricault s'est formé, moins dans les ateliers qu'au musée Napoléon où il découvre pêle-mêle Titien et Vélasquez, Caravage et Ribera, Rubens et Rembrandt. Comme Vigny et Lamartine, Géricault, tenté par l'état militaire, s'engagera dans les mousquetaires rouges du roi et suivra le souverain à Gand pendant les Cent Jours avant de revenir à la vie civile. Cette sèche énumération de peintres a pour but de montrer l'extraordinaire foisonnement de talents sous l'Empire. La peinture napoléonienne est trop facilement ramenée à quelques reconstitutions à l'antique, scènes de bataille et portraits de dignitaires : L'Enlèvement des Sabines de David, Eylau dû à Gros, et Madame Récamier par Gérard. Trois chefs-d'œuvre au demeurant, mais qui ne rendent pas compte de l'ensemble de la production au cours des quinze premières années du XIXe siècle. Le libertinage et le style larmoyant disparaissent, mais l'Empire, sous l'influence de Chateaubriand et du musée des Monuments français de Lenoir, invente le style troubadour, nostalgique d'un Moyen Age imaginaire, s'inspire du pseudo-Ossian pour renouveler des vieux mythes et favorise par la décentralisation (l'essor des musées provinciaux date de l'arrêté du 14 fructidor an IX leur envoyant 846 tableaux) l'éclosion de foyers régionaux. Grobon à Lyon, Claudot en Lorraine, Constantin en Provence. Apparemment la France peut paraître en retard sur l'essor du fantastique européen (Fussli en Allemagne, Blake en Angleterre). Erreur. Vafflard (1774-1837), injustement oublié, illustre, parmi d'autres, ce courant dans le saisissant Young et sa Fille (1804). Triomphe du néo-classicisme certes, mais diversité, on le voit, des tendances et plus encore conquête de l'Europe. Isabey va faire un séjour à Vienne; en 1812, David peint pour le prince Youssoupof. Inversement les deux fils de Piranèse s'installent à Paris. Et comment oublier que Goya devint le peintre officiel de Joseph Bonaparte ? SCULPTEURS ET ARCHITECTES Triomphe également du classicisme chez les sculpteurs. Mais les chefs-d'œuvre sont moins nombreux qu'en peinture. On n'en sera pas surpris. Pajou, Clodion et Houdon s'effacent. Chinard (1756-1813), Roland (1746-1816), Cartellier (1757-1831) et Moitte (1746-1810) les remplacent. Figés par l'académisme, ils manquent souvent de souffle; leur virtuosité est pourtant indéniable, notamment dans le buste de Mme Récamier par Chinard ou dans le bas-relief de la colonnade du Louvre sculpté par Cartellier. Plus personnel, Chaudet (1753-1810) s'impose dans le thème mythologique qu'il a renouvelé dès 1791 grâce à la fraîcheur de son inspiration ; il est surtout connu pour la statue de l'Empereur en costume romain, appelée à surmonter la colonne Vendôme. Mais il ne peut supporter la comparaison ni avec Bosio (1768-1845), auteur des bas-reliefs de la même colonne, ni avec l'Italien Canova (1757-1822) dont l'influence fut considérable. Son Napoléon nu, inspiré de l'Apollon du Belvédère, ne fut pas montré par ordre de l'Empereur qui s'offusqua de l'académie d'athlète que lui avait donnée le sculpteur. Canova n'en fut pas moins le spécialiste de la famille impériale. Pauline en Vénus et Madame Mère en Agrippine firent sensation. Mais l'artiste, malgré les sollicitations de Napoléon, préféra Rome à Paris. Domination du néo-classicisme encore en architecture : Gondoin (l'École de médecine), Peyre, Chalgrin (l'Odéon, l'Arc de l'Étoile), Poyet (travaux du Corps législatif), Vaudoyer, Célerier (théâtre des Variétés), Vignon (la Madeleine), Brongniart représentent le courant officiel, mais si l'architecture française semble tournée vers le passé, des conceptions nouvelles apparaissent. Sur le plan technique c'est l'emploi du fer, notamment dans la construction des ponts (le pont d'Austerlitz, la passerelle des Arts) ou dans les coupoles (la halle au blé reçoit en 1806, après un incendie, une coupole en fer et en cuivre par Bélanger). Sur le plan théorique, Durant (1760-1834), ancien élève de Boulée, devenu professeur à l'École polytechnique, et Rondelet (1743-1829) défendent, l'un dans son Recueil et parallèle des édifices de tout genre anciens et modernes, l'autre dans son Traité théorique et pratique de l'art de bâtir une conception de l'architecture fondée sur l'utilité et non sur la beauté, où l'ingénieur aurait désormais le rôle prédominant. Ledoux meurt en 1806 ; sa cité idéale n'influencera pas les créations napoléoniennes de Pontivy et de La Roche-sur-Yon. Les architectes préférés de Napoléon sont Fontaine (1762-1853) et Percier (1764-1838), véritables inspirateurs, avec David, du style Empire. Position difficile. On a souvent décrit les hésitations de Napoléon brassant d'immenses projets : transformation des Invalides en temple de Mars, réunion du Louvre et des Tuileries, arcs triomphaux, reconstruction de Versailles, création sur les hauteurs de Chaillot du palais du roi de Rome et sur le Champ de Mars d'une ville administrative. Devant les plans présentés, l'Empereur était incapable de se décider. N'aboutit que l'arc du Carrousel par Fontaine, œuvre qui paraît aujourd'hui étriquée mais qu'il faut voir dans la perspective ancienne du palais des Tuileries. Le temple de la Gloire, décidé à la Madeleine, fit l'objet de plusieurs projets et de nombreux remords de Napoléon. Celui-ci aurait même envisagé un pendant sur la butte Montmartre; «une espèce de temple de Janus où seraient proclamés les traités de paix. La jonction du Louvre et des Tuileries fut périodiquement agitée et constamment différée. Le journal de Fontaine nous révèle un Napoléon inattendu, plein d'incertitudes et paralysé par la crainte de se tromper. Même hésitation pour Versailles. Gondoin présenta un projet de 50 millions. Percier et Fontaine restaient plus mesurés. Finalement Napoléon conclut: « Il ne faut rien faire si l'on ne peut pas faire une chose qui rivalise de beauté avec la partie bâtie par Louis XIV. » En ce qui concerne Chaillot, Percier et Fontaine avaient conçu un projet grandiose, exposé dans Résidences de Souverains. Les expropriations commencèrent mais aucun monument ne sortit de terre par suite de la guerre. «Trop d'ambition, déclarait Napoléon, laisse les palais inachevés. » Faut-il voir un reflet de cette attitude chez les nouveaux dignitaires ? Ceux-ci ont peu construit, se contentant d'aménager les anciens hôtels de l'aristocratie. Quant à la bourgeoisie, elle impose l'immeuble de rapport et substitue la vitrine à l'enseigne des vieilles boutiques. On note dans cette architecture privée le triomphe de l'égyptien et du dorique, au début du consulat, puis de larges emprunts à la renaissance italienne, parfois admirablement adaptée, comme dans le palladianisme de la rue de Rivoli. LES ARTS DE LA DÉCORATION : LE STYLE EMPIRE C'est dans la décoration de l'intérieur des maisons que l'on peut le mieux parler d'un style Empire. Percier et Fontaine ont imposé de façon dictatoriale leurs conceptions aux ébénistes. L'acajou règne, massif ou en placage pour «les meubles de second choix ». On y incruste souvent de minces filets de bois clair pour éviter des masses trop sombres. La base des meubles est fréquemment constituée par un socle en relief ou des pieds «à griffes de lion»; les montants des commodes sont surmontés de cariatides portant l'entablement; les formes deviennent rectilignes. Le décor est inspiré de l'égyptien, du gréco-romain ou de l'étrusque. La mythologie (déesses ou cygnes) voisine avec les symboles guerriers (glaives, flèches, ou casques), les abeilles avec les aigles. Le rôle de l'orfèvre et du bronzier est décisif dans ces chefs-d'œuvre que sont la toilette offerte par la Ville de Paris à Marie-Louise en 1810 ou le berceau du roi de Rome, œuvres de Prud'hon, Odiot et Thomire. Autre grand orfèvre : Biennais, établi à l'enseigne du « Singe violet». C'est lui qui cisela les accessoires du sacre. Cependant que se multiplient les tables volantes et les guéridons, de nouveaux types de meubles apparaissent : la psyché, glace pivotant dans son encadrement ; le vide-poche ou la chaise curule. Voici la chambre de Mme Récamier décrite par Reichardt: Fort élevée, elle est presque entièrement entourée de hautes glaces d'un morceau. Entre les panneaux de glace et au-dessus des grandes portes en marqueterie s'aperçoit une boiserie blanche avec filets bruns. La cloison du fond, faisant face aux fenêtres, est une glace immense. C'est là qu'apparaît, la tête contre le mur, la couche éthérée de la divinité du lieu. Cette couche si peu fréquentée, à l'exception de sa propriétaire, nous est connue par un autre témoin : « Le lit passe pour le plus beau de Paris; il est en acajou orné de cuivres et monté sur deux marches du même bois. Au pied du lit, sur un piédestal, une belle lampe grecque en cuivre. » Seuls capables de rivaliser avec cette prestigieuse couche, les lits exécutés pour Joséphine à Fontainebleau. Ils sont l'œuvre de Jacob-Desmalter (1771-1841), l'un des maîtres du nouveau style, dont la production fut immense : 217 lits, 58 consoles, 87 secrétaires, 106 bureaux et 577 sièges, rien que pour le palais de Fontainebleau. Très recherchés sont également les vases de Sèvres illustrés de scènes mythologiques ou guerrières. C'est Isabey qui fournit le dessin de la célèbre table des maréchaux que vient admirer Stendhal. Fontainebleau. Très recherchés sont également les vases de Sèvres illustrés de scènes mythologiques ou guerrières. C'est Isabey qui fournit le dessin de la célèbre table des maréchaux que vient admirer Stendhal. Comme les arts du bois et du métal, ceux du textile participent au nouveau décor. L'intérêt se porte sur les indienneries où excelle Oberkampf, sur les soieries (en rapport avec la renaissance des ateliers lyonnais grâce au métier de Jacquard), les damas et les satins brochés. Ainsi que le note Mme de Genlis : « Par ostentation on plissa sur les murs les étoffes au lieu de les étendre.» LE VÊTEMENT De la parure de la maison à celle des personnes, les principes ne changent pas. L'antique règne en maître, avec toutefois une poussée de l'Orient (le succès du cachemire). Les teintes demeurent sombres, les étoffes sont lourdes pour plaire à l'Empereur qui les veut somptueuses avec l'arrière-pensée de faire travailler ainsi davantage l'industrie textile. Le costume masculin subit encore l'influence de la Révolution mais le pantalon, élément essentiel du vêtement du sans-culotte, est longtemps proscrit de la tenue bourgeoise. La redingote, le frac, le gilet droit donnent plutôt à la silhouette un faux air d'uniforme. Cette préoccupation se retrouve même, de façon inattendue, dans la toilette féminine : coiffure en forme de shako, jupe raide taillée en fourreau, bottes, épaulettes ou baudriers. Le prestige de la fonction publique vient en partie de l'uniforme que l'Empereur impose à ses fonctionnaires. Il y a un style Empire du vêtement. Napoléon seul y échappe: petit chapeau plus ou moins défoncé, redingote grise et costume vert des chasseurs de la garde. Il se compose ainsi une silhouette aussi insolite que son nom, qui le fait déjà entrer dans la légende. LA MUSIQUE Dans le mobilier de la bonne bourgeoisie, figurent habituellement une harpe ou un piano, un Erard de préférence; le piano forte a détrôné en effet le clavecin. « Vous n'entrerez pas dans un salon, écrit en 1803 un contemporain, sans y trouver un piano forte. Vous entendrez de jeunes personnes qui sont des prodiges à dix ans sur cet instrument.» C'est dire la place occupée par la musique. Sans doute Napoléon était-il aussi peu mélomane que possible. Il Installé rue de la Loi, sur l'emplacement de l'actuel square Louvois, l'Opéra se porte bien, en dépit de difficultés financières dues à l'abus des places gratuites et aux caprices des chanteurs. C'est le genre auquel va la préférence de Napoléon, ainsi que celle de ses contemporains, à commencer par Stendhal, qui tient dans son journal un compte minutieux des représentations auxquelles il a assisté. L'Empereur est surtout sensible à l'Opéra italien. Le favori est le Napolitain Paisiello rival de Rossini. Mais Napoléon s'enthousiasme également en 1807 pour la Vestale de Spontini qui fait défiler les légions romaines. Il lui commande en 1808 Fernand Cortez ou la Conquête du Mexique, sur un livret d'Esmenard et de Jouy. Le livret importe plus, il est vrai, que la musique dans l'admiration que déchaîne l'œuvre dont la première eut lieu le 28 novembre 1809. Le Journal de l'Empire en rend compte dans un article qui souligne combien les allusions ont été parfaitement comprises : Ce sujet convient surtout à l'époque où nous vivons. Le peuple qui a sous les yeux des miracles d'intrépidité et de constance héroïque, en contemple la faible image sur la scène avec plus de plaisir et d'intérêt. Cortez, qui fait la conquête d'un vaste empire avec sept cents fantassins et dix-sept chevaux, ne rappelle-t-il pas naturellement à tous les esprits le héros qui, à la tête de légions plus recommandables par le courage que par le nombre, a déconcerté les plus formidables lignes, dissipé des armées innombrables et triomphé des efforts de l'Europe conjurée. La tournure prise par les événements d'Espagne condamna en définitive Fernand Cortez qui exaltait involontairement le patriotisme espagnol après avoir chanté les louanges du Sauveur. Avec Cherubini, les rapports furent difficiles. «L'Empereur me demandait, dira plus tard le Florentin, une musique qui n'avait pas le sens commun. » C'est à Paër que Napoléon réserva en définitive les fonctions de maître de la musique de sa maison. Les Français ne furent pas oubliés. Méhul triomphe en 1807 avec Joseph, mais la faveur populaire va surtout à Lesueur, le maître de Berlioz. Inspirés par les poèmes d'Ossian, Les Bardes suscitèrent un enthousiasme que ne partageait pas Stendhal. Ils furent éclipsés en 1807 par Le Triomphe de Trajan, apologie de l'Empire qui sombra dans la flatterie la plus éhontée. Lorsque Trajan montait en triomphateur au Capitole, on pouvait entendre la marche que Lesueur avait composée pour l'entrée de Napoléon à Notre-Dame lors du sacre. Une mise en scène fastueuse (les chevaux du cirque Franconi, quatre cent trente-deux costumes), Mme Branchu et Lainez, considérés comme les meilleurs chanteurs du moment, et la caution impériale furent déterminants. Les ballets de l'Opéra attiraient également la foule qui se partageait entre partisans de Vestris, de Duport et de Gardel, les danseurs étoiles de l'époque. L'Opéra accueillait aussi des concerts. C'est en allant entendre la Création de Haydn que Bonaparte échappa de peu à l'explosion de la machine infernale, le 24 décembre 1800. La faveur allait à Grétry, Dalayrac, Boieldieu, Trial et Monsigny qui alimentaient le répertoire de l'Opéra-Comique. Ce sont les airs de ces petits maîtres que l'on souhaite entendre à nouveau au concert. La romance, spécialité du compositeur interprète Garat, connut un grand succès ainsi que la musique militaire avec la Bataille de Marengo, illustration sonore du combat dont Viguerie retraça avec fidélité les principales phases. Citons aussi Martini, l'auteur de Plaisir d'amour ne dure qu'un moment. La vie musicale ne fut donc pas somnolente, comme on l'a écrit parfois. Seul l'élan symphonique qu'avaient illustré Stamitz, Haydn et Mozart fut provisoirement brisé en France ainsi que le développement de la musique religieuse. Mais la Révolution en porte autant la responsabilité que l'Empire. Celui-ci eut le mérite d'encourager les compositeurs, de fonder des prix de Rome de musique et de développer, sous la direction de Sarrette, le Conservatoire. LE PROGRÈS DES SCIENCES Retenons le cas de Parmentier, il est exemplaire. Celui qui passe pour avoir vulgarisé en France l'usage de la pomme de terre (cette culture qui ne se répandra en réalité que sous la monarchie de Juillet) et qui prôna le sucre de raisin comme substitut du sucre de canne dès 1793, fut l'un des fervents soutiens du régime napoléonien. Sans illusion sur l'efficacité d'une médecine encore rudimentaire, il croyait aux vertus de l'hygiène et de l'alimentation comme moyens préventifs des épidémies. Son rôle au Conseil de salubrité de Paris est encore mal connu, mais l'on y devine l'obscur combat mené contre les maladies contagieuses. Or Parmentier était convaincu que les progrès des lumières ne pourraient se faire que par la voie autoritaire. Telle était aussi l'opinion de Napoléon qui s'appuya sur l'Académie des sciences. De l'échec des projets de Fulton, on a conclu un peu rapidement à l'indifférence de Napoléon à l'égard des découvertes scientifiques. Contrairement à l'époque précédente (et c'est l'un des points sur lesquels il rompt avec la Révolution), Napoléon n'a pas songé à utiliser les découvertes des savants dans le cadre militaire. Le cas le plus singulier est celui des ballons d'observation, construits à Meudon sous la direction du commandant Coutelle et dont les généraux républicains avaient fait usage à Charleroi et à Fleurus. L'Empereur dissout le corps des aérostiers, refusant d'en comprendre l'importance pour éclairer le terrain. Les troupes françaises sont bombardées par les fusées de Congreve dès 1804; Napoléon ne relève pas le défi. Sa conception de la science était désintéressée. On le vit en Égypte. Comment l'en blâmer? Jamais souverain ne fut plus attentif au mouvement scientifique et ne multiplia autant les encouragements. Lacépède fut grand chancelier de la Légion d'honneur. Lagrange, Monge, Berthollet entrèrent au Sénat, Fourcroy au Conseil d'État. Fourier est préfet de Grenoble où il encourage les débuts du jeune Champollion. Énumérons quelques noms. Dans le domaine des mathématiques, Monge (1746-1818), fondateur de la géométrie descriptive; Lagrange (1736-1813) dont le traité De la Résolution des équations numériques paraît en 1808 et La Mécanique analytique en 1811, Laplace (1749-1827) entreprend son Traité de Mécanique céleste et sa Théorie analytique des Probabilités. En chimie dominent les noms de Berthollet (1748-1822), auteur de la Statique chimique et animateur des travaux de la société d'Arcueil ; Fourcroy (1755-1809) qui développe les principes de la chimie de Lavoisier; Gay-Lussac (1778-1850), en collaboration avec Thénard, étudie les métaux alcalins et dégage la notion de résistance électrique. Les sciences naturelles entrent dans une voie nouvelle grâce à Lamarck (1744-1829) qui s'attache aux animaux sans vertèbres; à Cuvier (1769-1832), créateur de la paléontologie et de l'anatomie comparées, à Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844) qui s'opposera à Cuvier à propos de l'unité de composition organique dans la nature. La médecine est également riche en grands noms : Bichat, mort en 1803 ; Corvisart, médecin de l'Empereur; Pinel, médecin-chef de la Salpêtrière, qui adoucit la condition des aliénés; Dupuytren, spécialiste de médecine opératoire ; Laënnec qui appliquera en 1815 les principes de l'acoustique à l'auscultation des maladies de poitrine. La pharmacie doit beaucoup à Vauquelin (1763-1829), sinon à Cadet de Gassicourt, pharmacien de l'Empereur. Sur le plan technique la découverte par Lebon du gaz d'éclairage reste sans application pratique mais Leblanc met au point la soude artificielle. De nouveaux venus font leur apparition, les plus jeunes sortent de l'École polytechnique : Arago ou Sadi Carnot. D'autres achèvent la mise au point de découvertes qui vont révolutionner la science moderne: Fresnel, Ampère, Cauchy. Quel régime peut s'enorgueillir d'avoir favorisé la naissance ou l'essor d'une telle pléiade de savants ? AU SERVICE D'UN HOMME « Ce que je cherche avant tout, disait Napoléon à Vivant Denon, c'est la grandeur : ce qui est grand est toujours beau. » Le goût du monumental et du somptueux remplace « la douceur de vivre » des dernières années de l'Ancien Régime. Le style Louis XVI jugé trop léger fait place dans la littérature comme dans le mobilier, en architecture comme en musique, à un style lourd pour ne pas dire pesant : acajou massif, bronze ciselé, étoffes épaisses, phrases oratoires, musique pompeuse, arcs de triomphe à la romaine. Si Sainte-Beuve ne craint pas d'écrire que « les triomphes militaires ont trouvé plus d'une fois des splendeurs rivales dans les arts contemporains, telle page des Martyrs, une bataille de Gros, ou La Vestale de Spontini », les sarcasmes n'ont pas manqué. Non sans injustice, on a comparé Napoléon à Louis XIV ; d'un côté quinze années à peine de pouvoir, de l'autre un règne particulièrement long; la balance n'est pas égale. Loin d'être désastreux, le bilan de l'époque impériale est positif: naissance d'un style original, activité artistique intense, stimulée par les commandes officielles, Paris devenu la capitale intellectuelle de l'Europe. Il y a sans doute un envers : la manière dont l'art est mis au service d'un homme. A partir de 1805, il n'y a plus de bornes à l'adulation officielle. Un tableau montre tous les peuples de la Terre venus saluer le buste de l'Empereur : le Chinois est là, ainsi que le Noir et même un Peau-Rouge dont le chef est surmonté de plumes multicolores. L'admiration confine bientôt au ridicule. « Quel honneur pour Dieu qu'un si grand hommage lui soit rendu par un si puissant génie ! » s'exclame en chaire un prédicateur accueillant l'Empereur à l'office. Napoléon doit lui-même donner un coup d'arrêt à ce culte excessif: « Je vous dispense de me comparer à Dieu», écrit-il à Decrès. Mais il soupire : « Je suis venu trop tard, il n'y a plus rien de grand à faire. Oui, j'en conviens, ma carrière est belle, j'ai fait un beau chemin, mais quelle différence avec Alexandre. Lorsqu'il s'annonça aux peuples comme fils de Jupiter, tout l'Orient le crut. Et moi, si je me déclarais fils du Père Éternel, il n'y a pas de poissarde qui ne me sifflât sur mon passage. Les peuples sont trop éclairés aujourd'hui ». Mais en utilisant l'art pour sa propagande, Napoléon ne continuait-il pas la Révolution sans même remonter à Louis XIV ? Au demeurant n'a-t-on pas tendance à oublier que Balzac, Hugo, Musset, Vigny, Berlioz, Delacroix se sont formés sous l'Empire? Est-il nécessaire de rappeler que leur imagination fut exaltée par la lecture des bulletins de la Grande Armée? « Dans les lycées, dira Vigny, les maîtres ne cessaient de nous lire les bulletins de la Grande Armée et nos cris de "Vive l'Empereur ! interrompaient Tacite et Platon. » C'est en songeant à ces bulletins que Thiers et Sainte-Beuve ont fait de Napoléon le plus grand écrivain de son temps. En retrouvant le sens de l'épopée et en se fixant pour programme la glorification du Héros, le Romantisme répondait à l'idéal que Napoléon avait cherché à imposer aux écrivains et aux artistes de son temps. Là où la manière autoritaire avait échoué, la Légende réussit. Le siècle de Napoléon, ce fut en définitive l'époque romantique. NOTES SOURCES: Les séries O2, F7 (censure) et F 18 (bulletins concernant la situation de la librairie et de l'imprimerie) des Archives nationales sont encore à explorer. Parmi les Mémoires: Mme de Staël, Dix ans d'exil (nombreuses éditions dont la plus récente par S. Balayé, 1966). La correspondance de Mme de Staël est publiée par A. Jasinski (depuis 1960) ; on pourra à défaut lire G. Solovieff, Mme de Staël, ses amis, ses correspondants (1970). Pour Chateaubriand, consulter les Mémoires d'outre-tombe, dans l'édition du centenaire établie par Levaillant en 1948. La correspondance a été publiée par Riberette. Parmi les journaux intimes: Sade (1970, montre que les conditions d'internement à Charenton n'étaient pas trop sévères), Stendhal (éd. Martineau, 1955), Constant (de préférence l'éd. Mistler, 1945), Maine de Biran (éd. Lavalette-Monbrun, 1927 ou H. Gouhier, 1954), Chênedollé (s.d.), Ginguené (éd. P. Hazard, 1910), Villenave (Revue rétrospective, 1893 et 1894). Les Mémoires de Mme de Genlis (10 vol., 1825) sont aussi peu sûrs que ceux de la duchesse d'Abrantès. Il n'y a rien à tirer des souvenirs du libraire Barba (1846). Autres Mémoires plus utiles: Culmann (1862), Barante (1890-1891), Villemain (1853), Alissan de Chazet (1837), Brifaut (éd. Cabanès, 1920-1921), Béranger (Ma biographie, 1857), Bausset (1827-1829), Rémusat (1879). On consultera aussi Brillat-Savarin, Physiologie du Goût (1825), et les Lettres inédites du baron de Gérando (1868). La correspondance générale de Paul-Louis Courier est en cours de publication (t. I par G. Viollet-le-Duc, 1976). Bibliographie exhaustive des livres parus dans A. Monglond, La France révolutionnaire et impériale, t. V à IX (réimpression 1976). Pour les Beaux-Arts, le témoignage de Mme Moitte (1932) est essentiel sur la vie des artistes. Les Mémoires de Hennequin (A893) évoquent les salons. Vivant Denon et David, ce dernier évoqué également dans Delécluze, Louis David, son école et son temps (1860). Le journal de Delacroix rappelle l'influence du Musée Napoléon sur la formation du romantisme. En ce qui concerne les monuments : Percier et Fontaine, Résidences de souverains (1833), et surtout le Journal des monuments de Paris envoyé par Fontaine à l'Empereur de Russie dans les années 1809, 1810, I811, 1814 et 1815 (éd. par A. Vueflart, 1892) sans oublier le fameux traité de Claude-Nicolas Ledoux, L'Architecture considérée sous le rapport des arts, des mœurs et de la législation (1804). OUVRAGES : On a peu écrit sur la littérature de l'époque napoléonienne, depuis le célèbre Tableau historique de M.-J. Chénier (1816). On consultera M. Albert, La Littérature française sous la Révolution, l'Empire et la Restauration (1898); J. Charpentier, Napoléon et les Hommes de lettres (1935); G. Vauthier, «Napoléon et les encouragements à la littérature », Revue historique de la Révolution française et de l'Empire, janvier 1917; J. Mistler, «La littérature», dans Napoléon et l'Empire (1969, pp. 247-259, excellente et complète mise au point); le numéro spécial d'Europe, avril-mai 1969 : «Napoléon et la littérature ». Il y a beaucoup à prendre dans A. Monglond, Histoire intérieure du Pré-Romantisme français (1970), et Ch. Dedeyan, Le Cosmopolitisme européen sous la Révolution et l'Empire, Paris, 1975 (études sur Schlegel, Humboldt, Fauriel). Sur la langue, essentielle est l'Histoire de la Langue française de F. Brunot (t. IX et X, 1943). Les écrivains ont fait l'objet de nombreuses monographies. Sur Chateaubriand, citons les livres de Sainte-Beuve, Chateaubriand et son groupe littéraire sous l'Empire (1861), Maurois (1938), H. Guillemin (L'Homme des Mémoires d'outre-tombe, très critique, 1964), Tapié ( 1965), duc de Castries (1976), M. Lelièvre, Chateaubriand polémiste (t. I, 1983). Pour Mme de Staël, le livre essentiel est de P. Gautier, Mme de Staël et Napoléon (1903), cf. aussi comtesse de Pange, Schlegel et Mme de Staël (1938), M. Levaillant, Une amitié amoureuse: Mme de Staël et Mme Récamier (1956), S. Balayé, Madame de Staël (1979) et les articles des Cahiers staëliens depuis 1962, ainsi que B. Le Clère, « De l'Allemagne ou le sort injuste d'un préfet » (Corbigny), dans Revue administrative, n° 162. En ce qui concerne Benjamin Constant, retenons M. Levaillant, Les Amours de Benjamin Constant (1958), H. Guillemin, Mme de Staël, Benjamin Constant et Napoléon (1959), et P. Bastid, Benjamin Constant et sa doctrine (1967). Sur Sade, sans être définitive, la biographie de G. Lély (1957) est très utile. Compléter par J. Tulard, « Sade et la censure sous le Premier Empire », Actes du colloque Sade, pp. 209-218 (1968). Autres écrivains : Fontanes, par A. Wilson (1928), Alexandre Duval et son œuvre dramatique, par Bellier-Dumaine (1905) ; Restif de la Bretonne, par M. Chadourne (1958, ne remplace pas toutefois J. Rives Childs, Restif de la Bretonne, 1949) ; Collin d'Harleville, par A. Tissier (1964-1965) ; Mme de Genlis, par J. Harmand (1912) ; Madame de Genlis, par G. de Broglie (1985) ; Mercier, par L. Béclard (t. I seul paru en 1903) ; Senancour, par J. Grenier (1968) ; Geoffroy et la critique dramatique, par Ch. M. Des Granges (1897, très important pour l'étude du feuilleton) ; « Delille est-il mort ? », Actes du colloque de Clermont-Ferrand ( 1967) ; . Les idéologues ont fait l'objet d'une étude restée classique de Picavet, Les Idéologues (1891), à compléter par les travaux de J. Gaulmier (deux biographies de Volney en 1951 et 1959); d'Henri Gouhier (Maine de Biran par lui-même) et les recherches en cours de Regaldo («Matériaux pour une biographie de l'idéologie», Répertoire analytique de littératurefrançaise, janvier 1970, pp. 35-49 ; mars, pp. 27-41), ainsi que sa thèse sur La Décade philosophique (1977) ; E. Kennedy, Destutt de Tracy (1978). Bonne synthèse récente par G. Gusdorf, La conscience révolutionnaire (1978). On y peut rattacher le salon de Constance de Salm, que fréquentent Jussieu, Lalande, Prony, Theis, Humboldt et Courier (R. Bied, « Le rôle d'un salon littéraire au début du XIXe siècle » (Rev. Institut Nap., 1977), et Madame Récamier et ses Amis par E. Herriot (1934). Cf. aussi le n° spécial de Souvenir napoléonien sur l'Académie française (1978). Sur le théâtre, Lecomte, Napoléon et le Monde dramatique (1912, très utile); Lanzac de Laborie, Le Théâtre français (t. VII du Paris sous Napoléon. 1911); P. Ginisty, Le Mé!odrame (s.d.), et les nombreuses biographies de Talma (A. Copin, Talma et l'Empire: Augustin-Thierry, Le Tragédien de Napoléon, etc.). L'étude de Michèle Jones. Le Théâtre national en France de 1800 à 1830 (1975) est médiocre. L'influence du roman noir sur la littérature populaire est bien mise en lumière par Alice M. Killen, Le Roman terrifiant (nouvelle édition 1967). Lire aussi M. Leroy, Histoire des idées sociales (t. II, 1950), et E. Brehier. Histoire de la philosophie (t. Il, 1948). Le courant ésotérique est évoqué dans l'ouvrage fondamental d'A. Viatte, Les Sources occultes du Romantisme (1928, réédit. 1965). A préciser par A. Faivre, L'Ésotérisme au XVIIIe siècle ( 1973). et sur un point particulier Léon Cellier, Fabre d'Olivet (1953). Parmi les ouvrages généraux sur les Beaux-Arts, on peut retenir Guizot, «De l'état des Beaux-Arts en France et du Salon de 1810 dans Etudes sur les Beaux-Arts (1852, pp. 3-100); F. Benoît, L'Art français sous la Révolution et l'Empire (1897, excellente analyse des théories esthétiques et bon tableau d'ensemble de la peinture; énorme documentation: liste des prix décennaux, bibliographie des publications, fréquentation des salons); E. Bourgeois, Le Style Empire (1930); P. Francastel, Le Style Empire (1939, commode); L. Hautecœur, L'Art sous la Révolution et l'Empire en France (1953); G. Janneau, L'Empire (1965, excellente vue d'ensemble, abondante iconographie); M. Jullian, L'Art en France sous la Révolution et l'Empire (cours ronéotypé de Sorbonne, 1964); F. Pariset, L'Art néo-classique (1974). Vue plus générale dans F. Boyer, Le Monde des Arts en Italie et la France, de la Révolution à l'Empire (Turin 1969, recueil d'articles) et le n° spécial « Les arts à l'époque napoléonienne» (1969) de la Société d'Histoire de l'Art français. Sur la peinture on consultera le monumental catalogue de l'exposition De David à Delacroix (1974) et Bénézit, Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs (fondamental, nouvelle édition, 1976). On y ajoutera le livre ancien de Marmottan, L'École française de peinture 1789-1830 (1886). Les salons ont fait l'objet de .plusieurs études: G. Wildenstein, «Table alphabétique des portraits peints, sculptés, dessinés et gravés exposés à Paris au Salon entre 1800 et 1826 », Gazette des Beaux-Arts, janvier 1963, pp. 9-60 ; P. Riberette, «Napoléon au Salon de 1810», Revue de l'lnstitut Napoléon, 1966, pp. 37-43; B. Foucart. «Les salons sous le Consulat et les diverses représentations de Bonaparte», ibidem, 1969, pp. 113-119 (le développement du culte). Le rôle de Vivant Denon à la direction générale des musées est maintenant bien connu grâce aux études de Lelièvre (1942) et surtout de J. Châtelain (Vivant Denon et le Louvre de Napoléon, 1973). Le musée prend une importance nouvelle: M. Hoog, « La politique du Premier Consul à l'égard des musées de province », Société d'Histoire de l'Art français, 1969, pp. 353-363, et F. Boyer, « Le musée de Mayence, création du consulat», Revue de l'institut Napoléon, 1971, pp. 5-10, apportent d'utiles précisions au vieux livre de Clément de Ris, ainsi que A. Roy, Les envois de l'État au musée de Dijon. Pour Paris, Lanzac de Laborie, Paris sous Napoléon, t. VIII, 1913 (importants chapitres sur le musée Napoléon, celui des Monuments français... Ajouter, pour ce dernier musée, l'édition par Courajod du Journal d'Alexandre Lenoir). Les collections privées se sont développées : Schommer, « L'Impératrice Joséphine et ses tableaux », Revue de l'Institut Napoléon, 1962, Davout collectionne les Flamands (Van den Bossche), Soult les Espagnols, à défaut de Bosch. Parmi les théoriciens, R. Schneider, Quatremère de Quincy (1910). L'influence des poèmes d'Ossian, fabriqués par Mac Pherson, fut énorme : elle a été analysee par P. Van Thieghem, Ossian en France (1917); D. Ternois, «Ossian et les peintres », Actes du colloque Ingres (1969); du même, «Addition à Ossian et les peintres», », Bulletin du musée Ingres (1972); H. Toussaint, Catalogue de l'exposition Ossian ( 1974) ; P. Vaisse, « Ossian et les peintres du XIXe siècle », Information d'Histoire de l'art, 1974, pp. 81-88. Il n'est pas étonnant que David ait été beaucoup étudié. A la suite des témoignages de Hennequin, Delécluze et David fils (1880), il faudrait citer Saunier (1903), Cantinelli (1930), Holma (1940), Maret (1943), Huyghe (Préface au catalogue de l'exposition David, 1948) et surtout Hautecœur (1954) et Schnapper (1980). On trouvera la liste des œuvres authentiques de David et celles des fausses attributions en annexe de Verbraeken, David jugé par ses contemporains et la postérité (1973) ; ajouter D. et G. Wildenstein, Documents complémentaires au catalogue de l'œuvre de Louis David (1973). Nombreuses biographies de Gros par Delestre (1867), Tripier-Lefranc (1880), Lemonnier (1905), Escholier (1936), Lelièvre («Gros, peintre d'Histoire», Gazette des Beaux-Arts, mai 1936, pp. 289-304). Il en va de même pour Ingres : Lapauze (1911), G. Wildenstein (1954), Actes du colloque Ingres (Montauban 1968). Leur préférer D. Ternois, Tout l'œuvre peint d'Ingres (1971, en annexe tous les tableaux d'Ingres avec leur reproduction). Sur Girodet, outre les souvenirs de Delécluze et Delacroix, consulter de Levitine: « L'Ossian de Girodet et l'actualité politique sous le Consulat », Gazette des Beaux-Arts, 1956, pp. 39-56; du même, «Quelques aspects peu connus de Girodet», ibidem, 1965, pp. 231-246; le catalogue de l'exposition Girodet (Montargis, 1967) et l'utile synthèse de G. Bernier, Anne-Louis Girodet, prix de Rome 1789 (1975). Pour Gérard: Lenormant, François Gérard, peintre d'histoire (1847), G. Hubert, « L'Ossian de Gérard et ses variantes», Revue du Louvre, 1967, pp. 239-248. Prud'hon a été plus favorisé : biographie par Clément (1872), Guiffrey (L'Œuvre de Prud'hon, 1924) et Grappe (1958). Les Goncourt ont donné en 1876 un catalogue de l'œuvre. Plusieurs études également sur Géricault (on retiendra surtout K. Berger, Géricault et son Œuvre, 1968 et, à la rigueur, le roman d'Aragon, La Semaine Saint-te). Sur Isabey : W. Osmond, Isabey the painter (Londres, 1947). Parmi les peintres mineurs, signalons l'excellent ouvrage de Marmottan sur Boilly (1913), ceux de Portalis sur Danloux (1910), de G. Wildenstein sur Louis Moreau (1923), de Levitine sur «Jean Broc» (Gazette des Beaux-Arts, nov. 1972, pp. 285-294), de F. Beau-camp sur Wicar ( 1939), de K. Simons sur « Fragonard fils» (Revue de l'Institut Napoléon, 1976, pp. 55-65) et Pupil, Le style Troubadour (1985). Pour la peinture militaire et plus particulièrement le baron Lejeune, Y. Cantarel, Recherches sur les petits maîtres français de la peinture militaire à l'époque napoléonienne (thèse dactyl., Ecole du Louvre, 1974). Autres genres à la mode : G. et C. Ledoux-Lebard, L'Impératrice Joséphine et le retour au gothique sous l'Empire », Revue de l'Institut Napoléon, 1964, pp. 117-124 ; Zieseniss, « Les portraits des ministres et des grands officiers à l'époque napoléonienne », Société d'Histoire de l'Art français, 1969, pp. 133-158. L'imagerie populaire doit aussi retenir l'attention : J. Mistler, Épinal et l'Imagerie populaire (1961). Les travaux sont moins abondants sur la sculpture. Nos connaissances ont été renouvelées par G. Hubert, La Sculpture dans l'Italie napoléonienne (1964). Citons en ce qui concerne Canova, F. Boyer, « Nouveaux documents sur Canova et Napoléon Ier », Revue des Études italiennes, 1949, et l'article ancien de R. Schneider, « L'Art de Canova et la France impériale », Revue des Études napoléoniennes, 1912. La connaissance de l'architecture impériale suppose la consultation des grands recueils: Legrand et Landon, Description de Paris et de ses monuments (1806-1809) ; Krafft et Ransonnette, Plans, coupes, élévations des plus belles maisons et des hôtels construits à Paris et dans les environs (1801-1802); Marmottan et Vacquier, Le style Empire. Architecture et décor d'intérieur (s.d.). Généralités dans Hautecœur, Histoire de l'Architecture classique en France, t. V (1953 important), et Driault, Napoléon architecte (s.d.). Quelques monographies : Marmottan, Le Pont d'Iéna (1917); du même, Le Palais de l'archevêché sous Napoléon de 1809 et 1815 (1921); E. Driault, L'Hôtel Beauharnais à Paris (1926) et K. Hammer, L'Hôtel Beauharnais (1983). M. Tartary, « Le Louvre et les Tuileries sous Napoléon », Recueil de l'Institut Napoléon, 1945, pp. 43-59 ; R. Wahl, Un projet de Napoléon, le palais du Roi de Rome (1955). Les travaux de Chalgrin au Sénat sont décrits dans Hirschfeld, Le Palais du Luxembourg (pp. 42-57). Principales biographies : Silvestre de Sacy, Brongniart (s.d.) ; M. L. Biver, Fontaine (1964, excellent, utilise le journal inédit de l'architecte) ; Stern, François-Joseph Bélanger (1932) ; Fouché, Percier et Fontaine (s.d.). Les arts décoratifs prennent un nouveau visage dont Percier et Fontaine définissent « les canons » dans un Recueil de décorations intérieures comprenant tout ce qui a rapport à l'ameublement comme vases, trépides, candélabres, lustres, tables (1812). Autres recueils: F. Contet, Intérieurs Directoire et Empire (1932); H. Lefuel, Boutiques parisiennes du Premier Empire (1926); J. Mottheau, Meubles et Ensembles Directoire et Empire (1958). Étude par P. Lafond, L'Art décoratif et le Mobilier sous la République et l'Empire (1900). Également R. de Felice, Le meuble français sous Louis XIV et sous l'Empire (1921). Sur les commandes impériales il y a beaucoup à prendre dans Maze-Sencier, Les Fournisseurs de Napoléon et des deux impératrices (1893). Pour le mobilier, les ouvrages anciens de Dumonthier (Les Sièges de Jacob frères, Les Sièges de Jacob Desmalter) conservent leur intérêt, mais l'ouvrage essentiel est celui de Lefuel, François-Honoré-Georges-Jacob Desmalter (1925). Les travaux de D. Ledoux-Lebard sont fondamentaux, notamment Les Ébénistes parisiens du XIXe siècle 1795-1870 (1965). Sur les tissus et les papiers peints: Dumonthier, Étoffes d'ameublement de l'époque napoléonienne (1909) et Étoffes d'ameublement style Empire ( 1914) ; H. Clouzot, Histoire de la manufacture de Jouy et de la toile imprimée en France (1928). L'orfèvrerie est étudiée par H. Bouilhet, Orfèvreries françaises aux XVIIIe et XIXe siècles (1911, principalement tomes II et III) ; J. Niclausse, Thomire, fondeur-ciseleur ( 1947). Généralités dans S. Grandjean, l'Orfèvrerie du XIXe siècle en Europe. Lire Arizzoli-Clemental, « Les surtouts impériaux en porcelaine de Sèvres, 1804-1814 », Bulletin Amis Suisses de la céramique, 1976 ; R. de Plinval de Guillebon, La porcelaine à Paris sous le Consulat et l'Empire (1985). Quant à la médaille comme à la monnaie, le régime y voit avant tout une excellente arme de propagande au même titre que la peinture. B. Poindessault (« Napoléon était-il l'héritier de César ? », Revue de l'Institut Napoléon, 1973, pp. 81-86) rapproche les types monétaires français de l'époque napoléonienne et du Haut-Empire : emblèmes identiques, souci de propagande. Frères et sœurs de l'Empereur frappent des monnaies à leur effigie : cf. J. de Mey et B. Poindessault, Répertoire des Monnaies napoléonides (1971), et articles de Gassmann dans Archéonumis, et Darnis dans le Club français de la médaille. Fondamental est E. Babelon, Les médailles historiques du règne de Napoléon (1912). L'histoire de la glyptique (dont Tiolier est le principal représentant) est renouvelée par les recherches de M. Duchamp. La musique a fait l'objet d'une bonne synthèse, encore qu'un peu anecdotique, de Théo Fleischman, Napoléon et la Musique (1965) qui dispense de recourir aux histoires générales de Combarieu (1925) et de Rebatet (1969). Peu d'études sur les musiciens de l'époque en dehors de la grande thèse dactylographiée de J. Mongredien sur Lesueur (1976). Les débuts de Rossini sont évoqués dans la Vie de Rossini par Stendhal. Il faut mettre à part Beethoven. Les ouvrages anciens de R. Rolland (1928) et Herriot (1929) ont été remplacés par J. et B. Massin, Beethoven (1967). Pour les autres musiciens, le vieux dictionnaire de Fetis, Biographie universelle des musiciens, rendra des services. Signalons Bouvet, Spontini ( 1930) ; Pougin Méhul ( 1889), G. Favre, Boieldieu (1944, importante thèse) ; B. Massin, Schubert (1978). Belle synthèse dans Mongrédien, La musique en France des lumières au Romantisme (1986). Rappelons que Wagner naît en 1813 dans une Allemagne soumise à l'influence française. Pour le ballet: Marcelle Michel, «La danse à Paris sous l'Empire», Revue de l'Institut Napoléon, 1962, pp. 97-104. Sur la chanson : P. Barbier et F. Vernillat, Histoire de France par les Chansons (t. V, 1958). La musique militaire est évoquée de façon concrète dans Les Campagnes d'un musicien d'Etat-major pendant la Révolution et l'Empire, par Philippe-René Girault (1901). souvenirs très vivants et montrant le rôle de la musique dans la bataille. Les problèmes techniques, tel le passage du clavecin au piano, sont analysés par A. de Place, Le Piano forte sous l'Empire (thèse dactylographiée des Hautes Études, 1975 ; donne la liste exhaustive des œuvres pour piano de la période napoléonienne). Un bon tableau du développement scientifique est fourni par A. George dans J. Mistler, Napoléon et l'Empire (t. I, pp. 282-286). Parmi les savants, c'est Monge qui a retenu l'attention : Jomard, Souvenirs sur Gaspard Monge et ses rapports avec Napoléon (1853); Aubry, Monge, le savant ami de Napoléon Bonaparte (1954). Pour la médecine et la pharmacie, l'ouvrage fondamental est celui de P. Huard, Sciences, Médecine, Pharmacie, de la Révolution à l'Empire (1970, avec une énorme bibliographie et une remarquable iconographie, d'une richesse documentaire de premier ordre). Quelques biographies utiles de médecins: Corvisart, par Ganière (1985) ; Laënnec, par E. Rist (La Jeunesse de Laënnec, 1955) ou par R. Kervran (1955). Sur l'archéologie, R. Dauvergne, « L'archéologie gallo-romaine sous le Premier Empire», Le vieux papier (1975). Sur la botanique et les jardins d'agrément : M.-B. d'Arneville, Parcs et jardins sous le Premier Empire (1981). ). DÉBATS OUVERTS On ne saurait nier que Napoléon a utilisé les arts de son temps dans un souci de propagande personnelle. Holtman, dans Napoléonic Propaganda (1950), l'a montré de façon convaincante, et B. Monteano en a dégagé les conséquences sur le plan littéraire dans Une théorie de la littérature dirigée sous la Révolution et l'Empire repris dans Constantes dialectiques en littérature et en histoire (1967). Autre cause d' « étouffement » : la censure confiée d'ailleurs à des écrivains, Esmenard, Lemontey, Fievée, Lacretelle... Son mécanisme est très bien décrit par H. Welschinger, La Censure sous le Premier Empire (1882). Faut-il pour autant parler d'un déclin total de la littérature? Brunetière en a tenté, sans écho, la réhabilitation dans «La littérature française sous le Premier Empire » (Études critiques sur l'Histoire de la littérature française, 1911, pp. 255-282) : «La littérature impériale ne mérite ni l'oubli ni le superbe dédain de la critique et de l'histoire. Elle vaut la peine d'être connue. » Les persécutions n'ont-elles pas été exagérées? Le cas de Desorgues, interné pour de mauvais vers contre Napoléon s'explique. Sade est retenu à Charenton avec l'accord de sa famille. Si Mme de Staël a pu souffrir sous l'Empire, qu'en est-il de Chateaubriand? H. Guillemin (L 'Homme des Mémoires d'outre-tombe) a éclairé l'affaire de la nomination dans la république du Valais : c'est la santé de Mme de Chateaubriand qui fut invoquée, non le duc d'Enghien. L'auteur met d'ailleurs en parallèle l'attitude ambiguë de Mme de Staël (page 81, note 1) à propos de cette exécution et ramène à de plus justes proportions l'opposition de Chateaubriand. Si l'on ne peut contester l'essor des sciences, on s'est plu à traiter Napoléon d' « antiscientifique » en invoquant l'affaire Fulton. C'est Marmont qui l'un des premiers, dans ses Mémoires (t. II, pp. 210 à 212), a écrit à propos de cette affaire : « Bonaparte que ses préjugés rendaient hostiles aux innovations, rejeta les propositions de Fulton. » On a opposé à ces affirmations une lettre de Napoléon à Champagny, en date du 21 juillet 1804, où Napoléon aurait écrit : « Le projet du citoyen Fulton peut changer la face du monde. » Il s'agit sans conteste d'un faux. Reste à déterminer l'utilité pratique du projet de Fulton pour un débarquement en Angleterre : elle peut être fortement discutée. Sur un point de la petite histoire, signalons que Guy Beaujouan, après Fayol (Philippe Lebon, 1943), a détruit la légende de l'assassinat de l'inventeur du gaz d'éclairage, en 1804. P. Gerbod (L'Europe culturelle et religieuse de 1815 à nos jours, 1977) insiste sur la laïcisation de la culture savante mais souligne également comment cette culture, à partir de 1809, s'affirme de plus en plus nationale : Fichte, Schlegel, Arnim, Hoffmann, Schilling en Allemagne, Alfieri et Leopardi en Italie, Wordsworth en Angleterre. Naissance aussi d'une littérature populaire différente de celle de colportage. Ducray-Duménil et Arlincourt annoncent Gaboriau, Boisgobey, Renard, Leroux et Fantômas (Le roman feuilleton, Europe, 1974). Noir réunit l'Empereur et le bagnard dans son Vidocq (1889). Weber (né en 1786) comme Marschener (1795) préparent non l'avènement de l'entraînant Suppé mais de l'opéra germanique de Wagner à Orff. QUATRIÈME PARTIE Les notables trahis Lors de l'entrevue d'Erfurt entre Alexandre et Napoléon en 1808, Talleyrand se porta au devant du tsar : «Sire, que venez-vous faire ici? C'est à vous de sauver l'Europe et vous n'y parviendrez qu'en tenant tête à Napoléon. Le peuple français est civilisé, son souverain ne l'est pas. C'est donc au souverain de la Russie d'être l'allié du peuple français. » Au cours d'un autre entretien il se fit plus précis : « Le Rhin, les Alpes, les Pyrénées sont la conquête de la France; le reste est la conquête de l'Empereur; la France n'y tient pas. » La France ? Entendons la bourgeoisie révolutionnaire dont Talleyrand se fait l'écho. Premier motif de discorde entre les notables et Napoléon : la création de la noblesse d'Empire. Malgré les précautions qui l'entourent, elle paraît contraire au principe d'égalité; elle favorise la réinsertion des anciens aristocrates; elle peut être un prélude au rétablissement de la féodalité tant haïe. Le mariage autrichien vient encore souligner le renforcement monarchique du pouvoir napoléonien, déjà sensible en 1806 avec la disparition du mot « République ». L'Empereur n'est-il pas en train de trahir le serment de 1804 ? Du coup, on lui pardonne mal son autoritarisme. L'absence de liberté devient aussi insupportable que le manque de sucre et de café. A partir de 1808 on se plaît à dénoncer en privé le despotisme impérial. L'affaire d'Espagne accélère la rupture entre les alliés de Brumaire. En 1808, Napoléon a consolidé l'œuvre de la Révolution. Seul point noir : la guerre avec l'Angleterre. Certains révolutionnaires, dont Fouché, vont tenter de renouer les fils de la négociation au prix de concessions que Napoléon se refuse à admettre. Il espère l'appui d'une fraction de la bourgeoisie car la ruine des ports français a pour contrepartie l'essor des manufactures protégé par le système continental. De là les multiples déclarations et encouragements en faveur de l'industrie prodigués par l'Empereur. En revanche, l'affaire d'Espagne fut accueillie avec réticence par l'ensemble des notables, surtout lorsqu'elle révéla son véritable visage. Aucun progrès n'en était à attendre dans le conflit franco-anglais : aucun avantage économique ne pouvait être envisagé (excepté dans le domaine des fournitures militaires), surtout après le soulèvement de l'empire colonial d'Amérique contre la domination française. C'est la folie dynastique de Napoléon qui était en cause. Pour la première fois la guerre ne naissait pas d'une coalition européenne formée contre la France révolutionnaire mais de la volonté du chef que s'était donné cette Révolution, de s'emparer d'une couronne. Que ce fût la couronne d'un Bourbon importait peu. La façon dont procéda Napoléon heurta non seulement l'Europe mais l'opinion française. Il prit, écrit Chateaubriand, la couronne de Naples sur la tête de Joseph et la posa sur la tête de Murat; celui-ci céda à celui-là la couronne d'Espagne. Bonaparte enfonça d'un coup de main ces coiffures sur le front des deux nouveaux rois et ils s'en allèrent chacun de son côté, comme deux conscrits qui ont changé de schako par ordre du caporal d'équipement. Le spectaculaire rapprochement de Talleyrand et de Fouché est le fruit d'une inquiétude née du développement excessif de l'Empire napoléonien et d'une politique qui n'obéit plus à la logique « révolutionnaire ». Comment la vivacité des réactions nationales en Allemagne ainsi que la résistance opposée par l'Autriche lors de la campagne de 1809 n'auraient-elles pas confirmé les craintes suscitées par la guerre d'Espagne? Un doute est jeté sur la solidité des conquêtes napoléoniennes. Déjà Carnot, on l'a vu, avait refusé les projets d'expansion de Robespierre en 1794. La politique des « républiques sœurs » chère au Directoire est dépassée. C'est l'Europe entière que veut annexer Napoléon. Mais la France en a-t-elle les moyens ? s'interroge avec lucidité une partie de la bourgeoisie. La dépression économique de 1810 achève de détacher les notables du régime impérial. La spéculation découvre ses limites; après la banque et le négoce, l'industrie est ébranlée; l'agriculture prend le relais en 1811; puis l'activité des manufactures est à nouveau ralentie en 1813 par la perte des débouchés extérieurs. Trois années noires qui secouent l'optimisme du monde de la rente et des affaires tout en accroissant le mécontentement des milieux ruraux. Que vienne la défaite et la rupture se trouve consommée. L'ampleur du désastre de Russie détourne du pouvoir napoléonien ses principaux partisans, d'une part la bourgeoisie révolutionnaire qui ne veut plus mettre d'argent dans une entreprise qui a cessé de rapporter, « l'obstination à doubler la mise, la passion du risque » qui caractérisent Napoléon étant étrangers aux Grandet de province rusés et prudents; de l'autre la paysannerie, lassée de supporter seule, ou à peu près, le poids en hommes d'une guerre qui désormais ne défend plus les conquêtes de 89 mais sert les intérêts dynastiques d'un individu. 1808: tournant dans l'aventure napoléonienne, véritable commencement de la fin. CHAPITRE I Du sauveur au despote « Le besoin d'une dictature momentanée et absolue, quelquefois nécessaire pour sauver un État, repoussait toutes les réflexions sur les suites d'un pareil pouvoir, et personne ne pensait que la gloire fût incompatible avec les libertés publiques », écrit Bourrienne dans ses Mémoires. Ces libertés n'étaient-elles pas garanties par « les institutions qu'appelaient l'esprit et les lumières du siècle »? Benjamin Constant lui-même admettait « l'exception » justifiée par l'état de guerre. Mais à la dictature de salut public, d'inspiration romaine, à la dictature « éclairée » au sens du XVIIIe siècle, avait succédé la monarchie héréditaire. Il s'agissait, certes, de faire reconnaître le nouveau régime par les souverains de l'Europe qu'auraient heurtés des formes trop républicaines et consolider ainsi les conquêtes sociales de la Révolution. En s'appuyant sur la bourgeoisie, Napoléon aurait pu assurer l'avenir de sa dynastie, établir une solidarité entre l'Empire et les notables. Bien au contraire il s'en éloigna à partir de 1808 : la personnalisation du pouvoir supprima le fonctionnement des institutions politiques régulières, les libertés disparurent. Napoléon ne croyait pas aux « constitutions » ; il pensait que la vanité avait fait la Révolution, non le désir de liberté. « Les gouvernements si mal appelés pondérés ne seront jamais que la ligne la plus courte pour arriver à l'anarchie », déclarait-il à Molé. A quoi celui-ci aura beau jeu de répondre plus tard : « La France n'avait jamais cru à la durée d'un état de choses fondé sur la force, conservé par la contrainte et justifié par la gloire. » NAPOLÉON Le frêle général de l'armée d'Italie, dont le visage maigre, au teint olivâtre, était encadré de longs cheveux, a fait place à un « petit » homme presque bedonnant, à la figure remplie, au teint de cire et aux cheveux courts. Au physique il n'y a plus rien de commun entre Bonaparte et Napoléon. Restent le regard, tour à tour impérieux ou charmeur, le sourire « caressant et beau », dira Chateaubriand, et dans la voix continue à chanter l'accent d'Ajaccio. On a tout dit de l'extraordinaire capacité de travail de Napoléon, de sa prodigieuse mémoire, de l'admirable organisation de son intelligence, et sans doute, s'est-on laissé prendre à son génie de la mise en scène. On a parlé de son mépris des hommes, de son orgueil démesuré, de son extrême nervosité qui le jetait dans des crises voisines de l'épilepsie, mais c'est accorder trop de confiance aux Mémoires de Bourrienne ou de Chaptal, ses collaborateurs disgraciés. L'homme était coléreux mais fidèle en amitié et presque routinier avec des partis pris toutefois (il n'aurait guère aimé, dit-on, Gouvion Saint-Cyr ou Jourdan). C'était un anxieux, hésitant devant les projets de jonction du Louvre et des Tuileries présentés par Fontaine, ou sur la fin de l'Empire, ne pouvant se déterminer, si l'on en croit Rogniat, devant certaines décisions militaires. La légende puis la contre-légende ont contribué à brouiller la figure de Napoléon, surestimant tantôt ses qualités et tantôt ses défauts. Sa correspondance nous révèle sa démesure mais aussi son bon sens, sa dureté mais également son côté sentimental. Tendre, il écrit à Eugène de Beauharnais, le 14 avril 1806 : « Il faut avoir plus de gaieté dans votre maison, cela est nécessaire pour le bonheur de votre femme et pour votre santé. Une jeune femme a besoin d'être amusée surtout dans la situation où elle se trouve. » Sec, deux lignes lui suffirent pour saluer la paternité de son frère Louis en mai 1808 : « Je vous fais compliment de la naissance de votre fils. Je désire que ce prince s'appelle Charles-Napoléon. » Il s'agit du futur Napoléon III. Et les femmes? Napoléon dira à Gourgaud : « Je n'ai jamais aimé d'amour, sauf peut-être Joséphine, un peu, et encore parce que j'avais vingt-sept ans. » Elle l'a vite lassé avec ses infidélités, ses dépenses et ses caprices (le petit chien Fortuné qui mordait les mollets de Bonaparte dans la chaude intimité du lit conjugal). L'Empereur eut au moins deux enfants hors mariage : Léon, en 1806, d'une lectrice de Caroline, Éléonore Denuelle de la Plaigne, et Alexandre en 1810 de Marie Walewska. Peut-être aussi une fille, Émilie, future comtesse de Brigode, de Françoise-Marie Leroy. Aucune liaison — et elles furent nombreuses — n'eut la moindre incidence sur la vie même de Napoléon. Simples repos du guerrier. Réveillé à sept heures, l'Empereur se fait lire les journaux, les rapports de police centralisés par Duroc, maréchal du Palais, examine les factures de ses fournisseurs et s'entretient avec ses familiers. A huit heures il est dans son cabinet de travail où il dicte son courrier à ses secrétaires, Bourrienne, puis Méneval et Fain, et parcourt les bulletins de police. A neuf heures : petit lever suivi à dix heures d'un déjeuner expédié en dix minutes et arrosé de l'habituel chambertin coupé d'eau, selon une tradition héritée de l'Ancien Régime. Il retourne dans son cabinet où l'attend l'étude des dossiers, des livrets et des états : il consulte les cartes que lui prépare Bacler d'Albe. A une heure de l'après-midi, il assiste aux séances du Conseil des ministres, du Conseil d'État ou des conseils d'administration. Il dîne à cinq heures, mais souvent ne se met à table qu'à sept. Après dîner il s'attarde au salon avec l'impératrice, parcourt les derniers livres que lui communique Barbier, son bibliothécaire, puis retourne dans son cabinet achever le travail du jour. Couché à minuit, il se réveille vers trois heures pour réfléchir aux affaires les plus délicates, prend un bain chaud et se recouche à cinq. Seuls les voyages et les campagnes militaires dérangent ce genre de vie. L'Empereur dispose alors d'une berline spéciale où sont aménagés des tiroirs et des compartiments pour les papiers. Un service de chambellans et d'aides de camp le précède ou le suit. En voiture, il dicte pour ne pas perdre de temps ; aux arrêts, Berthier, son chef d'état-major, ou ses secrétaires expédient le courrier. A la fin de l'Empire toutefois, le surmenage est apparent. Tous les témoignages confirment la perte partielle de son énergie intellectuelle. Reste le sens de la propagande. Rarement personnage historique aura eu autant le souci de se composer une silhouette : petit chapeau et redingote grise, main dans le gilet — la caricature et l'image d'Épinal n'ont guère eu de difficultés à s'emparer de l'Empereur. LES IDÉES POLITIQUES DE NAPOLÉON Les idées politiques de Napoléon ont beaucoup évolué. Quelques brouillons et ébauches, la Lettre à Buttafuoco et Le Souper de Beaucaire avaient révélé un jeune officier cherchant avec sincérité, à la veille de la Révolution, avec réalisme après son échec en Corse, le gouvernement idéal. Napoléon l'a désormais trouvé : l'Empire. L'exercice du pouvoir ne le détourne pourtant pas de la méditation politique. Au Conseil d'État, devant ses familiers, dans sa correspondance, il se plaît à exprimer ses idées. A partir de cas concrets, il dégage une philosophie politique. Philosophie plus proche de Machiavel que de Rousseau, d'ailleurs renié dès le Consulat. A Eugène, devenu vice-roi d'Italie, il envoie le 7 juin 1805 ses recommandations : « Montrez pour la nation que vous gouvernez une estime qu'il convient de manifester d'autant plus que vous découvrirez des motifs de l'estimer moins. Il viendra un temps où vous reconnaîtrez qu'il y a bien peu de différence entre un peuple et un autre. » On pourrait, à l'aide des conseils prodigués dans cette lettre, écrire un nouveau traité du Prince. De l'art de gouverner, le secret doit être le principal ressort ; le prince doit parler le moins possible et écouter le plus souvent : « On ne mesure pas la force d'un prince qui se tait, écrit Napoléon ; quand il parle, il faut qu'il ait la conscience d'une grande supériorité. » Le prince ne doit ajouter aucun crédit aux espions et se méfier des ambassadeurs étrangers car « un ambassadeur ne dira pas de bien de vous, observe l'Empereur, parce que son métier est d'en dire du mal ». Il faut enfin se montrer inflexible avec les fripons : « C'est une victoire gagnée pour l'administration que la découverte d'un comptable infidèle. » La force, ajoute Napoléon dans un autre texte, est le principe essentiel de tout gouvernement : « La faiblesse produit des guerres civiles ; l'énergie maintient la tranquillité et la prospérité des États. » Pour surmonter la crise héritée de la Révolution ne pouvait être établi qu'un régime autoritaire, celui de Brumaire. Régime autoritaire qui n'a nul compte à rendre à un parlement à l'anglaise. « Le gouvernement, déclare-t-il en 1804, n'est plus, comme jadis, une émanation du Corps législatif; il n'a plus avec lui que des rapports éloignés. » Une idée qui revient avec force : celle de l'appel à la Nation, le bonapartisme dira « l'appel au peuple ». Le Corps législatif est le gardien du domaine public ; sa mission est de consentir l'impôt; s'il s'opposait à des lois d'un intérêt purement local, je le laisserais faire; mais si une opposition se formait dans son sein, qui fût capable d'arrêter la marche du gouvernement, j'aurais recours au Sénat pour le proroger, pour le changer ou pour le casser, et j'en appellerais au besoin à la nation, qui est derrière tout cela. Mais il écrit à Lebrun chargé d'administrer la Hollande : « Je n'ai point pris le gouvernement de la Hollande pour consulter la populace d'Amsterdam et faire ce que veulent les autres. » L'influence du pouvoir absolu accentue encore un trait du caractère de Napoléon : dans un gouvernement où tout repose sur un homme, la confiance en soi détruit bien vite tout esprit critique. « Mes peuples d'Italie me connaissent assez pour ne devoir point oublier que j'en sais plus dans mon petit doigt qu'ils n'en savent dans toutes leurs têtes réunies. » De l'infatuation, on glisse rapidement, le succès aidant, au cynisme : « J'ai toujours remarqué que les honnêtes gens ne sont bons à rien. » On est passé progressivement de la dictature de salut public, d'origine populaire (« le recours au peuple a le double avantage de légaliser la prorogation et de purifier l'origine de mon pouvoir, autrement il aurait toujours paru équivoque »), à la IVe dynastie qu'il veut faire accepter par les vieilles monarchies (« j'ai montré que je veux fermer la porte aux révolutions. Les souverains me doivent d'avoir arrêté le torrent de l'esprit révolutionnaire qui menaçait leurs trônes. Tous les trônes s'écrouleraient si celui de mon fils tombait », confie-t-il à Caulaincourt). De plus en plus il se convainc que l'aristocratie doit être le support principal de la monarchie héréditaire qu'il entend fonder : « C'est le vrai, le seul soutien d'une monarchie, son modérateur, son levier, son gouvernail, un vrai ballon dans l'air. » Rousseau fait place à Montesquieu, le soutien des notables est récusé au profit de l'ancienne noblesse. LA FAMILLE IMPÉRIALE Rarement l'entourage familial aura joué un rôle aussi grand dans la vie d'un homme d'État. L'histoire des rapports de Napoléon et de sa famille, racontée avec succès par Frédéric Masson, n'est qu'une longue suite de brouilles et de réconciliations. Les frères et les sœurs de l'Empereur n'eurent pourtant pas à se plaindre. La famille Bonaparte, dès le début de l'Empire, constitua une dynastie de princes français dans la lignée desquels la couronne était héréditaire. Joseph (1768-1844), l'aîné, auquel Napoléon marqua longtemps un certain respect, reçut le royaume de Naples enlevé aux Bourbons en 1806, puis remplaça sur le trône d'Espagne Charles IV. Louis (1778-1846), qui avait épousé la fille de Joséphine, Hortense de Beauharnais, obtint en 1806 le royaume de Hollande. Excellent souverain, il prit à cœur les intérêts de son État frappé par les effets du Blocus continental ; dès lors un conflit était inévitable avec son frère. Jérôme (1784-1860) dont les frasques avaient provoqué la colère de Bonaparte au moment de son mariage avec la riche Américaine Miss Paterson, se réconcilia avec l'Empereur en 1805; marié le 12 août 1807 à la fille du roi de Wurtemberg, il devenait six jours plus tard souverain de Westphalie. Seul Lucien (1775-1840), le plus intelligent pourtant, après avoir été ministre de l'Intérieur, ambassadeur d'Espagne, puis tribun, ne reçut aucun royaume. Il avait épousé Mme Jouberthon contre le gré de son frère et dut se retirer à Rome, sur sa terre de Canino, érigée par le pape en principauté. Elisa (1777-1820), femme d'un obscur officier corse, Félix Bacciochi que Napoléon fit entrer au Sénat, devint princesse de Lucques et Piombino, puis grande-duchesse de Toscane; Pauline (1780-1825), dont la beauté fut immortalisée par Canova, eut, après Leclerc, le prince Borghèse pour époux ; enfin Caroline (1782-1839), mariée à Murat, reçut les couronnes de grande-duchesse de Berg puis de reine de Naples. Devenus rois, les frères de Napoléon ne devaient être dans la pensée du maître que les auxiliaires de sa politique. A Louis, il écrivait le 6 mai 1808 : « Je lis dans les journaux de Paris que vous nommez des princes. Je vous prie instamment de n'en rien faire. Les rois n'ont pas le droit de nommer des princes ; ce droit est inhérent à la dignité impériale. » A Elisa, il rappelait de Schoenbrunn, le 27 août 1809 : « Vous êtes sujette, et comme tous les Français, vous êtes obligée d'obéir aux ordres des ministres. » A mesure que se développaient les conséquences de la politique impériale qui contrariait souvent les intérêts de leurs États, les frères et sœurs de Napoléon eurent tendance à épouser les aspirations de leurs peuples, menaçant ainsi l'unité de l'Empire. Dès 1810, Napoléon commençait à regretter les trônes qu'il avait distribués. La naissance du roi de Rome le 20 mars 1811 devait modifier sa vision de l'Empire: il souhaita reprendre au profit de son fils les territoires qu'il avait imprudemment donnés. Louis fut en Hollande la première victime de ce renversement de politique qui finit par menacer à son tour Murat. Une telle politique irrita par ailleurs l'opinion française; l'intérêt de la nation passait au second plan : seuls comptaient désormais les motifs dynastiques. Sa famille a finalement desservi Napoléon, moins par ses intrigues, que par l'image qu'elle donnait d'un clan exploitant la France puis l'Europe afin d'édifier d'énormes fortunes et satisfaire des appétits douteux. LA MACHINE GOUVERNEMENTALE Si le calendrier républicain ne disparut que le 1er janvier 1806 et si le mot de République française fut conservé sur les monnaies jusqu'à la fin de 1808, le gouvernement impérial prit dès 1804 l'allure d'une dictature personnelle, sans les ménagements et les apparences de légalité du Consulat. Progressivement, l'influence que les notables avaient cru conserver malgré la fondation de l'Empire disparut. La volonté d'un homme prédominait et cette volonté ne correspondait plus aux intérêts de la bourgeoisie mais aux caprices d'un individu. Les ministres furent réduits au rôle de simples exécutants et toute leur correspondance passa désormais par l'Empereur. Chaptal avait quitté l'Intérieur en 1804; Talleyrand fut remplacé en 1807 aux Relations extérieures par le consciencieux Champagny; disgracié en 1810, Fouché abandonna la police au « gendarme » Savary. C'était éliminer, en faveur de serviteurs dévoués mais sans génie, des personnalités fortes qui auraient pu infléchir les décisions impériales. Jugé trop important, le ministère de l'Intérieur (Cretet puis Montalivet) perdit une partie de ses attributions au profit d'un ministère des Manufactures et du Commerce créé en 1811 en faveur de Collin de Sussy. Les directions générales qui limitaient les pouvoirs des ministres furent multipliées. En revanche, le contrepoids des assemblées, déjà faible sous le Consulat, disparut. Bien qu'il eût cessé toute opposition systématique, le Tribunat, divisé en trois sections par la Constitution de l'an XII, fut supprimé en 1807. Le Corps législatif, dont le recrutement s'opérait parmi des fonctionnaires ou anciens fonctionnaires, vit ses sessions réduites à quelques semaines. Napoléon aurait même envisagé sa disparition. Lors du renouvellement des députés en 1807, le pourcentage des abstentions fut très élevé dans la plupart des collèges électoraux chargés de présenter des candidats. Les électeurs boudaient manifestement des élections sans portée véritable. Le pouvoir lui-même semblait s'en désintéresser : en 1812 on comptait 399 membres à nommer dans les collèges d'arrondissement de la Seine et 139 dans le collège du département. Le Sénat se garda de toute velléité d'indépendance en dépit des pouvoirs relatifs dont disposaient les commissions de la liberté de la presse et de la liberté individuelle. Cette dernière cassa même la décision de la cour d'assises de Bruxelles qui avait acquitté le maire d'Anvers, Werbrouck, accusé par le commissaire général de police, Bellemare, avec lequel il s'était brouillé, de fraude et de concussion. Interné à Charenton, Sade s'adressa vainement à la commission sénatoriale qui ne se prononça pas sur son sort. De son côté le Conseil d'État, si important sous le Consulat, perdit une partie de son influence. Napoléon y parut moins souvent, imposant ses décisions sans entendre les conseillers, si l'on en croit Thibaudeau. Ce déclin fut toutefois relatif, car un registre du secrétaire du Conseil, Locré, retrouvé récemment, montre Treilhard contredisant au moins six fois, le 6 juin 1810, les suggestions de Napoléon sur les cours d'appel, et l'Empereur mis en minorité, s'inclinant devant ce vote dans une séance du 11 novembre 1813. D'autre part la classe des auditeurs — à laquelle appartint Stendhal — fut progressivement constituée en pépinière de futurs administrateurs. C'était reconnaître le rôle de « creuset » joué par le Conseil. Les grandes lois étant passées, n'était-ce pas normal que cette assemblée se consacrât essentiellement à la juridiction administrative ? La magistrature ne conserva pas longtemps son inamovibilité. Le sénatus-consulte du 12 octobre 1807 confia à une commission sénatoriale, nommée par l'Empereur, le soin de l'épurer. La loi du 20 avril 1810 réorganisa l'administration de la justice, substituant aux cours de justice criminelle les cours d'assises qui siégeaient au chef-lieu de département; les membres du jury étaient choisis sur une liste de soixante personnes présentées par le préfet. La recherche du criminel appartenait au procureur, le juge d'instruction décernait les mandats d'amener. Les cours d'appel prirent le nom de cours impériales. Dans les préfectures apparut une nouvelle génération venue souvent de l'ancienne noblesse et plus docile aux injonctions du pouvoir : Molé nommé préfet de la Côte-d'Or en 1807; Montalivet préfet de la Manche puis de la Seine-et-Oise avant de devenir ministre de l'Intérieur en 1809; Pasquier qui remplaça en 1811 Dubois à la préfecture de police. Le mariage autrichien précipita l'envahissement des préfectures par l'ancienne aristocratie (Cossé-Brissac, La Tour du Pin, Breteuil). Mais le favoritisme eut aussi sa part. Abrial, fils de l'ancien ministre, ou Régnier, fils du grand juge. Le recrutement des préfets dépendait de plus en plus du « bon plaisir » de l'Empereur ; ceux qui avaient cru à une certaine stabilité de l'emploi devaient s'en mordre les doigts. Les notes administratives prirent une allure de plus en plus arbitraire. Elles furent données par le ministre de l'Intérieur, celui de la Police général et le directeur général de la conscription. C'est cette dernière activité qui allait peu à peu absorber l'énergie des préfets qui devaient être également appréciés, selon Savary dans une note à l'Empereur, en fonction de leur naissance, de leur fortune et « des grâces particulières de Votre Majesté ». Ils étaient jugés aussi sur l'autorité qu'ils exerçaient sur les conseils généraux réduits au cours de « sessions-éclairs » à des vœux voués à rester lettres mortes. Dans le dédain où étaient tenues les fonctions municipales entrait en ligne de compte l'absence de pouvoirs réels des maires. Tandis que le mécanisme législatif se simplifiait par la disparition ou la diminution du pouvoir des assemblées, l'administration se morcelait en compartiments de plus en plus nombreux, sous la forme de directions générales et d'arrondissements. Le préfet de la Moselle, Vaublanc, note que ce morcellement fut poussé à un tel degré dans les dernières années de l'Empire que l'enchevêtrement des affaires devint inextricable. La belle mécanique administrative finissait par s'enrayer sous l'effet de la méfiance impériale et d'une centralisation poussée à l'extrême. A la veille de livrer la bataille de Leipzig, Napoléon était sollicité de donner son accord sur les dépenses du commissaire de Saint-Malo, distrayant ainsi son attention d'un combat pourtant décisif pour l'avenir de l'Allemagne. Désormais Napoléon trancha seul, même les affaires de second ordre. S'il réunit des conseils privés, ce fut à la rigueur pour modifier la rédaction d'un sénatus-consulte, jamais pour ratifier un traité de paix ou d'alliance comme l'avait prévu la Constitution. Les conseils des ministres, le mercredi, n'étaient plus que des formalités, de l'aveu du baron Fain : L'Empereur ne s'était pas mis dans la sujétion de signer en conseil. A mesure qu'un projet de décret était présenté, le dépôt en était fait sur le bureau avec le rapport et les pièces à l'appui. Une feuille de travail contenant le sommaire des différents projets apportés par le ministre servait d'enveloppe au dossier qu'il laissait pour la signature. Les ministres ne remportaient donc de la séance que l'impression de ce qui s'était dit et passé devant eux. La préférence de l'Empereur allait aux conseils d'administration auxquels étaient consacrés les lundis, les jeudis et les samedis et qui pouvaient durer de neuf heures du matin à sept heures du soir. Les conseils d'administration avaient pour objet l'examen à fond d'une seule affaire ou d'une seule espèce d'affaires. Le plus souvent, observe Fain, c'était à l'occasion du règlement des budgets de détail, tels que le budget des ponts-et-chaussées, celui du génie militaire, celui du génie maritime. L'Empereur appelait auprès de lui des conseillers d'État, des techniciens, des chefs de bureau. Les procès-verbaux de ces conseils nous ont été conservés. Dans ces conseils, chacun donne son avis mais si cet avis est souvent pris en considération, c'est l'Empereur qui tranche seul. En réunissant ce type de conseil, Napoléon ne vise qu'à s'informer, d'autant que, trait de son caractère généralement peu connu, il se montrait souvent hésitant sur les problèmes techniques. On arrivera à cette situation paradoxale que les budgets de la ville de Paris seront approuvées par les conseils d'administration avant même d'avoir été examinés par le conseil général devenu conseil municipal de la capitale, et entreront en application sans souci de l'avis des notables parisiens. LES FINANCES IMPÉRIALES Le fonctionnement de la machine gouvernementale coûtait cher. Pour en contrôler les dépenses fut instituée en 1807 une Cour des comptes, présidée par l'ancien ministre du Trésor, Barbé-Marbois, disgracié après le krack des Négociants réunis. Napoléon souhaitait tirer les ressources nécessaires des contributions indirectes. De 1804 à 1810 furent rétablis les droits sur les boissons ; en 1806 l'impopulaire gabelle fut ressuscitée sous la forme d'un impôt sur le sel ; dès 1810 était institué au profit de l'État le monopole du tabac. La direction générale des droits réunis revint à l' « Anacréon de la fiscalité », Français de Nantes. Cette fois le mécontentement populaire rejoignit celui des notables ; les aides et l'impopulaire gabelle renaissaient. Un vent de fronde faillit souffler dans les campagnes. C'est que la guerre ne finançait plus la guerre. Dès les opérations de 1805, Napoléon avait institué une caisse spéciale dite caisse de l'Extraordinaire administrée par La Bouillerie, sous l'autorité de Daru, intendant général des pays occupés. La caisse de l'Extraordinaire aurait reçu, entre 1805 et 1809, 734 millions. Un sénatus-consulte du 30 janvier 1810 organisa le Domaine extraordinaire confié à Defermon et dont l'Empereur disposait seul par décrets pour subvenir aux dépenses de l'armée, pour récompenser les grands services civils et militaires, pour entreprendre des travaux publics et encourager les arts. Le Domaine extraordinaire était alimenté par les contributions de guerre et les placements opérés par son administration. Mais à partir de l'affaire d'Espagne, le butin de guerre cessa d'être fourni par la conquête. La défaite de l'Autriche en 1809 permit un ultime «renflouement» dans des conditions mal connues. Puis ce fut la catastrophe prévue par l'économiste Francis d'Ivernois. L'UNIVERSITÉ IMPÉRIALE Former les cadres de l'Empire, tel était le but assigné par Napoléon à l'Université. « Il n'y aura pas d'État politique fixe, disait-il, s'il n'y a pas un corps enseignant avec des principes fixes. » La loi du 11 floréal an X qui instituait les lycées s'était soldée par un échec : personnel recruté sans homogénéité et de valeur médiocre, militarisation excessive des élèves, mauvaise gestion financière. La bourgeoisie boudait le nouveau système. Les lycées ne purent résister à la concurrence des établissements privés. Le 10 mai 1806 était votée une loi créant, « sous le nom d'Université impériale, un corps chargé exclusivement de l'enseignement et de l'éducation publics dans tout l'Empire ». Les membres du corps enseignant devaient contracter « des obligations civiles, spéciales et temporaires ». Fourcroy se mit au travail pour donner un contenu à la loi. Vingt projets furent examinés avant que ne fût signé, le 17 mars 1808, le décret de 144 articles qui posait « les bases de l'enseignement dans les écoles de l'Université ». Il réservait à cette Université le monopole de l'enseignement. Placée sous l'autorité d'un grand-maître qu'assistaient un conseil de l'Université et un corps d'inspecteurs généraux, l'Université impériale était divisée en académies administrées par des recteurs pourvus également d'un conseil et d'inspecteurs. L'autorisation du grand-maître était nécessaire à tout professeur pour enseigner, à tout établissement pour s'ouvrir et chaque institution devait payer à l'Université une rétribution annuelle. L'enseignement était divisé en trois degrés, l'enseignement primaire que Napoléon abandonna aux frères de la Doctrine chrétienne; l'enseignement secondaire donné dans les lycées et les collèges communaux, et l'enseignement supérieur réservé aux facultés des Lettres, des Sciences, de Droit, de Médecine et de Théologie. C'est avec l'Empire que naît le prestige du baccalauréat dont la possession permet d'accéder à l'élite. La formation des professeurs continua à être assurée par l'École normale réorganisée en 1810. Napoléon affirmait ainsi sa volonté de modeler dans un moule à sa convenance les nouvelles élites. Les notables ne s'y sont pas trompés. L'Université impériale fut mal accueillie; en réalité elle ne répondit pas à l'objectif que lui avait assigné Napoléon. Le poète Louis de Fontanes fut nommé grand-maître de l'Université à la place de Fourcroy, auteur du projet, et qui en mourut de chagrin. Le savant avait été écarté en raison de son passé révolutionnaire. Fontanes vit peut-être dans ce poste une retraite lucrative, plus sûrement un moyen d'assurer son avenir en ménageant les intérêts de l'Église menacée de perdre le contrôle de l'enseignement. Il fit entrer au conseil de l'Université des catholiques ultramontains comme Bonald ou l'abbé Émery, et nomma de nombreux ecclésiastiques, proviseurs, censeurs ou professeurs. Ainsi trahit-il, au profit du néocatholicisme, les intentions de l'Empereur. Le monopole ne fut pas en définitive aussi absolu qu'on aurait pu le croire ; en dehors des séminaires, il y eut toujours, mais déclaré incorporé à l'Université, un enseignement privé d'écoles et de pensions tenus par des particuliers et soumis au contrôle des inspecteurs. Loin de cesser, la concurrence faite aux lycées par les établissements privés, surtout ecclésiastiques, ne cessa de s'amplifier. Une affaire de transformation d'une école secondaire en petit séminaire qui éclata à Saint-Pol-de-Léon en 1810 provoqua l'irritation de Napoléon : « Dites au grand-maître que c'est avec les préfets qu'il doit correspondre, non avec les évêques, et de ne pas faire de l'instruction publique une affaire de coterie et de religion. » Le 17 juillet 1810 le ministre de la Police adressait une circulaire aux préfets pour connaître la situation des lycées et la nature de leur enseignement. L'enquête confirma le succès des établissements ecclésiastiques et l'emprise de l'Église sur la jeunesse. Les futures élites échappaient à l'empreinte napoléonienne. Le décret du 15 novembre 1811 compléta et modifia celui du 17 mars 1808. Désormais les petits séminaires étaient placés sous l'autorité de l'Université. Il ne devait y avoir qu'une école ecclésiastique par département et les élèves étaient astreints au port de l'habit religieux. Dans les institutions et pensions, l'enseignement se bornait à de simples répétitions. Même les élèves des petits séminaires devaient suivre les cours du lycée. En 1813 Montalivet indiquait, dans la Situation de l'Empire, 68 000 élèves dans les lycées et collèges et 47 000 dans les institutions privées. Toutefois, ce décret fut le plus souvent tourné par les évêques avec la complicité de Fontanes et des inspecteurs. Guizot constatait vers 1816 : l'administration universitaire de l'Empire n'a « cessé de propager les principes religieux, les habitudes pieuses, les bonnes doctrines morales ». Cela n'était pas pour déplaire aux notables. LE DÉTACHEMENT DES NOTABLES Face aux empiétements d'un pouvoir de plus en plus absolu, la bourgeoisie finit par s'inquiéter. Le réflexe césarien se transformait en vaste déception devant un gouvernement qui ne respectait plus les intérêts des notables et poursuivait sa propre finalité. Mais les possibilités d'exprimer ce mécontentement et de ruiner la popularité du régime se trouvaient de plus en plus réduites. La chambre de commerce de Paris dénonça les conséquences néfastes de la guerre sur le négoce. « L'incertitude de la durée de la guerre, lit-on dans ses procès-verbaux, ajoute à l'embarras de cette situation en interdisant des spéculations que l'avènement de la paix rendrait ruineuses. » Une circulaire du 31 mars 1806 interdit toute publication ou divulgation de ses avis sans autorisation du ministre de l'Intérieur. La bourgeoisie parisienne ne pouvait davantage s'exprimer à travers le conseil général des manufactures auquel toute publicité des débats était interdite. La création de la direction générale de l'Imprimerie et de la Librairie, le 5 février 1810, et la limitation du nombre des imprimeurs avaient laissé présager une nouvelle réglementation de la presse. Celle-ci survint rapidement : le décret du 3 août 1810 n'autorisa la publication que d'une seule feuille par département. Seuls étaient tolérés, provisoirement, quelques journaux littéraires ou scientifiques et les avis d'annonces concernant la vente d'immeubles ou les mouvements de marchandises. A Paris, le nombre des journaux fut limité à quatre à partir du mois d'octobre 1811 : Le Moniteur, La Gazette de France, Le Journal de Paris, et enlevé le 18 février 1811 aux frères Bertin, Le Journal des Débats devenu Le Journal de l'Empire. Le contrôle de la police sur ces feuilles était absolu. D'ailleurs le 17 septembre 1811, le décret de Compiègne confisquait tous les journaux de Paris au profit de l'État. Les bénéfices furent répartis entre la police, des courtisans et des hommes de lettres. Jamais ne fut institué un régime plus draconien. La contrepartie en fut l'aspect morne et insipide de journaux entièrement dans la main du gouvernement et dont la lecture était dépourvue d'intérêt. Sur la fin de l'Empire, le bourgeois parisien se trouvait dépourvu de café, de sucre et de gazette : c'était lui demander beaucoup de sacrifices ! La bourgeoisie avait souffert de la Terreur, elle supporta impatiemment le renforcement du caractère policier du système impérial. De retour quai Voltaire, Fouché avait donné à la police générale une redoutable efficacité. Il avait divisé l'activité du ministère, en trois, puis en quatre arrondissements confiés à des conseillers d'État : Réal, Pelet de la Lozère et le préfet de police Dubois. Desmarest veillait plus particulièrement sur la sûreté chargée de déjouer les complots. A l'exception d'une «bavure», la conspiration du général Malet en 1808, où la rivalité du ministère et de la préfecture de police voulue par Napoléon embrouilla les fils de l'enquête, la police impériale déjoua complots et intrigues : toutes les tentatives menées de Londres par Puisaye pour implanter ses réseaux dans l'Ouest furent vouées à l'échec. Le conspirateur Le Chevalier fut exécuté le 9 janvier 1808; Prigent qui préparait une insurrection de l'Ouest était capturé le 5 juin de la même année. Mais Fouché savait se faire également rassurant vis-à-vis du Faubourg-Saint-Germain, adoucissant par exemple les conditions de détention des Polignac. Son départ sema l'effroi. Savary qui le remplaçait n'avait pas les délicatesses « du mitrailleur de Lyon ». Il avait montré sa brutalité en Espagne. Il accumula les maladresses à la tête de la police. Ainsi imagina-t-il de pourvoir les domestiques d'un livret fourni par ses services. Comment ne pas y voir un nouveau moyen de surveillance des « bonnes maisons » ? La mesure suscita un tollé général et ne fut pratiquement pas appliquée par les maîtres. Sous le couvert d'une « statistique morale et personnelle », il entreprit de mettre la France en fiches et de se mêler du mariage des riches héritières et des filles de l'ancienne noblesse. Cette intrusion dans la vie privée des gens acheva de discréditer les services du quai Voltaire. Ce n'est pas Fouché qui a créé le mythe de la police impériale ; il rendit cette dernière au contraire aussi discrète que possible. Ce sont les bévues de Savary qui ont révélé le caractère policier pris peu à peu par le régime. Si la monarchie absolue avait été, selon la formule célèbre de Saint-Simon, un long règne de vile bourgeoisie, opinion nullement partagée par cette bourgeoisie d'ailleurs, le gouvernement impérial cessait après 1807 d'être celui d'une classe — la même bourgeoisie — pour devenir le jouet des caprices d'un individu. Évolution inverse de celle espérée : on escomptait le passage progressif d'une dictature de salut public à un gouvernement constitutionnel de type libéral. En fait, comme le souligne Molé : Le génie de Napoléon, son naturel l'éloignaient de tout partage de l'autorité. L'unité était à ses yeux la condition indispensable de tout gouvernement fort; toute puissance contestée, limitée, contenue, était à ses yeux condamnée à l'hésitation et privée de ces illuminations soudaines auxquelles il avait dû lui-même d'opérer des miracles... Au moment où son étoile pâlissait, savez-vous, ajoute Molé, où sa pensée allait chercher du remède et les conditions de stabilité qu'il voulait se donner pour l'avenir? Il se reprochait d'avoir laissé au Corps législatif trop de liberté et d'ingérence dans les affaires, et au Sénat trop d'importance. Comment les notables, qui avaient vu disparaître sans regret l'Ancien Régime, auraient-ils pu admettre qu'à l'ordre succédât l'aventure, à l'autorité la tyrannie ? NOTES SOURCES : La sous-série AFIV des Archives nationales est fondamentale, elle regroupe les papiers de la secrétairerie d'État, plaque tournante du gouvernement. On la complétera par F7 (police) et BB (justice) et pour l'Église par le fonds Artaud de Montor conservé par l'Institut Napoléon. La Correspondance de Napoléon Ier, les lettres de Cambacérès, les Almanachs impériaux, Le Moniteur, le Bulletin des Lois et les recueils de circulaires de certains ministères (Intérieur, Justice) permettent de suivre l'activité gouvernementale. Les bulletins de police publiés par E. d'Hauterive (La Police secrète du Premier Empire, t. V, 1964) s'arrêtent en 1810 avec la disgrâce de Fouché. Il serait utile de continuer cette publication, les bulletins de Savary n'étant nullement dépourvus d'intérêt. Parmi les Mémoires, il faut retenir ceux de Fain (essentiels sur le fonctionnement de la machine gouvernementale), Pasquier, Molé et Broglie (sur le conseil d'État notamment), de Bausset (préfet du palais, 1827, peut-être retouchés par Balzac), de Barral (sur les pages), des préfets Thibaudeau, Plancy et Vaublanc. Il y a peu à tirer en revanche des souvenirs de Fouché, Talleyrand, Champagny et Savary. On ne négligera pas Desmarest (sur la police, éd. Grasilier), Méneval (sur l'entourage impérial), Pontécoulant, Stanislas de Girardin, mais on se méfiera de Bourrienne. Les Mémoires de la famille impériale (Joseph, 1856-1858; Jérôme, 1861-1866; Eugène de Beauharnais, 1858-1860) sont en réalité des recueils de lettres. En revanche ceux de la reine Hortense sont de véritables Mémoires dont le t.I est particulièrement intéressant. On peut lire aussi Documents historiques et réflexions sur le Gouvernement de la Hollande (1820) par Louis Bonaparte. Dépourvus de tout sérieux sont les Mémoires du valet de chambre Constant (1830-1831) et de Roustam (1911). Ceux d'Ali (1926) sont surtout intéressants pour Sainte-Hélène (cf. Savant, Les Mamelouks de Napoléon, 1949). OUVRAGES : La famille impériale a suscité une abondante production historique. Outre la descendance naturelle étudiée par J. Valynseele (1964), Ducasse, Les Rois frères de Napoléon Ier (1883); F. Masson, Napoléon et sa Famille (13 volumes, 1897-1919, ouvrage célèbre mais partial, l'auteur donnant systématiquement raison à l'Empereur); Lumbroso, Napoleone, la sua Corte, la sua famiglia (1921); A. Lévy, Les Dissentiments de la Famille impériale (1931); Th. Aronson, Les Bonaparte (1967). Les frères de Napoléon ont fait l'objet de nombreuses et souvent satisfaisantes biographies. Pour Joseph : Marmottan, Joseph Bonaparte à Mortefontaine, 1929 ; B. Nabonne, Le Roi philosophe, 1949 ; Connelly, The gentle Bonaparte (1968) ; Girod de l'Ain, Le Roi malgré lui, 1970 ; sur Louis : F. Rocquain, Napoléon Ier et le Roi Louis, 1875 ; Labarre de Raillecourt, Louis Bonaparte, 1963 ; en ce qui concerne Jérôme : A. Martinet, Jérôme Napoléon, roi de Westphalie, 1863 ; M.A. Fabre, Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie, 1952 ; Bertaut, Le Roi Jérôme, 1954; B. Melchior-Bonnet, Jérôme Bonaparte (1978). Rappelons l'histoire de Pietri et celle de Pietromarchi sur Lucien. Le bilan est moins brillant pour les sœurs : Elisa (P. Marmottan, Elisa Bonaparte, 1898, bien documenté mais s'arrête en 1804) ; Caroline (J. Turquan, Caroline Murat, 1899 ; J. Bertaut, Le Ménage Murat, 1958) ; et Pauline (Fleuriot de Langle, La Paolina, sœur de Napoléon, 1946 ; M. Gobineau, Pauline Borghèse, sœur fidèle, 1958 ; Kuhn, Pauline, 1963 ; B. Nabonne, La Vénus impériale, 1963) ; sur le premier mari de Pauline : J. Poulet, « Montgobert, le général Leclerc et les Bonaparte », Fédération des Sociétés d'histoire et d'archéologie de l'Aisne, 1972. Sur le plus important des beaux-frères, Murat : outre les Archives Murat aux Archives nationales (1967), les biographies de Chavanon et Saint-Yves (1905), Marcel Dupont (1934), Lucas-Dubreton (1944), Garnier (1959) et Tulard (1983), ainsi que le précieux bulletin Cavalier et Roi publié par J. Vanel. Sur le beau-fils de l'Empereur : Arthur Lévy, Napoléon et Eugène de Beauharnais (1926), et F. de Bernardy, Eugène de Beauharnais (1973). Commode et agréable biographie de l'épouse de Louis, Hortense de Beauharnais, par le duc de Castries (1984). Sur la Cour : Cérémonial de l'Empire français (1805) et G. Vauthier, « La Maison de l'Empereur et les pages », puis « Voitures et chevaux de Napoléon », Revue des Études napoléoniennes, 1917, pp. 230-242 et enfin Ch.-O. Ziesseniss, Napoléon et la Cour impériale (1980). Tout ce qui touche à la Cour est très anecdotique. Pour connaître les idées politiques de Napoléon à son apogée, outre les précieuses anthologies de Dansette (1940) et de Palluel (Dictionnaire de l'Empereur, 1969), on lira la préface à la Correspondance officielle de Napoléon (éd. Dufraisse, Club du Livre, 1969) et A. Cabanis, « Contribution à l'étude des idées politiques de Napoléon Ier », Res publica, 1975, pp. 121-144. Signalons que la série de Gavoty, les Drames inconnus de la Cour de Napoléon (1962-1964), ne tient pas ses promesses. La journée de Napoléon est excellemment évoquée par F. Masson, Napoléon chez lui (1894). La machine gouvernementale est décrite par Ch. Durand: «Conseils privés, Conseils des ministres, Conseils d'administration 1800-1814», Revue d'Histoire moderne, 1970, pp. 814-828, du même: Le Régime de l'activité gouvernementale pendant les campagnes de Napoléon (1957); J. Tulard, «Le fonctionnement des institutions impériales en l'absence de Napoléon d'après les lettres inédites de Cambacérès », Revue des Travaux de l'Académie des Sciences morales et politiques, mars 1973, pp. 231-246. En dépit du travail d'Ernouf, Maret, duc de Bassano (1893), il n'existe pas d'étude approfondie sur la secrétairerie d'État. On trouve dans André de Montalivet, Les Bachasson de Montalivet (1955), des notes prises par Montalivet lors des Conseils des ministres. Ces notes donnent l'impression que les Conseils se ramenaient à de longs monologues de l'Empereur. Déclin du Conseil d'État? Ch. Durand (La Fin du Conseil d'État, 1959, et surtout « Napoléon et le Conseil d'État », Revue de l'Institut Napoléon, 1962, pp. 145-156) conteste que ce corps ait connu après 1810 la déchéance affirmée par Thibaudeau et Stendhal; il observe toutefois que, «depuis 1807 et surtout 1809, Napoléon laisse plus volontiers percer l'argument d'autorité et le caractère définitif de certaines positions dans son esprit ». L'effacement du Sénat est précisé par J. Thiry, Le rôle du Sénat de Napoléon dans l'organisation militaire dans la France impériale (1932), et Ch. Durand, « Les présidents du Sénat sous le Premier Empire », Mélanges Jacquemyns, pp. 75-99. Sur la Cour des Comptes qui recueillit un certain nombre d'anciens tribuns : U. Todisco, Le Personnel de la Cour des Comptes (1969). Cf. aussi l'Histoire parlementaire de Duvergier de Hauranne. Après Vautier, dans la Revue des Études napoléonniennes de 1919, pp. 218-223, Jean Bourdon a défini les grandes lignes de « L'épuration de la magistrature en 1807-1808 dans la Revue d'Histoire moderne, 1970, pp. 329-336. Faut-il parler d'épuration dans le corps préfectoral ? Un nouveau personnel est mis en place dans un esprit que définit Savary en 1813 (Ch. Durand, Quelques aspects de l'administration préfectorale sous le Consulat et l'Empire, 1962). C'est la police qui a surtout retenu l'attention. Au Fouché de Madelin (plusieurs rééditions) qui n'a pas été remplacé par Despatys, Un ami de Fouché, d'après les mémoires de Gaillard (1911), Zweig, Fouché (1931), J. Savant, Tel fut Fouché (1955), L. Kammacher, Joseph Fouché (1963), H. Buisson, Qui était Fouché ? (1968), H. Cole, Fouché, The unprincipled patriot (1971), répond le Savary, duc de Rovigo, un policier dans l'ombre de Napoléon, par B. Melchior-Bonnet (1962). Les mécanismes policiers sont décrits de façon superficielle par Hauterive, Napoléon et sa Police (1943), et de façon plus précise par M. Le Clère, Histoire de la Police (1964). Sur un point particulier : L. Deriès « Le régime des fiches sous le Premier Empire », Revue des Études historiques, 1926, et P. Lefranc, « Conscription dorée, conscription des filles », Revue de l'Institut Napoléon, 1977, qui montre la manie de l'Empire de mettre les gens sur fiches. Sur la nomination de Pasquier à la préfecture de Police : J. Tulard, « Une nomination de préfet sous l'Empire », Revue de l'Institut Napoléon, 1959. La chouannerie persiste dans l'Ouest : E. Daudet, La Police et les Chouans (1895); Gabory, Napoléon et la Vendée, 1932; E. Herpin, Armand de Chateaubriand, 1910; Langlois, « Complot, propagande et répression policière en Bretagne sous l'Empire, 1805-1807» (il s'agit de l'enlèvement de l'évêque de Vannes), Annales de Bretagne, 1971, pp. 369-421 ; Hutt, « Espions en France, 1793-1808., History to-day, 1962 ; P. Summerscale, « Puisaye et les royalistes », Revue de l'Institut Napoléon, 1977. Sur l'impopularité de la police on lira les commentaires de Proudhon sur les Mémoires de Fouché. La réapparition des prisons d'État dénoncée en 1814 par Demaillot dans un pamphlet retentissant était significative : L. Deriès, « Les prisons d'État en 1812 », Revue historique de la Révolution et de l'Empire, 1916, pp. 84-94. Sur l'affaire Werbrouck, le maire d'Anvers, dont l'acquittement fut cassé par le Sénat : R. Warlomont, « L'affaire Werbrouck et le régime impérial », Revue d'Histoire du Droit français et étranger, 1963. On ne sera pas surpris de l'intérêt porté à l'Université par les historiens. Napoléon n'y voyait-il pas l'un des fondements de son autorité ? Aux ouvrages généraux de Prost, Histoire de l'Enseignement en France (1968), et de Ponteil, Histoire de l'Enseignement (1966), il faut ajouter l'étude classique d'Aulard, Napoléon Ier et le Monopole universitaire (1911). La compléter par Lanzac de Laborie, « La Haute Administration de l'enseignement sous le Consulat et l'Empire (Roederer, Fourcroy, Fontanes) dans Revue des Études napoléoniennes, 1916, t. X, pp. 186-219, et G. Vauthier, « Fontanes et les débuts de l'Université », Nouvelle Revue, 1er et 15 mars 1908 (l'ouvrage d'A. Wilson ne s'intéresse qu'à l'écrivain). Y ajouter P. Gerbod, «Les facultés des lettres de 1809 à 1815 » (109e congrès des sociétés savantes, 1984, pp. 373-388) et Thuillier, « L'académie de législation » (Revue administrative, 1985, étude d'une école libre de droit entre 1801 et 1805). Le rôle d'un conseiller comme Rendu est éclairé par E. Rendu, Ambroise Rendu et l'Université de France (1861). Le recrutement des recteurs fut médiocre si l'on en croit L. Villat, « J.J. Ordinaire, premier recteur de l'académie de Besançon », Mémoires de l'Académie de Besançon. 1928, pp. 117-151. Les recherches de Lanzac et Laborie (Revue des Études napoléoniennes, 1917) ont surtout porté sur les débuts des lycées. Peu de bonnes études sur les facultés à l'exception de celle des Lettres à Paris par Guigue (1935). Sur la formation des maîtres : Joxe, « L'École normale en 1812 », Revue de l'Institut Napoléon, 1963, pp. 27-34. Citons aussi R. Palmer, A documentary History of the college Louis-le-Grand and its director, Jean-François Champagne 1762-1814 (1975) et Tessonneau, Joubert éducateur (1944). Le conflit avec l'Église est étudié de façon magistrale sur le plan régional par R. Durand, « Le Monopole universitaire et la concurrence ecclésiastique dans les Côtes-du-Nord », Revue d'Histoire moderne, 1934, pp. 16-47. On sait comment Napoléon prit ombrage de cette concurrence et du succès rencontré par les petits séminaires. Le décret du 15 novembre 1811 renforça le monopole en plaçant les petits séminaires sous l'autorité de l'Université : cf. Ch. Schmidt, La Réforme de l'Université impériale en 1811 (1905). Quant à l'enseignement technique, il a été moins négligé qu'on ne l'a écrit selon A. Léon, « Promesses et ambiguïtés de l'Œuvre d'enseignement technique en France de 1800 à 1815 », Revue d'Histoire moderne, 1970, pp. 846-859. Une bonne synthèse sur l'enseignement primaire, peut-être moins délaissé qu'on ne l'affirme : M. Gontard, L'Enseignement primaire en France, de la Révolution à la loi Guizot 1789-1833 (1959). DÉBATS OUVERTS Usurpateur pour les royalistes, tyran pour les jacobins, Napoléon a fondé un régime dont la définition divise les politologues. Pour René Rémond (La Vie politique en France, t. I, 1965), l'Empire marque une parenthèse dans l'évolution parlementaire de la France : la notion d'election est escamotée, le rôle des assemblées réduit à néant, la presse anéantie. Pour Pietri au contraire (Napoléon et le Parlement, 1955), l'Empereur est resté jusqu'au bout respectueux des prérogatives parlementaires. Il présente la suppression du Tribunat comme un renforcement du pouvoir des assemblées : le Tribunat ne fut pas supprimé mais incorporé au Corps législatif. Les législateurs cessèrent du même coup d'être muets, ils reçurent ce droit de parole qu'ils revendiquaient depuis longtemps; parallèlement, les vingt-sept tribuns fondus dans le Corps législatif purent enfin voter de façon définitive sur des projets qu'ils ne faisaient auparavant que discuter. En fait le caractère dictatorial du régime ne paraît pas douteux. La primauté de l'exécutif est absolue (cf. Duverger, La Dictature, 1961, et les travaux de ses élèves dont J.-P. Daviet). Dictature militaire, écrivent Mathiez ou Lefebvre, mais si l'armée fournit en effet l'appoint décisif dans le succès de Brumaire, elle n'interviendra plus, sur le plan intérieur, que pour réprimer les désordres de Caen en 1812. Despotisme éclairé? Mais les idéologues héritiers des philosophes sont écartés du pouvoir dès le Consulat. On a maintes fois présenté Napoléon comme le précurseur des dictatures fascistes du xxe siècle. Or le régime ne fut établi ni sur une doctrine raciale (seuls les Bohémiens eurent, au nom du maintien de l'ordre, quelques ennuis : cf. Vaux de Foletier, « La grande rafle des Bohémiens du Pays basque sous le Consulat », Études tsiganes, 1968, pp. 13-22) ni sur des méthodes sanguinaires (« Le sang des victimes ne fait pas pousser les racines, il les tue, c'est la Terreur qui a tué la République », dira Napoléon à Montholon). La dictature napoléonienne, c'est au fond le césarisme de la Rome antique, un compromis entre les nécessités d'un gouvernement de Salut public, en lutte contre l'Europe, et les susceptibilités héritées de la Révolution à l'égard du pouvoir monarchique. Césarisme ? Ou plus exactement Bonapartisme, car le mérite du vainqueur de Marengo est d'avoir substitué son nom à celui du vainqueur d'Alésia (cf. Jean Tulard dans « Actes du colloque d'Augsbourg sur le bonapartisme », Francia, 1977). Tout repose sur le charisme personnel de Napoléon : le régime s'identifie à un individu. Que cet individu ne cesse de passionner, on ne peut s'en étonner. On regrette toutefois que sa taille (1,68 m selon M. Dunan, Revue de l'Institut Napoléon, 1963, p. 178), ses maladies (Cabanès, Au chevet de l'Empereur; Hillemand, Pathologie de Napoléon, d'après le professeur Chouard il souffrait du syndrome d'Apnée du sommeil ; il était myope selon le docteur Amalric, Points de vue, juin 1986, et utilisait des lunettes à verres de 18 lignes), ses chevaux (Merllie, « Le cavalier Napoléon et ses chevaux », La Sabretache, n° 53, 1980) et surtout ses amours aient plus retenu l'attention que ses idées politiques. Sur les amours, on a surtout pillé F. Masson, Napoléon et les femmes (1894). Joseph Valynseele s'est attaché à La descendance naturelle de Napoléon (1964) d'où A. Gavoty exclut Emilie Pellapra (Bulletin de l'Institut Napoléon, avril 1950). J. Savant a dressé le tableau d'honneur de celles qui ont « résisté » (Cahiers de l'Académie d'Histoire, 1970, n° 4) : Mme Tallien, Mme Récamier, Alexandrine de Bleschamp, comtesse de Regnault de Saint-Jean-d'Angély, etc., c'est-à-dire les plus belles femmes du temps. Voilà qui fera rêver sur les limites de la dictature napoléonienne. CHAPITRE II Une faute : la noblesse d'Empire « Le dogme absurde de l'égalité est toujours la religion favorite des boutiquiers », avait averti le jacobin Fouché. Napoléon ne l'a pas entendu. Avant même la guerre d'Espagne, il commet sa première faute : la création d'une noblesse. Il l'avait dit : à l'origine de la Révolution, il y a la vanité, la liberté ne fut qu'un prétexte. En ouvrant la nouvelle noblesse aux notables, Napoléon espérait leur faire accepter la suppression des libertés. Il entendait aussi amalgamer la bourgeoisie révolutionnaire à l'ancienne aristocratie que l'on détacherait ainsi des Bourbons. Calcul doublement erroné : la vieille noblesse ne servit que du bout des lèvres l'usurpateur; on pleura dans les boutiques la perte de l'égalité, du moins si l'on en croit Fouché. L'inquiétude gagna le monde des campagnes : la féodalité, malgré le serment de 1804, allait-elle ressusciter? Bref, l'accueil fut loin d'être enthousiaste. LES ÉTAPES D'UNE CRÉATION L'idée d'égalité était si fortement enracinée qu'il fallut huit ans à Napoléon pour fonder une nouvelle noblesse alors que depuis 1804, nul ne pouvait plus nourrir d'illusion sur la nature de son régime. Il y a deux choses pour lesquelles la nation n'est pas mûre, avouait le Premier Consul à Roederer, c'est l'hérédité des emplois et la noblesse. Une noblesse héréditaire dont l'origine remontait à de hautes actions, à de grands services rendus à la patrie, n'a pu se soutenir. Cependant elle était bien plus favorable qu'une noblesse instituée qui élèverait tout à coup des nobles au-dessus de leurs pairs. A peine établies, les listes de notabilités, qui auraient pu être l'embryon d'une nouvelle aristocratie, disparurent, dès la Constitution de l'an X, au profit de collèges électoraux dont se désintéressa L'Empire. Selon Roederer, Bonaparte s'était opposé aux listes de notables par crainte de voir se former une noblesse née de la Révolution, qui lui eût échappé. De là cette indifférence témoignée par la suite envers les collèges électoraux. Peut-on considérer la fondation de la Légion d'honneur comme une étape vers le rétablissement de la noblesse, étape voulue cette fois par Bonaparte ? A l'exemple des listes de notabilités, ne visait-elle pas à dégager une élite, sur laquelle pourrait s'appuyer le gouvernement consulaire ? Élite qui, à l'inverse des notabilités, ne se distinguait pas par la fortune mais par les services rendus à l'État, et était nommée par le Premier Consul. L'Assemblée constituante avait supprimé, le 30 juillet 1791, « tout signe extérieur qui suppose des distinctions de naissance », mais s'était réservée de statuer sur le problème « d'une décoration nationale unique qui pourrait être accordée aux vertus, aux talents, aux services rendus à l'État ». La Convention avait admis que des récompenses pourraient être décernées « aux citoyens qui auraient servi avec éclat la patrie ». Le Directoire enfin avait multiplié les récompenses militaires sous forme d'armes d'honneur. Mais ces marques distinctives ne violaient nullement le principe d'égalité. Simplement elles excluaient l'élément civil. La création de la Légion d'honneur par Bonaparte visait à élargir la notion de récompense; elle répondait aux préoccupations de la Constituante. Le mot d' « ordre » n'apparaissait pas dans le projet de loi et l'origine de l'expression « Légion », toute romaine, visait à rassurer l'opinion. Les résistances n'en furent pas moins vives au Conseil d'État où Berlier se serait écrié : « L'ordre proposé conduit à l'aristocratie : les croix et les rubans sont les hochets de la monarchie. » « Pourquoi l'institution ne serait-elle pas commune aux hommes de guerre et aux hommes de l'état civil ? Les hommes qui ont les premiers fait pâlir le despotisme et qui ont proclamé la liberté n'ont-ils pas des droits égaux à ceux des guerriers qui ont défendu l'État contre les étrangers ? » se serait écrié Bonaparte. Les débats au Tribunat n'en furent pas moins houleux. Au Corps législatif, il y eut 166 suffrages favorables mais 110 hostiles. La Légion d'honneur fondée sur un serment et dotée de biens territoriaux contenait en germe une nouvelle noblesse. Nouvelle étape dans l'aristocratisation de la France : les sénatoreries. Le sénatus-consulte du 14 nivôse an XI prévoyait la constitution d'une sénatorerie par arrondissement de tribunal d'appel, sorte de division administrative dont un sénateur avait la responsabilité morale. Chaque sénatorerie était dotée d'une maison et d'un revenu annuel en domaines nationaux d'une valeur de 20 000 à 25 000 francs destiné à couvrir les frais de représentation et de déplacement du sénateur tenu de séjourner une partie de l'année dans sa sénatorerie. Rien qui n'eût heurté les sentiments égalitaires des Français si ces sénatoreries n'avaient été possédées à vie et n'avaient paru l'amorce d'une nouvelle féodalité. Comme les listes de notabilités, la Légion d'honneur et les sénatoreries représentent en définitive des tentatives de rétablissement de la noblesse. La Légion d'honneur connut à la fin de 1804 une crise financière dont l'ordre ne se releva pas. Le décret du 28 février 1809 lui retira les biens ruraux administrés par les cohortes en échange d'une inscription de 2 082 000 francs de rente à 5 % consolidés. Tournant décisif : la Légion d'honneur devait renoncer à constituer un corps aristocratique, disposant grâce à sa fortune foncière d'une profonde influence : elle se trouvait ramenée à son point de départ : une simple récompense individuelle. La déception des titulaires de certaines sénatoreries fut vive lorsqu'ils découvrirent que les revenus de ces sénatoreries étaient assurés par des biens géographiquement très dispersés. Ainsi la sénatorerie d'Agen se vit-elle affecter des domaines nationaux situés dans les départements du Gers, du Lot-et-Garonne, de Seine-et-Oise et d'Eure-et-Loir, ce qui compliquait singulièrement la rentrée des revenus qu'ils étaient censés assurer au titulaire de la sénatorerie. Cas général, à très peu d'exceptions. C'est le titulaire de la sénatorerie de Riom qui se plaint : « L'administration en est pénible et dispendieuse, le produit presque nul et le titulaire désespère de vaincre les obstacles qui s'opposent à la simple perception de son revenu. » A Bourges, Garnier-Laboissière déplore «l'existence de parcelles si modiques et tellement isolées les unes des autres qu'elles nécessitent autant de petits fermiers dont la solvabilité toujours équivoque entraîne souvent des pertes ou des discussions litigieuses ». Nous voilà loin du fief devenant principauté. Échec voulu. Bonaparte a engagé la France dans une autre voie, celle d'une aristocratie ne tirant sa richesse et son influence que du gouvernement impérial. Les brumairiens souhaitaient une forme de noblesse consacrant simplement leur conquête du pouvoir et leur pérennité. Napoléon ne pouvait s'en accommoder. Sa méfiance à l'égard des notables le conduit à restreindre le rôle des collèges électoraux et à paralyser toute implantation régionale des sénateurs, servi sur ce dernier point par la raréfaction des biens nationaux. Plus difficile à expliquer est le désintérêt porté assez rapidement à la Légion d'honneur : l'inflation des décorations montre à l'évidence, dès 1805, que l'Empereur entend la limiter au rôle de simple récompense qui est celui qu'elle joue encore dans notre État républicain. C'est aux Tuileries que naît la noblesse avec l'apparition d'une cour. D'abord réduite, la maison du Premier Consul s'étoffe progressivement. La réception en juin 1801 des souverains d'Étrurie favorise le développement du protocole et le retour aux livrées. Le faste officiel se fait ostentatoire. Désormais, les bottes et les pantalons disparaissent au profit des souliers à boucle, des bas de soie et des culottes courtes. Un arrêté du 12 novembre 1801, non imprimé, crée un gouverneur et quatre préfets du palais. Non seulement les honneurs accordés à Joséphine ne cessent de grandir, mais on note l'importance prise par l'élément féminin, au demeurant de bonne noblesse, dans l'entourage de l'épouse du Premier Consul : Mmes de Luçay, de Lauriston, de Talhouët, etc. L'établissement du Consulat à vie précipite une évolution que consacre la proclamation de l'Empire. Mais que de précautions jusqu'alors. Et que de justifications lors de la réapparition des grandes charges. « Le ridicule s'attacha d'abord à ces travestissements, mais on s'y accoutuma bientôt », lit-on dans les Mémoires de Fouché. Molé observe de son côté : « Bonaparte était embarrassé de se montrer aux yeux des républicains et de son armée avec la pompe et les ornements de la suprême puissance. » Les réticences étaient vives, non seulement du côté des militaires mais dans la bourgeoisie elle-même. Certains avaient vu avec inquiétude le retour des émigrés. A qui profiterait le rétablissement de la noblesse sinon aux anciens nobles ? Fiévée ne s'y trompait pas ; dans une note de décembre 1802, il analysait le sentiment public: « La grande difficulté est de saisir comment on fait ou comment on refait une noblesse et si des titres qui dans leur origine tenaient à des fonctions et qui par abus étaient devenus personnels et transmissibles, peuvent recommencer par où ils ont fini. » Le rétablissement des formes monarchiques du pouvoir rendait pourtant inéluctable la constitution d'une noblesse. Étape décisive : le décret du 30 mars 1806 qui attribuait aux membres de la famille impériale le titre de prince. C'était le premier accroc au principe de l'égalité : « L'état des princes appelés à régner sur ce vaste empire et à le fortifier par des alliances ne saurait être absolument le même que celui des autres Français. » La distribution des couronnes et la politique matrimoniale de l'Empereur servaient encore de justification. Mais que dire des autres décrets datés du même jour : la princesse Pauline et son époux le prince Borghèse recevaient la principauté de Guastalla, le prince Joachim Murat les duchés de Clèves et de Berg, Berthier de son côté obtenait Neufchâtel. Dans les États de Parme et de Plaisance étaient érigés trois duchés dits grands-fiefs : « Nous nous réservons, affirmait l'Empereur, de donner l'investiture desdits fiefs pour être transmis héréditairement, par ordre de primogéniture, aux descendants mâles légitimes et naturels de ceux en faveur de qui nous en aurons disposé. » N'était-ce pas rétablir la noblesse, même si ces nouveaux fiefs étaient tous situés à l'étranger? Le pas définitif était franchi deux ans plus tard. Le décret du 1er mars 1808 rétablissait les anciennes dénominations nobiliaires, à l'exception de celles de vicomte et de marquis. Les grands dignitaires de l'Empire portaient le titre de prince et d'altesse sérénissime ; les ministres, sénateurs, conseillers d'État à vie, les présidents du Corps législatif et les archevêques celui de comte ; les présidents des collèges électoraux, les premiers présidents de la Cour de cassation et de la Cour des comptes, les évêques d'Empire et les maires des trente-sept bonnes villes recevaient le titre de baron. Étaient prévus aussi des chevaliers. Cette résurrection des anciens titres s'accompagnait de celle du droit aux armoiries. Le conseil du Sceau des titres créé par un second décret du 1er mars 1808 et formé de l'archichancelier assisté de trois sénateurs, deux conseillers d'État, un procureur général et un secrétaire général, réglait les problèmes posés par ces armoiries qui étaient soumises à l'approbation de l'Empereur. Napoléon avait trouvé un habile compromis entre le goût des Français pour les distinctions honorifiques et l'idée d'égalité proclamée en 1789. La qualité de noble d'Empire n'entraînait aucune exonération d'impôt, aucun privilège, aucun affranchissement aux lois générales. Les droits féodaux restaient abolis. Si des avantages pécunaires étaient fréquemment accordés aux nouveaux dignitaires, ils n'étaient pas liés aux titres concédés. Quand est joint au titre le nom d'une terre, celle-ci se trouve située hors du territoire français. Les titres récompensaient des services rendus à l'État dans le domaine civil ou militaire. Ils étaient comparables aux distinctions de l'ancienne Rome qui ne donnaient que des préséances. Les lettres patentes du 10 septembre 1808 qui confèrent au maréchal Lefebvre le titre de duc de Dantzig, montrent les intentions de l'Empereur. Voulant donner à notre cousin le maréchal et sénateur Lefebvre un témoignage de notre bienveillance, pour l'attachement et la fidélité qu'il nous a toujours montrés et reconnaître les services éminents qu'il nous a rendus le premier jour de notre règne (entendons le 19 brumaire), qu'il n'a cessé de nous rendre depuis et auxquels il vient d'ajouter encore un nouvel éclat par la prise de la ville de Dantzick; désirant de plus consacrer par un titre spécial le souvenir de cette glorieuse et mémorable circonstance, nous avons résolu de lui conférer et nous lui conférons par les présentes, le titre de duc de Dantzick avec une dotation en domaines situés à l'intérieur de nos états. Nous entendons que ledit duché de Dantzick soit possédé par notre cousin le maréchal et sénateur Lefebvre, et transmis héréditairement à ses enfants mâles, légitimes et naturels par ordre de primogéniture, pour en jouir en toute propriété, aux charges et conditions et avec les droits, titres, honneurs et prérogatives attachés aux duchés par les constitutions de l'Empire. On notera que l'Empereur ne donne au maréchal aucun bien, rente ou immeuble situé dans la ville de Dantzig ou aux environs. Le titre n'est qu'un simple souvenir du siège, un cognomen à la manière romaine. Les dotations seront toujours constituées par des revenus sur des terres situées hors de France. Souci de ménager l'opinion hostile à tout rétablissement de la féodalité mais aussi volonté délibérée d'attacher cette noblesse à l'avenir du grand Empire. Ces titres, strictement personnels, n'étaient pas héréditaires. Ils récompensaient un individu et non pas, comme autrefois, une famille. Toutefois, le titre devenait transmissible dans le cas de constitution d'un majorat. Ce majorat devait être formé d'un capital indissolublement lié au titre, et transmissible avec lui. Il pouvait comprendre des biens immobiliers, libres de toute hypothèque, ou des actions de la Banque de France et des rentes sur l'État, dont l'importance variait selon les titres. On devine facilement l'intention de l'Empereur. Le souvenir de sa jeunesse difficile et le spectacle de nobles ruinés à la veille de la Révolution le conduisaient à mettre les titres qu'il ressuscitait à l'abri d'une dérogeance en leur assurant au moins les revenus produits par les biens du majorat. Ouverte à tous, cette noblesse s'est recrutée essentiellement, de par sa nature, chez les militaires, les fonctionnaires et les notables, mais avec d'importantes disproportions : 59 pour 100 pour les premiers, 22 pour 100 pour les seconds (conseillers d'État, préfets, évêques, magistrats) et seulement 17 pour 100 pour les derniers (encore s'agissait-il de notables occupant des fonctions publiques, sénateurs, membres des collèges électoraux, maires). La part du commerce, de l'industrie, des arts et des professions libérales (médecins, avocats) était insignifiante. Les réserves vinrent, on ne s'en étonnera pas, de ces milieux : le banquier Hottinguer notait dans son journal : « Le commerce considère comme un de ses plus beaux droits d'être jugé par ses pairs. Napoléon, lui, voulait à toute force des hiérarchies. » « Les financiers sont mécontents, précisait Fiévée, parce que les distinctions sociales fondées sur des souvenirs et des services les renvoient en troisième ligne. » Les sentiments des autres notables sont plus difficiles à déceler, l'entrée dans la noblesse ayant été le plus souvent automatique, puisqu'elle était la conséquence de la fonction : Sénat, Conseil d'État... Ce n'est qu'au niveau de la constitution des majorats qu'on peut mesurer l'intérêt porté à l'institution. Peut-être, chez les notables, ne fut-il pas aussi grand qu'on aurait pu le croire. Certes le Conseil du Sceau des titres a été rapidement débordé. Ansi lors de sa séance du 28 octobre 1808, examinait-il la formation des majorats des comtes Laforest, Chauvelin, Mérode de Westerloo, Darjuzon, Contades (président du collège électoral du Maine-et-Loire); Estève (trésorier général de la Couronne), Perrégaux (auditeur au Conseil d'État), Wals-Serrant (président du collège électoral du Finistère), Mercy d'Argentau (chambellan), Duval de Beaulieu (maire de Mons), etc. Parmi les barons examinés le même jour : neuf préfets, une dizaine de membres des collèges électoraux, plusieurs magistrats. Mais on relève beaucoup d'absents : dossiers perdus ? indifférence ? Il y eut du flottement jusque chez les militaires: « J'ai tenu entre les mains, écrit Pasquier qui appartint au Conseil du Sceau des titres, un assez bon nombre de requêtes dans lesquelles on demandait de l'avancement dans la noblesse, comme on en aurait demandé dans un régiment. » En attirant l'ancienne aristocratie, Napoléon avait espéré réussir une fusion entre deux élites : 23 pour 100 de vieux noms, 58 pour 100 de bourgeois. Bien que ces derniers aient été majoritaires, ils ne virent pas sans inquiétude la part de plus en plus grande prise à la cour et dans les préfectures par la vieille noblesse. Des susceptibilités se ravivèrent, des haines se réveillèrent. La création de la noblesse d'Empire n'était-elle pas un prétexte pour ramener les anciens privilégiés au sommet de la hiérarchie sociale ? La crainte fut réelle, si l'on en croit certains rapports de préfets sur l'esprit public. Pourtant Napoléon ne réussit pas entièrement dans sa tentative de ralliement de l'élite ancienne. Certes on trouve dans la noblesse d'Empire beaucoup de grands noms : Noailles, Montmorency, Turenne, Montesquiou. L'attrait des places et de l'argent a joué un rôle décisif. Mais ce ralliement était-il sincère ? Pasquier a expliqué comment il n'avait accepté de servir l'Empire que pour mieux préparer l'avenir. La fondation de la noblesse d'Empire fut apparemment une erreur et un échec. Une erreur dans la mesure où les brumairiens ne souhaitaient nullement le rétablissement d'une aristocratie ; on a vu la résistance opposée par les assemblées à la création de la Légion d'honneur. La tendance égalitaire s'apparente le plus souvent en France au nivellement par le bas. On souhaite moins s'égaler aux classes supérieures que les détruire. De là le scandale provoqué par la réponse, pourtant de bon sens, faite par Guizot : « Enrichissez-vous » à ceux qui lui réclamaient un abaissement du cens sous la monarchie de Juillet. Les notables acceptèrent les honneurs qui leur étaient distribués et finirent par se considérer comme nobles. Pasquier parle drôlement de Garnier dont les idées étaient contraires aux institutions nobiliaires mais dont « le titre de comte chatouillait fort agréablement les oreilles ». Mais les nouveaux promus n'en gardèrent aucune reconnaissance au régime. De là l'échec : la noblesse d'Empire ne fut pas le soutien dynastique espéré par Napoléon. Celui-ci le reconnaissait devant Caulaincourt en 1812 : l'institution n'avait pas répondu à son attente. Deux ans plus tard, la vieille noblesse reprenait ses anciens titres, la nouvelle oubliait l'Empereur. NOTES SOURCES : Sous-série AFIV des Archives nationales (décrets relatifs aux dotations, notamment AFIV 308 qui contient un précieux dictionnaire des donataires, documents du Conseil du Sceau des titres); BB30 965-1120 (majorats) ; 02 (Domaine extraordinaire), AP (archives privées: Davout, Ney, Caulaincourt, Maison, Watier...). Beaucoup d'indications dans les Lettres de Cambacérès à Napoléon (éd. Tulard, t. II). On consultera les Mémoires de Pasquier, Molé, de Broglie, Miot de Melito, Roederer, Caulaincourt et surtout la Correspondance et relations avec Bonaparte de Fiévée, particulièrement riche en indications (orientées, il est vrai) sur l'esprit public. Sur les non-ralliés : les souvenirs de Frénilly. Deux sources fondamentales : Campardon, Liste des membres de la noblesse impériale dressée d'après les registres de lettres patentes conservés aux Archives nationales (1889) et Révérend, Armorial du Premier Empire (nouvelle édition par J. Tulard, 1974, donne les armoiries et la généalogie). Le compléter par Labarre de Raillicourt, Armorial des Cent Jours (1961). Pour la généalogie, les travaux de J. Valynseele apportent d'importants éléments : Les Maréchaux du Premier Empire, leur famille et leur descendance (1957) ; Les Princes et Ducs du Premier Empire non maréchaux, leur famille et leur descendance (1959). OUVRAGES : Pour une bibliographie exhaustive, se reporter à Saffroy, Bibliographie généalogique, héraldique et nobiliaire de la France (1968). Sur la noblesse d'Empire : E. Pierson, Étude de la noblesse d'Empire créée par Napoléon Ier (1910) et J. Tulard, Napoléon et la noblesse d'Empire (avec la liste des membres de cette noblesse, 1979). Utile est Batjin, Histoire de la Noblesse depuis 1789 (1862). L'esprit dans lequel fut créée la Légion d'honneur est bien évoqué par Fugier, « La signification sociale et politique des décorations napoléoniennes », Cahiers d'Histoire, 1959, pp. 340-346. L'organisation administrative de la légion est décrite par L. Soulajon, Les Cohortes de la légion d'honneur (1890), et par P. Codechèvre, « Le Général Mathieu Dumas et l'organisation de la Légion d'honneur », Revue de l'Institut Napoléon, 1965, pp. 193-210. Les légionnaires nous sont connus par les Fastes de la légion d'honneur de Lievyns, Verdot et Bégat (5 vol., 1842-1847), et Testu (éd.), État de la légion d'honneur (1814). On consultera aussi les deux numéros spéciaux du Souvenir napoléonien (mars et mai 1973) sous la direction de Claude Ducourtial, et surtout le n° spécial de La Cohorte (1968), « Napoléon et la légion d'honneur » (catalogue détaillé d'une importante exposition). Voir aussi « La Légion d'honneur » (Toute l'histoire de Napoléon, 1956). Les distributions sont évoquées par A. Chatelle, Napoléon et la Légion d'honneur au camp de Boulogne (1956). Sur les sénatoreries, deux bons travaux : L'Hommedé, « Les sénatoreries », Revue des Études historiques, 1933, pp. 19-40; F. Ponteil, « Une nouvelle forme d'aristocratie au temps de Napoléon : les sénatoreries » (Paris, 1947, dans Études historiques, publiées par la Faculté des lettres de Strasbourg). Lire aussi L. de Brotonne, Les Sénateurs du Consulat et de l'Empire (1895 ; étude généalogique). Les attitudes devant la noblesse ont été variées : M. Reinhard, « Élite et noblesse », Revue d'Histoire moderne et contemporaine, 1956, pp. 1-37 ; Cl. Brelot, La Noblesse en Franche-Comté de 1789 à 1808 (1972, bonne étude régionale sur la noblesse ancienne); M. Bruguière, « Finance et noblesse, l'entrée des financiers dans le noblesse d'Empire », Revue d'Histoire moderne, 1970, pp. 664-679 (met en lumière les réticences de la banque). P. Durye a attiré l'attention sur « Les chevaliers dans la noblesse impériale », Revue d'Histoire moderne, 1970, pp. 671-679 (seize cents chevaliers furent créés par Napoléon. « Il semble qu'en limitant l'accession à la noblesse par ce titre, l'Empereur ait découragé les sollicitations. » Les descendants des chevaliers « ne se sont pas mêlés vraiment aux grands bourgeois et aux anciens nobles » ). On lira aussi Labarre de Raillicourt, Les Chevaliers de l'Empire et de la Restauration à lettres-patentes (1968). La constitution de majorats a été voulue par Napoléon pour éviter toute dérogeance : Frain de la Gaulayrie, Les Majorats depuis le Premier Empire (1909), E. L'Hommedé, « La question des majorats », Revue des Études historiques, 1924, pp. 45-70. Au problème est lié celui des dotations impériales : le livre des dotations a été conservé; il est analysé par Ch. Emmanuel Brousse dans la Revue des Études napoléoniennes, 1935, pp. 168-173. La question a été reprise par Senkowska-Gluck, « Les donataires de Napoléon », Revue d'Histoire moderne, 1970, pp. 680-693 (beaucoup de petites dotations furent en réalité des retraites ou des pensions pour invalidité). Sur les efforts de Napoléon pour rallier la noblesse d'Ancien Régime, on dispose d'une bonne étude locale : Ch. Alleaume, « Napoléon 1er et l'ancienne classe nobiliaire, l'enquête de 1810 dans le département du Var », Société d'études scientifiques et arch. de Draguignan (1935, pp. 5-48). J. Bertaut, Le Faubourg Saint-Germain (1949), G. de Broglie. Ségur sans cérémonies (1977). La cour impériale est bien évoquée par Charles-O. Zieseniss, Napoléon et la cour impériale (1980). La place des maréchaux dans cette noblesse est mise en lumière dans le remarquable numéro spécial de la Revue de l'Institut Napoléon (1986), par Jacques Jourquin. Sur les ordres créés par Napoléon : Stalins, l'ordre impérial de la Réunion (1959) donne la liste des membres et l'article de Lorion sur les Trois Toisons d'or, dans la Revue de l'Institut Napoléon (1962). DÉBATS OUVERTS Le problème de la fusion des deux noblesses ne peut être élucidé que par l'étude de la politique matrimoniale de la noblesse d'Empire, étude rendue facile par l'Armorial de Révérend et les recherches de Valynseele. Cette fusion semble avoir été lente. Les premières alliances ont été surtout nouées avec la haute banque : J. Lhomer, Le Banquier Perrégaux et sa fille, la duchesse de Raguse (1926). Ney épouse le 5 avril 1802, au château de Grignon, la seconde fille d'Auguié, munitionnaire général aux vivres de l'armée puis administrateur des postes. Les dotations impériales ont-elles constitué un apport important? Nous les connaissons par les travaux (en polonais) de M. Senkowska-Gluck (Varsovie, 1968), de Berding (« Les dotations impériales dans le royaume de Westphalie», Revue de l'Institut Napoléon, 1976, pp. 91-101), d'Ingold (Bénévent sous la domination de Talleyrand, 1916), de J. Courvoisier (Le maréchal Berthier et sa principauté de Neufchâtel, 1959) et l'article de H. de Grimouard, « Les origines du Domaine extraordinaire », Revue des Questions historiques (1908, pp. 160-192). Les revenus qu'ils ont assurés ont été en définitive médiocres (J. Tulard, « Les composants d'une fortune ; le cas de la noblesse d'Empire », Revue historique, 1975, pp. 119-138) : biens trop dispersés, problèmes de change, mauvais vouloir des autorités locales, faiblesse des baux. Pour les grands donataires, les pertes ont été de l'ordre de 40 pour 100 (90 pour 100 en 1813). Les traitements et les soldes ont été payés irrégulièrement à la fin de l'Empire, ce sont donc les gratifications données directement par l'Empereur (hôtels, sommes d'argent), les placements privés (dont la course qui a attiré Soult, Andreossy ou Caffarelli, par exemple, la spéculation (Bourrienne, Brune, Bernadotte), le pillage (Masséna, Soult) et la corruption (F. Boyer, « Œuvres d'art pour des généraux français », Revue de l'Institut Napoléon, 1965, pp. 15-23) qui ont été à l'origine de certaines fortunes. Un exemple de grande fortune constituée sous la Révolution et l'Empire : R. Marquant, « La fortune de Cambacérès », Bulletin d'Histoire économique et sociale de la Révolution française, 1971, pp. 169-251. La reconstitution des fortunes anciennes est moins connue. Chez les ralliés, c'est la noblesse de cour qui eût toutes les faveurs. Il valait mieux être chambellan que général ou préfet. « Encore un pot de chambre sur la tête de ces nobles » raillait, après la nomination de plusieurs chambellans, Pommereul, ci-devant lui-même, devenu préfet et appelé en 1811 à remplacer Portalis fils à la tête de la Direction de l'Imprimerie, ce dernier n'ayant pas dénoncé à la police son cousin l'abbé d'Astros. CHAPITRE III Le dérapage de la politique extérieure : le guêpier espagnol C'est après Tilsit que Napoléon décida d'intervenir directement en Espagne. Depuis 1788 régnait, sur la péninsule Ibérique, un prince débonnaire et faible, Charles IV, qui avait abandonné la réalité du pouvoir à son épouse Marie-Louise de Parme-et au Premier ministre Godoy. A l'avènement de Charles IV avait correspondu la fin d'une grande époque coloniale qui avait décuplé les profits de la métropole sans provoquer la néfaste inflation du XVIe siècle. Mais l'Espagne n'avait participé qu'inégalement à ce développement : à l'inverse des bourgeois de Cadix ou de Barcelone, aristocrates et paysans de Galice ou d'Andalousie, n'avaient pas été touchés par les transformations du siècle des Lumières. Deux Espagnes s'opposaient : l'une gagnée aux idées nouvelles, l'autre restée traditionaliste. De cette opposition, Godoy, devenu Premier ministre à vingt-cinq ans, avait parfaitement conscience et malgré l'impopularité que lui valut sa rapide ascension, il parvint à tenir la balance égale entre « l'Espagne noire » et « l'Espagne éclairée » ; mais il s'engagea dans un jeu diplomatique complexe qui devait le perdre en favorisant l'intervention de Napoléon. Une intervention née de la propre initiative de Napoléon, même s'il fut quelque peu poussé par Talleyrand et Murat. Première erreur de l'Empereur : l'image d'une Espagne en perdition qu'imposaient récits de voyageurs et rapports de diplomates lui a laissé croire qu'il pourrait se poser en sauveur venant régénérer la péninsule. Un nouveau Brumaire en somme. Si l'Espagne souffrait du Blocus, la crise ne touchait que la Catalogne, commerçante et industrielle, Valence et Cadix; elle n'interrompit nullement l'essor démographique d'un pays passé de 9 millions d'habitants en 1765 à 12 millions d'habitants en 1808. Vitalité qui devait démentir l'optimisme de Napoléon quant aux facilités de conquête de la péninsule. Deuxième erreur : le sentiment que, dans cette guerre, la France était derrière l'Empereur. Les campagnes de 1805 et de 1806 lui avaient été imposées ; elles s'inscrivaient dans la logique des guerres révolutionnaires, aussi avaient-elles été acceptées par l'opinion. En Espagne, il en allait différemment; pour la première fois intervenait un facteur inconnu depuis 1789 : l'intérêt dynastique. Aux Bourbons étaient substitués les Bonaparte : tel était en définitive l'enjeu du combat. Napoléon pouvait penser qu'une telle substitution serait bien accueillie en France : outre la mainmise éventuelle sur les richesses espagnoles, c'était introduire dans un pays soumis à un régime rétrograde les idées nouvelles de 1789; c'était placer l'Espagne dans la mouvance française, l'intégrer au système continental. En réalité, même Bordeaux fit grise mine. A l'exception de quelques milieux d'affaires attirés par les laines espagnoles et les mines américaines, et vite désabusés, l'opinion accueillit avec froideur, même dans le Midi, si l'on en croit les rapports des préfets sur l'esprit public, l'aventure espagnole. L'idée des frontières naturelles était trop profondément ancrée dans les esprits : les notables considérèrent avec inquiétude l'intervention au-delà des Pyrénées. Ce fut l'un des premiers signes de rupture entre Napoléon et la bourgeoisie française. LA POLITIQUE EXTÉRIEURE DE GODOY Signataire de la paix de Bâle qui mit fin en 1795 à la guerre entre l'Espagne et la France, Godoy, auquel avait été attribué le titre de « prince de la Paix », orienta son pays dans la voie d'un rapprochement avec la République. Par le traité de Sainte-Ildefonse, l'Espagne devenait en 1796 l'alliée de la France. Alliance que le Consulat n'eut garde de négliger. Ambassadeur en Espagne, Lucien Bonaparte s'efforça de détacher Madrid du Portugal, bastion économique de l'Angleterre sur le continent. Godoy, nommé général des troupes espagnoles, envahit le territoire de son voisin dont il écrasa l'armée avant toute intervention anglaise. Déjà la bourgeoisie de Cadix donnait des signes de lassitude : elle accueillit avec enthousiasme la paix d'Amiens. La longue interruption du commerce avec les colonies venait de ruiner les finances espagnoles : le papier-monnaie avait subi une dépréciation de 70 pour 100. Aussi lorsque reprit le conflit franco-anglais, Godoy chercha-t-il à rester en dehors de la guerre. Le 19 septembre 1803, Bonaparte dut écrire une lettre menaçante à Charles IV, lui découvrant « le gouffre immense ouvert par l'Angleterre sous le trône que la dynastie espagnole occupe depuis cent ans » et lui révélant les intrigues de Godoy, « véritable roi d'Espagne ». L'avertissement fut entendu et la flotte espagnole participa aux opérations maritimes de la France jusqu'au désastre de Trafalgar. Estimant que la fortune avait désormais abandonné Napoléon, Godoy appela les Espagnols aux armes contre un ennemi qu'il ne nommait pas mais qu'il était facile d'identifier. N'offrait-il pas à la coalition de tenter une manœuvre de diversion sur les Pyrénées et n'ouvrait-il pas des négociations avec Londres après la prise de Buenos Aires par une escadre britannique ? La défaite de la coalition révéla au Premier ministre l'étendue de son erreur. Erreur commise précédemment par les Bourbons de Naples qui, violant leur traité de neutralité avec la France, accueillirent une armée anglo-russe. Le Portugal, de son côté, continuait à subir, de manière souvent plus apparente que réelle, l'emprise économique de l'Angleterre : 354 navires, battant pavillon britannique, pénétraient dans ses ports en 1806. La « neutralité » du Portugal, source d'approvisionnement pour la France en denrées coloniales, cessait de paraître avantageuse. Autant de motifs pour Napoléon de resserrer son emprise sur les États méditerranéens. Les premiers frappés furent les Bourbons de Naples. D'un trait de plume, Napoléon les détrônait par une proclamation datée du 27 décembre 1805 : « La dynastie de Naples a cessé de régner : son existence est incompatible avec le repos de l'Europe et l'honneur de ma couronne. » Élevé au rang de souverain, Joseph Bonaparte s'empara sans difficultés de son royaume abandonné par Marie-Caroline et Ferdinand IV qui trouvèrent refuge en Sicile. Il fallut toutefois pacifier la Calabre, et le détroit de Messine ne put jamais être franchi. Napoléon se retourna ensuite contre le Portugal qui refusait d'appliquer le Blocus. Dès octobre 1806, Napoléon avait déclaré à l'ambassadeur espagnol : « Je compte sur l'Espagne pour réduire le Portugal à mon système. » En janvier 1807 il précisait ses intentions : « frapper les Anglais dans leur commerce avec le Portugal ». Beaucoup d'Espagnols étaient hostiles à cette intervention, ils pensaient — et les travaux récents des historiens portugais ont confirmé leurs vues — qu'il ne fallait pas surestimer la part de la Grande-Bretagne dans le commerce portugais et que l'occupation du Portugal provoquerait la mainmise des Anglais sur le Brésil et à court terme sur l'Espagne. Quant à Godoy, en revanche, il poussait l'Empereur à intervenir contre le royaume de Bragance dans l'espoir d'en obtenir une principauté lusitanienne. Par le traité de Fontainebleau fut décidé en octobre 1807 le partage du Portugal ; le Sud serait attribué à Godoy, le Nord à la reine d'Étrurie (dont Napoléon envisageait l'annexion des possessions italiennes), le Centre avec la capitale était réservé. Junot, à la tête de vingt-cinq mille hommes, fut lancé contre Lisbonne dont il s'empara le 30 novembre 1807. La famille royale s'enfuit au Brésil après avoir fermé trop tard les ports au commerce anglais pour apaiser Napoléon. Junot à Lisbonne ne chercha pas, malgré les sollicitations des libéraux et des Franco-Portugais, comme l'industriel Ratton, à introduire des réformes. Bien que Napoléon lui eût prescrit d'appliquer le Code civil dans le royaume, Junot ne bougea pas et se contenta de former une légion portugaise. Espérait-il devenir le souverain de la partie centrale du Portugal ? On l'a prétendu, mais sans preuves. Son impéritie a compromis en tout cas les chances françaises. Mais en sacrifiant les royaumes d'Étrurie et du Portugal à ses convoitises personnelles, Godoy avait ouvert les portes de l'Espagne aux armées de Napoléon. LE GUET-APENS DE BAYONNE La facilité avec laquelle il avait détrôné les Bourbons de Naples ne pouvait qu'inciter Napoléon à recommencer à Madrid. Sous prétexte de préserver le Portugal d'une action militaire de l'Angleterre, les troupes françaises s'infiltraient en effet sans difficulté dans la péninsule. Napoléon était même sollicité par la cour d'intervenir dans les affaires espagnoles. L'infant Ferdinand, prince des Asturies, sous l'influence de son précepteur, le chanoine Escoigniz, méditait le renversement de Godoy. Encouragé par l'ambassadeur de France, il proposa à Napoléon, dans une lettre du 11 octobre 1807, d'épouser une princesse de la famille de l'Empereur en échange de son appui contre le favori. Découvrant « le complot de l'Escurial », Godoy décidait Charles IV à faire arrêter son fils. Celui-ci implora la clémence paternelle : « Sire, mon papa, j'ai fauté... » écrivait-il à Charles IV qui, de son côté, dénonçait à Napoléon « cet attentat si affreux » et le priait de l'aider de ses conseils. La révolte d'Aranjuez fournit à l'Empereur l'occasion d'intervenir. Le 17 mars 1808, une émeute, née de la combinaison d'une intrigue aristocratique et du mécontentement du peuple choqué par l'immoralisme de Godoy, provoqua la chute du favori et l'abdication de Charles IV. D'après les souvenirs de Champagny, le soulèvement d'Aranjuez changeait non les vues de l'Empereur qui étaient de faire servir l'Espagne à accroître la puissance de la France, mais la marche qu'il se proposait de suivre pour la réaliser. Son premier dessein avait été de renverser le prince de la Paix, ce qui eût été très agréable au peuple espagnol et de gouverner à sa place par des hommes de son choix : la révolte d'un fils contre son père parut lui offrir un prétexte plus spécieux et devoir le conduire à un plus grand résultat. Charles IV ayant protesté contre les violences dont il avait été l'objet, Napoléon convoqua la famille royale à Bayonne pour arbitrer le conflit entre le père et le fils. Nulle résistance ne se manifesta chez les princes, mais l'opinion espagnole fut choquée de voir un souverain étranger régler les affaires nationales. Le 2 mai 1808 quand on voulut mettre en voiture le plus jeune fils de Charles IV pour l'envoyer à Bayonne, éclata une émeute durement réprimée par Murat: le « Dos » et le « Très » de Mayo immortalisés par Goya. Trois cents morts environ. La nouvelle parvint à Bayonne; elle aurait dû alerter Napoléon, attirer son attention sur l'exaspération du sentiment national dans la péninsule. Napoléon se contenta d'en jouer pour terroriser les Bourbons. Au terme d'une scène violente, Ferdinand rendit sa couronne à son père et le vieux roi abdiqua à son tour en faveur de « son ami, le grand Napoléon ». L'Empereur ne souhaitait pas la couronne pour lui-même, il l'avait offerte à son frère Louis qui la refusa, Joseph dut l'accepter à contrecœur le 6 juin. Murat qui avait cru travailler pour lui à Madrid se contenta avec mauvaise grâce de Naples. Pour régulariser l'opération, du 15 juin au 7 juillet, se tint à Bayonne une junte de notables qui élabora une « constitution » sur le modèle français et proclama abolis la torture et les majorats, laissant en place la noblesse et l'Inquisition. Plus tard à Sainte-Hélène, Napoléon avouera : « J'embarquais fort mal cette affaire, je le confesse ; l'immoralité dut se montrer par trop latente, l'injustice par trop cynique et le tour demeure fort vilain, puisque j'ai succombé. » Quelles raisons ont poussé Napoléon à s'engager dans un tel guêpier? On a invoqué le mépris des Bourbons qui l'ont trahi à Naples et à Madrid. « Ce sont mes ennemis personnels », dit-il à Metternich. On a rappelé la fascination exercée sur son esprit par Louis XIV : La couronne d'Espagne, confiait l'Empereur, a appartenu depuis Louis XIV à la famille qui régnait sur la France et on n'a pas pu regretter ce que l'établissement de Philippe V a coûté de trésors et de sang car il a seul assuré la prépondérance de la France en Europe. C'est donc une des plus belles portions de l'héritage du grand Roi, et cet héritage, l'Empereur doit le recueillir tout entier ; il n'en doit, il n'en peut abandonner aucune partie. Cet impératif de sa politique dynastique (placer les membres de sa famille sur les trônes de l'Europe) a pesé d'un poids aussi lourd dans l'esprit de Napoléon que les nécessités de la lutte contre l'Angleterre qui l'obligeaient à s'assurer de la fidélité de l'Espagne mais non à la conquérir. Faut-il également invoquer l'attrait des richesses prêtées à l'Espagne dont Talleyrand aurait fait une description exagérée pour détourner Napoléon de l'Autriche ? Obtenir davantage d'argent (le mythe de l'opulence ibérique fondée sur les piastres d'Amérique) et de navires (le souvenir de l'Invincible Armada), tel fut le but recherché par Napoléon. Les complicités que l'Empereur escomptait du côté des afrancesados, partisans de réformes libérales, ont pu lui faire songer qu'un renversement de dynastie ne poserait aucun problème. « Cette nation était mûre pour de grands changements et les sollicitait avec force; j'y étais très populaire », déclarait encore Napoléon à Las Cases plusieurs années après. Le raisonnement de Napoléon n'était pas entièrement faux. Le soulèvement n'a été l'œuvre ni des Bourbons (Ferdinand fit à plusieurs reprises des offres de service à Napoléon), ni des conseils, ni des classes éclairées favorables à l'introduction des réformes. La résistance est surtout venue des milieux populaires et de l'Église. Elle fut moins le résultat d'un sursaut patriotique que d'une réaction sociale née d'une crise économique (le Blocus continental, en gênant le trafic colonial, portait gravement atteinte aux intérêts de l'Espagne) et d'une volonté du clergé espagnol et des grands propriétaires de s'opposer aux changements que souhaitaient introduire les partisans de la France. Il n'en reste pas moins que la fierté nationale a également joué un rôle déterminant. L'arrogance et la déloyauté des Français, dénoncées violemment par Cevallos dans l'Exposé des moyens employés par l'Empereur Napoléon pour usurper la couronne d'Espagne, soulevèrent les masses populaires. Le coup d'État de Bayonne heurta, par sa brutalité et son mépris de la nation espagnole, de nombreux afrancesados eux-mêmes, qui voyaient déjà en Napoléon un néo-despote trahissant les idéaux de la Révolution. Que la junte se fût tenue à Madrid et non à Bayonne, que l'on eût renvoyé Charles IV et gardé Ferdinand, la révolution eût été populaire et les affaires eussent pris une autre tournure, remarquait Las Cases devant Napoléon à Sainte-Hélène. Parmi les Josefinos, ne relevait-on pas l'élite intellectuelle et politique de l'Espagne : Azanza, O'Farril, Cabarrus, Urquijo, Moratin — le délicat auteur du Oui des jeunes filles — ou Goya qui après avoir peint Charles IV devait faire le portrait de Joseph sans trouble de conscience ? En revanche, d'autres, moins nombreux, Jovellanos ou Quintana, rejoignirent les patriotes, refusant des réformes imposées de l'extérieur. LA RÉSISTANCE ESPAGNOLE En quelques semaines se constitua en Espagne une armée insurrectionnelle de cent mille hommes formée surtout de paysans et d'artisans encadrés par des soldats de métier. « Personne n'ignore que c'est le peuple dans sa partie la moins instruite qui décida de la guerre », observe avec dédain un afrancesado, Reinoso. Les grands, les riches, les autorités civiles, tous ceux qui craignaient le désordre étaient prêts à se rallier à Joseph. Quelques exécutions décidées par la justice populaire ralentirent leur zèle pro-français, mais ils ne se mêlèrent que rarement à la guérilla qui fut dirigée par des chefs de condition modeste, « le Manchot », « l'Empoissé », « Trois Poils ». Oviedo se souleva le 24 mai, Saragosse le 25 (elle devait résister de longs mois, sous le commandement de Palafox), la Galice le 30, la Catalogne le 7 juin. Encouragée par le cabinet de Londres, soucieux d'éviter l'éclatement de la résistance à la faveur du particularisme local, une junte nationale, dont l'ancien ministre Jovellanos devait prendre la tête, se réunit à Séville, puis à Cadix : elle déclara la guerre à la France au nom de Ferdinand VII. Joseph ne put entrer à Madrid, le 20 juillet 1808, qu'après la victoire remportée par Bessières à Medina del Rio Seco, six jours auparavant. Bien que le Pays basque, la Castille et la Catalogne aient été repris, sans difficultés graves, le nouveau roi, de sa capitale, qui lui avait réservé un accueil glacial, adressait des lettres pessimistes à Napoléon. Celui-ci se refusait encore à envisager toute possibilité de résistance sérieuse, lorsque parvint la nouvelle que le général Dupont, qui dirigeait les opérations en Andalousie, avait été cerné par les Espagnols au débouché de la Sierra Morena et que ses hommes — de jeunes conscrits pour la plupart, mourant de faim et de soif, avaient dû se rendre à Baylen le 22 juillet 1808. Ce n'était pas la première fois que les troupes napoléoniennes étaient battues en rase campagne. Reynier avait été défait par Stuart en Calabre, le 4 juillet 1806, mais il avait su par une habile retraite limiter les conséquences de son échec. En revanche Baylen ouvrait la route de Madrid aux insurgés. « Nous sommes français, nous respirons encore, et nous ne sommes pas vainqueurs », écrit l'un des vaincus de Baylen, Maurice de Tascher. Affolé, Joseph quittait Madrid et se réfugiait à proximité de la frontière. C'est une guerre nouvelle que découvraient les Français. Elle les surprenait par l'explosion de haine dont ils devenaient l'objet. De la « soldatesque » française, les Espagnols disaient : « Ils pissent devant les femmes Et après la digestion Font l'explosion Por el organo del culo. » Lannes s'inquiétait : « Le siège de Saragosse ne ressemble en rien à la guerre que nous avons faite jusqu'à présent. » Le mouvement de résistance gagnait le Portugal où débarquait, à l'appel d'une junte établie à Porto, un contingent anglais de seize mille hommes commandés par Wellesley, le futur duc de Wellington. Junot prit le parti de l'attaquer, mais victime de son infériorité numérique, échoua à Vimeiro. Le 30 août, il signait la convention de Cintra qui prévoyait que les Français seraient rapatriés avec les Portugais qui s'étaient compromis en faveur de la France. Enhardis, les Anglais effectuaient une descente en Galice, où ils bénéficiaient de la complicité de la population. Ces désastres, surtout celui de Baylen, firent sensation en Europe; ils mettaient fin à la légende d'invincibilité de la Grande Armée. En réalité celle-ci était restée en Allemagne et les troupes vaincues étaient essentiellement formées de conscrits, de marins et de contingents étrangers. Mais la propagande anglaise s'empara aussitôt de la nouvelle et sur les côtes de France furent débarqués par la flotte britannique des ballots de libelles annonçant la défaite de Dupont. En Prusse, le parti patriote accéléra les réformes ; l'Autriche qu'avait bouleversée le détrônement des Bourbons d'Espagne reprit ses armements. Chez les alliés de Napoléon, c'était l'inquiétude. Du roi de Bavière, Stadion écrivait : « L'on s'aperçoit en toute occasion de la peine qu'il a de ne pas faire éclater ses sentiments sur l'indignation que lui cause l'anéantissement de cette dynastie et sur le retour qu'il fait lui-même sur sa propre situation incertaine et dépendante. » L'ENTREVUE D'ERFURT Il devenait impossible pour Napoléon de négliger la péninsule Ibérique. Mais faire passer la Grande Armée de l'Allemagne en Espagne risquait de faire le jeu de l'Autriche qui aspirait à une revanche. Il fallait confier à l'allié russe la mission de surveiller Vienne. Les deux souverains convinrent de renouveler leur rencontre de Tilsit en se retrouvant à Erfurt, petite enclave provisoirement française en Thuringe. Le contentieux était lourd. Les conseillers d'Alexandre souhaitaient l'évacuation de la Prusse par les troupes françaises pour ôter à Napoléon une base militaire contre leur pays. En principe cette évacuation avait été fixée au 1er octobre 1808, mais Napoléon ayant besoin d'argent s'efforçait de récupérer la majeure partie de l'indemnité imposée à la Prusse en utilisant la pression militaire : aussi retardait-il le départ de ses troupes. En Orient, le projet de démembrement de l'Empire turc butait sur le problème de Constantinople que Napoléon ne souhaitait pas abandonner à Alexandre. Celui-ci accusait les Français de ne rien faire pour lui faciliter l'occupation de la Finlande et il commençait à trouver que son partenaire tirait de leur alliance tous les avantages qu'il pouvait escompter sans rien concéder en contrepartie. Que finalement Napoléon ait accordé à la Prusse l'évacuation de son territoire moyennant une contribution de 140 millions et l'engagement que l'armée prussienne ne dépasserait pas quarante-deux mille hommes, ne suffit pas à détendre les relations entre les deux alliés. A Erfurt, Napoléon se présentait comme demandeur : il lui fallait déployer toutes ses séductions. Aussi la cour et la Comédie-Française furent-elles du voyage. Écarté des Relations extérieures depuis le 9 août 1807, Talleyrand eut la surprise d'être rappelé de Valençay où il avait été transformé en geôlier des princes espagnols. Napoléon lui exposa ses desseins : « Nous allons à Erfurt, je veux en revenir libre de faire en Espagne ce que je voudrai ; je veux être sûr que l'Autriche sera inquiétée et contenue et je ne veux pas être engagé d'une manière précise dans les affaires du Levant. Préparez-moi une convention qui contente l'empereur Alexandre, qui soit surtout dirigée contre l'Angleterre et dans laquelle je sois bien à mon aise ; pour tout le reste, je vous aiderai, le prestige ne manquera pas. » Talleyrand prépara le projet; Napoléon y ajouta deux articles. Le premier prévoyait qu'il établirait lui-même les causes qui devraient déterminer l'entrée en guerre de la Russie contre l'Autriche ; le second décidait l'envoi immédiat de troupes russes à la frontière autrichienne. Dans ces deux clauses tenait l'enjeu de l'entrevue d'Erfurt. Napoléon arriva le premier, le 27 septembre 1808. Toutes les têtes couronnées de la Confédération du Rhin se pressaient dans la ville : « un parterre de rois », dit-on, ou plus exactement « une platebande », rectifia un ironiste. Alexandre ne fut nullement impressionné par ce déploiement de faste : ses dispositions à l'égard de Napoléon évoluaient. Si l'on en croit les Mémoires de Metternich, Talleyrand se chargea de souffler sur le feu. Habile à sentir le vent, l'ancien ministre des Relations extérieures se faisait le porte-parole d'une bourgeoisie rendue inquiète par l'impérialisme napoléonien apparemment sans frein et générateur de guerres interminables. Dès lors, poussé par Talleyrand qui faisait ainsi consciemment le jeu de l'Autriche, Alexandre refusa d'accepter les deux articles proposés par Napoléon. Ils ne figurèrent pas dans la convention signée le 12 octobre, et Talleyrand en avertit aussitôt le cabinet de Vienne. Assurée de la neutralité russe, l'Autriche se résolut à déclencher les hostilités au printemps. Sur un autre point, Napoléon échoua également. Il aurait souhaité obtenir la main de l'une des sœurs du tsar et chargea Talleyrand de sonder Alexandre. « J'avoue, a confié l'ancien ministre, que j'étais effrayé pour l'Europe d'une alliance de plus entre la France et la Russie. A mon sens, il fallait arriver à ce que l'idée de l'alliance fût assez admise pour satisfaire Napoléon et à ce qu'il y eût cependant des réserves qui la rendissent plus difficile. » Préparé par Talleyrand, Alexandre se limita devant Napoléon à des propos généraux destinés à gagner du temps. Mais un mois plus tard, Caulaincourt annonçait à l'Empereur les fiançailles de la grande-duchesse Catherine avec le prince d'Oldenbourg ; l'autre sœur du tsar, Anne, n'avait encore que quatorze ans. Pour obtenir un résultat positif à Erfurt, Napoléon aurait dû offrir Constantinople au tsar. Il ne put s'y résigner. Dès lors la convention signée le 12 octobre ne concerna que des points secondaires : au tsar furent accordées la Finlande et les provinces roumaines de Moldavie et de Valachie; en retour l'article 10 prévoyait que « dans le cas où l'Autriche se mettrait en guerre contre la France, l'empereur de Russie s'engageait à se déclarer contre l'Autriche et à faire cause commune avec la France ». Mais une telle assurance restait vague, Alexandre ayant refusé les clauses précises proposées par Napoléon. Ainsi une lettre menaçante adressée à l'empereur d'Autriche ne fut signée que de Napoléon, Alexandre se contentant de « conseiller » au représentant autrichien, le baron Vincent, de ne pas tenter une nouvelle fois le sort des armes. Le 14 octobre, les deux souverains se séparaient. L'entrevue d'Erfurt se terminait sur un échec diplomatique pour Napoléon. Pourtant rien n'était encore perdu pour lui s'il parvenait à résoudre rapidement le problème espagnol, de manière à ramener la Grande Armée sur le Danube au printemps. NAPOLÉON EN ESPAGNE Le 29 octobre 1808, Napoléon quittait Paris à la tête de cent soixante mille hommes répartis en sept corps d'armée confiés à Lannes, Soult, Ney, Victor, Lefebvre, Mortier et Gouvion Saint-Cyr. La Garde était du voyage. Quelques rencontres suffirent à Napoléon pour s'ouvrir la route de Madrid. Le défilé de Somosierra fut forcé par les chevau-légers polonais le 30 novembre, et Madrid tombait le 4 décembre. Deux jours auparavant, Napoléon avait pris des mesures destinées à lui assurer l'appui des libéraux : suppression de l'Inquisition, des droits féodaux, des douanes intérieures, d'un tiers des couvents. Mais la première partie de la campagne avait montré les faiblesses des maréchaux français. Ainsi Lefebvre et Victor qui se jalousaient laissèrent échapper, faute de coordination, l'armée de Galice; de même Ney, privé de l'appui de Lannes, ne put écraser l'armée du centre. Un nouvel esprit apparaissait dans les rangs des soldats : le 22 décembre, au passage de la Sierra Guadarrama, par un temps épouvantable, la troupe murmura et refusa d'avancer. Napoléon fut contraint de descendre de cheval pour donner l'exemple. Parvenue à Paris, la nouvelle de cette insubordination y fit sensation. Fouché la mentionna, non sans arrière-pensée, dans son bulletin du 18 janvier 1809. Cependant le général anglais Moore qui avait regroupé ses forces marchait sur Burgos afin de couper les communications des Français. A son tour Napoléon tenta de prendre les Anglais à revers, mais sa manoeuvre fut contrariée par le mauvais temps et l'absence de renseignements. Napoléon était à Astorga le 1er janvier, lorsque lui parvint un volumineux paquet de dépêches. Après les avoir lues, Napoléon suspendit la poursuite des Anglais et annonça qu'il séjournerait quelques jours à Astorga. Le 3, il se décidait à rentrer à Paris et abandonnait le commandement à Soult qui, malgré les victoires de Lugo, le 7, puis de La Corogne, le 16, ne put empêcher les Anglais de rembarquer. Quelles nouvelles avaient incité Napoléon à quitter subitement l'Espagne au moment où il lui restait encore à atteindre Lisbonne et Cadix? D'après Pasquier, généralement bien informé : Napoléon n'avait pu ignorer longtemps que les armements de l'Autriche continuaient avec une activité qui annonçait des projets fort sérieux. Il avait été enfin informé que, cédant aux instigations de l'Angleterre, elle se disposait à profiter de son éloignement pour franchir les frontières, envahir la Bavière, porter la guerre sur les bords du Rhin et opérer ainsi la délivrance de l'Allemagne. L'occasion était belle pour tenter une si grande entreprise. Tout en effet s'ébranlait dans les États de l'Autriche lorsque Napoléon accourut pour faire face à ce nouveau péril. Ce moment dans sa vie est un de ceux où son âme a dû être en proie aux plus vives agitations. Pasquier mentionne une autre raison au retour précipité de Napoléon : « Les intrigues qui s'agitaient au sein de son gouvernement », et plus particulièrement le rapprochement entre Talleyrand et Fouché, précédemment brouillés. « Ce qu'il y eut d'étonnant dans cet accord inattendu, note Pasquier, ce fut l'éclat que deux personnes, qui auraient dû être si prudentes, jugèrent à propos de lui donner. Il fallait ou qu'elles se crussent bien fortes par leur union ou qu'elles se tinssent bien assurées de la perte de l'Empereur. » Comme à la veille de Marengo, les deux complices auraient envisagé la possibilité d'une disparition de Napoléon et songé à lui substituer Murat. De telles intrigues trahissaient la lassitude de l'entourage impérial et l'inquiétude des notables devant l'incessant rebondissement des guerres. LES CARACTÈRES DE LA GUERRE D'ESPAGNE En quittant l'Espagne, Napoléon laissait une situation meilleure qu'à son arrivée : la capitale avait été reprise, le contingent anglais chassé et Saragosse, au terme d'un siège de trois mois où périrent quarante mille personnes, tombait le 20 février 1809. Mais ces succès ne mettaient pas fin à la guerre d'Espagne. Guerre confuse dont les cruautés ont peut-être été exagérées par l'imagination populaire. Elle fut rendue difficile pour les troupes françaises par les conditions naturelles, les difficultés d'approvisionnement dans un pays pauvre qui n'arrivait déjà pas en temps normal à nourrir sa population, et la guérilla que menait contre les colonnes isolées ou les convois un peuple fanatisé par une propagande religieuse et xénophobe. Les vengeances individuelles, les antagonismes sociaux et régionaux, le caractère passionné du peuple espagnol privaient le conflit de tout caractère rationnel. L'erreur de Napoléon fut de raisonner dans le cas de l'Espagne comme s'il y avait eu des similitudes avec la France de 1789. Les réformes que lui-même ou son frère Joseph introduisirent en Espagne ne pouvaient leur assurer la sympathie que d'une fraction de la bourgeoisie, la plus éclairée, celle des jeunes officiers et de quelques ecclésiastiques hostiles à l'Inquisition. Et parmi ces afrancesados, combien de fonctionnaires soucieux de garder leur situation ou de fournisseurs aux armées intéressés par les énormes bénéfices que leur procurait la guerre! Erreur également, la tentative de réveil des particularismes locaux pour diviser l'ennemi. Augereau fait vainement imprimer des journaux en langue catalane où sont repris les vieux thèmes autonomistes. En revanche la dispersion des centres de résistance déroute les maréchaux de Napoléon habitués aux combats en rase campagne contre un unique adversaire. Pour la première fois était mise en échec la conception napoléonienne de la guerre-éclair, fondée sur des opérations contraignant rapidement l'ennemi à négocier. L'armée française s'enlisa dans la péninsule sans pouvoir remporter de victoires décisives. L'Empire se trouvait ainsi dégarni en soldats; il fallut appeler davantage de conscrits. En 1809 était levée par anticipation la classe de 1810; non sans résistance ; les rapports de Fouché signalaient plusieurs manifestations contre la guerre dès 1808 à Bordeaux et à Paris. Et Metternich écrivait le 4 décembre 1808 : « Les forces militaires de la France se sont réduites de moitié depuis l'insurrection en Espagne. » Devenue longue, la guerre avait cessé de « payer ». Dans son pamphlet Napoléon administrateur et financier, qu'il publia en 1812, l'économiste genevois Francis d'Ivernois mettait en lumière les conséquences financières des opérations d'Espagne. Jusqu'en 1809, Napoléon n'avait poursuivi sa carrière triomphante qu'en se servant des dépouilles d'un ennemi vaincu pour en attaquer d'autres, afin de les dépouiller à leur tour. Si l'on excepte son incursion dans la péninsule espagnole, toutes les précédentes furent si courtes et tellement productives qu'après s'y être remboursé par la victoire des frais de chaque campagne, il en était toujours revenu avec un trésor qui l'avait aidé à équiper l'année suivante ses conscrits et à les entretenir en France jusqu'à leur arrivée sur le territoire étranger. Mais en les jetant au-delà des Pyrénées, il s'est jeté dans une entreprise tellement coûteuse qu'au lieu d'en tirer à chaque campagne 250 millions de francs, il se voit condamner à y débourser des sommes aussi fortes, ce qui tout à coup change l'événement du gain à la perte, des recettes à la dépense. Enfin la guerre d'Espagne a sauvé l'Angleterre de la crise économique en creusant une brèche dans le Blocus continental. L'insurrection n'a pas seulement affaibli le système côtier installé par Napoléon en Europe, en attirant les armées françaises dans la péninsule, laissant ainsi le champ libre à une contrebande que la pénurie et la hausse des denrées coloniales sur le continent ne pouvaient que stimuler, elle a également rouvert aux exportateurs britanniques les ports d'Espagne et leur a offert le vaste marché des colonies d'Amérique qu'ils convoitaient depuis longtemps. Dès juillet 1808 les relations commerciales avaient repris entre l'Angleterre et les provinces insurgées; interrompues pendant la campagne de Napoléon, elles se développèrent considérablement en 1809, permettant l'écoulement d'importants stocks d'articles manufacturés. L'ouverture des colonies espagnoles d'Amérique, ralliées à Ferdinand VII, fut plus lente mais non moins importante pour les exportations anglaises. D'Ivernois observait, dans un pamphlet de 1809 intitulé Les effets du Blocus continental sur le commerce, les finances, le crédit et la prospérité des Iles britanniques, que le Blocus aurait pu être efficace si « dans le temps même où le gouvernement français prenait des mesures si violentes pour fermer aux Iles britanniques les marchés de l'Europe, il n'en avait pas prises de plus violentes encore pour leur ouvrir ceux de l'Amérique méridionale ». Les conséquences de la guerre d'Espagne ont donc été désastreuses pour Napoléon. Il reconnaissait à Sainte-Hélène «Cette malheureuse guerre d'Espagne a été une véritable plaie, la cause première des malheurs de la France. » Elle contribua surtout à détacher de l'Empereur la bourgeoisie et davantage encore les milieux populaires frappés par une conscription de plus en plus avide. La légende de « l'Ogre est née en 1809 des levées rendues nécessaires par les opérations dans la péninsule Ibérique. Et comment ne pas voir dans ce colosse qui menace une foule d'êtres humains et d'animaux sur l'une des toiles les plus célèbres de Goya, peinte entre 1808 et 1809, Napoléon lui-même? NOTES SOURCES : Archives des Affaires étrangères (Espagne), série AFIV des Archives nationales, Archivo historico nacional de Madrid et Public Record Office de Londres. Les traités sont reproduits par J. de Clercq (1880). Nombreux Mémoires : Abrantès, Azanza (1815), Escoiquiz (Memorias, 1915), Bacler d'Albe (planches importantes dans le t. II, 1892), Belliard, Bigarré (l'entourage de Joseph à Madrid), Billon, Blayney (prisonnier de guerre anglais), Blaze (1828, pharmacien dans le service de santé), Brun, Bugeaud (Correspondance par Ideville, reprise dans J. Bris-son, Bugeaud, soldat de Napoléon, 1975), Chevillard (La Revue de paris, 1906), Chlapowski, Clermont-Tonnerre (L'expédition d'Espagne, 1808-1810, 1983), Coignet, Daudebard (Saragosse, témoignage publié en 1812), Dellard, Delrœux (Baylen et Cabrera), Duhesme, Fantin des Odoards, Fée (Souvenirs de la guerre d'Espagne, 1856, excellents), Fleuret, Godoy (Mémoires du prince de la Paix, traduits par Esménard, 1836), Gouvion Saint-Cyr, Grivél, Guitard (1934), d'Hautpoul, Hugo (éd. Guimbaud, 1934), Hulot (1886), Jomini (Guerre d'Espagne. 1892), Jovellanos (Diarios), Joseph Bonaparte (Mémoires, t. IV-VIII), Jourdan, Lavaux, Lawrence (le point de vue d'un grenadier anglais), Lejeune, Marbot, Marmont, Masséna, Miot de Melito (fondamental pour l'entourage de Joseph), Manière (Somo-Sierra et le siège de Cadix), Palafox (Autobiografia), Martins Pamplona (Aperçus nouveaux sur les campagnes des Français au Portugal, 1818), Ratton, Rocca (Mémoires sur la guerre des Français en Espagne, 1814), Saint-Chamans, Soult, Suchet, Talleyrand, Maurice de Tascher (1933, excellents), Thiébault, Vedel (1828, plaidoyer pour Baylen), Vigo-Roussillon (La Revue des Deux-Mondes, 1890-1891). Les mémoires historiques de Pradt sont très suspects (1816). Mais le Voyage pittoresque et historique en Espagne (1807-1818) ainsi que l'Itinéraire descriptif par A. de Laborde sont très intéressants. On ne peut ignorer ni le Catéchisme espagnol ni le Mémoire de Cevallos qui comptent parmi les plus importants pamphlets inspirés par la guerre d'Espagne. Plusieurs sont reproduits dans Beauchamp, Mémoires relatifs aux Révolutions d'Espagne, 1824. La connaissance de l'œuvre de Goya, notamment des Désastres de la guerre, est indispensable. Le beau roman de Paul Morand, Le Flagellant de Séville, a su reconstituer l'état d'esprit d'un afrancesado. Le texte de la Constitution de Bayonne est donné par P. Conrad dans une édition critique (1909) ; la correspondance de La Forest, ambassadeur de France en Espagne, 1808-1813, a été publiée en 1905-1907 par G. de Grandmaison. Les dépêches de Wellington figurent dans l'édition des Dispatches, t. VI (1834). Documents sur l'entrevue de Bayonne dans A. Savine, L'Abdication de Bayonne (1908). OUVRAGES : Les origines de l'affaire espagnole ont été magistralement éclaircies par A. Fugier, Napoléon et l'Espagne, 1799-1808 (1930). On peut compléter par les pages de Miguel Artola dans le tome XXVI de la Historia de España dirigée par Menéndez Pidal et l'introduction de M. Poniatowski à Clermont-Tonnerre, L'expédition d'Espagne, (1983). La personnalité de Godoy qui joua le rôle d'apprenti sorcier est jugée avec plus d'indulgence par les Français (Desdevises du Dezert, 1895 ; Chastenet, 1961) que par les Espagnols (Corona, Revolución y reacción en el reinado de Carlos IV, 1957 ; Seco Serrano, préface aux Memorias du prince de la Paix, 1956). La situation économique est bien mise en lumière par P. Vilar, La Catalogne et l'Espagne moderne (1962), et R. Herr, The eighteenth century revolution in Spain (1958). Le courant pro-français a été très étudié : l'étude de base est celle d'Artola, Los Afrancesados (1953), que complète Hans Juretschke, Die Franzosenpartei in spanischen unabhanggigkeits Krieg (1961). Consulter sur quelques grandes figures : Demerson, Don Juan Meléndez Valdès et son temps (1962); A. Dérozier, Manuel Josef Quintana et la naissance du libéralisme en Espagne (1968); M. Defourneaux, Pablo de Olavide ou l'afrancesado (1959); Dermigny, « Carrion-Nisas et l'Espagne », 29e Congrès Féd. hist. Languedoc, 1955. Vues intéressantes de CI. Martin, « Les Afrancesados », Écrits de Paris, juin 1965, pp. 68-80. On ne peut négliger J. Sarrailh, l'Espagne éclairée de la seconde moitié du XVIIII siècle (1964). La guerre et ses compléments politiques ont été évoqués dans plusieurs ouvrages : Napier, History of the war in the peninsula ( 13 vol. trad. fr. 1828) ; Oman, History of the peninsula war (7 vol., 1902-1930); G. de Grandmaison; L'Espagne et Napoléon, 3 vol., 1908-1931 (excellent); Grasset, La Guerre d'Espagne, 3 vol., 1914-1932 (étude détaillée des opérations militaires), Balagny, Campagne de l'Empereur Napoléon en Espagne (5 vol., 1902, 1907, nombreux documents); J. Lucas-Dubreton, Napoléon devant l'Espagne (1947); Artola, Las Origines de la España contemporanea (t. I, 1959); J. Thiry, La Guerre d'Espagne (1966); P. Vilar, «L'Espagne devant Napoléon», dans Les Pays sous domination française (1968, pp. 128-158) ; du même, « Quelques aspects de l'occupation et de la résistance en Espagne en 1794 et au temps de Napoléon» dans Occupants-Occupés (1969, pp. 221-252); Charles-Roux, Le Guêpier espagnol (1970); J.R. Aymes, La Guerre d'indépendance espagnole (1973), et une étude sur la guerilla où est mise en lumière l'influence des idées de « la petite guerre » de Grandmaison (Bulletin hispanique 1976). Lovett, Napoleon and the birth of modern Spain (1965) ; Carmigniani et Tranié, La guerre d'Espagne (1978) ; les Espagnols et Napoléon (actes du colloque d'Aix, 1984) ; Glover, Wellington's army in the Peninsula (1977). Y ajouter le Diccionario bibliografico de la guerra de la independencia española (1808-1814) (3 vol., 1944-1952). On peut négliger les ouvrages anciens de Foy, du comte de Toreno et de Gomez de Arteche. Les aspects littéraires et « pamphlétaires » sont bien décrits par L. Trenard, « La résistance espagnole à l'invasion française », 94e Congrès des Soc. sav. (1971, pp. 243-282). Parmi les études particulières : Ducéré, Napoléon à Bayonne (rééd. 1982) ; Perez de Guzman, El 2 de Mayo 1808 (1908, fondamental) ; Titeux, Une Erreur historique ; le général Dupont (3 vol., 1903-1904) et M. Leproux, Le Général Dupont (1934) sont des réhabilitations de Baylen à laquelle Clerc a consacré une étude approfondie (1903). Le siège de Saragosse a inspiré un gros recueil d'études : La Guerra de la Independencia española y los sitios de Zaragoza (1958). Le comportement de Joseph, comme roi d'Espagne, a été bien analysé par P. Gaffarel, «Deux années de royauté en Espagne », Revue des Études napoléoniennes (1919, pp. 113-145), et Girod de l'Ain, Le Roi Joseph (1970). La résistance antifrançaise a varié selon les régions : en Catalogne sévit « la embrolla » (P. Conrad, Napoléon et la Catalogne, 1909), la terreur est la forme d'action de « el Empecinado » (Sanchez Diana, « Burgos en la Guerra de la Independencia », Hispania, 1970). A Cadix la résistance se confond avec la légalité (Solis, El Cadiz de las cortes, 1958). Sur l'action des Anglais : J. Weller, Wellington in the peninsula (1962). Glover, The peninsula war (1974) et Wellington's army (1977, les uniformes et la logistique). Pour les Cortès : A. Fugier, La Junte supérieure des Asturies et l'Invasion des Français (1930). Quant aux mots d'ordre de la résistance : P. Vilar, « Patrie et nation dans le vocabulaire de la guerre d'indépendance espagnole », Annales historiques de la Révolution française (1971). Les problèmes portugais sont inséparables de l'affaire espagnole. Sur les origines diplomatiques : Fugier, « Napoléon et le Portugal jusqu'au traité de Fontainebleau », Bulletin de l'Institut français au Portugal, 1931, pp. 1-5 (met en lumière le double jeu espagnol dans les relations hispano-portugaises), M. Lhéritier, « Napoléon et le Portugal », Congresso do Mundo portugues, vol. VIII, pp. 279-298. Sur la résistance : Silbert, « Le Portugal et l'étranger », dans Patriotisme et nationalisme en Europe à l'époque de la Révolution (1973). Sur les courants francophiles : Daupias d'Alcochete : « La Terreur blanche à Lisbonne, 1808-1810 », Annales historiques de la Révolution française, 1965, pp. 299-331 (étudie le cas d'un manufacturier d'origine française, Ratton, et celui de l'économiste Acursio das Neves); sur les questions économiques : Macedo, O Bloqueio continental Economia e guerra peninsular (1962). Vue générale donnée par J. Godechot, « Le Portugal et la Révolution, 1789-1814 », Arquivos do Centro cultural portuguès, 1974, pp. 279-297. Peu de biographies sur Junot à l'exception d'un livre sommaire de Lucas-Dubreton et de celui plus ancien de Brandao, El rei Junot (1917). Pour l'ensemble du problème portugais, excellente mise au point de Silbert, « Le Portugal devant la politique française », dans Les Pays sous domination française (1968, pp. 193-227). (1968), pp. 193-227). Sur l'opinion portugaise : Daupias d'Alcochete, «Les pamphlets portugais antinapoléoniens » (Arguivos do centro cultural portugeses, 1977). DÉBATS OUVERTS Si l'on a beaucoup étudié le double jeu de Godoy, on a négligé celui de Barca au Portugal jusqu'à l'article de J. de Pins, « Le comte de Barca, 1754-1817 », Revue de l'Institut Napoléon, 1976, pp. 103-140. L'auteur s'attache à montrer qu'il a tenté d'appliquer une politique de neutralité dont il n'avait pas les moyens, mais il sut, à la faveur de l'odyssée brésilienne de la monarchie portugaise (Oliveira Lima, D. Joáo VI no Brasil, 1808-1821, t. I, 1945), redresser une situation personnelle très compromise. Ne fut-il pas l'un des artisans du développement du Brésil ? (N. Daupias d'Alcochete, « Lettres de Jacques Ratton à Araujo de Azevedo, comte de Barca, 1812-1817 », Bulletin des Etudes portugaises, 1964, pp. 137-256, montre comment ses initiatives finirent par inquiéter le cabinet de Londres, malgré le traité anglo-portugais du 19 février 1810.) Les responsabilités de Talleyrand dénoncées par Napoléon dans le Mémorial et réfutées par le prince de Bénévent dans ses Mémoires ont toujours passionné les historiens : d'Henri Welschinger dans « Talleyrand et la guerre d'Espagne » (Comptes rendus de l'Académie des Sciences morales, déc. 1908, pp. 499-510) à André Fugier avec Napoléon et l'Espagne (t. II, p. 316), on a admis que Talleyrand a été constamment hostile à l'Espagne et a approuvé l'établissement de Joseph à Madrid. Aucun nouveau document n'est venu infirmer ce point de vue. La part de Murat dans la décision d'intervenir dans la péninsule n'a pas été moindre. Lié au banquier Michel Jeune, introduit auprès de Godoy, il a cherché une compensation au décevant grand-duché de Berg qui lui avait été attribué. Le comte Murat (Murat, lieutenant de l'Empereur en Espagne, 1897) ne nie pas que Murat ait ambitionné le trône d'Espagne, mais affirme qu'il s'inclina sans difficulté devant Joseph et il le lave de l'accusation de Napoléon : « Murat m'a gâté tout cela. » Cf. aussi le tome V des Lettres de Murat (éd. Le Brethon). J. Tulard (Murat, 1983) a montré que la lettre de Napoléon à Murat du 29 mars 1808 le rendant responsable de l'expédition et de la révolte de Madrid était un faux forgé sous la Restauration pour dégager Napoléon. Marx, dans ses articles du New York Daily Tribune de 1854 réunis dans Revolution in Spain (Londres, 1939), se montre très sévère pour la junte centrale qu'il qualifie de contre-révolutionnaire, et donne indirectement raison aux afrancesados. L. Dupuis a attiré l'attention sur la distinction nécessaire entre l'afrancesamiento culturel et l'afrancesamiento politique qui ne se recouvrent pas (Caravelle, 1963). Même dans l'afrancesamiento politique il y a bien des nuances : une étude comparée des Memorias d'Espoz y Mina (rééd. 1952), d'Azanza et O'Farril (Memoria justificativa, rééd. 1957) et de Reinoso (Examen de los delitos de infidelidad a la patria, 1818) serait révélatrice. Elle n'est qu'ébauchée, mais de façon magistrale, par Artola dans son introduction aux Memorias de tiempos de Fernando VII, et Crawley, « French and english influences in the cortes of Cadiz », Cambridge Historical Journal, 1939, pp. 176-208. Autres sujets de débats : le poids des facteurs économiques dans la « résistance » et la « collaboration ». Les effets du Blocus continental ont été plus limités en Espagne qu'au Portugal : cf. Mercader Riba, « Espana en el bloqueo continental », Estudios de Historia moderna, 1952. Un tableau general de l'économie espagnole au moment de la guerre d'indépendance est donné par Vicens Vives, Historia social y economica de España y America, t. IV, 1957. Artola a mis en lumière les raisons du succès de la guérilla : collaboration de la population civile, connaissance du pays et, considération paradoxale, infériorité numérique (« La guerra de guerillas », Revista de Occidente, 1964). Rapprocher ses vues de celles de J. Godechot, « Caractères généraux des soulèvements contre-révolutionnaires en Europe au début du XIXe siècle », Mélanges Vicens Vives (1967, pp. 169-181), qui insiste sur l'insuffisance générale des effectifs français dans la péninsule. La situation des prisonniers espagnols en France a été étudiée de façon exhaustive par Aymes, La déportation sous le Premier Empire, les Espagnols en France (1983) : il serait intéressant de rapprocher la condition des Espagnols de celle des prisonniers d'autres pays. (La situation des prisonniers français est évoquée plus haut.) Le manque d'effectifs va provoquer l'envoi en Espagne de contingents particuliers : Buttner, « La compagnie de réserve du département de l'Hérault » (Cahiers de Montpellier, n° 5, 1982). Le rôle des maréchaux français serait à préciser ; Soult a-t-il voulu devenir en mars 1809 roi du Portugal comme le prétend Thiebault ? Quelle fut la nature exacte de la conspiration montée contre lui par Loison, Donadieu, etc., révélée par Argenton qui le paya de sa vie. Quant aux problèmes de l'indépendance des colonies espagnoles, outre l'article suggestif de P. Chaunu, « Interprétation de l'indépendance de l'Amérique latine » (Tidas, 1963), amorce des nombreux travaux qui ont suivi sous la plume du même auteur, on consultera J. Godechot, L'Europe et l'Amérique à l'époque napoléonienne, qui donne la bibliographie essentielle. CHAPITRE IV Le réveil des nationalismes Avec la campagne de 1809, Napoléon perd l'initiative : la guerre lui a été imposée par l'Autriche qui jugeait le moment venu de venger Austerlitz. « Si la guerre n'entre pas dans les calculs de Napoléon, elle doit essentiellement entrer dans les nôtres », écrivait le principal dirigeant autrichien, Stadion, qui négociait une alliance avec la Prusse libérée de l'occupation française et escomptait un soulèvement de l'Allemagne du Nord et même des révoltes parmi les souverains de la Confédération du Rhin. Un bouillonnement patriotique agitait Vienne d'où le chantre de « l'idée nationale », Joseph Hormayr, lançait son Plutarque autrichien et Castelli ses Chants de soldats. Cette campagne rencontrait des échos favorables dans une opinion qu'avait retournée l'exécution du libraire Palm, fusillé en 1806, pour avoir diffusé un libelle antifrançais : L'Allemagne dans sa profonde humiliation. L'empereur des Français était rendu responsable de la rupture du précaire équilibre de l'Europe. « Il est des circonstances incompatibles entre elles, notait Metternich ; celle du pouvoir actuel de la France l'est avec la conservation de tout autre trône en Europe. » La propagande antinapoléonienne en Autriche puisait sa principale inspiration dans les pamphlets qui circulaient dans la péninsule Ibérique. Napoléon, au contraire, eût souhaité éviter un conflit au moment où il se trouvait engagé en Espagne et percevait en France des signes de lassitude devant une suite ininterrompue de guerres. Alexandre pouvait empêcher les hostilités avec l'Autriche. De Valladolid, Napoléon lui dépêcha un aide de camp pour lui proposer l'envoi à Vienne de notes identiques que devait suivre la rupture des relations diplomatiques si la réponse du cabinet autrichien n'était pas satisfaisante. Le tsar refusa et Napoléon dut renoncer à son projet. Déjà un demi-échec en Espagne avait porté un coup terrible à son prestige. Le rapprochement habilement mis en scène de Talleyrand et de Fouché, jusqu'alors brouillés, retentissait comme un coup de semonce : les notables prenaient leurs distances. Le nouveau conflit se présentait donc dans de mauvaises conditions. En face de Napoléon l'Autriche en armes et l'Allemagne frémissante; derrière lui l'Espagne insurgée, les Anglais au Portugal et la trahison à Paris ; depuis Marengo, il n'avait pas joué de partie plus difficile. LA CAMPAGNE DE BAVIÈRE Le 8 février 1809 les partisans de la guerre l'emportaient à Vienne en faisant valoir à François Ier que la crise financière imposait de toucher rapidement les subsides anglais promis pour l'entrée en campagne. Le plan initial prévoyait une attaque surprise sur le Rhin destinée à entraîner la Prusse et à susciter des soulèvements nationaux contre les troupes françaises d'occupation. L'archiduc Charles décida finalement de porter l'offensive en Bavière où il espérait soulever la population contre la France. L'archiduc Jean préparait de son côté l'invasion de la péninsule italienne et l'archiduc Ferdinand avait mission d'occuper Varsovie. Le 10 avril 1809 le royaume de Max Joseph de Bavière était envahi. Un appel de l'archiduc à « la nation allemande » rédigé par Schlegel, annonçait : « Nous combattons pour rendre à l'Allemagne son indépendance et son honneur national ». Napoléon paraît avoir été surpris par l'entrée en guerre de l'Autriche qu'il ne prévoyait pas avant la fin d'avril. L'armée d'Allemagne dont il s'était réservé le commandement (la Grande Armée demeurant engagée en Espagne) était devancée par les Autrichiens. « Jamais Napoléon, écrit Savary dans ses Mémoires, n'avait été pris plus au dépourvu. » Grâce au mot d'ordre donné à ces généraux : « activité et vitesse », il devait pourtant redresser rapidement la situation. Les cent vingt-six mille hommes de l'archiduc Charles, après avoir franchi l'Inn et bousculé les troupes bavaroises, furent retardés par la pluie et les difficultés d'approvisionnement. Napoléon arrivait à Donauwoerth le 17 avril au matin. En cinq jours, du 19 au 23, par les batailles de Thann, Abensberg, Landshut, Eckmühl et Ratisbonne où Napoléon fut légèrement blessé au pied, l'archiduc Charles était refoulé. « Soldats, vous avez justifié mon attente, lançait Napoléon dans sa proclamation du 24. Avant un mois nous serons à Vienne. » Les calculs de l'archiduc Charles avaient été déjoués ; les Bavarois n'ayant pas répondu à ses avances. Le ministre de Max Joseph, Montgelas, écrivait à son souverain : Le comte Stadion a pu comprendre l'énorme faute qu'il a faite en acceptant le changement du plan d'opérations. Il eût trouvé en Allemagne du Nord bien des partisans tandis qu'en Bavière, il n'en rencontra pas un seul. Au lieu du côté le plus faible de la confédération, il avait commencé l'attaque par le plus fort. Battu à Eckmühl, l'archiduc Charles put s'échapper par Ratisbonne et la rive gauche du Danube. Napoléon descendit le fleuve moins vite qu'en 1805, gêné sur ses flancs par les forces autrichiennes de Bohême et du Tyrol. La campagne se poursuivit aux environs de Vienne où Napoléon entrait pour la seconde fois le 13 mai. Accueil glacial qui contrastait avec la curiosité empreinte d'une certaine sympathie manifestée en 1805. Les Autrichiens établis sur les hauteurs avaient détruit les ponts du Danube. L'Empereur décida de franchir le fleuve en aval de Vienne en utilisant l'île Lobau. Il fit construire du 17 au 20 mai un pont de bateaux et dans la nuit du 20 au 21, les corps de Masséna et de Lannes occupèrent Aspern et Essling. Le lendemain ils furent attaqués par les forces supérieures en nombre de l'archiduc Charles et rapidement isolés par la rupture du pont réunissant la rive à l'île Lobau. Le pont fut rétabli pendant la nuit et au matin du 22, l'offensive vers Wagram reprit; c'est alors que le courant emporta le grand pont. A bout de munitions, Lannes dut se replier sur Essling où il fut mortellement blessé. Le pont réparé, Masséna put ramener les survivants à la faveur de la nuit dans l'île Lobau. L'échec d'Essling, amplifié par la propagande autrichienne, fit sensation en Europe. L'Allgemeine Zeitung n'annonçait-il pas la capture de vingt-cinq généraux et la mort de l'Empereur ? La résistance des troupes autrichiennes était inhabituelle. Ce n'était plus les combattants de 1805. La volonté de vaincre qui avait fait défaut aux « mercenaires désabusés » d'Austerlitz animait désormais les soldats de l'Empire d'Autriche. Napoléon découvrait le patriotisme allemand. LA CRISE DU GRAND EMPIRE Pendant que Napoléon se fortifiait dans l'île Lobau, où il devait rester un mois à attendre les renforts venus d'Italie, l'Empire était menacé sur de nombreux points. En Allemagne, à l'appel de l'Autriche, éclataient plusieurs mouvements insurrectionnels. Le plus important fut celui du Tyrol, pays autrichien donné par Napoléon à la Bavière. L'aubergiste Andreas Hofer y souleva en avril les habitants « pour Dieu, l'empereur et la patrie ». Comme en Espagne, les conditions étaient favorables à la guérilla dans un pays montagneux et arriéré, soumis à l'influence des moines et hostile aux étrangers. L'insurrection tyrolienne ne fut définitivement réduite qu'en janvier 1810 et Andreas Hofer passé par les armes. En Westphalie, le lieutenant Katt tentait en avril 1809 un coup de main contre Magdebourg. A son tour le major Schill, parti de Berlin à la tête de son régiment, essayait vainement d'envahir le royaume. Rejeté sur Stralsund en mai, il y trouvait la mort. Le colonel Dornberg échouait pareillement dans une opération contre Cassel. La marche aventureuse de Schill en Westphalie fut renouvelée par le fils du duc de Brunswick et ses hussards de la mort en Saxe. Dans sa proclamation aux Allemands on lisait : « Mes frères, sonnez le tocsin, que ce signal d'incendie allume dans vos cœurs la flamme pure de l'amour de la patrie, qu'il soit à vos oppresseurs le signal de leur perte. » Sa légion noire traversa impunément Dresde, Leipzig, Brunswick, Hanovre et Brême. Toutes ces tentatives se rattachaient à un même plan, longuement prémédité, mais que l'impatience des conjurés fit échouer. Elles révélaient néanmoins la fermentation des esprits dans une Allemagne restée jusqu'alors passive sous la domination napoléonienne. Du Tyrol à la Baltique s'éveillait une nouvelle force dont le philosophe Fichte se fit le porte-parole dans ses quatorze discours à la Nation allemande prononcés à l'académie de Berlin entre le 13 décembre et le 20 mars 1808. En Espagne où Napoléon avait laissé ses meilleures troupes, l'autorité de Joseph était bafouée par les maréchaux qui accumulaient les erreurs. Sous la direction de chefs énergiques et cruels comme les frères Mina ou l'Empecinado, la guérilla s'amplifiait. Au début de 1809, Soult avait lancé une offensive victorieuse contre le Portugal mais après la chute de Porto, au mois de mars, il se limita à des opérations secondaires. Faut-il voir, dans cette soudaine passivité de Soult, le désir de se faire proclamer roi du Portugal sous le titre de Nicolas Ier, comme l'ont insinué le maréchal Ney qui acceptait difficilement de servir sous ses ordres, et le général Thiébault dont les Mémoires sont généralement malveillants pour les grands chefs militaires de l'époque? Sans doute s'agit-il de rumeurs calomnieuses, mais les rivalités qui opposaient entre eux les maréchaux de Napoléon permirent aux Anglais de débarquer d'importants renforts sous le commandement de Wellesley, en avril 1809. Grâce à la tactique adoptée par le futur duc de Wellington qui imposait à ses soldats de s'abriter derrière les accidents de terrain et d'ajuster leur tir, infligeant ainsi de lourdes pertes aux troupes françaises qui s'avançaient à découvert, les Anglais reprirent Porto le 12 mai et contraignirent Soult à évacuer la Galice. Mettant à profit les difficultés de Napoléon en Autriche, le cabinet britannique décidait un débarquement aux Pays-Bas. Le 29 juillet 1809, quarante mille Anglais s'installaient dans l'île de Walcheren, à l'embouchure de l'Escaut, puis s'emparaient, le 13 août, de Flessingues, cependant que les forces françaises se repliaient sur Anvers. A Paris, l'inquiétude grandit. Fouché, ministre de l'Intérieur par intérim, Cretet étant malade, prit sur lui de mobiliser les gardes nationaux des départements septentrionaux et confia la défense d'Anvers à Bernadotte que Napoléon venait de disgracier. A Paris la Garde nationale fut reconstituée; l'alerte était donnée sur les côtes de Provence où l'on attendait une action de la flotte anglaise. D'abord approuvée par Napoléon, l'action énergique de Fouché finit par alarmer l'Empereur qui soupçonna le duc d'Otrante d'arrière-pensées politiques. Pire, Napoléon se sentait remplacé. Il n'était plus le seul rempart de la bourgeoisie révolutionnaire. Le trop puissant ministre de la Police générale fut disgracié peu après. Enfin à Rome, la situation s'était aggravée. Pie VII avait refusé d'appliquer le Blocus continental dans ses États. Aux démarches de Napoléon lui déclarant : « Votre Sainteté est le souverain de Rome mais j'en suis l'Empereur », le pape répondait que la mission spirituelle de l'Église lui interdisait de prendre parti dans un conflit temporel entre ses enfants. Le départ de Consalvi, l'un des rares éléments modérés du Vatican, contribua à aggraver le différend en laissant le champ libre au cardinal Pacca, partisan de l'intransigeance. Le 21 janvier 1808, Napoléon devait ordonner au général Miollis d'occuper les États pontificaux. Encore grisé par son entrée dans Vienne, il en décidait l'annexion, le 16 mai 1809. L'arrestation du pape le 6 juillet, en dramatisant le conflit entre Napoléon et Pie VII, aliéna à l'Empereur l'opinion italienne et stimula la révolte espagnole. De Gentz dénonçant « l'esclavage de la Germanie » à Cevallos mettant en lumière les « dessous » de Bayonne, des caricatures de Gillray aux imprécations de Kotzebue, une partie de l'élite intellectuelle s'enflamma contre Napoléon. Dès 1804, Beethoven avait déchiré la dédicace de l'Héroïque, Goya médite maintenant le Dos de Mayo. L'Empereur avait encore pour lui les armes, mais l'unité de l'Europe spirituelle se faisait contre lui. WAGRAM Le 14 juin l'armée d'Italie commandée par le prince Eugène et Macdonald bousculait l'archiduc Jean sur le Raab et rejoignait l'armée de Napoléon. Il était temps. Dans la nuit du 4 au 5 juillet, à la faveur d'un orage, l'Empereur se décidait à franchir le Danube, au sud d'Enzersdorf. Dès le lendemain, les troupes françaises se déployaient dans le Marchfeld, l'archiduc Charles ayant replié une partie de ses effectifs sur Wagram. Le 5 au soir, Napoléon faisait attaquer les forces autrichiennes par l'armée d'Italie qu'appuyait le corps saxon, mais à la suite d'une méprise de l'armée d'Italie qui avait pris les Saxons pour des ennemis, l'opération dut être suspendue. Le 6, à l'aube, la bataille reprit. L'archiduc Charles avait disposé ses effectifs — cent quarante mille hommes et quatre cents canons — en potence, pour serrer les Français entre les deux branches de son armée, la droite devant se porter sur Aspern et couper Napoléon du Danube, la gauche devant rejeter les Français vers le fleuve. L'articulation de son dispositif était située au village de Wagram. De son côté Napoléon opposait à l'aile gauche autrichienne les corps de Davout et d'Oudinot, à l'aile droite ceux de Bernadotte et de Masséna, et il tenait en réserve la Garde et l'armée d'Italie pour les porter rapidement sur les points les plus vulnérables. Vers onze heures, l'archiduc Charles put croire la victoire à sa portée : son aile droite obligeait les Français à reculer et s'approchait d'Aspern; au centre les Saxons perdaient pied. Mais Napoléon jetait aussitôt dans la bataille Macdonald et l'armée d'Italie, après qu'une colossale batterie de cent pièces, mise en place par Drouot, eut arrêté l'offensive autrichienne. D'autre part Davout débordait l'ennemi à Veusiedel et Oudinot s'emparait de Wagram. Après douze heures de lutte, l'archiduc Charles, qui avait perdu cinquante mille hommes, se repliait vers la Moravie. Faute d'une cavalerie suffisante, Napoléon ne put désorganiser les forces autrichiennes et remporter une victoire définitive. Il lui fallait reconnaître que l'armée d'Allemagne, composée en partie d'étrangers et en partie de conscrits, n'avait pas la valeur de la Grande Armée d'Austerlitz et d'Iéna. Le combat recommença à Znaïm, le 11 juillet, mais l'archiduc demanda un armistice le 12. LA PAIX DE VIENNE Aussitôt après l'armistice des pourparlers s'engagèrent entre Champagny, ministre des Relations extérieures, et Metternich; ils s'achevèrent au château de Schœnbrunn, le 14 octobre 1809. Avertis des difficultés qui opposaient Napoléon et Alexandre à propos du grand-duché de Varsovie, les Autrichiens essayèrent de traîner les négociations en longueur. Mais le Ier septembre, l'ambassadeur de Russie les prévint que le tsar ne romprait pas pour le moment ses relations avec la France. Soucieux de relever son prestige, Napoléon imposa à l'Autriche des conditions de paix rigoureuses. Par le traité de Vienne, François 1er cédait à la France la Carinthie, la Carniole, une grande partie de la Croatie, dont Fiume et l'Istrie avec Trieste. La Bavière recevait, pour dédommagement de son invasion, Salzbourg et la vallée supérieure de l'Inn, l'Engadine. Au grand-duché de Varsovie était attribué le Nord de la Galicie avec Cracovie et Lublin. Quant au tsar, malgré son attitude ambiguë, il se voyait accorder la Galicie orientale avec Tarnopol. Les pertes étaient lourdes pour l'Autriche, astreinte en outre à payer une indemnité de guerre de 75 millions. La défaite autrichienne n'avait pas apaisé les passions nationales en Allemagne. A Schœnbrunn, pendant la parade militaire, deux jours avant la signature du traité de Vienne, un jeune étudiant saxon, Frédéric Staps, tentait de poignarder l'Empereur. A Napoléon qui l'interrogeait : « Un crime n'est donc rien pour vous ? », Staps de répondre : « Vous tuer n'est pas un crime, c'est un devoir. » La réaction de l'Empereur nous est connue par les souvenirs de Champagny : « Le poignard levé sur lui ne l'effrayait pas, mais il lui révélait les dispositions des peuples de l'Allemagne, leur besoin de paix et leur disposition à faire, pour l'obtenir, tous les sacrifices. » Enfin, la rupture avec la Russie paraissait inévitable. Alexandre avait été cruellement déçu par le traité de Vienne. N'avait-il pas espéré se voir offrir le grand-duché de Varsovie? De son côté Napoléon, résolu à se séparer de Joséphine (le divorce fut prononcé le 16 décembre 1809 et l'annulation par l'officialité métropolitaine le 12 janvier 1810), avait songé à obtenir la main de la dernière sœur du tsar. Alexandre ajournant sa réponse, et le refus étant probable, l'Empereur se tourna vers l'Autriche. Metternich comprit aussitôt l'intérêt d'un mariage qui ébranlerait définitivement l'alliance franco-russe. Sans doute une telle union serait-elle une souillure pour les Habsbourg. mais il suffisait de présenter la demande de Nanoléon comme un ultimatum du vainqueur. Sollicitée officiellement le 6 janvier 1810, la main de Marie-Louise, fille de François Ier, était accordée le lendemain à Napoléon. Au même moment parvenait le refus du tsar qui était ainsi joué. Le calcul de Metternich se révélait juste : l'alliance franco-russe avait vécu. Marie-Louise que vint chercher Berthier à Vienne — oubliant pour la circonstance son titre de « prince de Wagram » - arriva à Strasbourg le 22 mars 1810. Impatient de la connaître, Napoléon alla au-devant du cortège. La rencontre eut lieu à Compiègne, le 28 mars. Le mariage civil fut célébré à Saint-Cloud, le Ier avril, et le mariage religieux, le lendemain, dans le salon carré du Louvre. Napoléon entrait enfin dans « la famille des rois » et pouvait se croire accepté par eux. Cette alliance ne suscita pas l'inquiétude des seuls régicides forcés de constater que l'Empereur devenait par son mariage le neveu par alliance du feu roi, les notables dans l'ensemble boudèrent les cérémonies. A Sainte-Hélène, « brutalement réveillé de son rêve de légitimité monarchique », Napoléon confiait qu'il aurait dû épouser une Française et surtout pas une princesse. C'était voir juste, mais trop tard. « L'Autrichienne porte malheur », disait-on. L'inquiétude s'installait en effet. Napoléon ne trahissait-il pas la Révolution ? N'allait-il pas rétablir la vieille noblesse dans ses privilèges ? Les conquêtes extérieures paraissaient tout aussi menacées que les conquêtes intérieures : une vague de nationalisme soulevait l'Europe contre la France. Les plus lucides ne s'y trompaient pas. De redoutables craquements lézardaient l'Empire, en dépit des victoires « à la Pyrrhus » remportées sur le Danube. Il devenait de plus en plus difficile de contenir l'Europe. Depuis la guerre d'Espagne, l'impopularité de la conscription ne cessait de croître. Fouché en avertit l'Empereur, le 11 septembre 1808 : « La classe ouvrière témoigne assez haut son mécontentement sur la conscription. On a jeté dans les lieux qu'elle fréquente des petits papiers cachetés, contenant des provocations manuscrites contre le gouvernement adressées aux filles, aux femmes, à tout le monde. » De tels incidents se multiplient en 1809. Plus grave, les soldats se comportent désormais en mercenaires. Les dragons du 17e affirment à Bordeaux : « L'Empereur ne doit point faire la guerre, s'il n'a pas d'argent pour payer ses soldats. Nous ne voulons aller nous faire tuer pour rien. » Alors que la guerre devient nationale en Europe, elle perd ce caractère en France. Faut-il y voir l'explication des défaites futures de Napoléon ? NOTES SOURCES: Sur la campagne de 1809 les Mémoires sont très nombreux: Boulart (1812), Cadet de Gassicourt (1818), Chevalier (1970 éd. Mistler), Chevillet (1906), Chlapovski (1908), Coignet (1968 éd. Mistler), Comeau (1900), Dupuy (1892), Eugène de Beauharnais (t. IV, 1858), Gervais (1939), Jérôme Bonaparte (t. III, 1861), Lejeune (1851), Lorencez (1902), Macdonald (1892), Marbot (1891), Marmont (1856), Masséna (1849), Oudinot (1894), Parquin (1892), Percy (1904), Pils (1895), Pouget (1895), Rapp (1823), Seruzier (1823), Talleyrand (1891) et Lettres à Fanny de Bertrand (éd. La Vaissière-Orfila, 1979). Dans le camp adverse : Metternich (1880) et Grueber (1909). En dehors de la Correspondance de Napoléon, cf. P. Bertrand, Lettres inédites de Talleyrand à Napoléon (1889). Se reporter aux bulletins de la Grande Armée (éd. Tulard, 1963) et aux documents publiés par W. de Fedorowicz, 1809, La Campagne de Pologne. OUVRAGES: Le livre fondamental est celui de Dunan, Napoléon et l'Allemagne, le système continental et les débuts du royaume de Bavière (1942) : tout un chapitre est consacré à la campagne de 1809. La campagne de 1809 a fait l'objet d'une relation très dépassée de Pelet (Mémoires sur la guerre de 1809 en Allemagne, 4 vol., 1824-1826). Mises au point plus récentes par: Saski, Campagne de 1809 (1899-1902), C. de Renémont, Campagne de 1809 (1903); Gachot, Napoléon en Allemagne (1913). Il existe plusieurs ouvrages sur l'archiduc Charles, de consultation difficile en France (W. John. Erzherzog Karl, der Felder und seine Armee, 1913). Mais ses Principes de Stratégie ont été traduits en français. Sur des points particuliers : Bonnal, La Manœuvre de Landshut, continué par Buat, De Ratisbonne à Znaim (1909, 2 vol. et atlas), dans un esprit critique. Plus élogieux sont Ferry. 1809, la marche sur Vienne (1909); Camon, La Manœuvre de Wagram (1926); Dupont, Napoléon en Campagne (t. II et III, 1952-1955). Sur les principaux acteurs : Derrécagaix, Berthier (1904-1905); Blocqueville, Le Maréchal Davout (1879) (cf. aussi sa correspondance publiée par Mazade en 1885); J. Wirth, Le Maréchal Lefebvre (1904). Les insurrections allemandes ont fait l'objet d'une solide, encore que partiale, étude de H. Heitzer, Insurrektionen zwischen Weser und Elbe - Volksbewegungen gegen die französische Fremdherrschaft im Königreich Westfalen 1806-1813 (1959). Pour le Tyrol : Ch. Clair, André Hofer et l'Insurrection du Tyrol en 1809 (1880); Derrécagaix, Nos campagnes au Tyrol (1910). L'attentat de Staps illustre ce mouvement de résistance nationale: E. Gachot, « Un régicide allemand, Frédéric Staps », Revue des Études napoléoniennes, 1922, pp. 181-203. Staps n'appartenait pas à la secte des illuminés dans laquelle auraient figuré Metternich, Montgelas, l'homme d'État bavarois, Dalberg, J.-P. Richter et Brentano (R. Leforestier, Les Illuminés de Bavière et la Franc-Maçonnerie allemande, 1914). Il eut pour émule La Sahla (Desmarest, Quinze Ans de Haute Police, ch. XVI). Sur le retentissement en Hongrie des guerres napoléoniennes : E. Balazs, « Berzevickzy et Napoléon » (un projet de constitution pour la Hongrie fut adressé à Napoléon), Annales hist. de la Révolution française, 1973, pp. 245-262. Sur Walcheren où le débarquement anglais mit l'Empire en danger : A. Fischer, Napoléon et Anvers (1933) ; L. Madelin, Fouché, t. II ; Girod de l'Ain, Bernadotte (1968) ; Théo Fleischman, L'Expédition anglaise sur le Continent en 1809 (1973) ; G. Bond, The Grand Expedition (1979). Célèbre mais dépassé Petre : Napoleon and the Archduke Charles (1909). DÉBATS OUVERTS On s'est beaucoup intéressé entre les deux guerres à la naissance du nationalisme allemand. La thèse d'A. Robert, L'idée nationale autrichienne et les guerres de Napoléon — l'apostolat du baron de Hormayr et le salon de Caroline Pichler (1933), a insisté sur la personnalité du poète dramatique et compilateur Hormayr (1781-1848). Fut-il l'ancêtre du pangermanisme et l'annonciateur de l'Anschluss? W.C. Langsman, The napoleonic wars and german nationalism in Austria (1933), le pense, A. Robert est plus réservé. A_. Fugier, La Révolution et l'Empire (1954), y voit surtout un précurseur du romantisme. Par sa volonté de fonder « l'idée nationale autrichienne » sur l'histoire, sur « le Moyen Age habsbourgeois » notamment, il annonce en effet le mouvement romantique. Même point de vue dans J. Droz, Le Romantisme allemand et l'État (1966; souligne les courants de résistance et de collaboration dans l'Allemagne napoléonienne). On peut lire aussi H. Hammer, Œsterreichs Propaganda zum Feldzug, 1800 (1935). Sur Stadion, le ministre autrichien, l'ouvrage de Rossler (1957) et Falk, «Stadion adversaire de Napoléon, 1806-1809 », Annales historiques de la Révolution française (1962, pp. 288-305). Autre artisan de la résistance à Napoléon : Gentz (Robert de Clery, Frédéric de Gentz, 1917 ; Sweet, Gentz, old defender of the old order, 1941; Albert Garreau, Saint-Empire, 1954). Citons aussi Schlegel: Comtesse de Pange, Schlegel et Mme de Staël, 1938; L. Wittmer, Le Prince de Ligne, Jean de Muller, Frédéric de Gentz et l'Autriche, 1925 ; J. Mistler, Mme de Staël et Maurice O'Donnel (1926). Échec du mouvement sur la rive gauche du Rhin, en revanche. R. Dufraisse, dans Patriotisme et nationalisme en Europe (colloque, 1973, pp. 103-141) l'explique par le fait que la masse paysanne était satisfaite de la suppression des droits seigneuriaux et des corvées et ne souhaitait pas de retour au passé. De son côté Napoléon n'a pas su exploiter les mouvements nationaux qui secouaient alors l'empire autrichien et notamment le particularisme hongrois : Kosary, Napoléon et la Hongrie (1979). Petit détail mais qui eut son importance dans la légende : Comment Napoléon fut-il blessé à Ratisbonne ? Balle de carabine (Méneval, Marbot) ou balle morte (d'Espinchal) ? Fut-il touché au talon (Berthezène, Lejeune, Pils, Bourrienne)? Au gros orteil du pied gauche (Savary)? A la cheville du pied droit (Reiset)? On trouvera la discussion de ces hypothèses dans Dunan, Napoléon et l'Allemagne, p. 642. « La balle qui m'a touché ne m'a pas blessé », écrit Napoléon à Joséphine. Le mariage avec Marie-Louise, conséquence de Wagram, dont les effets psychologiques furent nuls en Europe (exception faite de réactions de dépit idu tsar) et désastreux en France où l'on n'aimait guère les Autrichiennes, a été étudié par F. Masson, L'Impératrice Marie-Louise,1809-1815 (1902). A l'inverse de Marie-Antoinette, Marie-Louise, dont Clary-et-Aldringen nous a laissé un vivant portrait à l'occasion du mariage, n'a joué aucun rôle politique. On lira à ce sujet G. Chastenet, Marie-Louise l'impératrice oubliée (1983). CHAPITRE V Le malaise religieux Quelles ont été en France les conséquences du conflit du pape et de l'Empereur, ce vieux problème qui resurgit en 1809 des profondeurs du Moyen Age pour opposer à nouveau le spirituel au temporel ? En apparence l'opinion parut indifférente. Si indifférente même que les anciens réflexes voltairiens ou gallicans qui auraient servi la cause impériale ne jouèrent en définitive aucun rôle. Il reste que les notables ne pardonnèrent pas à Napoléon la faillite du Concordat. Deux questions les angoissaient, perceptibles à travers les rapports des préfets sur l'esprit public : La fin de la paix religieuse n'allait-elle pas à nouveau engendrer la guerre civile? Le pape pouvait-il remettre en cause la reconnaissance faite en 1801 de la vente des biens du clergé? Ce qui paraît probable, mais n'apparaît pas sous la plume des préfets, c'est que ces mêmes notables ont rendu responsable du conflit la mégalomanie de Napoléon. L'occupation de Rome fut mal connue et mal comprise : elle survint au moment où la Grande Armée piétinait en Autriche ; où la guerre d'Espagne s'enlisait : un nouveau front s'ouvrirait-il dans cette Italie tombeau de l'impérialisme français depuis le XVIe siècle ? D'un pessimisme excessif, l'interrogation apparut dans un pamphlet aussitôt saisi par la police. Le spirituel vint plus tard, la captivité du pape réveillant alors les vieux phantasmes apocalyptiques ou le goût des conspirations. Dans l'ensemble la foi fut absente du débat. L'ÉGLISE IMPÉRIALE Du recul de l'influence religieuse dans la nouvelle société, quelle meilleure preuve que la laïcisation des anciens services traditionnellement assurés par l'Église: assistance, enseignement, état-civil? Certes le pessimisme des autorités ecclésiastiques paraît souvent excessif. L'oeuvre de reconstruction matérielle a été encouragée par le gouvernement. Mais la nouvelle répartition des diocèses a posé de multiples problèmes : limites des paroisses (à Paris elles furent vivement critiquées en raison de l'inégalité des circonscriptions), restitution des édifices du culte compromise par la mauvaise volonté des précédents occupants et surtout cures non occupées par suite de la crise des vocations. Crise quantitative, malgré un sensible redressement entre 1806 et 1810 du nombre des ordinations ; crise qualitative plus significative encore du discrédit de l'Église : « Nous ne trouvons plus dans les classes supérieures de la société des jeunes gens qui se destinent à l'état ecclésiastique, écrit l'évêque de Quimper au ministre des Cultes en mars 1811: c'est dans la classe des pauvres cultivateurs que se réduisent toutes nos ressources. » Même constatation, pleine d'amertume, chez Le Coz, évêque de Besançon, qui déplore « la disparition de ces prêtres dont l'éducation soignée, les études approfondies, les connaissances étendues et variées, jointes aux autres avantages que leur naissance pouvait offrir, réjouissaient l'Église, édifiaient toutes les classes de citoyens et semblaient ajouter encore à la puissante influence de la religion ». Le Coz donne la raison d'une telle désaffection : « Les biens du clergé ont disparu. » La situation était particulièrement difficile pour les ordres religieux qui se heurtaient à l'hostilité de Napoléon. Le décret du 3 messidor an XII (22 juin 1802) déclara dissoutes toutes les congrégations non autorisées. Seuls reçurent quelques encouragements les ordres missionnaires que Napoléon souhaitait opposer à la pénétration anglaise en Orient, et les congrégations de femmes indispensables dans les hôpitaux et l'enseignement. Animé par sa volonté de simplification, Napoléon rêva pendant tout son règne d'un corps unique des filles de charité. Par décret du 23 mars 1805, Madame Mère reçut le titre réservé sous l'Ancien Régime aux reines douairières, elle devint la protectrice des associations hospitalières. L'enquête de 1808 donne pour l'ensemble des diocèses un total de 10 257 religieuses dont 4 792 enseignantes et 5 465 hospitalières. Certains diocèses comptent moins de cinquante religieuses : Digne, Chambéry ; d'autres dépassent les cinq cents : Nancy, Rouen et Lyon. A côté des enseignantes, citons les frères des Écoles chrétiennes qui ont ouvert des établissements dans cinquante-sept villes. Ce qui affaiblit l'Église et détourne d'elle les élites, c'est la mainmise officielle du gouvernement qui la réduit au rôle d'agent du « despotisme ». Un seul catéchisme enseigné dans toute la France où figurent parmi les devoirs imposés par Dieu, « l'amour, le respect, l'obéissance et la fidélité à l'égard de l'Empereur, le service militaire et les tributs ordonnés pour la défense de l'Empire ». Les mandements, lettres pastorales et ordonnances de l'épiscopat participent à l'élaboration du culte impérial: les armées napoléoniennes y sont assimilées aux armées divines, la nation se transforme en peuple élu et la guerre devient une guerre sainte contre l'impie, voulue par Dieu. Rarement l'éloquence de la chaire fut aussi surveillée; un sermon imprudent de l'abbé Fournier l'envoya à Bicêtre puis au bagne de Turin. Le cardinal Fesch parvint à l'en sortir non sans difficultés. A son tour Frayssinous fut réduit au silence en 1809. Ouvrons le Journal des Curés: on y trouve plus de bulletins de la Grande Armée que de vies des saints. Plus subtilement le clergé, fonctionnarisé par le Concordat, est intégré par ses cadres supérieurs dans le monde des notables officiels. On trouve des ecclésiastiques, dans des proportions variables selon les diocèses, siégeant au collège d'arrondissement, au conseil municipal, ou même à la mairie. Ainsi l'Église devenait-elle un instrument de règne, au même titre que l'armée et la police. « Mes préfets, mes évêques, mes gendarmes », cette énumération napoléonienne résume parfaitement la situation de l'Église. La docilité de cette Église fut la contrepartie de la fin du schisme. Docilité que Bonaparte put apprécier dès la mise en application des articles organiques. Les protestations pontificales ne rencontrèrent aucun écho dans le clergé français. Cette docilité, l'Empereur l'attendait également du pape. Lorsqu'éclata la guerre avec l'Autriche, Napoléon fit occuper Ancône. La protestation de Pie VII devant cette violation de la souveraineté pontificale surprit l'Empereur par sa violence. Réplique foudroyante encore que tardive de Napoléon : « Je me suis considéré, ainsi que mes prédécesseurs de la deuxième et troisième race, comme le fils aîné de l'Église, ayant seul l'épée pour la protéger et la mettre à l'abri d'être souillée par les Grecs et les Musulmans. » Avec l'établissement du système continental, Napoléon exigea que les ports des États pontificaux fussent fermés aux marchandises anglaises. L'Angleterre n'était-elle pas terre d'hérésie ? Le pape pouvait-il rester neutre dans un conflit que Napoléon a vite transformé, pour les besoins de sa cause, en un affrontement entre catholicisme romain et anglicanisme? « Votre Sainteté est souverain de Rome, mais j'en suis l'Empereur. Tous mes ennemis doivent être les siens. » Pie VII resta également insensible aux arguments religieux et aux menaces militaires. Napoléon découvrit peu à peu qu'il avait sous-estimé la résistance de son adversaire. LE PAPE CAPTIF Le 21 janvier 1808 le général Miollis reçoit l'ordre d'envahir les États pontificaux et d'occuper Rome. C'est chose faite, le 2 février. L'ambassadeur de France, Alquier, prévient l'Empereur : la détermination de Pie VII paraît inébranlable. Napoléon est résolu à l'annexion de Rome. Mais il lui faut d'abord résoudre l'affaire d'Espagne puis faire face à l'agression autrichienne contre la Bavière. Le 16 mai 1809 un décret impérial, signé à Schœnbrunn, réunit les États pontificaux à la France. Miollis hisse le drapeau français sur le château Saint-Ange, le 10 juin. Pie VII riposte aussitôt par une bulle d'excommunication contre « les usurpateurs, fauteurs, conseilleurs, adhérents, exécutants de cette violation sacrilège ». « Je reçois la nouvelle que le pape m'a excommunié. C'est un fou furieux qu'il faut enfermer », écrivait l'Empereur, le 20 juin. Mouvement de colère ou décision mûrement réfléchie ? Radet, qui commande la gendarmerie dans la Ville Éternelle, n'hésite pas. Le palais du Quirinal est envahi, Pie VII est sommé de renoncer à sa souveraineté temporelle et, sur son refus, emmené de force hors de Rome avec le cardinal Pacca, son principal conseiller. Celui-ci nous a laissé dans ses Mémoires le récit de ce pitoyable voyage qui conduit l'illustre captif de Florence à Grenoble, puis de cette même ville à Savone, par Avignon et Nice à la suite d'ordres et de contrordres qui traduisent les hésitations de Napoléon pris de court par l'excès de zèle de ses subordonnés et séduit par l'idée d'installer le pape à Paris où il fait venir en avant-garde le Sacré-Collège. Le 6 juillet 1809, Pie VII arrive à Savone; il y restera jusqu'au 9 juin 1811. Malgré les honneurs dont on l'entoure, il s'y comporte en prisonnier, refusant toute pension, lavant lui-même sa simarre et passant ses journées dans la prière. Fausse passivité : Pie VII utilise les armes dont il dispose et que lui a imprudemment abandonnées Napoléon lors de la signature du Concordat. Il lui avait en effet accordé l'investiture canonique des évêques sans mesurer tout à fait les conséquences de cette concession. Prisonnier de l'Empereur, le Pape refuse l'investiture canonique aux évêques nommés par l'Empereur aux évêchés vacants. Napoléon doit recourir à un expédient : faire conférer aux évêques par le chapitre, le titre et l'autorité de vicaire capitulaire. Ce qui ne va pas sans flottement, à Paris notamment, après la mort du cardinal de Belloy, en juin 1808. Napoléon avait besoin, dans le conflit qui l'opposait au pape, d'une Église gallicane unie derrière lui. Le comité ecclésiastique réuni en 1809 montra des failles: il proposait seulement la réunion d'un concile national au rôle d'ailleurs purement consultatif qu'éluda Napoléon. Celui-ci se trouva à nouveau embarrassé lors de son divorce. Le cas relevait-il du Saint-Siège ? Devant les divergences du droit gallican et du droit romain, M. Émery trancha en faveur du premier, ce qui arrangeait l'Empereur. Mais les cardinaux romains présents à Paris raisonnèrent différemment: treize s'abstinrent de paraître lors du mariage religieux de Napoléon avec Marie-Louise. Fureur de l'Empereur qui leur interdit de porter les insignes de leur dignité et les exila en province. Mais il dut finalement se résoudre, devant les réticences d'un second comité ecclésiastique et l'échec d'une mission de bons offices à Savone, à convoquer un concile. Celui-ci s'ouvrit le 17 juin 1811 sous la présidence du cardinal Fesch. Mais Napoléon ne trouva pas dans cette assemblée d'évêques français et italiens la servilité escomptée. Le clergé de France s'irritait de l'intrusion de l'État dans les questions spirituelles ; l'Empereur avait oublié la susceptibilité de l'Église dans ce domaine et multiplia en vain colères et menaces. C'est Fesch lui-même, oncle de l'Empereur, qui prononça le serment initial : « Jé reconnais la Sainte Église catholique et romaine, apostolique et romaine, mère et maîtresse de toutes les Églises. Je promets et je jure une véritable obéissance au Pontife suprême romain, successeur de saint Pierre, prince des apôtres et vicaire de Jésus-Christ. » C'est Belmas qui réclamait la liberté du pape avant tout débat; c'est la commission chargée d'étudier la question de l'investiture canonique qui déclarait le concile incompétent en la matière contre le vœu de l'Empereur. Celui-ci se résigna à dissoudre le concile et fit arrêter les principaux meneurs de l'opposition. Hirn, évêque de Tournai, de Broglie, évêque de Gand, et Boulogne, évêque de Troyes. Napoléon avait espéré que le concile autoriserait le transfert aux métropolitains du pouvoir d'investir en cas de refus du pape, ce fut l'échec. Le 2 août, après avoir obtenu par la menace l'accord individuel de chaque évêque au projet de décret donnant au métropolitain le pouvoir d'accorder l'investiture en cas d'opposition du Saint-Père, l'Empereur décidait la réouverture du concile. Une délégation de ce concile fut envoyée à Savone pour obtenir l'approbation de Pie VII. Elle l'obtint, mais dans des formes qui ne plaisaient pas à l'Empereur. Celui-ci voulait en réalité un pape à sa dévotion, installé à Paris dans l'île de la Cité. Il était convaincu qu'à l'issue victorieuse de la campagne de Russie, le pape devrait céder. Pour l'y obliger, Napoléon ordonna qu'il fût transféré à Fontainebleau. Mais quand Napoléon retrouva Pie VII, ce fut en vaincu. Cette fois, après le désastre de la retraite de Russie, l'Empereur avait un besoin impérieux de l'accord du pape. Il obtint par l'intimidation « le concordat de Fontainebleau » signé le 25 janvier. La question des investitures, à défaut de l'installation du pape à Paris, y était résolue. Mais Napoléon, contrairement à sa promesse, s'empressa de donner à ce texte une grande publicité en le faisant paraître dans Le Moniteur. Pie VII désavoua le Concordat. « Nous voulons qu'il soit réformé afin qu'il n'en résulte aucun dommage pour l'Église ni aucun préjudice pour notre âme. » Le 21 janvier 1814, Napoléon donnait l'ordre de renvoyer Pie VII à Savone, puis le 10 mars, de le reconduire à Rome. Le pape avait gagné. LES CONSÉQUENCES DU CONFLIT L'occupation de Rome et la captivité du pape semblent avoir plus surpris que véritablement ému l'opinion, du moins si l'on en croit les bulletins de police ou les rapports des préfets. Seule une élite de jeunes gens à la foi profonde et aux convictions royalistes bien enracinées a réagi en assurant tant bien que mal la diffusion de la bulle d'excommunication de l'Empereur par Pie VII. Des réseaux s'établissent, des associations secrètes se fondent sur le modèle de la franc-maçonnerie que l'on rend responsable de la Révolution ; des organismes charitables ou pieux servent de paravent à des activités politiques : Chevaliers de la Foi, de Ferdinand de Bertier ; Société du Cœur de Jésus; Aa, dont il faut se garder d'exagérer l'influence sur l'opinion. Celle-ci ne commença à s'émouvoir qu'en 1811. Les informations données sur le concile national furent rares. Mais le public apprit de sources diverses la résistance opposée par les évêques à l'Empereur. De la Belgique à l'Italie, l'effervescence prit un tour inquiétant; si l'Ouest, mieux surveillé, restait calme, le Sud-Est et le Centre s'agitaient. « De toutes parts, signale un bulletin de police daté des premiers jours de janvier, les dévots s'écrient que si l'Empereur vit encore dix ans, il n'y aura plus de religiion. » Diocèses sans évêques, paroisses sans curés, prêtres incarcérés ou déportés : le temps de la persécution est-il revenu ? Fonctionnaires civils et militaires, même catholiques, exécutent sans protestation les ordres donnés. Mais nous ignorons le fond des consciences. Les libelles se multiplient, dénonçant le despotisme impérial. Le malaise s'installe. Il détourne les notables du régime qu'ils ont appelé de leurs vœux. Le bilan de l'Empire n'est pourtant pas entièrement défavorable : évêques plus près du peuple, gros bénéficiers supprimés, vie décente pour les curés assurés de recevoir un traitement bien supérieur à l'ancienne « portion congrue ». L'Église y gagne en considération. Une considération qu'elle doit à Napoléon et qui devient une arme qu'elle retourne contre lui. A partir de 1812, de plus en plus nombreux sont les prédicateurs qui dénoncent l'absurdité de la guerre et acceptent de cacher des réfractaires. Sous l'influence du clergé, le divorce s'établit peu à peu entre l'Empereur et la nation. NOTES SOURCES : Sur les archives romaines : A. Latreille et J. Leflon, « Répertoire des fonds napoléoniens aux Archives vaticanes », Revue historique, 1950, pp. 59-63, la sous-série F 19 aux Archives nationales ; les Papiers inédits d'Artaud de Montor, la Correspondance deNapoléon Ier, les Mémoires de Jauffret (1819, très bien informés), Pacca (1840, hostiles à Napoléon), Consalvi (1864), Maury (Correspondance diplomatique et Mémoires inédits publiés par Mgr Ricard, 1891); Correspondance de la Cour de Rome avec la France (1814): Mgr. de Barral, Fragments relatifs à l'histoire ecclésiastique des premières années du XIXe siècle (1814); Mgr d'Aviau, Lettres (1903). Inventaire du fonds Caprara aux Archives nationales (1975). Sur la Congrégation : mémoires du père de Gobineau (1955). OUVRAGES : On trouvera dans Plongeron et Godel, « Un quart de siècle d'histoire religieuse », Annales historiques de la Révolution française, 1972, pp. 181-203, 352-389, une excellente orientation bibliographique. Les ouvrages fondamentaux sont ceux déjà cités d'Haussonville, L'Église et le Premier Empire (1868-1870, documents importants); H. Welschinger, Le Pape et l'Empereur (1905), A. Latreille, Napoléon et le Saint-Siège, 1801-1808, l'ambassade du cardinal Fesch à Rome (1935, éclaire d'un jour nouveau la personnalité de l'oncle de Napoléon qui sut faire preuve d'indépendance sous l'influence de M. Émery); V. Bindel, Histoire religieuse de Napoléon Ier (t. II et III, 1940-1942); A. Dansette, Histoire religieuse de la France contemporaine (t. I, 1948); A. Latreille, L'Église catholique et la Révolution (t. II, 1950); Mgr Leflon, La Crise révolutionnaire (1951), ces quatre derniers livres offrant des synthèses brillantes et très documentées. Pas de biographie de Bigot de Préameneu, successeur de Portalis. Sur les congrégations: John Carven, Napoléon and the lazarists (1974, le conflit avec le pape et l'impossibilité d'envoyer des lazaristes en Orient ont amené la suppression de l'ordre en 1809). Le problème du divorce, jadis étudié du point de vue juridique par H. Welschinger (1889) et Colmet de Santerre (Le Divorce de l'Empereur et le Code Napoléon, 1894), a été renouvelé par L. Grégoire, Le Divorce de Napoléon et de l'impératrice Joséphine, Étude du Dossier canonique (1957), qui fait justice de la servilité du clergé napoléonien : l'officialité de Paris se conforma à la tradition gallicane. Le point de vue romain est donné, en revanche, par G. de Grandmaison, Napoléon et les Cardinaux noirs (1895). Le Catéchisme impérial, fondement de l'enseignement religieux SOLS l'Empire, a été étudié de façon approfondie par A. Latreille (1935). Sur l'attitude de l'Église face à la guerre : J.-P. Bertho, « Naissance et élaboration d'une théologif, de la guerre chez les évêques de Napoléon », dans Civilisation chrétienne sous ia direction de B. Plongeron (1975). Face à la politique on lira les pages de la thèse importante mais difficile que B. Plongeron a consacrée au clergé impérial dans Théologie et politique au siècle des Lumières, 1770-1810 (1973) et les remarques d'une grande finesse de C. Langlois, « Religion et politique dans la France napoléonienne », dans Christianisme et Pouvoirs politiques (1974). L'occupation de Rome est évoquée par H. Aureas, Miollis (1961), et L. Madelin, La Rome de Napoléon (1906). La captivité du pape a fait l'objet d'une bonne monographie de Mayol de Luppé (1912) qui pourrait être rajeunie par la publication prochaine des Mémoires de Chabrol qui fut le « geôlier » de Pie VII à Savone. On peut consulter aussi le meilleur spécialiste de Pie VII, J. Leflon, « Face à Napoléon : Pie VII », Revue de l'Institut Napoléon, 1975, pp. 1-19. Sur les commissions de 1809 et 1811 et sur le concile de 1811, on ne dispose que du livre ancien de Mgr Ricard (1894) renouvelé par A. Latreille, « Le gallicanisme ecclésiastique sous le Premier Empire — Vers le Concile national de 1811 », Revue historique, 1944 et surtout Plongeron, « Les deux députations françaises à Savone », Societa savonese di storia patria (1984). De Latreille, sur les réactions des curés : « Le Clergé du Sud-Est et l'occupation de Rome par Napoléon » dans les Mélanges Fugier, pp. 163-177. Sur les sentiments du clergé belge : L. Lefebvre, «La crise religieuse dans la région de Bastogne», Mémorial Bertrang (1964), pp. 127-158. Leflon, Eugène de Mazenod (t. I). Les sociétés secrètes sous l'Empire commencent à être mieux connues. L'admirable travail de G. de Bertier de Sauvigny, Le Comte Ferdinand de Bertier et l'énigme de la Congrégation (1948), a montré derrière l'association pieuse de la Congrégation le rôle joué par les chevaliers de la foi dans la diffusion de la bulle d'excommunication. Cette belle thèse apporte une réponse aux questions posées par G. de Grandmaison, La Congrégation (1890). On ne peut ignorer les travaux d'A. Lestra, Histoire secrète de la Congrégation de Lyon (1967) et Le Père Condrin, fondateur de Picpus (t. I, 1952). A propos des Aa, cf. la mise au point de J. Godechot dans les Mélanges André Latreille (Lyon, 1972). Rappelons que Paul Claudel a magistralement évoqué la captivité du pape dans L'Otage. Dans son importante thèse, Le catholicisme au féminin, les congrégations françaises à supérieure générale (1984), Claude Langlois fait la part dans ce renouveau des congrégations, de la volonté de Napoléon et des voies nouvelles de l'expérimentation religieuse. DÉBATS OUVERTS Les travaux de B. Plongeron, qui a pris le relais de Mgr Jean Leflon, ont insisté à la fois sur la sociologie et sur la théologie du nouveau clergé, trop délaissées par les historiens (« Le fait religieux » dans la « Nouvelle Histoire de la France contemporaine : Révolution-Empire », Revue hist. de l'Église de France, 1972). Dans la lignée de ces travaux, on méditera les observations de J. Godel, « L'Église selon Napoléon », Revue d'Histoire moderne (1970, pp. 837-845). La politique religieuse de Napoléon a été moins novatrice qu'il n'a paru. Il a sans doute renforcé le principe d'autorité à l'intérieur de l'Église (organisation ecclésiastique parallèle à l'administration civile, autorité des évêques sur les prêtres par l'amovibilité et enfin sans l'avoir voulu, autorité du pape sur l'Église de France en lui donnant des pouvoirs exceptionnels pour la négociation du Concordat et en lui préparant une Église où avaient été brisés tous les corps intermédiaires). Ainsi Napoléon avait souhaité une Église gallicane, il obtint une Église ultramontaine. Dans le conflit du pape et de l'Empereur, le pape est vainqueur sur toute la ligne. Quant à l'idée d'une chrétienté unie, fusion sous l'autorité impériale des catholiques et des protestants, avec pour base la confession d'Augsbourg, elle a été agitée à plusieurs reprises. S'agissait-il d'un moyen de pression sur les catholiques ? (Plongeron, « Les projets de réunion des communautés chrétiennes », Revue d'histoire de l'Église, 1980). CHAPITRE VI La crise économique De 1809 à 1812 le sort de la guerre ne se joue plus sur les champs de bataille mais dans les ports et sur les côtes du continent. Une nouvelle fois, celui-ci paraît devoir se fermer au commerce britanique, précipitant la chute des « océanocrates ». Mais les violences et les annexions qu'entraînait l'implacable logique du Blocus, les privations mal supportées de café, de thé, de sucre, de cacao ou d'épices, le renchérissement des cuirs, des étoffes de coton, les autodafés spectaculaires de marchandises comme la corruption des douaniers firent plus pour détacher l'opinion européenne que tous les pamphlets anglais. En décembre 1811, Jérôme, roi de Westphalie, avertissait son frère : « La fermentation est au plus haut degré, les plus folles espérances sont entretenues et caressées avec enthousiasme, on se propose l'exemple de l'Espagne, et, si la guerre vient à éclater, toutes les contrées situées entre le Rhin et l'Oder seront le foyer d'une vaste et active insurrection. » Pire, l'arme économique du Blocus se retourne contre la France, provoquant en 1810 une crise financière qui se transforme, par suite d'une mauvaise récolte, en une crise économique générale que le gouvernement, pour la première fois, paraît incapable de maîtriser. Napoléon y laisse une partie de sa popularité. LA CONTREBANDE Les vues optimistes que développait Champagny sur la ruine de la perfide Albion, furent démenties par la reprise de l'économie anglaise en 1809. Quelle autre cause assigner à ce redressement britannique que le développement de la contrebande sur le continent malgré les cordons douaniers et la justice prévôtale ? En Méditerranée, Malte, siège de trente à quarante firmes anglaises, Gibraltar et Salonique étaient les principaux centres d'une contrebande active. Dans l'Adriatique, les cargaisons britanniques étaient déchargées sans difficulté à Trieste. A l'entrée de la Baltique, Göteborg assurait le trafic avec l'Europe septentrionale. Le commerce d'Angleterre signalait un rapport, se fait sous pavillon suédois. Les bâtiments masquent leurs cargaisons et sous le prétexte d'apporter une cargaison suédoise, ils apportent des denrées coloniales. Bien des bâtiments entrent dans le port de Copenhague avec le pavillon danois et y apportent des denrées coloniales : et quoiqu'ils viennent directement d'Angleterre, ils sont censés venir d'Islande ou de Norvège avec des productions islandaises ou norvégiennes. Dans la mer du Nord c'est Heligoland qui ravitaillait les ports allemands. L'île fut occupée dès septembre 1807 par les Anglais. A partir d'avril 1808 le trafic s'y développa avec la complicité du gouvernement britannique : Le commerce d'Heligoland augmente chaque jour, signalait un agent anglais, et des envois réguliers sont faits d'Angleterre, qui ont fait baisser les prix à un niveau équitable, je n'ai aucun doute qu'il augmentera et que toute la vigilance de l'ennemi ne peut pas l'empêcher. Pendant les dix derniers jours, sept petits bateaux sont partis d'ici, certains avec des cargaisons valant de 2 à 3000 livres. Il s'est agi d'un trafic de troc de produits coloniaux et d'articles manufacturés en échange de denrées alimentaires et de grains. Débarqués sur le continent, les ballots utilisaient les grands axes de circulation. D'Amsterdam, ils remontaient le Rhin par péniche jusqu'à Arnhem où ils étaient placés à bord de voitures; à partir du grand-duché de Bade ils étaient ensuite distribués en Allemagne. Hambourg concurrençait d'ailleurs Amsterdam en alimentant par la voie de terre Francfort. Souvent aussi les ballots continuaient leur remontée du Rhin jusqu'en Suisse. De Trieste les cotons d'Amérique et les produits coloniaux gagnaient Vienne puis Strasbourg et Bâle, Munich et Leipzig. Seule la frontière française était suffisamment surveillée pour décourager les contrebandiers. Dans le Doubs en mai et en août 1808, de véritables batailles rangées opposèrent agents des douanes et bandes armées de fraudeurs. Fréquemment éclataient des scandales qui mettaient en cause de hautes personnalités. A Strasbourg, en 1808, la saisie d'une bernoise verte par deux préposés des douanes de la Wantzenau révèla que l'ingénieur des ponts et chaussées, Robin, participait à une entreprise de contrebande qui s'alimentait à Hanau en marchandises venues de Francfort. Peu après était découverte une nouvelle affaire où furent inculpés des médecins et de gros négociants strasbourgeois. Le mouvement de contrebande s'accrut encore en 1809 surtout autour de Mulhouse. On compte près de cent mille contrebandiers et l'on voit même des assureurs couvrir leurs opérations. Ainsi la fraude a-t-elle fait le jeu de l'Angleterre. Mais la reprise des exportations britanniques vers le continent fut surtout stimulée par le soulèvement espagnol. L'historien le plus récent du Blocus continental, François Crouzet, remarque à juste titre : Si à un premier semestre de dépression et de marasme succéda un second semestre pendant lequel les exportations et l'activité industrielle accusèrent une reprise sensible qui annonce le boom de 1809-1810, la cause primordiale en fut l'insurrection de l'Espagne. En effet, celle-ci ouvrit ou rouvrit aux exportateurs britanniques des marchés importants dans la péninsule Ibérique et en Amérique latine. De plus, en attirant vers la péninsule l'attention de l'Empereur et une bonne partie de la Grande Armée, elle laissa le champ libre à la contrebande en Europe du Nord et en Méditerranée. Première faute diplomatique de l'Empereur, la guerre d'Espagne, on l'a vu plus haut, a permis à l'Angleterre de surmonter une crise économique qui pouvait lui être fatale. LE SYSTÈME CONTINENTAL Cependant que les Anglais achèvent sans difficulté de s'emparer des colonies de la France et de ses alliés, qu'ils prennent Le Cap puis Java aux Hollandais, la Guadeloupe et l'île de France aux Français, qu'ils s'installent en Amérique où les colonies espagnoles du Mexique, du Pérou, du Chili et de la Colombie en 1810 puis du Paraguay en 1811, sont en état d'insurrection contre l'« usurpateur Joseph », Napoléon révèle, face à la contrebande, son impuissance à contrôler les côtes du continent. Pour renforcer son système douanier, il doit pratiquer une politique d'annexion : Ancône, les Légations, Parme, Plaisance et la Toscane, les États pontificaux, les provinces illyriennes — dont Trieste — enlevées à l'Autriche par la paix de Vienne, passent sous domination française. Furieux contre son frère Louis qui a vainement essayé de négocier avec l'Angleterre, par l'intermédiaire des banquiers Baring et Ouvrard, les conditions d'une paix qui aurait préservé les intérêts économiques de son royaume, Napoléon lui enlève, en mars 1810, la rive gauche du Waal, puis après l'abdication du roi, annexe la Hollande le 9 juillet 1810. Cette annexion, explique Champagny, « complète l'empire de Votre Majesté et l'exécution de son système de guerre, de politique et de commerce ; c'est un premier pas, mais un pas nécessaire vers la restauration de sa marine, enfin c'est le coup le plus sensible que Votre Majesté puisse porter à l'Angleterre ». Le sénatus-consulte qui réunit la Hollande à la France incorporait à l'Empire une partie du grand-duché de Berg, les possessions des deux branches princières de Salm, le duché d'Oldenbourg, une partie considérable du royaume de Westphalie et les trois villes hanséatiques de Hambourg, Lübeck et Brème qui formèrent trois nouveaux départements : l'Ems-Supérieur (Osnabrück), les Bouches-du-Weser (Brême) et les Bouches-de-l'Elbe (Hambourg). « Les immenses magasins d'Heligoland menaceraient toujours de s'écouler sur le continent si un seul point restait ouvert au commerce anglais sur les côtes de la mer du Nord », précisait Champagny. Pour mettre fin à la contrebande suisse, Napoléon faisait occuper le Tessin et le Valais en novembre 1810. Cette fureur annexionniste, conséquence logique du Blocus continental, fit sensation. Elle accentuait encore le déséquilibre européen et portait atteinte à la solidité de l'œuvre napoléonienne en Allemagne en bafouant l'autorité des rois que l'Empereur y avait créés. Elle irritait l'ensemble de l'Europe, y compris le tsar dont le duc d'Oldenbourg était le beau-frère. En France même on s'affolait devant un accroissement dangereux des départements détruisant l'harmonie et compromettant l'avenir d'une France limitée à ses frontières naturelles. Cette politique tirait sa justification du Blocus : quand Napoléon fit des entorses à celui-ci par le régime des licences, le système continental devint impopulaire. LE RÉGIME DES LICENCES Les nouvelles mesures prises par l'Empereur n'ont pas mis fin à la contrebande ; elle s'est tout simplement déplacée vers l'Est. « Les routes de Russie en Prusse, de Pologne et de Moravie à Vienne des provinces ottomanes dans celles de l'empire d'Autriche sont encombrées de marchandises », signale la correspondance des consuls. Le Danube remplace le Rhin. C'est à Vienne que l'Europe vient s'approvisionner en coton au terme d'étonnants voyages qu'évoquera quelques années plus tard Jean-Baptiste Say dans sa condamnation du protectionnisme : On expédiait de Londres des bâtiments chargés de sucre, de café, de tabac, de coton filé pour Salonique d'où ces marchandises étaient portées sur des chevaux ou des mulets, à travers la Serbie et la Hongrie dans toute l'Allemagne et même en France, de sorte qu'une marchandise que l'on consommait quelquefois à Calais venait d'Angleterre qui en est à sept lieues, après avoir fait un détour qui équivalait pour les frais à un voyage de deux fois le tour de la terre. D'autre part le Blocus se révèle pour Napoléon une-arme à double tranchant. Plus encore que les Iles britanniques gorgées de stocks et menacées par le chômage et l'inflation, le continent qui ne dispose pas encore de produits de remplacement en quantité suffisante (le sucre de betterave, par exemple, n'en est qu'à ses premiers essais) souffre de la pénurie de matières premières et de denrées coloniales. L'acte d'embargo de Jefferson a privé l'industrie française du coton américain. Les manufacturiers ne reçoivent plus que le coton de Naples et celui du Levant, mais cet approvisionnement est insuffisant. Aux plaintes des industriels se joignent celles des consommateurs qui trouvent le tissu de laine ou de lin d'un prix trop élevé. Les importations de sucre brut tombent de 25 millions de kilos en 1807 à 2 millions en 1808. Le café ne cesse d'augmenter. Les denrées coloniales, avoue le ministre de l'Intérieur Cretet, le 1er juin 1808, éprouvent un renchérissement si rapide qu'on ne pourrait plus s'expliquer comment il se trouve des acheteurs de coton de Pernambouc de 11 à 12 francs la livre, de sucre à 5 à 6 francs et de café à 8 francs, si l'on ne remarquait que le bénéfice énorme fait sur ces denrées est devenu l'objet d'un agiotage dans lequel on voit mêlés les gens de toutes les classes. Enfin les exportations européennes sont également touchées. Aux plaintes des industriels et des consommateurs s'ajoutent celles des armateurs et des exploitants agricoles. Le continent n'était-il pas vendeur à l'Angleterre de blés, de fruits, de laine, de bois et surtout de vins ? La chambre de commerce de Bordeaux signale un engorgement d'eaux-de-vie en 1809. De surcroît, la récolte en grains de 1808 ayant été surabondante, les paysans se plaignent de ne pouvoir exporter leur surplus. Un dernier argument oblige Napoléon à assouplir son Blocus : la chute du revenu des douanes qui le prive d'une ressource fiscale importante au moment où il se trouve engagé en Espagne dans un type de guerre qui cesse de rapporter. L'Angleterre avait donné l'exemple en autorisant par le régime de licences les importations de vins et d'alcools français ainsi que d'autres articles dont la liste fut établie le 19 juillet 1808. Napoléon se rallie à cette idée et Cretet en informe les préfets par une circulaire du 14 avril 1809 : Sa Majesté, dans le dessein de favoriser l'exportation des grains qu'elle a permise et celle des vins et eaux-de-vie, liqueurs et fruits secs ou confits et légumes, s'est déterminée à accorder des licences spéciales aux navires qui voudraient prendre des cargaisons semblables. Ainsi, devant l'échec d'un Blocus qui n'enrichit que les fraudeurs, Napoléon se fait-il lui-même contrebandier : il établit un commerce direct avec l'Angleterre, alors qu'il l'interdit aux alliés, vassaux ou neutres. La France abondant en produits coloniaux et le reste du continent en étant privé, c'est le commerce français qui les distribuera en Europe et non plus l'Angleterre par la voie de la contrebande. Au monopole que Napoléon entendait réserver sur le marché européen à l'industrie française vient donc s'ajouter la répartition des denrées coloniales. Ce nationalisme mercantile s'exprime dans les décrets de 1810 qui marquent un tournant dans la conception du blocus. Première étape : le décret du 3 juillet qui décide « qu'il ne sera plus donné de licences qu'à des bâtiments français » ; est autorisée l'exportation de « toutes marchandises des fabriques françaises et denrées du sol français dont la sortie n'est pas prohibée», c'est-à-dire les céréales et les eaux-de-vie. Vient ensuite le décret de Saint-Cloud du 25 juillet qui place tout le commerce maritime de l'Empire sous l'autorité de Napoléon : « A dater du 1er août, décide l'Empereur, aucun navire ne pourra sortir de nos ports à destination de l'étranger, s'il n'est muni d'une licence signée de notre main. » Ces licences doivent permettre l'entrée en France de tous les produits dont ce pays a besoin; leur redistribution sur le continent sera dorénavant effectuée — contre une commission d'intermédiaire — par le commerce français. Enfin, le 5 août, le décret de Trianon précise les droits que devront payer à leur entrée les denrées coloniales : 800 francs par quintal pour les cotons de Georgie, 400 francs pour les cotons du Levant, même somme pour le café. Droits énormes ; ils sont calculés pour que ces denrées ne coûtent pas plus cher au consommateur que par la voie de la contrebande ; seulement le bénéfice va désormais dans les caisses de l'État et non plus dans les poches des fraudeurs. Reste à appliquer le décret. Certes il n'y a pas eu de gros problèmes dans les États soumis à l'influence française. Toutefois le roi de Bavière, prenant la parole au nom des mécontents, n'hésita pas à écrire à Napoléon que ses mesures frappaient plus durement les amis de la France que ses ennemis. Désireux de faire un exemple pour couper court aux protestations en procédant à la vente des stocks coloniaux au nouveau tarif, Napoléon choisit Francfort. Considérant que la ville « était encombrée de marchandises anglaises et coloniales », il en ordonna le séquestre immédiat. Deux régiments d'infanterie commandés par Friant, et des douaniers de Mayence participèrent à l'opération qui rapporta au Trésor une dizaine de millions. Dernière étape de « ce tournant », le décret de Fontainebleau, daté du 19 octobre, vint accentuer la rigueur de la nouvelle politique douanière. Il fallait anéantir définitivement tout commerce de denrées coloniales en Europe pour ne pas concurrencer celui que Napoléon mettait en application en France. A Francfort, les autodafés des 17, 20, 23 et 27 novembre produisirent une considérable impression. Le commerce de la ville en sortit ruiné. Le mécontentement devint général en Allemagne. Plus grave encore, la solidarité des milieux d'affaires intervenant, la panique gagna la banque et le négoce français. LA CRISE FRANÇAISE DE 1801-1811 Du nouveau système sortit la crise de 1810, qui culmina au moment de la naissance du Roi de Rome. La spéculation sur les denrées coloniales avait remplacé l'agiotage sur les assignats ; elle connaissait depuis le décret de Berlin un énorme développement. Les décrets de 1810 la ruinèrent. L'exportateur anglais ne pouvait plus être payé par le négociant allemand, suisse ou hollandais dont la marchandise était saisie, et les importateurs français qui avaient consenti des avances aux maisons d'Amsterdam, de Bâle et de Hambourg, ne purent récupérer leur argent. Les signes avant-coureurs de la crise éclatèrent au mois de mai 1810 : dans la correspondance qu'il échangeait avec Napoléon, le ministre du Trésor Mollien dénonçait les effets du jeu sur les denrées coloniales et plus particulièrement les spéculations à la hausse en Hollande et dans les villes hanséatiques. En septembre, la faillite de Rodde, grande maison de Lübeck, entraînait celle de la haute banque parisienne : Laffitte, Fould, Tourton. Les banqueroutes se multiplièrent en novembre et décembre. « Toutes les places de France, d'Allemagne et d'Italie sont ébranlées », signale un rapport. L'année 1810 s'achevait sur une cascade de faillites à Paris et à Lyon. Les premiers mois de 1811 s'annonçaient difficiles. L'industrie de la soie souffrit tout particulièrement : à Lyon le nombre des métiers battant diminua de moitié; Tours, Nîmes et l'Italie furent pareillement atteints. La crise s'étendit au coton : à Rouen, les ateliers n'utilisèrent bientôt plus qu'un tiers de la matière première qu'ils employaient en 1810; dans le Nord, la chute fut encore plus considérable. A son tour, la laine était touchée ; le quart des drapiers suspendirent leurs paiements. Moins sérieuse dans la métallurgie, la dépression n'épargna pourtant ni le Haut-Rhin, ni la Moselle, ni les Pyrénées. En août et en septembre, les escomptes n'atteignirent à Paris que le douzième du chiffre de l'année précédente. Sur cinquante mille ouvriers parisiens, vingt mille étaient réduits au chômage dans le courant de mai. Napoléon s'en tint aux expédients habituels : prêts aux industriels (Richard-Lenoir, Gros-Davilliers), fortes commandes de la cour (un décret du 6 janvier 1811 imposa le port de l'habit de soie aux Tuileries), grands travaux de terrassement. Vers la fin de l'été, la crise parut toucher à son terme. Survint une mauvaise récolte qui en prolongea les effets. Alors que le Midi souffrait de la sécheresse, une série d'orages anéantissait une partie des récoltes du Bassin parisien. La situation n'était pas désastreuse, mais la peur de la disette réveilla les vieux réflexes. « L'attente déçue, observait le ministre de l'Intérieur, a exagéré le mal, et l'opinion, qui se porte toujours sur les extrêmes, a favorisé la spéculation à la hausse et le renchérissement des grains. » Le prix du pain monta brusquement à Paris de 14 à 16 puis à 18 sols en mars 1812. Et même à ce dernier prix, les miches restaient introuvables, passées les premières heures de la matinée. On finit par envisager le rétablissement du maximum, rebaptisé' en raison des souvenirs révolutionnaires taxe. Le décret du 8 mai 1812, qui fixait le prix maximum de l'hectolitre de blé dans la Seine et les départements limitrophes, eut pour effet de faire disparaître tous les grains des marchés. En revanche, dans les Bouches-du-Rhône où le préfet, Thibaudeau, se garda d'appliquer le maximum, la ville de Marseille fut à peu près approvisionnée. S'il n'y eut pas de mouvements séditieux à Paris, c'est que le prix du pain ne dépassa jamais les 20 sols au-delà desquels la misère s'installe dans les milieux populaires, que des soupes à la Rumfort furent largement distribuées et surtout qu'il n'y eut pas concordance entre le chômage et la disette. Toutefois on ne parvint à éviter que de justesse une manifestation de femmes du faubourg Saint-Antoine, le 19 janvier 1813, au passage de l'Empereur à la barrière de Charenton. Napoléon a systématiquement ménagé la capitale. Rappelons l'une de ses phrases les plus célèbres : « Il est injuste que le pain soit maintenu à bas prix à Paris, quand il est haut ailleurs, mais c'est que le gouvernement est là, et les soldats n'aiment pas à tirer sur les femmes qui, avec des enfants sur le dos, viennent crier devant les boulangeries. » Sa position n'a pas varié depuis la crise de l'an X. Il en alla différemment en province. Dans la Manche, l'hectolitre de froment passa de 20 francs dans la deuxième quinzaine d'août 1811, à 30 francs dans la première quinzaine de mars 1812. A Cherbourg par exemple, la situation devint dramatique : « La misère des ouvriers du port est de plus en plus effrayante et on ne peut se procurer du pain, même avec de l'argent ; beaucoup d'ouvriers n'ont vécu depuis trois jours qu'avec des légumes, nourriture insuffisante pour des hommes de peine et de fatigue », indique un rapport. Les grains disparaissaient des marchés. A Caen, le 2 mars 1812, des émeutes éclataient aux halles. « Passez-moi le préfet, que je l'écorche comme un vieux cheval », hurlait un manifestant, équarrisseur de son état. Aux émeutiers se joignirent les conscrits du Calvados. Vols et pillages accompagnèrent ces violences, mais le 3 mars, tout était rentré dans l'ordre. Restait la misère, aggravée par les difficultés de l'industrie textile. En approchant de Lisieux, note le commissaire de police de Caen, on ne rencontre que des figures livides et des corps défaillants ; on voit partout des malheureux assis au bord des chemins, attendant les effets de la pitié des voyageurs. Du laitage, des herbes cuites, du fromage et du son grossier sont la nourriture des paysans qui n'ont pas même la ressource du pain d'avoine. Autre département, à un bout opposé de la France, les Alpes-Maritimes. Même disette. Le préfet observe : La classe pauvre des communes rurales ne vivait plus au printemps dernier que d'herbes sauvages et de racines qu'on mangeait sans assaisonnement et sans sel ; dans quelques endroits, on a remplacé ce dernier par l'emploi de l'eau de mer. On a eu le spectacle affreux d'individus qui ont succombé à leur misère et sont morts de faim. Si la récolte est satisfaisante, la famine a pour cause le chômage provoqué par l'effondrement de l'industrie textile. C'est le cas de l'Aisne : Sur aucun point, signale son préfet, les privations ne sont venues du manque absolu de grains, mais de la difficulté d'en atteindre le prix qui, même taxé, n'en était que trop élevé pour le peuple. Des individus en assez grand nombre ont mangé du pain d'avoine ; d'autres même ont été réduits à délayer du son dans du lait. Mais ces tristes exemples sont plutôt l'effet d'une grande misère, d'un défaut absolu de travail et de ressources pécuniaires que celui d'une disette dont nous n'avons jamais éprouvé les effets, puisque nous avons pu, au contraire, secourir les départements voisins. Ainsi chômage et disette se relaient ou se combinent pour aggraver la misère. Des troubles éclatent un peu partout : des moulins ou des boulangeries sont pris d'assaut, des voitures ou des bateaux transportant du blé attaqués et pillés, des fermes brûlées par des bandes de mendiants de plus en plus nombreux et menaçants. Des placards apparaissent : « Peuple souffrant Sans pain et sans ouvrage, Tu dors ! » Ou encore : « Avis au peuple, Du pain, de l'ouvrage ou la mort. » Des notables sont menacés, comme Barbier, important négociant rennais et beau-frère d'un ministre : « Grand coquin de Barbier, usurier, accapareur de grains, Ouvre-nous ton grenier, ou la mort ! » Certaines menaces frappent d'épouvante ceux qui en sont l'objet : une torche allumée au-dessus de la porte d'un propriétaire ou d'un riche fermier. La bourgeoisie, menacée dans ses biens et ses personnes, prend peur. Bien qu'absorbé par les préparatifs de la campagne de Russie, Napoléon doit intervenir. Certes, les émeutes sont peu nombreuses : en dehors de Caen, Rennes et Charleville ont été le siège des plus importantes. Néanmoins l'autorité est bafouée, la propriété menacée, le désordre général. Il faut un exemple. Caen est choisi. Napoléon y envoie le général Durosnel avec des troupes nombreuses. Un conseil de guerre se réunit le 14 mars. Il prononce huit condamnations à mort dont deux par contumace. Les six condamnés à mort présents, dont deux femmes, des dentelières, sont exécutés le 15. Les troupes quittent la ville le 17. « Les faubourgs coupables sont consternés, tremblent, et déjà, depuis deux jours, des objets volés ont été restitués », écrit le préfet. Ailleurs, la gendarmerie est renforcée. Mais si les troubles se sont étendus à une quarantaine de départements, ils n'ont jamais mis en danger le gouvernement; aussi le retour à l'ordre est-il rapide. A la fin de l'année, l'agitation est retombée. La récolte de 1812 fut satisfaisante en effet dans la plupart des départements. Particulièrement abondante, celle de 1813 favorisa le retour à une situation normale. C'est à ce moment qu'une série de faillites dues à la perte des débouchés du Nord et de l'Est, vint prendre le relais de l'agriculture. Les contemporains eurent le sentiment d'une même et longue dépression de trois années, alors qu'il s'agissait d'une succession de trois crises différentes : une surproduction née de la spéculation, une relative mauvaise récolte, une nouvelle surproduction provoquée par la perte du débouché allemand. Ce qu'il faut toutefois noter, c'est que le prestige de l'Empereur sort diminué de la crise. Sans doute le monde rural et les ouvriers parisiens demeurent-ils, malgré tout, encore attachés à Napoléon. N'a-t-il pas maintenu le prix du pain à un taux raisonnable dans la capitale et évité de trop graves désordres dans les campagnes ? En revanche, la bourgeoisie se détache définitivement du régime, tandis qu'en Europe, les rigueurs des décrets de Trianon et de Fontainebleau lui aliènent la sympathie des Allemands et des Hollandais, préparant les révoltes de 1813. LA DÉPRESSION ANGLAISE Jamais pourtant Napoléon ne fut aussi près de la victoire qu'en 1811. Amorcée par le fléchissement de la livre sterling et la mauvaise récolte de 1809, une crise économique éclatait en effet outre-Manche. Le renforcement du système continental et les mesures énergiques prises à l'égard de la contrebande anglaise, joints à la saturation des marchés continentaux après les énormes exportations de produits coloniaux en 1809, portèrent un coup sensible au commerce britannique. D'autre part, pour gagner de nouveaux clients en Amérique du Sud, les hommes d'affaires anglais avaient accordé de trop longs délais de paiement et encombré les marchés de produits qui se vendaient à perte. Crise de la monnaie, hausse du prix des céréales, baisse des exportations, déceptions rencontrées dans les colonies espagnoles constituent en 1810 les premiers éléments d'une dépression qui s'aggrava l'année suivante. En 1811, la baisse du commerce extérieur prit dans certains secteurs l'aspect d'un effondrement. La valeur totale des exportations accusa une forte baisse. L'industrie fut atteinte : d'abord le coton, puis la petite métallurgie, enfin les constructions navales. Le chômage s'étendit et les revenus ouvriers baissèrent au moment où la mauvaise récolte de 1811 provoquait une forte hausse du coût de la vie. Des émeutes secouèrent Nottingham en février 1811; elles s'accompagnèrent de bris de machine. Des Midlands, le mouvement gagna le Lancashire et le Yorkshire. Les contemporains demeurèrent persuadés que les briseurs de machines préparaient un soulèvement général contre le gouvernement et le massacre des classes riches. En réalité le luddisme était surtout une explosion de mécontentement populaire contre le chômage et la hausse du prix du pain. La crise anglaise prit une tournure nouvelle sur le plan extérieur, avec la rupture des relations anglo-américaines qui aboutit, le 18 juin 1812, à une nouvelle guerre entre la Grande-Bretagne et les États-Unis. A la fin de 1812, la situation de l'Angleterre était inquiétante, alors que semblait s'améliorer celle du continent. Pour la seconde fois, l'application du Blocus continental provoquait dans l'île une grave crise économique compliquée de troubles sociaux. Pour la seconde fois aussi, au moment où il allait peut-être contraindre l'Angleterre à plier, Napoléon se lançait dans une nouvelle aventure militaire. De son système de licences l'Emnereur avait attendu an'il finançât la guerre qu'il préparait contre la Russie ; mais en facilitant l'exportation de céréales vers les Iles britanniques, il épargna aux Anglais la famine. Sans doute n'avait-il jamais songé à affamer l'Angleterre ; nul ne peut dire toutefois la tournure qu'aurait prise le mouvement luddite si la disette avait plus cruellement frappé l'Angleterre. L'objectif restait sa ruine économique. S'il était revenu victorieux de Moscou, Napoléon aurait probablement entièrement fermé le continent aux marchandises britanniques. L'hiver russe allait sauver l'économie anglaise de la catastrophe, comme l'avait sauvée en 1808 la guerre d'Espagne. NOTES SOURCES : Aux Archives nationales les sous-séries AFIV (1058-1059, subsistances, et 1355, résultats généraux du système de licences, ont été peu exploitées), F 7 (rapports de police sur la crise), F 11 (subsistances), F 12 (crises industrielles), F 20 (statistiques). Nombreux documents sur la dépression dans les archives départementales. Fondamentale est la correspondance de Napoléon et de Mollien, Napoléon, Lettres au Comte Mollien (1959). Compléter par les Mémoires de Mollien. On peut consulter sur le sujet ceux de Chaptal, Gaudin, Laffitte (médiocres), Ouvrard, Pasquier (essentiels pour la capitale et les questions d'approvisionnement), Réal (très insuffisants), Savary et surtout Thibaudeau (expliquent clairement la politique suivie par le préfet dans les Bouches-du Rhône). Parmi les nombreuses brochures qui éclairent la crise, il faut privilégier encore une fois F. d'Ivernois, Exposé de l'exposé de la situation de l'Empire publié à Paris en février-mars 1813 (1814) et Napoléon administrateur et financier (1814). Il y a intérêt à se reporter à Magnien, Tarif des droits de douane et de navigation maritime de l'Empire français (éd. 1808, 1811 et 1813) et au Tableau des prix moyens mensuels et annuels du froment en France depuis le Ier vendémiaire an IX jusqu'au 31 décembre 1870 (1872) et au Nouveau traité du change de Dégrange (1808). OUVRAGES : Il convient d'ajouter aux livres généraux cités dans le chapitre sur le Blocus continental : M. Dunan, « Napoléon et le système continental en 1810 », Revue d'Histoire diplomatique, 1946, pp. 71-98 (met en lumière le changement de conception dans la politique étrangère et antianglaise de Napoléon); du même, pour les applications de cette politique, L'Allemagne de la Révolution et de l'Empire, t. I, fascicule 2, 1800-1815 (1954), et « Napoléon, l'Italie et le système continental », Revue de l'Institut Napoléon, 1965, pp. 176-190; F. L'Huillier, Étude sur le Blocus continental. La mise en œuvre des décrets de Trianon et de Fontainebleau dans le Grand-Duché de Bade (1951); G. Servières, L'Allemagne française sous Napoléon Ier (1904; en fait Hambourg et le Blocus), et B. Groshulska : « L'économie polonaise et le renversement de la conjoncture », Revue d'Histoire moderne, 1970, pp. 620-630. Les implications américaines ont été bien dégagées par P.A. Heath, Napoleon I and the origins of the anglo-americain war of 1812 (1929), U. Bonnel, Là France, les Etats-Unis et la guerre de course (1961). En revanche, Schalk de la Faverie, Napoléon et l'Amérique (1917), est complètement dépassé. Essentiel est l'article de R. Dufraisse, « La politique douanière de Napoléon », Revue de l'Institut Napoléon, 1974, pp. 3-25. En attendant la publication du gros ouvrage du même auteur sur la contrebande, lire F. Ponteil, « La contrebande sur le Rhin au temps de l'Empire », Revue historique, 1935, pp. 257-286 ; J. Bertrand, « La contrebande à la frontière du Nord en 1811, 1812 et 1813 »,Annales de l'Est, 1951, pp. 276-306 ; J. Tulard, « La contrebande au Danemark », Revue de l'Institut Napoléon, 1966, pp. 94-95 ; R. Dufraisse, « Contrebandiers normands sur les bords du Rhin », Annales de Normandie, 1961, pp. 209-231. La crise a fait l'objet d'une excellente analyse de Chabert, Essai sur le mouvement des revenus et de l'activité économique en France de 1798 à 1820 (1949) et d'une étude plus détaillée d'O. Viennet, Napoléon et l'Industrie française, la crise de 1810-1811 (1947). Parmi les recherches régionales : Lavalley, Napoléon et la disette de 1812. A propos d'une émeute aux halles de Caen (1895); R. Levy, «La disette au Havre en 1812», Revue des Études napoléoniennes, juillet 1915, pp. 5-43 ; L. Boniface, « La disette de 1811-1812 dans le département des Alpes-Maritimes », Annales Soc.Lettres, Sciences et Arts des Alpes-Maritimes, 1936, pp. 266-284 ; F. L'Huillier, « Une crise de subsistances dans le Bas-Rhin », Annales d'Histoire de la Révolution française, 1937, pp. 518-536 ; P. Léon, « La crise des subsistances de 1810-1812 dans le département de l'Isère », Ibidem, 1952, pp. 289-309 ; J. Vidalenc, « La vie économique des départements méditerranéens pendant l'Empire », Revue d'Histoire moderne, 1954, pp. 165-198 ; J. Labasse, Le Commerce des soies à Lyon sous Napoléon et la crise de 1811 (1957); J. Vidalenc, « La crise des subsistances et les troubles de 1812 dans le Calvados », Actes du 84e Congrès des Sociétés savantes; Gaillard, « La crise économique de 1810-1811 à Saint-Omer », La Revue du Nord, 1957, pp. 153-186 (d'après la feuille d'annonces de Saint-Omer qui, bien que très asservie au pouvoir impérial, laisse percevoir les difficultés du pays de Thé-rouanne) ; Lantier, « La crise alimentaire de 1812 », Revue du Département de la Manche (1961, pp. 130-147); Hemardinquer, « Document sur les crises de 1805 à 1815 à Lyon » (89e Congrès des Sociétés savantes (1964), pp. 239-263); R. Cobb, La Protestation populaire en France, 1789-1820 (1975, première étude approfondie des mouvements séditieux de 1812). Pour Marseille on consultera l'excellente monographie de R. Caty, « Jean-Louis Bethfort et le commerce des blés à Marseille de 1801 à 1820 », Provence historique, 1973, pp. 164-216. Sur les questions d'approvisionnement de Paris : Passy : « Napoléon, l'approvisionnement de Paris et la question des subsistances », Séances et travaux de l'Académie des Sciences morales et politiques 1897, pp. 558-616, 777-820 ; L. de Lanzac de Laborie, Paris sous Napoléon, t. V (1908); J. Tulard, Nouvelle Histoire de Paris: le Consulat et l'Empire (1969). Sur les produits de remplacement : R. Pascal, Une Industrie disparue à Albi : l'indigopastel (1954). Pour l'industrie, Ch. Ballot, « Les prêts aux manufactures sous le Premier Empire », Revue des Études napoléoniennes, 1912, pp. 45-77. Sur la crise anglaise, outre la thèse de F. Crouzet, W. Galpin, The grain supply of England during the Napoleonic period (1925). DÉBATS OUVERTS Le Blocus continental a déterminé un déplacement des grands axes routiers, notamment avec l'Orient dont les routes maritimes étaient coupées (Échinard, Grecs et Philhellènes à Marseille de la Révolution à l'Indépendance de la Grèce, 1973). A la fin de l'année 1810, souligne Ch. Schmidt (« Napoléon et les routes balkaniques», Revue de Paris, 1912, pp. 335- 352), les frontières de l'Empire français touchaient en effet, au sud-est, aux frontières de l'Empire ottoman. « Désormais un voyageur pouvait aller de Paris aux États du Grand Seignéur sans quitter le territoire français ou tout au moins les pays de domination française. » Cette splendide continuité, ce« continent aux barrières maritimes fermées par des portes d'airain », selon la formule de Montalivet, dissimulait de profondes fissures. Remplaçant le Rhin, le Danube devint en 1810 le canal par lequel les États allemands s'approvisionnèrent en marchandises anglaises. « Pendant le règne de Bonaparte, on expédiait de Londres des bâtiments chargés de sucre, de café, de tabac, de coton filé, pour Salonique, d'où ces marchandises seraient portées sur des chevaux ou des mulets, à travers la Serbie et la Hongrie, dans toute l'Allemagne et même en France. » Jean-Baptiste Say puise dans ce spectacle ses idées libre-échangistes (Schmidt, « Jean-Baptiste Say et le Blocus continental », Revue d'Histoire des Doctrines économiques et sociales, 1911). J. Bouvier (« Les crises économiques sous l'Empire», Revue d'Histoire moderne, 1970, p. 512) distingue dans l'origine de la grande dépression de 1810-1815 une crise industrielle, celle de 1810, autonome, liée à des difficultés d'approvisionnement en matières premières dues aux Blocus; une crise agricole en 1811; une crise de déflation en 1812 engendrée par le financement de la guerre et les troubles de confiance. Peut-être sous-estime-t-il dans l'effondrement de 1810 les difficultés bancaires (B. Gille, La Banque et le Crédit en France de 1815 à 1848, 1959) et les problèmes monétaires (G. Thuillier, «La crise monétaire de l'automne 1810 », Revue historique, sept. 1967, pp. 51-84) ; l'auteur montre que la réforme de 1810 « tendant à réduire le cuivre et le billon à la valeur de la livre tournois et à en borner l'emploi au paiement des appoints au-dessous d'un franc » déclencha une panique monétaire à Bordeaux comme sur la frontière de l'Est où abondaient les mauvaises monnaies étrangères. Dans la distinction classique opérée par E. Labrousse entre crises de type ancien (où le secteur agricole déclenche la crise) et crises de type moderne (c'est le secteur bancaire et industriel qui sert de détonateur), la dépression de 1810-1815 occupe une place particulière : elle a combiné les deux types (Chabert, op. cit. et Gabillard, « Le financement des guerres napoléoniennes », Revue économique, 1953, pp. 548-572), prenant même une dimension mondiale (Angleterre, États-Unis). Roger Dufraisse a montré que la crise avait eu des effets inégaux selon les régions : « La crise de 1810-1812 en pays annexé, la rive gauche du Rhin » (Francia, 1978). Le système des licences, entorse au Blocus, est particulièrement complexe. Il faut distinguer les premières licences, signées en 1809 et autorisant l'exportation des denrées du sol français contre les fers et les munitions navales, les produits coloniaux restant prohibés ainsi que les produits manufacturés anglais (F. Crouzet, « Importations d'eaux-de-vie et de vins français en Angleterre pendant le Blocus continental », Annales du Midi, 1953 ; P. Butel, « Le commerce maritime de la France sous le Consulat et l'Empire », Information historique, 1968; Viard, « Les conséquences économiques du Blocus continental en Ille-et-Vilaine », Rev. Études napoléoniennes, 1926), les licences de nouveau système définies par le décret du 3 juillet 1810, les licences de 1812-1813 autorisant l'échange du vin et des soieries contre toutes les denrées coloniales, café, sucre ou indigo. Des ports annexés comme Livourne, Gênes ou Trieste obtinrent des licences, ce ne fut pas le cas de ceux du Royaume d'Italie. Napoléon ne perdit jamais de vue les intérêts français (Dufraisse, « l'Intégration hégémoniale de l'Europe », Revue de l'lnstitut Napoléon, 1984, avec analyse des principaux traités de commerce). CHAPITRE VII Les défaites Faut-il croire Marmont lorsqu'il rapporte les propos que lui aurait tenus en 1809 un ministre de Napoléon : « Voulez-vous que je vous dise la vérité, que je vous dévoile l'avenir ? L'Empereur est fou, tout à fait fou, et nous jettera tous, tant que nous sommes, cul par-dessus tête, et tout cela finira par une épouvantable catastrophe » ? Ce représentant de la bourgeoisie nantie faisait preuve de lucidité, il traduisait l'inquiétude grandissante des notables devant la suite incessante des guerres. Depuis longtemps les frontières naturelles, ces limites géographiques que la politique étrangère de la France, de Richelieu à Talleyrand, avait pris pour objectif, étaient dépassées. Qui aurait pu nier que le « plan incliné » de la conquête devait conduire immanquablement au désastre, un désastre qui risquait de remettre en cause de surcroît les principes de la Révolution? La catastrophe survint en 1812, gigantesque, à la mesure des événements qui avaient précédé; elle favorisait la formation de la plus grande coalition européenne que la France ait jamais eu à affronter. LES ORIGINES DU CONFLIT FRANCO-RUSSE Souhaitée par le tsar, la rupture avec la France répondait à des causes politiques et économiques. Sur le plan diplomatique, Alexandre n'avait pas retiré les avantages escomptés de l'alliance de Tilsit. Le partage de la Turquie était constamment ajourné par Napoléon qui, maître de Rome, songeait maintenant à Constantinople. La formation du grand-duché de Varsovie annonçait la résurrection d'un royaume polonais dont la Russie ne voulait à aucun prix, surtout si ce royaume devait être soumis à l'influence française. Déjà la France, par l'annexion du duché d'Oldenbourg puis celle des villes hanséatiques, était en train de s'assurer le contrôle de la Baltique. L'impérialisme français venait heurter de front les centres névralgiques de la Russie. Il menaçait aussi les intérêts économiques. L'application du Blocus continental avait arrêté les exportations de blé, de chanvre et de bois à destination de l'Angleterre : Napoléon n'avait offert aucun débouché de rechange. De là le vif mécontentement des propriétaires russes. D'après les renseignements fournis, les exportations russes à destination de la France s'élevaient à 257 000 roubles tandis que la France importait en Russie pour 1 511000 roubles de marchandises. Fidèle à ses idées mercantilistes, Napoléon s'accommodait aisément de ce déséquilibre de la balance commerciale russe. Mais le tsar pouvait-il accepter une telle hémorragie ? Commissaire général des relations commerciales à Saint-Pétersbourg, Lesseps attirait l'attention de son ministre sur cette désastreuse situation, dans une lettre du 22 avril 1809 : «Le cours actuel du change prouve d'une manière incontestable à quel point la Russie se trouve froissée par les événements politiques. » Et de préciser : Les flottes ennemies, obstruant la Baltique, n'ont laissé pénétrer l'année passée que les vaisseaux qui ont pu échapper à leur surveillance, ou qui, par des moyens illégaux, se sont mis à l'abri de leur rapacité. Il est constant que sans exportations, la balance de commerce est toute contre la Russie. L'encombrement de ses chanvres, de ses bois, de ses suifs, de ses goudrons, de ses potasses, de ses cuirs, de ses fers et de mille autres articles de gros volume et de peu de valeur doit produire sa ruine totale si cette situation critique se prolonge encore plusieurs années. Sur trois cent trente-huit navires recensés en 1809, un seul est parti à destination de Bordeaux, c'est dire le faible débouché offert par la France. De plus celle-ci n'a pas comblé le vide laissé par l'Angleterre. Or les navires français n'apportent pas à la Russie les produits dont elle a besoin. Un rapport de Lesseps du 22 mars 1810 indique que des bâtiments venus de Bordeaux et de Marennes dans le courant de 1809 ont été admis sans formalité sérieuse « parce que les besoins de la Livonie et de la Courlande étaient tels qu'on eût à craindre une insurrection si on avait empêché de débarquer leur charge ». En fait, loin d'exporter des produits de première nécessité, la France adressait à la Russie eaux-de-vie, parfumerie, porcelaine et bijouterie. Dès 1809, l'attitude des autorités russes vis-à-vis du Blocus dut être considérablement assouplie : on ferma les yeux sur les arrivées de bâtiments prétendus neutres. A Riga, le volume du commerce avec l'Angleterre serait resté égal à celui des années normales. L'ukase du 31 décembre 1810 frappa les produits de luxe français. Réaction inévitable, destinée à mettre fin au déséquilibre de la balance commerciale russe. Dans une lettre du 25 mars 1811, le tsar justifie le nouveau tarif par « la gêne extrême du commerce maritime et la baisse effrayante de notre change ». Mais les pressions politiques sur l'Empereur de Russie n'étaient pas moins fortes que celles des milieux d'affaires. L'accord de Tilsit avait été mal accueilli par la cour de Saint-Pétersbourg. Les Français interceptèrent et communiquèrent au tsar une lettre qui établissait l'existence d'une conjuration destinée à remplacer Alexandre par sa soeur Catherine. N'ignorant pas le sort réservé à son père Paul Ier, désavoué par son entourage, le tsar a fait marche arrière dès le lendemain de Tilsit : passivité à Erfurt, refus d'une alliance matrimoniale avec Napoléon, entorses au Blocus continental. A la cour et au négoce s'ajoutait d'ailleurs l'armée. Elle avait refusé de fraterniser avec les Français à Tilsit. Selon Davydov dans ses Mémoires de guerre : Seuls la curiosité de voir Napoléon et le fait d'être le témoin oculaire de quelques détails du rendez-vous des deux plus grands empereurs du monde avaient distrait un peu nos sentiments. Mais là s'arrêtait tout notre amusement. La compagnie des Français, nous n'en avions que faire. Aucun de nous ne chercha à se lier d'amitié ni même à faire connaissance avec le moindre Français, nonobstant leurs efforts, conséquence d'un ordre secret de Napoléon, de nous séduire par toutes sortes de politesses et d'amabilités. 1812 était déjà parmi nous, sa baïonnette fichée dans le sang jusqu'à la bouche du fusil, son couteau planté jusqu'au coude. Napoléon lui aussi avait été déçu par l'accord de Tilsit. Il n'avait guère apprécié la réserve russe à Erfurt et lors de la guerre austro-française. Il ne pouvait tolérer la moindre brèche dans le système continental au moment où celui-ci paraissait acculer une nouvelle fois l'Angleterre à la faillite. Les chambres de commerce avaient poussé dès 1806 (la chambre de Lyon en tête) à une reprise des relations commerciales. Champagny écrivait à Caulaincourt le 7 décembre 1807 : « Sa Majesté m'ordonne de vous parler du commerce français. Il paraît seul à Saint-Pétersbourg. Jamais occasion plus belle ne se présentera de le faire renaître. » Mais très vite, on avait déchanté ; l'éloignement, la cherté des transports, l'incertitude du crédit, l'existence de débouchés plus accessibles en Allemagne et en Italie, finirent par détourner les négociants français de la Russie. La perte définitive de ce marché ne présentait donc qu'un médiocre dommage et ne justifiait pas, aux yeux du commerce français, l'éventualité d'une guerre. Cette guerre, Napoléon, en dépit des réticences des notables, la voulait. Elle entrait à ses yeux dans le cadre du conflit franco-anglais ; elle était la conséquence logique du système continental. Faut-il prendre au sérieux les confidences faites par l'Empereur à Narbonne et que celui-ci aurait révélées plus tard à Villemain : « Cette longue route est la route de l'Inde. Alexandre était parti d'aussi loin que Moscou pour atteindre le Gange... Vous savez la mission du général Gardanne et celle de Jaubert en Perse; rien de considérable n'en est apparu ; mais j'ai la carte et l'état des populations à traverser pour aller d'Érivan et de Tiflis jusqu'aux possessions anglaises dans l'Inde... Supposez Moscou pris, la Russie abattue, le Czar réconcilié ou mort de quelque complot de palais, peut-être un trône nouveau et dépendant ; et dites-moi, si, pour une grande armée de Français et d'auxiliaires partis de Tiflis, il n'y a pas accès possible jusqu'au Gange qu'il suffit de toucher d'une épée française, pour faire tomber dans toute l'Inde cet échafaudage de grandeur mercantile »? Si ces déclarations sont authentiques, ne visaient-elles pas à abuser Narbonne ? Napoléon était-il sincère ou se laissait-il griser par l'énorme armée réunie en 1812? Dès 1811, le Dépôt de la guerre, et plus particulièrement le cabinet topographique que dirige Bacler d'Albe, est chargé de l'établissement des cartes de la future campagne. Du matériel est réuni à La Fère, Metz, Mayence, Wesel et Maestricht pour être acheminé vers Dantzig. L'Empereur croit à une guerre rapide. Il aurait affirmé à Narbonne : « Les peuples barbares sont superstitieux et ont des idées simples. Un coup terrible porté au cœur de l'Empire, sur Moscou la Grande, Moscou la Sainte, me livre en un moment cette masse aveugle et sans ressort. » Il compte que les serfs de Lituanie se soulèveront contre leurs seigneurs à l'approche de la Grande Armée et que le rouble s'écroulera (Napoléon fait pour plus de sûreté fabriquer de la fausse monnaie). Quelques avertissements lui sont pourtant adressés. Le capitaine Leclerc, qui avait réuni une partie de la documentation nécessaire à l'établissement d'une statistique de la Russie, observait, en janvier 1812, que « si l'Empereur Napoléon faisait pénétrer son armée dans l'intérieur de la Russie, elle serait anéantie comme celle de Charles XII le fut à Poltava ou forcée à une retraite précipitée ». Et Leclerc d'ajouter : « Je pense que le Russe seul peut faire la guerre en Russie. » D'autres voix s'élevaient au début de 1812 contre le danger d'ouvrir un front à l'Est alors que l'affaire d'Espagne n'était pas réglée. Interprète des brumairiens, Talleyrand ne dissimulait pas — avant même « le commencement de la fin » — son scepticisme. La guerre éclata en juin 1812. Le tsar avait formé avec l'appui de l'Angleterre la sixième coalition qui ne comprenait guère que la Russie. Pour la première fois la France disposait d'une supériorité numérique écrasante. Napoléon pouvait compter en principe sur la Prusse et sur l'Autriche. En réalité, Metternich avait prodigué au tsar tous les apaisements nécessaires. « Quelle garantie me donnez-vous ? demandait l'ambassadeur russe. — L'intérêt même de la monarchie autrichienne », répondait Metternich. Le roi de Prusse écrivait à Alexandre pour lui affirmer : « Si la guerre éclate, nous ne ferons de mal que ce qui sera d'une nécessité stricte, nous nous rappellerons toujours que nous sommes unis, que nous devons un jour redevenir alliés. » En attendant, Autriche et Prusse s'empressaient de fournir un contingent à la formidable armée de six cent soixante-quinze mille hommes rassemblée par Napoléon. Une armée où l'on trouvait également des Suisses, des Polonais, des Italiens, des Belges, des Hollandais... bref toute l'Europe soumise à l'Empereur. Le 17 mai Napoléon est à Dresde. « Un parterre de rois » s'y trouve réuni. Le faste des cérémonies qui s'y déroulèrent a été maintes fois décrit. A-t-on remarqué que pour la première fois avant d'entrer en campagne Napoléon ne se pose plus en chef de la Révolution, mais en monarque qui accueille ses proches, l'empereur d'Autriche ou le roi de Prusse? C'est là qu'il aurait laissé échapper que la suite des événements en France eût pris un autre cours si son pauvre oncle avait montré plus de fermeté. Le pauvre oncle c'était Louis XVI dont Napoléon, en épousant Marie-Louise, était devenu le neveu par alliance. La bourgeoisie révolutionnaire a dû frémir. Tout le grise et le convainc qu'il l'emportera facilement sur la Russie. Le 1er juin, de Posen, il écrit à Marie-Louise qu'il sera près d'elle dans trois mois. Souvenir de la Révolution ? Les officiers de service l'entendent avec surprise entonner à pleins poumons, à Thorn, Le Chant du départ: « Et du Nord au Midi, la trompette guerrière A sonné l'heure des combats Tremblez, ennemis de la France... » Sur les bords de Niémen, on l'entendra fredonner Malbrough s'en va-t'en guerre. Rarement il aura débuté une campagne d'aussi bonne humeur. La Russie ne lui oppose en effet que cent cinquante mille hommes répartis en deux armées sous le Commandement de Barclay de Tolly et de Bagration. Mais un événement important vient assombrir l'horizon : la paix signée à Bucarest entre Russes et Turcs. « Les ignorants disciples de Mahomet firent la paix au moment où ils pouvaient réparer les suites d'un siècle de guerres malheureuses », écrit Jomini. LE DÉSASTRE Les troupes françaises passent le Niémen à Kovno le 24 juin. Napoléon fonce sur Vilna pour séparer les forces russes : il espère les anéantir l'une après l'autre puis dicter la paix. Mais il ne découvre que le vide : les soldats russes reculent devant l'envahisseur, faisant le désert autour d'eux. Napoléon croit les saisir à Smolensk, le 17 août, mais ils lui échappent encore. En deux mois, aucune bataille sérieuse n'a été livrée, cependant les effectifs de la Grande Armée ne cessent de fondre : cent cinquante mille militaires sont déjà hors de combat : la maladie, les désertions, le manque de vivres provoquent une hémorragie de cinq à six mille hommes par jour. La mésentente est grande entre les chefs. Davout s'empare de Minsk le 8 juillet et pourrait couper la retraite de Bagration si Jérôme attaquait de front. Celui-ci ne fait rien et lorsque Napoléon entend le subordonner à Davout, il quitte l'armée. Selon le témoignage du futur évêque Butkevic, alors en Lituanie, les Français paraissaient mal préparés : les dragons devenus lanciers avaient dû échanger leurs fusils contre les lances dont ils ne savaient pas se servir ; « les chevaux se cabraient, les cavaliers s'énervaient » ; de même « l'inexpérience dans la manière de ferrer les chevaux d'artillerie pour traverser les steppes glacées du Nord, imposa l'abandon de nombreux canons ». Pour ménager l'opinion française Napoléon avait compté sur les seules ressources prussiennes et polonaises : hostilité des habitants en Prusse, réserves en Pologne, routes mauvaises, récoltes insuffisantes, tout s'en mêla. De plus Napoléon ne parvenait pas à accrocher l'adversaire cependant que fondaient peu à peu ses effectifs épuisés par les marches forcées et les étapes trop longues. C'était le triomphe des idées préconisées par le comte Lieven et Clausewitz. Ce dernier, passé au service du tsar, n'avait-il pas affirmé au quartier général russe que Bonaparte devait périr vaincu par les dimensions gigantesques de cet Empire si la Russie savait en tirer le parti qu'il fallait, c'est-à-dire épargner ses forces jusqu'au dernier instant et ne conclure de paix sous aucun prétexte? Il recommandait « d'évacuer tout le pays jusqu'à Smolensk et de ne commencer la guerre pour de bon que dans cette région ». Telle sera la version répandue après la campagne par les Russes. Le repli de leurs forces aurait été délibéré. En réalité Clausewitz dans son récit de la campagne a bien montré que la tactique de la terre brûlée ne fut appliquée qu'accidentellement par le quartier général. Si les généraux reculèrent, ce fut surtout par crainte d'af fronter Napoléon et d'être vaincus par lui, et non par calcul. Mais pouvait-on laisser prendre Moscou, la ville sainte, sans combat ? Le 18 août Napoléon était entré à Smolensk. Le lendemain, à la bataille de Valoutina, Murat, Davout et Ney avaient atteint les Russes ; selon le plan de Napoléon, Junot aurait dû tomber sur leurs arrières, mais il se refusa à tout mouvement. L'occasion d'une bataille décisive était manquée. Malgré la fatigue des troupes, Napoléon reprend la poursuite. « Le péril même nous pousse vers Moscou. » Le vieux Koutousov fut chargé de barrer la route à l'envahisseur. Il vint s'établir sur la Moskowa, au sud de Borodino. A l'issue d'une bataille acharnée et terriblement meurtrière, Napoléon força le passage, le 7 septembre. Tolstoï chantera plus tard la victoire russe de Borodino. Il est plus équitable de parler du succès français de la Moskowa puisque, le 14, la Grande Armée entrait dans Moscou. Mais les pertes subies étaient lourdes ; de plus un gigantesque incendie détruisit les trois quarts de la ville, la rendant invivable ; enfin Alexandre s'obstinait à refuser toute négociation. Une nouvelle fois, Napoléon découvrait la guerre nationale, celle qui mêle patriotisme et fanatisme religieux, et jette tout un peuple contre l'envahisseur. La guerre conçue comme une partie d'échecs entre gens de bonne compagnie, faisait place à un conflit où tous les coups sont permis, où les règles cessent d'être respectées. Coupé de son Empire par la longueur des communications — il fallait quinze jours à un courrier pour assurer la liaison Moscou-Paris —, las d'attendre le bon vouloir d'Alexandre, Napoléon, en dépit des approvisionnements qui lui auraient permis de passer l'hiver à Moscou, donnait, au milieu d'octobre, l'ordre de la retraite. Le 19 octobre, l'armée évacuait la ville. Rien n'eût été perdu si Napoléon, malgré les pertes importantes déjà subies, avait pris une autre route que celle de l'aller. Malheureusement pour lui, Koutousov l'obligea, à la bataille de Maloïaroslavets, le 24 octobre, de reprendre le chemin de Smolensk à travers un pays dévasté par les Russes d'abord puis par l'armée française en marche sur Moscou. D'autant que les soldats s'étaient davantage chargés de butin que de vivres. A la faim s'ajouta le froid. Après Smolensk le thermomètre tomba à —20°, à —30° même. Nuits interminables sans feu et sans lumière. Le jour éclairait un long cortège d'hommes enveloppés de chiffons des pieds à la tête (depuis longtemps les chaussures avaient cédé), se traînant dans la neige et laissant sur leur chemin des cadavres, des canons et des voitures. Tout valait mieux que de tomber aux mains des cosaques de Platov qui harcelaient la colonne. Dans ses souvenirs un officier russe, Boris Uxkull, raconte que les moujiks achetaient des prisonniers français pour les précipiter dans un chaudron d'eau bouillante ou les empaler. Il en coûtait deux roubles par homme. L'historiographie russe a beaucoup insisté sur le rôle des partisans qui lui paraît plus décisif que celui du climat. Même si l'imagination a amplifié l'étendue du désastre, les scènes d'horreur racontées par les survivants n'ont pas été inventées. Le passage de la Bérésina par deux ponts formés de madriers qu'édifièrent dans l'eau glacée les pontonniers d'Eblé, prit un tour dramatique. Ségur a décrit cette masse profonde, large et confuse d'hommes, de chevaux, de chariots, assiégeant l'étroite entrée des ponts qu'elle débordait. Les premiers, poussés par ceux qui les suivaient, repoussés par les gardes et les pontonniers ou arrêtés par le fleuve, étaient écrasés, foulés aux pieds ou précipités dans les glaces que charriait la Bérésina. Il s'élevait de cette immense et horrible cohue, tantôt un bourdonnement sourd, tantôt une grande clameur, mêlée de gémissements et d'affreuses imprécations. La bataille de la Bérésina dura du 27 au 29 novembre. Quand Eblé fit sauter les ponts, il restait plusieurs milliers de traînards sur l'autre rive. Mais Napoléon avait échappé à l'encerclement et conservait 50 000 combattants. La retraite de Smorgoni à Vilna par — 36° et sans ravitaillement, fut le coup de grâce. On laissa 20 000 blessés, malades ou déserteurs à Vilna. Le 16 décembre, dix-huit mille hommes seulement auraient repassé le Niémen ; d'autres arrivèrent à leur tour, par petits groupes, dans les jours qui suivirent. L'on évalue les pertes totales en morts, prisonniers ou déserteurs, à trois cent quatre-vingt mille soldats. Ce fut l'un des plus grands désastres de l'histoire et son ampleur même a servi en définitive la légende de Napoléon. LA PERTE DE L'ALLEMAGNE Napoléon avait quitté son armée le 5 décembre, vers vingt-deux heures, pour rentrer précipitamment à Paris où il arrivait dans la nuit du 18 au 19. Long voyage sur lequel nous sommes parfaitement renseignés par Caulaincourt. La nouvelle du coup d'État manqué du général Malet, coup d'État que nous analyserons au chapitre suivant, avait fait vive impression sur l'esprit de l'Empereur. Il s'avouait irrité par l'oubli dans lequel avait été tenu le roi de Rome par de hauts fonctionnaires comme Frochot : « Les continuels changements de gouvernement depuis la Révolution ont trop familiarisé les hommes avec eux. » Il prévoyait la future défection du Sénat et envisageait de lui substituer une Chambre des pairs, «mais dans un esprit vraiment national ». Toutes les notabilités y seraient admises. Sensible aux critiques qu'il sentait venir des milieux bourgeois et qu'il espérait désarmer par la pairie, il s'attachait enfin devant Caulaincourt à justifier son gouvernement : « J'aime le pouvoir, dit-on. Eh bien, quelqu'un dans les départements est-il fondé à se plaindre ? Jamais les prisons n'ont réuni moins de prisonniers. Se plaint-on d'un préfet sans obtenir justice ? Premier Consul, Empereur, j'ai été le roi du peuple; j'ai gouverné pour lui, dans son intérêt, sans me laisser détourner par les clameurs ou les intérêts de certaines gens. » Le peuple? Napoléon précisait aussitôt: « Je dis le peuple, c'est-à-dire la nation, car je n'ai jamais favorisé ce que beaucoup de gens entendraient par le mot peuple : la canaille. Je n'ai pas plus favorisé les grands seigneurs, car si le peu de lumière et la misère des uns les rendent toujours disposés au désordre, les prétentions des autres les rendent au moins aussi dangereux pour l'autorité. » Autant dire que le gouvernement napoléonien ne cherchait pas d'autres assises sociales que la bourgeoisie. A cette dernière, il importait de rendre une confiance ébranlée par l'annonce de la retraite contenue dans le 29e bulletin. « Nos désastres, confiait l'Empereur à Caulaincourt, feront une grande sensation, mais mon arrivée en balancera les fâcheux effets. » Le 19 décembre, il déclare à Decrès et Lacuée de Cessac: « La fortune m'a ébloui. J'ai été à Moscou, j'ai cru signer la paix. J'y suis resté trop longtemps. J'ai fait une grande faute, mais j'aurai les moyens de la réparer. » Déjà Napoléon est au travail. Les mauvaises nouvelles ne cessent d'affluer. Le général prussien York dont le corps faisait partie de l'armée française passe aux Russes par la convention de Tauroggen, signée le 31 décembre. La Prusse orientale se soulève contre la domination française et le mouvement gagne la Silésie et le Brandebourg. Le 28 février 1813, sous la pression de ses conseillers et du monde estudiantin qui vide les universités pour s'engager, Frédéric-Guillaume signe un traité d'alliance avec le tsar et lance « la guerre de délivrance». « La guerre sainte que chantent Arndt, Körner et Rückert. Pourtant avec la rapidité qui l'a toujours caractérisé, Napoléon parvient à tirer d'une France que l'on croyait épuisée, trois cent mille conscrits de dix-huit à dix-neuf ans que l'on instruira en leur faisant prendre la route de l'Allemagne. Il se refuse en effet à abandonner l'Espagne où se trouvent immobilisés deux cent cinquante mille soldats aguerris et une cavalerie bien entraînée qui lui feront défaut dans les moments décisifs. Devant Caulaincourt déjà, il s'obstinait à affirmer : « La guerre d'Espagne n'existe plus que dans les guérillas. » Et d'ajouter: « L'opposition au nouvel ordre des choses venant des classes inférieures, le temps et l'action des classes supérieures, dirigées par un gouvernement fort, sage, appuyé par une gendarmerie nationale et soutenu en même temps par des corps français, peuvent seuls calmer cette effervescence. La haine s'usera, quand on verra que nous n'apportons au pays que des lois plus sages, plus libérales, mieux adaptées au temps où nous vivons que les vieilles coutumes et l'Inquisition qui régissaient ce pays. » Peut-être cherchait-il seulement à se rassurer. L'erreur avait été de s'engager en Russie avant d'avoir résolu l'affaire d'Espagne. En 1813 il est trop tard. Les Anglais sont dans la péninsule et l'Empereur ne peut plus dégarnir son front méridional. Lâcher l'Espagne, comme l'ont suggéré certains de ses censeurs, serait folie. Tout l'édifice impérial s'écroulerait. Au demeurant les cours allemandes hésitaient à s'engager aux côtés de la Prusse et de la Russie. La confédération du Rhin envoya les contingents que lui réclamait l'Empereur. Seule l'offensive, Napoléon ne l'ignore pas, peut encore tout sauver. Le plan établi, tel qu'il l'expose le 11 mars 1813 dans des notes à l'intention d'Eugène, devenu, après le départ de Murat, commandant en chef de la Grande Armée, repliée à Leipzig, est non moins saisissant que la fameuse dictée du camp de Boulogne: Après avoir fait toutes les tentatives pour faire supposer que je veux me porter sur Dresde et dans la Silésie, mon intention sera probablement (à couvert des montagnes de la Thuringe et de l'Elbe) de me porter sur Havelberg et d'arriver à marches forcées sur Stettin avec trois cent mille hommes et de continuer la marche de l'armée sur Dantzig, où on peut arriver en quinze jours; et le vingtième jour du mouvement, après que l'armée aurait passé l'Elbe, on aurait débloqué cette ville et on serait maître de Marienburg et de tous les ponts de la basse Vistule. Voilà pour l'ordre offensif. Pour l'ordre défensif, le principal but étant de couvrir la 32e division militaire, Hambourg et le royaume de Westphalie, c'est le point de Havelberg qui forme tout cela. Napoléon avait prévu d'engager les opérations en mai. La campagne de Saxe fut rapide et permit à l'Empereur de renouer avec victoire : il bouscula Blücher et Wittgenstein qui commandaient les forces prusso-russes à Weissenfeld et Lützen (1er et 2 mai). Après les avoir rejetés au-delà de l'Elbe, il les poursuivit et les battit à nouveau à Bautzen et à Wurschen (20 et 21 mai). On a souvent souligné combien l'absence de cavalerie avait handicapé Napoléon: il n'a pu détruire l'ennemi. Mais c'est l'acharnement des forces prussiennes dans les combats qui constituait l'élément nouveau, transformant les batailles en boucheries. « Ces animaux ont appris quelque chose », reconnaissait l'Empereur. Le 4 juin, un armistice de deux mois est signé à Pleswitz. Napoléon ne peut espérer en effet une victoire décisive, mais la Prusse et la Russie, même unies, ne sont pas en mesure de vaincre la France: l'Autriche se trouve ainsi en position d'arbitre. Les liens matrimoniaux seront-ils plus forts que la vieille solidarité des coalitions européennes? La haine de la Prusse l'emportera-t-elle sur le mépris de l'aristocratie ? Sans se prononcer, Metternich propose sa médiation. Mais dès le début des négociations, il fait connaître ses conditions pour un retour de la paix sur le continent : restitution de la Prusse et éventuellement disparition de la Confédération du Rhin. Conditions qui, on le voit, ne remettaient pas en cause les frontières naturelles de la France et auraient pu être acceptées par les notables. Mais Napoléon ? L'entrevue de l'Empereur et de Metternich, le 26 juin à Dresde, même si le récit en a été arrangé par le diplomate autrichien, éclaire bien la position de faiblesse dans laquelle se trouvait le vainqueur de Bautzen: « Qu'est-ce donc qu'on veut de moi? me dit brusquement Napoléon. Que je me déshonore ? Jamais ! Je saurai mourir mais je ne céderai pas un pouce de territoire. Vos souverains, nés sur le trône, peuvent se laisser battre vingt fois et rentrer toujours dans leurs capitales : moi, je ne le puis pas, parce que je suis un soldat parvenu. Ma domination ne me survivra pas, du jour où j'aurai cessé d'être fort et par conséquent d'être craint. » Erreur psychologique dans la mesure où la France, lasse de la guerre, eût admis la restitution des provinces illyriennes et l'abandon de la cause polonaise. Erreur aussi, de la part de Napoléon, que de penser, comme il le confiait à Metternich, que Vienne resterait neutre. C'était compter sans la pression de l'Angleterre : les subsides anglais pouvaient seuls aider le cabinet autrichien à résoudre la crise financière dans laquelle il se débattait. Les nouvelles venues d'Espagne confirmaient la chute de la domination française sur la péninsule et sonnaient le glas de la puissance napoléonienne. Le 27 juin, Metternich conclut avec la Russie et la Prusse l'accord, resté alors secret, de Reichenbach sous la houlette anglaise: Vienne devait entrer en guerre avec la France si celle-ci n'acceptait pas les bases de paix proposées par Metternich. Le congrès s'ouvrit à Prague au milieu de juillet, la date d'expiration de l'armistice étant reportée au 10 août : il ne tint que quelques séances. Déjà l'Autriche avait arrêté sa position. Le 12, elle entrait en guerre. Les Alliés mettaient en marche trois armées : celle du Nord, sous Bernadotte qui entraînait la Suède dans la coalition, celle de Silésie avec Blücher et l'armée de Bohême commandée par Schwarzenberg. Napoléon avait prévu une triple offensive: au Nord, Davout contre Berlin, au centre Ney affrontant Blücher, lui-même enfin, fonçant sur la Bohême. C'était disperser ses forces, c'était aussi trop compter sur l'initiative de maréchaux habitués à une obéissance passive aux ordres de l'Empereur. Si Napoléon arrêta l'armée de Bohême à la bataille de Dresde (26-28 août) où Moreau fut tué, les mauvaises nouvelles s'accumulèrent pour les Français : Vandamme fut défait à Kulm, Macdonald battu sur le Katzbach, Oudinot à Grossbeeren au sud de Berlin, et Ney enfin à Dennewitz. Le 9 septembre, le traité de Toeplitz resserrait l'alliance austro-russo-prussienne, cependant que la cavalerie de Tchernitchev chassait Jérôme de Cassel. Le 31 août, Peyrusse entend Napoléon réciter ces vers de Voltaire : « J'ai servi, commandé, vaincu quarante années Du monde entre mes mains, j'ai vu les destinées Et j'ai toujours connu qu'en chaque événement Le destin des États dépend d'un seul moment.» Replié sur Leipzig, l'Empereur livre du 16 au 19 octobre «la bataille des nations » : trois cent vingt mille coalisés contre cent soixante mille Français. Les premiers combats à Wachau, à la Partha et à Lindenau sont victorieux ou incertains. Le 17, Napoléon reste curieusement inactif. Le 18, troisième jour de la bataille, se produit l'événement décisif, la défection des Saxons placés sous le commandement de Reynier, suivie de celle de la cavalerie wurtembourgeoise. « Jusqu'à ce moment, note le major Odeleben qui se trouvait près de l'Empereur, il s'était montré dans le plus grand calme, toujours égal à lui-même; ce revers ne produisit aucun changement dans son maintien, quoiqu'on pût observer des symptômes de découragement sur son visage.» Le 19, les Alliés investissaient Leipzig, la retraite des Français fut compromise par l'explosion prématurée du pont sur l'Elster. Plus de quatre-vingts canons et des centaines de voitures, les troupes de Macdonald, Lauriston et Reynier étaient encore dans la ville ; Poniatowski se noya en tentant la traversée. Le bulletin de la Grande Armée, daté d'Erfurt, le 24 octobre 1813, notait: On ne peut encore évaluer les pertes occasionnées par ce malheureux événement, mais on les porte par approximation à douze mille hommes et à plusieurs centaines de voitures. Les désordres qu'il a portés dans l'armée ont changé la situation des choses: l'armée française victorieuse arrive à Erfurt comme y arriverait une armée battue. En se repliant sur Francfort, puis Mayence, Napoléon dut balayer au passage, le 30 octobre, à Hanau, les Bavarois de Wrede qui avaient fait à leur tour défection. Le typhus vint ajouter ses ravages aux pertes dues aux combats et à une épouvantable retraite sous la pluie. Le 9 novembre, Napoléon était à Saint-Cloud. Situation désastreuse : l'Allemagne napoléonienne s'effondrait. Le royaume de Westphalie n'existait plus. Tous les membres de la Confédération du Rhin s'empressaient de se dégager et de conclure des accords avec l'Autriche. Montgelas, le principal ministre de Bavière, avait donné le signal, le 8 octobre. Le Rhin même se trouvait menacé. Dans son Rheinische Merkur, Goerres en faisait le symbole de l'unité allemande et englobait dans le Volkstum la Suisse qui, répudiant son médiateur, proclamait sa neutralité. Le 29 décembre une diète de quatorze cantons réunie à Zurich avait déclaré l'acte de 1803 aboli, et adopté un concordat qui devait servir de constitution provisoire. A Genève, les adversaires de la France, les Lullin, Pictet de Rochemont et Saladin rétablissaient la république et demandaient leur union à la Confédération. LA PERTE DE LA HOLLANDE En Hollande, la transformation du royaume en départements français n'avait suscité aucune résistance: «Une certaine émotion régnait parmi la population, note Dumonceau dans ses Mémoires; on jasait beaucoup mais on n'en restait pas moins calme et résigné. » On attendait une reprise des affaires commerciales après la suppression des barrières douanières ; on comptait sur un allégement fiscal grâce à la substitution aux contributions hollandaises des impôts français bien moins lourds, on pensait que la domination politique serait légère sous Lebrun, duc de Plaisance, chargé de réorganiser l'administration hollandaise. La déception fut très vive : l'arrivée de Lebrun à Amsterdam s'accompagna d'un renforcement du système douanier hollandais placé désormais sous l'autorité 'd'un directeur français ; des tribunaux spéciaux furent établis pour lutter contre la contrebande ; de gigantesques « brûlements » de marchandises achevèrent d'irriter la population. Des émeutes éclatèrent en avril 1811, sévèrement réprimées par Réal. Le particularisme provincial et les haines religieuses avaient divisé la Hollande, la haine de la France en favorisa l'unité. La retraite de Russie puis l'explosion nationale en Allemagne, stimulèrent l'opposition. A l'annonce de la défaite de Leipzig, le directeur de la police, Devilliers du Terrage, avouait que « les habitants du pays se persuadent qu'ils auront bientôt cessé d'appartenir à la France ». Le 15 novembre, le général Molitor, à l'approche des troupes alliées, dut quitter Amsterdam pour se porter sur la rive gauche de l'Yssel. Son départ donna le signal du soulèvement national. Le 16, Lebrun devait s'enfuir; le 17, un gouvernement provisoire était constitué tandis que les troupes françaises évacuaient la Hollande. Le prince d'Orange, avec l'appui anglais débarquait le 30 novembre. Depuis longtemps Hambourg avait été perdu pour des raisons identiques relevées par Puymaigre dans ses Mémoires: La réunion des provinces hanséatiques à la France fut une cruelle dérision. Les habitants étaient réputés Français et comme tels soumis à toutes nos charges. D'un autre côté, ils restaient étrangers pour qu'on pût aggraver leur sort par de nouvelles vexations. Il n'en fallait pas tant pour mettre une population au désespoir. Cependant telle était la force des illusions dont Bonaparte avait fasciné nos yeux qu'on s'étonnait que les Hambourgeois ne fussent pas des sujets zélés de l'Empereur. LA FIN DU ROYAUME D'ITALIE Les conséquences des défaites napoléoniennes atteignirent naturellement le royaume d'Italie. Les pertes avaient été lourdes pour les Italiens dans les dernières campagnes de l'Empire: sur vingt-sept mille hommes engagés par le vice-roi Eugène en Russie, il ne revint officiellement que cent deux soldats et cent vingt et un officiers. Vingt-cinq mille hommes disparurent dans la campagne d'Allemagne. Autant de troupes qui devaient faire défaut lorsqu'il fallut assurer la défense d'un royaume profondément démoralisé: « Malheureux qui meurt sur le champ de bataille Non pour défendre sa patrie... Mais tué par les ennemis d'un autre peuple Et pour un autre...» chantait Leopardi. Aux menaces d'invasion autrichienne s'ajoutait un nouveau danger venu du Sud. Excédé par les incessants et parfois injustes reproches que lui adressait publiquement son beau-frère, soucieux de conserver son trône napolitain, songeant à faire l'unité italienne à son profit, Murat s'engageait dans d'imprudentes négociations avec l'Autriche. De son côté, contraint de masser la majeure partie de ses troupes en Allemagne, Metternich avait besoin d'un allié en Italie : le contact fut donc pris, avec la bénédiction de l'Angleterre. Ce n'est toutefois qu'après le désastre de Leipzig que le roi de Naples se décida : il contribuerait à chasser les Français de la péninsule mais n'interviendrait pas en France ; en attendant les marchandises anglaises étaient autorisées à pénétrer à nouveau dans le royaume. Dès le début d'octobre l'Illyrie était perdue pour Eugène. Les Autrichiens, aidés par le soulèvement du Tyrol et l'alliance bavaroise, franchissaient les Alpes. Les Français devaient se retirer sur le Tagliamento puis sur la Piave. De leur côté, les troupes napolitaines marchaient vers le Nord. Elisa abandonnait Florence le 1er février 1814. Murat allait s'emparer sans coup férir de la Toscane, mais être contraint de relâcher ensuite son emprise. Situation intenable pour Eugène. Le 17 avril 1814, il devait renoncer à la lutte. Déjà le commandant en chef autrichien Bellegarde avait annoncé, le 3 février 1814, le rétablissement des anciens gouvernements. Napoléon lui-même, pour embarrasser Murat qui convoitait les États pontificaux, libérait, le 21 janvier, le pape avec ordre de l'acheminer sur Rome. Murat à son tour n'était plus sûr de conserver son trône. La domination française sur l'Italie avait vécu. LES DÉFAITES EN ESPAGNE Depuis longtemps déjà, le destin de Joseph en Espagne était scellé. L'Angleterre avait senti la nécessité d'un abcès de fixation sur le continent : Belgique ou Espagne. L'échec de Walcheren, en 1809, incita le cabinet britannique à se consacrer à la péninsule. Arthur Wellesley, futur Lord Wellington, reçut mission, non sans réticence du Parlement, de se fixer au Portugal, adossé à la mer où la flotte assurait son ravitaillement, et de lancer des raids chaque année contre Madrid pour user les Français. Les rivalités des maréchaux, leur incapacité — à l'exception de Suchet en Catalogne — à gagner les sympathies locales, l'insuffisance des effectifs laissés par Napoléon à leur disposition, les pertes de plus en plus élevées (Lapisse tué à Talavera en 1809, Senarmont devant Cadix en 1810, Lagrange grièvement blessé à Tudela dès 1808, Colbert mort en 1809) favorisèrent les desseins de Wellesley qui triomphait de Victor et de Jourdan en désaccord à Talavera, le 27 juillet 1809, et recevait, pour ce succès, le titre de vicomte Wellington. Joseph ne fut bientôt à Madrid qu'un roi-fantôme recevant ses ordres de Paris et soumis à un mentor en la personne de Soult. Masséna avait été invité par ailleurs à déloger Wellington. Il lui tendit un piège en faisant investir par Ney Ciudad Rodrigo où se trouvait enfermée la dernière armée régulière espagnole. Wellington ne bougea pas. Ciudad Rodrigo tombée, Masséna engageait l'offensive contre Lisbonne mais il se heurta à la tactique portugaise de « la terre brûlée» puis aux lignes fortifiées de Torres Vedras. « L'enfant chéri de la victoire » piétina jusqu'en mars 1811. Napoléon avait ordonné à Soult de quitter Séville pour aider Masséna. Mais Soult s'attarda à Badajoz puis retourna en Andalousie. Masséna dut battre en retraite, une retraite qui eût été réussie si Wellington n'avait surpris les Français à Fuentes de Onoro, le 4 mai. Napoléon rappela d'Espagne en 1812 la jeune garde, affaiblissant ainsi le front Sud au profit de l'armée de Russie. Il limitait l'essentiel de sa stratégie dans la péninsule à la protection de l'axe Madrid-Bayonne et offrait même aux Anglais d'évacuer l'Espagne dont l'intégrité serait garantie sous une dynastie dont il ne précisait pas l'origine. Offre rejetée. Wellington reprit l'offensive, enfonçant l'armée de Marmont près de Salamanque; il pénétrait dans Madrid abandonnée par Joseph, mais menacé par une conjonction des forces de Clausel, qui avait succédé au Nord à Marmont, de Soult venu du Sud, et de Suchet établi à Valence, il dut quitter en hâte la capitale, échappant de peu, et grâce à la mésentente des maréchaux français, à l'encerclement. Nouvelle grande offensive en 1813 contre les troupes françaises repliées derrière l'Èbre dans une cohue indescriptible où fonctionnaires civils, maîtresses de généraux et voitures chargées de butin se mêlaient aux combattants. Le 21 juin 1813, à Vitoria, Wellington attaquait le centre et l'aile gauche du dispositif français : Joseph manquait d'être fait prisonnier, cependant que les soldats refluaient vers la frontière en abandonnant canons, armes et bagages. Seul Suchet tint quelque temps encore en Catalogne. Napoléon, ôtant à son frère tout commandement, nommait Soult lieutenant général en Espagne. Retrouvant une énergie dont il avait paru dépourvu en sous-ordre, le duc de Dalmatie reprenait l'offensive mais était arrêté à Pampelune. Le 8 octobre, Wellington franchissait la Bidassoa. Tirant un peu tard la leçon de ces défaites, Napoléon envoyait au milieu de novembre Laforest à Valencay où était retenu Ferdinand VII, avec une lettre ainsi rédigée: «Les circonstances actuelles de la politique de mon Empire me portent à désirer la fin des affaires d'Espagne. L'Angleterre y fomente l'anarchie, le jacobinisme et l'anéantissement de la monarchie et de la noblesse pour y établir une république. » L'ordre dynastique existant en Espagne avant 1808 serait rétabli, les armées françaises évacueraient la péninsule, les prisonniers des deux camps devraient être échangés. Le traité signé entrerait en vigueur dès que les Anglais auraient évacué l'Espagne. Ferdinand VII, le premier mouvement de surprise passé, ne pouvait qu'accepter. La restauration des Bourbons était faite. LA RUINE DES COLONIES Maîtresse des mers, l'Angleterre avait par ailleurs enlevé à la France et à ses alliés toutes leurs colonies, avant même les premières défaites continentales de Napoléon. Sainte-Lucie, Tobago et Saint-Pierre et Miquelon étaient tombées dès la reprise des hostilités. A la Martinique, Villaret-Joyeuse capitulait en février 1809; la Guadeloupe succombait l'année suivante. La Guyane était attaquée par une escadre anglaise et occupée. Le Sénégal connut le même sort. Dès 1810, il ne restait plus à la France de possessions coloniales en Amérique ni en Afrique. Dans l'océan Indien, l'île Rodrigues était prise en 1809; l'île de France où Surcouf avait monté une ultime expédition en 1807 sur le Revenant, tombait à son tour. Les Seychelles succombèrent en 1811. Java, devenue colonie française en juillet 1810 par suite de l'annexion de la Hollande, devint aussitôt l'objet des attaques anglaises et capitulait le 13 septembre 1811 après six semaines de combats. Un article du Moniteur tirait des conséquences inattendues de cet effacement de la France outre-mer : « L'occupation de nos petites colonies était fatale, mais les liens du sentiment qui les rattachaient à la métropole vont se resserrer et leur fierté s'exaltera sous la domination d'un ennemi qui ne sait qu'humiler ceux qui tombent sous son pouvoir. » Quant aux colonies espagnoles (Pérou, Mexique, Argentine...), en détrônant les Bourbons, Napoléon les avait ouvertes aux Anglais. En 1806, lorsque l'amiral Popham, qui s'était emparé dès janvier du cap de Bonne-Espérance, territoire hollandais, avait voulu attaquer Buenos Aires, un Français, Jacques de Liniers, avait repoussé, avec l'appui de la population, l'attaque britannique. Mais, après l'intervention française en Espagne, les colons, organisés en cabildos, refusèrent de reconnaître Joseph, appelèrent Londres à l'aide et fusillèrent Liniers. Déjà les Anglais étaient presque maîtres du Brésil où une escadre avait transporté, en 1808, la famille régnante de Bragance fuyant Junot. En contrepartie, des droits de douane très avantageux avaient été consentis aux négociants britanniques. L'Amérique espagnole offrait un marché non moins vaste, avec la complicité involontaire de Napoléon. Mais le mouvement insurrectionnel, imprudemment déclenché, gagnait, d'avril à juillet 1810, Caracas, Buenos Aires, Santa Fé de Bogota et Santiago du Chili, sous l'impulsion de chefs énergiques, le Mexicain Hidalgo, le Vénézuélien Miranda, qui avait été général de la République française en 1792, Bolivar, dont on assurait qu'il avait assisté au sacre de Napoléon, San Martin et bien d'autres. Ainsi tous les alliés de Napoléon sur le continent avaient-ils perdu leurs colonies. On l'oublie trop: l'aventure impériale eut des conséquences planétaires; de Java à Caracas, touchant même l'Australie avec l'expédition de Baudin sous le Consulat, elle changea le destin des mondes extra-européens tout autant que celui de la vieille Europe. NOTES SOURCES : Sur les archives russes, on se reportera à l'article ancien de Serge Goriaïnow, « Documents russes sur 1812 », Revue des Études napoléoniennes, 1912, pp. 276-295 (qui publie également le journal d'opérations du 1er corps russe — août-décembre 1812, et des extraits de la correspondance de l'Empereur Alexandre 1er et de la grande-duchesse Catherine, d'après l'ouvrage du grand-duc Nicolas Michailovitch). On ne peut ignorer les tomes V. VI et VII de la Ynyechnaya politika Rossy (1967-1972; cf. compte rendu par M. Spivak, Revue de l'lnstitut Napoléon, 1976, pp. 222-223). Consulter les lettres et papiers de Nesselrode (1904). Il faut enfin recourir à G. de Grandmaison, « Napoléon en Russie d'après les documents des archives espagnoles Revue des Questions historiques (1902). Du côté anglais, on consultera les tomes VIII-X de Correspondence, dispatches and other papers, de Castlereagh; les British and foreign state papers (1841); Wellington, Dispatches, t. VI et VII, et les documents publiés par Ch. Webster, British diplomacy, 1813-1815 (1921). Les Mémoires de Metternich mêlent documents et souvenirs personnels. Il en va de même pour ceux de Lebzeltern (1949). Nombreuses pièces diplomatiques en annexe de W. Oncken. Osterreich und Preussen im Befreiungskriege (1880). Les Mémoires sont très abondants sur la campagne de Russie : Aubry (1889), Bangofsky (1905), margrave de Bade (1912), Barrau (Rivista italiana di Studi napoleonici, 1979), Bennigsen (t. III, 1908), Biot (1901), Bourgogne (1898), le Polonais Brandt (1917), Caulaincourt (fondamentaux, les meilleurs Mémoires sur la période, 1933), Chevalier (1970), Coignet (éd. Mistler, 1968), Dedem (1900), Domergue (régisseur du Théâtre français de Moscou, 1835), Dutheillet (intéressants sur les maladies qui frappaient les soldats, 1899), Duverger, Faber du Faur (1895, illustrations), Galitzin (traduction des souvenirs d'un officier russe, 1844), Grüber (1909, le point de vue du corps autrichien de Schwarzenberg), Guitard (1934), Hogendorp (1887), Labaume (1814, énorme succès sous la Restauration), Langeron (1902, point de vue russe), Montesquiou de Fézensac (1863, excellents), Paixhans (1868), Pils (1895), Pion des Loches (1889), Pisani (1942, le point de vue italien), Pouget (1895), Roos (médecin, 1913), Ségur (son Histoire de Napoléon et de la GrandeArmée pendant l'année 1812, 1824, est un classique), Séruzier (1823), Soltyck (1836), Suckow (originaire du Wurtemberg, 1901), Surugues (1821), Tascher (1938), Uxkull (1961, officier russe, détails curieux), Villemain (1853), Wilson (1860). Pour les Russes non traduits en français : cf. la bibliographie de Mme Le Gall-Torrance (Thèse dactyl. hautes-Études, résumé dans Revue de l'lnstitut Napoléon, 1979). Lire les mêmes sur la campagne d'Allemagne, plus Berthezène (1855), Lowenstern (russe, 1903), Odeleben (1817, officier allemand attaché à l'état-major de Napoléon), Parquin (1843). Sur l'Espagne: Jourdan (1899), Marmont (1856), Masséna (1850, t. VII), Noël (1895, récit de Torres-Vedras), Jean-Jacques Pelet (en anglais, éd. Horward, sur 1811 au Portugal), Soult (Espagne et Portugal, 1955), Sprünglin (Revue hispanique, 1904, importants pour le Portugal), Suchet (1828, excellents) ; y ajouter les campagnes du capitaine Marcel (1913). Sur l'Italie : Eugène de Beauharnais (t. VIII et IX). Pour la défection de Bernadotte : Suremain (1902) et Vaudoncourt (1817). Sur la Hollande : Jacquin (1960). Sur l'esprit public, lettres de Maine de Biran au préfet Maurice (1963). L'analyse des campagnes de 1812 et 1813 par Clausewitz entre dans la catégorie des Mémoires ainsi que Jomini : Précis politique et militaire des campagnes de 1812 à 1814 (1886). On lira aussi A. Chuquet, Lettres de 1812 (1911), Norvins, Le Portefeuille de 1813 (1825), La Guerre nationale de 1812 (sur la Russie, 7 vol.) et le carnet de campagne de Colomb sur les partisans allemands (1914). En dehors de la Correspondance de Napoléon, consulter les Lettres personnelles des souverains à Napoléon (inachevé), et sur l'état d'esprit de l'Empereur, les Lettres à Marie-Louise (1935). OUVRAGES : La campagne de Russie a suscité une floraison d'études, particulièrement lors du centenaire de 1912. Quelques synthèses sur l'ensemble de la campagne : Jacoby, Napoléon en Russie (1938); Tarlé, La Campagne de Russie (trad. fr., 1938); G. Bertin, La Campagne de Russie d'après les témoins oculaires; C. de Grunwald; La Campagne de Russie (1963, montage de textes); Palmer, Napoleon in Russia; J. Thiry, La Campagne de Russie (1969); M. Holden, Napoleon in Russia (1974), Otto von Pivka, Armies of 1812 (1976) (effectifs et uniformes), M. Lerecouvreux, 1812, Napoléon et la campagne de Russie (1981), Carmigniani et Tranié, La Campagne de Russie (1982). Le contexte diplomatique est bien évoqué par A. Vandal, Napoléon et Alexandre 1er (t. III, 1896), J. Mansuy, Jérôme Napoléon et la Pologne en 1812 (1931), qui permet de corriger les affirmations erronées de Pradt dans son Histoire de l'ambassade dans le grand-duché de Varsovie (1815), Dundulis, Napoléon et la Lituanie en 1812 (1940). Sur les préparatifs militaires : Tulard, «Le dépôt de la guerre et la préparation de la campagne de Russie », Revue historique de l'armée (1969); L. Hastier, «Napoléon faussaire», Vieilles Histoires (1961, pp. 63-103); Villatte des Prugnes, «Les effectifs de la Grande Armée pour la campagne de Russie », Revue des Etudes historiques (1913); R. Bielecki, «L'effort militaire polonais, 1806-1815», Revue de l'lnstitut Napoléon (1976). Le détail des opérations est donné par Margueron, Campagne de Russie. Préliminaires, 1810-1812 (4 vol., 1898-1906), et par Fabry, Campagne de Russie. Opérations (5 vol., 1900-1903) ; Bonnal, La manœuvre de Vilna (1905). Lire également B. de Baye, Smolensk (1912), et Gronski, «L'Administration civile des gouvernements russes occupés en 1812», Revue dHistoire moderne (1928, pp. 401-412). Van Vlijmen, Vers la Bérésina (1908), voit, dans ce qui passe pour un désastre, un chef-d'œuvre stratégique. Pour l'historiographie russe, le rôle de Koutousov et des partisans fut déterminant (Jiline, Le Désastre de l'armée napoléonienne en Russie, en russe, 1968). Sur les contingents étrangers : Sauzey, Les Allemands sous les aigles françaises (1902-1912) ; Boppe, Les Espagnols à la Grande Armée (1899) ; du même, La légion portugaise, et Lutken, Les Danois sur l'Escaut (1891). L'effort de guerre prussien a suscité, dans l'optique de « la revanche », une multitude de travaux en France: Cavaignac, La Formation de la Prusse contemporaine (1897-1898, principalement le t. II); Vidal de la Blache, La Régénération de la Prusse après léna (1910); Gromaire, La Littérature patriotique en Allemagne (1911); du même, « Arndt et Napoléon », Revue des Études napoléoniennes (1913, IV, pp. 372-401); C. de Grunwald, Stein (1936). Le récit des événements donné jadis par Charras (1870) et Rousset (1871) doit être remplacé par J. d'Ussel, La Défection de la Prusse (1907) ; L'intervention de l Autriche (1912). Pour Clausewitz, le tome I de la copieuse étude de R. Aron (Penser la guerre, 1976) est essentiel. L'influence de l'exemple espagnol est analysée par R. Wohlfeil, Spanien und die deutsche Erbehung, 1808-1814 (1965). On lira aussi Bouvier, Le Redressement de la Prusse (1941) ; Paret, York and the era of Prussian Reform ( 1966) et Clausewitz and the state (1976); Straube, Das Jahr 1813 (1963); Max Lehman, Scharnhorst (1887, vieilli mais utile); Unger, Gneisenau (1914); Ranke, Hardenberg (1874). Hoffmann a laissé une description saisissante du champ de bataille de Leipzig. Le courant pro-napoléonien n'en disparut pas pour autant. Hegel écrivait : « Un jour, l'Allemagne par la puissance d'un conquérant sera réunie en une masse. » Pour le détail des opérations : antérieurement à l'arrivée de Napoléon : Reboul, La Campagne de 1813 (1910-1912) ; vue d'ensemble dans Clément, La campagne d'Allemagne (1904) ; Lanrezac, La Manœuvre de Lützen (1904) ; Tournés, Lützen (1931) ; P. Foucart, Bautzen (1893) et La Poursuite (1901) ; Lefebvre de Behaine, La Campagne de France, t. I intitulé Napoléon et les Alliés sur le Rhin (1913) ; Thiry, Lützen et Bautzen (1971) ; du même, Leipzig (1972). Sur le rôle des corps francs, Spivak, « Le corps franc du major Adolphe von Lutzow », Revue de l'Institut Napoléon (1974). L'attitude de Bernadotte est bien expliquée et sévèrement jugée par L. Pingaud, Bernadotte, Napoléon et les Bourbons (1901). Sur l'Italie et ses incidences dans les événements : H. Weil, Le Prince Eugène et Murat, opérations militaires, négociations diplomatiques (1905); Rath, The fall'of the napoleonic Kingdom in ltaly (1941) et surtout Fugier, Napoléon et l'Italie (1947). Sur Lagarde, directeur de la police en Toscane, la notice biographique par F. Boyer (Rassegna Storica del Risorgimento, 1957, pp. 88-95). Pour Florence, également R. Boudard (Rassegna Storica Toscana, 1974, pp. 47-61). Quant à Rome et à la fin de la domination française, capital est le tome II de la thèse de J. Moulard, Le Comte Camille de Tournon (1930). L'attitude anglaise en Sicile est précisée par J. Rosselli, Lord W. Bentinck and the british occupation of Sicily, 1811-1814 (1956). A la bibliographie relative à Murat et citée plus haut, ajouter A. Valente, Gioacchino Murat e l'ltalia Meridionale (1956); Johnston, The napoleonic Empire in Southern Italy (1904); H. Weil, Joachim Murat roi de Naples, la dernière année du règne (1909). La chute de la Hollande est étudiée de première main par Caumont de la Force, L'Architrésorier Lebrun; gouverneur de la Hollande, 1810-1813 (1907). Pour Hambourg, J. Mistler, « Hambourg sous l'occupation française», Francia, 1973, pp. 451-467 (d'après les rapports d'Aubignosc). Pour l'Espagne, le meilleur récit est celui de G. de Grandmaison, L'Espagne et Napoléon, t. III (1931). Sur l'organisation particulière de la Catalogne: P. Conard, Napoléon et la Catalogne (1910) ; Jean Serramon dans La bataille des Arapiles (1978), met en lumière les incohérences françaises qui se retrouvent à Vitoria (La bataille de Vitoria, 1985). Ce sont les opérations opposant Wellington et Masséna qui ont surtout retenu l'attention : E. Gachot, « Les lignes de Torres Vedras » (Revue des Études napoléoniennes, 1918, XIV, pp. 225-239), est très favorable à Masséna et accable Bessières, Soult et Marmont. Point de vue favorable à Masséna de Valentin (1960), Marshall Cornwall (1965) et de D. Horward, The Battle of Bussaco, Massena against Wellington (1965) et The Twin Sieges of Ciudad Rodrigo and Almeida (1984). Cf. aussi Sarramon, « Campagne de Fuentes de Onoro », Carnet de la Sabretache (1962). Sur la suite : Weller, Wellington in Peninsula (1962). Sur les afrancesados réfugiés en France, après Vitoria : Revue des Études napoléoniennes, 1915, t. VII, pp. 276-278 et Dufour, Llorente en France, 1813-1822 (1979). Sur Suchet, l'un des meilleurs maréchaux : Fr. Rousseau, La Carrière du maréchal Suchet (1898) et surtout Bergerot, Suchet (1986) ; sur Jourdan, sa biographie, très objective, par R. Valentin (1956) ; pour Bessières, celles de Rabel (1903) et d'A. Bessières (1952) et le bulletin Les Amis de Bessières (1969-1976). L'effondrement des colonies est raconté par C. Parkinson, War in the Eastern Seas, 1783-1815 (1954); H. Prentout, L'Ile de France sous Decaen (1901); J. Eymeret, « L'Administration napoléonienne en Indonésie », Revue française d'Histoire d'outre-mer (1973, pp. 27-44); du même, « Java sous Daendels », Archipel (1972, pp. 151-168), qui remplace la vieille thèse de Collet. Sur l'indifférence de Napoléon, point de vue contraire dans Besson et Chauvelot, Napoléon colonial (1939). Pour l'Amérique : Gandia, Napoléon et l'Indépendance de l'Amérique latine (1955); Pardo de Leygonier, «Napoléon et les libérateurs de l'Amérique latine», Revue de l'Institut Napoléon (1962, pp. 29-33); O. Baulny, «La naissance de l'Argentine et l'entreprise ibérique de Napoléon», Ibidem (1970, pp. 169-180); Cl. de Sassenay, Napoléon Ier et la fondation de la République argentine (1892). La guerre maritime aux Antilles est bien évoquée par H. de Poyen (1896). DÉBATS OUVERTS Quelles furent les causes exactes de la défaite de Napoléon en Russie ? L'Empereur a évoqué les conditions atmosphériques. Les historiens russes ont affirmé que la lutte des partisans fut déterminante. Dans son essai Est-ce le gel qui a détruit l'armée française en 1812 ?, Davydov critique les témoignages français dont celui de Chambray (Histoire de l'Expédition de Russie, 1823). Ils confondent deux moments différents de la retraite: de Moscou à la Bérésina, de la Bérésina au Niémen. Pendant la première période, sur vingt-cinq jours, il n'y a eu que trois jours de gel: or les Français ont alors perdu soixante-cinq mille hommes. Comment invoquer uniquement l'hiver? A Eylau ou en Espagne, les conditions n'étaient pas moins rudes. C'est seulement dans la deuxième période qu'il y eut vingt-deux jours de gel continu. Pour les Russes (et il n'est pas nécessaire d'invoquer Tolstoï et Borodino) la défaite française a été préparée par Koutousov coupant à la Grande Armée la route de Smolensk ; elle a été précipitée après les combats de Taroutino (6 octobre), Malojarski (12 octobre) et Krasno (6 novembre), par la jonction des trois armées venues de Moscou, de Finlande et de Moldavie. Peut-on chiffrer les pertes françaises ? Les évaluations de Martinien ne concernent que les officiers ; la liste des 16 000 militaires français ou au service de la France faits prisonniers de guerre de 1810 à 1814 et qui sont morts en Russie, en Pologne et en Allemagne, telle que l'a établie Mehliss en 1826, est peu sûre. Le désaccord est déjà grand sur le nombre des soldats entrés en Russie : 517 000 selon les évaluations de M. Bergerot dans sa thèse inédite sur Daru, d'après l'ordonnateur Robert; Marbot dit 325 900 dont 155 400 Français et 170 500 alliés (mais il est peu crédible); avec Ségur on atteint 444 700 soldats; le Mémorial dira 400 000 dont 140 000 parlant français. La perte des papiers de l'Intendance au « brûlement d'Orcha» (20 novembre) et au passage de la Bérésina, n'arrange rien. Il faut tenir compte des prisonniers, des morts par épuisement en Allemagne (Lariboisière, Éblé). On ne peut avancer que des chiffres concernant certains corps : la moyenne se situe alors entre 50 et 40 pour 100 pour les officiers, 80 à 90 pour 100 pour les soldats. Une légende détruite : T. Sauvel (« Le décret de Moscou mérite-t-il son nom ? », Revue historique Droit français et étranger, juillet 1975, pp. 436-440) démontre que le célèbre décret organisant la Comédie-Française n'a pas été signé à Moscou ni pendant la retraite, mais au retour à Paris. Il fut daté de Moscou dans un but de propagande, pour « sauver la face » et rassurer l'opinion sur l'étendue du désastre. Quelle fut la part de l'incendie de Moscou dans le désastre final ? Il n'a pas déterminé la retraite de Russie mais néanmoins compromis la situation des Français (D. Olivier, L'Incendie de Moscou, 1964). Bien qu'il l'ait nié et accusé les Français, Rostopchine porte une grande responsabilité dans cet incendie dont une part fut probablement accidentelle, Ségur, Rostopchine, 1873; La Füye, « Rostopchine et Koutousov », Revue des Questions historiques, 1936. Quelles furent les raisons du retour de Napoléon et les étapes de ce retour ? Jacques Jourquin a réuni tous les éléments de réponse dans « La Chevauchée fantastique » dans Historia, janvier 1984. L'attitude de Metternich en 1813 a été diversement jugée. Bibl, Metternich der Dämon Osterreich's (1936), en donne un portrait très hostile, Bibl se rattachant à l'école libérale et portant sur le diplomate des appréciations plus sévères que les historiens français (Sorel, Essais d'Histoire et de Critique, 1883; M. Paléologue, Romantisme et Diplomatie, 1924 ; Bertier de Sauvigny, Metternich et son Temps, 1959). H. von Srbik est plus favorable (Metternich, der Staatsman und der Mensch, 1925) et en fait un despote éclairé du siècle des Lumières. H. Kissinger, dans Le Chemin de la Paix (trad. fr. 1972), a introduit, dans l'analyse de la politique de Metternich, un élément souvent négligé : « la légitimité ». Les chapitres IVà VII de son livre sont parmi les plus éclairants qui aient été consacrés à la diplomatie autrichienne. Mais le poids de l'Angleterre dans la formation de la sixième coalition ne peut être sous-estimé (Ch. Webster, The foreign policy of Castlereagh, t. I, 1931, et Buckland, Metternich and the British Government, 1932, qui insiste sur la situation financière difficile de l'Autriche). Bonne mise au point dans Krache, Metternich's german policy (t. I; 1963). Parmi les plénipotentiaires de la Russie en 1813, signalons l'émigré français Anstelt, devenu férocement francophobe (Chuquet, Etudes d'histoire, IV). Napoléon ne s'est pas désintéressé de la marine, comme on l'a écrit trop vite. Il l'a organisée en préfectures, militarisée (la conscription supplée les carences de l'inscription maritime), reconstruite (comme en témoigne le développement de l'arsenal d'Anvers ou l'essor de Cherbourg), rajeunie dans ses cadres (Baudin, Hamelin, Duperré, Roussin). « Louis XIV n'avait que Brest, affirme-t-il le 24 mars 1811; j'ai toutes les côtes de l'Europe. Dans quatre ans j'aurai ma marine. » En attendant, la supériorité de la Royal Navy demeure incontestée. Elle permet à la Grande-Bretagne de tourner l'obstacle du Blocus en maintenant ouverts les détroits danois (1678 navires atteignirent Gôteborg en 1810), d'être présente à Lisbonne, à Gibraltar, aux Baléares, en Sardaigne et en Sicile, de contrôler la route maritime des Indes par Le Cap, de nouer des contacts avec les sultanats qui gardent l'entrée de la mer Rouge (compensant ainsi l'échec de 1807 en Égypte face à Méhémet Ali), de concentrer enfin, par l'intermédiaire de la compagnie des Indes orientales désormais sans rivale, le commerce avec la Chine. Est-ce cette supériorité navale qui a permis finalement à l'Angleterre de l'emporter ? Mahan (Influence of sea power upon French Revolution and Empire, 1892) voyait dans la maîtrise de la mer la clef de la victoire anglaise ; même opinion chez Horward, « British Seapower and its influence upon the peninsular war » (Naval war College Review, 1978) ; F. Crouzet au contraire, dans le Napoléon et l'Empire de J. Mistler (1968) montre que cette supériorité navale ne servit à rien dans la guerre continentale, sauf en Espagne ; l'appui maritime anglais en Adriatique ne fut d'aucun secours pour l'Autriche lors de la cinquième coalition, les débarquements de Naples en 1805, de Walcheren en 1809 comme de Maida en 1806, furent des échecs, enfin l'entretien d'une flotte bloquant les côtes françaises coûtait fort cher. L'Angleterre, selon F. Crouzet, n'aurait pu l'emporter sans le désastre de Russie. Quant à la guerre anglo-américaine (Th. Roosevelt, The naval war of 1812, 1882), si elle a gêné la Grande-Bretagne, elle n'a eu aucune incidence sérieuse sur le conflit avec la France. Pourtant la Royal Navy a protégé la Sicile des tentatives de débarquement de Murat mieux que la cour de Marie-Caroline et l'aristocratie sicilienne quelque peu dégénérée (cf. la villa Palagonia dérivée de Bomarzo) qui était prête à trahir les Anglais (cf. la mission d'Amitia évoquée par Napoléon à Sainte-Hélène : Marie-Caroline avait offert de faire massacrer les Britanniques en échange de son maintien en Sicile par Napoléon). C'est avec les défaites que se découvrent les faiblesses de la stratégie napoléonienne: méconnaissance du climat (alors que la topographie est parfaitement connue), insuffisance de la cavalerie pour éclairer le terrain (de là des erreurs d'appréciation à Iéna comme à Marengo), mauvaise transmission des ordres et absence d'initiatives des subordonnés. CHAPITRE VIII La chute Je vois avec un sentiment de peine les dispositions de mes compatriotes dans les grandes circonstances que nous traversons. Il faudrait une détermination prononcée pour le rétablissement de l'ancienne dynastie ou, du moins, un intérêt commun auquel tous les esprits se rattachassent ; mais on ne trouve pas un sentiment, pas une idée qui puisse servir de centre de ralliement. La haine qu'inspire un gouvernement tyrannique et usurpateur est plus ou moins vivement ressentie par tout le monde, mais cède encore, chez le plus grand nombre, à l'intérêt qu'on met à conserver sa tranquillité individuelle ou son existence présente, sous un régime qui nous assure telle place. On est fatigué, on craint les révolutions nouvelles, on manque d'enthousiasme pour la conservation de ses droits, pour le retour des descendants de Henri IV. Ces principes d'action sont tellement en défaut que l'on blâme les étrangers de ne pas commander par la force des armes le rétablissement en faveur duquel la crainte ou d'autres petites passions empêchent les Français de se prononcer hautement. Rarement les sentiments contradictoires des notables, lors de la crise de 1814, auront été aussi bien traduits que par Maine de Biran dans son Journal intime. Depuis 1808, la bourgeoisie souhaitait se débarrasser d'un sauveur devenu quelque peu encombrant, mais reculait devant la perspective d'un changement qui pouvait menacer ses intérêts. L'ingratitude était tempérée par la lâcheté. Ce sont les défaites de Napoléon devant les Alliés qui ont fourni l'occasion attendue depuis six ans. Les notables n'ont pas été capables de renverser eux-mêmes l'Empereur ; ils ont eu besoin d'une aide extérieure. Allait-on retrouver avec le roi cette légitimité perdue en 1789 ? Hélas! Il apparut bien vite aux observateurs les plus lucides, un Fiévée par exemple, qu'en acceptant de lier sa restauration à l'invasion de la France, Louis XVIII avait peut-être commis une erreur et compromis à long terme les chances des Bourbons, tout en préparant dans l'immédiat le bref retour de celui qui avait su aux yeux du peuple s'opposer à l'Europe coalisée. L'AFFAIRE MALET Le complot du général Malet avait montré la fragilité du pouvoir impérial. Dans la nuit du 22 au 23 octobre 1812, l'ancien général, interné d'abord à Vincennes, puis à la clinique Dubuisson après sa tentative de 1808, s'était rendu, flanqué de deux comparses, Boutreux et Rateau, à la caserne Popincourt; là il avait annoncé au commandant Soulier, mal réveillé, la mort de l'Empereur et la formation d'un gouvernement provisoire ; il s'était ensuite rendu à la prison de la Force pour y faire libérer deux généraux, Lahorie, ancien chef d'état-major de Moreau, et Guidai, compromis dans une conspiration réunissant des royalistes et des républicains du Midi. Sur son ordre Lahorie procédait à l'arrestation du ministre de la police générale Savary et du préfet de police Pasquier. Déjà le préfet de la Seine Frochot préparait une salle à l'Hôtel de Ville pour y accueillir le nouveau gouvernement et tout aurait donc réussi, si Hullin, commandant la division militaire, n'avait opposé quelque résistance à Malet. Jugés le 28 octobre, les trois généraux et leurs principaux complices étaient fusillés le 29. On a longtemps insisté, à la suite des autorités officielles, sur le caractère extravagant du complot. Reste que la fameuse police impériale avait fait la preuve de son impéritie en laissant ses chefs se faire arrêter sans beaucoup de difficultés, et que les soldats qui avaient obéi, de bonne foi, aux ordres de Malet, y avaient mis plus d'enthousiasme que de tristesse. Qui se cachait derrière Malet? Talleyrand et Fouché? C'est peu probable. Les notables ? Sûrement pas. Il s'agissait, semble-t-il, d'un rapprochement, déjà amorcé dans le Midi, entre des royalistes, en la circonstance les chevaliers de la Foi (encore ceux-ci restaient-ils très prudents), et une poignée de républicains impénitents. C'est ce que Villèle, dans ses Mémoires, a fort bien expliqué : « Les royalistes et les républicains se seraient entendus pour combiner leurs efforts jusqu'à la convocation des assemblées primaires qui, une fois Bonaparte renversé, devaient se prononcer souverainement entre le rétablissement de la République et la restauration de Louis XVIII. » Sans l'appui des notables, le projet paraissait quelque peu irréaliste, mais comme le remarque Fiévée : « Si ce mouvement s'était un peu prolongé, il se serait trouvé des sages pour conduire ces fous-là. » Devant l'oubli du roi de Rome par les hauts fonctionnaires comme par les simples soldats, Napoléon réagit en supprimant les ordres de service qui déléguaient, en l'absence du maître, la présidence des divers conseils à Cambacérès, et, par un sénatus-consulte du 5 février 1813, il établissait la régence en faveur de Marie-Louise assistée d'un conseil composé des princes du sang et de grands dignitaires. La session du Corps législatif, du 14 février au 25 mars 1813, fut encore plus vide que les précédentes. Lorsque Napoléon partit pour l'Allemagne, la situation intérieure était grave sur le plan économique et social, le mécontentement grandissait, des émeutes éclataient à Cosne et dans diverses villes contre les droits réunis, mais aucune manifestation politique sérieuse n'était observée. La bourgeoisie n'osait encore se prononcer ouvertement. LA RUPTURE Le 14 novembre 1813, Napoléon est de retour aux Tuileries. Pour la deuxième fois, il revient en vaincu. Il entend galvaniser les énergies et réveiller l'opinion publique en donnant un éclat particulier à la session du Corps législatif. La manœuvre est claire : il importe de se concilier les notables. Par le sénatus-consulte du 15 novembre 1813, l'Empereur décide que le Sénat et le Conseil d'État assisteront en corps aux séances de la Chambre. Mais il gâche cette entreprise de séduction en intervenant dans la désignation du président du Corps législatif. Il nomme Régnier, bien qu'il ne soit pas député, mais un ministre fatigué que Molé va remplacer à la Justice, cependant que Caulaincourt sera substitué à Maret aux Affaires étrangères et Daru à Lacuée à l'administration de la Guerre, où le même Lacuée avait succédé à Dejean en 1810 dans ce secteur essentiel des rouages gouvernementaux. De leur côté, les Alliés qui s'apprêtent à envahir le territoire français, se lancent aussi dans une entreprise de séduction. Le 4 décembre, ils publient un manifeste : « Les puissances alliées ne font point la guerre à la France mais à cette prépondérance que, pour le malheur de l'Europe et de la France, l'Empereur Napoléon a trop longtemps exercée hors des limites de son empire. » Les frontières naturelles de la France, Rhin, Alpes et Pyrénées lui sont garanties. C'est inespéré, sinon sincère. Les notables n'ont pas été insensibles à cet appel. C'est donc dans une atmosphère tendue que s'ouvre la session du Corps législatif, le 19 décembre 1813. Pour montrer sa bonne foi, face aux propositions des Alliés, Napoléon offre de communiquer toutes les pièces concernant les négociations en cours aux sénateurs et aux députés. Deux commissions, l'une de cinq sénateurs, l'autre de cinq députés, sont élues par les assemblées pour les examiner. Au Sénat, tout se passe sans problème ; il n'en va pas de même au Corps législatif. Les députés choisis viennent de départements éprouvés par le Blocus : Lainé est député de Bordeaux, Gallois des Bouches-du-Rhône, Raynouard du Var ; les deux autres sont aussi des Méridionaux : Flaugergues vient de l'Aveyron et Maine de Biran de la Dordogne. Ils se saisissent de l'occasion ainsi offerte pour faire connaître le mécontentement de leurs électeurs. Dans son rapport, Lainé conclut que l'ennemi ne veut pas détruire la France, mais « nous renfermer dans les limites de notre territoire et refréner l'élan, l'activité ambitieuse, si fatale depuis vingt ans à tous les peuples de l'Europe ». L'Empereur ne doit continuer « la guerre que pour l'indépendance du peuple français et l'intégrité de son territoire ». Pour stimuler l'ardeur nationale, il est invité à « maintenir l'entière et constante exécution des lois qui garantissent aux Français les droits de la liberté, de la sûreté, de la propriété, et à la nation le libre exercice de ses droits politiques ». Cette charte des notables est adoptée par 229 contre 31 suffrages. L'avertissement est clair, mais Napoléon refuse de l'entendre. En dépit des conseils de modération de Cambacérès, il interdit l'impression du rapport et ajourne le Corps législatif. Sensation dans le pays, de l'aveu même de Savary. Aux députés présents lors de la réception du 1er janvier 1814, l'Empereur adresse une vive admonestation. Il menace de changer de camp sur le plan social, de s'allier avec « le quatrième état » et de réveiller en France les vieux démons révolutionnaires : « Qu'est-ce que le trône? Quatre morceaux de bois doré, revêtus d'un morceau de velours. Le trône est dans la nation, et l'on ne peut me séparer d'elle sans lui nuire car la nation a plus besoin de moi que je n'ai besoin d'elle. Que ferait-elle sans guide et sans chef... Vous voulez donc imiter l'Assemblée constituante et commencer une révolution ? Mais je ne ressemblerai pas au roi qui existait alors... J'aimerais mieux faire partie du peuple souverain que d'être roi esclave... Retournez dans vos départements ! » Napoléon eut-il la tentation de chausser les bottes de la Révolution ? Cherchait-il à ressusciter l'esprit de 93 ? Il envoie vingt-trois sénateurs ou conseillers d'État dans les départements pour précipiter le mouvement de la conscription et organiser les gardes nationales remises en activité par le décret du 26 décembre. Stendhal a raconté dans son journal comment il assista Saint-Vallier à Grenoble. En fait, le cœur n'y est pas : les représentants en mission sont âgés, les plus jeunes, Montesquiou et Pontécoulant, ont cinquante ans; le plus vieux, Canclaux, soixante-quatorze ! Parfois ils sont même royalistes de cœur (Sémonville). Le pays, sauf dans les régions frontières, est las de la guerre. Napoléon ne l'ignore pas et donne comme instructions aux commissaires : « Annoncez à nos départements que je vais conclure la paix, que je leur demande uniquement les moyens de rejeter l'ennemi hors du territoire, que j'appelle les Français au secours des Français. » La conscription avait été modérée jusqu'en 1808. De 1798 à 1807 985 000 hommes avaient été levés, soit le trente-sixième de la population. Exemptions et remplacements avaient été nombreux. Mais, à partir de septembre 1808, les demandes en hommes deviennent de plus en plus pressantes; un « bon numéro » ou l'achat d'un remplaçant n'assurent plus l'avenir. Au mois d'avril 1809, l'Empereur demande au Sénat 30 000 hommes nouveaux sur le contingent de 1810 et des prélèvements sur les classes de 1806, 1807, 1808 et 1809. Puis un nouveau contingent de 36 000 hommes est encore sollicité. Agricol Perdiguier a raconté dans ses Mémoires d'un Compagnon comment son frère aîné, bien qu'ayant été remplacé par un portefaix d'Avignon, fut quand même contraint de partir pour l'Espagne. Après l'accalmie de 1810 et de 1811, on avance, en 1812, la date de l'appel de la conscription qui ne devait se faire que le 1er janvier 1813. En 1813, alors que toute la conscription est appelée, on prend 350 000 hommes, dont 100 000 des conscriptions de 1809, 1810, 1811 et 1812. Au cours du mois d'avril, nouvel appel: 180 000 hommes sont mis à la disposition du ministre de la Guerre. Le 24 août, devant la tournure prise par les événements en Espagne, l'Empereur obtient 30 000 hommes pris sur les classes de 1814, 1813, 1812 et antérieurement, dans les départements méridionaux. En octobre 1813, on lève 160 000 hommes de la conscription de 1815, mais les hommes mariés restent exempts. Nouvelle demande en novembre, d'autant que Napoléon ne veut plus de contingents alliés. « Nous sommes dans un moment où nous ne devons compter sur aucun étranger. » Ainsi naît la légende de « l'Ogre ». La résistance à la conscription s'organise. Selon Stanislas de Girardin, préfet de la Seine-Inférieure, on voit dans les conseils de recrutement des jeunes gens qui se sont fait arracher toutes les dents pour ne point servir, d'autres sont parvenus à les carier presque toutes en employant des acides ou en mâchant de l'encens. Quelques-uns s'étaient fait des plaies aux bras et aux jambes par application de vésicatoires et pour rendre ces plaies pour ainsi dire incurables, ils les ont fait panser avec de l'eau imprégnée d'arsenic. Beaucoup se sont fait donner des hernies soufflées, quelques-uns appliquent sur les parties de la génération des caustiques violents. Des bandes de réfractaires parcourent les campagnes, créant un climat d'insécurité. Cette résistance prend même un tour politique dans le Nord, sous la conduite de Fruchard. Les réfractaires bénéficient des encouragements des curés et des complicités des habitants qui les cachent et les nourrissent. Le temps n'est plus où le père d'Agricol Perdiguier, après avoir admonesté son fils aîné déserteur, le renvoyait à l'armée. Les préfets eux-mêmes, un La Tour du Pin dans la Somme, un Barante dans la Loire, renseignent les réfractaires sur les mouvements des colonnes dirigées contre eux. En février 1814, on compte dans le Tarn 1028 réfractaires ou déserteurs sur 1 600 appelés ! Le poids des impôts, longtemps supportable, devient de plus en plus lourd; les traitements des fonctionnaires étaient diminués de 25 pour 100 en revanche. Devant la débâcle financière qui accompagne les défaites, Napoléon doit user d'expédients. La haine qu'avait suscitée le rétablissement des droits réunis se trouve amplifiée par les réquisitions et par l'adjonction de trente centimes additionnels aux impôts. En 1814, on double les patentes ainsi que les autres contributions, mais déjà plus personne ne paie. Enfin le territoire national est envahi pour la première fois depuis 1792 et la France découvre soudain les horreurs de la guerre; elle n'en avait connu que les faits glorieux à travers les bulletins de la Grande Armée. Tout le monde est touché : l'économie semble fortement ébranlée par la perte des marchés extérieurs et des manufactures situées aux frontières, Liège par exemple. La confiance disparaît comme en témoigne l'effondrement de la rente. « Les opinions se dirigent par le mouvement du commerce », avoue le préfet de Rhin-et-Moselle. Les rêves d'hégémonie économique de la bourgeoisie s'écroulent. La supériorité technique et commerciale de l'Angleterre ne peut plus être contestée. Les victoires continentales n'ont servi à rien, aussi la continuation de la guerre apparaît-elle comme inutile. Bien plus sa continuation impose un dirigisme étatique qui, bien que léger pourtant, n'en semble pas moins insupportable. Les notables sont durement atteints par le sénatus-consulte du 3 avril 1813 ordonnant la levée de 100 000 gardes d'honneur choisis parmi les fils des familles nobles et riches de l'Empire, et qui doivent s'armer et s'équiper à leurs frais. Ceux qui ont de bonnes raisons d'échapper au service sont astreints à une lourde taxe. Certains ont combattu avec courage sous Pully, Lepic ou Defrance; mais d'autres, à Tours par exemple, sont allés jusqu'à envisager un soulèvement. Le malaise s'étend aux cadres de l'armée irrités par les promotions soudaines de nobles ralliés. Un vieux républicain comme le général Michaud s'épanche ainsi dans une lettre familière de 1813 : « Les services rendus sont comptés pour si peu de choses que l'on a, je crois, mauvaise grâce d'oser prétendre à les faire valoir. J'en serais moins peiné si j'étais seul oublié. » Les quelques mesures prises par le gouvernement pouvaient-elles lui valoir un regain de popularité ? La mise en vente d'une partie des biens communaux a eu pour but d'assurer des rentrées à l'État mais aussi de satisfaire l'appétit de terre des paysans. Échec, car la conjoncture économique désastreuse n'a guère laissé à ceux-ci de disponibilités financières. On multiplie les licences de commerce, mais trop tard pour éviter quelques faillites retentissantes. Exception faite des campagnes du Nord et de l'Est de la France et de quelques personnalités comme Carnot à Anvers, Davout à Hambourg, Lecourbe à Belfort, les envahisseurs n'ont rencontré qu'inertie et même complaisance. L'Empereur découvre une nouvelle fois, dans une situation comparable à celle de Louis XIV sur la fin du règne, son absence de légitimité. Les nobles, jadis ralliés, l'abandonnent pour le vrai souverain ; une solution à laquelle se rallient peu à peu les notables qui gardent la nostalgie de la Constitution de 1791; malgré quelques sursauts patriotiques dans les régions envahies, le peuple fait preuve d'apathie sinon d'hostilité à l'égard de l'Empereur. Celui-ci doit vaincre ou périr. C'est ce contexte qui donne à la campagne de France son caractère émouvant. LA CAMPAGNE DE FRANCE Trois armées alliées passaient le Rhin à la fin de 1813. Bernadotte marchait aussitôt sur la Belgique ; Blücher et Schwarzenberg (cette dernière armée avec le tsar, l'empereur d'Autriche, et le roi de Prusse) fonçaient sur Paris après avoir fait leur jonction sur l'Aube. A deux cent cinquante mille hommes, Napoléon ne pouvait guère opposer que quatre-vingt mille conscrits. Il laissait Soult arrêter la progression de Wellington dans le Midi pour parer au plus pressé. Que valait l'armée dont disposait Napoléon ? Les ateliers d'habillement de Bordeaux, Toulouse, Nîmes et Montpellier avaient fourni en quantité insuffisante les capotes nécessaires ; on ne disposait que de neuf cents selles quand il en fallait cinq mille ; les rations de pain biscuité, de viande et d'eau-de-vie étaient médiocres, les hôpitaux militaires furent vite surchargés. « J'ai quelque inquiétude pour la solde », confiait Napoléon à Mollien le 7 janvier. L'armement enfin laissait à désirer, en dépit d'une production de deux cent quarante mille fusils en 1813. Napoléon, après avoir contenu Blücher à Brienne, doit affronter à nouveau le Prussien renforcé de l'Autrichien Schwarzenberg à La Rothière, le 1er février 1814. Il est vaincu. Heureusement pour Napoléon, Blücher et Schwarzenberg commirent alors l'erreur de se séparer pour vivre plus aisément sur le pays. Blücher prit la route de la Marne et du Petit Morin, Schwarzenberg celle de l'Aube et de la Seine. C'était offrir une proie plus facile à Napoléon qui, allant de l'un à l'autre, parvint à arrêter Blücher à Champaubert le 10 février, puis à lui porter des coups très durs à Montmirail, Château-Thierry et Vauchamps. Se retournant contre Schwarzenberg qui menaçait Fontainebleau, il le battait à Montereau, le 18 février, et le rejetait au-delà de l'Aube. Sept combats en huit jours, tous gagnés, les Alliés ramenés sur leurs positions et profondément démoralisés, divisés même, la victoire allait-elle sourire à Napoléon? C'est le tsar, assisté de Pozzo di Borgo, l'ancien rival de Bonaparte en Corse, qui insuffla aux coalisés un nouvel esprit et resserra leurs liens par le pacte de Chaumont, le 1er mars. La Prusse, l'Autriche, l'Angleterre et la Russie s'engageaient à ne point conclure de paix séparée et à maintenir cent cinquante mille hommes sous les armes jusqu'à la défaite finale de Napoléon. L'offensive reprit. Battu à Craonne, le 7 mars, Blücher se retrancha sur le plateau de Laon, d'où Napoléon ne put le déloger. D'autant que l'Empereur devait se porter à la hauteur de Schwarzenberg qui avait repris sa progression, mais victime de son infériorité numérique, il ne put contenir l'Autrichien à Arcis-sur-Aube, le 20 mars. Il conçut alors le projet de couper les lignes de ravitaillement des Alliés en marchant sur Saint-Dizier au lieu de continuer à défendre Paris. Les Alliés allaient tomber dans le piège et commençaient à reculer vers Metz quand des lettres expédiées de Paris à Napoléon furent interceptées : elles faisaient allusion à un fort parti royaliste dans la capitale. Alexandre, sur le conseil de Pozzo di Borgo, toujours lui, fit reprendre la marche sur Paris. Trop audacieux, le plan de Napoléon avait échoué. Le 29 mars, les Alliés arrivaient devant la ville; le 30, la bataille s'engageait. Dès le 28, l'ancien roi d'Espagne, Joseph, avait proposé au conseil de régence de quitter la capitale, conformément à des instructions que lui avait adressées l'Empereur, de Nogent, au début de février. Le lendemain, l'Impératrice et le roi de Rome quittaient Paris. N'y restaient que le préfet de la Seine, Chabrol, et le préfet de police Pasquier... ainsi que Talleyrand qui, par un tour de passe-passe, réussit à ne pas rejoindre la régence à Blois et se trouva avoir ainsi le champ libre. Démoralisé et dépourvu de fortifications, devenu, à l'exception des faubourgs ouvriers, très hostile à Napoléon et redoutant le sort de Moscou, Paris ne résista guère. La Garde nationale et les deux corps de Marmont et de Mortier qui assuraient sa défense, livrèrent pour l'honneur quelques combats sur les hauteurs de Belleville et de Charonne, puis à la barrière de Clichy où commandait Moncey. Mais la supériorité numérique de l'ennemi était trop grande. La ville capitulait le 30 au soir. Les troupes alliées, précédées du tsar et du roi de Prusse, entraient dans Paris, le 31. Lyon était tombé sans grande résistance le 21 mars. Depuis le 12 mars, Bordeaux, sous l'impulsion de son maire, Lynch, arborait le drapeau blanc, et le comte d'Artois était à Nancy. Rochechouart avait essayé de faire basculer Troyes dans le camp royaliste. Soult reculait sur Toulouse sans être bien sûr des sentiments des habitants que travaillaient les chevaliers de la Foi. Les agents royalistes, et plus particulièrement Semallé, Vitrolles et Gain- Montagnac multipliaient les missions, ce qui n'allait pas sans danger car rien ne prouvait que les Coalisés ne s'entendraient pas en définitive avec le Tyran. La partie décisive devait se jouer à Paris. Gain-Montagnac le confirmait : « Si Paris se déclare pour le roi, les provinces suivront. Elles sont assez bien préparées pour suivre l'impulsion de la capitale, pas assez pour la lui donner. » Et Schwarzenberg : « C'est à la ville de Paris qu'il appartient dans les circonstances actuelles d'accélérer la paix du monde... qu'elle se prononce et dès ce moment l'armée qui est devant ses murs devient le soutien de ses décisions. Parisiens, vous connaissez la situation de votre patrie, la conduite de Bordeaux... Vous trouverez dans cet exemple le terme de la guerre. » L'ABDICATION Talleyrand avait bien compris que la partie décisive se jouerait à Paris. Il pouvait compter sur le préfet de Police, Pasquier, et sur une majorité de sénateurs. Dès l'entrée des Alliés à Paris, des manifestations royalistes eurent lieu. Canler prétend que la police n'y fut pas étrangère mais son témoignage est suspect. Talleyrand comptait sur le Sénat; le coup fatal porté au régime impérial vint en réalité du conseil général de la Seine, assemblée méprisée par Napoléon qui arrêtait les budgets de Paris sans se soucier de ses avis. Le conseil se vengea. Le 1er avril, l'un de ses membres, l'avocat Bellart, faisait voter une proclamation par treize voix sur quatorze votants et un effectif réel de vingt et un conseillers. Cette proclamation fut largement diffusée le 2. On y lisait : Habitants de Paris ! Vos magistrats seraient traîtres envers vous et la patrie si, par de viles considérations personnelles, ils comprimaient plus longtemps la voix de leur conscience. Elle leur crie que vous devez tous les maux qui vous accablent à un seul homme. C'est lui qui, chaque année, par la conscription, décime nos familles. C'est lui qui, au lieu de quatre cents millions que la France payait sous nos bons et anciens rois pour être libre, heureuse et tranquille, nous a surchargés de plus de quinze cents millions d'impôts auxquels il menaçait d'ajouter encore. C'est lui qui nous a fermé les mers des deux Mondes, qui a tari toutes les sources de l'industrie nationale, arraché à nos champs les cultivateurs, les ouvriers à nos manufactures... N'est-ce pas lui qui, redoutant par-dessus tout la vérité, a chassé outrageusement, à la face de l'Europe, nos législateurs, parce qu'une fois, ils ont tenté de la lui dire avec autant de ménagement que de dignité... A la suite de ces considérants, le conseil déclarait : « qu'il renonçait formellement à toute obéissance envers Napoléon Bonaparte ; exprimait le voeu le plus ardent pour que le gouvernement monarchique soit rétabli dans la personne de Louis XVIII et de ses successeurs légitimes ». M. Fleury a fort justement fait remarquer que ce sont les bourgeois du conseil (Lebeau, Bellart, Barthélemy, Delaitre) qui ont mené le combat et non l'ancienne aristocratie. Talleyrand jugea la tentative prématurée et fit interdire toute publicité dans Le Moniteur. Il souhaitait la déchéance mais la voulait solennelle. Le 1er avril, il avait fait voter par le Sénat la formation d'un gouvernement provisoire formé de deux agents de Louis XVIII, Dalberg et l'abbé de Montesquiou, et de deux partisans de Talleyrand, Jaucourt et Beurnonville. Talleyrand en assumait la présidence. Le 3 avril, le Sénat franchissait le pas ; il prononçait la déchéance de Napoléon coupable « d'avoir violé son serment et attenté aux droits des peuples en levant des hommes et des impôts contrairement aux constitutions ». La bourgeoisie signifie son renvoi au « sauveur ». Et Napoléon ? Revenu à la hâte, après l'échec de sa manœuvre, il se trouvait à Juvisy, au relais de la Cour-de-France, à deux heures de Paris, quand il apprit la chute de la capitale. Il se retira à Fontainebleau. Rien n'était encore perdu. Ne disposait-il pas de soixante mille hommes dont certains, passés en revue le 3, criaient : « A Paris ! » Ne pouvait-il espérer que l'Autriche interviendrait finalement en sa faveur par égard pour Marie-Louise? Ce sont les maréchaux, Ney, Berthier, Lefebvre qui l'ont fait renoncer en refusant de reprendre le combat. Leur pression, surtout celle de Ney, déterminait l'Empereur à abdiquer en faveur du roi de Rome, le 4 avril; « un Brumaire à rebours », a-t-on dit, non sans excès. Caulaincourt, Ney et Macdonald partirent pour Paris afin d'y négocier avec le tsar. Alexandre hésitait; il redoutait une reprise des combats. Peut-être aurait-il accepté une régence en faveur du roi de Rome si l'annonce du retrait du corps d'armée du général Souham, dont on a fait porter la responsabilité sur Marmont, ne l'avait conduit à penser, à juste titre d'ailleurs en ce qui concernait ses chefs, que l'armée était loin d'être unanime derrière Napoléon. Il exigea une abdication sans condition, garantissant au vaincu la souveraineté de l'île d'Elbe. Napoléon se résignait le 6 à cette abdication. Mais, les soldats l'acclamant, lors de la parade du 7, il tentait de revenir sur sa décision ; le 11 encore, il écrivait à Caulaincourt de ne pas faire usage de l'acte signé. La tendance suicidaire se réveillait en lui : une tentation, le 8 ; une tentative dans la nuit du 12 au 13, selon le témoignage de Caulaincourt. Le traité de Fontainebleau signé, traité qui lui assurait la possession de l'île d'Elbe et une pension de deux millions qui lui serait versée chaque année par le gouvernement français, Napoléon se résigna, le 20 avril, à partir, après la scène fameuse des Adieux dans la cour du château de Fontainebleau. Louis XVIII Le 6 avril, le Sénat avait appelé Louis XVIII. Nul ne souhaitait un nouveau « sauveur » en la personne de Bernadotte ; la régence de Marie-Louise eût permis à Napoléon de régler indirectement ses comptes avec ceux qui l'avaient abandonné ; le duc d'Orléans n'était pas le véritable prétendant; seul, Louis XVIII avait la légitimité pour lui. Mais les sénateurs entendaient n'en revenir qu'à 1791, nullement à 1789 : certes, on rétablirait la monarchie, celle-ci serait toutefois constitutionnelle. Une commission sénatoriale fut chargée de préparer un projet. Barbé-Marbois, Destutt de Tracy, Emmery et Lambrechts en firent partie avec l'ancien consul Lebrun. La référence à 1791 était explicite dans la nouvelle constitution présentée au gouvernement provisoire. Louis XVIII était « appelé librement au trône » et le texte constitutionnel soumis « à l'acceptation du peuple »; les ministres seraient responsables devant les chambres et les libertés étaient garanties. Cette constitution, nullement dépourvue de mérites, fondait une monarchie parlementaire à l'anglaise. Mais Louis XVIII, au nom de la légitimité, pouvait-il accepter de telles conditions? D'autant que les sénateurs, ces thermidoriens, qui s'étaient maintenus en 1795 par le décret des Deux Tiers, puis, après Brumaire, en peuplant les assemblées du Consulat, déclaraient qu'ils feraient tous partie du nouveau Sénat prévu dans leur projet. Les profiteurs de la Révolution et du régime impérial refusaient de s'effacer! Discrédités déjà par la proclamation de déchéance de Napoléon, où ils avaient entassé contre l'Empereur une multitude d'abus de pouvoir qu'ils avaient pourtant approuvés au temps de la toute-puissance impériale, ils achevaient ainsi de ruiner leur crédit et celui de leur constitution auprès de l'opinion. Les tenants de la légitimité, les Barruel, les Maistre, les Bonald, pouvaient tirer plus facilement à boulets rouges sur le projet constitutionnel. Barruel y voyait même « une invention de l'enfer » ! Qu'allait faire Louis XVIII ? Arrivé à Compiègne le 29 avril, il faisait connaître ses idées, le 2 mai, par la déclaration de Saint-Cloud, rédigée par ses principaux conseillers dont Blacas : souveraineté du roi et non du peuple, rédaction d'une nouvelle constitution où seraient garantis les libertés fondamentales et la représentation nationale, le vote de l'impôt et l'égalité devant la loi. C'était écarter toute forme d'absolutisme mais refuser une souveraineté populaire incompatible avec l'idée de légitimité. De cette déclaration sortit, le 4 juin, la Charte, œuvre de royalistes fervents comme Dambray, Ferrand et Montesquiou, et de thermidoriens à l'image de Boissy d'Anglas, l'un des rédacteurs avec Lanjuinais de la Constitution de 1795. Charte et non Constitution, datée de la dix-neuvième année du règne de Louis XVIII (en partant de la mort de Louis XVII au Temple) et octroyée par le roi, mais ces sujets d'irritation pour les libéraux pesaient peu en regard des concessions : la Charte garantissait la libre admission de tous à tous les emplois, la liberté de conscience et l'égalité devant l'impôt, la vente des biens nationaux, bref toutes les conquêtes de l'Assemblée constituante. Pour rassurer les rentiers, elle reconnaissait tous les engagements financiers des gouvernements précédents. Au roi, le pouvoir exécutif, et le pouvoir législatif à deux Chambres, celle des députés, élue pour cinq ans au suffrage censitaire et que le roi avait le droit de dissoudre, celle des pairs que le souverain pouvait nommer en nombre illimité. La Charte de 1814 était, ont souligné tous les spécialistes, « beaucoup plus libérale » que les Constitutions de l'an VIII, de l'an X et de l'an XII, et « plus raisonnablement pratique » que celle de 1791. La France allait-elle recouvrer cet équilibre politique perdu en 1789 ? Elle eût alors fait l'économie de plusieurs révolutions et de nouveaux sauveurs. Malheureusement, Napoléon renversé, on discuta des conditions de paix avec l'Europe. Par le traité de Paris du 30 mai, la France était ramenée à ses frontières de 1792; elle ne gardait de ses conquêtes révolutionnaires que la Savoie, Avignon et Montbéliard. La Belgique était annexée à la Hollande, la Vénétie et la Lombardie restituées à l'Autriche ; quant aux autres territoires, leur sort devait être réglé lors d'un congrès appelé à se tenir à Vienne. De nombreuses places fortes d'Allemagne, d'Italie et de Belgique, Anvers et Hambourg notamment, furent restituées avec un important armement. L'orgueil des Français fut blessé. Dans cet abandon, consenti en réalité par Talleyrand, on vit « le pourboire des Bourbons aux Alliés », dans la perte des conquêtes, la condition de la restauration monarchique. Un parallèle fut établi entre Napoléon, défenseur de la France envahie, et Louis XVIII, souverain « ramené dans les fourgons de l'étranger ». La légitimité en souffrit. Les maladresses des anciens émigrés firent le reste. On finit par regretter Napoléon. L'occasion pour la France de retrouver sa stabilité politique était manquée. NOTES SOURCES : Aux Mémoires militaires de Belliard (1842), Biot, Bro (1914), Brun (1953), Clausewitz (La Campagne de 1814, trad. fr. 1900), Langeron (1902), Macdonald (1892), Marmont (t. VI, 1857), Parquin (1892), il faut ajouter les politiques : Barante (1901), Beugnot (1866), Caulaincourt (1933, fondamental), Chateaubriand, le baron de Damas (1922), le comte de Damas (t. II, 1914), Frénilly (1909), Gain-Montagnac (1817), Maine de Biran (éd. Lavalette-Monbrun, 1927), Pasquier (importants, t. II, 1893), Portal (1846), Rochechouart (1933), Savary (1828), Semallé (1898), Talleyrand, Villèle (1888), baron Vincent (Le Pays lorrain, 1929), Vitrolles (éd. Forgues, 1884). Plus impartiaux sont souvent les témoignages des étrangers : ainsi Underwood (publié avec le Journal de Mme de Marigny en 1907). Lire aussi Bellart (Œuvres, 1827), Le Manuscrit de 1814 par Fain (1823), les papiers de Lainé publiés par Perceval en 1929. La Correspondance de Napoléon doit être complétée par l'édition des Lettres de Napoléon à Marie-Louise par L. Madelin et celles de Marie-Louise à l'Empereur par Palmstierna (1955). La presse redevient intéressante ; on peut y ajouter, pour l'étude de l'esprit public, la correspondance des commissaires extraordinaires par Benaerts (1915) et surtout les pamphlets de Pichon (De l'état de la France...), Rougemaître (L'Ogre de Corse), Goldsmith (Histoire secrète du Cabinet de Bonaparte), Massé, Doris, etc., sur lesquels Germond de la Vigne a attiré l'attention en 1879 et dont on trouvera des extraits dans J. Tulard, L'Anti-Napoléon (1964). Pour l'imagerie, J. Grand-Carteret, Napoléon en images (1895). Le Moniteur a publié les textes essentiels : le texte de la Charte est dans J. Godechot, Les Constitutions de la France (1970). Deux instruments de travail commodes pour le personnel politique : Bourloton, Robert et Cougny, Dictionnaire des Parlementaires français (5 vol., 1889-1891), et surtout M. Fleury et B. Gille, Dictionnaire biographique du conseil municipal de Paris et du conseil général de la Seine (1972, avec une très importante préface de M. Fleury sur la crise de 1814). Sur le congrès de Châtillon, M. Escoffier a publié d'intéressants documents dans la Revue des Études napoléoniennes, 1914, t. VI, pp. 85-99. OUVRAGES : L'affaire Malet avait bien annoncé en 1812 « le commencement de la fin ». On ne s'étonnera pas de l'énorme bibliographie qui lui a été consacrée : Lafon, l'un des acteurs, dès 1814, puis Lemare, la même année, d'Aubignosc, ancien directeur général de la police à Hambourg en 1824, puis, en 1834, Saulnier qui fut secrétaire général de la police sous Fouché, enfin Peuchet dans ses Mémoires tirés des archives de la police en 1838. Les synthèses plus sérieuses sont celles de Hamel (1873), Billard (1907), Gigon (1915), Masson (1921), Lort de Sérignan (1925), Garros (1936), J. Bourdon (« Conspirateurs et gouvernants », Le Mercure de France, novembre 1948), B. Melchior-Bonnet (1963), J. Tulard (dans J. Mistler, Napoléon et l'Empire, 1968). Le rôle des chevaliers de la Foi est mis en lumière par Bertier de Sauvigny, Le comte Ferdinand de Bertier et l'énigme de la Congrégation (1948), et les ramifications méridionales dénoncées par Pelet de la Lozère bien éclairées par M. Agulhon, « Le rôle politique des artisans dans le département du Var de la Révolution à la IIe République » (8e Colloque d'Histoire sur l'Artisanat, Aix, 1965, pp. 82-99, d'après les rapports du commissaire Caillemer notamment). La crise de 1814 a fait l'objet de plusieurs synthèses : H. Houssaye, 1814 (1888, «un classique »), A. Chuquet, L'Année 1814 (1914), J. Thiry, La Campagne de France (1938) et La Première Abdication (1939), F. Ponteil, La Chute de Napoléon Ier (1943), P. Serval, Napoléon tombe en vingt jours (1984). Sur les opérations militaires, le grand ouvrage de Lefebvre de Behaine, La Campagne de France (4 vol., 1913-1935, inachevé), et Bertin, La Campagne de France d'après les témoins oculaires (s. d.); Lachouque, Napoléon en 1814 (1960). La bataille de Montmirail est évoquée par J. Colin dans la Revue des Études napoléoniennes, 1914, t. V, pp. 326-358, et par M. R. Mathieu, Dernières Victoires, 1814. La Campagne de France aux alentours de Montmirail (1964). On ne peut oublier la situation dans le Midi : Ch. Clerc, Campagne du maréchal Soult dans les Pyrénées occidentales en 1813-1814 (1894); L. Batcave, La Bataille d'Orthez (1914); Ch. Portal, «Note sur la bataille de Toulouse » (Bulletin de la Société des Sciences et Belles-Lettres du Tarn, t. I) ; Geschwind et Gelis, La Bataille de Toulouse (1914). L'effort de guerre est analysé par Lévy-Schneider, « Napoléon et la Garde nationale » (Rév.fr., 1909, pp. 131-135); L. Girard, La Garde nationale (1964); Lomier, Histoire des Régiments des Gardes d'honneur, 1813-1814 (1924, excellent) ; J. Durieux, « Soldats de 1814 », Revue des Études napoléoniennes, 1933, pp. 202-211. Sur les désertions les articles de Lantier et de Vidalenc, cités p. 202 et Boudard, « La conscription dans le département de la Creuse » (Revue de l'lnstitut Napoléon, 1986 ; l'envoi de garnisaires, l'appel aux ecclésiastiques, les « dragonnades » des gendarmes d'élite, tout fut vain ; certains réfractaires passèrent jusqu'à trois ans dans les bois !) ; Waquet, « L'essai de levée du quarantième dans l'arrondissement d'Amiens en mars 1814 », Revue de !'Institut Napoléon, 1967, pp. 1-14 (ce fut un échec). Lire aussi P. Benaerts, Les commissaires extraordinaires de Napoléon en 1814 (1915), repris par J. Thiry, Le rôle du Sénat dans l'organisation militaire de la France impériale (1932). Le pays doit faire face à une invasion admirablement évoquée par Erckmann-Chatrian. Parmi les nombreux travaux régionaux, on retiendra Steenackers, L'Invasion de 1814 dans la Haute-Marne (1868); P. Gaffarel, Dijon en 1814-1815 (1897); A. Chuquet, L'Alsace en 1814 (1900); P. Fauchille, Une Chouannerie flamande 1813-1814 (1905, l'insurrection royaliste dirigée par Fruchart dit Louis XVII, d'après les rapports de Bellemare); F. Borrey, La Franche-Comté en 1814 (1912); J. Vidal de la Blanche, L'Évacuation de L'Espagne et l'Invasion dans le Midi (2 vol., 1912-1914 ; remarquable); Perrin, L'Esprit public dans la Meurthe de 1814-1816 (1913); A. Vovard, « Les Anglais à Bordeaux en 1814 » (Revue des Études napoléoniennes, 1914, t. VI, pp. 259-285); C. Pfister, « Nancy en 1814 » (Acad. Stanislas, 1914, pp. 147-214) ; H. Contamine, Metz et la Moselle de 1814 à 1870 (1932). Sur l'abandon de Napoléon par ses maréchaux : M. Dupont, Napoléon et la Trahison des Maréchaux (1939). L'attitude du clergé est analysée par F. Borrey, L'Esprit public chez les prêtres franc-comtois pendant la crise de 1812-1815 (1912). Sur le personnel politique : E. de Perceval, Un Adversaire de Napoléon, Lainé (1926); Ch. Pouthas, Guizot pendant la Restauration (1923); Beau de Loménie, La Carrière politique de Chateaubriand de 1814 à 1830 (1929). Lefebvre de Behaine, dans Le Comte d'Artois sur la route de Paris en 1814 (1921), éclaire les complicités dont bénéficièrent les royalistes auprès des maires et des préfets. On peut se reporter aussi à L. Madelin, La Contre-Révolution sous la Révolution,1789-1815 (1935). DÉBATS OUVERTS Quelles furent les causes principales de la restauration des Bourbons? Sûrement pas le De Buonaparte et des Bourbons de Chateaubriand, en dépit de ce qu'affirme l'auteur. Bien qu'annoncé le 31 mars, ce pamphlet ne parut que le 4 avril alors que les jeux étaient faits (cf. H. Guillemin, L 'Homme des Mémoires d'outre-tombe, 1964). Encore moins le De l'esprit de conquête et de l'usurpation dans leurs rapports avec la civilisation européenne, peut-être écrit par Benjamin Constant pour soutenir la candidature de Bernadotte et publié le 30 janvier 1814. Son retentissement fut alors grand en Europe mais nul en France (cf. Constant, Œuvres, éd. Roulin, Bibl. Pléiade, 1957). Faut-il faire intervenir la trahison, on dira « la ragusade », de Marmont? Celui-ci, dans ses Mémoires, a fait retomber la responsabilité du malencontreux mouvement du corps de Souham sur ses subalternes. Procédé peu élégant. Napoléon l'accable dans le Mémorial, mais il a trouvé un biographe indulgent en Saint-Marc (1957). On ne peut nier toutefois ses tractations avec Schwarzenberg et l'effet de la défection de Souham sur l'esprit du tsar. Dès 1857, Laurent de l'Ardèche entreprenait une réfutation des Mémoires de Marmont. Il était difficile de juger l'action des différents agents royalistes avant la publication de la thèse de Bertier de Sauvigny sur Ferdinand de Bertier et l'Énigme de la Congrégation (1948). Il tend à réduire le rôle de Vitrolles (celui-ci a quelque peu exagéré son activité dans ses Mémoires) et souligne en revanche la part prise par les chevaliers de la Foi dans les événements du 12 mars à Bordeaux ou du 12 avril à Toulouse. Dans sa biographie de Désiré Monnier (1974), R. Fonville signale le rôle des chevaliers de Cy en Franche-Comté sous la conduite du marquis de Champagne, maire de Lons-le-Saulnier. Quant aux Philadelphes d'Oudet, mort à Wagram, il est difficile de faire confiance à Nodier, leur « inventeur ». Et l'esprit public ? Les renseignements réunis sont contradictoires. A lire F. Rude, on assiste à Lyon à un « Réveil du patriotisme révolutionnaire dans la région Rhône-Alpes en 1814 » (Cahiers d'Histoire, 1971, pp. 433-455), mais de nombreux mémoires de maîtrise dirigés à l'Université de Paris IV ou à la IVe section de l'École pratique des Hautes Études donnent une vision très différente. A Caen, le duc de Berry est accueilli avec enthousiasme. Si des soldats, venus de Bergerac, tentent quelques manifestations antiroyalistes à Agen, lorsque fut connue, le 17 avril, la nouvelle du rétablissement de la monarchie, le préfet Villeneuve-Bargemont note dans son Journal: « Il est impossible de peindre l'allégresse qui se manifesta de toutes parts. » Le conseil général de la Haute-Loire affirmait : « La vaillance et la générosité des souverains coalisés ont enfin brisé le joug sous lequel nous gémissions en silence, joug que l'on s'était attaché à rendre insupportable dans ce département. » Mais la raison de cet enthousiasme tenait, dans les Hautes-Alpes, à l'espoir de voir disparaître les droits réunis qui avaient suscité de violentes émeutes à Manosque. Même enthousiasme et même désillusion ensuite dans la Creuse, si l'on en croit un rapport de Semonville. Dans les Landes, le comte d'Angosse donnait la clef de la joie populaire : « Un sentiment domine par-dessus tout, c'est le désir de la paix, le besoin de repos. » Un point de détail : la tentative de suicide de Napoléon à Fontainebleau sur laquelle les témoignages de Constant, Marchand, Fain et Caulaincourt sont contradictoires. Le docteur Hillemand (« Napoléon a-t-il tenté de se suicider à Fontainebleau ? » Revue de l'Institut Napoléon, 1971, pp. 70-78) n'est pas loin de penser qu'il s'agirait d'une absorption trop grande, mais accidentelle, d'opium destinée à calmer les douleurs abdominales. Napoléon aurait ensuite dramatisé l'accident dans ses confidences à Caulaincourt. Talleyrand a-t-il inspiré une tentative d'assassinat de Napoléon par l'aventurier Maubreuil en avril 1814 ? F. Masson (L'Affaire Maubreuil, 1907) le pensait. M. Garçon (La Tumultueuse Existence de Maubreuil, 1954) attribue la responsabilité directe du projet à Roux-Laborie, homme de confiance du prince de Bénévent. Celui-ci aurait par la suite cherché à étouffer l'affaire malgré l'acharnement de Maubreuil. Malgré l'héroïsme de Daumesnil (H. de Clairval, Daumesnil, 1970) et les qualités de Moncey (biographie par le duc de Conegliano, 1901) et de Mortier (Moreel, Le maréchal Mortier, 1957) la défense de Paris était difficile faute de fortifications et en raison de la démoralisation de la population. La trahison ne fut qu'accessoire. Dessolle n'eut aucun problème pour maintenir l'ordre, avec la garde nationale, dans la capitale, après « la déchéance » de Napoléon. Rousselot, Napoléon à Bordeaux (1909) montre bien que la défection du port ne s'explique pas seulement par le blocus mais par les réquisitions et le passage des troupes vers l'Espagne. Les civils ont souffert ici directement de la guerre. CHAPITRE IX 1815 : le dernier choix Sur la route de l'exil, derrière la voiture qui emporte Louis XVIII vers Gand, le 20 mars 1815, chevauchent Vigny et Lamartine; Géricault n'est pas loin; Chateaubriand a du retard. Les royalistes n'ont pu s'opposer au retour de Napoléon. La Légitimité s'en va, suivie par les futurs romantiques, le passé et l'avenir ainsi mêlés dans une retraite peu glorieuse mais qui ne cessera de fasciner les écrivains, de Chateaubriand à Louis Aragon ou Anouilh. Le mouvement qui porte Napoléon vers Paris est d'abord celui des ouvriers et des paysans, l'armée ne se ralliera qu'ensuite à l'Empereur et, pour ses cadres supérieurs, incomplètement. C'est le réveil en Province du «quatrième État» qui a facilité la marche de Napoléon sur la capitale. Dans les campagnes la peur d'un rétablissement des droits féodaux, dans les villes l'extension du chômage, jettent, plus sûrement que toutes les intrigues politiques, le prolétariat rural et urbain vers celui qui a déjà sauvé la Révolution et garanti ses conquêtes sociales. Les notables restent silencieux, soulagés de voir disparaître une monarchie trop favorable à la vieille aristocratie mais inquiets de la réapparition d'un homme qui symbolisait la reprise de la guerre avec l'Europe. A nouveau, comme lors de son retour d'Égypte, Napoléon se trouve devant un choix. Si les négociations avec Louis XVIII sont exclues, il peut toutefois renouer avec la bourgeoisie, en lui faisant des concessions politiques et en se présentant comme le bouclier de ses intérêts face aux interventions étrangères. Mais fort de l'appui populaire, il peut aussi engager la Révolution dans la voie interrompue par la chute des enragés en 1794. En dépit de la lassitude du pays et après le lâchage de la bourgeoisie en 1814, le salut ne réside-t-il pas dans cette dernière solution? L'ÎLE D'ELBE Le traité de Fontainebleau avait accordé à Napoléon la souveraineté de l'île d'Elbe que le sénatus-consulte du 26 août 1802 avait jadis rattachée à la France et qui avait été incorporée en 1809 dans le gouvernement général des départements de Toscane. En 1802, Lachevardière avait publié dans les Annales de Statistique une intéressante étude sur l'économie de l'île ; il y insistait tout particulièrement sur la richesse minière (plomb et fer) et sur l'importance de ses ports. La position de l'île entre les côtes méridionales de la République française et les États de Naples et la Sicile rend très intéressante, pour le commerce français, l'occupation de l'un de ses ports, au moins, soit comme lieu de relâche, soit comme lieu de dépôt de nombreux articles des Deux-Siciles et du Levant. Le commerce a porté des peuplades moins considérables à un très haut degré de prospérité; il peut, sous les auspices d'un gouvernement puissant, donner à cette île un éclat qui lui fut inconnu jusqu'à présent. Tel était le nouveau domaine dont Napoléon prit possession le 4 mai 1814. Aussitôt il en réorganisait l'administration placée sous l'autorité d'un intendant (Balbi), d'un gouverneur (Drouot) et d'un trésorier (Peyrusse). Les douanes, l'enregistrement, les hôpitaux furent réformés, des fortifications élevées, des vignes plantées. Napoléon entreprit la construction d'un théâtre. Prodigieuse activité : dans la pleine force de l'âge, Napoléon n'est pas encore l'obèse diminué de Sainte-Hélène. Il est vrai qu'il est souverain de l'île d'Elbe; à Sainte-Hélène, il ne sera plus qu'un prisonnier. Installé dans le palais des Mulini où il avait appelé auprès de lui Madame Mère, et Pauline, il recevait de nombreux visiteurs, anglais pour la plupart, qu'il invitait à sa table. Apparemment il avait pris son parti de finir ses jours dans l'île. En réalité, cette attitude dissimulait une activité secrète : n'était-il pas en liaison constante avec le continent grâce aux correspondances clandestines de ses agents ? Il n'ignorait rien de l'état de la France et du mécontentement provoqué dans l'opinion par la politique des Bourbons. L'armée murmure devant les licenciements rendus indispensables par le retour à la paix et s'irrite des réintégrations et des promotions réservées aux seuls officiers de Condé; les paysans qui ont acquis des biens nationaux sont en butte dans certaines régions aux manifestations d'hostilité des anciens propriétaires : le vieil esprit voltairien de la bourgeoisie se réveille devant la multiplication des processions publiques et des cérémonies religieuses. « Ne voit-on pas, raconte Désiré Monnier, des courtisans communier trois fois dans la matinée, à des autels différents, afin de ne pas échapper aux regards de Madame la Dauphine. » Les produits anglais manufacturés qui entrent librement depuis la suppression du Blocus continental condamnent enfin les ouvriers au chômage. Malgré les efforts de Louis XVIII, deux France, celle du drapeau blanc et celle du drapeau tricolore, s'opposent. Dans son Mémoire au Roi, qui rencontre un grand succès, Carnot, rendu populaire par son héroïque défense d'Anvers, fustige l'entourage de Louis XVIII : Si vous voulez paraître à la Cour avec distinction, gardez-vous de dire que vous êtes un de ces vingt-cinq millions de citoyens qui ont défendu leur patrie avec quelque courage contre l'invasion des ennemis, car on vous répondra que ces prétendus citoyens sont autant de révoltés, que ces prétendus ennemis furent toujours des amis. Le bonapartiste tire profit de ce mécontentement : des généraux (Exelmans, Lefebvre-Desnoettes) conspirent avec l'appui de Fouché; Le Nain Jaune, feuille satirique particulièrement violente, ose faire l'éloge de l'empereur déchu, relayant des mots d'ordre venus des salons du duc de Bassano et de la reine Hortense. Dès lors comment Napoléon n'aurait-il pas été tenté de revenir sur le continent? D'autres raisons l'y incitaient: Marie-Louise et le roi de Rome n'étaient pas venus le rejoindre ; l'Impératrice filait le parfait amour avec Neipperg que Metternich avait précipité dans ses bras, et François Ier retenait auprès de lui son petit-fils ; l'argent commençait à faire défaut ; l'article 3 du traité de Fontainebleau avait prévu qu'il serait versé à Napoléon un revenu annuel de deux millions, mais le cabinet des Tuileries faisait la sourde oreille. Des rumeurs inquiétantes parvenaient de Vienne : Talleyrand et Castlereagh y préparaient la déportation de Napoléon dans une île plus éloignée, Sainte-Lucie disait-on. A défaut était envisagé l'assassinat de l'Empereur; un ancien chouan, Bruslart, aurait été nommé au commandement de la Corse dans cette intention. Vers le 12 février, l'ancien sous-préfet de Reims, Fleury de Chaboulon, parvenait à gagner l'île et révélait à Napoléon les intrigues des bonapartistes et les sentiments de l'armée. Ces renseignements déterminèrent l'Empereur à brusquer son départ. Le 26 février, après dix mois d'exil, Napoléon quittait l'île d'Elbe à bord de l'Inconstant. Il ne disposait que d'une poignée d'hommes, sept cents soldats, pour reconquérir son Empire. Jomini a dénoncé la témérité d'une telle entreprise et il est permis de s'interroger sur l'existence d'un «guet-apens» organisé par l'Autriche et l'Angleterre pour mieux perdre Bonaparte et en débarrasser définitivement l'Europe. L'inactivité des Anglais, certainement avisés du départ de l'Empereur, est en effet troublante et Napoléon lui-même a prétendu alors avoir bénéficié de la complicité de l'Autriche. En réalité, ses adversaires n'avaient pas besoin du prétexte d'un retour de l'Empereur en France pour décider de le déporter dans une autre île ; au demeurant, c'était, avec un homme comme Napoléon, prendre un risque considérable. Il est plus logique d'invoquer le tempérament de joueur constamment révélé par Napoléon. Il est évident que la fable du concours autrichien fut inventée de toutes pièces par l'Empereur pour rassurer l'opinion. A Davout, dans le secret des Tuileries, il devait confier: «Je vais vous parler à cœur ouvert, vous dire tout. J'ai laissé et je dois laisser croire que j'agis de concert avec mon beau-père l'empereur d'Autriche. On annonce de tous côtés que l'Impératrice est en route avec le roi de Rome, qu'elle va arriver d'un moment à l'autre. La vérité est qu'il n'en est rien, que je suis seul en face de l'Europe. Voilà ma situation. » LE VOL DE L'AIGLE Dans l'étonnante carrière de Napoléon, peut-être n'y a-t-il rien de plus prodigieux que cette marche qui le mena en vingt jours de Golfe-Juan à Paris. Débarqué le 1er mars, il évita la vallée du Rhône où il pouvait craindre la résistance des royalistes, se jeta dans les Alpes et par des sentiers de montagne se dirigea vers Grenoble où le chirurgien Émery et le gantier Dumoulin avaient préparé l'opinion. Dès les confins du Dauphiné, l'accueil des paysans fut en général favorable; restait l'attitude de l'armée. La rencontre de Laffrey rassura Napoléon; les soldats refusèrent de tirer sur lui. Le ralliement de La Bédoyère et l'entrée de Grenoble dont les habitants avaient défoncé les portes pour livrer la place à l'Empereur, transformèrent la marche sur Paris en un voyage triomphal. A Grenoble, deux mille paysans munis de torches de paille allumées criaient: «Vive l'Empereur!» Le 10 mars, Napoléon entrait à Lyon où les canuts lui réservèrent un accueil enthousiaste. Ce n'est que le 5 mars que l'on apprit à Paris le débarquement de Napoléon. Les mesures de résistance prises par Soult, ministre de la Guerre, prévoyaient le regroupement des forces du Lyonnais, du Dauphiné et de la Franche-Comté sous le commandement du comte d'Artois qu'assisteraient ses deux fils et trois maréchaux. Une ordonnance déclarait Bonaparte hors-la-loi et enjoignait à tout militaire de «lui courir sus ». La situation n'était nullement désespérée pour Louis XVIII qui pouvait compter sur l'appui de la Garde nationale, des corps constitués et des Chambres. Vus de Paris, les sentiments de l'armée semblaient favorables aux Bourbons : Ney ne promettait-il pas de «ramener l'usurpateur dans une cage de fer » ? Masséna à Marseille et Oudinot à Metz n'affichaient-ils pas leurs sentiments royalistes ? Et la citadelle d'Antibes n'avait-elle pas résisté aux avances de Napoléon ? Paris restait étonnamment calme. Un rapport de police du 7 mars 1815 signalait: On a pu juger combien nous étions loin des habitudes de la Révolution car, autrefois, des milliers de groupes se seraient formés, des motions, des propositions de violence, dans l'un ou l'autre sens, s'y seraient faites. Aujourd'hui, on se rencontrait et l'on se questionnait avec inquiétude, on accusait Bonaparte de vouloir troubler notre repos et nous apporter la guerre civile, la guerre étrangère, comme moyens de sacrifier, encore une fois, s'il le pouvait, la France à sa dévorante ambition. Mais personne ne devançait les mesures que le gouvernement réputait utiles. La rente tombait toutefois de 81 à 75 francs. Mais les projets de résistance élaborés par le comte d'Artois s'effondrèrent devant la défection des troupes ; Ney, le 17 mars, rejoignait Napoléon à Auxerre. Dans la nuit du 19 au 20, le roi devait quitter les Tuileries pour se réfugier à Gand. «Louis XVIII prétendait mourir au milieu de la France; s'il eût tenu parole, la légitimité pouvait encore durer un siècle», écrira Chateaubriand dans les Mémoires d'outre-tombe. Le 20 mars, à neuf heures du soir, porté en triomphe par ses partisans, Napoléon pénétrait aux Tuileries où flottait le drapeau tricolore. L'EMPIRE LIBÉRAL Henri Houssaye a bien montré que la marche triomphale de 1815 ne devait rien au complot préparé par quelques bonapartistes brouil-Ions (Exelmans, Drouet d'Erlon) que le retour soudain de l'Empereur paraît avoir plutôt déconcertés. Le mouvement qui porta Napoléon jusqu'aux Tuileries était l'œuvre conjuguée des paysans, des ouvriers et de l'armée, mécontents des Bourbons. La peur d'un retour à l'Ancien Régime, l'inquiétude des ouvriers devant l'extension du chômage, le culte des soldats pour l'Empereur ont mieux servi Napoléon que les intrigues de Maret ou de Lefebvre-Desnoëttes par exemple. Le malentendu se découvrait. Napoléon croyait qu'il reviendrait porté par les notables inquiets des empiétements à leur égard des émigrés. L'enthousiasme populaire était prévu (les décrets du 21 mars abolissant la noblesse et les titres féodaux, expulsant tous les émigrés du territoire et ordonnant le séquestre de leurs biens, avaient pour but d'alimenter cet enthousiasme) mais ce n'était pas le seul sur lequel comptait l'Empereur. La froideur des autorités révéla à Napoléon, dès Grenoble, son erreur : la bourgeoisie le boudait. En apparence, il reprit les mêmes ministres (non sans réticence parfois de leur part): Decrès à la Marine, Gaudin aux Finances, Mollien au Trésor, Maret à la secrétairerie d'État et même Fouché à la Police (le duc d'Otrante eût d'ailleurs préféré les Relations extérieures), mais il savait que la France ne pourrait plus être gouvernée comme avant. On semblait revenu en 1793 ; « c'est une rechute de la Révolution », notait avec quelque exagération un contemporain. « Rien ne m'a plus étonné en revenant en France, confiait Napoléon à Molé, que cette haine des prêtres et de la noblesse que je retrouve aussi universelle et aussi violente qu'au commencement de la Révolution. Les Bourbons ont rendu aux idées de la Révolution toute la force qu'elles avaient perdue. » Sans doute cette flambée révolutionnaire se limitait-elle à certaines régions, au Sud-Est de la France surtout, mais elle impressionna Napoléon. Elle le dégoûtait: «Je ne veux pas être un roi de la Jacquerie», disait-il. C'était, comme en 1799, repousser la solution jacobine. Toutefois le mouvement populaire lui imposait de se jeter dans les bras des libéraux, ses anciens adversaires, devenus aujourd'hui le moindre mal. Carnot reçut le portefeuille de l'Intérieur en hommage à « l'organisateur de la victoire », et Benjamin Constant devint un conseiller politique écouté après une entrevue qu'il eut aux Tuileries avec celui qu'il comparait quelques jours plus tôt à Gengis Khan et Attila. Destiné à rallier la bourgeoisie libérale, l'un des décrets pris à Lyon avait ordonné: « Les collèges électoraux de l'Empire seront réunis en assemblée extraordinaire au Champ de Mai afin de modifier nos constitutions dans l'intérêt de la Nation. » Dans l'élaboration du nouveau projet constitutionnel, Benjamin Constant n'a peut-être pas joué un rôle aussi important que celui que lui attribuent les Mémoires sur les Cent Jours. Pourtant il est vraisemblablement à l'origine des progrès qu'offrait l'acte additionnel par rapport à la Charte : abaissement du cens, responsabilité des ministres devant les Chambres (le problème de savoir si l'acte additionnel établissait ou non un régime parlementaire a été beaucoup discuté par les juristes, de Joseph Barthélemy à Radiguet), publicité des débats, suppression de la censure, abolition des juridictions d'exception, liberté des cultes. Deux erreurs toutefois, dont l'une due à Napoléon, l'hérédité des pairs (c'est-à-dire la conservation de la noblesse) et le titre d'acte additionnel aux constitutions de l'Empire (ce qui n'impliquait pas de changement dans la nature du régime), compromirent aux yeux de l'opinion le caractère libéral du texte. Il parut alors de nombreux pamphlets hostiles à l'acte additionnel et le plébiscite fut un échec : sur cinq millions d'électeurs, il y eut seulement 1 532 527 « oui » et 4 802 « non ». La masse des abstentions était considérable dans l'Ouest et le Midi ; seuls le Nord, l'Est et le Sud-Est donnèrent de forts contingents de « oui et dans l'ensemble les campagnes furent plus favorables au projet que les villes. La cérémonie du Champ de Mai où furent proclamés les résultats déçut les Parisiens. Michelet qui était âgé de dix-sept ans en 1815 écrira plus tard: J'étais alors plein d'Athalie. Je ne saurais dire mon étonnement quand je vis apparaître Bonaparte dans sa robe d'empereur romain, la blanche, l'innocente robe du jeune Éliacin. Cela n'allait ni à son âge, ni à son teint de maure, ni à la circonstance car il ne revenait pas pour nous donner la paix. Dans le milieu d'avril, l'enthousiasme populaire était tombé tandis que les notables continuaient à bouder, sceptiques quant à l'avenir du régime. Leur porte-parole, Fouché, résumait leurs sentiments devant Pasquier : « Cet homme — entendons Napoléon — n'est corrigé de rien et revient aussi despote, aussi désireux de conquêtes, aussi fou enfin que jamais... Toute l'Europe va lui tomber sur le corps ; il est impossible qu'il résiste et son affaire sera faite avant quatre mois. Je ne demande pas mieux que les Bourbons reviennent, seulement il faut que les affaires soient arrangées un peu moins bêtement qu'elles ne l'ont été l'année dernière par Talleyrand ; il ne faut pas que tout le monde soit à leur merci. Il faut des conditions bien faites, de bonnes et solides garanties. » La résistance royaliste s'organisait en Vendée, malgré l'échec du duc de Bourbon. La décision de rétablir la conscription y avait eu un effet désastreux. Le 15 mai, sous la pression de ses anciens chefs, Suzannet, d'Autichamp, Louis de La Rochejaquelein, la Vendée s'insurgeait. Le 22, Napoléon devait créer l'armée de la Loire, confiée au général Lamarque. Les huit mille hommes ainsi immobilisés feront cruellement défaut à Waterloo. Des généraux ou des maréchaux avaient suivi Louis XVIII, Maison par exemple. A l'opposition des royalistes s'ajoutait celle des libéraux. Ils peuplaient la nouvelle Chambre des représentants à la suite d'élections où le nombre des abstentions dépassa souvent 50 pour 100. L'auteur des Templiers, Raynouard, fut élu dans le collège de Brignoles avec 26 voix contre 10 à son adversaire! Beaucoup de conventionnels réapparurent (Barère, Cambon, Drouet, Lanjuinais, mais d'autres, comme Rochegude, avaient refusé) ainsi que La Fayette. Des noms connus : Defermon, Mouton-Duvernet, Arnault, Chaptal, Bonet de Treich, Bouvier-Dumolard, mais beaucoup d'inconnus. Parmi les nouveaux venus : Manuel, qui deviendra le porte-parole des libéraux. Bien qu'élue par une poignée d'électeurs, la Chambre entendait jouer un rôle plus actif que celui que souhaitait lui assigner Napoléon. Première escarmouche: les adversaires du régime portèrent à la présidence Lanjuinais; le 6 juin, ils refusèrent de prêter serment d'obéissance aux constitutions de l'Empire. Discrètement Fouché tirait les ficelles de l'opposition parlementaire. LA MARCHE VERS LA GUERRE Le retour de Napoléon était voué à l'échec. Deux dangers menaçaient en effet le régime : la trahison et la défaite. Malgré les épurations entreprises par Carnot (qui touchèrent principalement le corps préfectoral, usage auquel se conformeront tous les gouvernements qui suivront), le personnel administratif n'était pas sûr. Dans son journal, le célèbre architecte Fontaine résume l'état d'esprit de nombreux fonctionnaires : « Il nous fut impossible de retrouver les illusions du rêve qui venait de finir. Rien ne pouvait nous faire croire à un retour de fortune inouï dans l'Histoire. Nous restâmes persuadés que tout était terminé et cependant nous devions exécuter les ordres qui nous étaient donnés. » Bondy qui avait succédé à Chabrol à Paris n'était pas sûr et que dire de Lameth dans la Somme ou d'Angosse dans le Haut-Rhin ? A la passivité de l'administration s'opposait certes l'ardeur des ouvriers. Spontanément s'était développée dans l'Ouest, pour combattre la «malveillance», entendons par ce mot le royalisme, l'idée d'une association fédérale. « Pourquoi ne ferions-nous pas en 1815 ce que nous avons fait en 1792 ? Notre situation est la même, écrivait à Napoléon le lieutenant-colonel retraité Beaufort ; unissons-nous, les Vrais Français, amis de la patrie. » « Un esprit général de fédération, observe Thibaudeau, avait surgi, comme au commencement de notre grande Révolution. w II se montra d'abord à Nantes qui, placée entre la Vendée et la Chouannerie, avait à redouter la guerre civile. De jeunes citoyens de cette ville formèrent le projet de s'unir par un pacte avec les villes voisines. Ces villes de la Bretagne accueillirent cette idée avec enthousiasme et envoyèrent des députés à Rennes. Ils y rédigèrent le pacte fédératif. Le nom de l'Empereur n'y fut pas d'abord prononcé ; c'était pour la défense de la patrie et le maintien de l'ordre que l'on prenait les armes. On se ravisa, on y ajouta l'Empereur. Le pacte fut signé par quinze cents députés. Il fut dénoncé à l'Empereur comme un attentat révolutionnaire. Il dit après l'avoir lu : « Ce n'est pas bon pour moi, mais c'est bon pour la France. » D'autres provinces se fédérèrent à l'exemple de la Bretagne et se mirent en relations avec elle. Mais, loin d'encourager les fédérations, le gouvernement, excepté Carnot, parut les redouter. Leur zèle se refroidit. Bien qu'on annonçât dans Le Moniteur qu'elles n'étaient composées que d'hommes présentant, par leur éducation et la consistance de leurs familles, toutes les garanties, si on n'osa pas les interdire, on ne s'en servit pas, on les abandonna à elles-mêmes, elles furent très peu utiles. Le mouvement gagna Paris, les habitants des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel qui avaient souffert de n'avoir pu défendre la capitale en 1814 se fédérèrent. Le 14 mai eut lieu devant l'Empereur une grande manifestation patriotique : douze mille ouvriers et anciens soldats défilèrent devant Napoléon. Un orateur évoqua la menace de la guerre : celle-ci ne serait pas seulement une guerre de défense nationale, elle aurait pour objectif de libérer tous les peuples du joug de l'oppression. « Cela sentait furieusement la République », note un témoin. Soucieux de ménager la bourgeoisie et la Garde nationale, Napoléon n'utilisa pas la force qui s'offrait à lui. Il entendait rester le sauveur de la seule révolution bourgeoise. Les notables l'avaient abandonné en 1814 ; il n'osait pourtant en tirer les conséquences en 1815. La guerre paraissait inévitable. Dès que la nouvelle du débarquement de l'Empereur était parvenue à Vienne dans un congrès divisé où s'opposaient France, Autriche et Angleterre d'un côté, Russie et Prusse de l'autre, la coalition se reforma contre Napoléon. Le 13 mars, les Alliés, dans une déclaration solennelle, plaçaient Napoléon au ban de l'Europe; le 25, ils renouvelaient le pacte de Chaumont. En vain, Napoléon tentait-il d'apaiser leur colère en affirmant qu'il reconnaissait le traité de Paris, et en envoyant des émissaires au tsar et à l'empereur d'Autriche; les puissances alliées étaient résolues à l'abattre définitivement. Sans illusion, Napoléon a, par un décret du 22 mars, commandé aux manufactures deux cent cinquante mille armes ; un autre décret, le 28, rappelle les sous-officiers qui ont quitté l'armée. Dès le 30 avril, quatre armées et trois corps d'observation sont formés. WATERLOO Wellington est à Bruxelles avec quatre-vingt-dix mille Anglais, Hanovriens, Hollandais et Belges; Blücher est à Namur avec cent vingt mille Prussiens. D'importantes forces autrichiennes et russes sont en route vers la France. Le plan de Napoléon est de compenser son infériorité numérique en écrasant Wellington et Blücher avant l'arrivée des renforts alliés. Il entre en Belgique avec cent vingt-cinq mille hommes répartis entre la Garde, la cavalerie et les cinq corps d'armée de Drouet d'Erlon, Reille, Vandamme, Gérard et Lobau. Soult tient le rôle dévolu dans les campagnes précédentes à Berthier, tombé ou précipité d'une fenêtre du palais de Bamberg en Bavière, le 1er juin. Grouchy commande l'aile droite, Ney l'aile gauche, Napoléon, au centre, doit renforcer ses lieutenants pour frapper les coups décisifs. Les autres troupes ont dû être dispersées en Vendée (Lamarque), sur le Var (Brune), dans les Alpes (Suchet) et le Jura (Lecourbe), à la frontière du Rhin enfin (Rapp). La Sambre était franchie le 15 juin à Charleroi par Napoléon qui s'enfonçait en coin entre Wellington et Blücher. Aux Quatre-Bras, Ney avec l'aile gauche contraignit au prix de durs assauts les Anglais à battre en retraite; à Ligny, Napoléon avec Grouchy rejetait Blücher vers Liège, mais sans remporter une victoire décisive, faute de l'intervention au bon moment du corps de Drouet d'Er-Ion qui s'épuisa en marches et contre-marches entre les deux champs de bataille. Napoléon se retourna alors contre Wellington. Cependant que Grouchy, avec les corps d'armée de Vandamme et de Gérard, recevait pour mission de poursuivre Blücher, l'Empereur rejoignait Ney et se portait, centre et gauche du dispositif français réunis, à la rencontre de l'armée anglaise. Il trouva Wellington, le 17 au soir, arrêté au sud du village de Waterloo, en avant de la forêt de Soignes, sur le plateau de Mont-Saint-Jean où les Anglais s'étaient formés en carrés et avaient occupé en contre-bas les fermes de Papelotte, Hougoumont et la Haie-Sainte. Les Français s'établirent sur le plateau voisin, celui de la Belle-Alliance. Le front n'avait que quatre kilomètres d'étendue contre dix à Austerlitz. La fatigue des hommes, épuisés par le mauvais temps, la boue et le manque d'approvisionnement, interdisait à Napoléon toute manœuvre et, ajoutée au sol boueux, elle lui imposa de remettre l'attaque à midi, le 18 juin. C'est ce retard qui perdit Napoléon en permettant aux Prussiens qui avaient échappé à Grouchy de surgir sur le champ de bataille et de provoquer la déroute française. Les premiers coups de canon éclatèrent vers onze heures trente. La tactique de Napoléon consistait à détruire la gauche anglaise pour empêcher toute jonction avec les Prussiens. Mais les attaques de Drouet d'Erlon et de Reille furent durement repoussées. Napoléon se détermina alors à attaquer au centre. Plusieurs fois les charges de Milhaud et de Kellermann faillirent ébranler les carrés anglais, mais l'apparition de Bulow, vers deux heures, sur sa droite, obligea Napoléon à porter de ce côté la plus grande partie de sa réserve sous le commandement de Lobau. Il fallait à tout prix enfoncer le centre du dispositif anglais. L'Empereur lança toute sa cavalerie, «une mer d'acier», avec Ney à sa tête. Mais serrés à étouffer, sur un front de quinze cents mètres, les cavaliers offraient aux tirs précis des Anglais une cible comparable à celle du corps d'armée de Drouet d'Erlon précédemment. « Ils tourbillonnèrent sans succès décisifs au milieu des carrés de l'infanterie anglaise. » Les fantassins qui eussent été nécessaires pour parachever la victoire de la cavalerie firent défaut, ils étaient immobilisés près de Plancenoit, occupés à contenir les Prussiens. Vers dix-neuf heures, sur le même front où venait de charger la cavalerie, Napoléon tentait un ultime assaut avec cinq bataillons de grenadiers et de chasseurs de la Garde. « La Garde, espoir suprême et suprême pensée. » Elle fut à son tour fauchée par le tir des Anglais et contrainte de reculer. Au même moment, surgissait, à l'extrême droite, vers Papelotte, un nouveau corps prussien, celui de Zielten. Le recul de la Garde, combiné à l'apparition soudaine d'un nouvel ennemi là où était attendu Grouchy, provoqua une panique générale dont profitèrent les Anglais pour lancer à leur tour une offensive. La retraite se transforma en une déroute qui ne s'arrêta qu'à la frontière. Seule la Vieille Garde demeura inébranlable, couvrant le reflux désordonné des Français sur Charleroi. Grouchy, qui avait laissé échapper Blücher, parvint toutefois à ramener ses troupes indemnes derrière la frontière. LA SECONDE ABDICATION Arrivé à Paris au petit jour, le 21, Napoléon n'ignore pas que la Chambre des députés en majorité libérale s'apprête à l'écarter une nouvelle fois. Les notables cherchent à se débarrasser de cet encombrant sauveur. Son frère Lucien, Davout, La Bédoyère l'engagent à ajourner la Chambre, à proclamer la patrie en danger et à résister devant Paris, mieux fortifié qu'en 1814, avec l'appui de la population. Le peuple l'acclame devant l'Élysée où il s'est réfugié. Il n'a qu'un geste à faire mais il refuse une nouvelle fois d'être l' « empereur de la canaille», se retranchant derrière des considérations inattendues de sa part. « Vous les voyez ! aurait-il déclaré à Benjamin Constant, en lui montrant les manifestants qui scandaient son nom. Ce n'est pas eux que j'ai comblés d'honneurs et gorgés d'argent. Que me doivent-ils ? Je les ai trouvés, je les ai laissés pauvres. Mais l'instinct de la nécessité les éclaire, la voix du pays parle en eux. Si je le veux, dans une heure, la Chambre réelle n'existera plus. Mais la vie d'un homme ne vaut pas ce prix. Je ne suis pas revenu de l'île d'Elbe pour que Paris soit inondé de sang. » Fouché presse les députés de sommer Napoléon d'abdiquer, répandant les rumeurs les plus alarmistes sur une éventuelle dictature de l'Empereur. Affolée, la Chambre se déclare en permanence. Dans cette épreuve de force, c'est l'Empereur qui cède. Déprimé, Napoléon finit par abdiquer au début de l'après-midi du 22, en faveur de son fils. Une commission provisoire de cinq membres est nommée; elle se compose du général Grenier, de Carnot, de Caulaincourt, de Quinette et de Fouché qui la préside. Le 24 juin, Davout, rallié au jeu de Fouché, presse Napoléon de s'éloigner de Paris. Le duc d'Otrante redoute en effet un mouvement populaire ou un coup de force militaire qui contrarierait ses intrigues. L'Empereur cède une nouvelle fois et part le 25 pour Malmaison. Mais il paraît encore trop près de Paris aux yeux de Fouché qui travaille secrètement en faveur du retour de Louis XVIII. Il doit s'éloigner de la capitale. Le 3 juillet la ville capitule ; le 6, l'ancien régicide est conduit à Saint-Denis par Talleyrand auprès du roi qui s'est résigné à le laisser à la police. La scène a été immortalisée par Chateaubriand dans l'une des pages les plus célèbres des Mémoires d'outre-tombe : Tout à coup une porte s'ouvre ; entre silencieusement le vice appuyé sur le bras du crime, M. de Talleyrand marchant soutenu par M. Fouché ; la vision infernale passe lentement devant moi, pénètre dans le cabinet du roi et disparaît. Fouché venait jurer foi et hommage à son seigneur; le féal régicide, à genoux, mit les mains qui firent tomber la tête de Louis XVI entre les mains du frère du roi martyr; l'évêque apostat fut caution du serment. Les acquéreurs de biens nationaux pouvaient se sentir rassurés, ainsi que tous ceux qui avaient profité de la Révolution; le bref entretien de Saint-Denis entre le roi et les deux anciens ministres de Napoléon tint lieu de sacre à Louis XVIII. Le 8 juillet, le roi faisait sa rentrée dans Paris : l'aventure napoléonienne, privée de l'appui des notables et refusant toute adhésion populaire, n'avait guère dépassé les cent jours que se plaisait à compter le préfet de la Seine, Chabrol, entre le moment du départ du roi et celui de son retour. NOTES SOURCES : L'acte additionnel est publié par J. Godechot, Les Constitutions de la France (1970). Les débats des Chambres sont dans le t. XIII des Archives parlementaires. Les principaux rapports de police pour la période précédant le retour de Napoléon ont été publiés par E. Welvert, Napoléon et la Police (1913), et Firmin-Didot, Royauté ou Empire (s.d., rapports d'Anglès). Avec la disparition de la censure napoléonienne, on vit se multiplier les brochures et pamphlets dont on trouvera une recension dans le Catalogue de l'Histoire de France à la Bibliothèque nationale. En dehors de la Correspondance de Napoléon qu'il faut compléter par Pélissier, Le Registre de l'île d'Elbe (1897), les Mémoires sont abondants : Autichamp (1815), Beugnot (1866, pour la police de la Première Restauration), Lucien Bonaparte (éd. lung, 1882, t. III), Bourrienne, Campbell (dans Pichot, Chronique des Événements de 1814-1815, 1873), Canuel (1817, sur la Vendée), Mme de Chastenay, Chateaubriand, Constant (Mémoires sur les Cent Jours, éd. Pozzo di Borgo, 1961), Cournot (1913), baron de Damas (1923), Ferrand (1897), Fleury de Chaboulon (1901; il faut rectifier avec les annotations de Napoléon), Fouché, Gaudin, Guizot (t. I, ii1858), Hobhouse (Lettres écrites de Paris, 1819, témoignage oculaire intéressant), la reine Hortense (t. II, 1927), La Fayette (1838, t. V), Lamarque (1835), Louis-Philippe (événements de 1815, 1849), Michelet (Ma jeunesse, 1884), Molé (éd. Noailles, t. I, 1922), Pasquier, Peyrusse (1869), Poli (1954), Pons de l'Hérault (1897, essentiel pour l'île d'Elbe), Puymaigre (1884), Rochechouart (1889), Réal (1835), Savary, Sers (1906), Talleyrand, Thibaudeau (1913, remarquable sur les Cent Jours), Viennet (1929), Vitrolles (1884), Ussher (1906, pour l'île d'Elbe). Y ajouter pour Waterloo : Berthezène, Canler (1862), Chevalier, Coignet, Grouchy (publications de papiers personnels, 1873), Levasseur (1914), Marbot, Ney (papiers personnels, 1833), Pontécoulant (Napoléon à Waterloo, 1866), Scheltens (1880) et Trefcon; du côté anglais, les Dispatches of the duke of Wellington (t. VIII, 1852), Cavalié Mercer (1833), Lawrence (1897) et Woodberry (1896) qui ont fait l'objet de traductions françaises. Cf. aussi A. Brett-James, Waterloo raconté par les combattants (montage de témoignages). Il y a beaucoup à prendre dans la correspondance de Jaucourt avec Talleyrand (1905) et chez les Suisses : Sismondi, « Lettres écrites pendant les Cent Jours (Revue historique, 1877-1878), et Pictet de Rochemont, Correspondance diplomatique (1892). On peut parcourir la curieuse brochure d'Alexandre de Tilly, Du Retour de Bonaparte (Londres, 1815), les Lettres sur les Cent Jours de Cauchois-Lemaire (1822), et Des désordres de la France et des moyens d'y remédier, par Montlosier (1815). Attachante évocation de Marseille en 1815 par V. Gelu (éd. Guiral, 1971). Cf. aussi le recueil de Schoell. OUVRAGES : Synthèses générales par Vaulabelle (Histoire des Deux Restaurations, 1845, célèbre mais peu sûr), Houssaye, 1815 (Les Cent jours, 1896 ; Waterloo, 1899; brillant, documenté, mais écrit dans l'optique de « la revanche »); Stenger, Le Retour de Napoléon (1908); E. Le Gallo, Les Cent Jours (1924; thèse solide mais pas toujours objective) ; F. Ponteil, La Chute de Napoléon Ier et la crise française de 1814-1815 (1943, bon); J. Thiry, Les Cent Jours (1943), F. Sieburg, Napoléon. Les Cent Jours (1957); R. Margerit, Waterloo (1964, excellent, déborde l'histoire limitée de la bataille pour étudier l'ensemble des événements) ; G. Blond, Les Cent Jours (1984). On peut négliger l'étude rapide d'E. Hubert sur les Cent Jours. Il y a beaucoup à prendre dans les travaux d'histoire régionale. Anciens sont L. Pingaud, La France-Comté en 1815 (1894); Gaffarel, Les Cent Jours à Marseille (1906) ; Gonnet, « Les Cent Jours à Lyon », Revue d'Histoire de Lyon ( 1908) ; Contamine, Metz et la Moselle de 1814 à 1870 (1932); G. de Manteyer, La Fin de l'Empire dans les Alpes (1942); Avezou, « Les Cent Jours en Isère », Bull. Soc. Delphinale (1951) ; Bouscau, « La première Restauration et les Cent Jours dans la Creuse », La Science historique (1981) et surtout deux études fondamentales : J. Vidalenc, Le Département de l'Eure sous la monarchie constitutionnelle (1952), et P. Leuilliot, La Première Restauration et les Cent Jours en Alsace (1958). L'île d'Elbe a fait l'objet de plusieurs livres : Pellet, Napoléon à l'île d'Elbe (1888) ; P. Gruyer, Napoléon à l'île d'Elbe (1906) ; N. Young (1919) ; P. Bartel, Napoléon à l'île d'Elbe (1947 ; soutient la thèse du complot) ; R. Christophe, Napoléon empereur de l'île d'Elbe (1959) ; G. Godlewski, Trois Cents Jours d'Exil (1961 ; plus sérieux que les précédents) ; F. Beaucour, Sari, un fidèle de l'Empereur (thèse dact. très documentée). Cf. aussi J. Tulard, « L'île d'Elbe en l'an X », Revue de l'Institut Napoléon, 1964, pp. 64-68. Le retour est maintenant bien connu. Sur les intrigues qui le précédèrent : A. Espitalier, Deux artisans du retour de l'ïle d'Elbe (Émery et Dumoulin, 1934); Ernouf, Maret, duc de Bassano (1878); E. Bonnal, Les Royalistes contre l'Armée (1906); L. Guillot, « Le général Lefebvre-Desnoëttes », Revue de l'Institut Napoléon, 1963, pp. 145-151. Sur l'inquiétude suscitée chez les acquéreurs de biens nationaux par la Restauration : Gain, La Restauration et les biens des émigrés (1929). Sur le retour lui-même : J. Thiry, Le Vol de l'Aigle (1942) A. Chollier, La Vraie Route Napoléon (1946) et S. et A. Troussier, La Chevauchée héroïque du retour de l'île d'Elbe (1965) Sur Sisteron : Gombert (1968). L'acte additionnel est analysé par Deslandres, Histoire constitutionnelle t. I (1932), L. Radiguet, L'Acte additionnel (1911), et surtout P. Bastid, Benjamin Constant et sa doctrine (excellente étude des idées de l'auteur de La Benjamine). Le plébiscite a fait l'objet d'une thèse excellente, qui balaie bien des idées reçues : F. Bluche, Le Plébiscite des Cent Jours (1974). Pour les élections : on trouve dans Rév. fr. de 1913, un article sur les élections à la Chambre des représentants, mais sur la mentalité des députés, on préférera, en annexe de Rodocanachi, Sébastien Bottin (1926), les lettres du célèbre auteur d'annuaires, qui fut député en 1815. L'héritage financier de la Restauration peut être dégagé à partir de M. Bruguière, La Première Restauration et son Budget (1969), et Gignoux, La Vie du Baron Louis (1928). Sur l'entourage de Napoléon : M. Reinhard, Le Grand Carnot (t. II, 1952); F. Pietri, Lucien Bonaparte (1939); Blocqueville, Davout (1879); L. Madelin, Fouché (t.II); Serieyx, Drouot et Napoléon (1931). Pour l'autre camp : Duc de Castries, Louis XVIII (1969, excellente biographie). Lire les documents réunis par E. Romberg et A. Malet, Louis XVIII et les Cent Jours à Gand (1898-1902). La résistance de la Vendée est mise en lumière par Lasserre, Le Général Lamarque et l'Insurrection royaliste en Vendée (1906), et R. Grand, La Chouannerie de 1815 ( 1942). Utile est G. Lavalley, Le Duc d'Aumont et les Cent Jours en Normandie (s.d.). Sur les tractations entre les camps : H. Malo, Le Beau Montrond (1926, agent de Talleyrand). Le contexte diplomatique est bien éclairé par A. Sorel, L'Europe et la Révolution française (t. VIII, 1904); P. Rain, L 'Europe et la Restauration des Bourbons, 1814-1818 (1908). Pour le Congrès de Vienne : Webster, The congress of Vienna (1934); Nicolson, The congress of Vienna (1947, trad. fr.); Weil, Les Dessous du Congrès de Vienne (1917), et l'ouvrage collectif, Le Congrès de Vienne et l'Europe (1964). On ne peut ignorer l'édition critique des Souvenirs du Congrès de Vienne de Lagarde-Chambonas (1901) et les lettres de Talleyrand à la duchesse de Courlande publiées par G. Palewski (Le Miroir de Talleyrand, 1976). Synthèse par Charles Ziesniss, Le Congrès de Vienne (1984). La bataille de Waterloo a suscité une foule d'ouvrages, depuis Clausewitz (La Campagne de 1815, trad. fr. 1900), Jomini (Précis de la Campagne de 1815, 1839) et Charras (Histoire de la Campagne de 1815, 1869). Le point de vue belge est donné par Couvreur, Le Drame belge de Waterloo (1959), Logie, Waterloo, l'inévitable défaite (1984) ainsi que par les articles du Bulletin de la Société belge d'études napoléoniennes (1950-1975, tables dans le numéro de décembre 1975) et Waterloo illustré (16 numéros parus) qui ne laissent aucun aspect de la bataille dans l'ombre. Point de vue hollandais : Van Loben Sels, Précis de la Campagne de 1815 (intéressant). Sur les Prussiens : Müffling, Aus meinem Leben (1851); cf. à ce sujet Vigo-Roussillon, « Le général von Müflling, principal artisan de la victoire des Alliés », Rev. hist. de l'Armée, 1970, pp. 43-64, qui confirme les souvenirs du général. Blücher, de son côté, a trouvé un excellent biographe en Blasendorff, Gebhard Leberecht von Blücher (1887). On pourra consulter aussi Damitz, Histoire de la Campagne de 1815, von Ollech, Geschichte des Feldzuges. et Plotho, Der Krieg im Jahre 18I5, bien que tous très anciens. Pour les Anglais, on dispose de Siborne (History of the war of 1815, 1845), Ropes (The campaign of Waterloo, avec atlas, 1892), H.F. Becke, Napoleon and Waterloo ( 1914), et l'article de J. Holland Rose, « Wellington dans la campagne de Waterloo », Revue des Études napoléoniennes, 1915, t. VIII, pp. 44-55 ; Waller, Wellington at Waterloo (1967). Enfin les Français ont été également prolixes : outre Houssaye et Margerit cités plus haut et E. Lenient (La Solution des Énigmes de Waterloo, 1915), il faut accorder une place essentielle à Lachouque, Waterloo (1972, préface de J.-Fr. Chiappe). Les numéros spéciaux de la Revue des Études napoléoniennes de juin 1932 et de juin 1933 rendront des services, ainsi que J. Regnault, La Campagne de 1815 (1935), sans oublier le Waterloo de J. Thiry (1943). La fin de l'Empire est évoquée par J. Thiry, La Seconde Abdication, et surtout J. Duhamel, Les Cinquante Jours, de Waterloo à Plymouth (1963). Ainsi s'achève ce que Spengler appelle « la guerre de vingt ans » entre l'aristocratie anglaise et la bourgeoisie française. Sur le mouvement des fédérés, à défaut d'une histoire générale : J. Vanel, « Le mouvement fédératif de 1815 dans le Tarn », Gaillac et pays tarnais, Féd. Languedoc, Pyr., Gascogne, 1977, pp. 387-395). DÉBATS OUVERTS Peut-on parler d'épuration sous la Première Restauration? Pouthas (Guizot pendant la Restauration, 1923) ne le pense pas. Louis XVIII s'était engagé à « écarter tout souvenir amer ». La plupart des préfets, à l'exception de régicides notoires (Thibaudeau, De Bry) furent maintenus. Il fallait ménager les notables. Mais N. Richardson (The french prefectoral corps, 1814-1830, 1966) montre que progressivement la part des nobles s'est accrue : 30 en mars 1814, 58 en mars 1815. A la cour de cassation, à la faveur de la réorganisation du 15 février 1815, le premier président Muraire (beau-père de Decazes) s'efface devant De Sèze, ancien avocat de Louis XVI, tandis que sont évincés le procureur général Merlin de Douai et ses substituts Pons et Thuriot, tous régicides. La préfecture de police et le ministère de la police générale sont fondus dans une direction générale, prétexte à des mises à l'écart dans les services actifs (Foudras remplace Veyrat à l'inspection générale de la préfecture, cf. Lenotre, Dossiers de police, 1935; Dossonville devient commissaire, cf. Guyon, Biographie des commissaires, 1826). Mais il n'y a pas de violence, pas de procédure épuratoire. C'est avec le retour de l'île d'Elbe, et en dépit de l'amnistie promise à Lyon le 12 mars, que l'épuration prit le tour d'un châtiment. Seuls six préfets (Camille Périer, frère de Casimir, Petit de Beauverger, Bossi, Bourgeois de Jessaint, Plancy et Girardin) restèrent en place. Beaucoup préférèrent remettre leur démission (Flavigny, Vaublanc, Lavieuville). L'administration parisienne fut épurée ainsi que le ministère de l'Intérieur. Une nouvelle épuration dans le cadre de la « Terreur blanche » suivit le retour du roi. Des retournements d'opinion qui accompagnèrent ces changements de régime, naquit le célèbre Dictionnaire des girouettes d'Emery. Les raisons du retour de Napoléon de l'île d'Elbe ont suscité bien des discussions : du projet d'assassinat élaboré par Bruslart, gouverneur de la Corse (A. Chuquet, « Le départ de l'île d'Elbe », Revue de Paris, 1er fév. 1920) à celui de la déportation dans une île plus lointaine (Correspondance de Talleyrand et de Louis XVIII, 13 et 21 octobre, 7 décembre 1814). Jean Massin (« Waterloo », Le Monde, 19 juin 1965) pense que Napoléon est revenu par « patriotisme », au sens révolutionnaire que revêt le terme de 1789 à 1815, et pour chasser la « contre-révolution ». Il estime qu'il n'y a aucune raison de suspecter la sincérité de ses propos à Las Cases : « Je ne suis pas revenu pour recueillir un trône, mais bien pour acquitter une grande dette; les cris du peuple français arrivaient jusqu'à moi, pouvais-je y demeurer insensible ? » Mais comment expliquer alors son refus de tout appui populaire pendant les Cent Jours ? C'est que, selon Massin, il serait un « Girondin qui emprunterait à la Montagne ses procédés de gouvernement. Sincèrement révolutionnaire dans un sens limité, mais nullement démocrate ». Il sera donc l'homme des notables auxquels il multipliera les concessions. C'est donc que ceux-ci ne l'avaient nullement appelé et que le retour de l'île d'Elbe fut avant tout une aventure personnelle où ce maître en stratégie sut choisir le bon moment pour exploiter l'irritation populaire, au demeurant nullement générale, contre la monarchie. C'est la légitimité du pouvoir napoléonien qui se trouvait en effet posée par ce retour (Ch. Durand, « Le pouvoir napoléonien et ses légitimités » dans Annales Fac. Droit et Sc. polit. d'Aix-Marseille, 1972, pp. 7-33). F. Bluche reprend le problème dans « Les Cent Jours, aspects du pouvoir », Rev. hist. Droit fr. et étranger, 1973, pp. 627-634. Il montre que l'électorat bonapartiste se situe à gauche en 1815, les conservateurs et le marais (« la majorité silencieuse ») l'abandonnant. De là la chute des suffrages lors du vote de l'Acte additionnel : l'étude des régions montre l'impopularité de Napoléon dans le Midi et dans l'Ouest, bastions royalistes. Les votes favorables sont en revanche nombreux dans les régions frontières : Bourgogne, Champagne, Alsace, Lorraine, Nord. A Paris ce sont les fonctionnaires qui ont voté, mais la perte de popularité est énorme : de 120 000 suffrages en 1804 à moins de 20 000 en 1815. La déception populaire créée par l'Acte additionnel, alors qu'on attendait une dictature de Salut public, explique la brusque retombée de l'enthousiasme à Grenoble et à Lyon, à moins que l'on ait beaucoup exagéré les acclamations de mars. On lira aussi J. Chaumié, « Les Girondins et les Cent Jours », Annales hist. Rév.fr., 1971, pp. 329-365. Waterloo n'a pas fini d'opposer les spécialistes en stratégie. Rappelons l'incroyable polémique qui opposa Lenient (La Solution des Énigmes de Waterloo, 1915) au colonel Grouard (« Les derniers historiens de 1815 ». Revue des Études napoléoniennes, 1917, t. XI, pp. 163-198). On ne saurait nier les erreurs de Napoléon, dues peut-être à son mauvais état de santé (une crise d'hémorroïdes) mais sûrement pas à la trahison (la défection de Bourmont est antérieure au désastre, elle a créé néanmoins un climat d'inquiétude que reconnaît Napoléon dans sa Campagne de 1815, Correspondance, t. XXXI). Erreurs dans le choix des hommes (Ney au lieu de Murat, Soult au lieu de Davout); sous-estimation des forces de Blücher après Ligny ; perte de temps ; choc frontal au lieu de manœuvres contre Wellington. Erreurs que n'avouent ni le bulletin de la Grande Armée ni la relation dictée à Sainte-Hélène. Logie (Waterloo, l'inévitable défaite 1984) disculpe Grouchy et Ney pour accabler Napoléon. Pour ceux enfin qui souhaiteraient savoir ce qu'a dit Cambronne sur le champ de bataille : C. Pitollet, La Vérité sur le mot de Cambronne (1921) qui détruit H. Houssaye, La Garde meurt et ne se rend pas (1907). Amusant florilège sur « le mot « dans Le Boterf, Le brave général Cambronne (1984). Rappelons la fausse énigme de la mort de Ney lancée par J.A. Weston, Historic doubts as to the execution of Marechal Ney (1895), Ney fut vraiment fusillé. Sur la fin de Murat : Annequin, « Les derniers jours de Murat », Cavalier et roi, 1985. Le retour de Napoléon a eu pour effet de briser la politique de Talleyrand à Vienne visant à rapprocher la France de l'Autriche et de l'Angleterre, face à un axe russo-prussien. De ce nouvel équilibre perdu (les Alliés mirent fin à leur querelle et reconstituèrent le pacte de Chaumont, résurrection dont la France fit les frais au deuxième traité de Paris), M. Maurice Schumann semble avoir gardé la nostalgie (« Talleyrand, un prophète de l'Entente cordiale », La Revue des Deux Mondes, déc. 1976, pp. 541-556). Conséquence du nouveau traité de Paris, il fallut restituer les œuvres d'art enlevées aux pays conquis, et conservées en 1814 : F. Boyer, « Metternich et la restitution par la France des œuvres d'art de l'étranger », Rev. Hist. diplomatique, 1970, pp. 65-79 ; le même a étudié « Le Retour des œuvres d'art enlevées en Lombardie, en Vénétie et à Modène », Revue des Études italiennes, 1970, pp. 91-103 (il s'agissait de tableaux de Luini, de Titien, de Breughel de Velours, de Véronèse, du Guerchin, de Bassano), « Le retour en 1815 à Florence des œuvres d'art emportées en France », Rivista italiana di Studi Napoleonici, 1970, pp. 114-123. Plus grave encore était la division du pays en deux camps. Bertier de Sauvigny (La Restauration, 1955) montre que le retour de Napoléon « en réveillant les passions jacobines contre la noblesse et le clergé » a détaché les libéraux de 1814 de l'alliance avec les royalistes pour les précipiter vers les bonapartistes. « La France sera pour de longues années coupée en deux peuples ennemis. » CHAPITRE X La légende Dernier acte, celui qui va fixer le destin du Sauveur: Sainte-Hélène. Si la Restauration avait cru pouvoir placer entre parenthèses les années 1789-1815, Napoléon allait se charger, du haut de son rocher, non seulement de les remettre en mémoire mais de les confisquer à son profit. Sauveur des nantis de la Révolution, il se transforme, chez Balzac et bien d'autres, en « Napoléon du peuple ». LE PIÈGE Le 3 juillet 1815, Napoléon était à Rochefort et s'installait à la préfecture maritime où il attendait les sauf-conduits promis. Divers projets furent alors examinés : le commandant Baudin proposait de forcer le passage, Joseph de rejoindre l'armée de la Gironde sous Clauzel. Sur ordre du gouvernement provisoire, le général Beker, qui accompagnait l'Empereur, le faisait embarquer sur la frégate Saale qui le transportait à l'île d'Aix. Le 9, alors que Napoléon se trouvait à nouveau sur la Saale, la commission du gouvernement déclarait traître à la patrie tout officier qui tenterait désormais de le ramener sur le territoire français. Napoléon devenait un proscrit. Il revint à l'île d'Aix où l'on s'agitait pour le faire évader. L'Amérique ? La tentation était grande. Des propos encourageants de Maitland qui commandait le navire anglais Bellerophon, appartenant à l'escadre qui, sous Sir Hotham, croisait de la pointe de Quiberon à l'embouchure de la Gironde, incitèrent Napoléon à se livrer aux Anglais pour échapper aux royalistes français et à Blücher. L'Empereur nous réunit en une espèce de conseil, a raconté Las Cases; on débattit toutes les chances... La croisière anglaise était inforçable; il ne restait plus que de revenir à terre entreprendre la guerre civile, ou d'accepter les offres présentées par le capitaine Maitland. On s'arrêta à ce dernier parti; en abordant le Bellerophon, disait-on, on serait déjà sur le sol britannique; les Anglais se trouveraient liés dès cet instant par les droits de l'hospitalité... On se trouverait, dès ce moment, sous les droits civils du pays. De là, la fameuse lettre : « Je viens, comme Thémistocle, m'asseoir sur le foyer du peuple britannique; je me mets sous la protection de ses lois. » Avait-il été abusé par Maitland, soucieux d'opérer en douceur la capture de l'Empereur ? C'est probable. Le 15 juillet, il montait à bord du Bellerophon. Le piège se refermait. Mais il fallait compter avec l'opinion britannique. Lorsque le bateau mouilla à Torbay, il suscita une immense curiosité : « Quantité d'embarcations nous entourèrent, indique Maitland ; de tous côtés des gens accouraient voir cet homme extraordinaire. Il monta fréquemment sur le pont, se montra aux coupées et aux fenêtres de l'arrière. » Même curiosité à Plymouth, curiosité à laquelle se prêta de bonne grâce Napoléon. Il tentait de susciter un courant de sympathie à son égard. Ses partisans, plus nombreux qu'on ne l'aurait pensé parmi les libéraux, avaient d'ailleurs conçu, semble-t-il, un plan en deux points : obtenir une ordonnance d'habeas corpus et faire débarquer l'Empereur dont la liberté sur le sol anglais aurait été garantie provisoirement par un écrit. Mac Kenrot, ancien juge aux Antilles, accusait le contre-amiral Cochrane d'avoir manqué à ses devoirs en n'attaquant pas, jadis, l'escadre de Willaumez au large de Tortola; il demandait la convocation de Napoléon comme témoin. Ainsi fut obtenue une ordonnance d'habeas corpus ad testificandum qui invitait Napoléon à comparaître devant le tribunal du 10 novembre. Mais le Bellerophon leva l'ancre avant que l'ordonnance ait pu être transmise à Lord Keith, commandant l'escadre de Plymouth. Le 31 juillet en effet, Lord Keith s'était rendu sur le Bellerophon pour annoncer à l'Empereur qu'il serait déporté à Sainte-Hélène. Le destin de Napoléon était définitivement scellé. L'imagine-t-on planteur aux États-Unis ou prenant le thé avec de vieilles Anglaises ? La légende oui allait l'entourer eût été brisée net. Il fallait le martyre. SAINTE-HÉLÈNE Partis de Plymouth le 9 août 1815, à bord du Northumberland sur lequel ils avaient été transférés, Napoléon et ses compagnons d'exil débarquaient à Sainte-Hélène, le 17 octobre. Traversée sans péripéties : « Napoléon et sa suite ont été de bonne humeur tout le long du voyage », note Samuel Decimus, marin du Northumberland dont on a retrouvé en 1976 la relation. A peine plus grande que Belle-Isle, Sainte-Hélène, haute muraille de basalte noire, débris d'un volcan éteint, servait à la Compagnie des Indes de point d'eau pour ses navires. Elle était habitée par une population où se mêlaient toutes les races du globe : Européens, Noirs, Hindous, Malais et Chinois. Une aristocratie la dominait, formée de hauts fonctionnaires de la Compagnie et de grands propriétaires dont les domaines étaient encore cultivés par des esclaves. Napoléon logea deux mois chez les Balcombe aux Briars, deux mois qui constituèrent pour lui une détente après l'épuisement nerveux provoqué par l'effondrement de sa puissance et l'exténuant voyage du Northumberland. Le 10 décembre, il allait s'installer à Longwood House, une maison sur mesure pour servir de geôle, note l'actuel consul de France à Sainte-Hélène. Ramassées à l'avant des constructions, les pièces réservées à l'Empereur, exposées à la vue des Anglais et des Français ; autour d'une cour fangeuse les réduits qui serviront d'office ; un peu en retrait les corps de logis qui abriteront « la famille », sans compter l'officier de surveillance anglais, invisible mais présent. L'entourage de Napoléon, qui forma sa dernière cour, était constitué du général Bertrand, aide de camp de l'Empereur depuis 1807, remplaçant de Duroc aux fonctions de grand maréchal du Palais ; du général Montholon, qui avait rempli des missions diplomatiques ; du général Gourgaud, premier officier d'ordonnance, et d'un civil, Las Cases, noble rallié par nécessité plus que par conviction à l'Empire et devenu chambellan puis maître des requêtes au Conseil d'État; son fils l'avait accompagné. Deux femmes en constante rivalité : la générale Bertrand et la générale Montholon. Le service de Longwood était assuré par Marchand, premier valet de chambre, le mameluck Saint-Denis, dit Ali, Cipriani dont les fonctions de maître d'hôtel dissimulaient des activités d'agent de renseignements, le Suisse Noverraz, et Santini, l'homme à tout faire et le gardien du portefeuille. Sur la vie quotidienne à Longwood, nous sommes bien renseignés par le témoignage des compagnons d'exil qui ont tous laissé des souvenirs, y compris Marchand et Ali. Dans l'atmosphère étouffante de l'île, Napoléon partageait son temps entre la promenade dans l'espace autorisé par les autorités anglaises, les dictées à ses compagnons et la lecture : une bibliothèque de deux mille volumes, dont les titres nous sont connus, fut réunie à Longwood. Vie morne, rendue plus pénible encore par un climat où régnaient le brouillard et la pluie et par l'atmosphère tendue que créaient les rivalités et les susceptibilités des membres de l'entourage. S'y ajoutèrent les tracasseries du gouverneur de l'île, Hudson Lowe, subalterne d'une intelligence médiocre, prisonnier du règlement et affolé par une trop lourde responsabilité. Peu à peu la santé du prisonnier déclina. En 1817, il était fortement secoué par la dysenterie et des douleurs rhumatismales. La maladie s'installait, malgré les efforts du médecin irlandais O'Meara que le gouverneur fit chasser pour complicité avec les Français. En 1819, les vertiges s'aggravèrent. Le médecin de marine Stokoe, qui diagnostiqua une hépatite due au climat, fut renvoyé en Angleterre. L'inquiétant Antommarchi le remplaça. Vers juillet 1820 apparurent des nausées et des douleurs dans la région de l'estomac; bientôt Napoléon ne put se nourrir que de potages et de gelées de viande. Le 5 mai, « à cinq heures quarante-neuf minutes, note Bertrand dans son journal, l'Empereur a rendu le dernier soupir. Les trois dernières minutes, il a rendu trois soupirs. Au moment de la crise, léger mouvement dans les prunelles ; mouvement irrégulier de la bouche et du menton au front ; même régularité que dans une pendule. La nuit, l'Empereur avait prononcé le nom de son fils avant celui de : à la tête de l'armée. La veille, il avait demandé deux fois : « Comment s'appelle mon fils ? » Marchand avait répondu : « Napoléon. » DE LA LÉGENDE AU MYTHE Disparu de la scène du monde après l'avoir occupée pendant près de vingt ans, l'Empereur déchu n'était-il pas condamné à l'oubli? Trop habile propagandiste pour ignorer les ravages de l'absence dans la mémoire des hommes, il allait livrer, du rocher de Sainte-Hélène, son ultime bataille, façonnant l'image qu'il souhaitait laisser à la postérité. Certes, la légende n'est pas née à Sainte-Hélène ; elle s'est forgée dès la première campagne d'Italie dans ses journaux destinés au moral des troupes mais qui firent surtout connaître à la France Lodi et Rivoli. La légende napoléonienne s'est épanouie avec le culte officiel de l'Empereur qu'imposèrent catéchisme impérial, fête de la Saint-Napoléon et multiples actions de grâce. Mais c'est après 1815 qu'elle prend son vrai visage. Les conditions sociales nouvelles ont joué un rôle déterminant. La fidélité populaire envers Napoléon fut incontestable sous l'Empire. Les ouvriers des faubourgs parisiens, du moins certains d'entre eux, étaient encore prêts à se battre en 1815 face à l'envahisseur; leur attachement à l'Empereur était souligné par tous les rapports de police. Dans la masse paysanne, le prestige de Napoléon n'était pas moins grand, bien qu'assombri dans les dernières années de l'Empire par les droits réunis et la conscription. Ce prestige ne devait cesser de grandir après la chute de l'Aigle. Ralentie par les guerres de la Révolution et de l'Empire, la révolution industrielle vint bouleverser les anciennes structures, rejetant les vieux artisans au profit de la machine, employant de préférence une main-d'œuvre à bon marché de femmes et d'enfants, provoquant un effondrement des salaires sur un marché du travail encombré par les démobilisés de la Grande Armée. L'Empire, période de plein emploi et de hauts salaires, de pain abondant et à bas prix, se transforma pour tous ces réprouvés en un véritable « âge d'or ». Napoléon devint sans difficultés « le père du peuple ». Même réaction dans les campagnes, où, au moins jusqu'au vote de la loi sur le milliard des émigrés, les paysans ont tremblé pour les biens nationaux acquis sous la Révolution. De plus, la gloire napoléonienne, c'était aussi celle de cette armée de paysans qui avait conquis l'Europe. Ces anciens soldats que leurs blessures condamnaient à l'oisiveté retrouvaient dans les souvenirs qu'ils égrenaient le soir à la veillée — Balzac l'a bien montré — une justification à leur inutilité sociale. Ils furent les meilleurs gardiens du culte, les véritables auteurs de la légende, relayant les images des colporteurs désormais proscrites et les bulletins de la Grande Armée dont les nouveaux maires détruisaient les collections municipales. La bourgeoisie à son tour s'inquiétait. Menacée à tout moment dans ses nouveaux privilèges par le retour au passé, elle constatait que sur le plan politique, la légitimité avait fait long feu, que le retour à la stabilité restait précaire. Certes le passage de Louis XVIII à Charles X s'opéra sans difficultés en 1824, mais les ricanements qui accompagnèrent le sacre montraient que la vieille monarchie n'avait pas retrouvé son ancien charisme. Écoutons Béranger : « Charles s'étend sur la poussière. Roi! crie un soldat, levez-vous ! Non, dit l'évêque; et par saint Pierre, Je te couronne; enrichis-nous. Ce qui vient de Dieu vient des prêtres, Vive la légitimité !» 1789 représentait bien un tournant. Une opposition républicaine et libérale marquait sans cesse des points au détriment du trône. Le coup de génie de Napoléon fut de la confisquer à son profit, de s'emparer des forces montantes qui secouaient la vieille Europe. La curiosité n'avait cessé d'entourer le proscrit. En 1817, le Manuscrit venu de Sainte-Hélène d'une manière inconnue, mémoires apocryphes de Napoléon dus probablement à Lullin de Châteauvieux, un Genevois, ami de Mme de Staël, connut, avant son interdiction, un énorme retentissement. Mais il fut éclipsé par le Mémorial de Sainte-Hélène, publié par Las Cases en 1823. Le Mémorial fut probablement le plus grand succès de librairie du XIXe siècle: quatre éditions différentes avec corrections et additions entre la princeps de 1823 et celle de 1842, illustrée par Charlet. Las Cases y avait recueilli entre 1815 et 1816 les confidences de Napoléon. Et quelles confidences ! Les pamphlets royalistes avaient fait de Napoléon l'héritier de la Terreur et le disciple de Robespierre. Loin de repousser un tel héritage, Napoléon l'accepte : « L'Empereur, note Las Cases, disait que la Révolution, en dépit de toutes ses horreurs, n'en avait pas moins été la vraie cause de la régénération de nos mœurs. » Le même homme, qui avait rompu avec les idéologues, affirme « l'ascendant irrésistible des idées libérales ». « Rien ne saurait détruire ou effacer les grands principes de notre Révolution, ajoute-t-il. Ces grandes et belles vérités doivent demeurer à jamais, tant nous les avons entrelacées de lustre, de monuments, de prodiges... » Libérateur des peuples, Napoléon en aurait également été l'unificateur : « L'impulsion est donnée, et je ne pense pas qu'après ma chute et la disparition de mon système, il y ait en Europe d'autre grand équilibre possible que l'agglomération et la confédération des grands peuples. » La défense des conquêtes révolutionnaires et l'unification des peuples de l'Europe, voilà les deux causes essentielles de ces longues guerres dont on a fait porter la responsabilité à Napoléon mais qui ont été voulues en réalité par les monarques absolus. En 1816, ces propos, s'ils furent bien tenus, s'adressaient aux whigs, les libéraux anglais, dont le captif espérait une amélioration de son sort. Le choix du porte-parole était judicieux : Napoléon n'ignorait pas que son confident prenait des notes et que cet ancien émigré qui avait vécu à Londres saurait trouver les mots pour séduire l'opinion britannique. Mais de telles affirmations, probablement remaniées par Las Cases et adaptées à la conjoncture politique de 1823, visaient aussi l'opinion internationale. Par ses déclarations, Napoléon confisquait à son profit les deux forces montantes du XIXe siècle, le nationalisme et le libéralisme, qu'il avait combattues. Prisonnier de la Sainte Alliance, le souverain déchu pouvait faire oublier le César antilibéral au profit d'un Napoléon démocrate, soldat d'une Révolution qui n'était plus celle de la seule bourgeoisie mais récupérait le IVe état. L'opération eût été difficile sans l'émotion suscitée par le calvaire de l'Empereur à Sainte-Hélène. Cette fin misérable et solitaire sur un rocher battu par les flots frappa l'imagination des Romantiques. Toute une génération, celle des « enfants du siècle », nourrie des bulletins de la Grande Armée, retrouvait dans le Mémorial ce bruit des armes dont la monarchie restaurée la privait. Le père de Victor Hugo n'avait-il pas servi en Italie et en Espagne, celui d'Alexandre Dumas en Égypte ? Royaliste au départ, le Romantisme bascula dans un bonapartisme poétique qui fournit à la légende napoléonienne le support littéraire sans lequel elle n'aurait pu rencontrer un succès aussi éclatant. Hugo et Balzac, Musset et Vigny avec plus de nuances, Dumas et Eugène Sue avec moins de génie se transformèrent en chantres de l'Empire. Dans le même temps, le monde des employés pleurait cet âge d'or de la bureaucratie qu'avait été le règne de Napoléon. Et le peuple restait convaincu que c'était sa cause que Bonaparte avait épousée en Brumaire. Louis Geoffroy écrivait un Napoléon apocryphe où l'Empereur ayant vaincu la Russie puis l'Orient devenait le maître du monde. Se rendant de Sydney au Cap, il passait au large de Sainte-Hélène, mais donnait ordre à l'amiral Duperré de n'y point faire escale ! Nerval s'enthousiasmait, Flaubert restait froid. La légende atteint son apogée en 1840 lors du retour des Cendres ; elle assure le succès de Napoléon III. « C'est beaucoup, murmure Guizot, d'être à la fois une gloire nationale, une garantie révolutionnaire et un principe d'autorité. » Sedan provoque une éclipse et condamne le rêve dynastique des napoléonides. Mais subsiste l'idée du plébiscite et de l'appel au peuple, seule voie qui permette de concilier démocratie et pouvoir fort d'un sauveur. Ce sauveur, la France l'attend pour sa revanche sur la Prusse et la reconquête de l'Alsace-Lorraine ; elle puise des raisons d'espérer dans Iéna, croit retrouver Bonaparte en Boulanger et acclame en 1900 L'Aiglon, prélude aux assauts guerriers de 1914 dont les auteurs ont été nourris de La dernière classe par Daudet et des Mémoires de Marbot. Napoléon retrouve son ancienne popularité; de Job à Detaille, de Sardou à d'Esparbès, il inspire militaires, peintres et écrivains. C'est une nouvelle conquête, un Brumaire artistique et littéraire. Balayées les réticences des vieux républicains, grands lecteurs de Quinet et de Lanfrey ; aphones les tenants de la monarchie légitime qui avaient cru en Taine et son Régime moderne où Napoléon était représenté sous les traits d'un condottiere. Jamais autant de livres, autant de gravures dérivées de Charlet et Raffet ne furent consacrés au Sauveur qu'entre 1885 et 1914. En fait le personnage a pris déjà, tel Tristan ou Don Juan, une dimension nouvelle. On est passé de la légende au mythe. L'universalité de Napoléon lui permet d'inspirer Dostoïevski (« Oui, je voulais devenir Napoléon, voilà pourquoi j'ai tué », s'exclame Raskolnikov) et Tolstoï (Guerre et Paix est dominé par Napoléon), le Nietzsche du Gai Savoir et le Thomas Hardy des Dynastes. Kipling compose A Saint Helena Lullaby et Emerson fait figurer Napoléon dans ses Representative Men. Conan Doyle délaisse pour La Grande Ombre Sherlock Holmes. La musique n'est pas indifférente : Beethoven a rayé sa dédicace à Napoléon de la Troisième Symphonie, mais Berlioz a composé en 1835 une cantate sur Le Cinq Mai; Schoenberg écrira en 1943 une Ode à Napoléon, où celui-ci sera assimilé à Hitler, mais on doit à Robert Schumann Les Deux Grenadiers d'après Heine; Tchaïkovski stigmatise 1812 mais Prokofiev est plus nuancé dans son opéra Guerre et Paix. Et le cinéma a consacré plus de films à Napoléon qu'à Jeanne d'Arc, Lincoln et Lénine réunis. Il a été l'objet ou la cible de toutes les idéologies (l'exaltation du chef fasciste dans le film italien Campo di Maggio en 1935) et de tous les nationalismes : autrichien (Le jeune Médard, de Curtiz), allemand (Waterloo de Grune), anglais (Iron Duke, Young M. Pitt ou Lady Hamilton), nazi (Kolberg tourné en 1944 par Harlan sur l'ordre de Goebbels), stalinien (Koutouzov en 1943), polonais (Cendres de Vajda, 1968) et bien sûr français avec Gance dont le Napoléon demeure un sommet de cinéma muet, en 1927, et Guitry, plus « boulevardier » (Le Diable boiteux, Napoléon, etc.). Les réalisateurs d'Hollywood (Ford, Borzage, Walsh, Vidor, Sidney, Mann) ne l'ont pas boudé. Il a été récupéré par la «détente» (Waterloo tournée en 1970 par un Russe, Bondartchouk, pour un producteur italien avec O. Welles en Louis XVIII) et par la vague pornographique (L'Auberge des plaisirs, sur la prétendue impuissance de l'Empereur) en attendant la comédie italienne à la Risi. Chaplin a songé à interpréter un personnage devenu mythe cinémathographique, comme Arsène Lupin, Garbo (qui fut la Walewska), Mickey ou Laurel et Hardy. La bande dessinée, de Caran d'Ache aux Pieds Nickelés, ne l'ignora pas, ni la science-fiction (Le voyageur imprudent). Aucun art n'est donc resté indifférent devant cet « homme qui pouvait tout parce qu'il voulait tout », écrit Balzac. Mythe inépuisable qui se prête à toutes les « lectures » (le destructeur de la féodalité pour Marx, le cadet frustré selon Freud) et que viennent vivifier d'autres mythes : les femmes (la frivole Joséphine, l'infidèle Marie-Louise, la touchante Marie Walewska); Talleyrand prince des diplomates et Fouché inventeur de la police moderne; les « demi-solde », les Bugeaud, Bro, Fabvier, Pouget et autres Parquin voués à l'ennui ou aux complots; l'Aiglon crachant ses poumons comme plus tard la Dame aux camélias; la Révolution enfin, par la grâce du Mémorial fondant dans une histoire commune la chute de la Bastille et la victoire d'Austerlitz. NOTES SOURCES : Sur la dernière phase, les Mémoires sont abondants : Beker a laissé une relation de sa mission auprès de Napoléon (1841), le journal de bord de la Saale a été publié dans la Revue des Études napoléoniennes de 1933 ; les témoignages de Savary, de Planat de la Faye (1895), de Bonnefoux (1900), de Lallemand (Journal dans French American Review, avril 1949), Bonneau (Revue rétrospective, 1895), Jackson (trad. fr., 1921), Nichols (La Sabretache, 1921 ), Keith (1882) et Maitland (Relation, 1825, rééd. en 1934, avec le témoignage de Home par Borjane ; du même Borjane, Napoléon à bord du » Northumberland», d'après les récits anglais, dont Glover, à compléter par Lord Luttelton (1936) éclairent « l'après-Waterloo ». Sur Sainte-Hélène, deux témoignages de premier ordre : Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène (éd. Dunan, 1951, de préférence, en raison de la qualité exceptionnelle de son appareil critique, aux éditions de la Pléiade par Walter, de Garnier par Fugier, et du Seuil, préface de J. Tulard) mais qui s'arrête en fait à 1816, et Bertrand, Cahiers de Sainte-Hélène, couvrant toute la période (éd. Fleuriot de Langle, 1949-1951, pas d'index, Mme de la Vaissière a publié pour la période précédente ses lettres à Fanny, en 1978). Autres témoignages : Ali (1926), Antommarchi (1825, nombreuses rééditions), Arnott (1822), Balcombe (trad. fr., 1898), Bouges (Souvenir napoléonien, 1976), Gorrequer (Kemble, Gorrequer's diary, 1969), Gourgaud (éd. Aubry, 1947), Hudson Lowe (Paul Frémeaux, Dans la chambre de Napoléon mourant, journal inédit de H. Lowe, 1910), Marchand (éd. Bourguignon-Lachouque, 1952-1955 et rééd. 1985), Montholon (Récits de la captivité, 1847), comtesse de Montholon (1901), O'Meara (1822, nombreuses rééd.), Santini (1853), Stockoë (1901), Verling (médecin, Carnet de la Sabretache, 1921), Warden (éd. Cabanès, 1931). On n'oubliera pas la présence sur l'île d'un représentant du gouvernement de Louis XVIII : Firmin Didot, La Captivité de Sainte-Hélène d'après les rapports du marquis de Montchenu (1894). Ne pas négliger les rapports de Sturmer, commissaire autrichien, ceux du commissaire russe Balmain (Revue bleue, 1897) et les Hudson Lowe Papers. Nombreux documents dans les cinq volumes du Captif de Sainte-Hélène (1821) et dans Mougins-Roquefort, Napoléon prisonnier, vu par les Anglais (1978). Sur les projets d'évasion : la Belle-Jenny de Gautier, Sur le retour des cendres : Souvenirs inédits de Philippe de Rohan-Chabot (1985). OUVRAGES : On trouvera deux bibliographies sur Sainte-Hélène, l'une à la suite du livre collectif, Sainte-Hélène, terre d'exil (1971), l'autre par C. Albert-Samuel dans la Revue de l'Institut Napoléon, 1971, pp. 151-157. Mise au point dans Napoléon à Sainte-Hélène (textes choisis par J. Tulard, 1981). Sur la reddition aux Anglais, préférer à Silvestre, De Waterloo à Sainte-Hélène (1904), à R. Chandeau, Napoléon à Fouras (1958), aux nombreux livres sur l'île d'Aix et à CI. Manceron, Le Dernier Choix de Napoléon (1960), les excellentes études de J. Duhamel, Les Cinquante Jours (1963), G. Martineau, Napoléon se rend aux Anglais (1969), G. Hubert, « Napoléon de Rochefort au Bellorophon » dans Souvenir napoléonien, sept. 1975, Bordonove, La vie quotidienne de Napoléon en route vers Sainte-Hélène (1977) et G. Prouteau, La nuit de l'île d'Aix (1985). Parmi les ouvrages généraux sur Sainte-Hélène : Forsyth, History of the captivity (1850); Rosebery, La Dernière Phase (1901); F. Masson, Napoléon à Sainte-Hélène et Autour de Sainte-Hélène (1935); Brice, Les Espoirs de Napoléon à Sainte-Hélène (1938); Paul Ganière, Napoléon à Sainte-Hélène (1957-1962); Korngold, Les Dernières Années de Napoléon (1926); G. Martineau, La Vie quotidienne à Sainte-Hétène (1966, excellent). Jean Thiry, Sainte-Hélène (1976). Un instrument de travail fondamental: A. Chaplin, A Saint-Helena whos who (1919, dictionnaire biographique de tous les acteurs de Sainte-Hélène). On peut consulter utilement Hauterive, Sainte-Hélène au temps de Napoléon et aujourd'hui (1933), René Bouvier, Sainte-Hélène avant Napoléon (1938), et sur un point particulier : Healey, « La bibliothèque de Napoléon à Sainte-Hélène », Revue de l'Institut Napoléon, 1959-1961, et A. Lorion, « Le vrai visage des aumôniers de Sainte-Hélène » (Buonavita et Vignali) et sur ce dernier, Guerrin-Graziani, L'assassinat de l'abbé Vignali, 1982, Revue de l'lnstitut Napoléon, 1972, pp. 75-78. La dispersion des compagnons d'exil après la mort de l'Empereur est évoquée par A. Cahuet, Retours de Sainte-Hélène (1932). Sur le testament, l'étude de J. Savant dans Toute l'Histoire de Napoléon, 1951, pp. 1-98 ; J. Lemaire, Le Testament de Napoléon (1975), et F. Beaucour, Le Codicille secret du testament de Napoléon (1976, il s'agit du septième codicille qui contient différents legs). Le retour des Cendres a inspiré à J. Bourguignon un livre très documentée en 1943 et un livre plus récent de J. Boisson. Le souvenir de Napoléon avait été entretenu en France par de nombreux partisans : J. Lucas-Dubreton, Le Culte de Napoléon, 1815-1848 (1959), à compléter par Tudesq, « La légende napoléonienne en France en 1848 » (Revue historique, 1957). A titre de comparaison : Lee Kennett, « Le culte de Napoléon aux États-Unis jusqu'à la guerre de Sécession », Revue de l'Institut Napoléon, 1972, pp. 145-156; et sur le rôle des exilés : I. Murat. Napoléon et le Rêve américain (1976). Pour l'Allemagne : R. Dufraisse, « Le culte de Napoléon dans les pays de la rive gauche du Rhin » (Jahrbuch für West. deutsche Landesgeschichte, 1976). Intéressant est G. Lote, «La mort de Napoléon et l'opinion bonapartiste en 1821 », Revue des Études napoléoniennes, 1930, t. XXXI, pp. 19-58. Zeller, Soldats perdus des armées de Napoléon (1977) évoque la variété des destins. Ph. Gonnard, dans Les Origines de la Légende napoléonienne (1906), a insisté sur l'importance des écrits venus de Sainte-Hélène dans la formation de cette légende. D'autres éléments ont été mis en lumière par J. Dechamps, Sur la Légende de Napoléon (1931). En revanche, le rôle du demi-solde est minimisé par J. Vidalenc, Les Demi-Solde (1955) ; lire à ce sujet l'excellente introduction aux souvenirs de Parquin par Jacques Jourquin qui démonte les impostures de ce parangon des demi-solde. On lira aussi : A. Zeller, Soldats perdus des armées de Napoléon aux garnisons de Louis XVIII ( 1977). L'influence littéraire est examinée par M. Descotes, La Légende de Napoléon et les Écrivains français du XIXe siècle (1967) et Saint-Paulien, Napoléon, Balzac et l'empire de la comédie humaine (1979). A Balzac, Hugo et Stendhal, il faut ajouter Béranger (J. Touchard, La Gloire de Béranger, 1968) et Barthélemy et Mery (par J. Garsou, 1899) ; ne pas négliger Erckmann-Chatrian (J. Braun, Saisons d'Alsace, 1963) ni le père des Trois Mousquetaires. Sur le passage de la légende au mythe : le numéro spécial de Yale French Studies (1969); P. Barbéris. « Napoléon, structure et signification d'un mythe », Rev. Hist. Lit. France, sept. 1970, pp. 1031-1058 ; J. Tulard, Le Mythe de Napoléon (1971). Du mêrne, Quand la République récupérait l'Empereur », L'Histoire, 1978 (Napoléon héros des romans populaires de Boisgobey, Ohnet, Lepelletier, Capendu, Adam, Jean d'Agraives...). Pour la gravure, cf. le catalogue de l'exposition de la Bibliothèque nationale, en 1969, La légende napoléonienne. DÉBATS OUVERTS Bien des points demeurent obscurs dans la reddition de Napoléon aux Anglais. Napoléon a sans doute nourri des illusions sur le sort qui l'attendait. Mais l'on ne peut nier l'activité de ses partisans : M. Dunan, « Napoléon et l'habeas corpus en 1815 », Revue de l'Institut Napoléon, 1955, pp. 89-92, et J. Dechamps, « Les défenseurs de Napoléon en Grande-Bretagne de 1815 à 1830 », Revue de l'Institut Napoléon. 1958, pp. 129-140. Mais M. Thornton montre, dans England and the St-Helena decision (1968), la faiblesse de leurs positions et la nécessité pour eux d'utiliser des ruses, analysées par J. Duhamel dans la Revue de Paris, 1962, n° 7, pp. 46-59. Napoléon s'est bien trompé s'il n'a été trompé. Qui a écrit le fameux Manuscrit venu de Sainte-Hélène qui ramena l'attention sur Napoléon ? En dépit des hésitations du préfacier anonyme de la réédition de 1974 (qui ne vaut pas l'ancienne édition de Driault et celle de Rumilly en 1947), le problème de l'attribution semble avoir été tranché en faveur de Lullin de Châteauvieux par A. Eberwein-Rochat dans le tome X du Bulletin Soc. Hist. et d'archéologie. Que valent les témoignages sur Sainte-Hélène? La personnalité de Las Cases a été étudiée par E. de Las Cases en 1959. Il écrivit son Mémorial dans une perspective libérale, introduisant de nombreux apocryphes dont la pseudo-lettre à Murat sur les affaires d'Espagne du 29 mars 1808. Il a puisé, pour étoffer son ouvrage, des documents dans la Bibliothèque historique, un recueil de textes publié par un homme de Maret, A. V. Benoit, et étudié par Ph. Gonnard, « La légende napoléonienne et la presse libérale, 1817-1820, dans Revue des Etudes napoléoniennes, mars 1912, pp. 235-258. Le Mémorial incite donc à la méfiance et doit être confronté avec d'autres témoignages. Mais Montholon est encore moins sûr bien qu'il ait fait l'objet d'un jugement nuancé d'Hélène Michaud («Que vaut le témoignage de Montholon à la lumière du fonds Masson ? », Revue de l'Institut Napoléon, 1971, pp. 113-120). Antommarchi a mauvaise réputation : du moins J. Poulet le réhabilite-t-il sur le plan médical (« Le cas Antommarchi », Revue de l'lnstitut Napoléon, 1971, pp. 130-138). La source la plus exacte et la plus complète est en définitive constituée par les Cahiers de Bertrand que Fleuriot de Langle a décryptés non sans erreurs. L'étude de Vasson sur Bertrand (1935) est antérieure à la publication des Cahiers. Parmi ceux qui ne laissèrent pas de souvenirs : Archambault dont la biographie est proposée par Rustan dans la Revue du Tarn, 1957, pp. 147-151, et Piontkowski («Un aventurier ou un missionnaire?» par S. Kirkov, Revue de l'Institut Napoléon, 1976, pp. 185-193). De quoi est mort Napoléon? Sven Forshuvud a imaginé un véritable roman policier fondé sur l'empoisonnement à l'arsenic et désigné le coupable : Montholon (Napoléon a-t-il été empoisonné ? 1961 repris par Weider et Hapgood, Qui a tué Napoléon? (1982). Godlewski écarte l'hypothèse du cancer et penche pour une hépatite, dont Napoléon aurait guéri et une lésion gastrique dont il serait mort (Revue de l'Institut Napoléon, 1960, pp. 145-151). Cancer développé sur un ulcère ancien, estime P. Ganière dans Sainte-Hélène, terre d'exil (1971). Laissons de côté l'hypothèse hautement fantaisiste du docteur Robert Greenblatt selon laquelle l'Empereur aurait été atteint du « syndrome de Zollinger-Ellison », maladie hormonale qui le transformait peu à peu en femme. On a parlé aussi du papier peint de Longwood qui expliquerait la présence d'arsenic dans les cheveux de Napoléon (Jones et Ledingham, « Arsenic in Napoleon's Wallpaper », Nature, octobre 1982). Les masques mortuaires de Napoléon ont fait couler beaucoup d'encre. On lira E. de Veauce, L'Affaire du Masque de Napoléon (1957), et J. Jousset, « L'Affaire du Masque de Napoléon », Revue de l'Institut Napoléon, 1957, pp. 100-106. On se bat autour du lit de mort de Napoléon, sans grand profit pour l'Histoire : J. et G. Rétif de la Bretonne, La Vérité sur le Lit de mort de Napoléon (1960). Enfin le même G. Rétif de la Bretonne a soutenu dans Anglais, rendez-nous Napoléon (1969) que Napoléon reposerait à Westminster. C'est le maître d'hôtel Cipriani qui serait sous le Dôme des Invalides. On lira la réfutation de D. Mac Carthy dans la Revue de la Société des Amis du Musée de l'Armée. 1971, pp. 31-43. Ultime avatar du mythe : Cavanna, Les aventures de Napoléon (1976), présentation caricaturale dans la tradition en plus violent de L'Os à moelle. Sur la postérité des idées napoléoniennes : W. Smith, Napoléon III (1970 en anglais), J. Domarchi. Marx et l'histoire et les actes du colloque sur le Bonapartisme dans Francia (1976, par L. Girard, Ph. Vigier, J. Tulard). Rappelons que ni Hitler, ni Rosenberg ne font référence à Napoléon. Un bilan de l'époque napoléonienne est dressé dans les Actes du XIIe Congrès international des Sciences historiques (Vienne, 1965). Conclusion Face aux périls intérieurs et extérieurs menaçant ses intérêts, la bourgeoisie française a toujours su s'inventer des sauveurs. Napoléon ouvre la voie à Cavaignac, Louis-Napoléon Bonaparte, Thiers, Pétain et de Gaulle. Et parce que la vertu principale du bourgeois est l'ingratitude mais son défaut majeur, le manque de courage, la séparation du sauveur et de ses inventeurs s'est faite le plus souvent à la faveur d'une catastrophe nationale. Le sauveur porte généralement la responsabilité de cette catastrophe. On distingue chez lui, au bout de quelques années, une tendance suicidaire à laquelle de Gaulle lui-même n'aurait pas échappé si l'on en croit Malraux. Lassitude du pouvoir? Dégoût du rôle joué ? Venu dans des circonstances tragiques (coup d'État, révolution, défaite nationale), le sauveur disparaît dans une atmosphère d'apocalypse. Un autre sauveur lui sera substitué, et l'engrenage reprendra. On peut y voir la conséquence de la disparition du principe de légitimité qui était le fondement de la vieille monarchie détruite en 1789. Napoléon est l'archétype de ces sauveurs qui jalonnent l'histoire de France aux XIXe et XXe siècles. La moyenne bourgeoisie, la paysannerie aisée et quelques hommes d'affaires avisés avaient été les grands profiteurs de la Révolution. Les uns et les autres avaient pu, grâce à l'argent dont ils disposaient en 1789, acheter des biens nationaux, constituer de grandes fortunes terriennes en un temps où s'écroulaient les valeurs mobilières, et, en prêtant aux paysans parcellaires, les intégrer à leur clientèle. L'alliance de la bourgeoisie et de la paysannerie pouvait seule permettre de terminer la Révolution soit autour d'un homme, soit autour d'un principe. L'homme fut trouvé : Bonaparte. Le principe était déjà connu : la propriété. Il appartenait à Bonaparte de maintenir les avantages acquis, en fixant un point de non-retour au passé et en freinant la marche en avant de cette révolution. Car, on l'a souvent signalé, celle-ci avait eu pour effet, au sein de la bourgeoisie et de la paysannerie, d'appauvrir les plus pauvres et d'enrichir les plus riches. Le quatrième état, le prolétariat urbain et rural, devait être contenu. Les enragés, plus que Babeuf, trop théorique et trop brouillon dans l'action, avaient montré que ce prolétariat était prêt à remettre en cause le principe que l'on venait de déclarer «sacré», de la propriété. Bonaparte sut trouver la parade: la guerre, qui se déroulait hors du territoire national, absorba les énergies et les détourna vers les champs de batailde; la pénurie de bras favorisa la hausse des salaires : l'approvisionnement de Paris fut assuré sans grave défaillance et le prix du pain resta à un taux raisonnable. Bref, dans le peuple, ceux qui échappèrent aux horreurs d'Eylau et de la Bérézina eurent l'impression d'un nouvel âge d'or. La bourgeoisie pouvait se considérer comme satisfaite : la guerre épargnait ses enfants grâce au système de remplacement : elle ne coûtait rien puisque le vainqueur prélevait d'énormes contributions sur le vaincu; elle lui permettait enfin de cultiver à bon compte son chauvinisme (le mot naît alors) en lisant les bulletins de la Grande Armée. Mais la guerre avait ses limites : les frontières naturelles de la France. En s'engageant en Italie et en Allemagne dans des conquêtes incessantes, Napoléon n'accumulait-il pas les rancœurs de l'Europe ? La France ne finirait-elle pas par succomber devant une coalition générale de ses ennemis ? Et ne perdrait-elle pas alors les avantages acquis par la Révolution ? Talleyrand prêchait, après les victoires, la modération. Napoléon répondait en invoquant la nécessité de vastes débouchés pour l'industrie. Plus lucides, les manufacturiers rappelaient que la production n'était pas assez forte pour pourvoir à elle seule aux besoins de l'Europe ; le marché russe, par exemple, était trop grand pour que la France pût s'y substituer entièrement à l'Angleterre. De plus le Blocus continental, base de la politique étrangère de Napoléon, ruinait les ports français. Le divorce de Napoléon et des brumairiens, de ceux qui avaient fait Brumaire et de ceux qui l'avaient approuvé au plébiscite qui suivit, peut être daté avec précision : 1808, l'affaire d'Espagne. La distribution des premières couronnes au sein de la famille Bonaparte, en 1806, avait quelque peu choqué les révolutionnaires, mais n'était-ce pas la continuation du système des républiques-sœurs cher au Directoire ? Les plus intelligents comprenaient que la reconstitution d'une noblesse ne se ferait pas longtemps à leur profit; le mariage de Napoléon et de Marie-Louise les confirma dans leurs craintes d'un retour au passé. Dans le même temps, les opérations d'Espagne, pour la première fois, cessaient de rapporter; la guerre-éclair avait vécu. D'Ivernois montrait que l'enlisement de l'armée dans la péninsule Ibérique risquait de ruiner peu à peu la France. Pour quel profit ? Les notables n'ont jamais cru à la dynastie des napoléonides, l'affaire Malet en est la preuve. Le sacre n'était qu'une cérémonie destinée à régulariser le nouveau régime aux yeux des monarques de l'Europe. Une dictature de salut public au profit des nantis de la Révolution, telle était la signification profonde de la fondation de l'Empire. Pour l'avoir oublié et imaginé qu'il allait établir une nouvelle dynastie appelée à régner sur le continent, le sauveur » fut renvoyé à la rédaction de ses Mémoires. Sainte-Hélène annonce Chislehurst, l'île d'Yeu et Colombey. Les Bardes défaits, l'opéra préféré de Napoléon rayé des programmes, Rossini crut pouvoir prolonger les raffinements musicaux du XVIIIe siècle et renouer avec Mozart. Malheureusement les monarchies étaient désormais constitutionnelles ; les dynasties n'avaient plus d'avenir. L'auteur de Guillaume Tell le comprit en 1830 et se tut. Meyerbeer puis Offenbach tinrent désormais le haut du pavé. D'autres Sarastro parurent, mais l'enchantement musical de la Flûte s'était dissipé. Le premier sauveur avait été aussi le plus grand; ses suivants ne furent que sa caricature. Annexes CHRONOLOGIE NAPOLÉONIENNE 15 août 1769 : naissance de Napoléon Bonaparte. 21 juillet 1771 : baptême de Napoléon Bonaparte. 15 décembre 1778 : Charles Bonaparte nommé député de la noblesse aux États généraux de Corse près du roi, emmène ses deux fils Joseph et Napoléon sur le continent. 1er janvier 1779 : Joseph et Napoléon entrent au collège d'Autun. 15 mai 1779 : entrée de Napoléon au collège militaire de Brienne. 17 (ou 30) octobre 1784 : Napoléon quitte Brienne pour l'École militaire de Paris. 28 octobre 1785 : il quitte l'École militaire, 42e sur 58 promus. 3 novembre 1785 : en garnison à Valence. 15 septembre 1786 : arrivée en permission en Corse. 12 septembre 1787 : il quitte la Corse. Il avait obtenu un congé de cinq mois et demi. 22 novembre 1787 : à Paris, « rencontre » au Palais Royal avec une prostituée. 1er janvier 1788 : deuxième séjour en Corse. Juin 1788 : Bonaparte rejoint son régiment à Auxonne. 23 août 1789 : il prête serment de fidélité à la Nation, au Roi et à la Loi. Septembre 1789-février 1791 : troisième séjour en Corse. Napoléon se mêle aux luttes politiques de l'île. 12 février 1791 : retour à Auxonne. Il y publie sa Lettre à Buttafuoco. 16 juin 1791 : en garnison à Valence. Septembre 1791-mai 1792 : quatrième séjour en Corse. Mai 1792 : arrivée à Paris. 10 août 1792 : il assiste à la prise des Tuileries. Octobre 1792 : cinquième séjour en Corse. 18 février 1793 : expédition de Sardaigne. Elle tourne court le 25. 11 juin 1793 : brouillé avec Paoli, Bonaparte doit fuir la Corse avec sa famille. 13 juin 1793 : arrivée à Toulon avec sa famille. 18 décembre 1793 : les Anglais évacuent Toulon. 22 décembre 1793 : les représentants nomment le chef de bataillon Bonaparte au grade de général de brigade. 11 juillet 1794-23 messidor an II : mission à Gênes sur ordre de Robespierre jeune. 27 juillet-9 thermidor an II : chute de Robespiere. 9 août 1794-22 thermidor an II : Bonaparte est mis en état d'arrestation. 20 août 1794-3 fructidor an II : il est lavé de toute accusation. 21 avril 1795-2 floréal an III : il est fiancée à désirée Clary. 13 juin 1795-25 prairial an III : il est nommé général à l'armée de l'Ouest. Il se fera mettre en congé. 18 août 1795-1er fructidor an III : Bonaparte est attaché au Bureau topographique du ministère de la Guerre. 15 septembre 1795-29 fructidor an III : il est rayé de la liste des généraux employés par le comité de Salut public. 5 octobre 1795-13 vendémiaire an IV : il participe à l'écrasement de l'insurrection royaliste contre la Convention. 15 octobre 1795-23 vendémiaire an IV: rencontre avec Joséphine de Beauharnais. 16 octobre 1795-24 vendémiaire an IV : Bonaparte est nommé général de division. 26 octobre 1795-3 brumaire an IV : Bonaparte devient général en chef de l'armée de l'Intérieur. 9 mars 1796-19 ventôse an IV : mariage de Napoléon Bonaparte et de Joséphine de Beauharnais. 11 mars 1796-21 ventôse an IV: départ de Bonaparte pour l'armée d'Italie dont il a reçu le commandement en chef le 2 mars. 12 avril 1796-23 germinal an IV: victoire de Montenotte. 21 avril 1796-2 floréal an IV: victoire de Mondovi. 28 avril 1796-9 floréal an IV: armistice de Cherasco. 10 mai 1796-21 floréal an IV: victoire de Lodi. 15 mai 1796-26 floréal an IV: Bonaparte entre à Milan. 5 août 1796-18 thermidor an IV : victoire de Castiglione. 8 septembre 1796-22 fructidor an IV: victoire de Bassano. 17 novembre 1796-27 brumaire an V: victoire d'Arcole. 14 janvier 1797-25 nivôse an V victoire de Rivoli. 2 février 1797-14 pluviôse an V : capitulation de Mantoue. 18 avril 1797-29 germinal an V: préliminaires de Léoben. 4 septembre 1797-18 fructidor an V: coup d'État anti-royaliste. 17 octobre 1797-26 vendémiaire an VI: paix de Campo-Formio. 28 novembre 1797-8 frimaire an VI : ouverture du congrès de Rastadt. 5 décembre 1797-15 frimaire an VI : Bonaparte est de retour à Paris. 25 décembre 1797-5 nivôse an VI : Bonaparte est élu à l'Institut. 19 mai 1798-30 floréal an VI : Bonaparte s'embarque pour l'Égypte. 11 juin 1798-23 prairial an Vl : prise de Malte. 2 juillet 1798-14 messidor an VI : Bonaparte prend Alexandrie. 21 juillet 1798-3 thermidor an VI: victoire des Pyramides. 24 juillet 1798-7 thermidor an VI : entrée de Bonaparte au Caire. 1er août 1798-14 thermidor an VI : Nelson détruit la flotte française à Aboukir. 22 août 1798-5 fructidor an VI : création de l'Institut d'Égypte. 21 octobre 1798-30 vendémiaire an VII : révolte du Caire contre les Français. 19 décembre 1798-29 frimaire an VII : liaison de Bonaparte avec Pauline Fourès. 7 mars 1799-17 ventôse an VII : prise de Jaffa. 19 mars 1799-29 ventôse an VII : siège de Saint-Jean d'Acre. 10 mai 1799-21 floréal an VII : après un huitième assaut, Bonaparte se décide à lever le siège de Saint-Jean d'Acre. 14 juin 1799-26 prairial an VII : Bonaparte de retour au Caire. 19 juillet 1799-1er thermidor an VII: découverte de la pierre de Rosette. 25 juillet 1799-7 thermidor an VII : victoire de Bonaparte à Aboukir. 23 août 1799-6 fructidor an VII : Bonaparte quitte l'Egypte. 9 octobre 1799-17 vendémiaire an VIII : Bonaparte débarque en France. 16 octobre 1799-24 vendémiaire an VIII : Bonaparte arrive à Paris. 9 novembre 1799-10 novembre-18 et 19 brumaire an VIII : coup d'État . Bonaparte consul provisoire avec Sieyès et Roger Ducos. 15 décembre 1799-24 frimaire an VIII : proclamation de la Constitution. 22 décembre 1799-1" nivôse an VIII,- installation du conseil d'État. 27 décembre 1799-6 nivôse an VIII : installation du Sénat. 1er janvier 1800-11 nivôse an VIII : installation du Tribunat et du Corps législatif. 13 février 1800-24 pluviôse an VIII : création de la Banque de France. 17 février 1800-28 pluviôse an VIII : institution des préfets. 19 février 1800-30 pluviôse an VIII : Bonaparte s'installe aux Tuileries. 20 mai 1800-30 floréal an VIII : Bonaparte franchit le Saint-Bernard. 14 juin 1800-25 prairial an VIII : victoire de Marengo. 7 septembre 1800-20 fructidor an VIII : réponse de Bonaparte aux propositions de Louis XVIII : « Sacrifiez votre intérêt au repos et au bonheur de la France. » 24 septembre 1800-2 vendémiaire an IX: enlèvement de Clément de Ris. 2 octobre 1800-11 vendémiaire an IX : traité de Mortefontaine avec les États-Unis. 24 octobre 1800-2 brumaire an IX : échec de la conspiration des poignards contre Bonaparte. 1er novembre 1800-10 brumaire an IX : publication du Parallèle entre César, Cromwell, Monk et Bonaparte. 3 décembre 1800-12 frimaire an IX : victoire de Moreau à Hohenlinden. 24 décembre 1800-3 nivôse an IX : attentat contre Bonaparte rue Saint-Nicaise. 9 février 1801-20 pluviôse an IX: paix de Lunéville. 15 juillet 1801-26 messidor an IX : signature du Concordat. 6 décembre 1801-15 frimaire an X : critiques du Tribunat à l'égard des premiers articles du code civil. 25 mars 1802-4 germinal an X: paix d'Amiens avec l'Angleterre. 3 avril 1802-13 germinal an X : présentation des articles organiques. 1er mai 1802-11 floréal an X : création des lycées. 10 mai 1802-20 floréal an X : projet de plébiscite pour accorder à Napoléon (première apparition officielle de ce prénom) Bonaparte le consulat à vie. 19 mai 1802-29 floréal an X: institution de la Légion d'honneur. 20 mai 1802-30 floréal an X: rétablissement de l'esclavage aux colonies. 4 août 1802-16 thermidor an X: constitution de l'an X. 13 septembre 1802-26 fructidor an X: disgrâce de Fouché. 2 novembre 1802-11 brumaire an XI : mort de Leclerc à Saint-Domingue. 3 mai 1803-13 floréal an XI : vente de la Louisiane aux États-Unis. 16 mai 1803-25 floréal an Xl : rupture avec l'Angleterre. 29 janvier 1804-8 pluviôse an XII : la police découvre que Cadoudal est à Paris pour enlever le Premier Consul. 21 mars 1804-30 ventôse an XII : exécution du duc d'Enghien. 18 mai 1804-28 floréal an XII : Napoléon Bonaparte est proclamé empereur des Français. 19 mai 1804-29 floréal an XII : nomination de 18 maréchaux d'Empire. 10 juillet 1804-21 messidor an XII : Fouché redevient ministre de la Police générale. 2 décembre 1804-11 frimaire an XIII : sacre de Napoléon. 17 mars 1805-26 ventôse an XIII : Napoléon roi d'Italie., 10 septembre 1805 : l'Autriche attaque la Bavière. 19 octobre 1805 : victoire d'Ulm. 21 octobre 1805 : défaite de la flotte franco-espagnole à Trafalgar. 2 décembre 1805 : victoire d'Austerlitz. 26 décembre 1805 : Traité de Presbourg. 31 décembre 1805 : fin du calendrier républicain. 14 février 1806 : Masséna entre à Naples. 15 mars 1806: Murat grand-duc de Berg. 30 mars 1806 : Joseph roi de Naples. 4 avril 1806 : publication du cathéchisme impérial. 10 mai 1806 : fondation de l'Université. 16 mai 1806 : ordre en conseil anglais déclarant les côtes de l'Elbe à Brest en état de blocus. 5 juin 1806 : Louis roi de Hollande. 12 juillet 1806 : mise en place de la Confédération du Rhin. 26 août 1806 : ultimatum prussien. 14 octobre 1806 : victoires d'Iéna et d'Auerstaedt. 27 octobre 1806 : Napoléon entre à Berlin. 21 novembre 1806 : Napoléon décrète le Blocus continental. 1er janvier 1807 : rencontre de Napoléon et de Marie Walewska. 8 février 1807 : difficile victoire d'Eylau. 14 juin 1807 : victoire de Friedland. 7 juillet 1807 : signature du traité de Tilsit. 22 juillet 1807 : création du Grand duché de Varsovie. 9 août 1807 : Talleyrand est écarté des relations extérieures. 16 août 1807 : Jérôme roi de Westphalie. 19 août 1807 : suppression du Tribunat. 16 septembre 1807 : création de la cour des comptes. 27 octobre 1807 : convention franco-espagnole de Fontainebleau. 30 novembre 1807 : Junot entre à Lisbonne. 20 février 1808 : Murat devient lieutenant-général de l'Empereur en Espagne. 1er mars 1808 : création de la noblesse d'Empire. 2 mai 1808 : soulèvement de Madrid contre la présence française. 5 mai 1808 : abdication de Charles IV d'Espagne. 4 juin 1808 : Joseph roi d'Espagne. 15 juin 1808 : Murat roi de Naples. 20 juin 1808 : Joseph entre à Madrid. 22 juin 1808 : Dupont capitule à Baylen. 30 août 1808 : Junot capitule à Cintra. 27 septembre 1808 : entrevue d'Erfurt entre Napoléon et le Tsar. 4 décembre 1808 : capitulation de Madrid devant Napoléon. 20 décembre 1808 : Talleyrand et Fouché se réconcilient pour envisager l'avenir en cas de disparition de Napoléon. 21 février 1809 : Lannes prend Saragosse. 8 avril 1809 : l'Autriche attaque la Bavière. 22 avril 1809 : victoire d'Eckmühl. 22 mai 1809 : bataille d'Essling. 6 juillet 1908 : victoire de Wagram. Arrestation de Pie VII. 14 octobre 1809 : Traité de Vienne. 15 décembre 1809 : le Sénat adopte le sénatus-consulte prononçant le divorce de Napoléon et de Joséphine. 17 février 1810 : la ville de Rome est réunie à l'Empire. 2 avril 1810 : mariage de Napoléon et de Marie-Louise. 3 juin 1810 : disgrâce de Fouché. 9 juillet 1810 : réunion de la Hollande à la France. 21 août 1810 : Bernadotte élu prince héréditaire de Suède. 20 mars 1811 : naissance du roi de Rome. 19 janvier 1812 : victoire de Wellington à Ciudad-Rodrigo. 8 avril 1812 : Alexandre envoie un ultimatum à Napoléon. 18 mai 1812 : conférence de Dresde. 24 juin 1812 : Napoléon franchit le Niemen. 22 juillet 1812: Wellington bat Marmont aux Arapiles. 7 septembre 1812 : victoire de la Moskowa (Borodino). 14 septembre 1812 : Napoléon entre à Moscou. 18 octobre 1812 : Napoléon décide de quitter Moscou. 23 octobre 1812 : coup d'État du général Malet. 27 novembre 1812 : bataille de la Beresina. 5 décembre 1812 : Napoléon quitte l'armée en retraite. 25 janvier 1813 : concordat de Fontainebeeau. 17 mars 1813 : la Prusse déclare la guerre à la France. 2 mai 1813 : victoire de Lützen. 20 mai 1813 : victoire de Bautzen. 4 juin 1813 : armistice de Pleiswitz. 21 juin 1813 : victoire de Wellington à Vittoria. L'Espagne est perdue. 29 juillet 1813 : congrès de Prague. 12 août 1813 : l'Autriche déclare la guerre à la France. 16-19 octobre 1813 : bataille de Leipzig. Effondrement de l'Allemagne napoléonienne. 30 octobre 1813 : victoire de Hanau. 16 novembre 1813 : la Hollande est perdue pour la France. 4 décembre 1813 : déclaration de Francfort. 29 décembre 1813 : rapport de Laîné au Corps législatif. 30 décembre 1813 : occupation par les Autrichiens de la Suisse. 17 janvier 1814 : défection de Murat. La domination française en Italie est compromise. 29 janvier 1814 : victoire de Napoléon à Brienne. 10 février 1814 : victoire de Champaubert. 11 février 1814 : victoire de Montmirail. 18 février 1814 : victoire de Montereau. 13 mars 1814 : victoire de Reims. 30-31 mars 1814 : chute de Paris. 2 avril 1814 : le Sénat prononce la déchéance de Napoléon. 4 avril 1814 : sous la pression des maréchaux, abdication de Napoléon. 6 avril 1814 : abdication sans conditions de Napoléon. 20 avril 1814 : les adieux de Fontainebleau. 4 mai 1814 : Napoléon débarque à l'île d'Elbe. 30 juin 1814 : Traité de Paris. 1er novembre 1814 : ouverture du Congrès de Vienne. 26 février 1815 : Napoléon quitte l'île d'Elbe. 1er mars 1815 : Napoléon débarque au Golfe-Juan. 7 mars 1815 : les troupes se rallient à Napoléon au défilé de Laffrey. 20 mars 1815 : Napoléon à Paris. 30 mars 1815 : Murat lance sa proclamation de Rimini. 22 avril 1815 : proclamation de l'Acte additionnel. 3 mai 1815 : Murat battu à Tolentino. 1er juin 1815 : cérémonie du Champ de Mai. 9 juin 1815 : acte final du Congrès de Vienne. 16 juin 1815 : victoire de Ligny. 18 juin 1815 : désastre de Waterloo. 22 juin 1815 : abdication de Napoléon. 15 juillet 1815 : Napoléon monte à bord du Bellérophon. 7 août 1815 : Napoléon transféré sur le Northumberland. 13 octobre 1815 : Murat fusillé au Pizzo. 16 octobre 1815 : Napoléon arrive à Sainte-Hélène. 20 novembre 1815 : deuxième traité de Paris. 7 décembre 1815 : Ney est fusillé. 10 décembre 1815 : Napoléon s'installe à Longwood. 17 avril 1816 : première rencontre avec le nouveau gouverneur Hudson Lowe. 18 août 1816 : algarade avec Hudson Lowe. 25 novembre 1816 : Las Cases est expulsé de Sainte-Hélène. 11 février 1818 : dernier entretien de Napoléon et de Gourgaud qui a demandé à quitter l'île. 5 mai 1821 : mort de Napoléon. 15 décembre 1840 : cérémonie du retour des Cendres à Paris. LES MINISTRES DE NAPOLÉON JUSTICE : Cambacérès (11 novembre-25 décembre 1799) ; Abrial (25 décembre 1799-14 septembre 1802) ; Regnier, futur duc de Massa (14 septembre 1802-13 juin 1813) ; Molé (20 novembre 1813-3 avril 1814). INTÉRIEUR : Laplace (11 novembre-25 décembre 1799) ; Lucien Bonaparte (25 décembre 1799-7 novembre 1800) ; Chaptal (d'abord intérim puis 21 janvier 1801-8 août 1804) ; Champagny (4 novembre 1804-8 août 1807) ; Cretet (8 août 1807-juin 1809) ; Montalivet (1er octobre 1809-3 avril 1814). POLICE GÉNÉRALE : Fouché (jusqu'au 15 septembre 1802, date de la suppression du poste) ; Fouché (du 10 juillet 1804, date du rétablissement du poste-3 juin 1810) ; Savary, duc de Rovigo (3 juin 1810-3 avril 1814). RELATIONS EXTÉRIEURES : Talleyrand (22 novembre 1799, en remplacement de Reinhard-9 août 1807) ; Champagny, duc de Cadore (9 août 1807-17 avril 1811) ; Maret, duc de Bassano (17 avril 1811-20 novembre 1813) ; Caulaincourt, duc de Vicence (20 novembre 1813-3 avril 1814). FINANCES : Gaudin, futur duc de Gaëte (11 novembre 1799-3 avril 1814). TRÉSOR PUBLIC : Barbé-Marbois (du 27 septembre 1801, création du poste jusqu'au 27 janvier 1806) ; Mollien (27 janvier 1806-3 avril 1814). GUERRE : Berthier (11 novembre 1799-2 avril 1800) ; Carnot (2 avril 1800-8 octobre 1800) ; Berthier (8 octobre 1800-9 août 1807) ; Clarke, duc de Feltre (9 août 1807-3 avril 1814). ADMINISTRATION DE LA GUERRE : Dejean (du 12 mars 1802, création du poste au 3 janvier 1810) ; Lacuée, comte de Cessac (3 janvier 1810-20 novembre 1813) ; Daru (20 novembre 1813-3 avril 1814). MARINE ET COLONIES : Forfait (22 novembre 1799, en remplacement de Bourdon de Vatry-3 octobre 1801) ; Decrès (3 octobre 1801-3 avril 1814). CULTES : Portalis (du 10 juillet 1804, création du poste au 4 janvier 1808) ; Bigot de Préameneu (4 janvier 1808-3 avril 1814). MANUFACTURES ET COMMMERCE : Collin de Sussy, du 16 janvier 1812, création du ministère au 3 avril 1814). SECRÉTARIAT D'ÉTAT : Maret (du 25 décembre 1799, création du poste au 17 avril 1811); Daru (17 avril 1811-20 novembre 1813); Maret (20 novembre 1813-3 avril 1814). Le ministère des Cent Jours Cambacérès: Justice ; Maret : secrétairerie d'État ; Gaudin: Finances ; Carnot : Intérieur; Decrès : Marine et colonies; Fouché: Police générale ; Mollien: Trésor; Guerre: Davout; Affaires étrangères: Caulaincourt (avec deux sous-secrétaires d'État: Otto et Bignon). LES MARÉCHAUX DE NAPOLÉON Promotion de 1804 : AUGEREAU, duc de Castiglione en 1808. BERNADOTTE, par la suite prince de Ponte-Corvo. BERTHIER, prince souverain de Neuchâtel (1806), prince de Wagram (1809). BESSIÈRES, duc d'Istrie (1809). BRUNE. DAVOUT, duc d'Auerstaedt (1808), prince d'Eckmühl (1809). JOURDAN. KELLERMANN, duc de Valmy (1808). LANNES, duc de Montebello (1808). LEFEBVRE, duc de Dantzig (1807). MASSÉNA, duc de Rivoli (1808), prince d'Essling (1809). MONCEY, duc de Conegliano (1808). MORTIER, duc de Trévise (1808). MURAT, grand-duc de Berg, roi de Naples (1808). NEY, duc d'Elchingen (1808), prince de la Moskowa (1813). PÉRIGNON, comte d'Empire. SÉRURIER, comte d'Empire. SOULT, duc de Dalmatie (1808). En 1807 : VICTOR, duc de Bellune (1808). En 1809 : MARMONT, duc de Raguse (1808). MACDONALD, duc de Tarente (1809). OUDINOT, duc de Reggio (1810). En 1811 : SUCHET, duc d'Albuféra (1812). En 1812 : GOUVION SAINT-CYR, comte d'Empire. En 1813 : PONIATOWSKI, prince polonais. En 1815 : GROUCHY, comte d'Empire. Ne seront pas maréchaux : Junot, duc d'Abrantès, Arrighi de Casanova, duc de Padoue, Clarke, duc de Feltre (seulement en 1816) Duroc, duc de Frioul et maréchal du Palais. Jourdan et Brune devinrent-ils comte de par leur appartenance à la Chambre des Pairs en 1815? On peut en discuter. Sur les maréchaux la meilleure synthèse est celle de Jacques Jourquin, Dictionnaire des maréchaux du Premier Empire (1986). NAPOLÉON, HÉROS CINÉMATOGRAPHIQUE Filmographie des apparitions de Napoléon à l'écran 1897 : Entrevue de Napoléon et du Pape (de Lumière). 1903 : Napoléon Bonaparte (de Zecca et Nonguet). 1907 : La partie d'échecs de Napoléon (de Jasset) ; Napoléon à l'Ile d'Elbe (Italie). 1908 : Napoléon and the English Sailor/Napoléon et le marin anglais (film anglais de Collins, W. Humphrey est Napoléon). 1909 : Napoléon the Man of Destiny (de Blackton) ; Napoléon and Empress Joséphine of France (de Blackton) ; L'assassinat du Duc d'Enghien (de Capellani) ; Napoléon et la princesse Hatzfeld (Italie) ; Bonaparte et Pichegru (de Denola) ; Le duc de Reichstadt (de Denola) ; Le prince Murat (de G. de Liguoro). 1910 : Napoléon et la sentinelle (de Desfontaines) ; 1814 (de Feuillade) ; Napoléon en Russie (de Gonteharov) ; Madame Sans-Gêne (film danois); L'impératrice Joséphine (metteur en scène inconnu) ; El Budskab til Napoléon pa Elba/Napoléon à l'Ile d'Elbe (de et avec Vigo Larsen dans la rôle de Napoléon). 1911 : Sainte-Hélène (de Caserini) ; Madame Sans-Gêne (de Pouctal, Duquesne est Napoléon) ; Il granatiere Roland (de Maggi Italie). 1912 : Le mémorial de Sainte-Hélène (de Carré) ; L'année 1812 (de Gontcharov) ; Joséphine impératrice et reine (metteur en scène inconnu). 1913 : Battle of Waterloo (film anglais dont le metteur en scène est inconnu) ; Le baiser de l'Empereur (de Machin, Charlier dans le rôle) ; Un épisode de Waterloo (de Machin) ; Königin Luise (de F. Porten) Napoleone, epopea napoleonica (de Bencivenga). 1914 : Napoléon the Man of Destiny (de W. Edwin, avec W. Humphrey) ; Napoléon, du sacre à Sainte-Hélène (de Machin. Charlier est Napoléon). 1915 : Brigadier Gérard (film anglais de B. Haldane, A.E. George joue le rôle de Napoléon) ; Voina i mir/Guerre et paix (de et avec Gardine dans le rôle de Napoléon). 1920 : Napoleon und die kleine Wascherin (auteur allemand non identifié). 1921 : L'agonie des Aigles (de Bernard Deschamps où Severin Mars est Napoléon) ; Grafin Walewska (film allemand, metteur en scène non identifié) ; L'aiglonne (de Keppens, avec Émile Drain en Napoléon). 1922 : Monte-Cristo (film américain de Flynn. Campbell en Napoléon). 1923 : Der kleine Napoléon (film allemand de Jacoby ; Egon van Hagen y est Napoléon ; Marlène Dietrich fait ses débuts) ; Vanity Fair (de Ballin, avec Otto Matiesen en Napoléon) ; Der Junge Medardus (film autrichien de Kertesz, plus tard Curtiz) ; Scaramouche (film américain de Rex In-gram, Vorkapitch y est Bonaparte). 1925 : Madame Sans-Gêne (de Léonce Perret, avec Gloria Swanson et E. Drain en Napoléon). 1927 : Napoléon (d'Abel Gance avec Albert Dieudonné) ; Kônigin Luise (de Grüne avec Charles Vanel) ; Fighting Eagle (film américain de Crisp où paraît Napoléon joué par Max Barwyn). 1928 : Napoleon's Barber (film américain de John Ford avec Otto Matiesen) ; Destinée (de H. Roussel avec Jean Napoléon Michel en Bonaparte) ; Madame Récamier (de Ravel. E. Drain est Napoléon) ; Glorious Betsy (film américain de Crosland, Amato en Napoléon). 1929 : Devil May Care (film américain de S. Franklin où Humphrey est à nouveau Napoléon) ; Napoleon auf St. Helena/Napoléon à Sainte-Hélène (film allemand de Lupu-Pick avec W. Krauss en Napoléon) ; Waterloo (film allemand de Grüne avec Charles Vanel voué à Napoléon pour les Allemands) ; Seven faces (film américain de Viertel avec P. Muni). 1930 : L'aiglon (de Tourjansky, d'après Rostand, Émile Drain à nouveau en Napoléon) ; Die Letze Kompanie/La dernière compagnie (de K. Bernhardt ; l'ombre de Napoléon après le désastre prussien). 1931 : Luise, Königin von Preussen (film allemand de Froelich) ; York (film allemand d'Ucicky) ; Der Kongress tanzt/Le congrès s'amuse (film d'Erich Charell ; seule paraît l'ombre de Napoléon) ; Le champ de mai ou Les cent jours (dans la version italienne dirigée par Forzano, Corrado Racca est Napoléon ; dans la version allemande de Wenzler le rôle est tenu par W. Krauss). 1932 : Der Rebell/ L'héroïque embuscade (film allemand de Trenker avec V. Varconi). 1933 : L'agonie des aigles (de Richebé). 1934 : The Count of Monte-Cristo (film américain de Lee; Paul Irving tient le rôle de Napoléon). 1935 : Becky Sharp (film américain de Mamoulian ; l'ombre de Napoléon) ; The Iron Duke/Le duc de fer (film anglais de V. Saville). 1936 : Anthony Adverse (film américain de M. Le Roy, avec Rollo Lloyd dans le rôle) ; Hearts Divided (film américain de Borzage. W. Ruggles en Napoléon) ; The Spy of Napoléon (film américain d'Elvey). 1937 : Les perles de la couronne (de Sacha Guitry avec Jean-Louis Barrault en Bonaparte) ; The Firefly/L'espionne de Castille (film américain de R.Z. Leonard). 1938 : Remontons les Champs-Élysées (de Guitry) ; Conquest/Marie Walewska (film américain de C. Brown, avec Charles Boyer en Napoélon et Greta Garbo en Marie Walewska) ; Royal Divorce (film anglais de J. Raymond : Pierre Blanchar est Napoléon). 1941 : Madame Sans-Gêne (de Richebé avec Dieudonné en Napoléon et Arletty) ; Lady Hamilton (film américain de Korda ; l'ombre de Napoléon sur la carte de l'Europe). 1942 : Le destin fabuleux de Désirée Clary (Guitry en Napoléon, Barrault en Bonaparte) ; Young M. Pitt (film anglais de C. Reed ; H. Lom joue Napoléon). 1943 : Kutuzov (film russe de Petrov) ; Sant'Elena, piccola Isla (de R. Simoni ; R. Ruggieri tient le rôle de l'Empereur) ; Le Colonel Chabert (de Le Henaff). 1944 : Pamela ou l'enfant du temple (de Hérain ; Jean Chaduc est Bonaparte) ; Napoléon (film argentin d'Amadori) ; Kolberg (de Veit Harlan). 1948 : Colonel Durand (de Chanas) ; Le diable boiteux (de Guitry. Drain en Napoléon). 1949 : Reign of Terror/Le livre noir (film américain d'A. Mann. Bonaparte assiste, à la fin, à l'exécution de Robespierre). 1950 Augustina de Aragon (film espagnol de Juan de Orduña). 1951 : L'agonie des Aigles (d'Alden-Delos). 1952 : Sea Devil/La belle espionne (de Walsh, avec G. Oury en Napoléon) ; Scaramouche (film américain de G. Sidney; apparition de Napoléon dans les dernières images). 1954 : Napoléon (de S. Guitry; D. Gélin est Bonaparte, R. Pellegrin, Napoléon) ; Désirée (film américain de Koster, avec M. Brando en Bonaparte). 1955 : War and Peace/Guerre et Paix (film américain de K. Vidor. H. Lom est Napoléon). 1957 : Königin Luise (de Liebeneiner ; René Deltgen en Napoléon). 1958 : Der Schinderhannes (film allemand de Kautner). 1960 : Austerlitz (d'Abel Gance, avec P. Mondy qui tient le rôle de Napoléon). 1961 : Madame Sans-Gêne (de Christian-Jaque, avec S. Loren et R. Pellegrin une nouvelle fois Napoléon) ; Napoléon II l'aiglon (de Boissol ; Jean-Marc Thibault en Napoléon). 1964 : Vénus impériale (de J. Delannoy et Pellegrin toujours Napoléon) ; Hary Janos (film hongrois de Szinetar ; Guyla Bodrozi en Napoléon) ; Napoleone a Firenze (film de Pierotti). 1965 : La sentinelle endormie (de Dreville ; l'ombre de Napoléon apparaît à la fin) ; Popioly/Cendres (film polonais de Wajda, avec, comme Napoléon, J. Zakrzeuski). 1966-67 : Voina i mir/Guerre et Paix (film russe en quatre parties de Bondartchouk avec Strijeltchik en Napoléon) ; Maria et Napoléon (film polonais de Buczkowski). 1969 : L'auberge des plaisirs (film autrichien de F. Legrand) ; Oui à l'amour, non à la guerre (film du même réalisateur) ; Eagle in a Cage (film anglais de F. Cook avec kenneth Haigh. Gieguld est Hudson Lowe). 1970 : Waterloo (de Bondartchouk ; Rod Steiger joue Napoléon) ; The Adventures of Gerard (film anglais de Skolimowski ; Eli Wallach inattendu Napoléon). 1974 : Love and Death/Guerre et amour (de Woody Allen ; James Tolkan est Napoléon). 1977 : Premier Empire dans Guerres civiles en France (film de F. Barrat). 1980 : Le avventure e gli amori di Scaramouche/La grande débandade (film italien de Castellari ; Aldo Maccione (grotesque) Bonaparte. Ursula Andress une Joséphine blonde !). 1982 : Bandits, bandits... (de Terry Gilliam ; le rôle de Napoléon est tenu par Jan Holm). 1985 : Adieu Bonaparte (film franco-égyptien de Youssef Chahine avec Patrice Chéreau dans le rôle de Bonaparte). Index Les noms des contemporains sont en minuscules Les noms d'auteurs en lettres majuscules A Abbatucci (général): 197. Aboville (général): 197. Abrantés (duchesse d') : 44, 69, 71, 78, 88, 296, 349. Abrial (fils): 254, 314. Acursio das Neves, économiste: 350. ADAM : 198. Addington : 148. Agar : 239. Agasse, éditeur : 279. Agraives (J. d') : 453 AGULHON : 237, 255, 256, 260, 422. AINVAL (Chr. d') : 205. ALBERT (M.) : 296. ALBERT (P.) : 153. ALBERT-SAMUEL (C.) : 452. ALBERTINI : 59. Albitte : 63. ALBITRECCIA : 45. Aldringen : cf. Clary. Alexandre le Grand : 35, 96. Alexandre Ier de Russie : 147, 183, 185, 194, 199, 202. 303, 343, 344, 353, 359, 387, 389, 390, 391, 393, 404, 405, 416, 419. Alexandre (Jean) : 195. Alfieri : 300. Ali : 321, 445, 451. Ali-pacha : 201. Alissan de Chazet : 296. ALLARD : 236. ALLEAUME (Ch.) : 333. Allemand : 182. Alletz, commissaire de police : 255. ALMERAS (H. d') : 89, 257. ALOMBERT : 200. Alquier, conventionnel : 170. Alvinzi (général) : 82. Ambert (général) : 197. AMBROSI : 45. Amitia : 409. Ampère : 294. ANCHEL: 154, 155. Andigné (d'), chouan : 132, 133, 134, 151. ANDRÉ : 212. Andréossy (général) : 197, 334. Andrieux, membre du Tribunat : 121, 158, 159. Andrieux, poète : 280. Anglès : 437. Angosse (comte d') : 424, 433. Anisson-Duperron : 254. Anne de Russie : 344. ANNEQUIN : 441. ANOUILH : 425. Anstett, diplomate : 408. Antommarchi, médecin : 446. 451. 453. ANTOINE (A.) : 128. Antraigues (comte d') : 12, 85, 86, 91, 93, 152, 204. Arago : 293. ARAGON (Louis) : 425. Arberg (d') : 254. ARBOS : 256. Archambault : 453. ARDANT : 129. Arena, adjudant général : 136. Arena (Barthélemy), 136. Arenberg (duc d') : 221. Argenton, officier : 352. ARIZZOLI-CLÉMENTHAL : 299. Arlincourt (vicomte d') : 300. ARMENGAUD : 258. ARNAUD (André-Jean) : 175. ARNAULT : 14, 16. Arnault : 95, 155. 432. Arndt : 395, 406. ARNEVILLE (d') : 299. Amim : 300. ARNNA : 88, 212. Arnott : 451. ARON (R.) : 405. ARONSON (Th.) : 321. Arrighi de Casanova : 200. ARRIGHI : 45. Artaud de Montor : 321, 369. Artois (comte d') : 17, 132, 137, 169, 176, 417, 429. ARTOLA (Miguel) : 349, 350, 351, 352. ASKENAZY : 72, 201. ASSIER (A.) : 45. Astros : 334. Attila :_430. Aubemon, commissaire ordonnateur : 79. Aubignosc : 406, 422. Aubry : 69, 77. Aubry : 404. AUBRY (Octave) : 16, 299, 451. Augereau: 17, 80, 86, 91, 132, 160, 184, 190, 200. Auguié, administrateur des postes : 334. AUGUSTIN-THIERRY : 72, 152, 174, 296. AULARD : 30, 71, 88, 112, 120, 126, 127, 151, 173, 323. Aumont (duc de) : 439. AURÉAS (H.) : 370. AURIOL (Cl.) : 200. Autichamp (d') : 132, 133, 432, 437. Auvray, préfet de la Sarthe : 113. Avaray : 152, 224. AVEZOU : 438. Aviau (Mgr d') : 369. AYMES (J. R.) : 350. Azaïs, écrivain : 281. Azanza: 341, 349, 351. B BABEAU (A.) : 152. Babeuf (Gracchus) : 17, 62, 84, 105, 456. Bacciochi (Félix): 312. Bâcler d'Albe : 200, 309, 349, 390. Bade (margrave de) : 187, 406. BAEYENS (J.) : 237. BAGETTI : 198. Bagration : 193, 391. BAILLEU (P.) : 199. Bailleul, membre du Tribunat : 159. Bailly : 51; 123. BAILLY (R.) : 152. BAINVILLE : 15, 29, 30. 100. BALAGNY : 350. BALAU (S.) : 237. BALAYE (S.) : 295. BALAZS : 361. Balbi, intendant de l'île d'Elbe : 426. Balcombe : 445, 451. BALDET : 201. Balguerie, préfet du Gers : 113. BALIBART : 239. Ballanche, philosophe : 229, 281, 284. BALLOT (Cl.) : 274, 275, 384. Balmain, commissaire russe à Sainte-Hélène : 452. BALMELLE : 154. Balzac : 15, 16, 152, 173, 245, 259, 279, 447, 449, 450, 452. Baour-Lormian, poète : 280. Bangofsky : 404. BARADA : 127. Baraguey d'Hilliers (général) : 197. Barante : 126, 241, 299, 414, 421. Barba, libraire : 279, 299. BARBAUD (Ch.) : 102. Barbé-Marbois: 108, 162, 199, 271, 276, 316, 490. BARBERIS : 453. Barbet, journaliste : 91. BARBEY (F.): 174. Barbier, bibliothécaire de Napoléon : 309. Barbier, négociant : 380. BARBIER (P.) : 299. Barca : 351. Barclay de Tolly : 391. Barère : 30, 126, 136, 432. Barham (Lord) : 182. Barillon, régent de la Banque de France : 125. Baring, financier : 374. Barnave : 51. Barral, archevêque de Tours : 153, 321, 369. BARRAL : 256. Barras : 18, 19, 21, 22, 24, 25, 27, 30, 31, 35, 73, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 106, 116, 131, 132, 228. Barrés : 199. BARROW (John) : 43. Barruel : 420. BARTEL (P.) : 44, 45, 58, 438. Barthélemy, directeur : 86, 88, 126, 418, 452. BARTHÉLEMY (Joseph) : 431. Bassano : 441. Basterreche : 129. BASTID (P.) : 31, 296, 438. BATCAVE (L.) : 422. BATJlN : 333. Baudin (explorateur) : 179, 199, 408. Baudin (commandant) : 443. BAULNY (O.) : 407. Bausset, préfet du Palais : 295, 321. Bauwens (Liévin) : 274. BAUX (E.) : 273. Bavière (électeur de) : 185, 186, 188, 342, 354, 377. Bavière (Augusta de) : 187. BAYE (B. de) : 405. BEAU DE LOMÉNIE : 256, 423. BEAUCAM (F.) : 298. Beauchamp, collaborateur de Fouché : 16, 129, 349. BEAUCOUP (F.) : 45, 58, 59, 100, 198, 199, 438, 452. BEAUJOUAN (Guy) : 300. Beaufort (lieutenant-colonel) : 433. Beauharnais (Eugène de) : 187, 188, 199, 230, 236, 308, 310, 321, 322, 358, 361, 396, 401, 404. Beauharnais (Hortense de) : 88, 199, 311, 321, 427, 438. Beauharnais (Joséphine de) : 21, 78, 79, 88, 89, 123, 166, 172, 173, 187, 289, 297, 308, 311, 328, 359, 369, 451. Beauharnais (Stéphanie de) : 187. BEAULIEU MARCONAY : 201. Becherel, évêque de Valence : 153. BECKE (H. F.) : 439. BECLARD (L.) : 296. Becquey-Beaupré, ingénieur des Ponts et Chaussées : 123. Beethoven : 291, 357, 450. Beffara, commissaire de police : 152. BEGAT : 333. BEGIS : 126. Begouën (Jacques-François) : 260. BEGOUËN- DEMEAUX : 260. Beker (général) : 443, 451. Belanger, architecte : 287, 299. Bellanger, fabricant de cachemires : 271. Bellart, membre du Conseil de Paris : 418, 422. Bellavoine : 199. Bellegarde, commandant en chef autrichien : 401. Bellemare : 313, 423. Belliard : 349, 421. BELLIER-DUMAINE : 296. Belloy (cardinal de), archevêque de Paris : 366. Belmas, évêque de Cambrai : 153, 367. BENAERTS : 127, 422, 423. BÉNÉZIT : 297. BENOIST-MÉCHIN : 100, 101. Benoît (A. V.) : 453. BENOÎT (F.) : 297. Bennigsen, général russe : 192, 193, 199, 404. Bentick (Lord) : 406. Béranger, chansonnier : 15, 283, 296, 447, 452. Berchoux, écrivain : 281. BERDING : 238, 334. Bérenger : 129, 260. BERGER (K.) : 298. BERGERON : 15, 256, 259, 272, 273, 274. BERGEROT (M.) : 203, 406, 407. Berkeley (amiral) : 209. BERLAND (R.) : 256, 273. Berlier, membre du Conseil d'État : 326. Berlioz : 291, 295, 450. Bernard, fabricant de papiers peints : 271. Bernardin de Saint-Pierre : 280. Bernadotte : 17, 21, 86, 99, 137, 160, 184, 191, 200, 282, 334, 357, 358, 361, 398, 404, 415, 419. BERNARDY (F. de) : 322. Bernier, commissaire général des armées vendéennes : 132, 139, 140, 141, 153, 172. BERNIER (G.) : 298. Bernkopf (capitaine) : 144. Bernoyer (François), chef de l'habillement à l'armée d'Orient : 97, 98, 100. BERRIAT : 198. Berry (duc de) : 424. BERTAUD (J.-P.) : 16, 174, 175, 176, 324. BERTAUT (J.): 257, 333. Berthezène : 362, 404, 438. Berthier (général) : 23, 24, 25, 82, 87, 100, 116, 151, 186, 200, 201, 204, 253, 309, 329, 334, 360, 361, 419. BERTHO (J.-P.) : 369. Berthollet: 95, 99, 120, 293. Bertier (Ferdinand de) : 368, 370, 422, 423. BERTIER DE SAUVIGNY (G.) : 370, 408. 422, 423, 441. Bertin (frères): 319. BERTIN : 213, 405, 422. BERTRAND (Louis) : 16. Bertrand, député au Conseil des Cinq-Cents : 27. Bertrand, chef de la police : 151, 152. Bertrand (général) : 445, 453. Bertrand (générale) : 445, 446. BERTRAND : 199, 361, 384. Bertrang : 370. Berzevickzy : 361. BESSAND-MASSENET : 30. Bessiéres : 341, 406. BESSON : 406. BETEILLE (R.) : 256. Bethfort (Jean-Louis), négociant : 384. Beugnot, préfet: 113, 122, 126, 127, 421, 437. Beurnonville, membre du gouvernement provisoire: 418. Bezout : 100, 102. BIAGI : 44, 45. BIBLE 408. Bichat, médecin : 294. Bidault, peintre : 286. Bidermann, industriel : 243. BIED (R.) : 297. BIELECKI (R.) : 405. BIENVENU : 128. Biennais, orfèvre : 265, 289. BIGARD : 30, 31. Bigarré : 199, 349. BIGNON : 199. BIGO (R.) : 128. Bigonnet : 30. Bigot de Préameneu, ministre des Cultes: 369. BILLARD : 422. Billaud-Varennes : 126. Billon : 349. BINDEL (V.) : 152, 369. Biot : 404, 421. BIRABEN : 257, 259. Birbeck : 252. Biron : 169. BIVER (M. L.) : 237, 299. Blacas, conseiller de Louis XVIII : 420. Blake : 287. BLANCHARD (M.) : 274. BLASENDORFF : 439. Blayney, prisonnier de guerre anglais : 349. BLAYO (J.) : 258. Blaze, pharmacien : 349. Bleschamps (Alexandrine de) : 324. BLOCH (M.) : 259. BLOCQUEVILLE : 361, 439. BLOND (G.) : 201, 438. BLOY (L.) : 15. BLUCHE (F.) : 439. Blücher : 396, 398, 415, 416, 434, 436, 439, 441, 443. Boïeldieu, compositeur : 283, 292. Boilly, peintre : 286, 298. Bois (M.) : 46. BOISANDRE : 154. Boisgelin (cardinal de) : 154. BOISGOBEY : 300. BOISSON (J.) : 155, 452. Boissy d'Anglas : 73, 418. Bolivar . 404. Bonald : 318, 420. Bonaparte (Caroline): 41, 308, 312, 322. Bonaparte (Charles) : 40, 41, 45, 53. Bonaparte (Lucien), archidiacre : 43, 47. Bonaparte (Élisa) : 41, 55, 312, 322, 401. Bonaparte (Jérôme) : 41,187, 194, 199, 201, 223, 224, 238, 311, 321, 322, 361, 371, 405. Bonaparte (Joseph) : 41, 43, 44, 47, 48, 50, 56, 58, 69, 145, 148, 155, 160, 164, 172, 186, 199, 201, 230, 231, 235, 311, 321, 337, 339, 341, 342, 347, 349, 350, 351, 356, 373, 401, 402, 404, 417. Bonaparte (Joseph) : 443. Bonaparte (Letitia Ramolino) : 40, 45, 287, 364, 426. Bonaparte (Louis): 41, 52, 172, 187, 199, 201, 210, 220, 308, 311, 312, 321, 339, 374. Bonaparte (Lucien) : 27, 30, 31, 41, 54, 56, 58, 59, 61, 115, 118, 120, 123, 126, 157, 162, 175, 188, 284, 312, 322, 336, 436, 437, 439. Bonaparte (Pauline) : 41, 77, 287, 312, 322, 328, 426. BOND : 361. BONDARTCHOUK : 450. BONDOIS : 255. Bondy, préfet de Paris : 433. Bonet de Treich : 432. BONIFACE (L.) : 384. Bonin : 129. BONNAL (H.) : 200, 201, 361, 405. Bonneau : 451. BONNEFONS : 201. Bonnefoux : 451. BONNEL (U.) : 213, 383. Bonpart, gouverneur des îles Sainte-Marguerite : 40. Bonpland : 199. BOPPE : 238, 405. BORD (G.) : 30. BORDINI (C.) : 58. BOREL : 238. Borghèse (prince) : 232, 312, 328. Borie, préfet de l'Ille-et-Vilaine : 113, 122. BORJANE : 451. BORREY (F.) : 423. Bosc, économiste : 276. BOSC : 237. BOSCH : 297. BOSSCHE (Van den) : 297. Bosio, sculpteur : 287. Bossange, libraire : 279. Bossi, préfet : 440. Boswell, écrivain : 38, 44, 46. Bottin (Sébastien) : 113, 255,439. Bottot, secrétaire de Barras : 24, 25. BOUCHER : 127. Boucher de Perthes : 212. Boucheseiche, chef de service à la Préfecture de police : 152. BOUDARD (R.) : 45, 406, 423. Boudet : 145, 204. Bougainville (amiral) : 120. Bouges : 451. BOUILHET (H.) : 299. BOUISSOUNOUSSE (J.) : 152, 174. Boulanger (général) : 449. Boulard : 20, 361. BOULAY DE LA MEURTHE: 31, 100, 151, IS3, 173, 175. Boulée : 288. Boulé, préfet des Côtes-du-Nord : 122. Boulogne, évêque de Troyes : 367. Bourbon, duc de : 432. Bourcet, écrivain : 201. BOURDEAU : 90. Bourdon : 123. BOURDON (J.) : I 12, 126, 127, 128, 201, 332, 422. BOURGEAT (J.) : 88. BOURGEOIS (E.) : 199, 297. Bourgeois de Hambourg : 198. Bourgeois de Jessaint : 127, 440. BOURGEOIS-PICHAT : 258. BOURGIN (G.) : 90, 155, 257. Bourgogne : 404. Bourmont : 132, 133, 197, 441. BOURGUET (M. N.) : 238. BOURGUIGNON : 15, 452. BOURJON : 175. BOURLOTON : 16, 422. Bourrienne : 26, 30. 37, 41, 44, 53, 58, 65, 100, 101, 173, 212, 307, 308, 309, 321, 334, 362, 437. BOUSCAU (F.) : 438. BOUSSEL (P.) : 273. BOUTON 155. Boutreux : 410. Bouvet de Lozier, chouan : 168. Bouvet : 299. BOUVIER (J.) : 256, 276, 385. BOUVIER : 88, 89, 199, 405. BOUVIER (René) : 452. Bouvier-Dumolard : 432. BOUYOUX : 256. BOYER (F.) : 91, 297, 298, 334, 406, 441. Boyer-Fonfrède, industriel : 274. BRADI (Lorenzo de) : 45. BRAESCH : 128. Branchu (Mme de) : 292. Brandt : 404. BRANDT : 273. BRAUN (J.) : 452. Bréard : 159. Bréguet, horloger : 265. BRÉHIER (E.) : 296. BRELOT (Ci.) 333. Brémontier, ingénieur des Ponts et Chaussées : 123, 227. Brentano : 361. Breteuil : 314. BRETT-JAMES (A.) : 438. Breughel : 441. Bricard : 96, 100, 151. BRICE : 452. BRIDENNE (J.) : 113. Brifaut, acteur : 278, 296. Brigode, comtesse de : 309. Brillat-Savarin : 281, 295. Briot : 19. Bro : 421, 451. BROADLEY : 15. Broc, peintre : 285, 286, 298. BROC : 257. Broglie (de), évêque de Gand : 376. Broglie : 321, 332. BROGLIE (G. de) : 296, 333. Brongniart, architecte : 287, 299. BROTONNE (L. de) : 15, 45, 88, 126. BROUSSE : 255, 273, 333. BRUGUIÈRE (M.) : 203, 333, 439. BRUHAT (J.) : 257. Bruix : 24. Brun (préfet) : 123. Brun : 199, 349, 421. Brun de Villeret : 199, 349, 421. Brune : 18, 19, 110, 133, 146, 160, 179, 184, 434. BRUNETIÈRE : 300. Bruno : 334. BRUNON(J.) : 198. BRUNON (R.) : 198. BRUNOT (F.) : 296. Bruslart, gouverneur de la Corse : 427, 440. Brunswick : 189, 190, 191, 223, 356. Bruslé, préfet de l'Aube : 112. Bruyeres : 253. BUAT: 361. BUCHEZ: 30, 88, 126. BUCKLAND : 408. Bucquoy : 198. Bugeaud : 349, 451. BUISSON (H.) : 322. Bulow : 153, 435. BULWER : 203. Buonarotti : 91. Buonavita, aumônier de Napoléon : 452. Burke : 148. BURTON : 200. BUTEL (P.) : 274, 385. Butkevic, évêque : 392. Buttafoco : 35, 38, 48, 50, 51, 53, 57, 59, 309. BUTTNER : 352 BUTTOUD : 273. C CABANES : 296, 324, 452. Cabanis : 18, 174, 280. CABANIS (A.) : 88, 153, 174, 322. CABANIS (J.) : 174. Cabarrus : 341. Cacault, ambassadeur à Rome : 141. Cadet de Gassicourt, pharmacien : 293. Cadet de Vaux : 263. Cadoudal: 132, 133, 152, 168, 169, 173, 174, 176, 224. Cafarelli, évêque : 153, 334. CAHUET (A.) : 452. Caigniez, romancier : 283. Caillot : 246. CALMETTE : 16. Cambacérès : 18, 115, 118, 121, 123, 126, 159, 162, 173, 175, 279, 321, 322, 411, 412. Cambacérès, archevêque de Rouen : 153. Cambon : 432. Cambronne : 441. Campbell : 437. CAMON : 72, 201, 361. CAMPARDON : 332. Camus : 236. Canler : 418, 438. Canova : 287, 298, 312. CANTAREL (Y.) : 298. Cantinelli : 297. Canuel : 432. CAPEFIGUE : 15, 199. CAPOT-REY : 237. Caprara, légat du pape à Paris : 141, 369. CARAN D'ACHE : 450. Caravage : 286. CARBO (L.) : 102. Carbon, chouan: 136, 137, 151. CARITEY : 174. CARLES (P.) : 260. Carnot : 46, 66, 67, 68, 69, 71, 79, 80, 81, 86, 88, 90, 91, 94, 170, 304, 415, 427, 430, 432, 433, 436, 439. Carnot (Sadi) : 293. CARRINGTON (D.) : 59. Carrion-Nisas : 350. Carrère : 203. CARROT (G.) : 152. Carteaux : 65, 76. Cartellier, sculpteur : 287. CARVEN (John) : 369. Casabianca : 55. Casanova : 281. CASANOVA : 58. Caselli (cardinal) : 154. CASELLI (C. P.) : 154. Castelli : 353. CASSAGNAC : 202. CASTELOT (André) : 15, 89, 203. Castelreagh : 404, 427. CASTRIES (duc de) : 152, 174, 296, 322, 439. Catherine, grande-duchesse de Russie : 344, 389, 404. Catineau-Laroche : 239. CATY (R.) : 384. Cauchois Lemaire : 438. Cauchy : 294. Caulaincourt : 173, 176, 197, 261, 311, 332, 344, 390, 394, 395, 396, 404, 411, 419, 421, 424, 436. CAUDRILLIER : 174. CAUMONT DE LA FORCE : 406. CAUSSE (H.) : 274. Cavaignac : 179, 405, 455. CAVAILLÈS : 238. Cavalié-Mercer : 438. CAVANNA : 453. CAYEZ (P.) : 274. CEILLIER (R.) : 202. Célerier, architecte : 287. CÉLESTIN (N.) : 256. Ceracchi, sculpteur : 136. CÉRENVILLE : 213. CÉSAIRE (A.) : 199. César : 26, 35, 157, 449. Cevallos, pamphlétaire : 340, 357. CHABANNE:238. CHABERT : 113, 259, 273, 276, 384, 385. Chabran (général): 197. Chabrol : 237, 272, 370, 433, 437. CHACK : 200. CHADOURNE (M.) : 296. CHAILLEY-POMPEI (F.) : 58. Chalgrin, architecte : 233, 287, 298. Chambray : 407. Chamfort : 281. Champagne (marquis de) : 424. Champagne, proviseur du lycée Louis-le-Grand : 323. Champagny : 107, 265, 300, 313, 321, 339, 359, 371, 374, 390. CHAMPENOIS : 203. CHAMPION : 199. Champion de Cicé, évêque : 141, 153. CHANDEAU : 452. CHANDLER : 201. Chandon : 263. Chanlaire : 272. CHAPLIN (A.) : 452. CHAPLIN (Charlie) : 451. Chaptal : 44, 121, 126, 128, 142, 150, 157, 212, 248, 262, 263, 266, 267, 268, 272, 274, 308, 313, 383, 432. CHAPUISAT : 238. CHAPUISOT : 153. Chardigny: 15, 205. Charlemagne : 170, 188. Charles (archiduc) : 82, 83, 88, 354, 355, 358, 361. Charles IV d'Espagne : 311, 335, 336, 338, 339, 341, 349. Charles X : 447. Charles XII de Suède : 390. CHARLFS-ROUX : 101, 350. Charlet : 448, 450. CHARPENTIER (J.) : 296. CHARRAS : 406, 439. CHARRIÉ (P.) : 201. CHASSIN : 152. Chastenay (Mme de) : 437. CHASTENET (G.) : 362. CHASTENET (J.) : 349. Chasseloup-Laubat : 193. Chateaubriand: 11, I5, 37, 45, 142, 169, 173, 277, 281, 282, 283, 284, 286, 295, 296, 300, 304, 308, 422, 423, 425, 429, 437. Chateaubriand (Mme de) : 300. Chateaubriand, cousin de l'écrivain : 224. CHATELAIN (A.) : 256. CHATELAIN (J.) : 297. CHATELLE (A.) : 333. Châtillon, chouan : 132, 133. Chaudet, sculpteur : 287. CHAUSSINAND-NOGARET : 256. Chauvelin, membre du Tribunat : 166, 239, 331. CHAVANON : 127. CHAUMIÉ (J.) : 88, 441. CHAUNU (P.) : 275, 352. Chauvelin : 239. CHAUVELOT : 406. CHAVANON : 322. Chazal, membre du Tribunat : 159. CHELINI (Michel) : 276. Chênedollé, poète: 281, 296. Chénier (André) : 278. Chénier (Marie-Joseph) : 121, 278, 280, 282, 296. Cherubini:291. Chevalier : 136. Chevalier: 361, 405, 438. CHEVALIER (L.) : 256, 257. Chevillard : 349. Chevillet : 361. Chiappe, conventionnel : 55. CHIAPPE (J.-F.) 174, 439. Chigi : 232. Chinard, sculpteur : 287. Chlapowski : 349, 361. Choiseul : 51. CHOUARD:324. CHOULET : 273. CHOURY (M.) : 201. CHRISTOPHE (R.) : 200, 423, 438. CHUQUET (A.) : 45, 58, 59, 71, 100, 405, 408, 422, 423, 440. CHURCH : 129. CIANA : 72. Cipriani : 454. CLAIR (Ch.) : 361. Claparède (général) : 197. CLARK (Sir George) : 202. Clarke : 85, 90, 123, 191. Clary (Julie) : 69. Clary (Désirée) : 21, 69, 72, 78. Clary (prince) : 237. CLAUDEL (Paul) : 370. Claudot, peintre : 286. CLAUSE (G.) : 127, 153, 256, 273. Clausel (général) : 402, 442. Clausewitz : 88, 195, 196, 200, 392, 393, 405, 422, 439. CLÉMENDOT : 113. CLÉMENT : 298. CLÉMENT : 405. CLEMENT DE RIS : 297. Clément de Ris, sénateur : 137, 152. CLERC (Catherine) : 16. CLERC (Ch.) : 350, 422. CLERCK (A. de): 151, 199, 349. CLERMONT-TONNERRE : 349. CLÉRY (Robert de) : 362. CLINQUART : 213. Clodion, sculpteur : 287. CLOUZOT (H.) : 299. COBB (R.) : 152, 384. Cobenzl, plénipotentiaire autrichien : 87, 145. Cochrane (contre-amiral) : 444. Cobourg (duc de): 191. Cochon de Lapparent, préfet de la Vienne : 122-3, 127. Cockerill, industriel : 274. Codechèvre : 333. Coignet : 151, 167, 199. 252, 349, 361, 405, 438. COINTAT : 273. Colbert (général) : 401. Colchen, préfet de la Moselle : 113, 122. COLE (H.) : 322. Colin : 113. COLIN (J.) : 71, 200, 201, 422. Collaveri : 155. COLLET : 406. COLLING (A.) : 260. COLLIGNON : 274. Collin d'Harleville : 280, 296. Collin de Sussy : 313. Collingwood : 183. COLLINS (J.) : 174. Collot, munitionnaire de l'armée d'ltalie : 22, 31, 256. COLMET DE SANTERRE : 369. Colomb : 405. Colonna Cesari, député de la Corse aux États généraux : 49, 55, 56. Colonna d'Istria, évêque de Nice : 153. Colson, poète : 184. COMBARIEU : 299. Comeau : 199, 361. Compans (général) : 197. CONARD (P.) : 204, 349, 350, 406. Condé (prince de) : 426. Condorcet (Mme de) : 159. Condrin (Père) : 370. Congreve : 195, 293. CONNELLY : 199, 321. Consalvi, secrétaire de Pie VII : 140, 151, 357, 369. Constant (Benjamin) : 29, 31, 121, 158, 159. 229, 296, 307, 423, 430, 431, 436, 438. Constant : 321, 424, 438. Constantin, peintre : 286. Contades, président du collège électoral de Maine-et-Loire : 331. CONTAMINE (H.) : 423, 438. Conté, chimiste : 95. CONTET (F.) : 298. COORNAERT (E.) : 257. COPIN (A.) : 296. COPPET (André de) : 72. Coquebert de Montbret, employé au Bureau de statistiques : 257. COQUELLE (P.) : 202. Corbigny (Chicoilet de) : 296. CORMON : 239. Cornet, député au Conseil des Anciens : 23, 30, 121, 173. Cornudet, sénateur : 121. Cornwallis : 148. CORONA : 349. CORREARD (F.) : 255. Corvisart, médecin : 294, 299. Cossé-Brissac : 314. Costaz, membre du Tribunat : 95, 159, 272. COSTON : 68. Cotta. éditeur : 219. COTTEZ : 274. Cottin (Mme) : 283. COTRIN : 71. COUGNY : 16, 422. Coulmier, : 278. COURAJOD : 297. Courier (Paul-Louis) : 205, 295, 296. Courlande (duchesse de) : 439. Cournot : 438. COURVOISIER : 201, 238, 334. Coutelle : 195, 293. COUVREUR : 439. CRAWLEY : 351. CREGUT: 153. Cretet : 118, 150, 245, 313, 357, 375, 376. CRÉTINEAU-JOLY : 151. Cromwell : 26, 157. CROUZET (F.) : 213, 214, 273, 274, 275, 373, 384, 385, 408. CUGNAC : 153. Culman : 296. CUNNINGHAM : 214. Curée, membre du Tribunat : 170. Curely (général) : 197. CURIE SAMBRANS : 128. CURTIZ: 450. Cussy, conspirateur royaliste : 152. Cuvier : 293. Cyran (abbé de, Desbaumes) : 134. Czartoryski, conseiller d'Alexandre 1er: 183, 187, 199. D Dailly, sénateur : 121. DAINVILLE (F. de) : 15, 126. Dalayrac, compositeur : 292. Dalberg, archichancelier de l'Empire : 179, 201, 361, 418. DALINE (M. V.) : 90. Dalphonse, député au Corps législatif : 121. Damas (baron de) : 422, 438. DAMAS-HINARD : 205. Damas (comte de) : 422. Dambray : 420. DAMITZ : 439. Dammartin : 65. DAMPIERRE : 88. Dandré : 137. Danloux, peintre : 286, 298. DANSETTE (A.) : 153, 322, 369. Danton : 44. DARD : 203, 260. Darjuzon (comte) : 331. DARLE (F.) : 257. DARMON : 2SH. DARNIS : 299. DARQUENNE (R.) : 202, 259. Dartonne : 255. Daru. intendant général : 191, 192, 198, 201, 203, 204, 316, 407, 411. DARU (colonel) : 203, 204. Daubedard : 349. Daubenton : 120. Dauchy, préfet de l'Aisne : 112, 112. Daudet : 449. DAUDET (E.) : 152, 323. DAUDET (L.) : 15. DAUMARD (A.) : 256. Daumesnil : 424. Daunou : 18, 31, 121, 158, 159. Dauphine (Mme la) : 427. DAUPIAS D'ALCOCHÈTE : 350. DAUVERGNE (Robert) : 299. David : 172, 241, 284, 285, 286, 295, 297, 298. David (fils) : 297. DAVID (Y.) : 46. DAVIET (J. P.) : 324. DAVOIS (G.): 16. Davout : 184, 191, 200, 253, 297, 322, 358, 361, 398, 415, 436, 439, 441. Davydov : 389, 407. DAYOT : 15. DEBIDOUR (A.) : 87. Debry (Jean), préfet du Doubs : 113, 122, 127, 262, 439. Decaen (général) : 151, 160, 179. DECAUX (Alain) : 45. Decazes : 440. DECHAMPS (J.) : 202, 452, 453. DECHÊNE (A.) : 153. Decimus (Samuel), marin du Nothumberland : 444. DE CLERCQ : 88. Decrès : 294, 395, 430. Dedem : 405. DEDEYAN (Ch.) : 296. Defermon, conseiller d'État : 150, 316, 432. DEFOURNEAUX (M.) : 350. Defrance : 415. DEFRANCESCHI (J.) : 57, 58, 59. DÉGRANGE : 383. Déjean : 203, 253, 411. DÉJEAN: 113, 127. DEJOINT : 113. Dejuine : 100, 102. DELACROIX: 152, 152, 154. Delacroix, préfet des Bouches-du-Rhône : 123. Delacroix, peintre : 203, 286, 295, 296, 297. Delaye, industriel : 222. Delaistre, préfet de la Charente : 113. Delaitre, membre du Conseil de Paris : 418. Delécluze : 284, 296, 297. DELEHAYE : 46. Delessert : 207, 263. DELESTRE : 297. Delcher, commissaire de la Convention en Corse : 56. Delille, poète : 280, 296. DELINIÈRE : 239. Deltard : 349. Delmas (général) : 142, 160, 197. DELMAS (J.) : 198. Delort (général) : 197. DELPUECH : 260. Delroeux : 349. DELTEIL : 15. DELUMEAU : 237. Demaillot : 323. DEMERSON : 350. Demerville : 151. Demonville, imprimeur : 23. Denon (Vivant) : 95, 98, 100, 284, 294, 295, 297. Denuelle de la Plaigne (Éléonore) : 308. DERIÈS : 153, 323. DERLANGE : 127. DERMIGNY : 350. DÉROZIER (A.) : 350. DERRECAGAIX : 200, 361. Desaix : 66, 100, 101, 145, 197. Désaugiers, poète : 283. DESBRIÈRE : 200. DES DEVISES DU DÉZERT : 349. Descorche de Saint-Croix, ambassadeur à Constantinople : 143. DESCOTES (M.) : 452. DÉSERT : 202, 256. Desgenettes, médecin : 95. 100. DES GRANGES (Ch. M.) : 296. Desgouttes, préfet des Vosges : 113. DESGREY (B.) : 272. Desmarest : 151, 173, 319, 321, 361. DES MAZIS : 44. DESLANDRES (M.): 126, 174, 438. Desorgues, écrivain : 278, 300. DESPATYS : 126, 151, 322. Desprez, financier : 271. DESPREZ (E.) : 59. Desrenaudes, membre du Tribunat : 121. Des Rotours : 129. DESSAT : 202. Dessolle : 424. Destrem : 27. DESTREM (J.): 152. Destutt de Tracy : 18, 120, 278, 280, 420. Desvernois : 100, 199. Détaille : 450. DEVLEESHOUWER (R.) : 237, 275. Devilliers du Terrage : 400. Dewismes : 281. DHONDT : 273. Diderot : 43. Dietrich : 246. Dieudonné : 113, 272. Dilh, fabricant de porcelaine : 271. DISSARD: 153. Djezzar, pacha de Saint-Jean-d'Acre : 98. DOHER (J.) : 202. Dolfuss, filateur : 222. Dolomieu, minéra)ogiste : 95. Domarchi (Jean) : 453. Domergue, régisseur du Théâtre français de Moscou : 405. Donnadieu : 152. Donzelot (général) : 238. Doppet (général) : 65, 71. Doris, pamphlétaire : 422. Dornberg (colonel) : 356. DORNIC : 273. Dorsenne : 204. Dossonville, conspirateur royaliste : 152, 440. Dostoïevski : 450. DOUCET : 255. Douglas, industriel : 268, 274. DOUSSET: 153. DOUTENVILLE (J.) : 176. DOWD : 15. DOYLE (Conan) : 450. Drake, espion anglais : 204. DREYFUS (F.) : 15. DRIAULT : 15, 88, 153, 198, 199, 201, 298, 453. DROCHON : 153. Drolling, peintre : 285. Drouet (J.-B.) : 127, 432. Drouet d'Erlon : 430, 434, 435. Drouot : 358, 426. DROZ (J.) : 362. DRUÈNE : 201. Dubois (J.-B.) : 239. Dubois (Louis Nicolas), préfet de police : 122, 150, 152, 250, 250, 314, 319. Dubois-Dubais, sénateur : 121. DUBOSQ : 201. Dubouchage, préfet des Alpes-Maritimes : 127. DUBREUIL : 152, 256. DUCASSE : 321. DUCÉRÉ : 350. DUCHAMP (M.) : 299. Duchatel : 129. DUCHATELLIER : 256. DUCHÊNE (A.) : 276. Duchesne : 164. DUCHESNE (P.) : 16. Ducis, poète: 280. Ducos (Roger), directeur: 18, 22, 24, 28, 115. DUCOURTIAL (Claude) : 333. Ducray-Duminil, écrivain : 283, 300. Dufaud (G.), manufacturier : 274. DUFESTRE : 200. DUFF COOPER : 203. DUFOUR : 406. DUFRAISSE (Roger): 15, 213, 237, 256, 273, 274, 275, 322, 362, 384, 385, 452. Dugommier (général) : 66. DUHAMEL (J.) : 175, 439, 452, 453. Duhesme : 349. Dumanoir : 183. Dumas (Alexandre) ; 449, 452. Dumas (Mathieu), général : 102, 162, 333. Dumerbion, commandant en chef des armées des Alpes et d'Italie : 69. Dumolard : 85. Dumonceau (général) : 237, 399. Dumonthier : 298. Dumoulin, gantier : 428, 438. Dumouriez : 35, 36. Dumoustier, ingénieur des Ponts et Chaussées : 123. DUNAN (Marcel): 15, 113, 198, 199, 201, 203, 213, 236, 324, 361, 362, 383, 451, 453. DUNDULIS : 405. DUPAQUIER (J.) : 257. Dupérou, conspirateur royaliste : 152. Duperré : 408, 449. Dupin, préfet des Deux-Sèvres : 113. Duplantier : 227. Duplessis-Bertaux, peintre : 286. Dupré Saint-Maur : 272. Dupont (général) : 146, 197, 341, 342, 350. Dupont, danseur : 292. DUPONT (M.) : 174, 201. 322, 361, 423. Dupuis, membre du Tribunat : 121, 159. DUPUIS (L.) : 351. Dupuy (général) : 97, 361. DUPUY (A.) : 46. Dupuytren, médecin : 293. Duquesnoy : 257. DURAND (A.): 153. DURAND (Charles): 127, 174, 175, 255, 260, 322, 441. DURAND (Ch.) :154. DURAND (R.) : 127, 323. Durant, architecte : 287. DURIEUX (J.) : 174, 423. Duroc : 66, 144, 147, 200, 309, 444. Durosnel (général): 381. Durutte (général) : 197. DURUY : 88. DURYE (P.) : 333. DUTACQ : 128. Dutertre (général) : 197. Dutheillet : 405. DUTRUCH : 126. Duval (Alexandre), poète : 280, 296. Duval (Amaury), critique d'art : 284: Duval de Beaulieu, maire de Mons : 331. Duverger : 405 DUVERGER (Maurice) : 324. DUVERGIER : 126. DUVERGIER DE HAURANNE : 322. Duveyrier, idéologue : 126, 158, 175. Duvillard, employé du Bureau de statistiques : 257. Duviquet : 224. Duvoisin, évêque de Nantes : 143, 153. DUWALK : 153. E EBERWEIN-ROCHAT : 453. Eblé : 407. ÉCHINARD : 384. ECKARD : 45. ECKERT : 127. EDMONT-BLANC (A.) : 126. ELLIS (G.) : 214. ELMER (A.) : 204. Émery (abbé): 318, 367, 369. Eméry, chirurgien : 428, 438, 440. Emma : 44. Emmery, membre de la commission sénatoriale : 420. Enghien (duc de): 169, 170, 173, 174, 175, 176, 183, 282, 300. Erckmann-Chatrian : 423. ERNOUF : 128, 201, 322, 438. ESCHOLIER : 297. ESCOFFIER : 422. Escoigniz (chanoine) : 338, 349. ESCOUBE : 276. Escudier, député du Var : 56, 63. Esmenard : 291, 300. ESMÉNARD : 349. Espagne (général) : 204. Espagne (infante d') : 146. ESPARBÉS (G. d') : 174. Esparbès (d') : 450. Espinchal (d') : 362. ESPITALIER (A.) : 30, 438. Espoz y Mina : 351. Estève, trésorier général : 191, 331. ESTRÉ (H. d') : 45, 58, 88, 100. Étienne, poète : 280, 281. Étrurie (reine d') : 338. ETTORI (F.) : 46. EVRARD : 274. Exelmans (général) : 427, 430. Eymar, préfet du Léman : 122. EYMERET (J.) : 406. F Faber du Faur : 198, 405. Fabre, peintre : 285. FABRE : 201, 322. Fabre d'Églantine : 46. Fabre d'Olivet : 281. Fabré-Pélaprat, philosophe : 281. FABRY : 88, 89, 405. Fabvier : 451. FAVIER (H.J.) : 153. FAVIER (J.) : 129. Fain : 88, 309, 315, 321, 422, 424. FAIRON : 199. FAIVRE (A.) : 296. FAIVRE (J.-P.) : 199. FALK:362. Fantin des Odoars : 349. Fauche-Borel : 151, 152, 173. Faucher (frères) : 204. Fauchet, préfet du Var : 247. FAUCHILLE (P.) : 423. FAURE (Élie) : 15. FAURE (H.) : 127. Fauriel : 151, 173, 296. Fauvelet, frère de Bourrienne : 54. FAVIER (H. J.) - 274. Favre (G.) : 299. FAYOL : 300. Faypoult, préfet : 123. FEDOROWICZ (W. de) : 361. Fée : 349. FEHRENBACH (E.) : 238. FÉLICE (Renzo de) : 298. Fénelon : 11. Ferdinand (archiduc) : 146, 354. Ferdinand IV de Naples : 186, 337. Ferdinand VII d'Espagne : 338, 339, 340, 341, 348, 402, 403. Ferrand : 438. Ferrand, conseiller de Louis XVIII: 420. FERRERO (G.) : 89. Ferrière (Alexis de) : 251, 257. Fesch (François) : 40, 41. Fesch (Joseph) : 40, 141, 153, 284, 365, 367, 369. FESTY : 272, 273. Feuquières : 201. FEUVRIER (J.) : 59. Fichte : 301, 356. Fiévée : 174, 243, 255, 256, 271, 281, 300, 328, 332, 410, 411. Firmin-Didot, éditeur : 279. FIRMIN-DIDOT : 437, 452. FISCHER (A.) : 361. FÉTIS : 299. FLAHAULT (Charles de) : 155. FLAMENT (P.) : 153. FLAUBERT : 449. Flauguergues, député au Corps législatif : 412. Flavigny, préfet : 440. FLEISCHMANN (H.): 174. FLEISCHMANN (Théo) : 300, 361. Fleuret : 349. FLEURIOT DE LANGI,E : 322, 451, 453. FLEURY (M.) : 128, 257, 418, 422. Fleury (cardinal) : 39. Fleury de Chaboulon, sous-préfet de Reims : 427, 438. FLICHE : 152. FOHLEN (CI.): 237. Fontaine, architecte : 233, 288, 289, 295, 299, 432. Fontanes : 281, 296, 317, 318, 323. FONVILLE (R.) : 200, 424. FORD (John) : 450. FORGUES : 422. FORNERON : 152. FORSHUVUD (Sven) : 453. FORSTER (R.) : 256. Forsyth : 195. FORSYTH : 452. Fortia de Piles : 237. FOUCART (B.) : 297. FOUCART (P.) : 200, 405. Fouché : 18, 21, 30, 112, 115, 118, 122, 126, 128, 135, 136. 137, 140, 143, 149, 151, 152, 160, 162, 168, 173, 175, 188, 225, 237, 303, 304, 313, 319, 320, 321, 322, 323, 325, 328, 345, 346, 347, 353, 357, 360, 361, 410, 422, 427, 430, 431, 432, 436, 437, 438, 439, 451. FOUCHÉ: 299. Foucher (Pierre) : 255. Foudras, inspecteur général de la Préfecture de police : 440. Fould : banquier : 378. Fourcroy : 107, 108, 109, 293, 317, 323. Fourier, géomètre : 95, 293. Fourier, philosophe : 282. Fournel : 272. Fournier (abbé) : 365. FOURNIER : 127. Fournier-Sarlovèse : 152. FOVILLE : 259. FOY: 350. Fox : 187. Fra Diavolo : 205. FRADIN : 71. Fragonard (Alexandre-Évariste) : 285. Fragonard (fils) : 285, 298. FRAIN DE LA GAULAYRIE : 333. Français de Nantes : 108, 109, 241, 316. FRANCASTEL (P.) : 297. FRANCESCHINI : 59. François: 100, 151. François Ier : 143. François Ier d'Autriche : 186, 353, 359, 360, 391, 415, 427, 428. François (Jean-Marie), agent de la police secrète : 152. François de Neufchâteau : 110, 111, 121, 278. Franque, peintre: 285. Frédéric II; 106. Frédéric-Guillaume III : 189, 191, 195, 199, 391, 395, 415, 417. FRÉMEAUX (Paul) : 451. Fréminville, marin : 199. Frénilly : 332, 422. Fréron : 77. Fresnel : 294. FREUD (S.) : 451. FREUND (M.) : 201. Friant, divisionnaire : 191, 200, 377. Frochot, préfet de la Seine : 109, 122. 128, 285, 394, 410. Frotté: 132, 134, 152. Fruchard : 414, 423. FUGIER (A.) : 88, 153, 199, 200, 238, 276, 333, 349, 350, 351, 362, 406, 451. Fulton : 195, 292, 300. FUNCKEN (F.) : 197. FUNCKEN (L.) : 197. FURET : 15, 71. Fussli : 286. G GABILLARD (J.) : 276, 385. GABORIAU : 300. GABORY (E.) : 152, 153, 323. GACHOT (E.) : 88, 200, 361, 406. GAFFAREL : 71, 90, 152, 174, 237, 350, 423, 438. Gaffori, adjoint au commandant des forces armées en Corse : 49, 57. Gaillard, collaborateur de Fouché : 126, 129, 151, 322. GAILLARD : 384. GAIN : 438. Gain-Montagnac, agent royaliste : 417, 422. Galitzin : 405. GALLAIS : 30. GALLINI (J.) : 72, 89. Gallois, député au Corps législatif : 412. GALPIN (W.) : 384. GAMBIEZ (général) : 46. GANCE (Abel) : 15, 450. GANDIA : 406. GANIÈRE : 299, 452, 454. Ganilh, membre du Tribunat : 158, 159, 272. Ganteaume (amiral) : 182. Garan-Coulon, sénateur : 121. Garat, compositeur : 292. Garât : 18, 121, 278, 280. GARAUD (M.) : 255. GARBO (Greta) : 451. GARÇON (M.) : 424. GARÇOT : 174. Gardanne : 25, 193, 201, 390. Gardel, danseur : 292. Garesché, commerçant à La Rochelle : 269. Garnier : 332. GARNIER (abbé) : 202. GARNIER (Jacques) : 151. GARNIER (J.-P.) : 31, 89, 322. Garnier, sénateur : 327, 332. GARREAU (Albert) : 362. GARRIER : 256. GARROS (L.) : 15,45,46,71,200,422. GARSOU (J.) : 452. Gasparin : 63. GASPARIN : 248. (iassendi : 266. GASSMANN : 299. GAUBERT (H.) : 152, 174. Gaudin : 115, 116, 124, 126, 128, 210, 212, 383, 430, 438. GAUDRILLIER (G.): 91. GAULLE (de) : 455. GAULMIER (J.) : 297. GAUTHIER (E.) : 127. GAUTIER (P.) : 296. GAUTIER (Théophilel : 452. GAVOTY (A.) : 89, 322, 324. GAXOTTE (P.): 31, 71, 113. Gazan : 204. Gay-Lussac : 293. GAYOT (G.) : 155. GEISENDORF DES GOUTTES : 204. GELIS : 422. Gelu (V.) : 438. GENÊT (L.) : 15. Gengis Khan : 430. Genlis (Mme de) : 283, 290, 296. Gentz : 212, 276, 357, 362. Geoffroy, critique littéraire : 281, 296. Geoffroy (Louis) : 449. Geoffroy Saint-Hilaire : 95, 100, 293. GEORGE (J.) : 299. GEORGE-ROUX : 45. GEORGESCU : 204. Gérando : 239, 256, 295. Gérard (général) : 434, 435. Gérard, peintre : 285, 286, 298. GÉRARD (Alain) : 202, 256. Gerbaud : 100. GERBOD (P.) : 300, 323. Géricault : 286, 298, 425. Germond de la Vigne : 422. Gervais : 199, 361. GESCHWIND : 422. GEYL : 16. GIGON : 422. Gillray : 357. GILLE (B.) : 128, 212, 236, 239, 255, 256, 257, 272, 274, 276, 385, 422. Gille, prisonnier à Cabrera : 204. GILLOT : 202. GINGUENÉ : 121, 159, 296. GINISTY (P.) : 296. GIRARD (L.) : 422, 453. Girard (Philippe de): 266. Girardin (Stanislas de) : 163, 321, 413, 440. Giraud, préfet du Morbihan : 122. GIRAULT (Philippe-René) : 299. GIROD DE L'AIN : 72, 200, 321, 350, 361. Girodet-Trioson : 285, 298. GITION (B.) : 255. Glover : 451. GLOVER (R.) : 200, 350. Gneisenau : 406. GOASGUEN : 239. GOBERT (A.): 174. GOBINEAU (M.) : 322. Gobineau (Arthur) : 369. GOBY(J.E.) : 101. Godard (abbé), chouan : 133. GODECHÈVRE (P.) : 333. GODECHOT (J.) : 15, 16, S9, 88, 89, 90, 91, 102, 113, 126, 127, 173, 174, 204, 255, 259, 350, 352, 370, 422, 437. GODEL 153, 154, 369. 370. GODLEWSKI (G.) : 46, 59, 438, 453. Godoy : 335, 336, 337, 338, 349, 351. GOEBBELS : 450. Goerres, journaliste : 223, 399. Goethe : 106. GOETZ (H.) : 90. Gohier. ministre de la Justice : 18, 19, 20, 21, 25, 30. Goldsmith, pamphlétaire : 422. GOMEL : 126. GOMEZ DE ARTÈCHE : 350. Gondouin, architecte : 233, 287, 288. GONNARD (P.) : 452, 453. GONNET : 438. GONTARD (M.) : 323. GOOSPEED : 30. Gorani, écrivain : 38. GORIAÏNOW (Serge) : 404. Gorrequier : 451. Gortchakof : 193, 194. Gotha (duc de): 191. GOUHIER (H.) : 296, 297. Gourgaud : 149, 308, 445, 451. Gouvion-Saint-Cyr : 88, 205, 308, 345, 349. Goya : 339, 341, 349, 357. GRAND (R.) : 439. GRANDCARTERET (J.) : 15, 422. GRANDJEAN (S.) : 299. GRANDMAISON Tacticien : 350. GRANDMAISON (G. de) : 349, 350, 369, 370, 404, 406. GRANGER (A.) : 273. GRAPPE : 298. GRASILlER: 151, 173, 204, 321. GRASSET : 350. Gravina, amiral : 182. GREEBAUM : 203. GREENBLATT : 453. Grégoire,évêque: 121, 141, 151, 158. GRÉGOIRE (H.) : 46. GRÉGOIRE (L.) : 369. GREGORI : 45. Grenier (général) : 436. GRENIER (J.) : 296. GRENIER (P.) : 200. Grétry, compositeur : 292. Gribesuval : 195. Grimm (Jacob) : 224. Grimod de la Reynière, écrivain : 281. GRIMOUARD (H. de) : 334. Grivel : 349. ,Grobon, peintre : 286. GROCHULSKA (B.) : 238, 383. GROMAIRE : 405. Gros-Davilliers : 222, 378. Gros, peintre : 192, 285, 286, 294, 297. GROS (L.) : 127. GROUARD (colonel) : 441. Grouchy (général) : 145, 435, 436, 438. Grueber : 361, 405. GRUNE : 450. GRUNWALD (C. de) : 214, 405, 406. Gruyer : 212. GRYER (P.) : 438. GRYNWASER : 238. Guasco, évêque constitutionnel en Corse : 52. Gudin (général) : 191, 200. Guer (de), économiste : 276. Guerchin (le) : 441. GUERRINI (M.) : 154, 237. Guibert : 196. GUERRINI-GRAZIANI : 452. Guibert : 201. Guidai (général) : 228, 410. GUIFFREY : 298. GUIGUF : 323. GUILLAUME : 153. GUILLEBON (Plinval de) : 299. Guillemardet, préfet de la Charente-Inférieure : 123. GUILLEMIN (H.): 15, 296, 423. GUILLOIS (A.) : 174. GUILLON (E.): 152, 174, 199. GUILLOT (L.) : 438. GUIMBAUD : 255, 349. GUIOT (P.) : 200. GUIRAL : 438. Guitard : 349, 405. GUITRY (Sacha) : 15, 450. GUIZOT : 297, 318, 332, 423, 438, 440, 449. Gusdorf : 296. GUYON: 152, 440. GUYOT (R.) : 90, 101. H HALPHEN : 255. HAMEL : 422. Hamelin (financier) : 88, 91. Hamelin : 408. HAMMER : 298. HAMMER (H.) : 362. HANDELSMAN : 201. Hannibal . 144, 158. HANOTAUX : 100, 255. HANOTEAU (J.) : 88. Hanovre (électeur de) : 223. Hanriot (général) : 67, 136. Hardenberg, conseiller du roi de Prusse : 189, 406. Hardy (Thomas) : 450. HARDY : 199. Hargenvilliers, directeur adjoint de la conscription : 258. HARLAN (Veit) : 450. Harmand, préfet de la Mayenne : 122. HARMAND (J.) : 296. HARSANY : 204, 257. HASTIER (L.) : 89, 405. HATIN (E.) : 16. Hatry (général) : 120. HAU (Cl.) : 153. Haugéranville (d') : 253. Haugwitz, conseiller du roi de Prusse : 144, 189. HAUSSONVILLE (d') : 369. HAUTECŒUR (L.) : 297, 298. HAUTERIVE (Alexandre de): 110, 113, 152. HAUTERIVE (Ernest de) : 58, 152, 321, 322. Hautpoul : 349. Hawkesbury : 148. Haxo : 204. Haydn : 292. HAZARD (P.) : 296. HEALEY : 452. HEATH (P. A.) : 383. HECKSHER : 213. Hédouville : 132. HEER (R.) : 350. Hegel : 282, 405. HEILS : 213, 385. HEINE (Henri) : 450. Heinzmann, voyageur allemand : 152. HEITZER (H.) : 361. HELMERICH : 71. Helvétius (Mme) : 174. HÉMARDINQUER : 384. Hennequin, peintre : 285, 295, 297. Henri IV : 409. Henry, chef de la police: 152. HENRY (L.) : 257, 258. HENRY (P.) : 127. Hérault de Séchelles : 46. Herbouville : 129. Héricart de Thury : 257. HÉROLD: 100. Héron de Villefosse : 272. HERPIN (E.) : 323. HERRIOT (E.) : 296, 299. Hesse-Cassel (électeur de): 191, 223. HEUSE : 199. Hidalgo : 404. Hildburghausen (duc de) : 191. HILLEMAND : 324, 424. Hirn, évêque de Tournai : 367. HIRSCHFELD : 299. HITLER : 450, 453. HOBHOUSE : 438. Hoche : 35, 83, 84, 86, 90, 93, 94, 131, 181. HOCHSCHILD : 72. Hofer (Andreas) : 356. Hoffmann : 300, 405. Hogendorp : 405. Hohenlohe (prince de) : 190. HOLLAND ROSE: 15, 199, 213. Holma : 297. HOLTMAN : 300. HOLZHAUSEN : 152. Home: 451. HOUG (M.) - 297. Hormayr (Joseph) : 353, 362. HORWARD (D.) : 405, 408. Hotham (Sir) : 443. HOTTENGER (G.): 113. Hottinguer, financier : 246, 256, 331. HOUDAILLF (J.) : 238, 259. Houdon : 287.. HOURTOULLE (Dr) : 198, 200. HOUSSAYE (H.) : 200, 422, 429, 438, 439, 441. HOUT : 154. Hozier de Sérigny : 41. HUART (S. d') : 88. HUBERT (E.) : 438. HUBERT (G.) : 46, 298, 452. Hue : 255. HUE : 152. Huet, peintre : 286. Huet, préfet de la Loire-Inférieure : 113. Hugo (général) : 205. Hugo (Victor) : 15, 233, 255, 295, 349, 449, 452. Hugues (Victor): 179. Huguet, préfet de l'Allier : 112, 122. Hulat : 349. Hulin : 173. Hullin, commandant de la division militaire : 410. Humbert (général): 181. Humboldt : 199, 296, 297. HUON DE PENANSTER : 174. Hurel : 202. Husson : 258. HUYGHE : 297. HUIT: 323. Hyde de Neuville : 132, 133, 136, 137, 151. Hyder-Ali : 100. I Imbert, préfet de la Loire : 122. IMBERT (J.) : 129, 202. Imbert-Colomès : 137. INGOLD : 334. Ingres : 241, 285, 286, 297. Isabey : 172, 174, 289, 298. Isnard, membre du Tribunat : 159. IUNG : 15, 30, 45, 126. Ivernois (Francis d') : 29, 113, 212, 272, 316, 347, 348, 383, 456. J Jabarti (Abd-al-Rahman) : 100. Jackson : 451. Jacob-Desmalter, ébéniste : 289, 299. JACOBY : 405. Jacquard, industriel : 229, 266, 290. Jacquemard, fabricant de papiers peints : 271. JACQUEMYNS (Mélanges) : 127, 202, 322. Jal, collaborateur de Fouché : 129. Jalras, général : 204. JAMES : 199, 276. Janin : 160, 161. JANNEAU (J.) : 297. JAQUIN : 404. Jard-Painvilliers, membre du Tribunat : 159. JASINSKI (A.) : 295. Jaubert, orientaliste : 95, 390. Jaubert, conseiller d'État : 260. Jaucourt, membre du gouvernement provisoire : 418. Jauffret : 369. JAURÈS (Jean) : 15, 255, 273. JAY : 16. Jean (archiduc) : 146, 354, 358. Jean Bon Saint-André : 122, 123, 127, 223, 237. Jeanne d'Arc : 15, 450. Jefferson : 209, 210, 375. Jerphanion, préfet de la Lozère : 113. Job : 450. JOHN (W.) : 361. JOLLIVET : 58. Jollois : 100. Jomard, archéologue : 95. JOMARD : 299. Jomini : 14, 88, 195, 349, 391, 405, 428, 439. JONES (Ben) : 16. JONES (Michèle) : 296. JORISSEN : 200. Joubert, préfet du Nord : 122. Joubert, écrivain : 281. Joubert (général) : 18, 82, 88, 99. Jouberthon (Mme) : 312. Jourdan (général) : 17, 21, 30, 35, 80, 81, 82, 86, 88, 90, 308, 349, 402, 404, 405. JOURQUIN : 88, 100, 333, 407, 452. JOUVENEL (B. de) : 213. Jouy : 16, 237, 255, 291. Jovellanos : 341, 349. JOXE : 323. JULIEN (Ch. A.) : 199. JULLIAN (M.) : 297. Jullien, rédacteur du Courrier de l'armée d'Italie : 84, 90. Junot (général): 210, 237, 338, 342, 350, 404. JURETSCHKE (Hans) : 350. JURIEN DE LA GRAVIÈRE : 200. Jussieu : 297. K KAMMACHER (L.) : 322. Kara-Georges : 201. KARMIN (O.) : 276. Kant : 282. Katt (lieutenant) : 356. Keith (Lord) : 444, 451. Kellermann : 81, 120, 435. KEMBLE : 451. Kennedy (E.) : 296. KENNETT (Lee) : 452. KERVRAN (R.) : 299. KIESSELBACH : 213. KILLEN (Alice M.) : 296. KIPLING : 450. KIRKOV : 204. KIRKOV (S.) : 453. KIRCHEISEN : 15, 16. KISSINGER (H.) : 408. Kléber : 99, 100, 144, 147, 153. KNIBIEHLER (Y.) : 238. Kœchlin, industriel : 268. Kolli (baron de) : 204. Körner : 395. KORNGOLD : 452. KOSARY : 262. Kotzebue, voyageur allemand : 152, 357. Koutousov (général) : 393, 407, 408. KRACHE : 408. KRAFT : 298. Kray (général) : 144, 145. KREBS : 72, 199. Krettly : 100. Kreutzer, écrivain : 283. KUHN : 322. L LA BARRE DE NANTEUIL : 201. LABARRE DE RAILLICOURT : 199, 321, 332, 333. LABASSE : 273, 384. Labaume : 405. La Bédoyère : 428, 436. LABICHE : 280. Laborde (A. de) : 349. LABOUCHERIE (A.) : 274. La Bouillerie, receveur général des contributions : 191, 316. LABROUSSE (E.) : 273, 275, 385. LACAPE : 113. Lacépède : 293. Lachevardière : 426. Lachnith : 11. LACHOUQUE : 174, 200, 201, 422, 439, 452. Laclos : 43. 79, 199, 278, 281. Lacombe, commissaire de la Convention en Corse : 56. Lacorre : 100. Lacoste, préfet du département des Forêts: 123. LACOUR-GAYET (Georges) : 15, 31, 101, 102, 200, 203, 213. Lacour-Gayet (Robert) : 128. Lacretelle, membre du Corps législatif : 159, 280, 300. Lacroix (abbé de), géographe : 43. LACROIX (Ch. de) : 199. LACROIX (G.) : 153. Lacuée, conseiller d'État : 107, 108, 109. 395, 411. Laënnec, médecin : 293, 299. La Fayette : 12, 35, 36, 137, 163, 432, 438. Laffitte, banquier : 272, 378, 383. Lafon : 422. LAFOND (P.) : 298. Laforest (comte), ambassadeur de France en Espagne : 331, 349, 402. LA FUYE : 408. Lagarde, directeur de la police en Toscane : 406. LAGARDF-CHAMBONAS : 439. Lagrange (général) : 401. Lagrange : 121, 293. La Harpe, écrivain : 283. Laharpe : 80, 88. Lahorie (général) : 410. Lainé : 412, 422, 423. Lainez, chanteur : 292. LA JONQUIÈRE : 100. Lalande : 297. Lamarck : 293. Lamarque, préfet du Tarn : 113, 123. Lamarque (général) : 432, 434, 438. Lamartine (Alphonse de) : 160, 255, 286, 425. Lambrechts, membre de la commission sénatoriale : 420. Lameth (Alexandre de), préfet des Basses-Alpes : 51, 1, 122, 263, 433. Laromiguière, membre du Tribunat : 121, 159. LAMOTHE-LANGON : 16, 127. LAMOTTE (P.) : 45. Landon, critique d'art : 284, 298. Landrieux : 88, 90. LANFREY : 15, 450. Lange (Mlle) : 31, 256. Langeron : 185, 405, 421. Langlois : 219, 237. LANGLOIS (Cl.) : 120, 126, 153, 323, 370. LANGSMAN (W. C.) : 362. Lanjuinais : 420, 432. Lannes (général) : 25, 99, 145, 184, 185, 190, 193, 194, 200, 342, 345, 355. LEREZAC : 405. LANTIER : 202, 384, 423. Lanusse : 98, 102. LANZAC DE LABORIE : 15, 237, 256, 260, 274, 276, 296, 323, 384. LANREZAC : 406. LAPAUZE : 298. Lapisse (général) : 401. Laplace : 120, 293. LAPORTE : 239. LAQUIANTE: 152. La Revellière-Lepeaux : 80, 81, 86, 87, 88. Lariboisière, officier d'artillerie : 193, 407. La Rochejacquelein (Louis de) : 432. LAROUSSE (P.) : 16. Larrey : 201. LARREY : 45. La Sahla : 361. Lasalle (général) : 82, 197. Las Cases : 54, 253, 340, 341, 440, 443, 445, 448, 449, 451, 453. LAS CASES (E. de) : 453. LA ROTHIÈRE : 416. LA SICOTIÈRE (L. de) : 152. LASPOUGEAS : 153. Lassalle, économiste : 206. LA TOUR (Fr.) : 128. La Tour d'Auvergne (Charles de) : 153. La Tour du Pin, préfet de la Somme : 314, 414. LATREILLE (A.) : 15, 152, 153, 369, 370. La Tynna : 272. LAULAN (R.) : 44, 46. Laumond, préfet du Bas-Rhin : 113. Laumont, directeur des mines : 274. LAURENT (R.) : 256, 273. LAURENT DE L'ARDÈCHE : 14, 423. Laurenti : 68, 72. Laurenti (Émilie) : 72. Lauriston (général) : 197, 398. Lauriston (Mme de) : 166, 328. Laussat, préfet de la Louisiane : 199. LA VAISSIÈRE-ORFILA : 361, 451. Lavalette : 30, 91, 100, 151, 234. LAVALETTE-MONBRUN : 296, 422. LAVALLEY (G.) : 384, 439. LAVAQUERY: 154. LA VARENDE : 174. Lavaux : 199, 349. LAVEDAN (P.) : 237. Lavieuville, préfet : 440. LAVISSE : 15. Lavoisier : 293. Lawrence : 349, 438. Lebeau, membre du Conseil de Paris : 418. Leblanc : 293. Leblanc-Beaulieu, évêque de Soissons : 153. Lebon : 293, 300. LE BRETHON : 351. Lebretonnière : 113. Lebrun : 115, 118, 123, 310, 399, 400, 406, 420. Lebrun-Pindare, poète : 279. Lebzeltern : 404. Lecamus : 224. LECESTRE : 15, 126. LECHARTIER : 201. Le Chevalier, collaborateur de Talleyrand : 128. Le Chevalier, conspirateur : 320. Leclerc (capitaine) : 390. Leclerc (général) : 25, 27, 66, 199, 253, 312, 322. Le Clère (Bernard) : 296. LE CLÈRE (Marcel) : 152, 202, 323. LECOMTE : 296. Lecouteulx de Canteleu : 31, 125, 246, 254. Lecourbe (général) : 160, 415, 434. Le Coz, évêque : 141, 151, 153, 364. LE DOUAREC : 153. Ledoux (Claude-Nicolas) : 288, 295. LEDOUX-LEBARD (D.) : 29H. LEDRÉ (Ch.) : 153. Lefebvre (général): 23, 24, 25, 193, 252, 329, 330, 345, 361, 419. Lefebvre (générale) : 252. LEFEBVRE : 199. LEFEBVRE (G.) : 15, 16, 88, 113, 255, 258, 324. LEFEBVRE (L.) : 370. LEFEBVRE DE BÉHAINE : 405, 422, 423. Lefebvre-Desnoëttes (général) : 427, 430, 438. LEFÉVRE-PONTALIS : 100. LEFORESTIER (R.) : 361. LEFLON (J.) : 152, 153, 369, 370. Lefranc (général) : 197. LEFRANC (P.) : 323. LEFUEL (H.) : 298. LE GALL-TORRANCE : 405. LE GALLO (E.) : 438. LEGENDRE (P.) : 129. Legouvé, poète : 279, 280. Legrand, critique d'art : 284. LEGRAND (R.) : 202, 298. LEHMANN (Max) : 405. LEHMANN (R.) : 200. LEIDJENDECKER : 44. Leist : 224. Lejeune : 298, 349, 361, 362. LELEUX (F.) : 274. LELIÈVRE : 296. Lemaire : 422. Lemare : 136. Le Marois (général) : 202. LEMÉE (R.) : 258. Lemercier, président du Conseil des Cinq-Cents : 26. Lemercier (Népomucène), poète : 280. LEMMAN : 154. LE MOINE (O.) : 71. LEMONNIER : 297. Lemontey, historien : 280, 300. LÉNINE : 450. LENIENT (E.) : 439, 441. Lenoir (Alexandre), directeur des Monuments français : 286, 297. Lenoir-Dufresne, industriel : 267, 268. Lenoir-Laroche, sénateur : 121. LENORMANT : 298. LENOTRE (G.) : 1S> 152,440. Léon, fils naturel de Napoléon : 308. LÉON (A.) : 323. LÉON (P.) : 273, 384. LÉONARD (E. G.) : 154. Leonetti, neveu de Paoli : 52. Leopardi : 300, 400. Le Peletier : 75. Le Père, ingénieur, membre de l'expédition d'Égypte : 98. Lepic : 415. LE POITTEVIN : 153. LEPROUX (M.) : 350. Lequinio : 236. Leroy (Françoise-Marie) : 309. LEROY (M.) : 296. LESAGE : 201. LESOUEF (P.) : 198. Lespinasse (général) : 120. Lesseps, commissaire à Saint-Pétersbourg : 388. L'ESTOILE (de) : 202. LESTRA (A.) : 370. Lesueur (attas) : 176, 180. Lesueur, compositeur : 291, 299. LESUR, écrivain : 281. Letourneur, préfet de la Loire-Inférieure : 122, 123. LEUILLOT (P.) : 438. LEVAILLANT (M.) : 296. Levasseur : 199, 438. LEVASSEUR (E.) : 256. Levie (Jean-Jérôme) : 57. LÉVITINE : 298. LÉVY (A.) : 202, 256, 321, 322. LÉVY (R.) : 384. LÉVY (J.-M.): 256. LÉVY (Jacques) : 128. LÉVY-LEBOYER (M.) : 273. LÉVY-SCHNEIDER : 127, 153, 237, 422. Lewis : 283. LEWIS (M.) : 204. LEY : 214. Lezay-Marnésia, préfet du Bas-Rhin : 123, 127, 223. LHÉRITIER (M.) : 350. L'HERMITTE (J.) : 255. LHOMER (J.): 113, 256, 334. L'HOMMEDÉ : 333. L'HUILLER (F.) : 127, 237, 383, 384. Lieven (comte) : 392. LIEVYNS : 333. Ligne (prince de) : 362. LIGOU (J.) : 155. LIMA (Oliveira) : 351. Limolea.i (chouan) : 136. Lincoln : 450. Liniers (Jacques de) : 403. Loaisel-Tréogate, romancier : 283. Lobau (général) : 434, 435. Locré, conseiller d'État : 127, 314. Logie : 439. LOKKE (C. L.) : 101. LOLIÉE (F.) : 203. Lombard de Langres : 30. LOMIER : 422. LORÉDAN (J.) : 152. Lorencez : 199, 361. LORENZI 257. LORION (A.) : 153, 274, 452. LORT DE SÉRIGNAN : 422. LOUAISIL : 213. Louis XI : 12. Louis XIV : 12, 15, 55, 195, 277, 294, 294, 339, 340, 408, 415. Louis XV : 143. Louis XVI : 12, 18, 149, 151, 158, 172, 206, 233, 294, 391, 437, 440. Louis XVII : 420, 423. Louis XVIII : 17, 74. 8S, 136, 142, 224, 400, 411, 418, 419, 420, 421, 425, 427, 429, 432, 439, 440, 447, 452. Louis-Philippe : 233, 263, 438. Louise de Prusse : 189, 199. Louvet : 281. LOVETT : 350. LOVIE : 15. Lowe (Hudson) : 446, 451, 452. Lowenstern : 405. Lloyd : 201. LOGIE : 439. LUCAS-DUBRETON: 15, 101, 200, 322, 350, 452. Luçay (Mme de) : 166, 328. LUDWIG : 15. Luini : 441. Lullin : 399, 448, 453. LUMBROSO : 15, 16, 213, 321. LUTTELTON (Lord) : 451. Luxembourg (duc de) : 246. Luynes (duc de) : 246. Lycurgue : 44. Lynch, maire de Bordeaux : 417. LYONNET : 153. LYONS (M.): 113. M Mably : 61. Macdonald, médecin du duc d'York : 178. Macdonald (maréchal) : 146, 358, 398, 419, 421. MACCARTHY : 454. MACEDO : 213, 350. MACERLEAN (J. M. P.) : 59. Machiavel : 310. Mack (général) : 184, 196, 204. Mac Kenrot, juge aux Antilles : 444. Mac Pherson : 297. MADELIN (Louis) : 15, 31, 45, 58, 89, 113, 151, 152, 174, 175, 203, 322, 361, 422, 423, 439. Magallon, consul français au Caire : 95, 97, 101. Magnien, économiste : 383. Mahomet : 392. MAHAN : 200, 213, 408. MAHIEU (L.): 153. MAINE : 200. Maine de Biran : 296, 297, 409, 411, 422. Maire: 237. Maison (maréchal) : 332, 432. Maistre (Joseph de) : 88, 142, 420. Maitland, commandant du Belléphoron : 443, 444, 451. Malet (général) : 170, 172, 228, 320, 394, 408, 410, 422, 457. MALET (A.) : 439. Maleville : 167. Mallarmé, membre du Corps législatif : 158. Mallet, régent de la Banque de France : 125, 246. Mallet du Pan : 85, 88. Malouet : 199. MALPERIN : 174. MALRAUX (André) : 15, 241, 455. Malte-Brun, géographe : 284. Malus : 100. Mame, libraire : 279. MANCERON (Cl.) : 200, 452. MANFRED : 15. Mangourit, fondateur de la Société des Antiquaires de France : 284. Manière : 349. MANN (Anthony) : 450. MANNI : 239. MANSUY (J.) : 405. MANTEYER (G. de) : 438. Manuel : 432. Marat : 56. Marbeuf, gouverneur de la Corse : 39, 40, 41. Marbot : 151, 199, 349, 361, 362, 407, 438. MARCAGGI (J.-B.) : 45, 58. Marceau (général) : 82. Marcel (capitaine) : 405. Marchand (abbé) : 255. Marchand (général) : 204. Marchand : 424, 445, 446, 452. MARCO SAINT-HILAIRE : 16, 174. MARCZEWSKI : 275. Marescat, général : 197. Maret : 20, 128, 279, 281, 297, 322, 411, 427, 430, 438, 453. MARGFRIT (R.) : 438, 439. MARGUERON : 405. MARICOURT : 176. Marie-Caroline de Naples : 186, 337. Marie-Louise : 221, 289, 360, 362, 367, 391, 405, 417, 422, 427, 428, 451, 456. Marigny : 43. Marigny (Mme de) : 422. MARINETTI : 59. Marion (M.): 113, 128, 255, 276. MARKHAM : 15. MARKOVITCH : 275. Marmont : 24, 30, 66, 71, 88, 100, 184, 193, 200, 237, 300, 349, 361, 387, 402, 404, 405, 417, 419, 421, 423. MARMOTTAN : 297, 298, 321, 322. MAROT: 113. MARQUANT (R.) : 31, 239, 257, 334. Marquis, préfet de la Meurthe : 113, 122. MARQUISET : 127. MARSHALL-CORNWALL : 406. Marschener, musicien : 300. Marsson, préfet du Doubs : 122. MARTINIE-DUBOUSQUET : 203. MARTIN : 152. MARTIN (Aimé) : 44. MARTIN (CI.): 350. MARTIN (Marc) : 89. MARTINAGE-BARANGER (R.) : 175. MARTINEAU : 255, 296, 452. MARTINET (A.) : 20, 321. Martini, compositeur : 292. Martiniana (cardinal) : 139. MARTINIEN : 258, 407. MARX (Karl) : 451. MARX: 351. Mascate (iman de) : 179. Maspéro-clerc : 88. MASSA-GILLE (G.) : 260. MASSÉ (P.): 255. Massé, pamphlétaire : 422. Masséna : 18, 19, 35, 79, 80, 82, 83, 88, 110, 144, 151, 186, 200, 334, 349, 355, 358, 361, 402, 404, 406, 429. MASSIN (J.) : 15, 299, 440. MASSON (Frédéric) : 15, 31, 44, 45, 48, 58, 59, 72, 152, 174, 200, 201, 311, 321, 322, 324, 362, 422, 424, 452. MASSON (P.) : 71, 274. MATHIEU (M. R.) : 422. MATHEWS : 205. MATHIEZ (A.) : 88, 91, 113, 154, 324. Mattei (cardinal) : 81. Maubreuil : 203, 424. MAUCO (G.) : 256. MAUGUIN (G.) : 72, 175. MAUREAU (A.) : 128, 202, 236. MAUREL (Blandine) : 259. Maurice (baron) : 405. MAUROIS (A.) : 15, 296. MAURRAS (Charles) : 15. Maury (archevêque de Paris) : 142, 369. MAY (L. P.) : 212. MAYERHOFFER VON VEDROPOLJE : 200. MAYNIAL : 199. MAYOL DE LUPPÉ : 370. MAZADE : 199. MAZE-SENCIER : 298. MAZIN : 153. Mechain, astronome : 95. Méchin, préfet des Landes : 122. Mehée de la Touche : 204. Méhémet Ali : 408. Méhul, compositeur : 291. Meinigen (duc de): 191. MEHLISS : 407. Méhul : 191. Mêlas (général) : 144, 145. MELCHIOR-BONNET (B.) : 16, 174, 322, 422. Meléndez Valdès (Juan) : 350. MELVIN : 213. Melzi : 90. MENENDEZ-PIDAL : 349. Méneval : 309, 321, 362. Menou : 75, 77, 147, 153. MERCADER RIBA : 213, 352. Mercier, écrivain : 281, 283, 296. Mercier : 126. Mercy d'Argentau, chambellan : 331. Merlin de Douai : 18, 89, 124, 440. MERLLIE : 324. MEREJKOWSKI : 15. MERLEY (J.): 113, 256. Mérode (comte de) : 221, 331. Méry : 452. METAIRIE : 128. Metge, journaliste : 136. Metternich : 339, 344, 347, 353, 359, 360, 361, 391, 397, 398, 401, 404, 408, 419, 427. MÉTRAL : 199. METZGER (P.) : 126. MEY (J. de) : 299. Meyerbeer : 457. MEYNIER (A.) : 30, 91, 258. Michaud (général) : 415. Michaud, historien : 280. MICHAUD (Hélène) : 453. Michel (jeune), financier : 31, 354. Michel: 113. MICHELET : 14, 73, 137, 431, 438. Mignard : 26. Milhaud (général) : 435. Millet : 100, 151. Millevoye, écrivain : 281. Millin, voyageur : 236, 237. Miollis (général) : 211, 357, 366, 370. Miot de Mélito : 100, 126, 173, 207, 211, 231, 332, 349. Mirabeau : 51, 281. Miranda : 404. MIRTIL (M.) : 45, 58. Missiessy, commandant l'escadre de Rochefort : 182. MISSOFFE (M.) : 203. MISTLER (Jean) : 15, 91, 151, 199, 255, 296, 298, 361, 362, 405, 406, 408. El Modhy : 98. Moët : 263. Moiret : 100. Moitte, sculpteur : 287. Moitte (Mme) : 295. Molé : 112, 124, 307, 314, 320, 321, 328, 332, 411, 430, 438. MOLINIFR (M.) : 127. MOLITOR : 127. Molitor (général) : 400. MOLLAT : 237. Mollien : 124, 126, 212, 378, 383, 430. Monbrion, économiste : 207, 211. Moncey (général) : 417, 424. Monge : 87, 95, 99, 120, 293, 299. MONGLOND : 16, 236, 295. MONGRÉDIEN : 176, 299. Monk : 157. Monnet (général) : 197. Monnier (général) : 197. Monnier (Désiré) : 424, 427. Monnier (Raymonde) : 257. Monsigny, compositeur : 292. MONTARRAS : 204. Montalivet : 263, 272, 284, 313, 314, 318, 322, 385. MONTALIVET (A. de) : 322. Montaut-Desilles, préfet du Maine-et-Loire : 122. MONTARLOT (P.) : 152. MONTEAGLE : 89. MONTEANO (B.) : 300. Montesquieu : 43, 61. Montesquiou : 331, 413, 418. Montesquiou de Fézensac : 405. Montgaillard : 85, 91, 212. Montgelas : 355, 361, 399. Montholon : 41, 324, 444, 452, 453. Montholon (générale) : 444, 452. Montlosier : 438. Montmorency : 331. Montrond, collaborateur de Talleyrand : 128, 439. Moore (général) : 345. Morand (général) : 191, 200. MORAND (Paul) : 15, 101, 349. Morard des Galles (amiral) : 120. Moratin : 341. MORAZÉ (Ch.) : 256. Moreau (général): 22, 25, 35, 80, 81, 82, 83, 86, 90, 99, 137, 144, 145, 146, 160, 168, 169, 173, 174, 197, 282, 398, 410. Moreau l'aîné, peintre : 286, 298. Moreau de Saint-Méry : 199. Moreau de la Sarthe, médecin : 238. MOREEL (L.) : 200, 424. Morel : 11. Morel de Mons, archevêque d'Avignon : 154. Morgan, industriel : 222. MORIS (H.) : 72. Mortiel (maréchal) : 193, 194, 200, 345, 417, 424. MORVAN : 201. MOTTHEAU (J.) : 298. Mougins-Roquefort : 451. MOULARD (J.) : 406. Moulin (général) : 18, 21, 25. MOURAVIEFF (B.) : 201. Mounier, préfet de l'Ille-et-Vilaine : 122 Mounier (fils) : 254. Mouton-Duvernet, membre de la Chambre : 432. Mozart : 11, 292, 457. Müfflirig : 439. Mulard, peintre : 285. Muller (Jean de) : 224, 362. MULLER (P.) : 204. MURACCIOLE : 200. Muraire, président de la Cour de cassation : 162, 440. Murât : 25. 27, 77, 99, 146, 184, 185, 186, 188, 191, 192, 197, 200, 230, 231, 252, 312, 322, 328, 335, 339, 346, 351, 396, 401, 406, 441, 453. MURAT (1.): 199, 351, 452. MUSNIER -DESCLOZEAUX : 126. 173. Musset (Alfred de) : 295, 449. Musset, préfet de la Creuse : 123. N NABONNE (B.) : 90, 321, 322. Naigeon : 280. Najac, conseiller d'État : 108, 109. Nansouty : 204. NAPIER : 350. Naples (roi de) : 147. Napoléon III : 308, 449, 455. Narbonne : 260, 390. NAQUET : 423. Nast, fabricant de porcelaines : 271. Necker : 47, 48, 124. Neipperg : 427. NEL : 71. Nelson : 96, 97, 100, 183, 204, 450. Nemnich, voyageur : 219, 227, 228, 237. NEMOURS : 199. Nerciat, écrivain : 281. Nerval : 449. Nesselrode : 404. NETTON : 31. Ney : 184, 190, 192, 193, 197, 200, 253, 332, 334, 345, 356, 398, 402, 419, 429, 434, 438, 441. Nichols : 451. Nicotas Michaïlovitch : 404. NICLAUSSE (J.) : 299. NICOLAI : 200. NICOLAS : 256. Niello-Sargy : 100. Noailles : 12, 331. NOAILLES : 438. Nodier (Charles): 151, 155, 281, 286, 424. Noël : 404. NOËL (L.) : 203. Nogaret, préfet de l'Hérault : 122. NOIR (Louis) : 300. Norvins : 14, 16, 199, 224, 405. Nougaret : 237. Noverraz : 445. o Oberkampf : 268, 274, 290. Odeleben (major) : 398, 404. O'Donnell : 362. Odiot, fabricant de bronzes : 289. O'Farril : 341, 351. Offenbach : 457. Olavide (Pablo de) : 350. Oldenbourg (duc de) : 344, 374. OLIVIER (D.) : 407. OLIVIER-MARTIN (F.) : 15. OLLIVIER (A.) : 30, 91. OMAN : 350. O'Meara, médecin : 446, 452. ONCKEN (W.) : 404. Orange (prince d') : 191, 400. Ordener : 204. Ordinaire (J. J.), recteur de l'Académie de Besançon : 323. ORDIONI (P.) : 59. ORFF (Carl) : 300. ORIEUX : 203. Orléans (duc d') : 419. Osmond (d'), évêque : 153. OSMOND (W.) : 298. Ossian : 280, 286, 297, 298. Otto (Louis), plénipotentiaire français : 148. Oubril, représentant du tsar à Paris : 187. Oudet (colonel) : 155, 424. Oudiette : 236. Oudinot (général) : 358, 361, 398, 429. Ouvrard, financier: 25, 31, 150, 184, 255, 256, 271, 374, 383. OZEKI SAN'EI: 14. P Pacca (cardinal) : 357, 366, 369. Pacthod (général) : 197. Paër, maître de musique : 292. Pagowski : 204. Paisiello, musicien : :176, 291. Paixhans : 405. Pajol (général) : 197. Pajou, sculpteur : 287. Palafox : 349. Palagonia (prince), 408. PALÉOLOGUE (M.) : 214, 408. PALEWSKI : 439. PALLUEL : 15, 153, 256, 274, 322. Palm, libraire : 353. PALMER : 214. PALMADE : 256, 273. PALMER : 323, 405. PALMSTIERNA : 422. PALOU (J.) : 155. Pamphile de Lacroix : 199. Pamplona (Martins) : 349. Panckoucke, éditeur : 65, 279. PANGE (comtesse de) : 296, 362. Panini : 286. Paoli (Pascal) : 38, 39, 43, 44, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53. 55, 56, 57, 58, 59, 61, 64. PAPILLARD : 126. PARDO DE LEYGONNIER : 407. PARET : 405. PARISET : 15, 46, 114, 297. PARKINSON (C.) : 406. Parme (Marie-Louise de, reine d'Espagne) : 335. Parme (duc de) : 146, 147. Parmentier : 292. Payne (Th.) : 206. Parny, poète : 279. Parquin : 361, 404, 421, 451, 452. Parseval-Grandmaison, poète : 95. PASCAL (R.) : 384. Pasquier : 173, 321, 323, 331, 332, 346, 383. 410, 417, 422, 431, 438. PASSY : 128, 258, 384. Pasvan-Oglou : 201. Patterson (Miss) : 187, 31 Paul 1er de Russie : 146, 147, 389. PAYARD (M.) : 31, 256. Payne (Thomas), économiste : 205. Pazzis : 236. Pelet (Jean-Jacques) : 404. PELET : 361. Pelet de la Lozère : 122, 126, 319. 422. PÉLISSIER : 437. Pellapra (Émilie): 309, 324. Pelleport : 88. PELLET: 438. Peltier : 88, 199. Peraldi : 53. PERCEVAL (E. de) : 422, 423. PERCEVAUX (P.) : 273. Percier, architecte : 233, 288, 289, 295, 299. Percy : 192, 361. Perdiguier (Agricol) : 255, 413, 414. PERELLI (D.) : 58. PERETTI (L.) : 45. Peretti della Rocca, 49, 50, 51. PEREZ DE GUZMAN : 350. Périclès : 277. Périer (Casimir) : 440. Périer (Camille) : 440. Périer, évêque d'Avignon : 153. Périer, régent de la Banque de France : 125, 256, 267. PÉRIVIER : 153. Perlet : 152. Peron (Atlas) : 180. Perregaux, financier : 22, 121, 125, 150, 254, 256, 331, 334. PERRIN : 423. PERRIN DE BOUSSAC : 239. PERROT (J.-C.) : 236. PÉTAIN : 455. Petit de Beauverger, préfet : 440. Petiet, intendant général : 204. Pétion : 51. PETOT (J.) : 238, 274. PETRE : 200, 361. Petriconi, président de l'assemblée corse : 49. Peuchet, archiviste de la préfecture de police: 151, 248, 257, 422. Peyre, architecte : 287. PEYRE (R.) : 15, 100. PEYROU (E. J.) : 59. Peyrusse : 398, 426, 438. PFISTER (Ch.) : 423. Phélipeaux : 98. PHILIP : 201. PHELIPEAU : 204. Philippe V d'Espagne : 340. PICARD : 15, 154, 174, 198, 201. Picard, poète : 280. PICAVET 297. Pichegru : 35, 36, 85, 86, 91, 168, 169, 174. Pichler (Caroline) : 362. Pichon : 224. Pichon, pamphlétaire : 422. Pictet de Rochemont : 399, 438. Pidoll, évêque du Mans : 153. Pie VI : 138. Pie VII : 139, 140, 141, 142, 172, 232, 357, 366, 367, 368, 370. PIERSON (E.) : 333. PIETROMARCHI: 31, 322. PIETRI (F.) : 31, 59, 154, 174, 175, 322, 324, 439. Pieyre, préfet du Lot-et-Garonne : 113. Pigault-Lebrun : 283. PIGEIRE : 128. Piis:152,283. Pillet : 205. Pils : 199, 361, 362, 405. PINAUD (P. F.) : 16. Pinel, médecin : 294. PINET : 153. PINGAUD (L.) : 91, 127, 151, 152, 200, 204, 406, 438. Pion des Loches : 405. Piontkovski : 453. Piranèse : 284. PIRENNE (H.) : 237, 257. PINKNEY (D.) : 273. PINOTEAU : 174. PINS (J. de) : 351. PIQUET-MARCHAL (M. O.) : 128. Pisani : 405. PISANI : 237. Pitou (Ange), chansonnier : 152. PITEUX : 350. PITOLLET (C.) : 441. Pitt : 143, 148, 183, 187, 416, 450. PIVEC-STELLÉ : 235. Pivka : 405. Pixérécourt : 152, 283. PLACE (A. de) : 299. PLAINVAL DE GUILLEBON : 299. Planat de la Faye : 451. Plancy : 126, 321, 440. Platon : 295. PLONGERON (B.): 153, 154, 369, 370. PLOTHO : 439. Plutarque : 44, 51. POINDESSAULT (B.) : 299. Poli : 438. Polignac : 169, 320. Pommereul : 334. POMPONI (F.) : 58. Poniastowski : 198. PONIASTOWSKI 174, 203, 349. Pons, substitut : 440. PONS DE L'HÉRAULT : 438. Pontécoulant : 321, 413, 438. PONTEIL (F.) : 126, 323, 333, 384, 422, 438. Popham (amiral) : 403. Portal : 422. PORTAL (Ch.) : 422. Portalis : 138, 141, 151, 162, 167, 172, 369. Portalis (fils) : 334. PORTALIS : 298. POTHIER : 175. Pougeard, préfet de la Haute-Vienne : 122. Pouget : 199, 361, 405, 451. Pougin : 299. POULET (J.) : 322, 453. POULLET : 126. Poumiès de la Siboutie : 234, 255. POUTHAS (Ch.) : 423, 440. POYEN : 406. Poyet, architecte : 287. Pozzo di Borgo : 35, 40, 53, 55, 56, 59, 416. POZZO DI BORGO : 438. Pradt (abbé de) : 153, 262, 272, 349, 405. Precy : 137. PRENTOUT (H.) : 406. PRETE SEILLE : 153. PRÉVOST : 46. PRÉVOST-PARADOL : 36. Prigent, agent royaliste : 223, 320. Prokofiev : 450. Prony, ingénieur des Ponts et Chaussées : 123, 297. PROST : 323. PROUDHON : 323. PROUTEAU : 452. Prudhomme : 237. Prud'hon, peintre : 285, 298. Puffeney : 199. Puisaye : 152, 224, 320, 323. Pujoulx : 237. Pully : 415. PUPIL : 298. Putigny : 199. PURAYE (J.) : 235, 260. Puymaigre : 126, 400, 438. Q Quay (Maurice) : 286. Quatremère de Quincy : 284, 297. QUENNEVAT (J. C.) : 15, 198, 202. Querelle, chouan : 168. QUIMBY : 201. Quinet : 450. Quinette : 18, 122, 436. Quintana : 341, 350. Quoy-Bodin : 155. R Rabel : 406. Rabusson-Lamothe, préfet de la Haute-Loire : 122, 127. RADCLIFFE (Ann) : 283. Radet, commandant de la gendarmerie à Rome : 366. RADIGUET : 431, 438. Raffet : 450. Raguse (duchesse de) : 256, 334. RAIN (P.) : 439. RAISSON (Horace) : 152. RAMBAUD (A.) : 201, 204. RAMBAUD (J.) : 200. RAMON (G.) : 128. RANKE : 405. RANSONNETRE : 298. RATH : 406. RAUL BRANDAO: 350. RAYMOND (A.) : 101. REBATET : 229. Rambourg : 246. Ramel : 110, 113, 124, 126. Ramon de Carbonnières : 123, 236. Rapp. : 199, 361, 434. Rateau : 410. Ratton, manufacturier : 349, 350, 351. Raymond, industriel : 229. Raynouard, écrivain : 278, 280, 412, 432. Raynal (abbé de) : 43, 44, 49, 61, 62, 63. 63. Réal : 31, 126, I50, 168, 173, 250, 319, 383, 400, 438. Récamier, régent de la Banque de France : 125, 243, 271. Récamier (Mme) : 241, 287, 289, 296, 297, 324. REBOUILLAT (M.) : 127, 273. REBOUL : 406. RECOULY : 71. Redouté, peintre : 95, 100. REGALDO : 297. REGNAULT : 202. REGNAULT (J.) : 439. Regnault de Saint-Jean-d'Angély : 29, 83, 281. Régnier, grand-juge : 23, 168, 411. Régnier (fils) : 254, 314. RÉGNIER : 127. Reichardt, voyageur allemand : 152, 219, 289. REICHEL (D.) : 200. Reille (général) : 434, 435. REINHARD (M.) : 72, 88, 89, 90, 91, 113, 205, 239, 257, 259, 333, 439. Reinhardt, ministre des Relations extérieures : 116, 238. Reinoso : 341, 351. REISET : 152, 362. REMACLE : 173. Rembrandt : 286. RÉMOND (A.) : 274. RÉMOND (R.) : 324. Rémusat : 243, 295. Rémusat (Mme de) : 166. Renard : 300. Rendu, conseiller : 323. RENDU (E.) : 323. RÉNÉMONT (C. de) : 361. Restif de la Bretonne : 281, 296. RÉTIF DE LA BRETONNE : 454. Retz (cardinal de) : 11. Reubell : 85, 86, 88, 90. Resta, délégué milanais : 90. RÉVÉREND : 332, 334. Reveroni Saint-Cyr, critique d'art : 284. Revoil, peintre : 285. Rey, général : 204. REYBAUD : 100. Reynaud des Monts : 41. Reynier : 100, 151, 204, 398. Ribera : 204, 286, 342. RIBERETTE : 153, 295, 297. Ricard, préfet de i'Isère : 122. RICARD (Mgr) : 369, 370. Ricciardi, ministre de l'Intérieur en Italie : 231. Richard, préfet de la Haute-Garonne : 122. Richard, industriel : 267. Richard-Lenoir, entreprise industrielle : 233, 243, 271, 272, 378. RICHARDSON (N.) : 440. Richelieu : 387. Richepanse (général) : 160. RICHET (D.) : 71. Richter : 361. Ricord, représentant en mission : 63, 68. RIGAULT : 154. Rigel, pianiste : 95. RINN (Ch.): 152. Rion, préfet du Cantal : 123. Riouffe: 158. RIOUFFOL : 127. Rist : 450. RIST (E.) : 299. RIVES-CHILDS (J.) : 296. Rivière, représentant du comte d'Artois : 169. RIVOLLET (G.) : 202. Robert, ordonnateur : 407. Robert (Hubert) : 286. ROBERT : 16, 422. ROBERT (A.) : 362. ROBERT (Daniel) : 154. ROBERT (H.) : 16. ROBERTI : 238. Robespierre : 14, 18, 21, 27, 29, 44, 46, 51, 61, 68, 71, 73, 74, 79, 100, 101, 105, 116, 143, 188, 278, 279, 304, 448. Robespierre le Jeune : 21, 36, 63, 66, 67. Robin, ingénieur des Ponts et Chaussées : 373. ROBIN (P.) : 205. ROBIQUET (J.) : 257. Rocca : 349. Rochambeau : 204. ROCHE : 260. Rochechouart : 417, 422, 438. Rochegude : 432. ROCQUAIN : 112, 201, 321. Rodde, banquier : 378. RODGER : 153. RODOCANACHI : 238, 439. Roederer : 20, 88,117. 126, 150, 157, 162, 173, 175, 231. 232, 280, 323, 325, 326, 332. Roederer (fils) : 254. ROELS : 88. Roettiers de Montaleu, franc-maçon : 155. Rogniat : 308. Roguet : 88. Rohan-Chabot : 451. Roland. sculpteur : 287. ROLLAND (R.) : 299. ROMAIN (de) : 44. ROMAINS (J.) : 15. Romanct, filateur : 222. ROMBERG (E.) : 439. Rome (roi de) : 217, 289, 298, 321, 377, 395, 411, 417, 419, 427. 428, 451. Rondelet, architecte : 288. Roos : 405. ROOSEVELT (Théodore) : 408. ROPES : 439. ROQUE : 273. ROSEBERY: 15, 452. Rosenberg : 253. ROSNY (aîné) : 15. ROSSELLI (J.) : 406. ROSSI: 58. Rossini : 291, 299, 457. ROSSLER : 362. Rostopchine : 407, 408. Rothenberg : 201. Rothschild : 239, 256. Roucher, écrivain : 278. Rougemaître, pamphlétaire : 422. ROUGERIE (J.) : 257. Rougier de la Bergerie, préfet de l'Yonne : 122, 272. Roujoux, préfet de la Saône-et-Loire : 122. ROULIN : 423. Rousseau : 13, 38, 43, 44, 48, 57, 61, 63, 68, 72, 310. Rousseau, évêque d'Avranches : 153. ROUSSEAU : 154, 406. ROUSSEAU (J.) : 204. ROUSSEAUX-BERRENS : 257. ROUSSEL : 152, 153. ROUSSET : 200, 406. Roussin : 408. ROUSSIER (M.) : 128, 199. Roustan : 321. ROUX : 30, 88, 126. Roux de Laborie, collaborateur de Talleyrand : 128, 424. Roy : 297. Rubens : 286. Ruchel : 190. Rückert : 395. RUDE (F.) : 424. RUMILLY : 453. RUSTAN : 453. S Sabatier, économiste : 276. Sade (marquis de) : 278, 281, 296, 300, 313. SAGNAC : 155, 175, 237. SAFFROY : 333. SAINT-AULAIRE : 203. Saint-Chamans : 349. Sainte-Beuve : 294, 295. Saint-Edme : 16. SAINT-PAULIEN : 452. SAINT-EXUPÉRY (S. de) : 200. Saint-Germain, ministre de la Guerre : 41. Saint-Hilaire (général) : 197. SAINT-LÉGER (A. de) : 236. SAINT-MARC (P.) : 200. Saint-Martin, philosophe : 281. Saint-Michel, commissaire de la Convention en Corse : 56. SAINT-PAULIEN : 452. SAINTOYANT : 199. Saint-Rejeant, chouan : 136, 137, 151. Saint-Simon : 282. Saint-Simon (duc de) : 320. Saint-Vallier : 413. SAINT-YVES : 101, 127, 322. SAITTA (A.) : 90. Saladin, économiste : 207, 399. Salgues : 237. Salicetti, commissaire du Directoire : 35, 39, 49, 51, 55, 56, 57, 59, 63, 65, 66, 68. 74, 80, 231. Salleron, tanneur : 271. Salm (Constance de) : 297. SANCHEZ DIANA : 350. SANGNIER (G.) : 113. San Martin : 404. Santini : 445, 452. Sardou : 450. Sari : 438. SARRAILH (J.) : 350. Sarramon : 406. Sarrazin (général) : 197. Sarrette, directeur du Conservatoire . 292. Sarrin (vicomte), commandant des forces françaises en Corse : 49. SASKI : 361. SASSENAY (Cl. de) : 406. SAÜL (N.) : 201. Saulnier, secrétaire général de la Préfecture de police : 422. SAUNIER : 297. SAUNIER : 91. Saussay. préfet du Mont-Blanc: 113. SAUVEL (T.): 127, 407. SAUZET (A.) : 101. SAUZEY : 197, 405. SAVANT (J.) : 15, 88, 89, 127, 128, 203, 238, 255, 256, 322, 324, 452. SAVATIER (R.) : 175. Savary : 88, 100, 169, 173, 176, 313, 314, 320, 321, 322, 353, 362, 383, 410, 412, 422, 438, 451. SAVINE (A.) : 349. Savoye-Rollin, membre du Tribunat : 166. Saxe-Weimar (duc de): 191, 194, 201. Say (J.-B.) : 121, 159, 272, 375, 385. SAZERAC DE FORGE (H.) : 257. Scey (comte de) : 262. SCHALK DE LA FAVERIE : 384. Scharnhorst : 406. Scheltens : 438. Scherer, commandant de l'armée d'Italie : 79, 80. Schill (major) : 356. Schilling : 300. Schinderhannes, brigand : 223. Schlegel : 296, 300, 362. SCHMIDT (Ch.): 201, 238, 323, 384, 385. SCHNEIDER (M.) : 154. SCHNEIDER (R.) : 297, 298. SCHOELL : 438. SCHOENBERG : 450. SCHOMMER: 297. SCHOPENHAUER : 152. Schubert : 291. SCHUERMAN : 15. Schulmeister, espion : 152, 204. SCHUMANN (Maurice): 174, 176,441. Schumann (Robert) : 450. Schwarzenberg : 398, 405, 415, 416, 417, 423. Schwarzfuchs (S.) : 155. SCIOUT (L.) : 113. Scott (Walter) : 14. Sébastiani: 25, 179, 193, 201. SECO-SERRANO: 349. SECRETAN : 88. SÉDILLOT (R.) : 45, 128. SÉE (H.) : 113, 273. SEELY : 15. Seghers, fabricant de toiles cirées: 271. Ségur (Louis-Philippe de) : 203. Ségur (vicomte): 176, 333. Ségur (Philippe-Paul de) : 394, 405, 407. Semallé, agent royaliste: 417, 422. Semonville : 413, 424. Senancour : 15, 281, 296. Senarmont (général) : 401. SENKOWSKA-GLUCK : 237, 238, 333, 334. SERIEYX : 439. SERMET (J.) : 274. Sers : 438. Sérurier : 80, 88, 120. Séruzier : 361, 405. SERVAL : 422. SERVIÈRES (G.) : 383. Serviez, préfet des Basses-Pyrénées : 113. Sèze (duc de) : 440. Shakespeare : 280. Shée, préfet du Bas-Rhin : 123. Sheridan : 148. SIBORNE 439. SIDNEY (G.) : 450. SIEBURG (F.) : 438. Siéyès : 13, 18, 19, 21, 22, 23, 24, 27, 28, 29, 31, 99, 106, 115, 116, 117, 118, 120, 121, 158, 159, 279. SILBERT : 350. SILVESTRE : 452. SILVESTRE DE SACY : 299. Siméon : 162, 224. SIMIOT (B.) : 46. Simon, adjoint de Bernadotte : 160. Simons, fournisseur de bois : 31, 256. SIMONS (K.) : 298. SISMONDI : 247, 272, 438. SIX : 16, 199, 202. Smith (Sidney, commodore) : 98. Smith (N.) : 453. SOBOUL (Albert) : 15, 71, 88, 113, 238, 255, 273, 275. SOLOVIEFF (G.) : 295. Soltyck : 405. Sonnini : 272. SOREL (Albert) : 15, 90, 154, 199, 202, 408, 439. SOUBIRAN (A.) : 201. Souham (général) : 419, 423. SOULAJON (L.) : 333. SOULET : 127. Soulier, commandant de la caserne Popincourt : 410. Soult (maréchal): 184, 185, 190, 200, 284, 334, 345, 349, 356, 402, 404, 405, 416, 417, 429, 441. Spada : 232. SPALLEL (F.) : 256. SPENGLER : 439. SPILLMAN (G.) : 101. Spina (archevêque de Corinthe) : 139, 140. SPIVAK (M.) : 199, 404, 406. Spontini, compositeur : 291, 294. Sprünglin : 404. Stadion : 342, 353, 355, 362. Staël (Mme de): 121, 158, 159, 277, 281, 282, 295, 296, 300, 362, 448. Stamitz : 292. Staps (Frédéric), étudiant : 359, 361. STEENACKERS : 423. Stendhal: 15, 35, 51, 167, 205, 219, 233, 236, 254, 255, 281, 289, 291, 292, 296, 314, 322, 413, 452. STENGER (G.) : 255, 438. STERN (J.) : 31, 256, 299. Stockoë, médecin : 446, 452. Stofflet : 131. STOURM : 128. STRAUBE : 405. Stuart : 204. Sturmer, commissaire autrichien : 452. SUARÈS : 15. Suchet (maréchal): 66, 144, 349, 401, 402, 404, 405, 434. Suckow : 405. Sue (Eugène) : 233, 449. Suissa : 127. Sulkowski, 88, 97. SUMMERSCALE (Pauline) : 323. SUPPÉ : 300. SURATTEAU : 90, 91, 113, 238. Surcouf : 403. Suremain : 404. Surugues : 405. SUSSEL : 15. SUVÉE : 286. Suzannet, chouan : 135, 432. SWETT : 362. SZRAMKIEWICZ (R.) : 16, 128, 256. T TACEL : 153. Tacite : 295. TAINE (H.) : 14, 125, 258, 450. Talhouet (Mme de) : 166, 328. Talleyrand : 20, 24, 25, 30, 31, 63, 95, 100, 101, 115, 116, 118, 123, 128, 132, 137, 139, 140, 157, 162, 169, 173, 175, 176, 180, 185, 188, 189, 199, 202, 203, 211, 303, 304, 313, 321, 335, 340, 343, 344, 346, 349, 351, 353, 361, 387, 390, 410, 417, 418, 421, 422, 424, 427, 431, 437, 438. 439, 441, 451, 456 Tallien (Mme) : 324. Talma : 296. TAPIE: 296. TARLÉ : 15, 203, 213, 275, 405. TARTARY (M.) : 15, 298. Tascher (Maurice de) : 228, 342, 349, 405. TATISCHFFF : 201. Taunay, peintre : 286. Tchaikowski : 450. Teil (baron du), commandant de l'école d'artillerie : 43, 201. TEIL (J. du): 46, 71. Terminaux, manufacturier : 274. Ternaux, filateur : 243, 268, 271, 274. TERNOIS (D.) : 297. Terraine : 200. TERSEN : 15. TESSONNEAU : 323. Texier-Olivier, préfet des Basses-Alpes : 123. Theis : 297. Thémistocle : 444. Thénard : 293. THEPOT (A.) : 274. THÉRY (J.) : 452. Thiard : 239. Thibaudeau : 14, 88, 107, 122, 126, 269, 313, 321, 322, 379, 383, 433, 438, 440. Thiébault : 30, 88, 151, 199, 349, 356. Thiers : 14, 15, 107, 171, 295, 455. THIRY (Jean) : 15, 30, 45, 58, 88, 99, 100, 126, 127, 152, 200, 201, 322, 350, 405, 406, 422, 423, 438, 439. THIRY (J. L.) : 127. THOMAZI : 200. Thomire, fabricant de bronzes : 271, 289, 299. THOMPSON : 15. THOUMAS : 200. Thugut (chancelier) : 143. THUILLIER (G.) : 127, 128, 129, 259, 273, 274, 276, 323, 385. Thuriot, substitut : 440. Thurman : 100, 151. THUROT : 255, 273. Tilly (Alexandre de) : 68, 438. TINTHOUIN (R.) : 274. Tiolier : 299. Tippo-Sahib : 95, 100, 101. TISSIER (A.) : 296. Titien : 286, 441. Tocqueville : 28, 84, 112, 160, 259. Todisco (U.) : 16, 322. Tolstoï : 393, 450. TOMICHE (N.) : 59. Tonneins, manufacturier : 263. Topino-Lebrun, peintre : 136. TORENO (comte de) : 350. Torlat, avoué : 225. TORTEL: 100. TOUCHARD (J.) : 452. Tournebut : 152. TOURNERIE : 128. TOURNÉES : 405. Tournon, préfet du Trasimène : 232. Tournon (comte Camille de) : 406. TOURTIER (Ch. de) : 16, 88, 200. Tourton, banquier : 378. TOUSSAINT (H.) : 298. Toussaint-Louverture : 179, 199. TOUTAIN : 275. TRAMOND : 200. Trefcon, colonel : 438. Treilhard (fils) : 254, 314. TRENARD : 237, 350. Trial, compositeur : 292. TRIOMPHE : 88. TRIPIER-LEFRANC : 297. Tronchet: 167. Troude : 200. TROUSSIER : 438. TROUVÉ (baron) : 127. Truguet : 55, 59. Trumeau, épicier : 259. TUDESQ : 452. TUETEY : 15, 88, 198. TULARD (H.): 174. TULARD (J.) : 15, 16, 30, 44, 58, 71, 72, 89, 113, 126, 127, 128, 129, 152, 173, 175, 198, 199, 202, 205, 237, 238, 255, 259, 296, 322, 332, 333, 334, 361, 384, 405, 422, 438, 451, 453. Tupinier: 199. Turc (Nicolas) : 100. Turenne : 331. TURQUAN (J.): 322. U Underwood : 422. UNGER : 405. Urquijo: 341. USSEL (J. d'): 406. Uxkull (Boris) : 393, 405. V Vachée : 201. VACHER DE LAPOUGE : 258. VACQUIER : 298. Vafflard, peintre : 287. VAISSE (P.) : 298. VAJDA (OU WAJDA) : 450. Valenciennes, peintre : 286. VALANTE (A.) : 406. VALENTIN : 406. Valhubert (général) : 197. VALLÉE (G.) : 202. VALLONTON : 214. VALYNSEELE (J.): 45, 321, 324, 332, 334. VANDAL (A.) : 30, 194, 201, 405. Vandamme (général) : 398, 434, 435. VANEL (J.) : 322, 439. Vanlerberghe, financier : 150, 27I. VAN LOBEN SELS : 439. VAN THIEGEM (P.) : 298. VAN VLIJMEN : 405. Vasco, écrivain : 38. VASSON : 453. Vaublanc, préfet : 123, 126, 315, 321. Vaudoncourt : 404. Vaudoyer, architecte : 287. VAULABELLE : 438. VAUQUELIN, pharmacien : 293. VAUTHIER (G.) : 256, 296, 322, 323. Vaux, gouverneur de la Corse : 39. VAUX DE FOLETIER : 324. Vaxelaire : 100. VEAUCE (E. de): 454. Vélasquez: 286. Vedel : 239. VENDRYÉS : 100. VERANG (F.) : 72. VERBRAEKEN : 298. VERDOT : 333. Vergnes, préfet de la Haute-Saône : 113. VERHEGEEN (P.) : 237. Verling, médecin : 452. Verminac, préfet du Rhône : 113. Verneilh-Puiraseau, préfet de la Corrèze : 122. Vernet, peintre : 198. Vernet (Carle) : 286. VERNILLAT (F.) : 299. Véron : 255. Véronèse : 441. VERSINI (X.):45. Vertray: 100. Vestries, danseur : 292. VEUCLIN : 255. Veyrat, inspecteur de police : 152, 449. VIALLES : 126. VIARD (P.) : 127, 202, 257, 385. VlATTE (A.) : 296. Victor : 66, 71, 88, 151, 179. 402. VIDAL DE LA BLACHE : 200, 405, 423. VIDALENC : 152, 174, 202, 237, 256, 260, 273, 274, 384, 423, 438. Vidocq : 255. VIDOR (King) : 450. Vien, peintre : 121. Viennet : 438. VIENNET (A.): 273. VIENNET (O.) : 237, 384. Vigier (de) : 200. Vigier (Philippe) : 453. Vignali : 452. Vignon, architecte : 287. Vigny (Alfred de) : 286, 295, 425, 449. Vigo-Roussillon : 349. VIGO-ROUSSILLHON : 439. VILAR (P.): 349, 350. Villard (marquis de), insurgé royaliste : 134. Villaret-Joyeuse (amiral) : 403. Villaret, évêque d'Amiens : 153. VILLAT (Louis) : 14, 16, 45, 90, 237, 323. VILLATTE DES PRUGNES : 405. VILLEFOSSE (L. de) : 152, 174. Villèle : 410, 422. Villemain : 296, 390, 404. Villemarest, collaborateur de Talleyrand : 16, 128. Villiers du Terrage : 100. Villenave : 297. Villeneuve : 182, 183. Villeneuve-Bargemont, préfet : 424. VILLEPELET (J.): 153. VILLIERS DU TERRAGE: 199. VILSON-LYON (E.) : 199. Vimar, sénateur : 121. Vincent (baron) : 345, 422. Vincent-Marnolia : 254. VIOLET-LE-DUC (G.) : 295. VION (A.) : 237, 274. Virey, médecin : 238. Virgile : 280. VITRAC : 126. Vitrolles, agent royaliste: 417, 422, 438. VITTE: 256. VIVENT (J.) : 89, 203. VIVES (V.) : 352. VIVIEN : 129. VOCCARINO (G.) : 90. Volney : 18, 51, 58. 95, 121, 280, 297. Voltaire : 43, 61, 278, 398. VON OLLECH : 439. VON SBRIK (H.) : 408. VOVARD (A.) : 423. VOVELLE: 7I, 260. Vox (M.) : 15. VUEFLART (A.) : 295. W Wagner : 176, 299. Wagré : 204. WAHL (R.) : 298. Walewska (Marie): 308, 451. WALISZEWSKI : 214. WALLER : 439. WALLON (H.) : 71. Walpole : 283. Wals-Serrant, président du collège électoral du Finistère : 331. WALSH : 450. WALTER (Gérard): 451. WAQUET (J.) : 127, 202, 423. Warden : 452. WARMONT (R.) : 323. Washington : 157. Watier : 332. WATSON (J. S.) : 200. Weber : 291, 300. WEBSTER (Cl.) : 404, 408, 439. Weenix : 286. WEIDER : 453. WEIL (H.) : 406, 439. WELLER (J.) : 350, 406. Welles (Orson). Wellington : 342, 357, 401, 402, 404, 406, 416, 434, 435, 438, 439, 441, 450. WELSCHINGER (H.): 26, 153, 174, 175, 300,351,369. WELWERT (E.) : 437. Wendel, industriel : 246, 268. WENZLER : 450. Werl rouck, maire d'Anvers : 313, 323. WERDET : 279. WHITCOMB : 239. Whitworth, ambassadeur anglais : 168, 178. Wicar, peintre : 285, 298. Wickam : 137. WIET : 100. WILDENSTEIN (D.) : 297. WILDENSTEIN (G.) : 297, 298. Willaumez : 444. WILSON : 100, 296, 323. Wilson : 404. Winckelmann : 284. WINET (P. A.) : 203. WIRTH (L.) : 361. Wittgenstein : 396. WITTMER (L.) : 362. WOHLFEIL (R.) : 405. WOLFF (P.) : 237. WOLOCH (I.) : 31. Woodberry : 438. Wordsworth : 300. WORONOFF (D.) : 88, 90, 113, 114, 273, 274. Wrede : 399. Würmser (général) : 82. Wurtemberg (électeur de) : 185, 186, 187, 312. Y Yarmouth (Lord): 187. YMBERT: 253. YORCK DE WARTENBOURG: 201. York (duc d'): 178, 395, 406. Yorke, voyageur anglais : 152. Young (Arthur) : 262. Young (W.) : 438. Z ZAGHI : 16, 238. ZAJEWSKI (W.): 238. Zeller : 452. Zelles : 452. Zielten : 435. ZIESENISS (Charles) : 298, 322. ZIESENISS (Christian) : 200. ZIVY (H.) : 88, 89. Zix : 198. Zurlo, ministre de l'Intérieur en Italie: 231. ZWEIG (S.) : 322. ADDENDA pour l'édition de 1987 Page 30 BERTAUD, Bonaparte prend le pouvoir (1987). Page 101 MILLELIRI, « Le service de santé de l'armée d'Égypte », Revue de l'Institut Napoléon. LAURENS (Henry), Les Origines intellectuelles de l'expédition d'Égypte ( 1987). Page 102 On lira aussi la biographie de Lanusse par J.-F. MASSIE (1986), qui a aussi consacré un autre ouvrage à son frère, général baron de l'Empire. Page 127 LENTZ et IMHOFF, La Moselle et Napoléon (1986). Page 153 GREGUT, Duwalk(1986). Page 155 Sur le Temple, cf. Valentin ÉRIGÈNE, Napoléon et les sociétés secrètes (1986). Page 174 L'ouvrage de Paul LOMBARD, Par le Sang d'un prince (1986) est plutôt un réquisitoire contre Napoléon. Page 198 Sur les collections du musée de l'Armée, voir Paul WILLING, Napoléon et ses soldats ( 1986). Page 203 Michel PONIATOWSKI, Talleyrand et le Consulat (1986). Remarquable. Page 204 Sur les trains, le général Villaume a dressé un précieux Dictionnaire de ses officiers (1987). Page 205 Jacques JOURQUIN, Dictionnaire des Maréchaux du Premier Empire (1986). Il reste à réhabiliter peut-être la marine impériale. Dans le Dictionnaire Napoléon, l'amiral Dupont donne un tableau complet de toutes les campagnes navales qui ne furent pas systématiquement des échecs. On lui doit aussi une biographie exemplaire, L'Amiral Willaumez (1987). Page 296 L'ouvrage d'Ed. HERRIOT est à réviser avec Françoise WAGENER, Mme Récamier ( 1987). Page 298 P. GRUNCHEC donne la liste des prix de Rome dans le catalogue de l'exposition des Beaux-Arts (1986). Le Journal de Fontaine a été publié par B. FOUCART en 1987. Un colloque a eu lieu en Sorbonne en 1987 sur Brongniart. Page 322 Sur Pauline Bonaparte: SPINOSA, Pauline Borghèse (1986) ; MARTINEAU, Pauline Bonaparte ( 1986) ; BLOND, Pauline Bonaparte (1986). Page 352 Sur l'envoi de contingents particuliers en Espagne, BUTTNER, Les Compagnies de réserve des départements, thèse (1987). Page 451 F BEAUCOUR, Les Projets d'évasion (1987), ronéotypé. Page 452 Sur le retour des Cendres, lire aussi l'étude de J. TULARD dans Les Lieux de Mémoire, t. II (1986).