CHAPITRE I Vive les vacances ! « J’AIME le début des grandes vacances, dit François. On a l’impression qu’elles ne finiront jamais… — Oui, et pourtant elles passent si vite ! soupira Annie. — Ouah ! fit une grosse voix. — Dagobert t’approuve, Annie », dit Claude en caressant le gros chien couché auprès d’eux. François, Mick et Annie Gauthier jouaient avec leur cousine Claude Dorsel, dans un grand jardin ensoleillé. C’était leur troisième jour de liberté. D’ordinaire, ils passaient leurs vacances à Kernach, dans la maison familiale de Claude. Mais cette fois, pour changer, ils se retrouvaient tous à Grenoble. Les parents des jeunes Gauthier y possédaient une villa où ils venaient se reposer pendant les vacances. De cette villa, située loin du centre, à flanc de coteau, on avait une vue splendide sur les montagnes. François, un grand garçon robuste, avec un visage ouvert, était l’aîné des quatre. Mick et Claude venaient ensuite. Claude ressemblait plus à un garçon bouclé qu’à une fille. Annie était la plus jeune. Elle prit la parole : « Papa m’a demandé ce matin si nous nous plaisions ici et si nous aimerions y rester pendant toutes les vacances. Pour ma part, je m’y trouve bien. Et vous ? — Peut-être pourrions-nous faire un petit tour ailleurs pendant une quinzaine de jours, avança Mick. Histoire de nous changer les idées ! — Claude aimerait peut-être que nous allions passer quelque temps à Kernach ? dit François. — Non, répondit Claude aussitôt. Maman m’a prévenue que papa commençait l’une de ses expériences… Vous savez ce que ça signifie ! Si nous allons chez moi, il faudra éviter de nous trouver sur son chemin, marcher sur la pointe des pieds et parler à voix basse… — Ce n’est pas drôle pour toi d’être la fille d’un savant, remarqua Mick en s’étirant. Bien sûr, ta mère ne peut pas nous accueillir chez elle quand ton père est en train de faire ses expériences… Il lui faut du calme ! — J’aime bien mon oncle Henri, mais j’ai peur de lui quand il est en colère, dit Annie. Il crie si fort ! — Donc, nous n’irons pas à Kernach cet été, conclut François. Qu’allons-nous faire, alors ? Bien sûr, c’est agréable ici, et nous avons un grand choix d’excursions tout autour de Grenoble, mais, je ne sais pourquoi, j’aimerais bien partir un peu… à l’aventure… » Claude soupira. Elle aussi pensait de même. Fatigués par la chaleur, ils s’étendirent dans l’herbe, à l’ombre d’un cerisier. Quel chaud après-midi ! Ils ne se sentaient plus le courage de bouger. Ils regardaient les belles montagnes des alentours, et pensaient à l’air vif, à la fraîcheur qu’on y trouvait. Mais c’était loin… « Assez, Dago ! dit Annie au chien qui haletait et tirait la langue. On dirait que tu as couru pendant des heures. Tu me donnes encore plus chaud ! » Le chien posa une patte amicale sur l’estomac d’Annie qui poussa un petit cri. « Dagobert, as-tu fini tes plaisanteries ? — Si nous pouvions aller loin, au-delà des montagnes que nous voyons ! » soupira Claude, pensive. Elle mordillait un brin d’herbe. « Vous souvenez-vous comme nous nous sommes bien amusés quand nous étions seuls sur l’île de Kernach, par exemple ? Ne pourrions-nous pas partir ensemble et camper dans la montagne ? — Mais où ? demanda Mick. Et comment ? Nous n’avons pas l’âge de conduire une voiture… C’est dommage d’ailleurs, car je suis sûr que nous aurions vite fait d’apprendre. Reste la bicyclette. Mais ce ne serait pas drôle, il y aurait trop de côtes et Annie ne suivrait pas bien… — J’aimerais partir à cheval, dit Claude. Seulement voilà, nous n’avons pas de chevaux ! — Tu oublies Nestor, qui est en train de paître là-bas, dans la prairie, protesta Mick. Il est à nous ! C’est sur son dos que nous avons appris à monter à cheval. Nous ne l’utilisons plus guère, maintenant, alors, il se repose. — Un cheval ne pourrait pas nous porter tous les quatre », objecta Claude. Il y eut un silence. Chacun se mit à songer à la façon d’employer au mieux les vacances. Pendant ce temps, Dagobert attrapait les mouches au vol. « Que diriez-vous d’une promenade à pied ? » proposa François après un moment de réflexion. Un concert de grognements lui répondit. « Quoi ! Par cette chaleur ? Tu es fou ! — Ce ne serait pas drôle de marcher longtemps sous le soleil. Et puis, il est trop tard pour faire une excursion intéressante… — Eh bien, essayez de trouver une meilleure idée, répliqua François. — Puisque nous ne pouvons pas aller au bord de la mer, dit Annie, j’aimerais bien passer quelques jours auprès d’un lac, pour m’y baigner. — Moi aussi ! » approuva Mick. Mais ce n’était pas une question facile à régler. Ils ne voulaient pas aller dans un hôtel ni louer une chambre chez des particuliers dont il ne faudrait pas déranger les habitudes. Ils ne voulaient pas non plus marcher ou pédaler sous le chaud soleil de juillet. « Je crois qu’il faudra que nous restions ici pendant toutes les vacances, dit François. Dans ce cas, je vais commencer par m’offrir une petite sieste. » Cinq minutes plus tard, ils dormaient tous, excepté Dagobert. Quand les enfants dormaient ainsi, le bon chien se croyait obligé de monter la garde. Il s’installa auprès de Claude, et surveilla consciencieusement les alentours. Il tirait encore la langue et haletait, mais personne ne l’entendait plus. Du jardin, à flanc de coteau, Dagobert voyait la route qui passait devant la maison. Elle n’était pas très fréquentée. Un chien aboya au loin. Les oreilles de Dagobert pointèrent aussitôt dans cette direction. Des gens passèrent. Il les suivit du regard, en flairant leur odeur. Rien ne lui échappait, pas même la manœuvre du rouge-gorge qui fonçait sur une chenille accrochée à un buisson. Puis quelque chose s’avança sur la route, quelque chose qui intrigua tant Dagobert qu’il en tremblait d’émoi, en flairant les étranges odeurs qui lui parvenaient. Des voitures, des roulottes et des camions défilaient devant lui, très lentement dans un roulement sourd. Mais qu’était-ce donc que cette grosse masse grise qui avançait en tête ? Il s’agissait d’un éléphant ; Dagobert n’en avait encore jamais vu. L’odeur de cette bête inconnue ne lui plut pas. Il reconnut celle des singes dans leurs cages ; il entendit les aboiements des chiens savants et leur répondit, sur la défensive : « Ouah ! Ouah ! Ouah ! » La grosse voix de Dagobert éveilla aussitôt les quatre enfants. « Tais-toi, Dagobert, dit Claude, mécontente. Pourquoi fais-tu tant de bruit quand nous dormons ? — Ouah ! » répéta Dagobert avec obstination, en posant sa patte sur le bras de Claude, comme pour lui dire : « Mais regarde donc ! Est-ce que cela ne vaut pas la peine d’être signalé ? » Quand elle eut vu de quoi il s’agissait, elle appela aussitôt les autres : « François ! Mick ! Annie ! Il y a un cirque qui passe ! » Tous trois s’assirent et se frottèrent les yeux. Un fauve rugit. Comme elle était mal éveillée, Annie sursauta. Puis elle vit l’éléphant majestueux qui déjà s’éloignait sur la route, semblant conduire tout le cirque. Il tirait une caravane. Les enfants se levèrent tous d’un bond et se mirent à courir jusqu’à la grille du jardin. Ils regardèrent avec intérêt défiler les roulottes, peintes de couleurs voyantes, tirées par des chevaux. « J’aimerais bien faire partie d’un cirque ambulant, dit Claude. Voilà le genre de vie qui me conviendrait le mieux ! — Tu serais une belle recrue pour le cirque, lança Mick, taquin. Tu ne sais même pas faire la roue ! — Comment fait-on la roue ? demanda Annie, — Regarde ce garçon là-bas, et tu le sauras, » répondit Mick. Il désignait un garçon qui tournait comme une roue de voiture, en s’appuyant successivement sur les mains et sur les pieds. Cela semblait facile : pourtant Mick savait très bien qu’il s’agissait là d’un exercice qui demande une grande souplesse et de l’entraînement. Quand il s’arrêta, le jeune acrobate aperçut les enfants derrière leur grille, et, sans hésiter, s’approcha d’eux. Aussitôt, deux fox-terriers vifs comme l’éclair se précipitèrent derrière lui. Dagobert gronda. Claude le fit taire. « N’approche pas trop près ! Prends garde à mon chien ! » cria Claude au jeune acrobate. Celui-ci était assez laid, avec un teint cuivré et des cheveux noirs en broussaille. Il sourit et dit d’un air enjoué : « Sois tranquille, je ne laisserai pas mes chiens dévorer le tien ! — Tes chiens, dévorer Dagobert ? » se récria Claude. Puis elle éclata de rire. Le jeune garçon fit claquer ses doigts. Aussitôt, les deux fox-terriers se levèrent sur leurs pattes de derrière et se mirent à marcher à petits pas mesurés, fort comiques. « Ce sont des chiens savants ! s’exclama Annie. Sont-ils à toi ? — Oui, tous les deux, répondit le garçon fièrement. Celui-ci s’appelle Flic, et celui-là Flac ! — Ouah ! » fit Dagobert, visiblement indigné de voir des chiens marcher comme des hommes. Pourquoi ne se servaient-ils pas de leurs quatre pattes, comme tout chien de bonne tenue ? « Où donnez-vous votre prochaine représentation ? demanda Claude avec intérêt. Nous aimerions y aller ! — Pour le moment, on est en vacances, dit le jeune saltimbanque. Dans la montagne, on connaît un coin où il y a un lac. Il s’appelle le lac Vert, à cause de la couleur de l’eau. C’est joli ! Comme il n’y a personne là-bas, on nous a donné l’autorisation d’y camper avec nos animaux. — Quelle est ta roulotte ? demanda François. — C’est celle qui vient », répondit le garçon. Il montrait du doigt une roulotte peinte en bleu et rouge avec des roues jaunes. L’ensemble était singulièrement criard. « Je vis là-dedans avec mon oncle, qui est le meilleur clown du cirque, poursuivit le jeune garçon. C’est lui qui conduit le cheval ! » Les enfants dévisagèrent le clown ; jamais de leur vie ils n’avaient vu quelqu’un qui ressemblât moins à un clown ! Son air triste et maussade les surprit. Il fronçait les sourcils en mâchonnant une vieille pipe. Sans un regard pour les enfants, il appela son neveu d’une voix sèche : « Pancho ! rentre dans la voiture et fais-moi une tasse de café ! » L’interpellé fit un clin d’œil malicieux aux enfants et sauta dans la voiture sans protester. De toute évidence, il était habitué à obéir ! Bientôt sa tête brune s’encadra dans la fenêtre de la roulotte, qui s’éloignait sur la route. « Au revoir ! Peut-être qu’on se reverra ! » cria Pancho, en souriant de toutes ses dents blanches. « Au revoir ! » répondirent les enfants, qui regrettaient de se séparer déjà d’un si joyeux compagnon. La roulotte disparut, emportant le clown triste et le jeune garçon insouciant. D’autres voitures défilèrent. Il s’agissait là d’un grand cirque. Les enfants virent passer un chimpanzé endormi dans le coin d’une cage, une douzaine de chevaux racés au pelage brillant, deux grands camions qui transportaient des bancs, des chaises, des bâches, et tout un matériel hétéroclite, puis des roulottes occupées par des personnages pittoresques ; certains marchaient près des voitures pour se dégourdir les jambes. Quand, ce fut fini, les enfants retournèrent lentement sous le cerisier au feuillage épais. Ils s’assirent, pensifs, et, tout à coup, Claude lança d’une voix vibrante : « Je sais ce que nous devons faire pour passer de merveilleuses vacances ! Nous allons louer une roulotte et partir avec dans les montagnes ! Ça, c’est une bonne idée, non ? » CHAPITRE II Le Club des Cinq fait des projets LES AUTRES regardèrent Claude avec surprise. Elle devint toute rouge. « Oui, c’est une bonne idée ! s’écria Mick transporté. — Oh ! Oui ! Une roulotte pour nous tout seuls ! Ce serait trop beau ! dit Annie, dont les yeux brillaient de joie à cette pensée. — Pourquoi pas ? dit François en souriant. Ce serait intéressant d’aller à la découverte en roulotte… Où donc est ce lac Vert ? Je n’en ai pas encore entendu parler. Il est vrai qu’il y a tant de lacs dans la région ! J’aimerais le trouver. Nous pourrions faire connaissance avec les gens du cirque. » Claude se frottait les mains. Elle jubilait. « Voilà un bon programme de vacances ! dit-elle. Ce garçon qu’on appelle Pancho me plaît. Il est sympathique. — Oui, c’est vrai, approuvèrent les autres. — Mais je n’aime pas son oncle, ajouta Mick. Il a l’air désagréable, et puis il semble bien sévère pour Pancho. — Croyez-vous que nos parents nous donneront la permission d’aller camper en roulotte ? demanda Annie. — Nous pouvons toujours leur en parler, répondit François. Je ne crois pas qu’ils refuseront. Je suis assez grand pour veiller sur vous. — Peuh ! fit Claude. Je n’ai pas besoin qu’on veille sur moi. D’ailleurs, personne ne peut le faire mieux que Dagobert ! Je parie que les grandes personnes seraient enchantées d’être débarrassées de nous pendant une semaine ou deux. Elles pensent que les vacances d’été sont trop longues. — Nous prendrions Nestor, notre cheval, pour tirer la roulotte, proposa Annie. Regardez-le, là-bas ! Je crois qu’il s’ennuie, tout seul dans son pré. De temps en temps, bien sûr, on le fait travailler, mais ce n’est pas gai… — Oui, nous pourrions l’emmener, dit Mick. Mais comment ferions-nous pour nous procurer la roulotte ? Est-ce que cela se loue ? — Je le crois, déclara François. Tu te souviens de Philippe, notre camarade de lycée, n’est-ce pas, Mick ? Il va souvent camper avec ses parents pendant les vacances. Ils louent une roulotte, à ce qu’il paraît. Je pourrais savoir par lui comment ils s’y prennent. — Papa le saura, dit Annie. Ou bien maman… J’aimerais une grande roulotte rouge, avec des fenêtres de chaque côté et une porte derrière, des marches pour entrer dedans… » Les autres l’interrompirent en donnant leurs propres préférences, et bientôt ils furent si absorbés par leur discussion qu’ils n’entendirent pas quelqu’un s’approcher d’eux… « Ouah ! » fit Dagobert d’un ton poli. Les enfants, étonnés, levèrent les yeux. « C’est toi, maman ? demanda François. Tu arrives bien. Nous voulions te faire part d’une idée qui nous est venue. » La maman s’assit, souriante. « Qu’est-ce donc ? demanda-t-elle. — Voilà, dit Annie avant qu’un autre ait pu prendre la parole. Nous aimerions partir dans une roulotte pour faire un petit voyage. Ce serait si drôle ! Oh ! maman ! Ne dis pas non ! — Tout seuls ? demanda la maman, sans enthousiasme. — François veillera sur nous, avança Annie, prudemment. — Dagobert aussi, ajouta Claude. — Ouah ! » fit le chien. Bien sûr qu’il pouvait veiller sur eux ! Ne le faisait-il pas depuis des années ? Ne partageait-il pas toutes leurs aventures ? « Je dois en parler avec votre père, dit Mme Gauthier. Ne prenez pas cet air déçu ! Je ne peux pas décider de cela toute seule, sur-le-champ… Votre père doit se rendre bientôt à Paris, et il souhaite que je l’accompagne. Donc, votre idée a des chances de lui plaire. Je vais lui en parler ce soir. — Nous emmènerions Nestor pour tirer la roulotte, maman ! s’écria Mick avec animation. Tu ne crois pas qu’il en serait ravi ? Il a une vie si monotone, à présent ! — Nous verrons, nous verrons, répondit Mme Gauthier. Maintenant, il est l’heure du goûter. Venez tous. Annie, qu’as-tu fait pour être si décoiffée ? On dirait que tu as marché sur la tête ! » Claude, François, Mick et Annie coururent se laver les mains, tout joyeux. La maman n’avait pas dit non ! Elle pensait même que leur projet pouvait réussir. Partir en roulotte dans la montagne, faire la cuisine à leur fantaisie, emmener Nestor, le brave cheval, et Dagobert aussi, bien entendu ! Ne serait-ce pas merveilleux ? Ce soir-là, malheureusement, M. Gauthier rentra fort tard. Les enfants l’attendirent longtemps ; ils voulaient savoir s’ils pourraient ou non partir. Finalement, ils durent se résigner à aller se coucher sans l’avoir vu. Le lendemain matin leur réservait de bonnes nouvelles. Ils descendirent tous à huit heures pour prendre le petit déjeuner avec M. et Mme Gauthier, ce qui n’était pas le cas tous les jours. François regarda sa mère d’un œil interrogateur. Elle lui sourit. « J’ai parlé à ton père, annonça-t-elle. À son avis, ce serait excellent pour vous de vous débrouiller tout seuls. Mais il vous faut deux roulottes ; vous ne pouvez pas vivre à quatre, plus Dagobert, dans une seule. Vous y seriez trop à l’étroit. — Mais, maman, nous n’avons qu’un cheval ! objecta Annie. — Nous en trouverons bien un autre, assura François. Merci beaucoup, papa. Nous sommes contents que tu acceptes de nous laisser partir seuls. — Quand partons-nous ? Demain ? demanda impétueusement Claude. — Ne sois pas si pressée, lui répondit François en riant. Il faut d’abord nous procurer deux roulottes, un autre cheval et préparer toutes nos affaires… — Vous partirez la semaine prochaine, en même temps que nous, décida M. Gauthier. J’emmènerai votre mère à Paris. Ce sera très bien ainsi. La cuisinière ira se reposer dans sa famille. Vous nous enverrez une carte chaque jour pour nous donner de vos nouvelles et nous dire où vous êtes. — Quelle chance que tout s’arrange ! » murmura Annie. Elle voyait déjà, dans son imagination, les deux roulottes, les deux chevaux… Quel plaisir elle aurait à faire la cuisine en plein air ! « Je te rends responsable des autres, François, dit M. Gauthier gravement. Tu es assez grand pour cela. — Oui, papa, répondit François, très fier de la confiance que lui témoignait son père. — Vous autres, vous devrez l’écouter, ajouta M. Gauthier en se tournant vers Mick et les deux fillettes. Il faut que vous compreniez que François est chargé de veiller sur vous et de vous protéger. Faites ce qu’il vous dira ! — Oui, papa. — Et puis, nous avons Dagobert, fit observer Claude. — Ouah ! approuva Dagobert. — Je suis sûr que, sans toi, on ne nous laisserait pas partir seuls, ajouta Mick en caressant le chien. — C’est vrai, dit Mme Gauthier. Sans ce parfait chien de garde, vous ne seriez pas autorisés à partir. Nous savons qu’il vous défendra si c’est nécessaire. » Tout s’annonçait pour le mieux. Dès que le petit déjeuner fut terminé, les enfants allèrent parler de leur projet dans le jardin. « Il faut que nous cherchions le lac Vert sur la carte, déclara François. Nous aurions de la compagnie là-bas, et même une compagnie fameusement intéressante : celle des « Gens du Voyage » ! — Oui, approuva Mick. Nous pourrions nous installer assez loin d’eux pour ne pas les gêner, et assez près pour voir l’éléphant, les chevaux et les chiens savants faire leurs exercices ! — Je voudrais que Pancho devienne notre ami, dit Annie. Je le trouve gentil. Ce n’est pas comme son oncle ! Je ne comprends pas qu’un homme si déplaisant puisse être un bon clown ! — Je me demande comment nous nous procurerons les roulottes, déclara François. Quelle émotion, quand nous les verrons pour la première fois ! — Allons raconter tout cela à Nestor, dit Annie. Il sera sûrement enchanté de partir avec nous ! » CHAPITRE III Voilà les roulottes ! ENFIN vint le jour où les roulottes devaient arriver. Mme Gauthier les avait louées à un marchand forain, propriétaire d’une maison située à quelques kilomètres de là. Cet homme venait d’acheter des camions pour remplacer ses roulottes. Les enfants avaient promis de bien les entretenir et de ne rien abîmer. Maintenant, ils attendaient, debout à la porte du jardin, scrutant la route… « Il paraît qu’elles seront remorquées par des automobiles, dit François. Mais elles sont faites pour être tirées par des chevaux. J’ai hâte de les voir ! — Crois-tu qu’elles seront hautes sur roues comme les roulottes des bohémiens ? » demanda Annie. François secoua la tête. « Non, dit-il. Il paraît qu’elles sont jolies, d’un modèle pas trop ancien. Petites, bien sûr, car un cheval ne pourrait pas tirer une trop grosse voiture… — Les voilà ! cria Claude, ce qui les fit tous sursauter. Regardez ! Est-ce que ce n’est pas ça, au loin, sur la route ? » Ils écarquillèrent tous les yeux. Claude avait la vue perçante. Tout ce que les autres purent distinguer, ce fut un point noir, qui semblait grossir… Mais les yeux de Claude apercevaient déjà deux roulottes, l’une derrière l’autre… « Claude a raison, dit enfin François. Il s’agit bien de nos roulottes. Chacune d’elles est tirée par une petite voiture. — L’une est verte et l’autre est rouge », ajouta Annie. Les enfants coururent au-devant d’elles. En effet, il s’agissait de deux roulottes fort bien entretenues. « J’aime bien le rouge, avoua Annie. Si cela ne vous fait rien, à vous les garçons, Claude et moi nous choisirons la roulotte rouge… — Comme tu voudras, répondit François. Nous prendrons la verte. » Chaque roulotte avait une petite cheminée, des fenêtres de chaque côté, ainsi que devant, près du siège du conducteur. Derrière, une large porte et deux marches. De jolis rideaux voltigeaient aux fenêtres ouvertes. « J’ai hâte de voir comment elles sont à l’intérieur », dit Annie. Elle dut attendre que les roulottes fussent arrivées dans la cour de la maison. Les quatre enfants trottaient derrière, tout joyeux. Annie cria : « Maman ! Maman ! Les roulottes sont arrivées ! » Mme Gauthier sortit en hâte de la maison. Dès que les enfants le purent, ils montèrent dans les roulottes ; ils poussèrent des cris de ravissement : « Des couchettes ! s’exclama Mick — Un petit évier ! Et l’eau coule quand on ouvre les robinets ! constata François. — Il y a un fourneau à gaz butane, dit Claude, mais ce sera plus amusant de faire de la cuisine dehors, sur un feu de camp. Voyez ces casseroles, ces assiettes, ces tasses ! Tout ce qu’il faut ! — On dirait une vraie petite maison, à l’intérieur. C’est ravissant ! s’écria Annie. Oui, c’est tellement bien arrangé qu’on dirait que c’est grand. Maman, est-ce que tu n’aimerais pas venir avec nous ? — Bien sûr, si je le pouvais, répondit Mme Gauthier en riant. Avez-vous remarqué d’où vient l’eau ? D’un réservoir placé sous le toit. Il recueille l’eau de pluie. Et admirez ce petit chauffe-eau ! C’est vraiment bien installé ! » Les enfants passèrent un long moment à examiner les roulottes, à en découvrir tous les secrets. Elles étaient vraiment bien conçues, d’une propreté irréprochable. Claude était si impatiente de partir qu’elle parla d’aller chercher Nestor… « Du calme ! conseilla François. Tu sais bien qu’il nous faut un autre cheval. Nous l’aurons demain ! » Le lendemain, en effet, un voisin devait amener Annibal, un cheval noir, de solide apparence. Les jeunes Gauthier le connaissaient et savaient qu’il était intelligent et vif. Les quatre enfants avaient appris à monter à cheval, et aussi à soigner leur monture. Ils n’éprouveraient donc aucune difficulté à panser et nourrir Nestor et Annibal. Mme Gauthier s’extasiait sur les roulottes, tout autant que les enfants : « Vraiment, si je ne devais pas accompagner votre père à Paris, je serais fort tentée de partir avec vous !… Ne fais pas cette tête-là, Annie, rassure-toi, vous partirez seuls ! — Nous allons faire nos valises et nous nous mettrons en route demain, puisque tout est prêt, déclara François. — Pourquoi des valises ? dit la maman. Vous pouvez mettre directement vos affaires dans les placards. Vous avez seulement besoin de vêtements et de livres, ainsi que de quelques jeux pour vous amuser les jours de pluie. — Nous n’avons pas besoin d’emporter beaucoup de vêtements », commença Claude, qui aurait passé sa vie dans le même short et le même pull-over, si elle l’avait pu. Mais sa tante l’interrompit : « Il faudra prendre des tricots, des chemisettes, des shorts de rechange pour le cas où vous seriez mouillés, des imperméables, des maillots de bain, des serviettes, des sandales et… » Un concert de grognements couvrit sa voix. « Il faut emporter tout ça ? soupira Mick. Nous n’aurons jamais assez de place ! — Mais si ! Il faut que vous puissiez vous changer si vous êtes mouillés, sinon vous attraperez de gros rhumes et vous ne profiterez pas de vos vacances ! — C’est bon, nous allons chercher nos affaires, soupira Mick, résigné. — Je vous aiderai à ranger tout dans les placards. Vous verrez qu’il y a assez de place ! assura Mme Gauthier. — Tu sais, maman, je tiendrai le ménage très proprement, dit Annie. J’aime jouer à la maîtresse de maison. C’est une bonne occasion pour moi. J’aurai deux roulottes à entretenir, toute seule. — Comment, toute seule ! protesta Mme Gauthier. Claude t’aidera, et les garçons aussi ! — Peuh ! fit Annie, dédaigneuse. Les garçons ne savent même pas laver convenablement une assiette, et Claude ne vaut pas mieux ! Si je ne fais pas la vaisselle et les lits, si je ne balaie pas, ça ne sera jamais fait, avec eux ! — Eh bien, c’est une bonne chose qu’il y ait parmi vous une petite personne ordonnée, remarqua sa mère. Mais tu verras, Annie, que les autres feront preuve de bonne volonté. Ils t’aideront. Maintenant allez chercher vos vêtements. Commencez par les imperméables ! » Les placards s’emplirent rapidement de linge et de lainages. François apporta des cartes, un jeu de dames, des dominos et des livres. Il alla chercher aussi des cartes routières des environs, car il voulait étudier le parcours et choisir les meilleures routes possibles. Le soir, M. Gauthier leur donna une petite brochure très utile, contenant la liste des terrains de camping, ainsi que des propriétaires qui autorisaient les campeurs à s’installer sur leurs terres pour la nuit. « Vous devez choisir, autant que possible, un terrain avec un point d’eau quelconque, un ruisseau… N’oubliez pas que les chevaux boivent beaucoup ! dit M. Gauthier. — Surtout, faites bouillir l’eau que vous boirez, ajouta la maman. C’est très important ! Achetez du lait aux fermiers. Et rappelez-vous que vous avez des bouteilles d’eau minérale dans le petit buffet de la seconde roulotte ! — Je n’ose pas croire que nous partons vraiment demain », murmura Annie, rêveuse. Le lendemain matin, de bonne heure, Annibal fut amené par son propriétaire. François alla chercher Nestor, qui broutait dans le pré. Les deux chevaux approchèrent leurs têtes l’une de l’autre et poussèrent des hennissements dont la cordialité ne faisait aucun doute. « Ils ont l’air de sympathiser, constata Mick avec satisfaction. C’est très important ! » Les enfants harnachèrent les chevaux et les attelèrent. Nestor, le cheval gris pommelé, fut attelé à la roulotte verte — celle des garçons — et Annibal, le cheval noir, à la roulotte rouge, celle des filles. Annibal se montra parfaitement calme. Tandis qu’on le harnachait, Nestor secoua sa crinière et tapa du sabot, comme s’il avait hâte de partir. Quant à Dagobert, il s’intéressait grandement à tout ce remue-ménage. Il visita à fond les roulottes, trouva un petit tapis qui lui plut et se coucha dessus. « Si nous partons dans ces drôles de petites maisons sur roues, voilà le coin que je me suis choisi », semblait-il dire. « Ils ont l’air de sympathiser », constata Mick avec satisfaction. » Enfin, François inspecta une dernière fois sa roulotte, puis il s’installa sur le siège du conducteur et donna le signal du départ. « Nous conduirons chacun notre tour, dit-il. Je te passerai les guides plus tard, Mick. Et vous, les filles, comment comptez-vous faire ? — C’est Claude qui conduit, bien entendu ! dit Annie en riant. — Je laisserai Annie conduire de temps en temps, promit Claude. Mais il me semble que ce n’est pas son affaire. Elle est trop timide. Alors, tu démarres, François ? Tiens ! Comment se fait-il qu’il disparaisse juste au moment de nous mettre en route ? — Il a été chercher les gâteaux que la cuisinière nous a préparés ce matin, répondit Mick. Nous avons failli les oublier. C’aurait été dommage. Notre garde-manger est si bien garni que j’ai déjà faim rien que d’y penser ! — Voilà François qui revient. Vite ! Nous allions partir sans toi ! lui cria Annie. Au revoir, maman ! Nous t’enverrons une carte tous les jours, c’est promis ! » François rangea hâtivement ses gâteaux dans la roulotte verte et grimpa sur son siège. « En avant, Nestor ! dit-il. Nous partons ! Au revoir, maman ! — Au revoir, mes enfants, dit Mme Gauthier, un peu émue. Je vous fais confiance ! » La roulotte verte s’ébranla. Les deux garçons se mirent à chanter joyeusement. Claude prit les guides d’Annibal ; le petit cheval noir et râblé se mit en marche derrière la roulotte des garçons. Annie, assise à côté de Claude, faisait de grands gestes d’adieu. « À bientôt, maman ! Nous partons pour une nouvelle aventure ! Hurrah ! Vive le Club des Cinq ! » CHAPITRE IV Le départ LES ROULOTTES s’éloignèrent sur la route. François chantait à tue-tête un air connu et les trois autres reprenaient le refrain en chœur. Dagobert se mit à aboyer, très énervé, lui aussi. Il s’était installé à côté de Claude, qui se trouvait quelque peu à l’étroit, entre Annie et lui. Mais rien ne pouvait déranger Claude par un si beau jour ! Nestor allait calmement, heureux d’être sorti de son pré. Le vent faisait flotter sa crinière. Annibal, qui le savait à courte distance, s’intéressait beaucoup à Dagobert, et tournait la tête vers lui chaque fois que le chien aboyait ou descendait de la roulotte pour aller courir un peu sur la route. Les enfants pensaient : « Comme c’est amusant de voyager avec deux chevaux et un chien ! » Ils se dirigeaient vers le lieu où ils espéraient retrouver le cirque. François avait repéré le lac Vert sur la carte, au pied d’une montagne. Ce lac se trouvait à une bonne distance, pour des roulottes tirées par des chevaux. Il leur faudrait plusieurs jours pour y parvenir, mais le but en valait la peine ! La brochure de M. Gauthier leur permettrait de trouver de bons endroits pour faire étape. Annie pensait avec joie au soir qui allait venir, au moment où, réunis autour d’un feu de camp, ils feraient cuire leur repas… Chaque jour, ils s’éveilleraient dans des paysages nouveaux… Elle était sûre que ce serait les plus belles vacances qu’ils eussent jamais eues… « Nous avons déjà connu des aventures formidables, en vacances, dit-elle à Claude. J’aimerais pour cette fois un beau voyage sans trop de risques… — Moi, j’aime les aventures ! déclara Claude. Cela ne me déplairait pas du tout d’en avoir une de plus. Mais cela ne nous arrivera pas cette fois-ci, Annie. Nous n’aurons pas cette chance ! » Ils s’arrêtèrent vers midi et demi pour prendre un repas froid. Tout le monde avait grand-faim. Nestor et Annibal se dirigèrent vers un fossé où poussait une herbe longue et drue, fort appétissante. Ils se mirent à brouter avec entrain. Les enfants découvrirent un banc ensoleillé. Ils s’y installèrent pour déjeuner, Annie regarda Claude et constata : « Tu as plus de taches de rousseur que jamais ! — Cela m’est bien égal ! » lui répondit Claude. Elle ne se souciait guère de son apparence physique et regrettait même d’avoir de beaux cheveux frisés, qui adoucissaient son visage aux traits un peu garçonniers. « Passe-moi les sandwiches au pâté, Annie, dit Mick. Si nous avons toujours aussi faim qu’aujourd’hui, nous devrons acheter des provisions dans toutes les fermes devant lesquelles nous passerons ! » Quand ils furent bien restaurés, ils repartirent. À son tour, Mick conduisit Nestor. François marcha à côté de la roulotte, pour se dégourdir les jambes. Claude voulait conduire encore. Annie ne protesta pas. Elle avait sommeil. Sommeil au point qu’elle craignit de tomber de son siège, si elle restait près de Claude ! Aussi, décida-t-elle d’aller faire la sieste dans la roulotte. La lumière adoucie et la fraîcheur qui régnaient à l’intérieur plurent à Annie. Elle grimpa sur une des couchettes, qu’elle trouva confortable. La roulotte avançait doucement ; la petite fille ferma les yeux… François regarda par la fenêtre et sourit en voyant sa sœur déjà endormie. Il empêcha Dagobert d’aller la rejoindre. Le chien l’aurait sans doute réveillée d’un grand coup de langue sur le nez ! « Viens donc marcher un peu avec moi, Dago, lui dit François. L’exercice te fera du bien. Si tu maigris un peu, tu n’en seras que mieux ! — Il n’a pas besoin de maigrir, protesta Claude. Je le trouve très bien comme ça. Ne l’écoute pas, Dagobert ! — Ouah ! » fit le chien, en s’empressant de suivre François. Les deux roulottes couvrirent une bonne distance ce jour-là. François ne se trompa pas de chemin. Il savait fort bien lire une carte. Quand Annie se réveilla, elle s’étonna du joli paysage de montagnes qu’elle voyait autour d’elle. « Est-ce que nous serons bientôt arrivés au lac Vert ? demanda-t-elle naïvement. — Mais non, Annie, lui dit François. C’est très loin ! Nous n’arriverons que dans quatre ou cinq jours ! Maintenant nous devons trouver un endroit pour camper. » Ils cherchèrent sur leur guide et s’aperçurent qu’il n’y avait aucun terrain de camping dans les environs. «Demandons la permission de camper au premier fermier que nous rencontrerons », décida François. Claude désigna du doigt un bâtiment au toit de tuiles, éclairé dans le lointain par un rayon de soleil. Un peu plus tard les roulottes s’arrêtèrent sur le bord de la route. François descendit avec Annie, et tous deux prirent un chemin de terre qui conduisait à la ferme. Quand les enfants se présentèrent à la barrière, trois chiens se mirent à aboyer rageusement. Mais la fermière sortit sur le pas de sa porte, appela ses chiens et fit signe aux enfants d’entrer. Grâce à ses manières polies, François obtint facilement de la fermière l’autorisation de camper sur ses terres, près d’un ruisseau. « Je suis sûre que vous ne chasserez pas les animaux de la ferme, et que vous ne laisserez pas les barrières ouvertes, comme font quelquefois des campeurs mal élevés, dit-elle. Que voulez-vous emporter, jeune homme ? Des œufs tout frais ? Je vais vous en chercher. Pendant ce temps, cueillez donc des cerises sur cet arbre, pour votre dessert ! » Quand le Club des Cinq fut installé près du ruisseau, Annie commença à préparer le dîner. Quelques jours plus tôt, la cuisinière lui avait appris à faire une omelette au jambon ; aussi, était-elle très fière de montrer ses nouveaux talents aux autres. François alla avec Mick ramasser du bois mort ; ils firent un feu de camp. Les enfants pensaient tous que ce serait tellement plus agréable de dîner en plein air que dans une roulotte ! Mick détacha Nestor et Annibal, qui se dirigèrent vers le ruisseau. Ils parurent très satisfaits de boire et de se tremper les pattes dans l’eau. Annibal flaira son compagnon Nestor, puis le gros chien qui venait boire tranquillement près de lui. Annie réussit fort bien son omelette au jambon. Chacun s’en régala. Avec du pain, ils nettoyèrent soigneusement leur assiette avant d’y mettre une grosse part de fromage blanc à la crème. Mick y ajouta tant de sucre que le fromage disparut dessous. Ils terminèrent par les cerises, tardives et quelque peu aigrelettes comme elles sont souvent dans les régions montagneuses ; néanmoins, tout le monde les trouva fort bonnes. Ils bavardèrent autour du feu pendant plus d’une heure. Puis, François déclara qu’il était temps d’aller au lit. Personne ne protesta ; Claude et Mick avaient hâte d’essayer les couchettes des roulottes. « Est-ce que je vais faire la vaisselle dans le ruisseau ou dans le petit évier ? demanda Annie. Qu’en pensez-vous ? — Il vaut mieux faire la vaisselle dans le ruisseau, pour épargner notre réserve d’eau de pluie, conseilla François. Dépêchez-vous, les filles, car je veux fermer votre roulotte à clef pour que vous y soyez en sécurité. — Fermer ma porte à clef ! s’écria Claude, indignée. Ah ! non, alors ! Personne ne m’enfermera, tu entends ? Je veux pouvoir sortir si j’ai envie de faire une promenade au clair de lune… — Tu aurais tort de t’éloigner dans la campagne la nuit, dit son cousin. Tu peux tomber dans un piège. Ou bien rencontrer un rôdeur… Claude l’interrompit avec impatience : « Et Dagobert, qu’est-ce que tu en fais ? Tu sais bien qu’il ne laissera personne nous approcher. Je ne veux pas que tu nous enfermes, François. Je ne pourrais pas le supporter. Dago nous protégera mieux que n’importe quelle serrure ! — Je n’en doute pas, répondit François. Ce n’est pas la peine de te mettre en colère, Claude. Promène-toi au clair de lune si cela te fait plaisir. Je vais me coucher. Bonsoir ! » Après s’être lavé dans le ruisseau, chacun grimpa dans sa roulotte et se déshabilla. Chez les filles, Claude prit la couchette du haut. Annie essaya de s’endormir dans la couchette du bas, mais Dagobert voulait absolument monter pour rejoindre Claude. Il tenait à dormir sur les pieds de sa maîtresse, comme d’habitude. Annie protesta contre les tentatives d’escalade du gros toutou ; comme Dagobert s’entêtait, elle se fâcha : « Claude ! Il vaut mieux que tu changes de place avec moi. Dago saute sur moi et me piétine pour essayer de t’atteindre. J’en ai assez ! Je veux dormir tranquille ! » Claude dut changer de place avec Annie. Alors, Dago, tout heureux, se coucha sur les pieds de Claude, et ne bougea plus. Annie, au-dessus d’eux, s’endormit bientôt en pensant qu’il était agréable de se trouver dans une roulotte, qui doit vous conduire vers des paysages neufs… On entendait clairement le murmure du ruisseau. Une chouette lança son cri lugubre dans la nuit, ce qui fit grogner Dagobert. Tout le monde dormait, lorsqu’un coup violent secoua la roulotte des filles. Quelqu’un cherchait-il à s’y introduire ? Dagobert se mit à aboyer éperdument. De frayeur, Annie faillit tomber de sa couchette… Dagobert courut à la porte, que Claude avait laissée entrouverte, à cause de la chaleur. La voix inquiète de François retentit alors : « Qu’est-ce qu’il y a ? Tenez bon, les filles, nous arrivons ! » Les deux garçons, pieds nus, couraient dans l’herbe humide. François heurta un obstacle qu’il ne put identifier. Il poussa un cri. Mick, qui s’était muni de sa lampe de poche, éclaira la scène. Il partit d’un grand éclat de rire. Nestor regardait les deux garçons d’un air de reproche. Pourquoi tout ce bruit et ces cris ? Ne pouvait-il se promener la nuit autour des roulottes ? Mick alla rassurer Claude et Annie. « C’est Nestor qui vous a fait une farce ! » leur dit-il. Les enfants se recouchèrent, et, cette fois, rien ne troubla plus leur sommeil jusqu’au matin. Personne n’entendit Annibal qui, lui aussi, vint faire le tour des roulottes, en hennissant doucement dans la nuit… CHAPITRE V En route pour le lac Vert LE VOYAGE fut plein de charme. Les enfants s’arrêtaient dans les endroits les plus agréables, admiraient le paysage, se baignaient dans les lacs qu’ils rencontraient sur leur route. Dagobert semblait s’amuser autant que les enfants. Il sympathisait beaucoup avec Annibal, le petit cheval noir. Quelquefois, celui-ci hennissait pour réclamer Dago qui s’empressait d’accourir. Le cheval aimait surtout voir le chien trotter à côté de lui, dans les côtes. On eût dit que cela lui donnait du courage. Annibal faisait également bon ménage avec Nestor, l’autre cheval. Quand on les dételait, le soir ils allaient toujours boire ensemble. Parfois, ils s’amusaient à se pousser du museau. « Cela fait déjà quatre jours que nous sommes partis, dit Annie un matin. Jamais nous n’avons été plus heureux ! Et puis, nous ne courrons pas de grands risques. François s’imagine être le responsable de l’équipe, mais en réalité c’est moi qui veille à tout ! Vous ne faites jamais vos lits, et je me demande comment vous mangeriez sans moi ! Vous vous nourririez uniquement de sandwiches, pour ne pas vous donner la peine de faire la cuisine ! — Ne te fâche pas ! dit Claude, qui se sentait coupable de laisser la majeure partie du travail à Annie. — Je ne me fâche pas, dit Annie. D’ailleurs, ça m’amuse de prendre soin des roulottes. — Tu es une gentille petite maîtresse de maison, dit François. Il est certain que, sans toi, tout irait de travers ! » Annie rougit de plaisir. Elle versa dans les bols le chocolat crémeux qu’elle venait de préparer pour le petit déjeuner. « Nous ne sommes plus très loin du lac Vert dit François. Voyons quelle distance il nous reste encore à parcourir. » Quand toutes les têtes furent penchées sur la carte, François montra du doigt l’endroit où ils se trouvaient, puis le lac Vert, à une vingtaine de kilomètres de là. « Nous y arriverons probablement demain, si la route n’est pas trop dure, dit-il. J’espère que nous y rencontrerons le cirque ! — Moi aussi, je l’espère bien ! dit Mick. Pancho sera heureux de nous faire connaître tout le monde et de nous montrer ce qu’il y a d’intéressant à voir dans son cirque, j’en suis sûr ! Peut-être aussi qu’il nous indiquera un bon emplacement pour camper. — Nous saurons bien le trouver nous-mêmes, assura François. De toute façon, je ne tiens pas à être trop près des gens du cirque. Nous nous installerons un peu plus haut dans la montagne. L’air sera plus vif et la vue plus belle. » Les trois autres approuvèrent. Pendant ce temps, Annibal cherchait Dagobert. Il le découvrit, couché sous la roulotte de Claude. Dagobert, manifestement, ne voulait pas bouger. Alors Annibal se coucha aussi près de son ami qu’il le put. Le cheval paraissait ennuyé de ne pouvoir se glisser sous la roulotte. Les enfants observaient son manège d’un œil amusé. « Dagobert, viens donc avec nous ! appela Claude. Sors de là ! » Dagobert s’extirpa de dessous la roulotte, et s’approcha des enfants, l’air quelque peu maussade. « Pas moyen de dormir tranquille ! » semblait-il dire. Le petit cheval noir se leva aussi et suivit Dagobert. Celui-ci se coucha près des enfants. Annibal l’imita. Il s’installa bien près du chien, et lui donna quelques coups de tête amicaux. Dagobert n’appréciait qu’à demi ces marques d’amitié. Pourtant, comme il avait bon caractère, il répondit poliment en donnant à Annibal un grand coup de langue sur le nez. Après quoi il se roula en boule, bien décidé à achever son somme, en dépit de tout le monde. Le jour suivant, les enfants regardèrent se dérouler le paysage fort joli, avec une impatience grandissante. Ils avaient hâte d’arriver au lac Vert. Mais la route montait d’une façon presque continue, ce qui fatiguait les chevaux. Dans la soirée, ils parvinrent à un village qui n’était plus qu’à quelques kilomètres du lac Vert. « Il est préférable de passer la nuit ici, et d’aller demain matin choisir un endroit convenable pour camper au-dessus du lac, décida François. Nous sommés tous fatigués, surtout Nestor et Annibal ! — Oui, mon capitaine ! dit Mick. Sortons du village et tâchons de trouver une ferme qui veuille bien nous accueillir. — Justement, il y en a une, dans ce village, qui est indiquée sur le guide : la ferme du Petit Moulin, dit François. Demande donc où elle se trouve à cette femme qui vient chercher de l’eau à la fontaine. » Dix minutes plus tard, les deux garçons se présentaient à la ferme du Petit Moulin. Une rivière traversait les prés. Au bord de l’eau se trouvait un vieux moulin délabré, mais pittoresque. Le fermier accorda aux garçons la permission d’installer leurs roulottes dans un pré, en bordure de la rivière. Une jeune fille, rose et souriante — la fille du fermier — , leur vendit des œufs, du lait, de la crème et du lard. Elle leur offrit aussi des framboises de son jardin, à la condition qu’ils aillent les cueillir eux-mêmes. « Merci beaucoup, mademoiselle, dit François. Savez-vous s’il y a un cirque qui campe par ici ? Quelque part près du lac Vert ? — Oui, répondit la jeune fille. Il a traversé notre village la semaine dernière. Il vient camper ici tous les ans. Quand la caravane passe, avec les cages des animaux, c’est un événement, dans notre coin, vous pensez ! Tout le monde est dehors ! Une année, ils sont venus avec des lions. Je les entendais rugir la nuit. Ça me donnait la chair de poule ! — Il y a de quoi », murmura Mick rêveur. Les garçons regagnèrent les roulottes, en évoquant les rugissements des lions dans la nuit… Le lendemain matin, les roulottes prirent le chemin du lac Vert. C’était la dernière étape. Ils resteraient là-bas jusqu’à leur retour. Les deux chevaux gravissaient lentement la route montante, aux virages nombreux. Soudain, Claude aperçut le lac… Ses eaux étaient d’un vert émeraude, surprenant, magnifique. Jamais elle n’avait vu un lac qui eût une si belle couleur ! « Oh ! s’écria-t-elle. Voici le lac Vert ! Comme c’est beau ! » François et Mick, dans la roulotte de tête, restaient muets d’admiration. « Dépêche-toi, François, cria Claude. J’ai hâte de le voir de près ! » Ils prirent un chemin de terre, sur la droite, pour descendre au lac. Ils furent cahotés, mais ne songèrent nullement à s’en plaindre. Quand les roulottes furent rangées convenablement au bord du lac, les enfants sautèrent de leur siège et allèrent admirer les eaux scintillantes sous le grand soleil de juillet. « Si nous prenions un bain ? proposa Annie. — Il n’y a pas de pancarte interdisant la baignade, remarqua François. Alors, allons-y ! » Tous quatre se précipitèrent dans leurs roulottes, enlevèrent leurs vêtements et mirent leurs maillots de bain. Ce fut vite fait ! Claude arriva la première au lac, suivie de près par les deux garçons et Annie… L’eau était tiède au bord, et froide un peu plus loin, comme il arrive souvent lorsqu’un lac de montagne est assez profond. Ils en furent surpris, mais réagirent en nageant vigoureusement. Ils s’éclaboussèrent l’un l’autre en poussant des cris sauvages. Quand ils se furent bien ébattus, ils s’étendirent sur le sable fin qui bordait le lac. Le soleil les sécha vite. Dès qu’ils eurent trop chaud, ils retournèrent dans l’eau, dont la fraîcheur leur fît pousser de joyeuses exclamations. « Quelle chance ! Nous pourrons venir nous baigner tous les jours-ici ! » dit Mick. Dagobert était de la partie, bien entendu, et s’amusait tout autant que les enfants. Il heurtait quelquefois ceux qui nageaient sur le dos. Maladresse ou taquinerie ? Claude se le demandait. « Annibal veut venir aussi ! s’écria tout à coup François. Regardez-le ! Il va entrer dans l’eau avec sa roulotte si nous ne l’arrêtons pas… » Tous nagèrent précipitamment vers le rivage ; ils arrivèrent juste à temps pour empêcher Annibal de prendre son bain avec la roulotte. « C’est sa façon à lui de nous faire comprendre qu’il vaut mieux le dételer, dit Claude. Après tout, les chevaux aussi ont bien le droit d’aller se baigner ! » Les deux chevaux, libérés, s’empressèrent de boire et de s’ébrouer dans le lac. Pendant ce temps, les enfants s’installaient pour pique-niquer. Tout en dévorant à belles dents, ils firent des projets. « Où peut bien être le cirque ? demanda Claude. Je ne vois rien autour du lac… » Les enfants regardèrent de tous leurs yeux. Le lac était étroit et allongé. Il avait bien un kilomètre et demi de long. Tout là-bas, à la pointe extrême, le regard d’aigle de Claude finit par distinguer une volute de fumée qui s’élevait dans le ciel… « Le camp doit être dans ce creux, de l’autre côté de la colline qui est en face de nous, dit-elle. Nous irons là-bas, et puis nous chercherons un endroit pour nous installer, n’est-ce pas ? — Oui, répondit François. Nous aurons le temps de bavarder avec Pancho et ensuite de trouver un bon emplacement pour camper avant la nuit. Je me demande ce que dira Pancho quand il nous verra. — Je suis persuadée qu’il sera content ! » dit Annie. Quand le repas fut terminé ils attelèrent les chevaux et se mirent en route pour le camp du cirque. Quelle aventure les attendait là-bas ? CHAPITRE VI Le camp du cirque QUAND les enfants approchèrent de l’extrémité du lac, ils virent de nombreuses voitures disposées en un large cercle, et des tentes au milieu. L’éléphant était attaché à un gros arbre. Les chiens couraient en tous sens. Des chevaux trottaient sous l’œil de leur dresseur, non loin du camp. « Ils sont tous là ! » S’exclama Mick, ravi. Annie se dressa sur son siège, pour mieux voir. « Par exemple ! On dirait que le chimpanzé est en liberté, dit-elle. Non, quelqu’un le tient en laisse. Je croîs que c’est Pancho ! — Oui, c’est bien lui, assura François. Le chimpanzé porte un petit short blanc et une chemisette rouge ! Comme c’est comique ! » Les enfants examinaient tout curieusement. Peu d’hommes et de femmes étaient dehors par ce chaud après-midi. Seuls, le dresseur de chevaux, Pancho et quelques mères de famille qui couraient après leur marmaille indisciplinée avaient renoncé à faire la sieste. Les chiens de cirque aboyèrent bruyamment à l’approche du Club des Cinq. Deux hommes sortirent des voitures et regardèrent les nouveaux arrivants d’un air surpris. Pancho et son chimpanzé s’approchèrent des enfants. « Bonjour, Pancho ! dit François. Tu ne t’attendais pas à nous voir, n’est-ce pas ? » En entendant son nom, Pancho fut bien étonné. Tout d’abord, il ne reconnut pas les enfants. Puis, soudain, il poussa un cri de joie. « C’est vous que j’ai vus la semaine dernière sur la route ! Qu’est-ce que vous êtes venus faire par ici ? » Dagobert semblait inquiet. Il grondait sourdement. Claude expliqua à Pancho : « C’est la première fois que Dagobert voit un chimpanzé. Crois-tu qu’ils pourront s’entendre ? — Je n’en sais rien, dit Pancho. En général, Bimbo aime bien les chiens. Quand même, empêche le tien de montrer les crocs, il pourrait lui arriver malheur ! C’est très fort, un chimpanzé, tu sais ! — Il faudrait que je me mette bien avec Bimbo, dit Claude. S’il consentait à me serrer la main, Dagobert verrait qu’il est mon ami, et il cesserait de gronder. Mais je ne sais pas si ton singe voudra… — Bien sûr que si ! s’écria Pancho en riant. S’il n’y a que ça pour arranger les choses… Il est gentil, Bimbo, tu vas voir. Tends-lui la main ! » Annie se demandait comment Claude avait l’audace de tendre sa main au chimpanzé. Celui-ci prit les doigts de Claude et les porta à sa bouche, comme pour un cérémonieux baisemain… Seulement, il les mordilla quelque peu, sans faire mal, et Claude se libéra précipitamment. Tout le monde riait. « Il est farceur, mais il ne mord pas, ne crains rien », dit Pancho à Claude. Celle-ci, rassurée, se tourna vers son chien. « Dagobert, je te présente Bimbo, dit-elle gravement. C’est un ami. Gentil Bimbo ! » Elle flattait l’épaule du chimpanzé pour bien faire comprendre à Dagobert qu’elle aimait Bimbo. Le singe répondit à cette marque d’amitié en lui caressant la tête et en lui tirant une boucle. Dagobert remua la queue. Il semblait hésiter encore. Quelle était donc cette étrange bête que sa maîtresse paraissait tant aimer ? Enfin, il fit un pas vers Bimbo, et, se souvenant de ses bonnes manières, lui tendit la patte. Bimbo la saisit et la secoua vigoureusement. Puis il fit deux pas en contournant Dagobert, attrapa la queue du chien et la secoua non moins vigoureusement. Dagobert, désemparé, ne savait que penser d’un tel comportement. Ce n’était pas précisément de son goût. Enfin ! Puisque Claude paraissait tenir à ce qu’il fût ami avec cette drôle de bête, mieux valait sans doute ne pas protester. Il se contenta de s’asseoir en ramenant sa queue sous lui. Les enfants riaient aux larmes. Dagobert se consola en voyant arriver Flic et Flac, les deux petits chiens savants qu’il reconnut aussitôt. Eux non plus ne l’avaient pas oublié. « Tout va bien, constata Pancho. Flic et Flac présenteront Dagobert aux autres chiens du cirque. Nous voilà tranquilles de ce côté-là… Hé ! Attention à Bimbo ! Le chimpanzé s’était glissé derrière François et introduisait sans se gêner sa main dans la poche du jeune garçon. Pancho, courroucé, lui fit retirer sa main et lui donna une tape. « Vilain singe ! Voleur ! » lui dit-il. Le chimpanzé se couvrit la face comme s’il était honteux de son geste. Mais les enfants s’aperçurent qu’il regardait à travers ses doigts écartés et que son œil luisait, malicieux. « Quand Bimbo viendra vous voir, méfiez-vous toujours de lui. Il aime bien chiper ce qu’il y a dans les poches. Je n’arrive pas à l’en empêcher ! Dites-moi, est-ce que ces roulottes sont à vous ? Ce qu’elles sont belles ! — Nous les avons louées, dit Mick. C’est en voyant passer le cirque, avec toutes vos roulottes, que nous avons en l’idée de nous en procurer pour faire un petit voyage. — Et nous avons eu envie de te retrouver pour que tu nous montres les animaux, ajouta François. J’espère que cela ne t’ennuie pas. — Au contraire, je suis très content, dit Pancho en devenant rouge de plaisir. Ce n’est pas souvent que des enfants comme vous veulent devenir amis avec un saltimbanque comme moi… Je vous montrerai tous nos animaux, les singes, les chiens et les chevaux du cirque ! — Oh ! merci ! crièrent quatre voix. — Hep ! Bimbo ! Veux-tu rester tranquille ! lança Pancho à l’adresse de son singe. Regardez-le taquiner votre chien ! » Mais Dagobert ne se laissait pas faire. Il semblait même trouver un certain plaisir à déjouer les ruses du singe. « C’est le comique du cirque, n’est-ce pas, Pancho ? dit François. — Oui, il n’arrête pas de faire des blagues ! Quelquefois, il met tout sens dessus dessous… Il faut le voir avec mon oncle Carlos, qui est le meilleur clown de la troupe, je vous l’ai dit. Bimbo, dans son genre, est aussi un bon clown. — J’aimerais bien voir leur numéro, dit Annie. Es-tu sûr que ton oncle te permettra de nous montrer tous les animaux ? — Je ne lui demanderai pas la permission. —Mais vous serez bien polis avec lui, hein ? Il n’est pas commode quand il est en colère ! Il pique des rages terribles ! » Annie fronça le nez. « J’espère qu’il n’est pas là pour le moment, murmura-t-elle en jetant autour d’elle des regards inquiets. — Non. Il est parti je ne sais où, répondit Pancho. Il aime à être seul. Il n’a pas beaucoup d’amis dans le cirque, seulement Lou l’acrobate. Tenez, voilà Lou qui sort de sa voiture ! » Lou était un grand garçon maigre qui semblait tout désarticulé, avec un visage anguleux, assez laid, et des cheveux noirs frisés. Il s’assit sur les marches de la roulotte, et se mit à lire un journal tout en fumant sa pipe. Les enfants pensèrent que cet homme et l’oncle de Pancho étaient en effet bien assortis : aussi peu sympathiques l’un que l’autre. « Est-ce que Lou est un bon acrobate ? demanda Annie tout bas. — De premier ordre ! répondit Pancho avec une admiration évidente. Il peut escalader n’importe quoi, il monte à un arbre comme un singe… Je l’ai même vu grimper le long de, la gouttière d’un grand immeuble comme un chat ! Et il danse sur la corde raide. C’est difficile, ça, vous savez ! » Les enfants regardèrent Lou de tous leurs yeux. L’homme sentit leurs regards peser sur lui, tourna la tête vers eux et fronça les sourcils. « Eh bien, pensa François, c’est peut-être un excellent acrobate, mais il n’est guère aimable ! Décidément, il ne me plaît pas plus que l’oncle de Pancho ! » Lou se leva et s’avança vers les enfants. Les sourcils toujours froncés, il s’adressa à Pancho : « Tu connais ces gosses-là ? Qu’est-ce qu’ils viennent faire ici ? — Nous sommes venus dire bonjour à Pancho », dit poliment François. Lou jeta un regard irrité sur François, et demanda brusquement : « C’est à vous, ces roulottes ? — Oui, répondit François. — Pas mal, apprécia Lou en connaisseur. Il y a bien quelqu’un qui vous accompagne ? — Non. C’est moi le responsable, dit François fièrement. Et nous avons un bon chien de garde avec nous. » Dagobert s’approcha de Lou, en grondant sourdement. De toute évidence, l’acrobate ne lui plaisait pas. Lou lui envoya un coup de pied. Claude retint Dagobert qui déjà bondissait. « Si vous donnez des coups de pied à mon chien, il vous mordra ! cria Claude furieuse. Maintenant, il vaut mieux que vous évitiez de vous trouver sur son chemin, sinon vous courrez des risques... » Lou cracha par terre en signe de mépris. Il dit en s’éloignant : « Vous allez décamper en vitesse ! Nous ne voulons pas de gosses ici, pour nous causer des ennuis. Et je n’ai pas peur de votre sale cabot ! Je sais comment m’y prendre avec les bêtes dangereuses ! — Que voulez-vous dire par là ? » demanda Claude. Mais Lou ne se souciait pas de donner des explications. Il monta les marches de la roulotte et claqua la porte derrière lui. Dagobert se mit à aboyer de sa plus grosse voix, tout en tirant sur son collier que Claude tenait toujours fermement. « Ça y est, vous avez mis Lou en colère, dit Pancho navré. Vous feriez mieux de ne pas rester ici ! Et prenez bien garde à votre chien, ou bien il disparaîtra… — Dagobert, disparaître ? Si tu te figures que mon chien, se laisserait voler par qui que ce soit, tu te trompes ! cria Claude. — Bon, ça va. Je te prévenais seulement. Ce n’est pas la peine de crier. Si on allait voir ce que fait mon singe, qui vient d’entrer dans votre roulotte verte ? » Bimbo avait déniché une boîte de bonbons et se servait généreusement. Dès qu’il vit les enfants, il enfourna une poignée de bonbons dans sa bouche, poussa un grognement et se voila la face. Mais, en même temps qu’il prenait cette attitude confuse il suçait bruyamment les bonbons. « Bimbo ! Voleur ! Tu mérites le fouet ! s’écria Pancho. — Oh ! Non ! protesta Annie. C’est un polisson, mais il est si amusant ! Nous avons beaucoup de bonbons en réserve. Prends-en donc aussi, Pancho. — Merci ! » dit Pancho en se servant sans se faire prier. Il sourit largement et ajouta : « C’est chic d’avoir des copains comme vous ! N’est-ce pas, Bimbo ? » CHAPITRE VII Une visite dans la nuit PERSONNE n’eut envie de faire le tour du camp ce jour-là. Lou s’était montré si odieux ! Ce fut Pancho qui visita les roulottes du Club des Cinq. Le jeune saltimbanque ne cacha pas son admiration : « Ce qu’elles sont jolies ! Ce qu’on doit être bien dedans. Et il y a l’eau au robinet ! Formidable ! » Il ouvrit et ferma le robinet une bonne dizaine de fois, poussant des exclamations de joie en voyant l’eau couler. Il admira les tapis et la vaisselle brillante de propreté. Il sauta sur les couchettes pour s’assurer qu’elles étaient confortables. En somme il se comportait comme un invité exubérant, mais cordial, et le Club des Cinq se plaisait en sa compagnie. Flic et Flac se montraient convenables, obéissants, et fort amusants. C’était des chiens vraiment bien dressés. Bimbo voulut aussi tourner les robinets, puis il défit les lits pour voir ce qu’il y avait sous les draps. Il s’empara d’un pot d’eau et en but le contenu à grand bruit « Tu te tiens mal, Bimbo », dit Pancho en lui ôtant le pot des mains. Annie se mit à rire. Le chimpanzé l’amusait énormément, et, de son côté, il semblait avoir une singulière sympathie pour elle. Il la suivait, lui passait la main dans les cheveux, lui parlait à sa façon, en émettant des sons inarticulés mais, de toute évidence, cordiaux. François regarda sa montre et dit : « Il est quatre heures et demie. Veux-tu goûter avec nous, Pancho ? — Oui, ça me ferait plaisir. Je ne goûte pas souvent. Ça vous est égal que je ne sois pas aussi bien habillé que vous ni aussi bien débarbouillé ? — Ne t’inquiète pas pour ça, lui dit Mick en riant. — Nous sommes tous contents que tu restes avec nous, dit Annie. Comme l’air de la montagne nous creuse, nous allons faire des sandwiches au jambon. Tu aimes les sandwiches au jambon, n’est-ce pas, Pancho ? — Si je les aime ? Bien sûr ! Et Bimbo aussi ! Faites attention à lui, autrement il les mangera tous ! » Ils s’assirent dans la bruyère, à l’ombre de la roulotte. Flic et Flac tinrent compagnie à Dagobert. Bimbo se plaça près d’Annie, et prit de sa main, fort poliment, des morceaux de sandwiches. Pancho mangea plus de sandwiches que tout le monde et parla sans arrêt, la bouche pleine. Il fit rire aux larmes ses nouveaux amis en imitant son oncle dans quelques-unes de ses clowneries. Il se mit la tête en bas, les pieds en l’air, et mangea un sandwich dans cette position, au grand ébahissement de Dagobert. Celui-ci tournait autour, flairant cette tête au ras du sol. Quand ils eurent fait honneur à un pot de confitures, Pancho se leva. « Il faut que je m’en aille maintenant, c’était un fameux goûter. Merci ! — Reviens nous voir ! dirent les enfants. — Je ne demande pas mieux. Est-ce que vous allez camper ici longtemps ? — Non, répondit François. Nous voulons nous installer plus haut dans la montagne. Il y fera plus frais. Nous allons passer la nuit ici et nous partirons demain matin. Peut-être pourrons-nous visiter ton camp avant notre départ ? — Pas si Lou est dans les parages. Il vous a ordonné de décamper ; s’il vous voit, il piquera sa crise. Mais si jamais il s’en va de bonne heure demain matin, je viendrai vous le dire et nous ferons ensemble le tour du camp… — Entendu ! dit François. Je n’ai pas peur de cet acrobate, mais je ne veux pas que tu aies des ennuis à cause de nous, Pancho. Donc, si Lou reste ici, nous partirons demain matin. Quand nous serons installés dans la montagne, tu viendras nous voir. Nous n’irons pas très loin. Dès que ce sera possible, nous visiterons le camp du cirque avec toi. — D’accord ! Au revoir ! Viens, Bimbo, en route ! » Pancho s’éloigna avec ses chiens et son singe, qu’il tenait par la main. Bimbo ne paraissait pas disposé à quitter le Club des Cinq. Il se faisait tirer comme un enfant capricieux. « J’aime Pancho et Bimbo, dit Annie. Que dirait maman si elle savait que nous nous amusons avec un chimpanzé ? Je ne crois pas que ce serait de son goût ! » François se demanda tout à coup s’il avait bien fait de rejoindre le cirque et de laisser Annie et les autres se lier d’amitié avec Pancho et son chimpanzé. Mais le jeune saltimbanque paraissait si gentil ! Oui, François était sûr que sa mère aimerait Pancho… Mais il fallait se tenir à l’écart de Lou et de Carlos. « Reste-t-il de quoi dîner ce soir et déjeuner demain matin ? demanda-t-il à Annie. Pancho m’a dit qu’il y a une ferme un peu plus haut, sur la route. Les gens du cirque s’y approvisionnent, quand ils ne vont pas au village. » Annie se leva et alla inspecter le garde-manger. « Il y a des œufs, des tomates et une terrine de pâté. Il reste aussi du pain, des fruits et un peu de beurre. — Ce sera suffisant, dit François. Nous n’avons pas besoin d’aller à la ferme ce soir. » Quand la nuit tomba, de gros nuages s’avancèrent dans le ciel, pour la première fois depuis leur départ. Avant de se coucher, François regarda par la fenêtre de sa roulotte ; la nuit était si noire qu’on ne voyait aucun reflet sur le lac. Il s’étendit sur sa couchette et remonta sa couverture. Dans la roulotte voisine, Claude et Annie dormaient déjà. Dagobert était allongé sur les pieds de Claude. Un peu plus tard, Dagobert entendit un léger bruit. Il dressa les oreilles, leva la tête et se mit à gronder. Bientôt il distingua des pas qui venaient de deux directions différentes, puis un murmure de voix… Dagobert gronda plus fort. Claude s’éveilla. « Qu’y a-t-il ? » demanda-t-elle. Dagobert écoutait. Elle fit de même, et entendit comme lui des voix étouffées. Claude se leva sans bruit. Elle s’approcha de la porte de la roulotte, restée entrouverte. Il faisait si sombre qu’elle ne put rien voir. « Chut ! » dit-elle. Dagobert cessa de gronder, mais Claude pouvait sentir les poils qui se hérissaient autour du cou de son chien. Les voix ne semblaient pas venir de loin. Claude comprit qu’il s’agissait de deux hommes qui parlaient ensemble. Elle entendit craquer une allumette et, au-dessus de la flamme, entrevit deux visages rapprochés. Elle reconnut immédiatement l’oncle de Pancho et Lou l’acrobate. Que faisaient-ils là, si près des roulottes ? Claude eût aimé avertir François et Mick, mais elle pensait qu’il lui était bien difficile de quitter sans bruit sa roulotte… Elle prit le parti de rester tranquille et de tâcher de surprendre la conversation des deux hommes. Ils parlaient bas. L’oreille pourtant fine de Claude ne pouvait presque rien saisir d’une discussion apparemment fort animée. Enfin, l’un des deux éleva la voix : « C’est entendu. » Des pas résonnèrent. Les hommes s’approchaient de la roulotte de Claude. Elle maintint solidement Dago qui s’agitait. « Chut ! » lui glissa-t-elle dans l’oreille. Dago resta immobile et silencieux, mais il était prêt à bondir à l’injonction de Claude. « S’ils pénètrent ici, je lâche mon chien sur eux ! » pensait la fillette. Mais les hommes, qui n’avaient pas les intentions qu’on leur prêtait, et qui ne pouvaient pas voir la roulotte dans l’obscurité, s’y heurtèrent rudement. Ils se mirent à tempêter comme de beaux diables. Dagobert aboya furieusement. Claude, qui le tenait toujours, entendit Lou s’exclamer : « Ce sont les roulottes des gosses ! Je leur avais pourtant dit de s’en aller ! » Le bruit réveilla Annie et les garçons. François sauta de son lit, se précipita dehors avec sa lampe de poche et éclaira les deux hommes qui se tenaient près de la roulotte des filles. « Que faites-vous là ? cria-t-il. Allez-vous-en ? » C’était là une grave maladresse de la part de François. Carlos et Lou avaient tous deux mauvais caractère ; de plus, ils n’admettaient pas que des étrangers au cirque s’installassent dans ce secteur. « À qui crois-tu donc parler ? hurla Carlos. C’est toi qui dois partir d’ici, tu entends ? — Cet après-midi je t’ai dit de décamper, toi et les autres ! ajouta Lou hors de lui. Vous ferez ce qu’on vous dit, ou bien je lance tous les chiens à vos trousses ! » Annie se mit à pleurer. Claude tremblait de rage, et mourait d’envie de lâcher Dagobert sur les deux hommes. François parla calmement, mais avec détermination : « Nous partirons demain matin, comme nous en avions l’intention. Mais si vous prétendez nous faire partir maintenant, en pleine nuit, je ne suis pas d’accord. C’est aussi bien notre terrain de camping que le vôtre ! Allez-vous-en et ne nous dérangez plus ! — Je vais te dresser, petit galopin ! » dit Lou entre ses dents serrées par la colère. Il dégrafa sa ceinture de cuir… « Vas-y, Dagobert ! glissa Claude dans l’oreille de son chien. Ne mords pas, fais-leur peur ! » Elle lâcha le collier. Dagobert s’élança, en aboyant d’une façon terrifiante… Il savait ce que Claude attendait de lui. Bien qu’il eût une envie folle de mordre dans les pantalons de ces deux affreux personnages, il se contenta d’abord de faire semblant. Lou et Carlos eurent une belle peur. Lou donna un coup de pied à Dagobert, qui sut l’éviter et en profita pour saisir la jambe du pantalon au vol et tirer joyeusement dessus… Un sinistre craquement s’ensuivit. « Allons-nous-en. ! cria Carlos. Cette sale bête nous égorgerait ! Appelez-le, vous, les gosses ! Nous partons! » Voyant que les hommes s’éloignaient déjà, à reculons, Claude siffla son chien. « Déguerpissez demain matin, ou gare à vous ! » jeta Carlos par-dessus son épaule. Puis les deux hommes s’éloignèrent au pas de course. Ils avaient eu chaud ! « Si jamais ils reviennent, mords-les ! » dit Claude à son chien, quand ils eurent disparu. Mais ni Lou ni Carlos ne se seraient de nouveau aventurés près des roulottes cette nuit-là ! CHAPITRE VIII Dans la montagne LE COMPORTEMENT de Lou et de Carlos intriguait fortement les enfants. Claude raconta comment, éveillée par Dagobert, elle avait pu entendre les hommes converser à voix basse. « Je ne pense pas qu’ils aient eu l’intention de nous voler, dit-elle. Ils venaient là pour se raconter je ne sais quoi, qui ne devait pas être entendu des gens du cirque. Ils ne savaient pas que notre roulotte se trouvait ici, et ils se sont cognés dedans… — Ce sont des brutes ! déclara François, il faut fermer la roulotte à clef. Sois raisonnable, Claude. Je sais que tu as Dago, mais quand même, c’est préférable. — Alors, donne-moi la clef. Je m’enfermerai de l’intérieur », répliqua la fillette. Avant de s’endormir, François avoua à Mick : « J’ai hâte de partir d’ici et d’aller dans la montagne. Nous serons plus tranquilles là-haut. — Oui. Nous filerons après le déjeuner. Heureusement que Dagobert était là ! Ces hommes avaient l’air décidés à te faire un mauvais parti, mon pauvre François ! — Je n’aurais guère eu de chance de leur échapper, reconnut François. Ils sont tous les deux maigres, mais certainement forts ! » Le lendemain matin, les quatre enfants s’éveillèrent de bonne heure. Personne n’eut envie de faire la grasse matinée. Au contraire, tout le monde voulait s’en aller avant que Lou et Carlos ne revinssent. « Pendant que vous préparez le petit déjeuner, dit François à Claude et à Annie, nous allons chercher les chevaux pour les atteler. Ainsi, nous ne traînerons pas longtemps ici. » Dès qu’ils eurent bu leur chocolat et mangé quelques tartines, ils montèrent sur leurs sièges et s’apprêtèrent à s’éloigner. Alors, surgirent Lou et Carlos. Ils s’avancèrent vers les enfants. « Ah ! vous partez ? dit Carlos, avec un sourire grimaçant. Parfait ! Ça fait plaisir de voir des enfants si obéissants ! Où allez-vous ? — Dans la montagne, répondit froidement François. — Pourquoi ne contournez-vous pas la montagne, au lieu de monter au sommet ? Vous allez fatiguer vos chevaux en grimpant si haut ! » François fut sur le point de répondre qu’il n’avait pas l’intention d’aller jusqu’en haut de la montagne pour redescendre de l’autre côté, mais il se tut. Il valait mieux ne pas renseigner ces gens-là… Qui sait s’ils ne cherchaient pas à savoir où ils allaient pour les poursuivre et leur causer des ennuis ? « Nous prendrons le chemin qui nous convient le mieux, dit-il à Lou d’une voix sèche. Laissez-nous passer, s’il vous plaît ! » Comme Nestor avançait droit sur eux, les deux hommes durent s’écarter précipitamment. Ils regardèrent partir les enfants d’un air furieux. La route montait en pente douce. Après une demi-heure, le Club des Cinq arriva devant un pont de pierre qui franchissait un torrent. Le paysage était fort joli. Ils s’arrêtèrent un moment près du pont ils découvrirent une source, fraîche et claire comme du cristal. Ils en burent tous et déclarèrent que jamais ils n’avaient goûté une eau plus délicieuse. Mick suivit la source un moment ; il constata qu’elle se jetait dans le torrent. Il pensa que le torrent allait lui-même grossir les eaux du lac. Quand les enfants reprirent la route, ils entendirent un coq chanter. « Nous allons trouver une ferme un peu plus haut », pensa Mick. En effet, après deux tournants ils aperçurent une ferme qui comprenait plusieurs bâtiments fort anciens, étagés sur le flanc de la montagne. Des poules caquetaient dans la cour de la maison d’habitation. Un troupeau de vaches paissait dans les prés d’alentour. Le fermier avait entendu approcher les roulottes. Il sortit de l’étable et vint avec ses chiens. Quand il vit que les deux voitures étaient conduites par des enfants, il eut l’air surpris. François plaisait toujours aux grandes personnes, grâce à ses manières douces et polies. Il entra en conversation avec le fermier, et tous deux eurent tôt fait de se mettre d’accord : les enfants pourraient se ravitailler régulièrement à la ferme. « Venez voir ma femme, dit le fermier. Elle aime la jeunesse ! Où allez-vous camper ? — Nous voudrions bien trouver un endroit commode, avec une belle vue, expliqua François. D’ici on ne peut rien voir. Peut-être qu’un peu plus loin… — Oui, à un kilomètre d’ici, après un petit bois de pins, vous trouverez un coin bien abrité, avec une belle vue sur le lac. Vous pourrez y installer vos roulottes. — Merci beaucoup, monsieur », dirent les enfants en chœur. Ils pensaient que le fermier était vraiment gentil. Quelle différence avec Lou et Carlos ! « Nous allons d’abord faire connaissance avec votre femme, dit François. Ensuite nous irons nous installer là-bas. » La fermière était une femme déjà âgée, mais alerte et gaie. Elle les reçut fort bien, et leur donna un gros morceau de gâteau. Elle leur fit un prix moins élevé que dans le commerce pour le beurre, les œufs, la crème. « Ce sera une joie pour moi de voir de temps en temps vos gentilles frimousses », leur dit-elle. Les enfants retournèrent à leurs roulottes, les bras chargés de victuailles. Moins d’un kilomètre plus loin, ils virent un joli bois de pins. Au-delà, ils trouvèrent une sorte de gorge, large et profonde, qui s’ouvrait au flanc de la montagne. Le lac s’étalait, sinueux, à leurs pieds. « Je me demande d’où vient cette merveilleuse couleur verte, dit Annie. — Moi, aussi, répondit François. J’ai déjà vu des lacs vert foncé, mais ce vert émeraude est bien plus beau ! Voilà un paysage qui me plaît : le lac, la montagne en face… » Les garçons garèrent les roulottes dans la gorge en faisant reculer les chevaux, ce qui n’alla pas sans peine. Le sol était couvert d’un véritable tapis de bruyère. Dans les crevasses du roc, de petites fleurs montraient leurs clochettes. C’était un coin charmant pour camper. Claude perçut un murmure d’eau et chercha d’où cela venait. Bientôt elle appela les autres. « Il y a une source ici ! leur annonça-t-elle triomphalement. Nous aurons de l’eau à boire, de l’eau pour nous laver et faire la cuisine ! Quelle chance ! — Oui, c’est vraiment l’endroit idéal, dit François. Et c’est tranquille ! Personne ne nous dérangera ici. » Mais il parlait trop vite ! CHAPITRE IX Une rencontre désagréable C’ÉTAIT vraiment très amusant de s’installer dans cette gorge si commode. Les enfants dételèrent les chevaux et les conduisirent à la ferme. Le fermier accepta de les mettre dans un pré où il menait ses propres chevaux après la journée de labeur. François offrit alors de lui prêter Nestor et Annibal pour rentrer ses récoltes. Le fermier parut heureux de la proposition. En revenant à la caverne, François dit à Mick : « Le fermier est un brave homme qui doit bien traiter ses bêtes. Aussi, je ne suis pas inquiet pour nos chevaux. » La gorge était bien exposée. Le sol rocheux se prolongeait en une sorte de terrasse qui parut très pratique aux enfants. « Si nous prenions nos repas ici ? proposa Claude. Il y a de la place, et ce roc est assez uni pour que nos assiettes et nos verres y soient en équilibre. Nous ne renverserons rien ! — J’aperçois un peu de fumée là-bas, annonça Mick en désignant du doigt la pointe extrême du lac Vert. C’est là que campe le cirque ! Voyez ce canot sur le lac, comme il semble petit ! — Peut-être que Pancho est dedans, dit Annie. As-tu emporté tes jumelles, François ? — Oui, je vais les chercher. » Il entra dans la roulotte verte, fouilla dans les tiroirs et revint avec les jumelles. « Les voilà ! » dit-il. Quand il les eut ajustées à sa vue, il ajouta : « Je vois très nettement le canot. C’est bien notre ami Pancho qui est dedans. Mais qui est avec lui ? Mais c’est Bimbo ! » Tout le monde voulut voir Pancho et Bimbo dans leur bateau. Les jumelles passèrent de main en main. « Nous pourrons dire à Pancho qu’il nous fasse signe de son bateau quand il voudra nous avertir que Lou et son oncle Carlos sont partis, dit Mick. Nous en profiterons pour visiter le camp ! » Là journée fut chaude. Les enfants se trouvaient bien dans la montagne, où la brise les rafraîchissait de temps en temps. Ils pensaient que Pancho viendrait les voir le lendemain. Après le déjeuner, ils allèrent s’installer dans le bois de pins, où il faisait frais. Ils emportèrent quelques livres avec eux. Annie prépara une citronnade qui fut bien accueillie par tout le monde. Au moment du goûter, François proposa : « Si nous allions au lac ce soir ? Nous n’avons guère bougé aujourd’hui. Pour ma part, j’aimerais bien marcher et nager un peu ! — Moi aussi ! » dit Claude. Mick et Annie trouvaient agréable de paresser, à l’ombre du bois de pins, mais ils se montrèrent quand même disposés à suivre les deux autres. « Il vaut mieux ne pas emmener Dagobert, poursuivit François. Si jamais il rencontrait Lou et Carlos, il se jetterait sur eux ! Imaginez que nous soyons dans l’eau à ce moment-là. Nous ne poumons pas l’en empêcher ! — C’est vrai, approuva Annie. Il gardera les roulottes en notre absence. » Vers cinq heures, les enfants prirent leurs serviettes et leurs maillots de bain. Puis ils se mirent en route. Dagobert protesta à sa manière lorsqu’il comprit qu’il lui fallait rester sur place. « Tu es de garde, Dago ! dit Claude. Tu veilleras sur nos roulottes ! — Ouah ! » répondit Dago. De garde ! Claude ne savait-elle pas que les roulottes ne pouvaient partir toutes seules, et qu’il avait bien envie d’aller se promener, lui aussi ? Pourtant, il obéit et regarda partir ses compagnons avec des yeux pleins de tristesse. Il pointa les oreilles pour entendre leurs voix le plus longtemps possible, puis il alla se coucher sous la roulotte de Claude. Les enfants descendirent vers le lac par un chemin de traverse. Après dix minutes, le sentier devenant impraticable, ils furent obligés de reprendre la route. Et voilà que, dans un tournant, ils virent à quelques mètres d’eux, l’oncle de Pancho et son ami Lou ! « Restez groupés et continuez de marcher, dit François à voix basse. Faisons comme si Dago était quelque part derrière nous. « Dagobert ! » appela Claude aussitôt. Lou et Carlos semblaient, eux aussi, surpris de cette rencontre. Ils s’arrêtèrent et froncèrent les sourcils en voyant le petit groupe. Les enfants se hâtèrent de passer auprès d’eux et déjà s’éloignaient quand une voix retentit : « Attendez une minute ! criait Carlos. Vous êtes encore par ici ? Je vous croyais partis plus loin ! » Les enfants pressèrent le pas sans répondre, Carlos regarda autour de lui, et ne voyant pas Dagobert, courut après eux. « Où sont vos roulottes ? Où campez-vous donc ? » demanda-t-il. François se retourna. « Je regrette, nous ne pouvons pas nous arrêter. Nous sommes pressés ! dit-il. — Pourquoi ne voulez-vous pas répondre ? Nous ne vous ferons pas de mal. Nous voulons seulement savoir où vous campez. Vous seriez mieux en bas, en tout cas ! — Continuez à marcher, chuchota François. Pourquoi nous dit-il que ce serait mieux de camper en bas, alors qu’il nous a fait la comédie hier pour que nous partions en vitesse ? Il est fou ! — Dagobert ! » appela de nouveau Claude. Elle espérait qu’en l’entendant appeler son chien, Carlos cesserait de les poursuivre. En effet, Carlos s’arrêta et s’en retourna, mécontent, vers Lou. Tous deux continuèrent leur route. « Nous avons réussi à nous débarrasser d’eux, constata Mick. Tu as eu peur, Annie ? Allons, c’est fini, rassure-toi ! Je me demande ce qu’ils viennent chercher par ici. Ils n’ont pas l’air de gens qui se promènent pour leur plaisir ! — Mick, nous n’allons pas avoir encore une aventure ? soupira Annie d’un air accablé. J’espère que non. Je voudrais avoir de bonnes vacances sans histoire, pour une fois. — Voyons, Annie, ce n’est pas parce que nous avons rencontré un clown et un acrobate de cirque que nous voilà partis pour une nouvelle aventure ! dit Mick. Pourtant, je le souhaiterais, moi ! Reconnais que tu aimes à te souvenir de nos aventures passées ! — Oui, Mick. Mais je n’aime pas les vivre. Ça peut mal tourner. — C’est vrai que tu es une petite personne très calme, reconnut François en aidant sa sœur à franchir un passage difficile, dans le nouveau sentier qu’ils venaient d’emprunter. Mais enfin, je sais bien que tu n’aimerais pas que nous te laissions de côté lorsqu’il y a du danger. — Je ne pourrais pas le supporter ! dit Annie. Nous voici presque arrivés au lac… » Quelques minutes plus tard tout le monde plongeait dans les eaux vertes. Tout à coup, Pancho fit son apparition sur le bord du lac. Il criait : « Attendez-moi ! J’arrive ! Lou et mon oncle sont partis je ne sais où. Quelle chance ! » Flic et Flac accompagnaient Pancho, mais Bimbo, le chimpanzé, n’était pas là. Une fois dans l’eau, Pancho se mit à nager à peu près de la même façon que ses chiens. Arrivé près de Claude, il l’éclaboussa en poussant de joyeuses exclamations. « Arrête, Pancho ! Laisse-moi parler ! cria Claude. Nous avons rencontré ton oncle et son ami en descendant de la montagne. — Tiens ! fit Pancho étonné. C’est drôle. Ils ne vont pourtant pas chercher du ravitaillement dans les fermes. Ce sont les femmes qui s’en chargent, tous les matins. — Ils étaient plutôt surpris de nous voir ! dit François. Espérons qu’ils nous laisseront tranquilles, maintenant. — Regardez ce que mon oncle m’a fait ! s’exclama Pancho, en montrant ses bras couverts de bleus. Il m’a battu à cause de vous. Il ne veut pas que je vous parle ! — Quelle brute ! s’exclama Mick, indigné. Pauvre Pancho ! Enfin, il me semble que tu ne l’écoutes pas beaucoup. — Bien sûr que non ! reconnut Pancho en riant. Il est là-haut dans la montagne, pas vrai ? Alors, qu’est-ce que je risque ? Personne n’ira lui raconter ce que j’ai fait, car tous les gens du cirque le détestent, à part Lou… — Nous t’avons aperçu dans ton canot avec Bimbo, dit François. Le jour où tu pourras nous faire visiter le camp, tu n’auras qu’à agiter un mouchoir ou n’importe quoi. Nous te verrons bien avec nos jumelles. Nous descendrons tout de suite. — Entendu ! assura Pancho. Venez, on va faire un concours ! Je parie que je sors le premier de l’eau ! » Malgré tous ses efforts, Pancho arriva le dernier sur le rivage, car il n’était pas très bon nageur. Même Annie allait plus vite que lui ! Ils se séchèrent tous vigoureusement. « J’ai une faim de loup, maintenant ! dit François. Viens dîner avec nous, Pancho ! » CHAPITRE X Un curieux changement d’humeur PANCHO avait grande envie de suivre les enfants et de dîner avec eux. Seulement, il craignait de rencontrer Lou et son oncle. « Nous marcherons devant et si nous les voyons, nous t’avertirons. Alors, tu te cacheras jusqu’à ce qu’ils soient passés ! proposa Mick. Nous ferons attention, car nous ne tenons pas plus que toi à les rencontrer ! —Bon, alors je viens, dit Pancho. J’emmène Flic et Flac. Ils seront contents de voir Dagobert. » Les cinq enfants, suivis des deux chiens, prirent d’abord des chemins de traverse ; puis, essoufflés, ils décidèrent de continuer leur ascension par la grande route. Quand ils furent en vue du bois de pins, François dit à Pancho : « Nous sommes presque arrivés. Quelle chance de n’avoir pas rencontré ton oncle et Lou ! » À ce moment, Dagobert aboya dans le lointain. « Tiens ! fit Claude. Que se passe-t-il ? Je me demande si ces hommes ne sont pas en train de rôder autour de nos roulottes ! — Dans ce cas, nous avons bien fait de laisser Dagobert pour les garder, dit Mick. Nous aurions pu être volés… » Il s’arrêta brusquement et devint rouge. Est-ce que Pancho n’allait pas se fâcher en entendant soupçonner ainsi son oncle ? Les cinq enfants prirent d’abord des chemins de traverse. Mais Pancho n’en parut pas du tout gêné. « Vous avez raison de vous méfier, déclara-t-il tranquillement. Mon oncle est capable de tout ! D’ailleurs, il n’est pas vraiment mon oncle. Quand mes parents sont morts, ils ont laissé un peu d’argent pour m’élever. Il paraît qu’ils avaient demandé à Carlos de se charger de moi, alors il a pris l’argent, m’a dit de l’appeler « mon oncle », et j’ai dû rester avec lui depuis ce temps-là ! — Tes parents travaillaient dans le même cirque, sans doute ? demanda François. — Oui. Mon père était clown, lui aussi. Il y a eu beaucoup de clowns dans ma famille. Moi, quand je serai grand, je veux m’occuper des chevaux. J’irai dans un autre cirque, parce que dans celui-ci, on ne veut pas me laisser approcher des chevaux. C’est de la jalousie, j’en suis sûr, parce que je sais m’y prendre avec eux ! » Les enfants regardèrent Pancho avec étonnement. Il leur paraissait un petit garçon extraordinaire, qui savait dresser les chimpanzés et les chiens, qui vivait avec le plus grand clown du cirque, qui savait faire des acrobaties difficiles comme la roue, et sa seule ambition était de travailler avec des chevaux ! « Vas-tu à l’école ? demanda Mick. — Non, je n’y ai jamais été. Je ne sais pas écrire, je sais seulement lire un peu. Au cirque, tout le monde est pareil. Mais vous, je suis sûr que vous savez tous bien lire et écrire ! Même toi, Annie, tu peux lire un livre, n’est-ce pas ? — Naturellement, dit Annie. Il y a des années que je sais lire. J’apprends à calculer des fractions, maintenant. C’est difficile ! — Quoi ? Des fractions ? Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Pancho en ouvrant des yeux ronds. — Eh bien, des quarts, des demis, des sept-huitièmes et des choses comme ça, dit Annie. Mais j’aimerais mieux savoir faire la roue comme toi que des fractions ! — Dagobert aboie toujours ! » remarqua Claude, inquiète. Ils arrivaient à la hauteur du bois de pins. Claude, qui marchait la première, s’arrêta brusquement. Elle venait de voir deux corps allongés dans l’herbe, sous les arbres : Lou et Carlos ! Il était trop tard pour que Pancho pût se cacher. Les hommes l’avaient déjà vu. Ils se levèrent et attendirent que le groupe des enfants approchât. Claude trouvait réconfortante la certitude que Dagobert l’entendrait si elle le sifflait. Il accourrait au premier appel ! François regarda les deux hommes. À sa grande surprise, ils semblaient de bonne humeur, et souriaient. « Bonsoir ! » dit François. Il s’apprêtait à passer, avec les autres enfants mais Lou s’avança vers eux. « Vous campez ici, à ce qu’il paraît, dit Lou en montrant ses vilaines dents jaunes. Comptez-vous aller plus loin bientôt ? — Ce n’est pas votre affaire, répondit François, glacial. Vous nous avez dit de partir lorsque nous étions près du lac, c’est ce que nous avons fait. Maintenant, nous n’avons pas de comptes à vous rendre. » Le sourire disparut de la face de Lou. Carlos s’avança à son tour : « Nous sommes venus ici ce soir afin de trouver une place pour quelques-uns de nos animaux. Nous ne voudrions pas vous voir courir des risques… — Il y a assez de place sur cette montagne pour vous, pour vos animaux, et pour nous aussi ! répliqua François. N’essayez pas de nous faire peur. Nous resterons ici aussi longtemps qu’il nous plaira ! Le fermier et ses ouvriers, qui n’habitent pas loin, nous viendront en aide si c’est nécessaire. Sans parler de notre fidèle chien de garde ! — Ce chien-là devrait être supprimé. Il est dangereux ! dit Lou, avec un mauvais regard. — Il n’est dangereux que pour les malfaiteurs ! s’écria Claude. Ne rôdez pas autour de nos roulottes quand Dagobert est de garde. Sinon, vous le regretterez ! » Lou perdait patience. « Alors, quoi, vous partez, oui ou non ? Nous voulons disposer de cette partie de la montagne. Vous pouvez redescendre et camper près du lac, si ça vous chante ! » Les enfants le regardèrent, ébahis. « Est-ce que vous ne serez pas mieux, en bas ? renchérit Carlos. Vous pourrez vous baigner tous les jours dans le lac et Pancho vous fera voir tous nos animaux ! » Ce fut au tour de Pancho d’avoir l’air ahuri. « Comment ! s’écria-t-il. Tu m’as battu parce que j’avais parlé avec eux et maintenant tu… Qu’est-ce que ça veut dire ? Jamais on n’a mis d’animaux dans la montagne, avant… — Tais-toi ! » dit Carlos, rudement. Il se reprit et continua, en s’efforçant de paraître aimable : « Je ne pensais pas que Pancho pouvait s’entendre avec des enfants comme vous. Ce n’est pas son genre ! Mais puisque vous voulez être des amis, je suis d’accord. Vous venez camper au bord du lac et Pancho vous montrera tout le cirque. Je ne peux pas mieux dire ! — Vous avez sûrement un motif pour nous faire cette proposition, dit François, méfiant. Je regrette, mais nous ne changerons pas nos plans. Nous resterons ici ! — Allons retrouver Dago, décida Mick. Il aboie parce qu’il nous entend. S’il vient ici — et ça ne va pas tarder — nous aurons du mal à l’empêcher de s’en prendre à ces messieurs… » Les quatre enfants se mirent en marche. Pancho regarda son oncle d’un air hésitant. Il ne savait pas s’il devait suivre ou non ses nouveaux amis. « Va avec eux si ça te chante ! » dit Carlos, goguenard. Pancho ne comprenait rien à l’attitude de son oncle, mais il se hâta de rejoindre les autres enfants. Dagobert vint à leur rencontre et les salua de joyeux aboiements. « Mon bon Dagobert ! s’écria Claude en le caressant. Tu es le meilleur des chiens de garde, tu as bien compris que si j’avais eu besoin de toi, je t’aurais sifflé ! — Je vais préparer le dîner, annonça Annie. Nous mourons de faim ! Claude, viens m’aider, s’il te plaît. Mick, sois gentil, va me chercher de l’eau. Et toi, François, veux-tu aller prendre une bouteille de limonade dans ta roulotte ? » Les garçons échangèrent un clin d’œil amusé. À l’heure des repas, Annie prenait la direction des opérations et donnait ses ordres. Chacun obéissait sans protester. Bientôt ils s’installèrent sur le roc avec dix œufs durs, du jambon et une belle salade de tomates. Le lac reflétait les couleurs changeantes du ciel. Ils admirèrent le coucher de soleil, tout en dînant. « Les pique-niques nous paraissent toujours bien meilleurs que les repas pris à la maison, constata Claude. Si nous mangions chez nous des œufs durs et du pain beurré, je pense que cela ne nous dirait rien ! » Quand ils en furent au dessert, Annie alla chercher le gâteau de la fermière. Il fut fort apprécié, surtout par Pancho. « Voilà un fameux repas, s’écria-t-il lorsqu’il eut terminé. Et puis, je me plais avec vous ! — Merci ! répondit Annie. — C’est une chance que ton oncle t’ait laissé venir avec nous, déclara Mick. Tout de même, je trouve bizarre qu’il ait changé d’idée comme ça ! — Oui, dit François gravement. Est-ce qu’il ne serait pas plus raisonnable d’aller nous installer ailleurs ? » Un concert de protestations s’éleva aussitôt : « François ! Nous ne sommes pas des poltrons ! Nous voulons rester ici ! — Comment ! Partir d’ici ? Nous y sommes si bien, et nous ne gênons personne, après tout ! — Je ne bougerai pas ma roulotte d’un pouce, quoi qu’on puisse dire ! » C’était Claude qui parlait ainsi, bien entendu. « Non, ne partez pas ! dit Pancho. Ne faites pas attention à mon oncle et à Lou. Restez ici, et je vous montrerai le camp du cirque ! — Je n’ai pas envie de quitter ce joli coin, expliqua François, la mine toujours soucieuse. Seulement, je suis responsable de notre groupe et… enfin, je n’aime pas les manières de Lou et de Carlos… — Prends un autre morceau de gâteau, et n’en parlons plus ! décida Mick. Nous allons rester dans notre caverne, même si ce n’est pas du goût de ces messieurs. Et puis, j’aimerais bien savoir pourquoi ils désirent tant que nous partions… Il y a une raison ! » Le soleil disparut dans un flamboiement d’incendie, et le lac refléta de merveilleux tons de pourpre et d’or. Pancho se leva à regret. Flic et Flac, qui tenaient compagnie à Dagobert, s’apprêtèrent à le suivre. « Il faut que je rentre au camp, dit Pancho. Voulez-vous venir voir les animaux demain ? L’éléphant vous fera bien rire ! — Et si ton oncle changeait encore d’idée ? S’il ne voulait pas de nous au camp ? » objecta Annie. Pancho se gratta la tête, perplexe. « Si tout va bien, je sortirai le canot et je vous ferai signe avec un mouchoir, promit-il. Comme ça, vous saurez que vous pouvez venir. Au revoir ! À bientôt ! » CHAPITRE XI Au camp du cirque LE LENDEMAIN matin, après le petit déjeuner, Mick alla jusqu’à la ferme pour y faire quelques achats. Pendant ce temps, François observa le lac avec ses jumelles. Il attendait l’apparition de Pancho dans son bateau. Quand Mick revint, chargé de deux paniers bien pleins, François lui dit : « Viens voir ! Pancho est là, dans son bateau ! Il agite quelque chose qui semble vraiment trop grand pour être un mouchoir. On dirait plutôt un drap de lit ! — Pancho ne dort pas dans des draps, fit remarquer Annie. Quand il a vu les nôtres, sur les couchettes, il ne savait pas ce que c’était ! Peut-être est-ce une nappe ? — Une nappe ! S’il n’a pas de draps, tu crois qu’il a des nappes ? dit Mick en riant. — En tout cas, conclut François, cela veut dire que nous pouvons descendre au camp. Êtes-vous prêts ? — Pas tout à fait, répondit Annie qui déballait les provisions contenues dans les paniers. Il faut que je range tout ça… Ah ! Regardez comme la fermière nous a gâtés ! — Oui, il y a du jambon et du pâté de lapin préparés à la ferme, des laitues et des radis du jardin, une galette… énuméra Mick. — C’est, magnifique ! s’exclama Annie. Voulez-vous que nous emmenions de quoi pique-niquer ? — Oui ! » crièrent trois voix. Un quart d’heure plus tard, tout était prêt. « Est-ce que nous emmenons Dagobert ? demanda Claude. Je le voudrais bien, mais Lou et Carlos paraissent s’intéresser un peu trop à nos roulottes. Si jamais nous les trouvions pillées, en revenant… — Ce serait très ennuyeux, compléta Mick, Ces roulottes ne nous appartiennent pas ; donc nous devons en prendre soin plus encore que si elles étaient à nous. Je pense que nous devons laisser Dagobert ici, n’est-ce pas, François ? — Sûrement, dit François sans hésitation. Nous allons fermer les voitures à clef, et Dagobert les gardera. Pauvre Dago ! Il ne sera pas content ! » Quand il comprit ce qu’on attendait de lui, Dagobert prit un air malheureux, à fendre le cœur. On le laissait là, encore une fois ? Il lui fallait passer des heures à côté de ces petites maisons sur roues ? Les enfants le caressèrent avant de partir. Cette fois, Dagobert manifesta sa mauvaise humeur en leur tournant résolument le dos. Tandis que le petit groupe s’éloignait, il ne le suivit pas du regard, comme il le faisait d’ordinaire. « Il boude », constata Claude, navrée de faire de la peine à son chien. Les enfants dévalèrent le sentier. Ils furent bien vite arrivés au bord du lac. Ils y trouvèrent Pancho, Bimbo et les deux fox-terriers. Pancho courut au-devant d’eux. « Vous m’avez bien vu, de là-haut ? — Oui, répondit Annie, mais qu’est-ce que tu agitais donc ? — Une chemise de mon oncle. J’ai pensé qu’il valait mieux prendre quelque chose de grand, qui se voie de loin. — Alors, ton oncle est toujours dans de bonnes dispositions ? demanda François. — Oui, répondit Pancho. Il m’a dit de vous montrer tous les animaux de notre cirque et tout ce qu’il vous plaira ! Profitons-en ! La bonne humeur de mon oncle Carlos ne dure jamais longtemps ! — Où pouvons-nous mettre les maillots et les paniers de pique-nique pendant que nous visitons le camp ? demanda Annie. Il faudrait un endroit frais, si possible. —Mettez-les dans ma roulotte », dit Pancho. Il les conduisit à une roulotte violemment bariolée, que les quatre enfants reconnurent pour l’avoir vue passer devant leur maison une semaine plus tôt. Ils jetèrent un coup d’œil à l’intérieur. C’était sale, en désordre… Annie surtout en fut scandalisée. Elle trouvait que cela sentait mauvais et elle répugnait à poser ses paniers dans cet endroit. Pourtant, elle le fit, pour ne pas froisser Pancho. « Bien sûr, ma roulotte n’est pas si belle que les vôtres, dit Pancho, comme pour s’excuser. Maintenant, venez voir les animaux ! Si on commençait par l’éléphant ? » Les autres ne demandaient pas mieux. L’éléphant était attaché à un arbre. Il enroula sa trompe autour de la taille de Pancho. « Alors, Titan, est-ce que tu veux prendre un bain dans le lac ? » lui demanda Pancho. L’éléphant répondit par un barrissement qui fit sursauter les visiteurs. « Je t’y emmènerai plus tard, promit Pancho. Allez, hop ! » À ces mots, l’éléphant resserra l’étreinte de sa trompe, enleva Pancho dans les airs et le plaça gentiment sur sa grosse tête… « Ah ! Il ne t’a pas fait mal ? demanda Annie, inquiète. — Mais non, voyons, dit Pancho. Titan ne fait jamais de mal à personne. N’est-ce pas, mon gros ? » Un homme de petite taille s’avança en souriant. « Bonjour ! dit-il. Que pensez-vous de Titan ? Aimeriez-vous le voir jouer au tennis ? — Oui ! » s’écrièrent les enfants. Le petit homme tendit une raquette à l’éléphant qui la prit avec sa trompe. Pancho se laissa glisser souplement de la tête de l’animal jusqu’à terre. « Laisse-moi jouer avec lui, Marco ! » demanda-t-il. Le petit homme lui tendit la seconde raquette et une balle. Pancho prit du recul et lança la balle à l’éléphant, qui la lui renvoya avec adresse. « Oh ! je voudrais essayer aussi ! » s’écria Mick, transporté. Chacun des enfants voulut jouer au tennis avec Titan. Ils s’amusèrent comme des fous. Leurs rires attirèrent une douzaine de marmots, qui sortirent de leurs roulottes et s’approchèrent du groupe. Ils avaient de grands yeux noirs et d’épaisses toisons bouclées, qui semblaient n’avoir jamais connu le peigne. Dès que François leur adressa la parole, ils s’enfuirent comme une volée de moineaux ! Bimbo s’agitait dans sa cage et faisait entendre des sons plaintifs. Pancho alla le délivrer. Le premier réflexe du chimpanzé fut de tirer les cheveux de Claude. Puis il se cacha la face dans les mains, feignant une confusion qui fit rire même sa victime. « Reste tranquille ou je te remets dans ta cage ! » lui dit Pancho sévèrement. Ils allèrent voir les chiens savants. Pancho les libéra tous. Il y avait parmi eux une majorité de fox-terriers. Le reste n’était pas de race bien définie. Très vifs, soignés, le poil brillant, ils entourèrent Pancho et lui firent fête. On voyait qu’ils avaient confiance en lui et l’aimaient. « Ils savent jouer au football ! dit fièrement Pancho. Vous allez voir ça ! Flic, va chercher le ballon ! » Flic s’élança, ventre à terre, vers la roulotte de Pancho. La porte en était fermée. Le petit chien ne s’embarrassa pas pour si peu. Il se mit sur ses pattes de derrière et fit fonctionner la poignée d’un coup de museau ! La porte s’ouvrit et Flic entra. Il ne tarda pas à reparaître, poussant devant lui un ballon, qui rebondit sur les marches de la voiture et roula sur l’herbe. Tous les chiens se précipitèrent dessus en jappant à qui mieux-mieux. Ils poussaient le ballon par petits coups successifs d’un côté et de l’autre. Pancho, les jambes écartées, leur servait de but. Flic et Flac devaient marquer les buts alors que les autres chiens cherchaient à les en empêcher. C’était là un jeu fort amusant à observer. Mais Bimbo mourait d’envie de faire une farce aux chiens. Il savait qu’il lui était défendu d’intervenir dans leur partie. Alors, il attendait une occasion… Elle vint lorsque Flac, s’enroulant littéralement autour du ballon, réussit à le projeter avec force entre les jambes de Pancho. Le ballon roula près du chimpanzé. Celui-ci s’en empara aussitôt et s’enfuit avec. « Bimbo ! Veux-tu revenir ! » cria Pancho. Tous les chiens se mirent à courir après le singe, en jappant éperdument. Ils étaient furieux d’être ainsi interrompus dans leur partie ! Bimbo sauta sur le toit d’une roulotte et se mit à jouer avec le ballon, tout en regardant les chiens d’un air moqueur. Pancho dut monter sur le toit de la roulotte pour reprendre le ballon à Bimbo. Celui-ci, lorsqu’il vit Pancho surgir auprès de lui, posa le ballon en équilibre sur la cheminée et se dépêcha de sauter de l’autre côté… Les quatre visiteurs riaient à perdre haleine. Quand ils furent calmés, Pancho leur proposa de leur montrer les chevaux. Non loin de là, dans un pré, un grand jeune homme que Pancho salua du nom de Rossy faisait travailler une dizaine de chevaux arabes, au poil brillant. Rossy les montait sans selle, tour à tour. Les chevaux lui obéissaient remarquablement. « Est-ce que tu veux bien me laisser monter Reine d’Afrique ? » demanda Pancho qui en mourait d’envie. Le jeune homme parut hésiter. « C’est bon, vas-y ! » dit-il finalement. Alors Pancho sauta sur une belle jument noire. Tandis qu’elle trottait autour du pré, il se mit debout sur son dos. « Il va tomber ! » cria Annie. Mais Pancho se tenait parfaitement en équilibre. Tout à coup, il se mit sur les mains, les jambes en l’air, et resta un bon moment dans cette position périlleuse, tandis que Reine d’Afrique continuait sa course. « Bien ! dit Rossy. Maintenant, essaie Furie ! » Furie était plus petite que Reine d’Afrique, mais elle paraissait fort nerveuse, et ses yeux brillants trahissaient une nature difficile. Pancho courut à elle et sauta sur son dos. Elle se cabra, hennit, tenta de le jeter à terre. Mais Pancho tenait bon. Après quelques tentatives pour se débarrasser de son cavalier, Furie se mit à trotter dans le pré. Puis elle prit le galop, et soudain s’arrêta net, tête baissée, espérant envoyer Pancho rouler dans l’herbe ! Mais Pancho s’attendait à cette ruse. Il se rejeta en arrière au bon moment. « Parfait ! cria Rossy, enthousiasmé. Elle te mangera bientôt dans la main » Pancho ! — C’est formidable ! dit Annie. Oh ! Pancho, comme je voudrais pouvoir en faire autant ! » Pancho sauta à terre, radieux. Il était content de montrer ses talents à des enfants si distingués, si instruits. Du regard, il chercha Bimbo. « Où est donc mon singe ? dit-il » un peu inquiet. Il faut le retrouver ! On ne peut pas le laisser seul deux minutes sans qu’il fasse des bêtises… » CHAPITRE XII Un beau jour qui finit mal ! ILS EURENT tôt fait de retrouver le chimpanzé. Il se promenait parmi les roulottes. Quand il vit Annie, il s’avança vers elle et lui glissa quelque chose dans la main tout en lui tenant un aimable discours. Annie regarda le cadeau que le chimpanzé lui offrait, C’était un œuf dur ! « Il a dû fouiller dans nos paniers ! dit-elle aux autres enfants. Allons vite voir ! » En effet, il manquait deux œufs et quelques tomates. Pancho donna une claque à son singe. « Je vais t’enfermer dans ta cage » maintenant, lui dît-il Voilà tout ce que tu auras gagné ! » Dès qu’il fut enfermé, Bimbo se mit à pleurer derrière ses barreaux. Annie s’en émut « Pleure-t-il vraiment ? demanda-t-elle. Pancho, pardonne-lui ! Il ne savait pas qu’il agissait mal ! — Tu crois ça ? Eh bien, tu te trompes ! répliqua Pancho. Pour le moment, il essaie encore de nous rouler. Il ne pleure pas, il fait semblant ! Venez, vous avez encore beaucoup de choses à voir ! » La matinée passa vite. À midi, les visiteurs n’avaient pas encore vu les ouistitis. « Je vous les montrerai plus tard, dit Pancho. Si on allait déjeuner au bord du lac ? » Cette proposition fut bien accueillie. Lou et Carlos n’étaient pas au camp. Les enfants s’en réjouissaient fort. « Où sont-ils ? demanda François. — Ils sont partis je ne sais où. Mon oncle disparaît souvent comme ça, surtout la nuit. Quand nous voyageons, c’est pareil. Il m’arrive de me réveiller au milieu de la nuit, et de voir que je suis tout seul dans la roulotte ! — Où crois-tu qu’il va ? demanda Claude. — Est-ce que je sais ? dit Pancho en haussant les épaules. Je serais plutôt mal reçu si je lui demandais des explications ! Pour le moment nous sommes tranquilles. Profitons-en ! » Ils déballèrent leurs provisions au bord du lac, en se réjouissant que Bimbo n’eût pas tout mangé. Le soleil brillait, l’eau verte semblait fort attirante. Lorsqu’ils eurent déjeuné, Mick soupira : « Comme j’aimerais pouvoir nager tout de suite ! — Tu sais bien qu’on ne peut pas se baigner aussitôt après un bon repas. Il faut attendre. — Oui, bien sûr, dit Mick, résigné. Alors, je vais dormir un peu. Après nous irons voir les ouistitis ! » Ils firent tous une petite sieste. Annie se réveilla la première et appela tous les autres, car elle avait hâte de retourner au camp du cirque. Quand les enfants s’en approchèrent, ils entendirent des cris, des exclamations… Le camp semblait vraiment fort agité. « Que se passe-t-il ? dit Pancho. Oh ! tous les ouistitis se sont échappés ! » C’était vrai. De tous côtés, les enfants virent de petits singes perchés sur les toits des roulottes, ou dans les arbres. Une femme très brune, aux yeux étincelants, se dirigea vers Pancho. Elle le secoua par l’épaule. « Regarde ce qu’a fait Bimbo ! Tu l’as mis dans sa cage, seulement tu as mal fermé la porte ! Il s’est sauvé et il a été ouvrir la cage des ouistitis ! Si jamais je l’attrape, ton Bimbo, je lui casse mon balai sur la tête ! » Pancho réussit à échapper à la gitane. Il prit un recul prudent et demanda : « Où est Lucilla ? — Lucilla est allée à la ville, répondit la gitane. Elle sera contente, quand elle apprendra ça ! — Oh ! Pourquoi te mets-tu en colère ? Les ouistitis n’iront pas loin. Quand Lucilla reviendra, elle les fera rentrer dans leur cage, dit tranquillement Pancho. — Mais ils vont faire des dégâts ! Ils vont nous causer des tas d’ennuis ! rétorqua la gitane, toujours furieuse. — Regarde, voilà Lucilla qui revient ! » dit Pancho, ravi. Une vieille femme, toute petite et ratatinée, mais fort vive, pénétrait dans le camp. « Elle ressemble un peu à ses singes », pensa Annie, en riant à part soi. « Les ouistitis sont sortis de leur cage ! » lui crièrent les enfants du camp en courant à sa rencontre. Lucilla commença par accabler de sottises toutes les personnes présentes. Quand elle fut calmée, elle leva les bras au ciel et prononça d’une voix douce des mots que nos amis ne purent comprendre. « Ce doit être une formule magique », pensa Annie. L’un après l’autre, les singes quittèrent leur perchoir et s’avancèrent vers elle… Ils sautèrent sur ses épaules et dans ses bras, où ils se blottirent comme de tout petits enfants. Bientôt ils furent tous là, l’entourant, mêlant à sa voix des sons bizarres qui semblaient exprimer un profond attachement… Elle se dirigea lentement vers la grande cage, tout en continuant à leur parler doucement. Chacun l’observait en silence. Quand les singes eurent tous réintégré leur cage, la gitane qui avait secoué Pancho dit à celui-ci : « Quelle drôle de femme ! Elle n’aime que ses ouistitis, et il n’y a que ses ouistitis qui l’aiment. Prends garde à ton Bimbo, qui leur a ouvert la porte ! — Je vais l’emmener se baigner avec l’éléphant, dit Pancho. Quand nous rentrerons, Lucilla aura tout oublié ! » Pancho et ses quatre amis se mirent à la recherche de Bimbo. Ils ne tardèrent pas à le découvrir. Il se cachait sous une roulotte. Puis Pancho détacha l’éléphant. Le Club des Cinq, Pancho, Bimbo et Titan se rendirent ensuite au bord du lac. « Des histoires comme celle-là doivent arriver souvent dans un cirque, dit Annie. — Oui, dit Pancho. Les animaux nous font tout le temps des farces. C’est la vie de tous les jours… » Annie resta songeuse. La vie de tous les jours ! Combien cette curieuse vie était éloignée de la sienne ! L’eau du lac leur parut bienfaisante. Bimbo, frileux comme tous les singes, ne voulut pas se tremper complètement. Il resta près du bord, là où l’eau peu profonde est tiédie par le soleil. Il éclaboussait copieusement tous ceux qui passaient à sa portée. L’éléphant barbotait, tout heureux. Bimbo lui sauta sur le dos et lui tira l’oreille. Titan plongea sa trompe dans l’eau, aspira fortement, et doucha copieusement l’importun ! Les enfants rirent aux éclats, en voyant le chimpanzé tomber dans l’eau. Il fut entièrement mouillé, ce qu’il détestait ! « C’est bien fait pour toi ! lui cria Pancho. Hé ! Titan, as-tu fini de m’arroser ? » L’éléphant, satisfait de sa petite plaisanterie, ne voulait plus s’arrêter. Les enfants se hâtèrent de s’éloigner de lui à la nage. « Je ne me suis jamais tant amusée ! dit Annie, après le bain. Je vais rêver la nuit de singes, d’éléphants, de chevaux, de chiens et de chimpanzés ! » Pancho se livra à quelques acrobaties qui furent aussitôt imitées à la perfection par Bimbo. Mick et Annie essayèrent bravement d’en faire autant, mais ils retombèrent maladroitement sur le sol. Pour les consoler, François alla chercher les caramels, qu’il distribua à la ronde. Il en donna un à Bimbo. Celui-ci mordit voracement dans son caramel, et roula des yeux effarés en constatant qu’il ne pouvait plus ouvrir la bouche. Ses mâchoires restaient collées. Il s’assit, balança la tête d’un côté et de l’autre, tout en grognant. Heureusement, le caramel fondit bientôt et Bimbo retrouva l’usage de ses mâchoires. Rassuré, il suça bruyamment ce qui restait. Quand Mick lui présenta un autre caramel, il le refusa en tournant le dos sans plus de façon. Les enfants se promenèrent à travers le camp. Pancho était fier de ses nouveaux amis. Quelques marmots vinrent les regarder et leur tirèrent la langue. Quand Pancho éleva la voix, ils s’enfuirent. « Ils sont mal élevés, mais ils ne sont pas méchants », dit Pancho. Le petit groupe arriva devant de gros camions recouverts de bâches. « Quand nous donnons une représentation, j’aide à sortir tous les fauteuils et les bancs qu’il y a là-dedans. Après, il faut les mettre en ordre sous la grande tente. Il y a du travail, vous pouvez me croire ! Tenez, voici la camionnette de Lou ! — Que transporte-t-il ? demanda François. — Son matériel d’acrobate, et d’autres choses… Mon oncle y met aussi des affaires à lui. Mais ils en font des mystères avec leur camionnette ! Ils ne laissent personne l’approcher. Une fois, j’ai essayé de voir ce qu’il y avait dedans, l’oncle Carlos m’a surpris et j’ai reçu une raclée ! » Ils allèrent voir ensuite du matériel de cirque, déballé pour l’entraînement journalier et qui consistait en sièges divers pour les animaux, tables de prestidigitateur, agrès de funambules et d’acrobates. Mick eut bien aimé examiner de plus près certaine table de prestidigitateur, mais Pancho le pria de n’en rien faire. « Si on nous voit, j’aurai des ennuis » dit-il laconiquement. François regarda sa montre et s’aperçut qu’il était sept heures. « Il est temps de rentrer dit-il. Ce n’est pas étonnant que je commence à avoir faim ! Tu viens avec nous, Pancho ? — Oh, oui ! Je vais emmener Bimbo et mes deux chiens, comme ça, si je reste longtemps et qu’il fasse nuit quand je reviendrai, ils sauront retrouver leur chemin ! » Ils gravirent le sentier en silence, car ils commençaient à se sentir fatigués. Annie réfléchissait au dîner qu’elle allait préparer pour la compagnie : des sardines, du jambon, deux grosses boîtes de petits pois en conserve. Ce serait vite fait, et nourrissant. Ils entendirent Dagobert aboyer dans le lointain, « On dirait qu’il est en colère ! remarqua Mick. Pauvre Dago ! Il pense que nous l’abandonnons. » Quand ils arrivèrent près des roulottes, Dagobert fit fête à Claude comme s’il ne l’avait pas vue depuis un mois. Flic et Flac sautaient joyeusement autour de Dagobert, Bimbo lui tira la queue, Dago ne parut pas le remarquer ; le singe en fut vexé. « Tiens ! Qu’est-ce que Flac est en train de manger là ? dit soudain Claude. De la viande crue ? Est-ce que par hasard le fermier serait passé par ici et aurait donné un morceau de viande à Dagobert ? Dans ce cas, pourquoi ne l’a-t-il pas mangé ? » Ils regardèrent tous le fox-terrier, qui mâchait gloutonnement son morceau de viande. Flic essaya de le lui disputer. Dagobert poussa une sorte de gémissement. « C’est curieux ! » dirent les enfants. Soudain, ils comprirent. Flac eut un aboiement rauque, se mit à, trembler de tout son corps, et soudain tomba sur le côté… « Il est empoisonné ! » cria Pancho. D’un coup de pied, il éloigna Flic du reste de viande, puis il prit Flac dans ses bras. « Je crois bien qu’il est mort ! » dit Pancho d’une voix étranglée. Les larmes ruisselaient sur les joues du jeune saltimbanque. Il redescendit le sentier, portant son chien inerte, suivi de Flic et de Bimbo, qui semblaient comprendre qu’il venait de se passer quelque chose de terrible. Le Club des Cinq, atterré, les regarda s’éloigner. De la viande empoisonnée ! Qui avait fait cela ? CHAPITRE XIII Le plan de François CLAUDE s’assit par terre et prit son chien par le cou. « Dagobert ! Cette viande t’était destinée ! quelle horreur ! Heureusement que tu as été assez malin pour ne pas y toucher ! Mon pauvre Dago, si tu l’avais mangée, tu aurais été empoisonné ! » Dagobert lécha les mains de Claude. Il semblait grave, comme les enfants. Tout le monde pensait au pauvre Flac… Était-il vraiment mort ? « Je ne te laisserai plus jamais seul ! promit Claude à son chien. — Qui a pu apporter cette viande empoisonnée ? demanda Annie d’une voix blanche. — Tu n’as pas encore compris qu’il ne peut s’agir que de Lou et de Carlos ? s’écria Claude. — Ils veulent à tout prix que nous partions d’ici, murmura François, rêveur. Pourquoi ? — Ou bien ils pensent qu’il leur faut se débarrasser de Dagobert, dit Mick. — Que peut-il y avoir d’intéressant pour eux par ici ? poursuivit François. Nous les gênons, c’est certain… Ce sont de vraies brutes. Pauvre Pancho ! Comme je le plains de passer sa vie avec eux ! Et maintenant ils ont empoisonné son chien ! » Personne n’avait faim. Annie apporta quand même du pain, du beurre et un pot de confitures. Claude ne voulut rien manger du tout. Le danger qu’avait couru Dagobert la bouleversait. Tous quatre se couchèrent de bonne heure. Ils fermèrent à clef leurs roulottes. « Lou et Carlos reviendront peut-être rôder par ici ! » pensait François, inquiet. Les enfants ne surent jamais si les deux hommes étaient revenus ou non cette nuit-là. Vers une heure du matin, Dagobert se mit à aboyer. François se leva, prit sa lampe de poche et inspecta les environs. Il ne vit rien d’anormal. Dagobert se calma rapidement. François alla se recoucher. Le jeune garçon eut quelque peine à se rendormir. Il se disait que cette alerte ne pouvait être vaine. Dago n’aboyait jamais sans raison, dans la nuit. Peut-être Lou et Carlos s’étaient-ils approchés des roulottes, dans l’obscurité, croyant que le chien avait mangé la viande empoisonnée. En entendant des aboiements, ils avaient dû s’éloigner, furieux de constater que le chien vivait toujours. Que combinaient-ils ? « Il y a quelque anguille sous roche, pensa François. Qu’est-ce que cela peut bien être ? Pourquoi veulent-ils absolument nous obliger à partir ? » François imagina un plan avant de s’endormir. Il en parlerait aux autres le lendemain. Tout d’abord, il faudrait laisser croire à Lou et à Carlos qu’ils étaient tous partis pour la journée, avec le chien. En réalité, lui, François, resterait ici. Il se cacherait… Peut-être découvrirait-il quelque chose, si Lou et Carlos venaient… François finit par s’endormir. Comme les autres, il rêva d’éléphants qui l’arrosaient avec leur trompe, de Bimbo libérant les ouistitis, des chiens jouant au football… Puis il revit le pauvre petit fox-terrier tombant sur le flanc, empoisonné… Au même instant, Annie se réveillait en sursaut. Elle venait de rêver qu’on avait empoisonné leur nourriture ! Elle s’assit, tremblante, sur sa couchette et appela : « Claude ! Je viens d’avoir un cauchemar ! » Claude grogna, bâilla, s’étira et Dagobert en fit autant. Annie alluma sa lampe. « J’étais aussi en train de faire un rêve affreux, dit Claude. Je voyais Lou et Carlos qui jetaient des pierres à Dagobert ! Laissons la lumière allumée et causons un peu. Comme nous sommes très fatiguées et inquiètes, nous ne pouvons pas dormir normalement… — Ouah ! » fit Dagobert. Là-dessus, il se mit en devoir de se gratter énergiquement. « Non ! dit Claude. Ne fais pas cela ! Tu secoues toute la roulotte quand tu te grattes. On dirait qu’il y a un tremblement de terre. Arrête ! » Dagobert obéit, il se recoucha en soupirant, posa sa tête sur ses pattes et regarda Claude d’un air de dire : « Éteins la lumière. Je veux dormir, maintenant. » Claude renonça à faire la causette, puisque cela ennuyait son chien. Le lendemain matin, le temps était plus frais, et nuageux. Les enfants déjeunèrent sans entrain. Ils pensaient à Pancho et au pauvre petit fox-terrier. « Je vais aller à la ferme, dit François après le déjeuner. Toi, Mick, tu devrais prendre les jumelles et observer ce qui se passe du côté du lac. Tu verras si Pancho sort son bateau et nous fait signe. J’ai l’impression qu’il vaut mieux ne pas aller au camp du cirque aujourd’hui. Pancho croit sans doute comme nous que c’est son oncle et Lou qui ont mis de la viande empoisonnée ici. Je suppose qu’il y a eu une scène pénible entre eux ! » François s’éloigna avec ses deux paniers vides. À la ferme, Mme Monnier l’attendait. Elle avait mis de côté toutes sortes de choses pour les enfants. En payant sa note, François lui demanda : « Est-ce que les gens du cirque viennent se ravitailler chez vous ? — Oui, quelquefois, répondit la fermière. Mais, franchement, je ne tiens pas à leur clientèle. Les femmes et les enfants, passe encore, quoiqu’ils me volent une poule de temps en temps, mais les hommes ! Je ne peux pas les souffrir. L’année dernière, deux de ces romanichels rôdaient par ici. Ils ne se gênaient pas pour piétiner nos champs. Mon mari a dû les rappeler à l’ordre… — Deux hommes ? Comment étaient-ils ? demanda François subitement intéressé. — Très laids et très désagréables ! dit Mme Monnier. Une nuit ils sont rentrés dans la cour de la ferme. Mon mari est sorti avec son fusil et leur a demandé des explications. Ils ont juré qu’ils ne cherchaient pas à voler nos poules. Pourtant je ne vois pas ce qui pouvait les attirer en dehors de ça ! — C’est curieux, en effet », murmura le jeune garçon, rêveur. François ne doutait pas qu’il s’agissait là de Lou et de Carlos. Que cherchaient-ils ainsi la nuit dans la montagne ? François s’en retourna tout en réfléchissant. Quand il arriva en vue des roulottes, Mick lui fit signe de se dépêcher : « Viens vite, François ! Prends les jumelles et regarde le lac. Pancho est dans son bateau avec Bimbo. Je me demande ce qu’ils sont en train d’agiter ! » Au pied de la montagne, tout là-bas, le petit bateau de Pancho flottait sur le lac. « Pancho agite quelque chose de rouge… dit François. Je ne vois pas bien ce que c’est, mais peu importe ! Du moment qu’il a choisi du rouge, et non du blanc, c’est qu’il y a du danger ! Pancho nous met en garde ! J’ai oublié de te le dire : c’était convenu entre lui et moi. Nous avons décidé ça en montant le raidillon, hier soir, lorsque nous étions tous les deux un peu en arrière. — Ah ! bon ! dit Claude qui avait suivi la conversation, Le rouge veut dire danger… Je voudrais bien savoir ce qui se passe là-bas ! — Nous ne descendrons pas au lac aujourd’hui, reprit François. Pourtant, nous ne sommes pas en sécurité ici non plus. Je crois que nous ferions mieux d’aller installer nos roulottes ailleurs ! » François ne pensait pas vraiment ce qu’il disait. Au fond il mourait d’envie d’éclaircir ce nouveau mystère, et de découvrir la raison de l’attitude de Lou et de Carlos. Les autres protestèrent avec indignation. « Nous ne voulons pas partir ! Nous ne sommes pas des poltrons ! s’écria Mick. — Je ne veux pas m’en aller d’ici. Dagobert non plus ! affirma Claude. — Taisez-vous, voici Annie, murmura François. Ne l’effrayons pas. » Ils se turent. Mick observa Pancho un petit moment encore. Bientôt le jeune garçon et le chimpanzé regagnèrent le rivage. François jugea le moment venu d’exposer aux autres le plan qui lui était venu à l’esprit durant la nuit : « J’aimerais bien savoir ce qui attire, Carlos et Lou dans ce coin. Il y a quelque chose, tout près d’ici, qui leur fait souhaiter notre départ. Nous les gênons, c’est clair. J’ai une idée. Écoutez : nous descendrons avec Dagobert au camp du cirque. Arrivés là, nous crierons bien fort à Pancho : « Nous allons tous passer la journée à la ville ! » En entendant cela, Lou et Carlos auront peut-être envie de profiter de notre absence pour faire un tour ici… Vous trois, vous irez vraiment à la ville, avec Dago. Moi, je reviendrai ici et je me cacherai… Alors j’aurai une chance de découvrir ce que veulent Lou et Carlos ! — Pas bête, ton plan, mais un peu dangereux ! dit Mick, déjà séduit par cette perspective. — Oui, approuva Claude, tu te cacheras et tu attendras que les hommes arrivent. Surtout, ne te montre pas ! Dagobert ne sera pas là pour te défendre. Ces bandits te feront un mauvais parti s’ils te découvrent ! — Je le sais, dit François. Vous pouvez être sûrs que je me cacherai bien ! — Pourquoi ne pas essayer de découvrir nous-mêmes ce que ces bonshommes recherchent ? proposa Mick. — Nous ne savons pas s’il s’agit d’une caverne ou d’autre chose, répliqua François. Nous n’avons aucune idée de ce qui peut les attirer ici. Mme Monnier m’a dit que, l’année dernière déjà, ils rôdaient du côté de la ferme, foulant quelquefois les terres cultivées, si bien que le fermier a dû les chasser. Mme Monnier pense que ces deux hommes cherchaient à voler ses poules, mais j’ai l’impression qu’elle se trompe… — Regardons partout autour de nous, suggéra Claude. Qu’est-ce que nous risquons ? Peut-être découvrirons-nous un indice intéressant ! — Voilà que ça recommence ! » soupira Annie. Pourtant, malgré elle, cette histoire la passionnait. Dagobert s’apprêta à suivre ses amis. Il était heureux de n’être pas, une fois de plus, abandonné par eux avec mission de veiller sur les roulottes. Les enfants se séparèrent pour explorer les environs. Ils inspectèrent la roche dans l’espoir de trouver une caverne dissimulée ou une cachette quelconque. Dagobert s’occupait surtout des terriers. Il fourrait son museau dedans, cherchant à atteindre les lapins. Au bout d’une demi-heure, François appela les autres enfants. Ceux-ci crurent qu’il venait de faire une découverte, mais ce n’était pas le cas. Il déclara qu’il en avait assez de ces recherches inutiles, et qu’il abandonnait. « Il n’y a pas de cavernes par ici, ajouta-t-il. Avez-vous trouvé quelque chose d’intéressant ? — Non, dirent les autres. Qu’allons-nous faire maintenant ? — Réaliser notre plan, dit François. Ce sera plus simple. Descendons jusqu’au lac, et nous crierons à Pancho que nous serons absents toute la journée. Espérons que Lou et Carlos nous entendront ! » CHAPITRE XIV Aux aguets ILS PARTIRENT avec Dagobert. François donna à Mick ses consignes : « Vous déjeunerez tous en ville, dit-il, et vous y resterez toute la journée. Vous irez à la poste demander s’il y a du courrier pour nous. Achetez des fruits et ce qu’Annie jugera utile. — Bien, mon capitaine ! répondit Mick. Et toi, fais attention ! Lou et Carlos sont capables de tout. Ce sont des brutes ! — Sois tranquille. Je prendrai mes précautions. » En approchant du camp du cirque, ils entendirent les aboiements des chiens, et le barrissement de l’éléphant, qui semblait déchirer l’air. Ils cherchèrent Pancho. Où pouvait-il être ? Les enfants commencèrent à s’inquiéter. Leur plan allait-il échouer faute de trouver le jeune saltimbanque ? Ils n’osaient pas s’aventurer trop loin dans le camp. François pensait au morceau d’étoffe rouge que Pancho avait choisie pour signaler un danger. Il hésita sur ce qu’il allait faire. Puis il mit ses mains en cornet autour de sa bouche et cria : « Pancho !Pancho ! » Pas de réponse. Pas de Pancho. Mais le cornac avait entendu l’appel de François. Il s’avança et demanda : « Vous voulez voir Pancho ? Je vais le chercher. — Merci ! » répondit François. L’homme s’éloigna en sifflant. Bientôt, Pancho apparut entre deux roulottes. Il était pâle et semblait bouleversé. Il ne s’approcha pas des enfants, mais les regarda de loin, d’un air égaré. « Pancho ! Nous allons à la ville passer la journée ! » cria François, du plus fort qu’il put. Carlos arriva soudain derrière Pancho et le saisit par l’épaule. Pancho protégea son visage de son bras replié, comme s’il s’attendait à un coup. François cria de nouveau : « Nous allons à la ville, Pancho. Nous ne rentrerons que ce soir. Tu m’entends ? Nous allons à la ville ! » François voulait être sûr que Carlos l’entendît. Pancho essaya d’échapper à son oncle et ouvrit la bouche pour répondre. Mais Carlos le bâillonna de sa main rude et l’entraîna vivement. « Comment va ton chien ? » cria François. Mais Pancho et son oncle avaient déjà disparu derrière les roulottes… Ce fut le cornac qui répondit : « Flac va mal. Il n’est pas encore mort, mais je crois qu’il n’en a plus pour longtemps. Pauvre bête ! Pancho a beaucoup de chagrin. » Les enfants s’éloignèrent avec Dago. Claude l’avait tenu par son collier pendant la courte apparition de Carlos ; sinon, le chien aurait bondi… « Le petit fox n’est pas mort, dit Annie. Peut-être qu’il guérira. N’est-ce pas, François ? — Hum ! Il n’y a guère de chances qu’il s’en tire… Cette viande était bien empoisonnée. Je plains Pancho d’être obligé de vivre avec un homme comme Carlos ! — C’est bizarre qu’il soit si méchant ! Les clowns sont toujours gais, ils font rire les enfants ! dit Annie. — Ils jouent leur rôle, et font des grimaces pour vivre, fit observer Mick. Un clown n’est pas forcément dans la vie comme au cirque. Quand on voit des photos de clowns qui ne sont pas maquillés, on leur trouve souvent des figures tristes. — Carlos n’a pas une figure triste. Il est laid et il a l’air méchant, même plus : cruel, sauvage, féroce ! » s’écria, Annie, déchaînée. La douce Annie n’était plus reconnaissable ! Un peu plus tard, Mick se retourna pour voir si par hasard quelqu’un ne les suivait pas. Il aperçut de loin une silhouette qu’il reconnut. « Lou l’acrobate nous observe ! dit-il. — C’est bon signe ! assura François. Seulement, je vais être obligé de monter avec vous dans l’autocar qui conduit à la ville. Tant pis ! Je descendrai au prochain arrêt. Cela me rallongera un peu de la route, mais c’est sans importance. Je trouverai bien un chemin de traverse ! — Sans doute ! dit Mick, ravi à la pensée de jouer un bon tour à Lou. Dépêchons-nous ! Voici le car qui approche de la station ! » Ils se mirent à courir. Bientôt ils s’engouffrèrent tous dans l’autocar. Lou les observait toujours. Mick distinguait au loin les cheveux crépus et le long corps maigre de l’acrobate. Si le jeune garçon ne s’était pas méfié, il ne l’aurait certainement pas remarqué. François prit trois billets pour la ville et un pour le premier arrêt. L’autocar démarra. Mick eut envie de faire un pied de nez dans la direction de Lou. Il se retint. Avant de descendre, François dit : « À ce soir ! Quand vous reviendrez, envoyez Dagobert en éclaireur pour le cas où les hommes se promèneraient autour des roulottes… Peut-être que je ne pourrai pas vous en avertir ! — Entendu ! dit Mick. Au revoir, et bonne chance ! » François fit à pied, en sens inverse une partie du trajet qu’il venait de parcourir en autocar, puis il avisa un chemin qui lui parut susceptible de lui raccourcir la route, et s’y engagea. Au bout de vingt minutes, il se demanda s’il n’allait pas s’égarer dans la montagne. Mais, un peu plus tard, il eut la joie de reconnaître les lieux : le chemin aboutissait non loin de la ferme de M. Monnier. Quand il fut revenu à la caverne qui abritait les roulottes, il se prépara deux sandwiches au jambon, se coupa un gros morceau de gâteau et y joignit une poignée de cerises. Il fit un paquet du tout. Peut-être lui faudrait-il attendre longtemps, sans pouvoir quitter son observatoire. « Où donc vais-je me cacher, maintenant ? se demandait le jeune garçon. Je voudrais trouver un endroit d’où je pourrais voir les hommes arriver. D’où il me serait possible aussi de surveiller leurs faits et gestes. Quelle serait la meilleure place ? Dans un arbre ? Non, ceux qui se trouvent autour de moi n’ont pas un feuillage assez épais pour me dissimuler. Derrière un buisson ? Non, les hommes pourraient aisément en faire le tour et me voir. Peut-être au centre de ce buisson de genêts bien fournis ? » François tenta de parvenir au milieu du buisson, et s’écorcha les bras et les jambes de telle sorte qu’il abandonna vite cette idée. « Il faut que je me décide, pensa-t-il, sinon Lou et Carlos pourraient bien arriver avant que je me sois caché ! » Soudain, il eut une inspiration, et se mit à danser de joie. « Je vais grimper sur le toit d’une des roulottes ! pensa François. Personne ne me verra, et personne ne devinera où je suis. De là-haut, je pourrai surveiller les environs ! » Ce n’était guère facile de monter au poste d’observation qu’il venait de choisir. Il alla chercher une corde, y fit un nœud coulant, et visa la cheminée… Après quelques tentatives, il réussit à enserrer la cheminée dans le nœud coulant ; il laissa pendre la corde. Il lança le paquet contenant son déjeuner sur le toit de la roulotte, puis se mit en devoir de grimper le long de la corde. Quand il fut arrivé en haut, il tira la corde à lui avant de se coucher à plat ventre. Personne, à coup sûr, ne pouvait le voir d’en bas. Naturellement, si les hommes grimpaient assez haut dans la montagne ils le verraient ! Tant pis, c’était un risque à courir. François se mit aux aguets, observa le lac, la route, le chemin de traverse… Heureusement, le ciel était nuageux ce jour-là. Par beau temps, il eût été rôti sur son toit. Il regretta fort de n’avoir pas apporté une bouteille d’eau pour le cas où il aurait soif. Il vit des volutes de fumée qui s’élevaient au-dessus du camp du cirque. Il aperçut deux bateaux sur le lac, loin du bord. Des pêcheurs, sans doute. Il s’intéressa un moment à deux lapins qui sortaient de leur terrier pour s’ébattre dans l’herbe. Le soleil brilla pendant une dizaine de minutes. François commençait à souffrir de la chaleur, quand le ciel se couvrit de nouveau. Il entendit soudain quelqu’un qui sifflait sur la route, et se raidit, le cœur battant. Allait-il voir surgir l’oncle de Pancho ou son ami l’acrobate ? Non, il s’agissait d’un garçon de ferme de M. Monnier… Alors François s’ennuya… Les lapins rentrèrent dans leur terrier. Il n’y avait pas d’oiseaux dans les arbres, excepté un pivert fort occupé à faire la chasse aux insectes. Soudain, le pivert s’interrompit, poussa un petit cri d’alarme et s’envola. Il venait d’entendre un bruit qui l’avait effrayé ! François ouvrit les yeux tout grands. Il reporta son attention sur la route et le chemin de traverse. Il aperçut alors deux silhouettes qui gravissaient le sentier. Était-ce Lou et Carlos ? Il n’osa plus lever la tête de peur d’être vu, tandis qu’ils approchaient. Bientôt, il reconnut leurs voix ! Oui, il s’agissait bien des deux saltimbanques. François entendit le timbre rauque de Carlos : « Il n’y a personne. Les gosses sont bien partis pour la journée, avec leur sale cabot ! — Je te l’ai dit ! grogna Lou. Je les ai vus monter dans le car. Nous voilà enfin tranquilles… — Allons-y ! » dit Carlos. François comprit que les deux hommes entraient dans la gorge. Il s’osait pas regarder par-dessus le toit pour se rendre compte de ce qu’ils faisaient près des roulottes. « Heureusement que je les ai fermées à clef ! » pensa-t-il. Alors il entendit des sons confus. La roulotte sur laquelle il se trouvait fut soudain secouée… « Que se passe-t-il ? » se demanda François inquiet. Ne pouvant y tenir, il glissa sur un bord et jeta un coup d’œil rapide par-dessus pour voir ce que faisaient les hommes. Il ne vit personne. Peut-être Lou et Carlos se trouvaient-ils de l’autre côté ? Il glissa doucement sur l’autre bord, tandis que la roulotte tremblait toujours, comme si l’on donnait des coups dedans… François ne vit personne de ce côté non plus. Il en fut très surpris, « Alors, ils sont dessous ! pensa-t-il. Que peuvent-ils faire là ?» Le jeune garçon prit le parti de se tenir tranquille et d’attendre. Il entendait des grognements, des « han ! » qui trahissaient un effort. On grattait, on creusait peut-être la terre, sous la roulotte… Puis François se rendit compte que les deux hommes sortaient de là et se remettaient debout. Ils semblaient de fort méchante humeur. « Donne-moi une cigarette ! disait Lou. J’en ai assez ! Nous n’y arriverons, pas sans déplacer la roulotte. Ah ! Pourquoi ces gosses sont-ils venus se fourrer là ? » François entendit craquer une allumette. Il sentit l’odeur acre des cigarettes dont la fumée montait jusqu’à lui. C’est alors qu’il éprouva une grande frayeur : la roulotte se mit en branle et s’avança vers le rebord qui surplombait la pente abrupte. Les deux sinistres personnages allaient-ils la faire basculer et l’envoyer s’écraser au pied de la montagne ? CHAPITRE XV Les événements se précipitent FRANÇOIS se demanda s’il ne ferait pas mieux de sauter et de tenter de s’enfuir. Si la roulotte dévalait cette pente, il n’aurait guère de chances de s’en sortir vivant ! Pourtant, il ne bougea pas. Il s’accrocha désespérément à la cheminée, pendant que Lou et Carlos poussaient la voiture de toutes leurs forces… Elle était maintenant si près du bord que François voyait sous lui le chemin de chèvre qui descendait au lac. Le jeune garçon sentit la sueur perler sur son front. Il constata que ses mains tremblaient. Il ne pouvait s’empêcher d’avoir peur quoiqu’il en eût honte. « Arrête ! cria Lou. N’envoie pas la guimbarde par-dessus bord ! » François se sentit revivre. Ainsi, Lou et Carlos n’avaient pas l’intention de détruire la roulotte, ils voulaient seulement dégager l’emplacement qui les intéressait ! François essaya de se souvenir de l’état du sol de la caverne au moment de leur arrivée. À sa connaissance, il n’y avait là qu’un tapis de bruyère. Les hommes piétinaient près de l’escalier. François mourait de curiosité, mais il s’interdit de risquer un coup d’œil par-dessus le bord du toit. Il pourrait découvrir leur secret quand Lou et Carlos seraient partis. D’ici là, il devait se montrer patient, sous peine de compromettre le succès de son enquête. Un murmure de voix lui parvenait, mais il ne pouvait rien saisir de la conversation. Puis soudain, ce fut le silence. Un silence absolu, surprenant… François resta un bon moment sans bouger. Il ne pouvait se démasquer imprudemment. Sans doute les hommes étaient-ils encore là. Il attendit longtemps, intrigué… Un rouge-gorge vint se poser sur une branche, tout près de la roulotte. Le jeune garçon reconnut l’oiseau. Il était déjà venu picorer quelques miettes au moment des repas. Puis deux lapins s’aventurèrent hors de leur terrier et se mirent à gambader jusqu’aux abords de la caverne. « Il n’y a pas de doute, les hommes ne sont plus là, autrement les animaux se méfieraient davantage. Lou et Carlos sont partis…mais où ? Je peux me permettre de risquer un coup, d’œil, en toute sécurité » Il se tourna doucement et regarda par-dessus le toit, du côté de l’escalier de la roulotte. À quel mystérieux travail les deux saltimbanques s’étaient-ils livrés ? François ne voyait rien d’autre que la bruyère qui poussait là en abondance… «Est-ce que je rêve ? pensa-t-il. On dirait qu’ils ont disparu sans laisser de traces ! J’ai bien envie de descendre, mais ce ne serait pas prudent. S’ils revenaient brusquement et me surprenaient ici, je passerais un mauvais quart d’heure ! » Il resta donc sur son toit, se creusant la tête pour trouver le mot de l’énigme. Tout à coup il se rendit compte qu’il avait faim et soif. Heureusement qu’il avait apporté des provisions ! Il pouvait au moins calmer sa faim en attendant le retour des deux hommes, si toutefois ils revenaient ! Il mangea ses sandwiches, sa part de gâteau et s’attaqua avec délice à ses cerises, qui le rafraîchirent un peu. Ensuite il s’avisa qu’il avait distraitement lancé les noyaux à terre, « Oh ! j’aurais dû faire attention, pensa-t-il. Si Lou et Carlos remarquent ses noyaux de cerises, ils se souviendront peut-être qu’ils n’y étaient pas avant. Heureusement que la plupart d’entre eux sont tombés dans la bruyère ! » Le soleil se mit à briller. François souffrit de la chaleur. Il se disait : « Comme je voudrais pouvoir descendre ! J’en ai assez…J’ai sommeil… » Il bâilla silencieusement et ferma les yeux malgré lui… Il s’assoupit. Soudain, la roulotte fut violemment secouée, ce qui réveilla François. Il s’accrocha à la cheminée, fort inquiet. Quand il se rendit compte que Lou et Carlos remettaient la roulotte à son ancienne place, il fut rassuré. La fumée d’une cigarette lui chatouilla les narines. Les deux compères allèrent s’asseoir à l’endroit qu’affectionnait le Club des Cinq. Ils s’y installèrent pour déjeuner. François n’osait pas les regarder, de peur d’être vu. Lou et Carlos s’entretinrent à voix basse tout en mangeant. Puis, ils s’endormirent béatement. François entendît leurs ronflements sonores. « Est-ce que je vais rester là toute la journée ? se demandait le pauvre garçon. Si seulement je pouvais m’asseoir ! » Au bout d’un moment, il n’y tint plus. Certain que Lou et Carlos étaient profondément endormis, il s’assit et s’étira. Les saltimbanques dormaient, allongés sur le dos, la bouche ouverte. Le jeune garçon, les sourcils froncés, essayait de résoudre cette énigme : au moment de leur disparition, où les deux hommes avaient-ils été ? Pour quelle raison se trouvaient-ils ici ? Soudain, il tressaillit violemment, car il venait d’apercevoir dans le chemin une figure étrange qui émergeait d’un buisson de ronces ! Cette face, au nez aplati avait une bouche énorme. Quelqu’un espionnait-il Lou et Carlos ? Une main poilue voila un instant l’inquiétante figure, qui ne semblait pas humaine. François comprit alors qu’il s’agissait de Bimbo, le chimpanzé ! Bimbo regarda fixement François, qui se demandait ce que le singe faisait là. Est-ce que Pancho était avec lui ? Dans ce cas, Pancho courait un danger, car les hommes pouvaient se réveiller d’un moment à l’autre. François ne savait quel parti prendre. S’il appelait Pancho pour le prévenir, il réveillerait les dormeurs… Bimbo, qui aimait tant grimper partout, trouvait tout naturel que François fût installé sur le toit d’une roulotte. Après avoir fait un clin d’œil entendu au jeune garçon, le singe se mit à se gratter consciencieusement la tête. Soudain, auprès de lui, apparut un petit visage pâle et meurtri, aux yeux encore gonflés de larmes, le visage de Pancho. Quand il vît François qui le regardait, par-dessus le toit de sa roulotte, de surprise, le jeune saltimbanque ouvrit la bouche toute grande. Il sembla sur le point d’appeler ; alors François secoua négativement la tête pour l’en empêcher et lui désigna du doigt les deux hommes… Mais Pancho ne comprit pas. Il sourit. François sentit son sang se glacer quand il le vît courir vers l’endroit où dormaient Lou et Carlos ! « Attention ! » dit François d’une voix étouffée. Mais c’était trop tard. Pancho se hissait déjà sur l’avancée rocheuse, à moins d’un mètre de Carlos. En voyant son oncle, le jeune garçon laissa échapper un cri de surprise et tenta de se sauver. Mais Carlos, soudain réveillé, se détendit comme un ressort et le saisit par le bras. Lou tiré de son sommeil, regarda Pancho sans aménité. « D’où sort-il, celui-là ? » dit-il d’une voix pâteuse. Le pauvre garçon se mit à trembler et à supplier : « Je ne savais pas que vous étiez ici, je le jure ! Laissez-moi partir ! Je suis venu pour chercher mon canif que j’ai perdu hier ! » Carlos le secoua sauvagement. « Depuis combien de temps es-tu ici ? Tu nous espionnais, hein ? — Oh ! non. Je viens d’arriver. Je suis resté au camp toute la matinée, tu peux demander à Rossy si ce n’est pas vrai ! — Tu es venu pour nous espionner, vaurien ! dit Lou d’une voix sifflante. Tu vas le payer cher. Ah ! Tu n’as pas encore été assez battu cette semaine, à ce qu’il paraît. Mais ici tu n’ameuteras pas le camp, personne ne t’entendra crier ! Aussi tu vas apprendre ce que c’est qu’une vraie raclée ! » Pancho fut terrifié d’entendre ces paroles. Il demanda grâce, promit de faire tout ce qu’on voulait, et tenta de soustraire aux coups de Carlos sa pauvre figure déjà meurtrie. François ne put supporter cette vue. Il savait que s’il révélait sa présence, les deux hommes comprendraient aussitôt que c’était lui qui les espionnait… Il n’avait aucune envie de se battre contre de pareilles brutes. Mais qui pourrait observer sans bouger deux hommes maltraitant de la sorte un pauvre petit garçon ? François décida d’intervenir, et de faire l’impossible pour sauver Pancho. « Advienne que pourra ! » pensa-t-il. Or, au moment où François s’apprêtait à sauter du toit, quelqu’un bondit ! Quelqu’un qui montrait les dents et grognait d’une façon terrible, quelqu’un dont les bras étaient bien plus longs que ceux de Carlos et de Lou ! Quelqu’un qui aimait Pancho et ne pouvait plus supporter de le voir encore battu. C’était Bimbo. Le chimpanzé avait observé la scène avec ses yeux perçants. Il était resté caché derrière un buisson, car il craignait Lou et Carlos, mais maintenant, en entendant les cris de Pancho, il se jetait résolument sur les deux hommes ! Il mordit cruellement l’un au bras, l’autre à la jambe. Les hommes se mirent à crier, bien plus fort que Pancho ne l’avait fait ! Lou frappa Bimbo à l’épaule d’un coup de ceinture. Le chimpanzé, furieux, se jeta sur Lou, l’enserra dans ses longs bras et menaça de l’étouffer… Carlos, épouvanté, s’enfuit à toutes jambes en direction de son camp. Lou hurla : « Pancho ! Appelle ton singe ! Il va me tuer ! — Bimbo ! Arrête ! Bimbo, viens ici ! » cria Pancho. Bimbo regarda Pancho d’un air fort surpris. « Quoi ! semblait-il dire. Tu ne veux pas que je punisse ce méchant homme qui t’a battu ? Quel dommage ! » Le chimpanzé abandonna Lou à regret. Lou se précipita derrière Carlos, et tous deux dévalèrent de la montagne comme si une centaine de chimpanzés enragés les poursuivaient ! Pancho s’assit, tout tremblant. Bimbo qui se demandait si son ami était fâché, s’approcha doucement de lui, et posa sa main velue sur le genou du petit garçon. Pancho passa son bras autour du cou du singe, qui manifesta sa joie par une mimique expressive. François descendit du toit de la roulotte en se laissant glisser le long de sa corde ; puis il alla s’asseoir auprès de Pancho : « Je voulais venir à ton secours, mais Bimbo m’a devancé », dit-il. Le visage de Pancho s’éclaira soudain. « C’est vrai ? Tu es un bon copain ! Tu es aussi brave que Bimbo ! » s’écria-t-il. François rougit de plaisir. Il se sentait très fier du compliment ! CHAPITRE XVI Une découverte surprenante Quelqu’un vient ! » dit Pancho. Bimbo poussa un grognement. On entendait des voix au loin, dans le chemin. Puis un chien aboya. « C’est Dagobert ! » s’exclama François, tout heureux à la pensée de revoir son équipe. Il se leva et cria : « Tout va bien ! Venez ! » Claude, Dagobert, Mick et Annie arrivèrent en courant. « Coucou ! fit Mick. Nous avons aperçu Lou et Carlos. On aurait dit qu’ils avaient le diable à leurs trousses… Tiens, voilà Bimbo ! » Bimbo serra la main de Mick, et voulut tirer la queue de Dagobert. Mais celui-ci se méfiait… « Bonjour, Pancho, dit Mick. Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? On dirait que tu reviens de la guerre ! — C’est à peu près ça », répondit Pancho avec un faible sourire. Bimbo courut à Annie et lui serra la main longuement. Il essayait de faire la conversation avec elle, mais Annie ne comprenait pas son langage. « François, dit-elle, je suis sûre qu’il s’est passé quelque chose…Ces deux vilains bonshommes sont venus ici, n’est-ce pas ? — Oui, en effet. J’ai du nouveau à vous apprendre ! Mais d’abord, je vais boire un grand verre d’eau. Je n’ai rien bu de la journée ! — Nous avons tous soif. Je vais chercher des bouteilles de limonade », offrit Annie. Tandis qu’ils se rafraîchissaient, François raconta comment il s’était caché sur le toit d’une roulotte, et ce qu’il avait surpris ensuite. Tous l’écoutaient, fort intéressés. Quelle histoire ! Quand François eut expliqué que les deux hommes s’étaient endormis après leur déjeuner, Pancho prit à son tour la parole : « J’ai failli tout gâcher en arrivant à-ce moment-là ! dit-il. Je voulais vous prévenir : Lou et mon oncle ont juré de tuer Dagobert en lui donnant du poison ou bien, s’il n’en veut pas, à grands coups de bâton sur la tête ! — Qu’ils y viennent ! » s’écria Claude, hors d’elle. La fillette serra son chien contre elle, farouchement. « Ils ont dit aussi qu’ils mettraient le feu à vos roulottes ! » poursuivit Pancho. Les quatre enfants le regardèrent, horrifiés. « Ils ne feraient pas une chose pareille ! dit Annie. — Ils auraient affaire à la police, dans ce cas-là, ajouta François. — Je vous répète ce que j’ai entendu, déclara Pancho. Vous ne savez pas de quoi ils sont capables ! Déjà ils ont tenté d’empoisonner Dagobert, et c’est le pauvre Flac qui… » Sa phrase finit dans un gros sanglot. « Est-ce que… ton chien va mieux ? demanda Annie, la gorge serrée. — Non, répondit Pancho, quand il put de nouveau parler. Il va mourir, c’est sûr ! Je l’ai apporté à Lucilla, pour qu’elle le soigne. Elle est formidable avec les animaux. J’ai mis Flic avec les autres chiens. Comme ça il ne risque rien ! » Pancho regarda ses amis d’un air désespéré. Sa bouche tremblait. « Je n’ose pas rentrer, avoua-t-il à voix basse. Non, je n’ose pas. Qu’est-ce qu’ils vont encore me faire ? — Reste avec nous, dit François d’un ton résolu. C’est vraiment chic de ta part d’être venu nous prévenir. Tu n’as pas eu de chance de te faire pincer. Tu es notre ami maintenant. Nous nous soutiendrons tous ! » Pancho resta muet de surprise, mais son visage rayonna de joie. Il se frotta les yeux et sourit de toutes ses dents. « Comme il est gentil ! pensaient les autres enfants. Pauvre Pancho ! » Ils finirent leur limonade. François proposa : « Maintenant, si nous explorions un peu le coin ? Nous découvrirons peut-être où Lou et Carlos sont allés. Qu’en pensez-vous ? — Oh ! Oui ! s’écria Claude, qui s’était tenue tranquille un long moment. Regardons sous la roulotte, pour commencer ! — Bien sûr, dit François. Toi, Pancho, tu vas rester ici et monter la garde, pour le cas où Lou et Carlos reviendraient. » Il ne pensait pas vraiment que les deux hommes se risqueraient à revenir si vite, mais il voyait bien que Pancho avait grand besoin de repos. Pancho, lui, ne partageait pas ce point de vue. Il voulait participer aux recherches ! Cela l’intéressait au plus haut point. Aussi s’empressa-t-il de répondre : « Dagobert saura bien nous prévenir s’ils arrivent, et Bimbo aussi ! Les animaux repèrent les gens à un kilomètre. Je veux venir avec vous ! » Ainsi fut fait. Pancho se joignit aux autres. Tous se glissèrent sous la roulotte, dans l’espoir d’y trouver un indice… Mais il était impossible aux enfants d’explorer aisément la bruyère, car ils ne pouvaient guère bouger. Tout comme Lou et Carlos, ils comprirent bientôt qu’il leur fallait dégager au moins une partie de l’emplacement. Tout le monde poussa la roulotte, y compris Bimbo. Quand ce fut fait, ils arrachèrent de la bruyère. Les racines venaient sans peine, parce que les hommes les avaient déjà arrachées et replantées. Les enfants dégagèrent ainsi un mètre carré environ, et poussèrent soudain une exclamation : « Tiens ! Il y a des planches sous la bruyère ! — Elles sont bien alignées. Comment cela se fait-il ? — Dégageons-les ! » Ils retirèrent toutes les planches l’une après l’autre. Alors, ils virent qu’elles masquaient un trou dans la terre. « Je vais chercher ma lampe de poche », dit François. Il y courut. « Il doit y avoir quelque chose d’intéressant là-dedans, dit Claude, qui ne tenait plus en place. Quand on pense que nous avons justement placé l’une de nos roulottes dessus ! — Si c’est la cachette de nos bonshommes, on comprend leur colère ! On comprend aussi qu’ils nous aient proposé de changer de place et de retourner camper près du lac ! » ajouta Mick. François revenait avec sa lampe de poche, il éclaira le trou large d’un mètre environ, qui s’enfonçait assez profondément dans la terre. D’un côté, il y avait des crampons, pour permettre de descendre au fond. « C’est donc par là que ces deux misérables ont disparu ! Où cela peut-il conduire ? Ils ont été absents longtemps. Je ne sais pas comment ils ont pu replacer les planches et la bruyère quand ils se trouvaient dans ce trou », dit François. Bimbo décida soudain d’aller explorer cette cavité. Il descendit, en se servant fort adroitement des crampons, et regarda les enfants d’un air malicieux avant de disparaître. « Hé, Bimbo ! Ne te perds pas là-dedans ! » lui cria anxieusement Pancho. Déjà Bimbo ne pouvait plus être repéré avec la lampe de poche… « Il va peut-être se perdre ! dit Pancho. On ne sait pas comment c’est, en bas. Je vais chercher ! Prête-moi ta lampe de poche, François ! — Je te suis, dit François. Claude, donne-moi ta torche électrique, s’il te plaît ! — Je l’ai cassée, malheureusement, avoua Claude piteusement. Elle est tombée par terre… Et nous n’en avons pas d’autre ! — Quel dommage ! s’exclama François. J’aurais voulu que nous explorions cette cavité, mais c’est impossible, avec une seule lampe de poche ! Je descends avec Pancho. Nous allons chercher Bimbo, regarder un peu autour de nous et revenir. Peut-être verrons-nous quelque chose d’intéressant ! » Pancho descendit le premier. François le suivit. Les autres les regardèrent disparaître, en regrettant fort de ne pouvoir faire comme eux. « Bimbo ! appela Pancho. Bimbo ! viens ici ! » Quand ils furent au fond du trou, les garçons virent un étroit passage qui s’ouvrait d’un côté. Là se trouvait Bimbo. Celui-ci n’aimait pas les ténèbres, aussi n’était-il pas parti bien loin. « Il y a sûrement des cavernes par ici, dit François, tandis que Pancho éclairait les parois. Nous avons constaté que de nombreuses sources jaillissent de la montagne. Il est probable qu’au cours des âges l’eau a creusé les parties de roche les plus tendres et formé des souterrains et des cavernes un peu partout. Quelque part dans une caverne, Lou et Carlos doivent cacher certaines choses. Des marchandises volées, probablement ! » Le passage finissait en une petite caverne qui ne semblait pas avoir de prolongement. François reprit à Pancho sa lampe de poche et inspecta soigneusement cette caverne. Elle était vide. Sur une paroi, il remarqua des crampons qui montaient jusqu’à un trou dans la voûte, peut-être creusée par une source tarie… « Passons par là ! décida François, ravi de cette découverte. — Attends ! dit Pancho, ta lampe éclaire de moins en moins. — C’est vrai ! » constata François, soudain inquiet. Il secoua sa lampe, mais la pile devait être usée, car la lumière ne s’améliora pas. Au contraire, elle baissa encore… — Sortons d’ici en vitesse ! décida François. Je n’ai pas envie de me trouver là-dedans sans lumière. Ce ne serait pas drôle ! » Pancho prit Bimbo par la main, et agrippa le pull-over de François. Il ne voulait perdre ni l’un ni l’autre de ses compagnons. À peine étaient-ils arrivés dans le passage que la lampe s’éteignit. Maintenant, il leur fallait continuer leur chemin à tâtons, dans le noir… Enfin, tout se passa bien, François retrouva les crampons et remonta lentement, prudemment. Il se félicitait de n’avoir pas entraîné Pancho plus loin. Peut-être se seraient-ils perdus… Quel cauchemar ! Quand il aperçut, au-dessus de lui, le reflet du jour, il se sentit mieux. Pancho suivait allègrement. Ils virent les visages anxieux des autres enfants penchés sur l’ouverture. « Nous voilà ! cria François. Ma lampe de poche s’est éteinte. Nous ne sommes pas allés loin, mais nous avons retrouvé Bimbo, et c’est l’essentiel ! » Quand ils furent tous trois sortis du trou, François conta sa découverte à Mick et aux deux filles. « Demain, conclut-il, nous irons acheter des lampes de poche à la ville, et puis nous ferons tous ensemble une grande exploration du souterrain ! — Ça y est, nous allons avoir une aventure de plus, soupira Annie. — Je le crois, dit François. Tu n’es pas obligée de venir avec nous, Annie. Tu peux rester chez Mme Monnier pendant ce temps-là ! — Si vous partez pour l’aventure, je vous suis ! déclara résolument Annie. — Bon, c’est entendu, répondit François. Nous irons tous ensemble. Ce sera formidable ! » CHAPITRE XVII Les saltimbanques reviennent ! PERSONNE ne dérangea les enfants cette nuit-là. Dagobert n’aboya pas une seule fois. Pancho dormit sur plusieurs tapis, empilés dans la roulotte des garçons, avec Bimbo à côté de lui. Le chimpanzé semblait enchanté de rester en compagnie du Club des Cinq. Dagobert, qui était pourtant un brave chien, en conçut de la jalousie. Cela lui déplaisait qu’un autre animal s’installât chez ses amis. Aussi fit-il comme si Bimbo n’existait pas. Le lendemain matin, après le petit déjeuner, les enfants discutèrent longuement avant de désigner ceux d’entre eux qui iraient à la ville acheter des lampes de poche. « Toi, Pancho, il faut que tu restes ici avec Bimbo, dit François. On ne vous laisserait pas monter dans l’autobus ! — Vous n’allez pas nous laisser tout seuls ? protesta Pancho, inquiet. Si jamais Lou et mon oncle venaient ici… Même avec Bimbo, j’aurais peur ! — Je vais rester avec toi, décida Mick. Nous n’avons pas besoin de nous déplacer tous pour faire ce petit achat ! N’oublie pas de mettre notre lettre à la poste, François. » Ils avaient écrit une longue lettre à leurs parents, racontant tous les événements de ces derniers jours. « Pas de danger que j’oublie, dit François. Êtes-vous prêtes, les filles ? Nous partons ! Tiens-toi sur tes gardes, Mick, ces brutes peuvent revenir ! » Claude, Dagobert, Annie et François descendirent le sentier. Le chien courait en tête. Bimbo monta sur le toit d’une roulotte pour les voir s’éloigner. Mick et Pancho s’assirent au soleil. « C’est gentil ici, dit Pancho. On y est mieux qu’en bas. Je me demande ce qu’on pense de moi et de Bimbo, au camp… M. Georgio, le directeur du cirque, doit être furieux d’avoir perdu son chimpanzé. Il va envoyer des gens nous chercher… » Pancho avait raison. Deux hommes furent envoyés dans la montagne, avec mission de ramener les fugitifs : Lou et Carlos. Ils arrivèrent, rampant dans la bruyère, en prenant garde à Dagobert et à Bimbo ! Bimbo les flaira de loin, et avertit Pancho par une mimique des plus expressives. Le jeune garçon pâlit. Il avait vraiment peur des deux tristes personnages, et l’avoua à Mick. « Va te cacher dans une des roulottes, dit Mick, à voix basse. Je les attends de pied ferme. Bimbo viendra à mon secours si c’est nécessaire. » Pancho ne se fit pas prier. Il disparut dans la roulotte verte et ferma la porte. Mick ne bougea pas, Bimbo s’accroupit sur le toit de la roulotte, et observa… Lou et Carlos s’approchèrent. Ils virent Mick, mais ne remarquèrent pas Bimbo ; ils cherchèrent des yeux les autres enfants. « Que désirez-vous ? demanda .Mick. — Pancho et Bimbo ! répondit Lou en fronçant les sourcils. Où sont-ils ? — Ils vont rester avec nous dit Mick. — Certainement pas ! dit Carlos d’un ton tranchant. Je suis responsable de Pancho, depuis la mort de ses parents. Je suis son oncle ! — Belle sorte d’oncle, en vérité ! remarqua Mick. À propos, comment va ce chien que vous avez empoisonné ? » Carlos devint tout rouge. Il semblait prêt à envoyer le jeune garçon rouler jusqu’au bas de la montagne ! « Fais attention à ce que tu dis ! » cria-t-il. Pancho, caché dans la roulotte, trembla en entendant la voix colérique de son oncle. Bimbo se tint immobile, mais il prit une expression inquiétante. « Vous feriez aussi bien de partir tout de suite, dit Mick sans s’émouvoir. Je vous dis que Pancho et Bimbo restent avec nous pour le moment ! — Où est Pancho ? » demanda Carlos, les poings crispés de rage. Mick ne répondit pas. Carlos se dirigea alors vers les roulottes. « Je saurai bien le trouver ! ricana-t-il. Attends un peu ! » Dès qu’il comprit que Pancho était de nouveau menacé, Bimbo sauta du toit sur Carlos, et le terrassa. Le chimpanzé faisait entendre un grondement terrifiant. Carlos perdit son sang-froid. « Appelle-le ! cria-t-il à Mick. Lou ! Au secours ! — Bimbo ne m’obéira pas, dit-Mick placidement. Vous feriez mieux de partir avant qu’il ne vous mette en pièces ! » Bimbo lâcha Carlos et se plaça devant la porte de la roulotte verte, pour en défendre l’entrée. Carlos, durement secoué, n’insista pas. Il se dirigea en chancelant vers Mick qui s’attendit à recevoir un coup. Mais Carlos n’osa pas le toucher. Il ramassa une pierre… Vif comme l’éclair, Bimbo se jeta de nouveau sur lui et l’envoya rouler dans la pente… Lou s’enfuit terrifié. Carlos, qui était fort souple, se releva vite et s’éloigna en proférant des injures. Bimbo les pourchassa tous deux, ravi de leur faire peur. Lui aussi ramassa des pierres et les lança adroitement sur les fuyards… Mick entendit des cris de douleur. Bimbo revint, l’air satisfait de lui-même. Il se dirigea vers la roulotte verte, tandis que Mick criait à Pancho : « Tout va bien ! Ils sont partis ! Bimbo et moi, nous avons gagné la bataille ! » Pancho les rejoignit aussitôt. Bimbo l’entoura de son bras velu et lui parla à l’oreille. Pancho semblait quelque peu confus. « Mick, dit-il, qu’est-ce que tu penses de moi ? J’ai eu peur, et je vous ai laissé vous débrouiller tous les deux… — Eh bien, moi j’ai bien ri, je t’assure ! Et je crois que Bimbo s’est bien amusé aussi ! — Méfie-toi ! Lou et mon oncle sont tellement méchants ! dit Pancho d’un ton plein de tristesse. Ils sont capables de brûler vos roulottes, d’empoisonner votre chien… enfin, de vous faire du mal… Moi, je les connais ! — Nous avons déjà eu affaire à des hommes qui ne valaient pas mieux. Pendant nos dernières vacances, nous avons eu une aventure… Mais une aventure si extraordinaire que si je te la racontais, tu ne voudrais pas me croire ! — Oh ! Raconte-la-moi ! demanda Pancho en s’asseyant près de Mick. Nous avons le temps, les autres ne vont pas revenir avant un bon moment ! » Mick parla des étonnantes aventures du Club des Cinq. Pancho l’écoutait avec un intérêt passionné. Deux heures s’écoulèrent ainsi. Tout à coup, les garçons entendirent Dagobert aboyer en bas du chemin. Claude arriva la première, avec son chien. « Il ne vous est rien arrivé en notre absence ? demanda-t-elle, tout essoufflée. Quand nous sommes descendus de l’autobus, nous avons vu Lou et Carlos qui attendaient pour monter dedans ! Ils portaient des bagages, comme s’ils avaient l’intention d’aller séjourner quelque part ! » Le visage de Pancho s’éclaira. « C’est vrai, ça ? dit-il. Oh ! Ce serait trop beau ! » François et Annie arrivaient à leur tour. Pancho expliqua : « Ils sont venus tous les deux ici. Bimbo les a chassés. Ils ont été obligés de se sauver en courant. Alors, ils ont dû aller au camp préparer leurs affaires et partir ! Quelle chance ! — Nous avons acheté de belles torches électriques, dit François. Elles sont puissantes, regarde, Mick ! Il y en a une pour toi, et une pour Pancho ! — Merci », dit Pancho. Puis il devint rouge. « Elle doit coûter cher… trop cher pour moi, c’est sûr, ajouta-t-il, gêné. — Nous t’en faisons cadeau, dit Annie. Tu es notre ami, Pancho ! —Quoi ? Un cadeau ? C’est la première fois qu’on me fait un cadeau… Merci, merci ! » balbutia Pancho, qui n’en revenait pas. Bimbo tendit la main vers Annie en proférant des sons inarticulés qui signifiaient, sans aucun doute, qu’il voulait, lui aussi, une torche électrique. « Je regrette, dit Annie en riant, mais je n’en ai pas pour toi, mon vieux. Nous n’avons pas pensé à t’en acheter une… — Heureusement ! dit Pancho. Il se serait amusé toute la journée à l’allumer et à l’éteindre jusqu’à ce que la pile soit usée ! — Je vais lui donner ma vieille torche électrique, dit Claude. Elle est cassée, mais ça ne fait rien. Bimbo s’amusera avec tout de même ! » En effet, Bimbo se montra ravi du cadeau de Claude. Il actionna le bouton qui devait donner de la lumière, et chercha partout celle-ci ! Les enfants riaient aux larmes. Bimbo était toujours heureux de faire rire. Il se mit à danser de joie. « Maintenant que Lou et Carlos sont loin, j’aimerais bien aller explorer le souterrain, dit François, quand les rires furent calmés. Qu’en pensez-vous ? Nous serons tout à fait tranquilles… — Oh ! Oui. Allons-y ! s’exclama Claude. J’ai hâte de faire des découvertes ! — Hum ! fit Mick. Pour ma part, je crois qu’il vaudrait mieux manger un peu avant de partir en exploration. Ça peut demander longtemps ! Savez-vous qu’il est une heure et demie ? » Tout le monde se rangea à l’avis de Mick. Les enfants se contentèrent d’un frugal repas, car ils étaient pressés de partir en expédition. « Je crois que nous ferions bien d’emporter notre goûter avec nous, suggéra François lorsqu’ils eurent terminé. Nous reviendrons peut-être fort tard ! — Ce sera drôle de goûter dans le souterrain ! dit Annie. Je vais mettre dans un panier du beurre, de la confiture et un pain. Faut-il emporter une bouteille d’eau ? — Non, ce n’est pas la peine. Emportons seulement de quoi nous donner des forces en cas de besoin », décida François. Ce fut lui qui prit le panier. Annie y glissa une grosse tablette de chocolat au dernier moment. Pour dégager l’ouverture du souterrain, les cinq enfants poussèrent la roulotte. La veille au soir, ils l’avaient remise à sa place, pour le cas où Lou et Carlos reviendraient sur les lieux. Les garçons retirèrent les planches. Aussitôt que Bimbo vit le grand trou noir qu’il y avait dessous, il se recula, comme effrayé. « Il se souvient qu’il fait sombre là-dedans, et il n’aime pas ça, dit Claude. Allons, viens, Bimbo ! Tout ira bien, cette fois. Nous avons de quoi éclairer le souterrain ! » Mais rien ne put convaincre Bimbo d’entrer dans le trou. Il se mit à pleurer comme un bébé quand Pancho voulut l’y obliger. « Ce n’est pas la peine d’insister, Bimbo ne veut pas, dit François. Tu vas être obligé de rester avec lui, Pancho ! — Quoi ? Ah, non ! Je ne veux pas manquer une occasion pareille ! s’écria Pancho indigné. Je vais plutôt attacher Bimbo à une roue, pour qu’il ne se sauve pas ! » Quand ce fut fait, Pancho dit à son chimpanzé : « Sois sage, Bimbo. Tiens-toi tranquille jusqu’à mon retour. Voilà un seau d’eau, comme ça tu pourras boire quand tu auras soif. Nous reviendrons bientôt ! » Bimbo les regarda disparaître sous terre, un à un. Il se sentait tout triste, mais pour rien au monde il ne les aurait suivis ! Dagobert sauta à son tour. Bimbo resta seul. Le Club des Cinq et son ami Pancho étaient maintenant en route vers une nouvelle aventure. Qu’allait-il arriver ? CHAPITRE XVIII Dans le souterrain TOUS LES ENFANTS portaient de gros pull-overs, à la demande de François. Il savait qu’il ferait froid dans le souterrain. Mick avait prêté l’un de ses lainages à Pancho. La précaution n’était pas inutile. Les enfants constatèrent qu’il régnait, dans le passage, une humidité pénétrante. Ils arrivèrent dans la petite caverne. François éclaira les parois et montra aux autres les crampons qui permettaient de monter jusqu’au trou qu’on voyait dans la voûte. « Laisse-moi passer la première, François, demanda Claude. J’ai hâte de voir ce qu’il y a là-haut ! — Non, c’est moi qui monte le premier, répliqua François. Il y a peut-être du danger ! » Il se mit en devoir de grimper le long de la paroi à l’aide des crampons. Il tenait sa torche électrique entre les dents, car il avait besoin de ses deux mains. Il passa sa tête par le trou de la voûte et ne put retenir un cri d’étonnement : « Oh ! Il y a ici une grotte plus grande que six salles de danse, et les parois brillent comme si elles étaient phosphorescentes ! » Il rampa hors du trou, se mit debout, et fit quelques pas dans l’immense grotte. Il éteignit sa lampe. La lumière phosphorescente que dégageait la roche était presque suffisante pour y voir clair ! L’un après l’autre, les enfants grimpèrent dans cette étonnante caverne. Mick et Claude eurent quelque difficulté à hisser Dagobert, mais ils finirent par y arriver. Dagobert regarda alors autour de lui d’un air inquiet. Cette caverne où régnait une étrange lueur ne lui inspirait pas confiance. Claude le caressa pour le rassurer. Mick, abasourdi par le spectacle qui s’offrait à ses yeux, dit à François : « Tu crois que c’est là que se trouve la cachette de Lou et Carlos ? — Explorons cette grotte, nous verrons bien ! » répondit François. Les cinq enfants examinèrent attentivement toutes les aspérités et les creux des parois. Cela leur demanda du temps. Ils ne trouvèrent rien. Claude, Annie, Pancho et Mick se regroupaient, découragés de leurs vaines recherches, lorsque François, qui se trouvait tout au bout de la caverne, poussa une exclamation : « Tiens, un mégot ! Ça prouve que nos bonshommes sont venus jusqu’ici ! Voyez, au milieu de la paroi il y a un grand trou. Il doit y avoir là un autre passage… » Il se hissa dans l’ouverture, tandis que les autres accouraient. « Ils sont passés par là ! s’écria triomphalement François. Voici une allumette à demi consumée ! » Ce nouveau passage était fort étroit, il fallait y marcher courbé. De plus, il suivait un parcours capricieux. François pensa qu’il s’agissait là du lit d’un ancien cours d’eau souterrain. Le sol présentait un aspect poli comme si, en effet, l’eau avait coulé dessus pendant longtemps. François fit part de ses observations à Claude, qui le suivait. Elle dit en riant : « J’espère que ce cours d’eau ne va pas se remettre à couler subitement ! Nous serions dans une drôle de situation ! » Le passage se prolongeait assez loin. Annie se demandait quand elle en verrait le bout, lorsque François remarqua que la paroi, sur sa gauche, se creusait profondément, à mi-hauteur. Il eut un cri de triomphe : « Ça y est ! Nous avons trouvé ! Regardez tout ce qu’il y a ici ! » Les autres enfants se pressèrent autour des François… Ils virent, posés dans le creux de la paroi rocheuse, des sacs, des coffres, de vieilles valises… « Je veux voir ce qu’il y a dedans ! » dit Pancho, qui ne tenait plus en place, tant sa curiosité était vive. Il posa par terre sa torche électrique, attrapa un sac, et défit le nœud du cordon qui le tenait fermé. Puis il plongea sa main dans le sac. Il ramena à la lumière une assiette d’or ! « C’est beau, ça ! dit le jeune saltimbanque, éberlué. On dirait qu’ils ont volé la vaisselle d’un roi ! » Le sac était rempli d’objets de grande valeur : des plats, des assiettes, de petits plateaux d’or fin. Les enfants les étalèrent à terre. Comme ils brillaient à la lueur de leurs lampes ! « Lou et Carlos sont des cambrioleurs de grande classe, dit François, pensif. Il n’y a aucun doute là-dessus. Regardons dans ce coffret ! » Le coffret en question n’était pas fermé à clef. Mick en souleva le couvercle aisément. À l’intérieur se trouvait un vase de Chine, si fragile qu’il semblait prêt à se briser au moindre souffle. « Je ne m’y connais pas en porcelaine de Chine, dit François, mais je crois qu’il s’agit là d’une pièce rare… Ça doit coûter un prix fou ! » Claude, de son côté, fouillait dans un sac d’où elle extrayait des écrins de cuir. « Regardez ! dit-elle, des bijoux ! » Les enfants poussèrent des exclamations de surprise et d’admiration. Des diamants étincelèrent, des rubis jetèrent leur éclat pourpre, le vert merveilleux des émeraudes brilla soudain. Des bagues, des broches, des colliers, des bracelets, ornés des plus belles pierreries, s’étalaient sous les yeux des enfants éblouis… Dans un écrin, Annie trouva un diadème composé de diamants de belle taille. Elle le posa sur sa tête. « Je suis une princesse ! Voici ma couronne ! dit-elle en riant. — Ça te va bien ! » dit Pancho, admiratif, Annie retira le diadème et le replaça soigneusement dans son écrin. « Je n’en reviens pas ! avoua François. Lou et Carlos ne sont pas des cambrioleurs ordinaires. C’est difficile de voler des objets si coûteux, car ils sont généralement bien gardés. Vous pensez bien que leurs propriétaires ne les laissent pas traîner ! Lou est un excellent acrobate, nous a dit Pancho. Je parie qu’il escalade les murs, monte sur les toits et s’introduit dans les maisons par les fenêtres, pendant que Carlos fait le guet en bas... — C’est vrai que Lou peut grimper au mur d’une maison en s’accrochant à du lierre, à des gouttières, à n’importe quoi ! dit Pancho. Et il sait sauter comme un chat ! Je comprends maintenant pourquoi mon oncle était souvent parti au milieu de la nuit ! Je suis une princesse ! Voici ma couronne ! » dit-elle en riant. — Au cours de leurs voyages, quand Lou et Carlos entendaient parler de bijoux ou d’objets d’art de grande valeur, ils préparaient leur coup… poursuivit François. Ensuite, ils ramenaient les marchandises volées dans cette camionnette que tu nous as montrée. Tu nous as dit que ton oncle était furieux le jour où il t’a surpris en train de fouiller dedans. C’était là qu’il mettait ses larcins en attendant de les apporter ici ! Il faut reconnaître que c’est une fameuse cachette ! Quand la police abandonne les recherches concernant les objets volés, alors ils viennent les chercher et les vendent… — Pas bête, leur plan ! dit Mick. Je me demande comment ils ont découvert ce souterrain dans la montagne. — C’est la meilleure cachette qu’on puisse rêver ! dit Claude. Et voilà que nous venons mettre nos roulottes juste sur l’entrée ! On comprend que la plaisanterie ne soit pas de leur goût ! — Qu’allons-nous faire, maintenant, demanda Mick. — Avertir la police, naturellement, répondit François. Je pense que ça peut l’intéresser beaucoup… » Les enfants remirent tout en place, avec le plus grand soin. François éclaira le passage qui se prolongeait devant eux. « Voulez-vous continuer l’exploration ? Je serais curieux de savoir jusqu’où va ce, passage. Il y a peut-être d’autres belles grottes ! — Sortons d’ici, dit Pancho qui se sentait mal à l’aise. On en a assez vu ! J’aime mieux, aller respirer dehors. — Allons seulement voir où conduit cette galerie, dit Claude. Ça demandera deux minutes ! — Bon », admit François, qui ne demandait pas mieux. Il marcha en tête, éclairant devant lui. Le passage aboutissait à une autre caverne, beaucoup moins grande que la précédente. Au fond, quelque chose brillait d’un éclat argenté. On entendait un faible bruit que les enfants n’identifièrent pas tout de suite. « Qu’est-ce que c’est ? demanda Annie, inquiète. — De l’eau ! s’écria Claude. Ecoutez-la couler ! — C’est vrai, dit François. Il s’agit d’une source qui coule dans la montagne, à la recherche d’une issue. — Comme ce torrent que nous avons vu près du pont, avant d’arriver au bois de pins, fît remarquer Claude. Il sortait de la montagne. Vous vous en souvenez ? C’est peut-être sa source ? » Ils s’approchèrent de la source. Elle s’épandait le long de l’une des parois de là caverne. François proposa une explication : « Je crois qu’autrefois elle traversait cette caverne et suivait le passage par lequel nous sommes venus. Tenez ! Il y a une sorte de rigole creusée dans le sol, ici… On dirait que le parcours de la source a changé, pour une raison qu’on ne peut deviner. — Allons-nous-en ! dit Pancho. Je veux aller retrouver Bimbo. Il doit s’ennuyer ! Et puis, j’ai froid. On sera si bien, là-haut… On goûtera au soleil… Je n’ai pas du tout envie de goûter ici ! — Moi non plus », avoua François. Ils retournèrent sur leurs pas. Sans s’arrêter, ils jetèrent un regard sur les sacs et les valises qui contenaient les objets précieux apportés là par Lou et Carlos. Puis ils traversèrent la grotte phosphorescente et descendirent par le trou dans le sol qui communiquait avec la petite caverne qui se trouvait en dessous. François et Claude firent descendre Dagobert entre eux. C’était difficile… Ensuite, ils reprirent le passage qui devait les ramener sous les roulottes. Chacun d’eux se réjouissait de revoir bientôt le soleil. « C’est curieux, je ne vois pas la lumière du jour au-dessus de ma tête, dit François, très étonné. Pourtant… » Il se hâta de monter le long de la paroi, en se servant des crampons. Où donc était l’ouverture ? Se seraient-ils trompés de chemin ? Quand il distingua des planches, là-haut, son sang se glaça d’horreur… « Nous ne pouvons pas sortir ! s’écria-t-il d’une voix changée. Il est venu quelqu’un, qui a rebouché l’ouverture avec les planches, et qui a sans doute replacé la roulotte dessus… Nous sommes prisonniers ! » Tous les enfants regardèrent avec désespoir l’issue bouchée. « Qu’allons-nous faire ? demanda Claude. Il faut trouver quelque chose ! » CHAPITRE XIX Prisonniers dans le souterrain ! FRANÇOIS ne répondit pas. Il s’en voulait de n’avoir pas prévu une telle éventualité. Bien sûr, Lou et Carlos étaient montés dans le car avec des bagages, mais cela ne prouvait pas qu’ils allaient séjourner ailleurs. Les valises contenaient peut-être des objets volés qu’ils allaient déposer chez un complice chargé de les écouler… « Ils ont dû revenir vite pour essayer encore une fois de reprendre avec eux Pancho et Bimbo ! dit enfin François. Quel imbécile j’ai été ! Nous voilà dans un beau pétrin, maintenant ! Enfin ! je vais essayer de pousser les planches… » C’est ce qu’il fit avec l’énergie du désespoir. Malheureusement, en équilibre sur des crampons, ce n’était pas chose aisée. Mick le soutenait comme il pouvait. Au prix de gros efforts, François réussit à écarter des planches, mais, comme il le craignait, la roulotte avait été replacée juste au-dessus. Impossible de sortir ! « Si Bimbo est encore là, il pourra peut-être nous aider ! » dit François, qui reprenait courage à cette pensée. « Bimbo ! Bimbo ! » cria-t-il de toutes ses forces. Chacun se tint immobile, retenant son souffle, tendant l’oreille. Hélas ! Bimbo ne donnait pas signe de vie… Pancho l’appela, lui aussi, du plus fort qu’il put. Un silence impressionnant succédait à ses appels. « Il lui est arrivé quelque chose », dit le jeune saltimbanque, bouleversé. C’était vrai. Le pauvre Bimbo ne se trouvait pas loin de là. Il gisait sur le côté et sa tête saignait. Impossible pour lui de venir au secours des enfants, car il avait perdu connaissance… Comme le supposait maintenant François, Lou et Carlos étaient revenus. Ils apportaient de l’argent pour tenter Pancho. En approchant des roulottes, ils s’étaient mis à crier : « Pancho ! Viens ! Nous ne te ferons pas de mal. Nous t’apportons de l’argent. Montre-toi raisonnable et reviens au camp. M. Gorgio te réclame ! » Ne recevant pas de réponse, les hommes s’étaient approchés davantage. Ils avaient vu Bimbo, qui grondait sourdement, furieux d’être attaché et de ne pouvoir se jeter sur eux ! « Où sont partis les enfants ? » se demandèrent-ils alors. Quel ne fut pas leur ébahissement et leur rage, lorsqu’ils aperçurent le trou dans le sol ! « Les sales gosses ! Ils ont trouvé le souterrain ! s’exclama Carlos. — Qu’est-ce qu’on va faire ? demanda Lou. — D’abord, ceci ! » répondit Carlos. Il ramassa une grosse pierre, et la lança à toute volée sur Bimbo qui voulût sauter de côté pour l’éviter. Mais, gêné par la corde, le chimpanzé reçut la pierre en plein front. Il poussa un cri et tomba sur le côté, évanoui. « Tu l’as tué ! reprocha Lou à son compagnon. Gorgio y tenait beaucoup. — Eh bien, tant pis ! » lança Carlos. Ils s’approchèrent de l’ouverture du souterrain. « Les gosses sont dedans, en ce moment, dit Carlos qui s’étranglait de colère. Je me demande si nous devons descendre, les chasser, prendre nos affaires et partir avec ? Nous devions quitter le pays demain, de toute façon… — Quoi ? Ramener tout ça en plein jour ? Alors que les fermiers peuvent nous voir ? C’est malin ! objecta Lou. — Si t’as une meilleure idée, alors, dis-la ! — Pourquoi ne pas venir ici à la nuit avec notre camionnette et ramasser tout, comme convenu ? Nous pourrions faire une bonne blague aux gosses : les enfermer dans le souterrain ! — Pas bête, murmura Carlos, en montrant ses vilaines dents jaunes. Oui, nous allons reboucher l’entrée et remettre la roulotte dessus. Cette nuit, nous viendrons prendre la marchandise et nous laisserons les gosses dans le souterrain. Quand nous serons en sécurité, nous enverrons une carte à Gorgio pour lui demander d’aller les délivrer. — Ce n’est pas la peine ! dit Lou avec une intonation cruelle. Laissons-les mourir de faim, là-dedans, ça leur apprendra à se mêler de ce qui ne les regarde pas ! — Non. Il faudra leur apporter ce soir un peu de nourriture pour qu’ils tiennent le coup jusqu’à ce qu’on vienne les libérer. Si nous les laissons mourir de faim, et que l’affaire soit découverte, toute la presse en parlera, et toutes les polices du monde nous rechercheront… Les enfants savent écrire, ils peuvent faire une lettre disant que c’est nous qui les avons enfermés ici. » Les deux hommes replacèrent les planches et la bruyère sur l’ouverture du souterrain. Puis ils poussèrent la roulotte de façon à bloquer l’entrée. Ils jetèrent un coup d’œil sur Bimbo. Le chimpanzé était toujours inerte. Sa plaie saignait. « Il n’est pas mort ! dit Lou en le gratifiant d’un coup de pied. Laissons-le ici ! Si on le ramène avec nous, il est capable de revenir à lui et de nous attaquer ! Attaché là, il ne nous gênera pas cette nuit. » Ils redescendirent vers le lac. Quelques minutes plus tard, les enfants tentaient vainement de sortir ! L’issue était bel et bien bouchée. Personne ne pouvait aller soigner le pauvre Bimbo. Les enfants éprouvèrent une grande angoisse lorsqu’ils se rendirent compte que leurs efforts pour essayer de se libérer étaient inutiles. Annie se mit à pleurer en silence. Elle essaya de cacher ses larmes, mais Pancho les vit couler. Il en fut si ému qu’il en oublia sa propre frayeur : « Ne pleure pas, Annie, tout va s’arranger, tu verras ! — Nous ne pouvons pas rester ici, perchés sur les crampons, dit François. Descendons et allons discuter ailleurs ! » Ils retournèrent dans la grotte phosphorescente. Dans un coin ils virent un peu de sable, et choisirent de s’y installer. « Mieux vaut ménager nos lampes, conseilla François. Nous ne savons pas combien de temps nous passerons ici. N’en allumons qu’une à la fois ! — Ce serait horrible d’être prisonniers dans le noir », murmura Annie en éteignant sa torche électrique. Tous les autres l’imitèrent. Seule, la lampe de François continua de briller. Annie ouvrit le panier qu’ils avaient emporté et coupa des tranches de pain. Quand les enfants eurent goûté, ils se sentirent beaucoup plus optimistes. « Ça va mieux, maintenant, constata Mick. Non, Annie, nous ne mangerons pas ce chocolat tout de suite. Nous en aurons peut-être besoin plus tard. J’ai soif ! — Moi aussi ! soupira Pancho. Allons boire dans l’autre caverne ! Il y a une source… L’eau est sûrement bonne ! — Je l’espère, dit François. On nous a bien recommandé de ne boire que de l’eau bouillie, mais c’est un cas exceptionnel ! » Ils passèrent devant le précieux butin de Lou et Carlos, et furent bientôt dans la caverne où coulait la source. Ils burent dans leurs mains. L’eau claire et fraîche avait très bon goût. Dagobert but aussi. Cette aventure ne lui plaisait guère. Enfin, tant qu’il voyait sa petite maîtresse auprès de lui, il s’estimait heureux. Si Claude décidait de vivre sous terre, tant pis pour lui ! Il lui tiendrait compagnie. « Je me demande si cette source jaillit hors de la montagne, dit soudain François. Si oui, nous pourrions la suivre et peut-être sortir… — Nous serions tout mouillés, objecta Claude. Et puis, la source débouche peut-être dans un endroit impossible… Enfin, plutôt que de rester là… Essayons de suivre le parcours de la source ! » L’eau coulait le long d’une paroi et s’engouffrait dans une galerie qui n’était pas sensiblement différente des autres. François l’éclaira. « Je crois qu’on peut marcher dans l’eau sans trop de peine, dit-il. Attendez-moi là. Je vais aller voir où ça mène, et puis je reviendrai vous le dire. — Non, dit Claude aussitôt. Si tu y vas, nous te suivons tous. Il ne faut pas nous séparer. Ce serait affreux si l’un de nous se trouvait isolé ! » L’un après l’autre, ils entrèrent dans l’eau, qui leur arrivait aux genoux. Elle bouillonnait autour de leurs jambes, car le courant était fort. Ils avançaient lentement, à la lumière des torches électriques, et se demandaient où la source les conduirait… Dagobert nageait plus qu’il ne marchait. Il trouvait l’eau très froide et manifesta son mécontentement. Il décida de dépasser François et de monter sur un rebord qui courait, un peu au-dessus du niveau de l’eau. « Bonne idée, Dagobert ! » s’écria François en l’imitant. Il lui fallut ramper pour ne pas se cogner la tête, mais au moins il n’avait plus les jambes dans l’eau glacée ! Tous les autres firent de même. Aussi longtemps que le rebord courut le long de la galerie, ils avancèrent ainsi. Quand ce rebord disparut, ils marchèrent à nouveau dans l’eau. « Oh ! L’eau m’arrive presque à la taille, maintenant ! dit Annie. Pourvu qu’elle ne monte pas davantage ! » Par chance, en avançant, le niveau de l’eau resta le même ; seulement, le courant devint plus fort. « On dirait que ça descend un peu, par ici, constata François. Peut-être que nous approchons de l’endroit où la source sort de la montagne ! » C’était vrai. Bientôt, François aperçut au loin, devant lui, une faible lueur… Il comprit que c’était la lumière du jour ! « Nous sommes presque au bout ! cria François. Venez vite ! » Les enfants se dépêchèrent, le cœur battant d’espoir. Allaient-ils pouvoir sortir de ce trou ? Respirer l’air pur et se réchauffer au soleil ? Pancho songeait à Bimbo, et se demandait anxieusement s’il ne lui était rien arrivé de grave. Il pensait aussi aux vols de Carlos, ce méchant homme qui se faisait passer pour son oncle, et l’avait tant tourmenté. Le jeune garçon éprouvait un immense soulagement à la pensée d’être débarrassé de lui… Mick, lui, se voyait déjà prenant l’autocar et courant à la gendarmerie. Mais, hélas ! leur espoir fut déçu : la profondeur de l’eau augmentait près de la sortie. Pancho s’arrêta, effrayé : « Je ne vais pas plus loin, dit-il. Le courant m’entraîne… — Moi aussi », reconnut Annie. François essaya de nager, mais y renonça presque aussitôt. Il sentait que le courant pouvait le jeter sur les parois rocheuses, ou l’entrainer violemment au-dehors… Il ne savait pas où débouchait cette source. Peut-être tombait-elle d’une certaine hauteur ? « Rien à faire, constata-t-il, découragé. Nous avons marché dans l’eau tout ce temps-là pour rien ! C’est beaucoup trop dangereux. Quand on pense que la lumière du jour est à quelques mètres devant nous… Il y a de quoi devenir fou ! — Retournons en arrière, décida Claude. Dagobert risque de se noyer. Quel malheur d’être obligé de refaire tout ce trajet dans l’eau ! » CHAPITRE XX Un événement imprévu LE CLUB des Cinq et son ami Pancho retournèrent donc sur leurs pas. Tout le monde était fort triste. Ils avançaient très péniblement, car cette fois il leur fallait remonter le courant. François frissonnait. En essayant de nager il avait complètement détrempé ses vêtements. Que le temps leur parut long ! Enfin, ils parvinrent à la caverne où ils avaient découvert la source. « Courons pour nous réchauffer ! dit François. Je suis gelé. Mick, donne-moi l’un de tes pull-overs. Je suis obligé de me débarrasser des miens qui sont mouillés » Les enfants se mirent à courir dans la caverne. Quand ils furent réchauffés, ils se laissèrent tomber, épuisés, sur le sable qui garnissait un coin de la caverne. Là, ils reprirent leur souffle. Ils entendirent un léger bruit. Dagobert, qui écoutait depuis un moment, se mit à gronder sourdement. « Dagobert nous avertit que quelqu’un approche ! » dit Pancho, qui devint blême. Il était le plus peureux de tous les enfants, probablement à cause des frayeurs qu’il avait eues les jours précédents. Tout le monde tendit l’oreille. Claude maintint Dagobert contre elle. On entendait quelqu’un haleter, et le bruit venait de la galerie où coulait la source ! « Qui arrive par là ? murmura Claude, ébahie. Qui a pu avoir l’idée de rentrer dans le souterrain en remontant la source ? Sûrement pas Lou ou Carlos, ils seraient passés par l’autre côté, c’est tellement plus facile ! — Attention ! il arrive ! dit François. Je vais éteindre ma lumière » Les enfants, immobiles dans les ténèbres, écoutaient, angoissés. Le pauvre Pancho tremblait. Dagobert cessa de gronder, ce qui paraissait surprenant. L’inconnu se rapprochait. On l’entendait respirer de plus en plus bruyamment. Annie se retint de crier… François ralluma sa torche électrique. C’était Bimbo ! Un Bimbo au poil mouillé, si laid qu’il aurait paru comique, en d’autres circonstances. Tous les enfants l’entourèrent aussitôt, en poussant des cris de joie. Dagobert sauta autour du chimpanzé, et lui fit fête. Bimbo prit Pancho et Annie dans ses bras. « Bimbo ! Tu t’es échappé ! Sans doute as-tu rongé ta corde jusqu’à ce qu’elle cède ! s’écria François. Il faut que tu sois très malin pour avoir trouvé ton chemin jusqu’à nous par la source ! » Puis il vit la blessure que le pauvre Bimbo avait à la tête. « Bimbo est blessé ! Ces brutes ont dû lui lancer une pierre ! ajouta-t-il, indigné. — Il faut laver la plaie, dit Annie. J’ai un mouchoir propre… ! » Mais Bimbo ne voulut laisser personne toucher sa blessure, même pas son petit ami Pancho. Il repoussa les enfants sans méchanceté, mais fermement. « Ça ne fait rien, dit finalement Pancho. Les plaies des animaux guérissent souvent très vite, même sans soins. — J’ai une idée ! lança soudain Mick. Je ne sais pas si elle est bonne, mais je vais quand même vous la dire ! — Qu’est-ce que c’est ? demandèrent les autres, intrigués. — Si nous attachions une lettre au cou de Bimbo, et que nous l’envoyions la porter au camp ? proposa Mick. Puisqu’il a pu rentrer, il pourra sortir, je pense. Il n’ira pas trouver Lou ou Carlos, car il a peur d’eux. Les autres sont de braves gens. Larry est peut-être le meilleur. Il a vraiment l’air d’un brave garçon ! — Est-ce que Bimbo comprendra ce que nous voulons ? demanda François, sceptique. — Peut-être bien, répondit Pancho. Je l’envoie quelquefois porter à Larry la raquette de l’éléphant, ou bien mettre ma veste dans la roulotte… Il ne se débrouille pas mal ! — Nous pouvons essayer, dit Mick. J’ai sur moi un crayon à bille et un carnet. Je vais écrire une lettre que j’envelopperai dans une autre feuille, et nous attacherons le tout au cou de Bimbo avec un lacet de soulier. » Mick écrivit donc : Pour qui lira cette lettre : Venez vite sur la route qui monte au sommet de la montagne. À mi-chemin, près du bois de pins, il y a une caverne où sont garées deux roulottes. Sous la roulotte rouge se trouve l’entrée d’un passage souterrain. Nous sommes prisonniers dans ce souterrain. S’il vous plaît, venez vite nous délivrer ! FRANÇOIS, MICK, CLAUDE, ANNIE ET PANCHO. Il lut sa lettre à haute voix. Puis il l’attacha au cou de Bimbo. Celui-ci fut surpris, mais, par chance, n’essaya pas de s’en débarrasser. « Maintenant, donne-lui tes ordres ! » dit Mick à Pancho. Pancho parla lentement et distinctement au chimpanzé, qui écoutait d’une oreille attentive. « Où est Larry ? Va voir Larry, Bimbo. Va chercher Larry. Va ! » Bimbo le regarda d’un air implorant. « Je veux rester avec toi ! » semblait-il dire. Pancho répéta ses instructions. « Tu as bien compris, Bimbo ? Alors va ! » Bimbo s’éloigna. Les enfants l’accompagnèrent jusqu’à la galerie où coulait la source. Ils le regardèrent partir et l’éclairèrent aussi longtemps qu’ils le purent. « Il est très intelligent, dit Annie. Et si gentil ! Il n’aime pas les souterrains et encore moins l’eau froide. Pour être venu te rejoindre, il faut qu’il te soit très attaché, Pancho. Il ne voulait pas s’en aller ! J’espère qu’il ira trouver Larry et que celui-ci viendra nous délivrer ! — Pourvu que la lettre ne soit pas trempée ! dit François. Peut-être se détachera-t-elle du cou de Bimbo… Ah ! Si seulement je n’avais pas si froid ! Courons encore un peu, et mangeons un morceau de chocolat ! » Ils coururent et se poursuivirent un moment dans la caverne, puis ils s’assirent pour croquer leur chocolat. Dagobert se mit contre François, qui trouva que c’était là une excellente idée. « Dago est comme une grosse bouillotte, dit-il. Approche-toi encore, mon bon chien. Tu me réchauffes bien ! » Ce n’était pas gai, d’être assis dans cette caverne, éclairée par une seule torche électrique. On eût dit que, déjà la lampe de François faiblissait. Les enfants jouèrent aux devinettes pour tromper leur attente, mais bientôt ils bâillèrent. «Quelle heure est-il ? demanda Annie. Il doit faire noir dehors maintenant. J’ai sommeil ! — Il est neuf heures, répondit François. Si Bimbo a pu amener la lettre au camp, nous devrions bientôt être délivrés. — Alors, il vaut mieux nous rapprocher de l’entrée du souterrain », dit Mick en se levant. Les enfants regagnèrent la grande caverne phosphorescente. Près du trou qui conduisait à la première petite grotte située en dessous, il y avait un coin avec du sable. Ils décidèrent de demeurer là, plutôt que dans le passage ou dans la petite grotte inconfortable. Ils se serrèrent tous les uns contre les autres, pour avoir moins froid. La faim commençait à se faire sentir. Au bout d’un quart d’heure, Annie et Pancho somnolèrent. Claude luttait contre le sommeil. Mais les deux frères restèrent bien éveillés, et se mirent à parler à voix basse. Dagobert, qui veillait, lui aussi, semblait vouloir prendre part à la conversation. Deux heures s’écoulèrent ainsi. Tout à coup, Dagobert pointa les oreilles et gronda. François et Mick secouèrent les dormeurs. « Je crois qu’on vient nous délivrer, dit-il. Mais il vaut mieux attendre ici, pour le cas ou il s’agirait de Lou et de Carlos ! Alors, réveillez-vous et tenez-vous prêts à tout ! » Pancho et les deux filles eurent tôt fait de reprendre leurs esprits. Étaient-ce les redoutables voleurs qui revenaient ou bien Larry qui répondait à leur appel ? Ils furent vite fixés ! Une tête surgit du trou et aussitôt une lumière violente leur fit fermer les yeux. Dagobert gronda furieusement et voulut s’élancer, mais Claude le retint, pensant qu’il pouvait s’agir de Larry. Malheureusement, c’était Lou, l’acrobate ! Les enfants reconnurent sa voix rude avant que François ne l’éclairât. « J’espère que vous vous êtes bien amusés ! disait Lou. Tenez bien votre chien, ou je tire dessus ! Regardez le beau fusil que j’ai apporté ! » Claude, horrifiée, le vit pointer son fusil sur Dago. Elle serra son chien contre elle. « Gare à vous, si vous tirez sur Dagobert ! » s’écria-t-elle sans réfléchir. Lou répondit par un rire sardonique. Dagobert, qui ne savait pas le mal que peut faire un fusil, ne comprenait pas pourquoi Claude l’empêchait de sauter sur leur ennemi. Pourtant celui-ci se trouvait dans une bonne position, avec sa tête qui dépassait du trou ! Dagobert était persuadé qu’il aurait tout de suite raison de cette tête-là si on le laissait libre… Lou sauta dans la caverne et ordonna : « Allez tous vers la galerie du fond. Marchez devant moi. Nous avons du travail à faire ici, et ce n’est pas vous qui nous en empêcherez ! » Les enfants se dirigèrent vers l’ouverture dans la paroi et grimpèrent dedans. Claude d’abord, avec Dagobert, qu’elle n’avait pas lâché. Quand les enfants furent tous entrés dans le passage, Lou les rejoignit, puis Carlos, qui portait des sacs vides. Ils passèrent devant la cachette des voleurs. « Halte ! » cria Lou un peu plus loin. Il s’assit, éclairant les enfants d’une main, de l’autre braquant son fusil sur Dagobert. « Vas-y, Carlos ! dit-il. Tu sais ce qu’il faut faire ! » Carlos jeta dans un sac les écrins et les objets précieux, pêle-mêle. Quand le sac fut plein, il le chargea sur son dos et s’éloigna. Dix minutes plus tard, il revint et remplit un second sac. De toute évidence, les deux hommes avaient l’intention de tout emporter, cette fois. « Vous aviez fait une découverte intéressante, pas vrai, les gosses ? dit Lou, moqueur. Oh ! Vous avez été malins ! Seulement, il arrive souvent des ennuis aux enfants trop curieux. Vous êtes prisonniers, maintenant. Oui, vous allez rester ici pendant deux ou trois jours ! —Que voulez-vous dire ? s’écria François. Vous n’allez pas nous laisser mourir de faim ici ? — Non, mes agneaux, nous vous aimons trop pour vous faire une chose pareille ! dit Lou, qui paraissait s’amuser beaucoup de l’effroi des pauvres enfants. Nous vous enverrons de quoi manger avant de refermer l’entrée du souterrain. Et peut-être que dans deux ou trois jours quelqu’un viendra vous délivrer ! » François souhaita désespérément que Bimbo revînt avec de l’aide avant que Carlos et Lou n’eussent quitté les lieux. Il observa Carlos qui travaillait fiévreusement, entassant des objets dans son grand sac, le portant au-dehors et revenant remplir un autre sac… Alors que Carlos s’éloignait, lourdement chargé, pour, la troisième fois, un grand cri retentit soudain dans le passage : « Lou ! Au secours ! On m’attaque ? » Lou eut un instant d’hésitation, puis il se dirigea vers l’entrée du souterrain. « C’est Bimbo, j’en suis sûr ! » s’écria François, qui se mit à sauter de joie. CHAPITRE XXI Mick a une idée formidable ! « TIENS-TOI tranquille, et écoute-moi, lui dit Mick. C’est peut-être Bimbo tout seul qui attaque Carlos en ce moment. Dans ce cas, le malheureux singe va se faire tuer par Lou. Et nous resterons enfermés ici ! Il est possible que Bimbo, au lieu de retourner au camp, ait erré dans les parages, et qu’il se soit introduit ici derrière Carlos. Je vais profiter de la bagarre pour me glisser dans la grotte phosphorescente. — Qu’est-ce que ça nous donnera ? demanda François. — Tu ne vois pas, non ? De là, je gagnerai la sortie sans être vu et j’irai chercher du secours… Tâchez de trouver un endroit où vous puissiez vous cacher en attendant. Si les bandits s’aperçoivent que l’un de nous manque à l’appel, ça ira mal ! Je vais faire vite… » Sans attendre de réponse, Mick s’éloigna en direction de l’immense grotte phosphorescente. Là, il entendit une rumeur confuse, car Bimbo avait réussi à attraper les deux voleurs ! Leurs lumières s’étaient éteintes, et Lou n’osait pas tirer, de peur de blesser Carlos. Mick devinait cela, d’après les cris étouffés qu’il entendait. Il se hâta, sans bruit, en s’appuyant contre la paroi, et arriva à l’endroit où il croyait retrouver le trou qui conduisait dans la première petite grotte. Il tâtonna un moment, gêné par la crainte de tomber. Enfin, il trouva l’issue et descendit en s’appuyant sur les crampons. Là, il estima qu’il pouvait se servir de sa torche électrique pour éclairer le passage, et trouver la sortie. Bientôt, il fut à l’air libre. Il allait prendre son élan et courir chercher du secours lorsqu’il se ravisa. Avant qu’il ne revînt avec du renfort, les deux voleurs seraient partis ! Ils avaient décidé de fuir, avec les objets volés. Il n’y avait aucun doute là-dessus. S’il remettait les planches sur l’ouverture, et posait de grosses pierres dessus ? Il n’était pas assez fort pour pousser seul la roulotte, mais des pierres rendraient le même service… Mick se mit fébrilement au travail. Quand les planches furent alignées, Mick, tout essoufflé, éclaira les parages. Non loin de là, il vit ce qu’il cherchait : des fragments de roc, détachés de la montagne. Il ne put les soulever mais réussit à les faire rouler. Boum ! Boum ! L’un après l’autre, ils vinrent s’immobiliser sur les planches, les bloquant complètement. « J’ai enfermé François, les filles et Pancho avec les voleurs, pensa Mick. C’est risqué ! Enfin, j’ai confiance : François trouvera bien, un endroit sûr pour se cacher avec les autres… Maintenant, courons ! » Dans le souterrain, les deux hommes avaient réussi à échapper au chimpanzé, après avoir été mordus et maltraités… Bimbo, affaibli par sa blessure, s’était finalement laissé repousser. Grâce à son flair, il se dirigea sans hésiter vers l’endroit où se trouvaient les enfants. Lou l’aurait certainement tué s’il avait pu ramasser assez vite son fusil qu’il avait lâché dans la bagarre. Il tâta le sol tout autour de lui. Ce fut sa lampe de poche qu’il retrouva la première. Il éclaira son compagnon. « Nous aurions dû nous méfier de ce singe quand nous nous sommes aperçus qu’il avait disparu, dit Carlos. J’ai de la veine qu’il soit tombé sur mon sac, autrement je n’aurais pas pu m’en débarrasser ! — Allons chercher ce qui reste, et sauvons-nous ! dit Lou, qui avait été fort secoué. Encore un sac à remplir… Retournons là-bas, faisons bien peur aux gosses, tirons sur Bimbo si c’est possible, et filons ! Quand nous serons sortis, nous enverrons quelques boîtes de conserves dans le souterrain avant de le refermer. — Je ne tiens pas du tout à me retrouver en face de ce chimpanzé, dit Carlos. Tant pis pour ce qui reste ! Viens, Lou. Partons ! » Lou n’avait pas non plus grande envie d’affronter de nouveau Bimbo. Sans insister davantage, il suivit Carlos. Lou et Carlos, faits prisonniers dans leur souterrain ! Ce fut un choc terrible pour les deux voleurs, lorsqu’ils s’aperçurent que l’entrée avait été rebouchée ! Lou éclaira les planches, n’en croyant pas ses yeux. Qui leur avait joué ce tour ? Eux, Lou et Carlos, faits prisonniers dans leur souterrain ! Carlos, se voyant pris au piège, devint fou de rage. Il cogna des poings contre les planches, mais ne réussit qu’à se blesser. Rien ne bougea Finalement, il redescendit et se laissa tomber auprès de Lou. « Impossible d’écarter les planches ! Quelqu’un a dû remettre la roulotte dessus ! Nous sommes faits comme des rats ! — Qui nous a enfermés ici ? cria Lou, pâle de colère. Est-ce que ces gosses n’auraient pas filé pendant que nous nous battions avec le singe ? Allons voir, s’ils sont encore là ! » Les deux bandits revinrent vers l’endroit où ils avaient laissé les enfants. Bien entendu, ils n’y trouvèrent personne. François avait entraîné tout le monde à la recherche d’une bonne cache. Il lui était venu à l’idée que Mick fermerait peut-être l’entrée, ce qui ne manquerait pas de rendre furieux les voleurs ! Au moment où Carlos et Lou finissaient leur bataille avec le chimpanzé, les enfants se trouvaient dans la caverne où coulait la source. Après avoir inspecté les lieux, François dit, découragé : « Je ne vois pas d’endroit où nous puissions nous cacher. Si nous allons dans la galerie où coule la source, nous serons trempés, gelés, et il nous sera impossible d’échapper aux bandits, dans le cas où ils nous poursuivraient ! — J’entends du bruit ! chuchota Claude. Éteins ta lampe, François ! » Les enfants attendirent, dans le noir. Dagobert restait silencieux. Claude s’en étonna. Puis elle se rendit compte qu’il remuait la queue. « C’est un ami… » murmura-t-elle. François éclaira de nouveau et tous virent avec soulagement le chimpanzé venir à eux. Pancho poussa une joyeuse exclamation : « Bimbo ! As-tu été au camp ? Est-ce que tu nous ramènes du secours ? — Non, il n’a pas été au camp, répondit François en désignant la lettre, toujours accrochée au cou du singe. Quel dommage ! — Il est intelligent, mais pas assez pour comprendre une chose aussi difficile, dit Claude, déçue. Nous t’en demandions trop, mon pauvre Bimbo ! Enfin, j’espère que Mick aura pu s’échapper… Il faut absolument nous cacher jusqu’à ce qu’il revienne avec de l’aide ! — Si nous remontions le courant de la source ? proposa Annie. Tout à l’heure nous l’avons descendu. » François n’aimait guère la perspective de barboter encore dans l’eau. Mais que faire ? Il éclaira la galerie d’où venait la source. « Je crois qu’on pourrait marcher sur le rebord qu’il y a d’un côté, déclara-t-il. Il faudrait avancer courbé en deux et faire attention de ne pas glisser, car le courant est fort ! — Je passe le premier », décida Pancho, prêt à tout pour tenter d’échapper à son oncle. Il grimpa dans la galerie et se plaça sur l’étroit rebord. Puis vinrent le rejoindre Annie, Claude, Dagobert… Juste au moment où François disparaissait à son tour dans la galerie, les deux hommes faisaient irruption dans la caverne, et la lampe de Lou éclaira par malchance le pauvre garçon… Lou poussa un cri guttural : « En voilà un là-bas ! Viens ! » Les hommes coururent jusqu’à la source. Lou éclaira l’intérieur de la galerie et vit les enfants, alignés l’un derrière l’autre. Il attrapa François, le dernier d’entre eux. Annie ne put retenir un gémissement quand elle vit son frère brutalement ramené dans la caverne. Pancho sentit son cœur battre à grands coups dans sa poitrine. Dagobert se mit à gronder férocement, et Bimbo de même. « J’ai un fusil, dit Lou, et je vous préviens que je tire sur ce chien et sur ce singe si jamais ils montrent le bout de leur nez hors de ce trou ! Si vous tenez à eux, débrouillez-vous pour qu’ils restent tranquilles ! » Il remit François entre les mains de Carlos qui maintint solidement le jeune garçon, les bras derrière le dos. Lou éclaira de nouveau la galerie, pour compter les enfants. « Tiens, Pancho est avec eux ! dit-il. Sors de là, Pancho ! — Si je sors, dit Pancho tout tremblant, Bimbo sortira avec moi. Et il peut te sauter dessus… » Lou réfléchit pendant quelques secondes. Il craignait le chimpanzé, aux réflexes imprévisibles. « C’est bon, reste avec lui. La fille peut rester là aussi, à la condition de tenir le chien. Mais l’autre garçon doit sortir ! » Il prenait Claude pour un garçon. Claude n’en fut pas étonnée. Elle en avait l’habitude. Elle répondit aussitôt : « Je ne peux pas venir. Si je sors, le chien me suivra. Je ne veux pas qu’il soit tué ! — Veux-tu sortir ! » cria Lou, menaçant. Carlos intervint : « Il manque une fille, Lou, dit-il. Pancho nous a dit qu’il y avait deux garçons et deux filles. Où est l’autre fille ? — Elle doit être un peu plus loin dans la galerie, répondit Lou. Toi, sors de là ! » Ces derniers mots s’adressaient à Claude. Annie supplia : « N’y vas pas, Claude ! Ils te feront du mal. Dis-leur que tu es… — Tais-toi ! » coupa Claude. Elle ajouta dans un souffle : « Si je dis que je suis une fille, ils comprendront que Mick s’est sauvé, et ils seront encore plus furieux. Tiens Dagobert à ma place ! » Annie prit le collier de Dagobert d’une main qu’elle s’efforça d’affermir. Claude sauta dans la caverne. Mais François ne voulait pas laisser les bandits maltraiter sa cousine. Il se débattit comme un beau diable. Au moment où l’acrobate se saisissait de Claude, François envoya un formidable coup de pied dans la torche électrique de Lou… Elle alla heurter la voûte de la caverne et retomba à terre avec fracas. Tout le monde se trouva alors dans l’obscurité. « Claude, retourne dans la galerie avec Annie ! cria François. Dagobert, viens ! Bimbo, ici ! — Je ne veux pas qu’on tue Dagobert ! » protesta Claude, tandis que le chien sautait dans la caverne. Elle n’avait pas fini de parler qu’un coup de feu claquait. C’était Lou qui tirait au jugé sur le chien… « Oh ! Dagobert ! gémit Claude, tu n’es pas blessé ? » CHAPITRE XXII La fin de l’aventure NON, DAGOBERT n’était pas blessé. La balle avait frôlé son oreille et s’était perdue dans la paroi de la caverne. Aussitôt, le chien riposta en mordant Lou à la jambe. L’homme tomba avec un cri rauque. Son fusil lui échappa des mains. François l’entendit rebondir sur le sol, à son grand soulagement ! « Claude, éclaire-nous vite ! » cria-t-il. Carlos poussa une exclamation de terreur quand la lumière soudain revenue lui permit de voir le chimpanzé qui se précipitait sur lui. L’homme rassembla ses forces et tenta d’abattre le singe d’un magistral coup de poing à la face. Puis Carlos prit la fuite, se demandant avec angoisse où il pourrait se mettre hors de portée du chimpanzé, si celui-ci était encore capable de combattre. Pendant ce temps, Lou se défendait contre Dagobert, qui semblait vouloir l’égorger… Carlos n’alla pas loin. Un homme en civil et trois gendarmes à la stature imposante surgissaient du passage, conduits par Mick ! L’un des gendarmes tenait un revolver à la main. Carlos ne fit aucune résistance. Il leva les bras en l’air. « Dagobert ! Assez ! Viens ici ! » commanda Claude, lorsqu’elle vit les gendarmes. Dagobert la regarda d’un air plein de reproche. Il semblait dire : « Laisse-moi faire, voyons ! C’est si bon de mordre un bandit ! » Puis le chien se mit à aboyer furieusement après les nouveaux arrivants. Quoi ! encore des ennemis ! Il les mangerait tous ! « Que s’est-il passé ? demanda l’homme en civil, qui était inspecteur de police. Allons, relevez-vous ! » poursuivit-il en s’adressant à Lou. Lou se mit debout, non sans difficulté. Dagobert l’avait mordu à différents endroits, notamment aux jambes. Ses cheveux pendaient sur ses yeux, ses vêtements étaient déchirés. Un peu étourdi, il regarda les gendarmes et se demanda comment ils étaient entrés dans le souterrain. Puis il vit Mick, et comprit tout. « Ainsi, tu as réussi à filer et tu as rebouché l’ouverture ! explosa-t-il, conscient d’avoir perdu la partie. Attends un peu ! » Il esquissa un geste menaçant. Deux gendarmes se saisirent de lui. Solidement maintenu, il ne pouvait plus nuire, mais il se mit à injurier les enfants avec la dernière violence. « Taisez-vous, dit sévèrement l’inspecteur. Vous parlerez quand on vous interrogera. Vous aurez sûrement des choses très intéressantes à nous dire ! — Mick ! Comment as-tu fait pour revenir si vite ? demanda François, en s’approchant de son frère. Je ne t’attendais pas avant longtemps ! — Je suis allé jusqu’à la ferme des Monnier, j’ai tambouriné à la porte jusqu’à ce qu’on m’ouvre, et de là, j’ai téléphoné à la gendarmerie. Les gendarmes sont arrivés très vite en voiture, avec M. l’inspecteur. Où est Annie ? et Pancho ? — Les voilà ! » répondit François, en les éclairant. Tous deux sortaient de la galerie où ils étaient restés tapis. Mick aperçut le petit visage d’Annie, pâle et encore marqué d’angoisse. « C’est fini, Annie, dit-il. Fais-nous un sourire, maintenant ! » Annie se força à sourire, pour plaire à son frère. Bimbo prit la main de la petite fille et lui tint un discours qui devait être très affectueux. Annie, tout à fait rassurée, se mit à rire franchement. Claude rappela son chien près d’elle, car elle se rendait compte qu’il mourait d’envie de mordre Lou une fois de plus. Lou la regarda fixement. Puis il se tourna vers Mick et François, et enfin vers Annie. « Il n’y a qu’une fille ! grogna-t-il. Pancho, pourquoi nous as-tu fait croire qu’il y avait deux garçons et deux filles ? — Parce que c’est la vérité », répondit tranquillement Pancho. Il désigna Claude du doigt : « Elle n’en a pas l’air, mais c’est une fille ! Une fille qui est aussi brave qu’un garçon ! » Claude fut très fière du jugement de Pancho. Elle regarda Lou d’un air de défi. L’inspecteur posa quelques questions à François, et nota sur son carnet les réponses du jeune garçon. « Sortons d’ici, maintenant, » dit l’inspecteur, quand ce fut terminé. François ouvrit la marche. Ils arrivèrent devant la cachette des voleurs. Les gendarmes prirent avec eux les objets qui restaient. Carlos ne pouvait s’empêcher de marmotter des injures entre ses dents. « Est-ce qu’on va les mettre en prison ? demanda Annie à Mick. — Bien sûr ! répondit celui-ci. Il y a longtemps qu’ils devraient y être ! Depuis quatre ans, leurs vols ont mis la police sur les dents ! » Les enfants avaient hâte de quitter le souterrain. Ils furent tout heureux d’apercevoir les étoiles briller au-dessus de leur tête, lorsqu’ils sortirent enfin du trou, l’un après l’autre. Les gendarmes passèrent les menottes aux deux voleurs et les firent monter dans la voiture de police qui les attendait non loin de là. « Qu’allez-vous faire maintenant, les enfants ? demanda l’inspecteur. Vous ne devez guère avoir envie de rester seuls ici, après une telle aventure. Voulez-vous venir avec nous à la ville ? — Non, merci beaucoup, dit François poliment. Nous avons l’habitude des aventures. Nous serons très bien ici, avec Dagobert et Bimbo ! — Hum ! Je ne crois pas que j’aimerais beaucoup la compagnie d’un chimpanzé, dit l’inspecteur. Nous reviendrons demain matin pour vous poser quelques questions complémentaires. — À votre disposition, monsieur, dit François. — Merci de nous avoir aidé à capturer ces dangereux bandits ! ajouta l’inspecteur. — Que faites-vous de la camionnette dans laquelle Lou et Carlos ont mis les objets volés ? Allez-vous la laisser ici ? » demanda Mick. L’inspecteur désigna un gendarme pour emmener le véhicule qui contenait le précieux butin des voleurs. Les enfants la regardèrent s’éloigner sur la route, derrière la voiture de police. « Je suis bien content d’être sorti du souterrain ! déclara François. Mon vieux Mick, quelle bonne idée tu as eue de téléphoner à la ferme ! » Tous les enfants se sentaient terriblement las, après une telle aventure. Il était plus de minuit. Pourtant ils ne voulurent pas se coucher sans prendre un léger repas. Quand ce fut fait, personne n’eut le courage de se déshabiller. Chacun d’eux tomba sur son lit et s’endormit aussitôt. Cette nuit-là, aucun rôdeur ne vint les déranger ! — Le lendemain matin, vers neuf heures, les enfants furent réveillés par quelqu’un qui frappait à la porte de la roulotte de François. Celui-ci s’assit brusquement sur son lit et cria : « Qui est là ? — C’est nous ! » dit une voix familière. La porte s’ouvrit. M. et Mme Monnier parurent sur le seuil. Ils montraient un visage anxieux. « Nous nous demandions ce qui s’était passé après le coup de téléphone de Mick, dit le fermier. — J’aurais dû retourner vous le dire, reconnut Mick. Excusez-moi, j’étais si fatigué ! La police est venue arrêter les voleurs dans le souterrain. Elle a emporté tout leur butin. Quelle nuit ! Merci encore de m’avoir laissé téléphoner ! — C’est tout naturel, dit Mme Monnier. Tenez ! Je vous ai apporté de quoi reprendre des forces ! » Elle posa sur le sol deux paniers débordants de bonnes choses. À cette vue, Mick se sentit tout à fait réveillé et fort affamé. « Oh ! merci, dit-il. Que vous êtes gentille ! » Pancho et Bimbo surgirent brusquement de dessous leurs couvertures. Mme Monnier poussa un cri de surprise : « Qu’est-ce que c’est ? Un singe ? — Un chimpanzé, madame, dit poliment Pancho. Il ne vous fera pas de mal ! Bimbo ! Veux-tu lâcher ce panier ! » Bimbo, qui espérait pouvoir se régaler d’une friandise sans être vu, se couvrit la face de sa main velue et regarda Mme Monnier à travers ses doigts écartés. « Qu’il est drôle ! dit Mme Monnier à son mari. On dirait un petit enfant qui a fait une bêtise ! » Claude et Annie, réveillées par Dagobert, accouraient pour voir qui était là. Après quelques minutes de joyeuse conversation, les fermiers voulurent se retirer, car ils avaient beaucoup de travail. « Revenez nous voir, les enfants ! dirent-ils. Vous serez toujours les bienvenus chez nous ! » Quand ils furent seuls, les enfants décidèrent de faire un magnifique petit déjeuner. François voulait apaiser sa fringale avant de se laver ; mais Annie protesta : « Ce sera bien meilleur quand nous serons propres ! Nous sommes tous dans un état lamentable. — D’accord, maman ! » répondit Pancho en riant. Ils se lavèrent dans le ruisseau. Puis ils revinrent près des roulottes et s’attaquèrent allègrement aux provisions que Mme Monnier leur avait apportées. CHAPITRE XXIII Au revoir, Pancho ! ALORS QU’ILS terminaient leur plantureux petit déjeuner, une voiture noire s’arrêta non loin d’eux. L’inspecteur de police en descendit, accompagné d’un gendarme. « Bonjour ! dit l’inspecteur, jovial. Je vois que vous vous soignez bien, les enfants ! — Voulez-vous du pain frais avec du miel ? demanda gentiment Annie. — Oui, merci », répondit l’inspecteur après une légère hésitation. Il s’assit à côté d’Annie. Le gendarme alla examiner les lieux avec soin. L’inspecteur mangea sans façon une tartine de miel, tandis que les enfants lui contaient en détail leur extraordinaire aventure. « Les voleurs ont dû être furieux lorsqu’ils ont constaté que vous aviez bouché l’entrée du souterrain avec l’une de vos roulottes ! dit l’inspecteur. — Je comprends ! Que pensez-vous des objets volés ? Ont-ils une grande valeur, comme nous le croyions ? demanda François. — Une valeur inestimable, déclara l’inspecteur. Ces deux coquins ne dérobaient que des pièces rares qu’ils cachaient ensuite pendant un an ou deux, jusqu’à ce que l’affaire soit tombée dans l’oubli, puis ils les sortaient tranquillement de leur repaire et les écoulaient en Hollande et en Belgique… — Carlos a eu des engagements en Hollande, dit Pancho. Il m’en a souvent parlé. Il a des amis partout en Europe, des amis qui travaillent dans des cirques, comme nous… — Dans ces conditions, c’est facile pour lui d’écouler les objets volés à l’étranger, déclara le policier. Il comptait gagner la Hollande avec son complice, par la mer et en fraude… Tout était prêt, car ils n’agissaient pas seuls. Vous êtes intervenus juste à temps ! — Quelle chance que Mick ait réussi à sortir du souterrain pendant que Bimbo attaquait les voleurs ! Autrement, nous serions restés prisonniers et nos bonshommes auraient pu passer en Hollande ! remarqua Claude. — Vous avez fait du bon travail, les enfants, conclut l’inspecteur. Ce miel est délicieux ! Où l’avez-vous acheté ? — Chez Mme Monnier, la fermière… — Ah ! oui, je la connais. Je lui en achèterai aussi. — Reprenez-en donc ! » lui dit Annie avec un beau sourire. Le policier ne résista pas à la tentation. Il se fit une seconde tartine de miel. Annie trouvait réjouissant de voir une grande personne apprécier le miel comme un enfant. « Luis Fernandez, connu sous le nom de Lou au cirque, est un voleur peu ordinaire, reprit l’inspecteur. Une fois, il est passé du troisième étage d’un immeuble au troisième étage de la maison d’en face sans que personne ait su comment ! — Ce n’est pas compliqué pour lui, dit Pancho, qui commençait seulement à se sentir en confiance avec le policier. Il a dû lancer une corde, attraper au lasso un balcon ou l’appui d’une fenêtre, et gagner la maison d’en face en se servant de cette corde. C’est un acrobate formidable ! — Oui, c’est probablement ce qu’il a fait, dit l’inspecteur. Non merci, je ne reprendrai plus de miel. Ce chimpanzé me fera des misères si je ne lui laisse pas le fond du pot ! » Annie tendit en riant le pot de miel à Bimbo. Il le prit et se mit à le lécher consciencieusement. Dagobert, très intéressé par la mimique du singe, s’approcha de lui. Inquiet, Bimbo leva le pot de miel au-dessus de sa tête en articulant bien haut : « Yarra— Yarra— Yarra — Yarra ! » Interloqué, Dagobert préféra retourner auprès de Claude. Elle écoutait avec attention le policier qui parlait maintenant des cavernes souterraines. « Elles sont très anciennes, disait-il. Autrefois, il y avait une entrée en bas de la montagne, mais un éboulement l’a bouchée. Personne n’a cherché à la dégager, car les cavernes ne présentent pas un intérêt exceptionnel. — Pourtant, protesta Annie, je trouve que la caverne aux parois phosphorescentes est très belle ! — C’est par hasard que nos deux voleurs ont trouvé une autre entrée, celle que vous connaissez, poursuivit l’inspecteur. Ils ont pensé que, pour cacher leur butin, le souterrain serait idéal : il est tout près de l’endroit où le cirque campe chaque année. De plus, il y fait sec, ce qui est important. Que pouvaient-ils souhaiter de mieux ? — Ils auraient sans doute continué longtemps si nous n’avions pas placé nos roulottes juste sur l’entrée, dit Mick. Quelle malchance pour eux ! — Et quelle chance pour nous ! ajouta l’inspecteur. À plusieurs reprises, la police a eu des soupçons au sujet de ces deux hommes. Il y a eu perquisition au cirque. En vain. Les voleurs avaient réussi à mettre leur butin à l’abri avant l’arrivée des gendarmes. — Avez-vous été au camp du cirque, aujourd’hui, monsieur ? demanda soudain Pancho. — Oui. Ce matin même j’ai interrogé tout le monde. Quel émoi j’ai causé ! Ces gens n’étaient pas contents du tout ! » La figure de Pancho s’allongea. « Qu’est-ce que tu as, Pancho ? lui demanda Annie. — Si je retourne au camp, je serai mal vu, dit Pancho. On dira que c’est ma faute si les gendarmes sont venus… On ne les aime guère, chez nous. Je n’ai pas fini d’en voir à cause de ça ! Non, décidément, je ne veux pas retourner là-bas ! » Personne ne trouva de réponse. Les enfants se demandaient ce qu’allait devenir le pauvre Pancho, maintenant que son oncle était en prison. Après un silence, Annie lui demanda doucement : « Si tu retournes tout de même au camp, avec qui crois-tu qu’il te faudra vivre, Pancho ? — Je n’en sais rien. Il y aura toujours quelqu’un qui voudra me prendre avec lui pour me faire travailler dur, dit le jeune saltimbanque, d’un air buté. Si c’était pour m’occuper des chevaux je serais content, mais Rossy ne me voudra pas. J’en suis sûr ! — Quel âge as-tu, Pancho ? demanda l’inspecteur. Il me semble que tu devrais aller à l’école ! — Je n’y ai jamais été, monsieur. Et comme j’ai quatorze ans maintenant, il y a gros à parier que je n’y mettrai jamais les pieds ! » Il souriait malicieusement. En vérité, il ne portait pas son âge, mais deux ans de moins. Tandis que ses amis l’examinaient avec surprise, il redevint grave : « En tout cas, je n’irai pas au camp aujourd’hui. Qu’est-ce que j’entendrais ! Tout le monde crierait après moi et après vous, qui êtes venus fourrer votre nez dans nos affaires, ajouta Pancho à l’adresse du Club des Cinq. M. Gorgio doit regretter son meilleur clown et son meilleur acrobate ! — Reste avec nous quelques jours, lui dit François. Nous voulons prendre de vraies vacances, à présent. » Mais François se trompait en croyant qu’ils pourraient prolonger leur séjour à la montagne. À peine l’inspecteur avait-il tourné les talons, avec le gendarme qui l’accompagnait, que Mme Monnier arrivait en brandissant un papier bleu. « Le petit télégraphiste est venu chez nous. Il vous cherchait, dit-elle. Il a laissé ce télégramme pour vous. J’espère qu’il ne vous apporte pas une mauvaise nouvelle ! » François ouvrit le télégramme et lut tout haut : « Très surpris de votre lettre. Il semble y avoir danger pour vous. Rentrez immédiatement. Papa. » « Quel dommage ! soupira Annie. Il faut partir ! — Je vais aller à la ville, dit François. Là je téléphonerai à papa et lui expliquerai que tout va pour le mieux ! — Venez donc téléphoner chez moi », proposa aimablement Mme Monnier. François accepta avec joie. Il l’accompagna donc jusqu’à la ferme. En route, ils eurent une conversation animée, et soudain François eut une idée… « Est-ce que par hasard M. Monnier n’aurait pas besoin d’un jeune ouvrier ? demanda-t-il. Est-ce qu’un garçon qui aime les chevaux, qui sait bien les soigner et qui travaillerait dur, ne serait pas utile à la ferme ? — Oh ! Si ! justement la main-d’œuvre est difficile à trouver, et mon mari disait l’autre jour qu’il prendrait volontiers à son service un garçon courageux, ayant dépassé l’âge scolaire… — Vraiment ? Voulez-vous prendre à l’essai notre ami Pancho, qui était employé au cirque ? Les chevaux le passionnent et il leur fait faire ce qu’il veut ! Et puis il est habitué à beaucoup travailler. Je suis sûr que vous en seriez satisfaits ! — Nous allons en parler à mon mari », dit Mme Monnier. Ils arrivaient à la ferme. François téléphona à ses parents qui furent bien étonnés de son récit. Ensuite, le jeune garçon eut une longue conversation avec M. Monnier. Il s’en retourna en courant, pressé de communiquer une bonne nouvelle aux autres enfants. « Pancho ! cria-t-il dès que celui-ci put l’entendre. Pancho, est-ce que ça te plairait d’aller vivre et travailler à la ferme ? Tu t’occuperais des chevaux ! M. Monnier a dit que tu pouvais commencer demain ! — Non ? C’est vrai ? à la ferme ? Travailler avec les chevaux ! Pour sûr, ça me plairait !… Mais les fermiers n’aiment pas beaucoup les gens du voyage… — M. Monnier a dit qu’il te mettrait à l’essai, expliqua François. Si tu travailles bien il te gardera. Nous sommes obligés de partir demain. Reste avec nous jusque-là. Rien ne t’oblige à retourner vivre au camp du cirque. — Mais… je ne veux pas me séparer de Flic ! Mon pauvre Flac doit être mort. Tu crois que le fermier me prendra avec mon chien ? — Pourquoi pas ? dit François. Eh bien, va chercher tes affaires et ton chien, et reviens avec nous ! » Pancho acquiesça, radieux. « Carlos et Lou ne me brutaliseront plus jamais, pensait-il. Je ne vivrai plus au camp. Je m’occuperai des chevaux du fermier, et je travaillerai pour lui. Quelle chance ! » Les enfants dirent adieu à Bimbo, qui devait rentrer au camp. Il appartenait à M. Gorgio, et Pancho ne pouvait le garder avec lui. De toute façon, il paraissait douteux que Mme Monnier l’eût accepté chez elle. Bimbo serra la main de tout le monde. Il semblait comprendre qu’il s’agissait d’un adieu. Les enfants regrettaient de voir partir l’amusant chimpanzé. Il avait partagé leur aventure et s’était fort bien comporté. Quand il eut descendu vingt mètres dans le chemin, il se retourna et revint en courant vers Annie. Il passa son bras autour d’elle et la serra un instant, doucement, comme pour dire : « Vous êtes tous bien gentils, mais Annie est ma préférée ! » « Tiens, Bimbo, voilà un cadeau ! » lui dit Annie, très touchée de cette marque d’affection. Elle lui tendit une tomate. Il la prit, tout heureux, et rejoignit Pancho dans le chemin. Les enfants nettoyèrent les roulottes et mirent de l’ordre dans leurs affaires, en vue du départ fixé au lendemain. Cela leur prit du temps. Quand ils eurent fini, ils attendirent le retour de Pancho. Serait-il à l’heure pour le déjeuner ? Alors qu’ils se posaient cette question, Pancho escaladait la montagne en sifflant gaiement. Le Club des Cinq l’entendit, et alla à sa rencontre. Pancho portait un sac sur son dos. Deux chiens le suivaient. Deux ! « Oh ! Flac est là ! s’écria Claude, ravie. Il est guéri ! » Pancho souriait de toutes ses dents blanches. Ses amis l’entourèrent et caressèrent le chien rescapé. « Lucilla l’a tellement bien soigné que le voilà tout frétillant, comme s’il ne lui était rien arrivé ! » dit Pancho. À la vérité, Flac était encore un peu faible sur ses pattes, mais il suivait bravement, heureux d’avoir retrouvé son petit maître. Dagobert accueillit les deux fox-terriers avec la bienveillance d’un géant débonnaire. « J’ai eu de la chance, raconta Pancho. Je n’ai rencontré que Lucilla et Larry. M. Gorgio et quelques autres avaient dû aller au commissariat de police pour répondre à des questions, à ce qu’il paraît. Alors, j’ai mis mes affaires dans un sac et me voilà ! — Tout le monde est content, dit François. Maintenant, nous allons bien nous amuser. C’est notre dernier jour ! » En effet, la fin de la journée fut des plus joyeuses. Ils descendirent au lac et s’y baignèrent. Ensuite ils allèrent dire au revoir aux fermiers, qui les invitèrent à un plantureux goûter. Ils dînèrent près des roulottes, en compagnie des trois chiens, qui s’entendaient fort bien. Pancho eut un moment de tristesse à l’idée de se séparer de ses amis si distingués et si gentils. Enfin, il se sentait très fier de gagner bientôt sa vie à la ferme, où il serait en compagnie des chevaux, qu’il aimait… Le lendemain, M. et Mme Monnier, Pancho, Flic, Flac, tous étaient à la barrière de la ferme pour saluer le passage des deux roulottes. « Au revoir ! cria Pancho, bonne chance ! J’espère que vous reviendrez par ici ! — Au revoir ! répondirent les autres. Fais nos amitiés à Bimbo quand tu le verras ! — Ouah ! Ouah ! » fit Dagobert. Seuls, Flic et Flac devinèrent le sens de son message : « Saluez ce vieux Bimbo pour moi ! » Au revoir, Club des Cinq ! Nous attendons votre prochaine aventure ! FIN