CHAPITRE I À la villa des Mouettes CLAUDINE attendait ses trois cousins à la gare. Auprès d’elle, Dagobert, son chien, remuait la queue et manifestait une grande impatience. Il savait bien que sa maîtresse et lui allaient retrouver François, Mick et Annie, et il s’en réjouissait. La vie était toujours beaucoup plus amusante lorsque les cinq étaient réunis. « Le train arrive, Dago ! » s’écria Claude. Personne ne l’appelait plus Claudine, car elle faisait la sourde oreille à ce nom. Elle ressemblait à un garçon avec ses cheveux courts et frisés ; elle portait un short et une chemise à col ouvert. Son visage était bronzé, ses jambes et ses bras nus semblaient aussi noirs que ceux d’une gitane. On entendit au loin le bruit du train ; un petit nuage de fumée blanche apparut et monta vers le ciel. Dagobert aboya. Il n’aimait pas les trains, mais il avait de la sympathie pour celui-là. La locomotive arriva à la gare de Kernach ; bien avant que le train fût arrêté le long du quai, trois têtes s’encadrèrent dans l’une des fenêtres et trois mains s’agitèrent. Claude répondit à ces bonjours ; un large sourire s’épanouit sur son visage. La portière s’ouvrit quelques instants avant l’arrêt du train ; un grand garçon en descendit, aidant une petite fille. Puis, vint un autre garçon, moins grand que le premier ; il portait un sac dans chaque main. Sur son dos un troisième sac. Claude et Dago l’entourèrent. « François, Mick, Annie, votre train a du retard, nous pensions que vous n’arriveriez jamais ! — Hello ! Claude. Nous voilà enfin ! Bas les pattes, Dago ! — Bonjour, Claude. Oh ! Dago, tu es toujours aussi caressant. — Ouah ! » répondit Dago avec joie. Il courait de l’un à l’autre des enfants, ne sachant comment manifester son plaisir de les voir. « Vous n’avez pas de malle, pas de valises ? demanda Claude. Seulement trois sacs ? — Nous ne venons pas pour longtemps cette fois, hélas ! répondit Mick. Quinze jours seulement. Enfin, c’est mieux que rien ! — Aussi, vous n’auriez pas dû rester en Angleterre pendant six semaines, dit Claude avec une pointe de jalousie. J’imagine que vous êtes devenus à peu près Anglais, maintenant. » Mick sourit et commença à parler dans un anglais rapide qui paraissait à Claude aussi obscur que de l’hébreu. « Cela suffit ! dit-elle en lui donnant une tape amicale. Tu es toujours aussi nigaud ! Enfin je suis contente que tu sois venu. La maison est bien triste et bien solitaire sans vous tous.» Un porteur s’approchait avec un chariot. Mick s’adressa à lui en faisant une mimique très drôle et lui parla en anglais. Le bonhomme connaissait très bien Mick et s’amusait de ses plaisanteries. « Continue ton charabia, petit », dit-il, puis reprenant un ton sérieux : « Voulez-vous que je porte vos paquets jusqu’à la villa des Mouettes ? — Oui, je vous en prie, répondit Annie. Cela suffit, Mick, les plaisanteries les meilleures sont toujours les plus courtes. — Oh ! laisse-le ! s’exclama Claude. Que je suis contente d’être avec vous ! » Elle passa un bras autour de l’épaule d’Annie et entraîna Mick de l’autre côté. « Maman a hâte de vous voir. — Je suppose que l’oncle Henri, lui, n’éprouve aucune impatience, commenta François tandis qu’ils marchaient tous les cinq le long du quai. — Papa est de très bonne humeur, dit Claude. Vous savez qu’il est allé en Amérique avec maman pour faire des conférences et entendre discourir d’autres savants. Maman a dit qu’il avait été très bien accueilli. » Le père de Claude était un brillant savant, connu dans le monde entier. Dans l’intimité, c’était un homme d’un caractère plutôt difficile, impatient, coléreux et distrait. Les enfants l’aimaient beaucoup, mais gardaient de respectueuses distances. Ils soupiraient d’aise lorsque l’oncle Henri s’en allait pour quelques jours, car ils pouvaient alors faire autant de bruit qu’ils voulaient, monter et descendre les escaliers, jouer à toutes sortes de jeux. « L’oncle Henri va-t-il rester à la maison ? demanda Annie que son oncle effrayait. — Non, répondit Claude, papa et maman vont en voyage en Espagne. Nous serons tout seuls. — Formidable ! s’écria Mick. Nous pourrons passer toute la journée en costume de bain. — Et Dago pourra manger avec nous ! Le pauvre, il a été bien maltraité toute cette semaine, on l’a chassé de la salle à manger car il avalait toutes les mouches qui s’approchaient de lui. Papa ne peut pas supporter de voir Dago gober une mouche. — Pauvre chien ! dit Annie en caressant la tête frisée de Dagobert. Il pourra croquer toutes les bestioles qu’il voudra, nous ne lui dirons rien. — Ouah ! répondit Dago avec reconnaissance. — Hélas ! nos vacances seront si courtes que nous n’aurons pas le temps de vivre beaucoup d’aventures », murmura Mick avec regret, tandis qu’ils pénétraient dans le jardin des Mouettes. Les coquelicots avaient fleuri dans l’herbe, et la mer, au loin, brillait, aussi bleue que les bleuets. « Deux semaines à peine, poursuivit Mick, et il nous faudra retourner en classe. Enfin j’espère qu’il fera beau ! Je veux me baigner six fois par jour. » Un moment plus tard, ils se retrouvèrent tous assis autour de la table de la salle à manger. Tante Cécile avait préparé un très bon goûter, elle était enchantée de revoir ses neveux et sa nièce. « Maintenant Claude va être contente, dit-elle en leur souriant. Elle était toute triste, la semaine dernière. Veux-tu un autre croissant, Mick ? Prends-en deux tout de suite, tu as l’air d’avoir faim ! — Merci, dit Mick, c’est délicieux. Où est l’oncle Henri ? — Dans son bureau, répondit la tante. J’irai le chercher dans une minute. J’ai l’impression qu’il ne mangerait pas de toute la journée, si je n’allais pas le chercher, et si je ne le tirais pas de force jusqu’à la salle à manger. — Le voici ! » s’écria François en entendant les pas rapides de son oncle. Soudain la porte s’ouvrit. L’oncle Henri apparut ; il tenait un journal à la main et semblait très absorbé. Il ne vit même pas les enfants. « Regarde, Cécile ! cria-t-il, regarde ce que les journalistes ont osé imprimer ! J’avais pourtant donné l’ordre qu’on ne publie pas cela. Les bandits ! Les imbéciles ! Les… — Henri ! s’écria sa femme. Que t’arrive-t-il ? Regarde, les enfants sont là ! » Mais l’oncle Henri ne vit pas les enfants, tant il était préoccupé par l’article du journal. « La maison sera envahie par des reporters qui voudront me voir et connaître tous mes projets ! dit-il en élevant la voix. Ecoute un peu ce qu’ils osent écrire, sans la moindre discrétion : « Le fameux savant poursuit ses expériences chez lui, à la villa des Mouettes ; c’est là que se trouvent tous ses dossiers, tous ses carnets de notes et les plans de ses prochains livres. Deux nouveaux cahiers, écrits en Amérique, ainsi que d’étonnants schémas sont rangés dans son bureau personnel à Kernach. » Je te dis, Cécile, que nous aurons une horde de journalistes ici ! — Mais non, mon cher Henri, ne t’inquiète pas ! De toute façon nous partons pour l’Espagne. Assieds-toi et prends un peu de thé. Tu n’as pas encore souhaité la bienvenue à François, Mick et Annie. » L’oncle Henri s’assit en grognant. « Je ne savais pas qu’ils venaient, dit-il en prenant une biscotte beurrée. Tu aurais pu me le dire, Cécile. — Je te l’ai dit trois fois hier et deux fois ce matin ! »répondit sa femme. Annie serra doucement la main de son oncle qui était assis près d’elle. « Tu es toujours le même, oncle Henri ! Tu ne te souviens jamais que nous allons arriver ; veux-tu que nous repartions tout de suite ? » Son oncle la regarda et lui sourit. Sa mauvaise humeur ne durait jamais longtemps. Il dit bonjour aussi à François et à Mick. « Vous voilà de nouveau ici, dit-il. Allez-vous être capables de garder le manoir pendant que je serai en voyage avec votre tante ? — Bien sûr ! s’exclamèrent les trois enfants. — Personne n’osera approcher ! dit François. Dagobert nous aidera. Je mettrai une pancarte : « Attention, chien méchant ». — Ouah, ouah ! » approuva Dago, qui paraissait enchanté. Soudain, une mouche tourna autour de lui ; il la happa. L’oncle Henri sursauta. « Veux-tu une autre tartine, papa ? demanda aussitôt Claude. Quand partez-vous pour l’Espagne, maman et toi ? — Demain ! répondit tante Cécile avec fermeté. Ne prends pas cet air, je t’en prie, Henri, tu sais parfaitement que tout est arrangé depuis des semaines ! D’ailleurs, tu as besoin de vacances ! — Tu aurais pu m’avertir que le départ était fixé à demain ! dit son mari d’un air indigné. J’ai encore des tas de choses à faire ! — Henri, je t’ai dit des dizaines de fois que nous prenions l’avion le 3 septembre. Moi aussi j’ai besoin de vacances, ajouta-t-elle d’un ton décidé. Les quatre enfants seront très bien ici avec le chien. Ils aiment beaucoup leur indépendance. François est grand maintenant et peut prendre la responsabilité des autres. » Dagobert goba encore une mouche et l’oncle Henri bondit de sa chaise. « Si ce chien recommence… ! » Sa femme l’interrompit aussitôt. « Tu vois, tu es horriblement nerveux, mon ami ! Cela te fera du bien de partir. Alors, souviens-toi que nous quittons la maison demain. Je ne m’inquiète pas pour les enfants, il ne peut rien leur arriver. » Tante Cécile se trompait, bien sûr. Tout pouvait arriver lorsque le Club des Cinq était livré à sa fantaisie ! CHAPITRE II Une rencontre sur la plage IL FUT très difficile de décider l’oncle Henri à partir le lendemain. Le savant demeura enfermé dans son bureau jusqu’au dernier moment. Le taxi arriva et s’arrêta devant la grille du jardin. Tante Cécile, prête depuis longtemps, courut frapper à la porte du bureau. « Henri ! Ouvre la porte et viens ! Nous allons rater l’avion si tu ne te dépêches pas ! — Une minute », répondit son mari. Tante Cécile regarda les enfants d’un air désespéré. « C’est la quatrième fois qu’on l’appelle, et c’est la quatrième fois qu’il répond : « Une minute ! » s’écria Claude. À cet instant le téléphone sonna et la petite fille prit l’appareil. « Oui… répondit-elle. Non, c’est impossible… Il est parti en Espagne, pour une semaine ou deux, probablement… Attendez, je vais demander à ma mère. — Qui est-ce ? interrogea tante Cécile. — C’est le Journal du Matin. Ils veulent envoyer un reporter pour interviewer papa ! Je leur ai dit qu’il était parti en Espagne, ils demandent s’ils peuvent publier cette nouvelle. — Bien sûr, répondit tante Cécile, pleine de reconnaissance pour sa fille. Lorsqu’ils auront annoncé ce départ, personne ne téléphonera plus. » Claude donna donc l’autorisation au journaliste. Le chauffeur de taxi s’impatientait et klaxonnait devant la porte. Dago aboya furieusement. L’oncle Henri, en proie à une violente colère, apparut sur le seuil de son bureau. « Je ne pourrai donc jamais avoir la paix, lorsque je travaille ? » Mais sa femme alla le prendre par la main, lui donna son chapeau et sa canne et l’entraîna. « Tu ne travailles plus, tu es en vacances ! » déclara-t-elle. Elle s’aperçut alors qu’il tenait un porte-documents sous le bras. « Oh ! Henri ! tu es épouvantable ! Tu emportes du travail en voyage ? » À cet instant, le téléphone sonna de nouveau. — Encore un reporter qui désire t’interviewer, papa ! Tu ferais bien de te dépêcher ! » s’écria Claude. La crainte de rencontrer les journalistes décida l’oncle Henri à s’en aller au plus vite. Quelques secondes après, il était assis dans le taxi serrant toujours contre lui son porte-documents. Il dit avec véhémence au chauffeur ce qu’il pensait des gens qui troublaient le travail des savants. « Au revoir, mes chéris, dit tante Cécile, soyez sages et amusez-vous bien. » Le taxi disparut au loin. « Pauvre maman ! dit Claude. C’est toujours comme ça lorsqu’elle part en vacances. Il y a une chose certaine, c’est que moi je n’épouserai jamais un savant. » Ils poussèrent un soupir de soulagement à la pensée que l’oncle Henri était parti. Durant les périodes de travail intensif, il avait vraiment un caractère impossible. « Il est tellement formidable ! dit François. En classe, notre professeur parle de lui avec admiration, mais ce qui me sourit beaucoup moins, c’est qu’il voudrait que je sois très brillant, sous prétexte que j’ai un oncle remarquable ! — Oui, c’est très gênant d’avoir des gens trop intelligents dans sa famille ! dit Mick. Nous voici seuls avec Maria, cette chère vieille Maria. J’espère qu’elle nous donnera des repas froids quand nous irons en excursion. — Elle fait très bien la cuisine, dit Claude. Allons voir s’il y a quelque chose à manger maintenant, j’ai faim ! — Moi aussi », dit Mick. Ils coururent vers la cuisine. « Inutile de m’expliquer pourquoi vous venez, dit la cuisinière en souriant. Mais je vous avertis que le placard à provisions est fermé à clef ! — Oh ! Maria ! pourquoi avez-vous fait ça ? » s’exclama Mick en essayant d’ouvrir la porte qui, hélas ! était bien fermée… « Parce que c’est la seule chose à faire lorsque vous êtes tous là, sans compter que le chien est toujours affamé, lui aussi ! » dit Maria qui pétrissait une pâte à tarte avec vigueur. « Aux dernières vacances, j’avais laissé un pâté en croûte, un demi-poulet, une tarte aux fraises et des fruits pour le repas du lendemain. Lorsque je suis revenue de mon après-midi de congé, il ne restait absolument plus rien ! — Eh bien ! nous pensions que vous aviez préparé cela pour notre dîner ! dit François. — Vous n’aurez plus l’occasion de penser cela, conclut Maria avec fermeté, la porte sera fermée à clef ; je vous donnerai ce qu’il vous faudra. Vous ne prendrez rien tout seuls. » Les quatre enfants sortirent de la cuisine, un peu déçus ; Dagobert marchait sur leurs talons. « Allons nous baigner, s’écria Mick. Si je veux prendre six bains par jour, il serait temps que je commence ! — Je vais chercher les bouées pour nager, dit Annie ; nous allons bien nous amuser ; j’espère que nous retrouverons, comme toujours, le marchand de glaces sur la plage ! » Quelques instants plus tard, ils étaient tous sur la grève en costume de bain. Ils découvrirent un endroit agréable et commencèrent à creuser des trous confortables dans le sable pour s’y asseoir ; le chien les imita. « Je ne vois pas pourquoi tu fais un trou, Dago, tu finis toujours par te coucher dans le mien ! » dit Claude. Mais Dagobert travaillait si bien avec ses pattes, qu’il envoya du sable dans la figure d’Annie. Elle s’essuya la bouche. « Cela suffit, Dago ! tu m’ennuies ! » Dagobert vint lui prodiguer des caresses, puis creusa encore. Quand son trou fut achevé, il s’y étendit confortablement. Il avait l’air de sourire ! « Il sourit encore ! s’écria Annie. Je n’ai jamais vu un chien sourire comme Dago ! Je suis très contente d’être avec toi, Dago ! — Ouah ! » répondit le chien poliment. Il voulait dire qu’il se réjouissait lui aussi de retrouver Annie et les autres. Claude ouvrit une boîte de biscuits, et les enfants y firent honneur. « Nous nous baignerons plus tard », dit Mick. À cet instant leur attention fut attirée par des gens qui marchaient le long de la plage. Mick les regarda entre ses paupières mi-closes. Un homme et un jeune garçon s’approchaient. Le gamin, qui avait l’air d’un gitan, portait des culottes courtes assez sales et un pull-over, il allait pieds nus. L’homme avait une drôle d’allure. Il boitait. Une moustache broussailleuse cachait sa bouche. Il observait, de ses petits yeux intelligents, l’étendue de sable, tout autour de lui. Il paraissait chercher quelque chose que la marée avait peut-être emporté. Le jeune gitan serrait une vieille boîte, un soulier mouillé et un morceau de bois sous son bras. « J’espère qu’ils ne vont pas trop s’approcher de nous, je suis sûr qu’ils sentent mauvais ! » dit Mick à François. L’homme et l’enfant arpentaient la plage et bientôt vinrent s’asseoir non loin de Claude et de ses cousins. Dagobert grogna. Une odeur déplaisante les écœura tous les cinq. Pouah ! Dago grogna encore. « Allons nous baigner, dit François, que la présence des deux étrangers ennuyait. Pourquoi viennent-ils juste s’asseoir là, alors que la grève est déserte ? » Les cousins nagèrent vigoureusement dans les vagues. Lorsqu’ils revinrent, ils virent le jeune garçon, demeuré seul, qui avait poussé l’audace jusqu’à s’asseoir dans le trou de Claude ! « Allez-vous-en, dit celle-ci qui avait hérité de son père un caractère violent. C’est moi qui ai creusé ce trou et il est à moi ! — Qui va à la chasse perd sa place ! » répondit le petit garçon d’une voix chantante. Claude se pencha et poussa vigoureusement le gosse, mais celui-ci se défendit. Mick arriva en courant. — Claude, laisse-moi faire ! » Et il attaqua le garçon. « C’est clair. Nous ne voulons pas de toi ici ! C’est compris ? » Le garçon donna un bon coup de poing dans la mâchoire de Mick. Celui-ci riposta immédiatement et lui envoya un direct au menton. « Lâche ! hurla le petit inconnu. Frapper un plus petit que toi. Je me battrai avec l’autre garçon, mais pas avec toi. — Ce n’est pas un garçon, c’est une fille ! répliqua Mick. On ne se bat pas avec les filles. — Tais-toi, répondit le gitan en serrant les poings, et tiens-toi bien ; je suis une fille, moi aussi ; donc je peux me battre avec elle, non ? » Claude serrait les poings. Les deux fillettes avaient l’air si étonné que François éclata de rire. « Il est interdit de se battre, dit-il, et toi, file ! » La petite inconnue le regarda, puis elle éclata en sanglots et s’en alla en courant. « C’est bien une fille, en effet, dit Mick. C’est la dernière fois que nous la voyons, je pense ! » Mais il se trompait, ce n’était pas la dernière CHAPITRE III Un visage à la fenêtre LES CINQ retournèrent se coucher dans le sable. Mick avait mal à la mâchoire. « Cette sale gosse m’a donné un sérieux coup de poing ! s’exclama-t-il avec un brin d’admiration. Un vrai démon ! — Je ne vois pas pourquoi François ne m’a pas laissée me battre avec elle, dit Claude hargneuse, C’est moi qu’elle ennuyait. — Les filles ne doivent pas se bagarrer ! approuva Mick. Ne sois pas sotte, Claude, je sais que tu es aussi courageuse qu’un garçon, tu t’habilles comme un garçon, tu grimpes aux arbres aussi bien que moi, mais tu ne raisonnes pas encore comme un homme. » Cette sorte de sermon ne plaisait guère à Claude. « Je suis désolé, ajouta Mick, de l’avoir rabrouée comme ça ; c’est la première fois que je boxais avec une fille, j’espère que ce sera la dernière ! — Et moi, je suis joliment contente que tu l’aies frappée ! Si je la revois, je lui dirai ce que je pense d’elle : c’est une petite vipère ! — Tu ne lui diras rien du tout, répondit Mick, je ne le permettrai pas, elle a été assez punie d’être renvoyée ainsi. — Avez-vous fini de vous disputer tous les deux ? intervint Annie en leur jetant une poignée de sable. Claude, je t’en prie, ne sois pas de mauvaise humeur, nous n’avons que quinze jours de vacances, inutile d’en gâcher un ! — Voilà le marchand de glaces ! s’écria François, cherchant son argent dans le sac de plage. Nous allons acheter un esquimau pour chacun ! — Ouah ! approuva Dago. — Bon, d’accord, tu en auras aussi ! dit Mick, bien que je ne sache pas si c’est très raisonnable ! Tu vas l’avaler en une bouchée comme si c’était une mouche ! » En effet, Dago dévora sa glace très vite et alla quémander auprès de sa maîtresse ; mais celle-ci le repoussa. « Non, mon petit chien ! C’est très mauvais pour toi ! Va-t’en plus loin, tu me donnes chaud ! » Dagobert obéit et se réfugia auprès d’Annie ; elle lui donna un petit morceau de son esquimau. Puis elle le repoussa à son tour. « Va voir François, maintenant ! » Elle soupirait d’aise. « Quelle matinée délicieuse ! » Tous les cinq, d’humeur paresseuse, se reposèrent un peu, mais comme ils n’avaient pas de montre, ils rentrèrent beaucoup trop tôt pour le déjeuner et Maria les houspilla : « Vous arrivez à midi moins dix, comme si vous mouriez de faim ! Je n’ai même pas fini mon ménage ! Vous savez bien qu’on mange toujours à une heure ! — Oh ! j’avais l’impression qu’il était une heure », dit Annie, déçue d’avoir encore si longtemps à attendre ! Enfin vint l’heure de se mettre à table. « Voilà le menu : salade de tomates et de concombres, biftecks, frites, camembert et flan ! annonça Annie. — C’est exactement ce qui nous convient, conclut Mick en s’asseyant. Il n’y a pas de tarte ? — Dans le garde-manger, probablement ! Maria doit la garder pour le goûter ou le dîner, répondit Annie. — Viens chercher ta pâtée, Dagobert ! » cria la cuisinière ; le chien s’en alla en trottinant vers la cuisine. Il connaissait très bien le mot « pâtée ». « Maria aime beaucoup Dago, dit Mick. — Et Dago le lui rend bien. Elle grogne beaucoup, mais elle est très bonne, au fond. » Les enfants mangèrent en silence. Ils se souvenaient de leurs aventures passées au manoir de Kernach. Dago revint au bout d’un moment, se pourléchant les babines. « Il n’y a rien à manger, ici, dit Mick en lui montrant les plats vides sur la table. Ne me dis pas que tu as déjà englouti toute ta pâtée ! » Dago se coucha sous la table, la truffe posée sur ses pattes de devant. Il était satisfait de son succulent déjeuner et de ce repos auprès des enfants qu’il aimait beaucoup. Après le déjeuner, ils allèrent tous s’étendre sur la plage, jusqu’à ce que revînt l’heure de prendre un bain. Tous appréciaient cette journée de vacances chaude et heureuse. Claude s’attendait à revoir la petite gitane, mais elle ne vint pas. Elle s’en attrista, car elle aurait aimé échanger avec elle, à défaut de coups, quelques paroles bien senties ! Quand les cousins allèrent se coucher ce soir-là, ils ressentaient leur fatigue… François paraissait si las au moment du dessert, que Maria lui offrit de fermer les volets et les portes à sa place. « Non, merci, Maria, répondit François, c’est un travail d’homme. Laissez-moi faire, je verrouillerai toutes les portes et je fermerai soigneusement toutes les fenêtres. — Bien, monsieur François », dit Maria. Et elle s’en alla ranger sa cuisine. Les enfants montèrent dans leur chambre, à l’exception de François. Il connaissait bien ses responsabilités ; Maria savait qu’il ferait consciencieusement son travail Elle l’entendit essayer de fermer la petite fenêtre de l’office et elle l’appela : « Monsieur François ! elle ne ferme pas bien, mais ne vous faites pas de souci, elle est trop petite pour que quelqu’un puisse passer par là ! — Très bien ! » dit François. Et il monta se coucher. Il bâillait si fort que Mick ne put s’empêcher de l’imiter. Dans la chambre voisine, les filles éclatèrent de rire en les entendant. « Vous allez dormir comme des loirs tous les deux. Vous ne risquerez pas d’entendre les voleurs cette nuit ! — Le vieux Dago se chargera des voleurs, ce n’est pas mon travail. N’est-ce pas, Dago ? — Grrr ! » répondit Dago en bondissant sur le lit de Claude. Il dormait, toujours roulé en boule contre ses genoux. Tante Cécile avait essayé d’empêcher Claude de garder le chien sur son lit pendant la nuit, mais Claude répliquait toujours : « Dagobert ne voudrait jamais dormir ailleurs. » Cinq minutes plus tard, tout le monde dormait, y compris Dago que sa maîtresse avait gentiment caressé. Il aimait Claude plus que personne au monde. Dehors, la nuit était très noire, d’épais nuages cachaient les étoiles. On entendait les gémissements du vent dans les arbres et la rumeur lointaine de la mer. Aucun autre bruit, pas même le ululement de la chouette. Pourquoi alors Dago s’éveilla-t-il ? Pourquoi ouvrit-il un œil, puis l’autre ? Pourquoi pointa-t-il ses oreilles et écouta-t-il ? Il ne leva pas la tête ; couché, il demeurait attentif… Enfin, il se glissa à bas du lit. Aussi silencieusement qu’un chat, il traversa la chambre, la porte était demeurée entrouverte, et il sortit, puis descendit les escaliers, et arriva dans le hall ; ses griffes faisaient un petit bruit sur le carrelage, mais personne ne pouvait l’entendre ; la maison était endormie. Dagobert demeura longtemps à guetter ; il savait qu’il avait entendu quelque chose, un rat peut-être… Il renifla. Soudain, il se raidit. Quelqu’un, il en était sûr, grimpait le long du mur de la maison. Un rat oserait-il faire cela ? Là-haut, dans son lit, Annie s’éveilla tout à coup. Elle mourait de soif et décida d’aller chercher un verre d’eau. Elle alluma sa lampe électrique. La lampe éclaira d’abord la fenêtre et Annie eut une émotion terrible : elle poussa un hurlement. Claude s’éveilla immédiatement. Dagobert bondit dans la chambre. « François, cria Annie, viens vite, j’ai vu un visage à la fenêtre, un horrible visage qui me regardait. » Claude courut vers la fenêtre en brandissant sa lampe ; il n’y avait rien. Dagobert reniflait par la fenêtre ouverte et grognait. « J’entends quelqu’un courir dans l’allée, dit François qui accourait avec Mick. Viens vite, Dago. » Ils descendirent tous, même Annie ; ils ouvrirent la porte, le chien s’élança dans l’obscurité en aboyant férocement. Un visage à la fenêtre ? Il trouverait bien l’audacieux malfaiteur qui avait osé grimper le long du mur. CHAPITRE IV Le jour suivant LES quatre enfants demeurèrent sur le seuil. Ils écoutaient les aboiements excités de Dago. Annie tremblait ; François passa son bras autour de ses épaules, en signe de protection. « À quoi ressemblait ce visage ? lui demanda-t-il. — Je ne l’ai pas beaucoup vu, répondit-elle en frissonnant. Il est apparu un instant dans l’éclat de ma lampe. J’ai eu très peur. C’était une figure toute noire, celle d’un noir, peut-être. — Pourquoi ne l’as-tu vu qu’un instant ? demanda François. — Parce que j’avais si peur que j’ai lâché ma lampe, et elle s’est éteinte ! Claude s’est éveillée et s’est précipitée vers la fenêtre. — Où était donc Dagobert ? interrogea Mick, surpris de ne pas avoir été réveillé par les aboiements du chien qui avait sûrement entendu l’inconnu grimper jusqu’à la fenêtre. — Je ne sais pas, répondit Annie, il est entré dans la chambre dès que j’ai crié. — Cela ne fait rien, Annie, dit François, il s’agissait probablement d’un vagabond… En voyant toutes les portes et les fenêtres du bas fermées, il a eu l’idée de grimper le long du lierre. Dago le rattrapera sûrement dans le jardin. » Mais Dago revint bredouille. « Tu ne l’as pas trouvé, Dago ? » demanda Claude avec anxiété. Dago soupira tristement, la queue basse. Claude voulut le réconforter et s’aperçut qu’il était tout mouillé. « Où as-tu bien pu aller pour être mouillé comme ça ? » dit-elle étonnée. Mick le toucha, les autres en firent autant. « Il est allé jusqu’à la mer ! dit François. J’imagine que le vagabond courait vers la plage ; comme Dagobert le poursuivait, il a sauté dans un bateau, c’était son seul salut ! — Et Dago a dû essayer de le rattraper à la nage ! Pauvre vieux Dago ! et tu l’as perdu, n’est-ce pas ? » Le chien remuait un petit peu la queue, il semblait vraiment découragé. Il avait bien entendu du bruit, mais il avait cru tout d’abord que c’était un rat ! Maintenant il regrettait sa négligence ! François referma la porte et la verrouilla. « Je ne pense pas que le « visage » apparaisse à la fenêtre avant longtemps, dit-il. La présence d’un chien fait peur aux voleurs. » Ils allèrent tous se recoucher. François fut incapable de s’endormir tout de suite. Bien qu’il eût dit aux autres de ne pas s’inquiéter, il demeurait anxieux. L’idée qu’un homme pouvait grimper le long du lierre jusqu’à la chambre à coucher des filles le tourmentait ; mais que faire ? Maria, la cuisinière, dormait, inconsciente du danger. François ne voulait pas la réveiller. « Non, pensa-t-il, il ne faut rien lui dire, elle serait capable d’envoyer des télégrammes à oncle Henri. » Le lendemain matin, Maria préparait le café dans la cuisine ; elle n’avait rien entendu. Annie eut honte d’elle-même, lorsqu’elle s’éveilla. Le « visage » s’était déjà effacé dans son souvenir ; elle en vint à se demander si elle n’avait pas tout simplement rêvé. Elle demanda à François : « N’ai-je pas fait un cauchemar ? — Probablement, répondit François, heureux à l’idée qu’Annie ne s’inquiéterait plus. Si j’étais toi, poursuivit-il, je n’y penserais plus. » Il ne dit pas à sa sœur qu’il avait examiné le lierre du mur et qu’il y avait trouvé des traces prouvant que quelqu’un s’était hissé jusqu’à la fenêtre. Il appela son frère. « Quelqu’un est venu, dit-il. Regarde : des branches cassées, des feuilles par terre ! Ce vagabond grimpait comme un chat ! » Aucune trace de pas dans le jardin. François ne s’attendait d’ailleurs pas à en trouver, car le sol était très sec et très dur. La journée s’annonçait fort belle et il faisait déjà chaud. « Allons à la plage nous baigner, suggéra Claude. Demandons à Maria de nous donner un pique-nique. » Aussitôt les deux filles allèrent à la cuisine aider Maria à préparer le panier du repas. « Et voici une bouteille de cidre ! Eh bien, mes enfants, ajouta-t-elle, vous avez un copieux déjeuner, ce n’est pas la peine que je vous prépare à dîner pour ce soir !» Claude et Annie se regardèrent avec frayeur. Pas de dîner ? Mais elles surprirent le regard amusé de la cuisinière. Celle-ci plaisantait. « Nous allons faire nos lits et ranger nos chambres avant de partir », dit Annie et, pleine de gentillesse, elle ajouta : « Avez-vous besoin de quelque chose au village, Maria ? — Non, pas aujourd’hui. Dépêchez-vous d’aller à la plage. Je serai ravie d’être tranquille toute la journée, j’ai des nettoyages à faire. » Annie semblait avoir oublié les frayeurs de la nuit passée. Elle bavardait et riait avec les autres sur le chemin de la plage ; d’ailleurs, même si elle avait eu des idées noires, un nouvel événement l’en aurait détournée. La petite gitane était de nouveau sur la plage. Seule, cette fois-ci. Claude la vit la première et fronça les sourcils. François surprit la grimace de sa cousine… « Nous allons rester près des rochers aujourd’hui, dit-il aux autres, il fait si chaud que nous serons contents d’avoir de l’ombre. Installons-nous là. — D’accord », répondit Claude, mi-furieuse, mi-contente de l’autorité de son cousin. Ne t’inquiète pas, je ne me disputerai pas avec cette horrible gosse. — Je suis content de tes bonnes dispositions ! » répondit François. Ils s’installèrent derrière de grands rochers ; la gitane ne pouvait pas les voir. « Si nous lisions un peu avant d’aller nager ? dit Mick. J’ai apporté un livre d’aventures et il faut absolument que je découvre le bandit… C’est une histoire passionnante ! » Il s’allongea confortablement. Annie alla chercher des anémones de mer, tandis que Claude se couchait à plat ventre et jouait avec Dago. François commença à explorer les rochers. Tout était paisible. Soudain quelque chose tomba tout près de Claude et la fit sursauter. Dago s’assit. « Qu’est-ce que c’est ? demanda Claude. Qu’est-ce que tu m’as envoyé, Mick ? — Moi ? s’exclama Mick. Rien du tout ! » Il était plongé dans sa lecture. À nouveau Claude tressaillit. « Qui est-ce qui me jette des cailloux ? » Elle regarda tout autour d’elle. « Oh ! dit-elle, c’est un noyau de cerise ! — J’aimerais pouvoir te dessiner, Claude ! dit François. Je n’ai jamais vu une telle grimace ! Oh ! » Le « oh ! » n’avait rien à voir avec la grimace de Claude. François venait de recevoir un autre noyau de cerise juste derrière l’oreille. Il entendit quelqu’un rire. Claude se leva et contourna les rochers. La petite gitane se cachait derrière. Ses poches étaient pleines de cerises, quelques-unes avaient roulé dans les pierres, à ses pieds. Lorsqu’elle vit Claude, elle s’arrêta de rire. « Tu as fini de nous bombarder de noyaux ? — Je ne vous bombardais pas, répondit la fille. — Ne mens pas ! Je sais que c’est toi ! — Je les crachais simplement. Regarde. » Elle mit une cerise dans sa bouche et quelques instants après, elle cracha le noyau qui vint frapper Claude juste sur le nez ! Celle-ci eut l’air tellement surprise que Mick et François ne purent s’empêcher de rire. « Je parie que je peux cracher les noyaux bien plus loin que vous tous ! dit la gitane. Tenez, prenez des cerises et essayez. — D’accord, répondit Mick, si tu gagnes, je t’achèterai une glace. Sinon tu n’auras plus qu’à filer et ne plus jamais t’approcher de nous ! — Bien ! dit la gitane dont les yeux brillaient. Mais je gagnerai sûrement ! » La petite gitane se cachait derrière les rochers. CHAPITRE V Jo, la gitane CLAUDE et Mick étaient très surpris de voir quelqu’un d’aussi habile. « Parfait ! dit François à Claude. Tu sais que Mick est très fort dans ce genre de jeu, il gagnera et nous enverrons la petite fille au diable ! — Tu es dégoûtant, Mick ! s’écria Claude. — Qui donc avait l’habitude de cracher des noyaux de cerises et de vouloir me battre à ce jeu l’année dernière ? demanda Mick. Ne prends pas l’air dégoûté, maintenant, Claude, ça te va mal ! » Annie sortit lentement de l’eau ; elle se demanda pourquoi les autres étaient grimpés sur les rochers. Des projectiles commencèrent à pleuvoir autour d’elle. Elle s’arrêta sur place, étonnée. Les auteurs de ce méfait n’étaient sûrement pas ses frères et sa cousine. Un noyau frappa son bras nu. La petite gitane gagnait. Elle riait, laissant voir des dents éblouissantes. « Vous me devez une glace ! » dit-elle d’une voix chantante. François se demanda si elle était Française. Mick la regardait avec une certaine admiration. « Je te la paierai, ta glace, n’aie pas peur, dit-il. Personne ne m’avait encore battu à ce jeu, même pas Steve, un garçon de l’école qui a une bouche énorme ! — Je te trouve épouvantable, dit Annie. C’est un jeu ignoble. Va lui acheter sa glace et renvoie-la ! — Je vais la manger ici ! » décida la petite fille. Elle prit l’air aussi obstiné que Claude lorsqu’elle voulait obtenir quelque chose de difficile. « Tiens, tu ressembles à Claude ! » dit Mick qui regretta aussitôt ce propos, car Claude le regarda avec colère. « Quoi ? Cette horrible fille mal peignée et sale me ressemble ? rugit-elle. Pouah, je ne peux même pas supporter d’être près d’elle. — Pourquoi ? » demanda Mick. La petite fille paraissait surprise. « Que dit-elle ? demanda-t-elle à Mick. Que je suis sale ? Tu es dégoûtant aussi, toi ! Tu craches ! — Voilà le marchand de glaces », s’écria François, pour changer le sujet de la conversation. Il appela l’homme qui apporta six glaces. « Voilà pour toi, dit François offrant un chocolat glacé à la fille. Mange ça et va-t’en. » Ils s’assirent tous dans le sable et sucèrent leur glace. Claude boudait toujours. Dagobert lui mendia un peu de glace ; aussitôt, la petite gitane l’appela. « Tiens, chien, prends un peu de la mienne ! » Au grand désagrément de Claude, Dagobert lécha la crème glacée que l’inconnue lui tendait. Comment pouvait-il accepter quoi que ce fût d’une fille pareille ! Mick ne pouvait pas s’empêcher de s’amuser en regardant la petite noiraude aux gestes brusques, aux cheveux sombres, aux yeux brillants. Soudain, il réalisa que la petite fille avait un gros bleu sous le menton. Il éprouva un malaise. Il lui demanda : « C’est moi qui t’ai fait-ce bleu hier ? — Quel bleu ? Ah ! celui-là ! dit la petite fille en le touchant. Oui, c’est toi quand tu m’as frappée, mais cela n’a pas d’importance, j’en ai de bien plus gros. Mon père me donne des coups ! — Je suis désolée de t’avoir battue, ajouta Mick, je croyais vraiment que tu étais un garçon. Comment t’appelles-tu ? — Jo, répondit la petite fille. — Ça pourrait être aussi bien un nom de garçon ! répliqua Mick. — Je m’appelle Jo et je suis une fille, répéta la gitane. — C’est amusant, ajouta Annie, je trouve que Jo te ressemble vraiment, Claude ! Elle a les mêmes cheveux courts et bouclés, le même nez futé ! — La même façon de lever son menton, le même regard, le même rire… », continua Mick. Claude regardait son cousin d’un air furieux. Elle n’aimait pas du tout ces comparaisons. « J’espère que je n’ai pas la couche de saleté qu’elle a sur le corps et sur les mains ! » bougonna-t-elle. Mick l’arrêta. Elle ne possède sans doute ni savon, ni brosse à cheveux ; elle est pauvre. Une fois lavée, elle serait très jolie. Ne sois pas méchante, Claude. » Claude tourna le dos. Comment Mick pouvait-il défendre cette horrible gitane. Ne partirait-elle donc jamais ? Allait-elle rester avec eux toute la journée ? « Je m’en irai quand cela me plaira ! » décida Jo. Elle dit ces mots exactement comme Claude, d’une façon si péremptoire que François et Mick éclatèrent de rire. Jo rit aussi. Claude serrait les poings. Annie la regarda comme pour la supplier de ne pas se battre. « J’aime ce chien », murmura Jo. Elle s’assit près de lui, juste derrière Claude et le caressa de sa petite main noiraude. Claude se retourna : « Ne touche pas à mon chien, ordonna-t-elle, il ne t’aime pas ! — Si, il m’aime, dit Jo d’un air surpris. Tous les chats et tous les chiens m’aiment. Je peux apprivoiser le tien très facilement. — Essaie ! dit Claude. Il ne s’approchera pas de loi, il ne t’obéira pas ; n’est-ce pas, Dago ? » Jo ne fit pas un geste, mais elle commença à émettre un petit bruit de gorge qui ressemblait à la plainte d’un chien perdu. Dago dressa les oreilles. Il regardait la gitane avec curiosité. Jo lui tendit la main. Dago ne s’approcha pas, mais lorsqu’il entendit de nouveau le bruit, il regarda attentivement la gitane. Quelle sorte de « petite-fille » était-ce ? Jo cacha sa figure dans ses mains et imita le chiot apeuré. Dago vint vers elle, s’assit, et, penchant la tête, se mit soudain à lécher les doigts et le visage de la gitane ; elle entoura alors de ses deux bras le cou de Dagobert. « Viens ici, Dago ! » s’écria Claude, jalouse. Dago secoua l’étreinte des petits bras bronzés et s’élança vers Claude. Jo sourit. « Vous voyez, j’en fais ce que je veux, il vient à moi et me lèche. Je peux apprivoiser n’importe quel chien ! — Comment fais-tu ? » demanda Mick étonné. Il n’avait jamais vu Dagobert se lier d’amitié avec quelqu’un que Claude n’aimait pas. « Je n’en sais rien, vraiment, répondit Jo renversant sa tête en arrière. Je crois que c’est un don de famille ; maman travaillait dans un cirque, c’est elle qui dressait les chiens sur la piste. Il y en avait des douzaines, ils étaient ravissants et je les aimais tous. — Où est ta maman ? demanda François. Est-elle toujours dans un cirque ? — Non, elle est morte, répondit Jo. Mon père et moi nous vivons dans une roulotte. Papa était acrobate ; mais, un jour, il s’est blessé au pied. » Les quatre enfants se souvinrent que, la veille, ils avaient vu le gitan boiter. Ils regardèrent en silence la petite fille mal lavée. Quelle étrange vie elle devait avoir connue ! « Elle est sale, elle ment probablement avec beaucoup de facilité, elle est peut-être voleuse, mais elle a des excuses, pensa François. Je serais pourtant content de la voir s’en aller. » « Je voudrais bien ne pas lui avoir fait cet énorme bleu, pensa Mick. Une fois lavée et peignée, je suis sûr que Jo serait jolie… Je crois qu’elle doit avoir besoin d’affection. » « Elle me fait de la peine, mais je ne l’aime pas beaucoup », songeait Annie. « Je ne crois pas un mot de ce qu’elle raconte. Pas un mot ! C’est une comédienne et j’ai honte que mon chien lui ait manifesté de la sympathie », se répétait Claude. « Où est ton père, aujourd’hui ? demanda François. — Il est allé voir quelqu’un, répondit Jo. Tant mieux, car il était de mauvaise humeur ce matin. Je me suis cachée entre les roues de la voiture. » Il y eut un silence… « Je peux rester avec vous jusqu’à ce que papa rentre ? demanda soudain la petite voix musicale de Jo. Je me laverai si ça vous fait plaisir. Je ne veux pas être seule toute la journée. — Oh non ! s’écria Claude, nous ne voulons pas de toi ! » Elle avait l’impression qu’elle ne pourrait pas supporter la gitane cinq minutes de plus. « N’est-ce pas, Annie ? » Annie avait horreur de faire de la peine. Elle hésita. « Eh bien, dit-elle à la fin, peut-être vaudrait-il mieux que Jo s’en aille. — Oui, dit François, tu as déjà passé un long moment avec nous. » Jo regarda Mick avec des yeux implorants. Elle toucha le bleu de son menton comme si cela lui faisait mal. À nouveau Mick eut des remords ; il regarda les autres. « Jo pourrait peut-être rester et partager notre pique-nique ? demanda-t-il. Après tout, ce n’est pas sa faute si elle est sale et si… — Oh non ! s’écria tout à coup Jo en s’enfuyant. Je m’en vais, voilà mon père ! » L’homme apparut au loin ; il boitait et marchait péniblement. Lorsqu’il vit Jo, il siffla. Jo se retourna vers les enfants et leur fit une grimace insolente. « Je vous déteste », dit-elle, et du doigt montrant Mick : « Il n’y a que lui qui est gentil ! » Elle courut dans le sable. On aurait dit que ses pieds nus ne touchaient pas terre. « Quelle gamine extraordinaire !, dit François Nous risquons fort de la revoir. » CHAPITRE VI Que se passa-t-il pendant la nuit ? CE SOIR LÀ, Annie commença à se sentir oppressée lorsque la nuit tomba. « Personne ne viendra cette nuit, n’est-ce pas François ? demanda-t-elle à son grand frère, au moins une demi-douzaine de fois. — Non, Annie. Mais, si tu le veux, je dormirai dans ta chambre à la place de Claude. » Annie réfléchit et secoua la tête. « Non, répondit-elle. Je préfère avoir Claude et Dago. Tu comprends, Claude et moi —et même toi !— nous pouvons être effrayés, mais pas Dagobert ! — Tu as raison, répondit François. Mais je suis sûr que rien n’arrivera cette nuit. Si tu veux nous allons fermer les fenêtres de nos chambres ; tant pis si nous avons trop chaud ; ainsi personne ne pourra entrer. » Ce soir-là, François ne ferma pas seulement les portes et les fenêtres du rez-de-chaussée, comme il l’avait fait la veille (excepté celle de l’office qui ne fermait pas), mais aussi toutes les ouvertures de l’étage. « Et la chambre de Maria ? demanda Annie. — Elle dort toujours la fenêtre fermée, hiver comme été, répondit François en grimaçant. Les gens de la campagne croient que l’air de la nuit est mauvais ! Et maintenant, tu n’as plus rien à craindre. » Annie alla calmement se coucher. Claude tira les rideaux. Si le « visage » apparaissait, elles ne risquaient pas de le voir, ni l’une, ni l’autre. « Sors Dagobert à ma place, demanda Claude à son cousin, Annie veut que je reste avec elle. Tu n’as qu’à ouvrir la porte et le laisser dehors, il rentrera tout seul. — Parfait ! » répondit François et il ouvrit la porte du bas. Dagobert s’éloigna en remuant la queue. Il reniflait de tous côtés, car il aimait l’odeur des haies fraîchement taillées. Il mit le nez à l’entrée d’un terrier, puis guetta le moindre bruit avec l’espoir de surprendre un rat ou un lapin. « Dagobert n’est pas rentré ? demanda Claude du haut de l’escalier. Appelle-le, François, je veux qu’il vienne se coucher. Annie dort déjà. — Il reviendra dans un petit moment, dit François qui voulait finir son livre, ne t’impatiente pas ! » Mais lorsqu’il acheva la dernière page, Dagobert n’était pas revenu. François sortit dans le jardin et siffla. Il s’attendait à voir accourir Dago, Mais il n’y eut aucun bruit. Il siffla de nouveau. Le temps lui parut long. Enfin il entendit le chien revenir dans l’allée. « Te voilà, Dago ! dit François. Où étais-tu ? Tu chassais des lapins ? » Dago remua faiblement la queue ; il ne fit aucune fête à François. « On dirait que tu as fait une bêtise ! Allez, va vite te coucher et n’oublie pas d’aboyer si tu entends du bruit. — Ouah ! approuva Dago d’une voix éteinte. Il grimpa l’escalier, bondit sur le lit de Claude et soupira profondément. — Quel soupir ! murmura Claude. Qu’est-ce que tu as mangé ? Tu as dû déterrer un vieil os, j’en suis sûre. Pouah ! J’ai bien envie de te chasser de mon lit ! » Dagobert s’installa pour dormir, la tête posée sur les pieds de Claude, comme d’habitude. Il ronflait un petit peu, ce qui réveilla Claude au bout d’une demi-heure. « Tais-toi, Dagobert ! » ordonna-t-elle, en le poussant un peu. Annie s’éveilla, inquiète. « Qu’y a-t-il ? demanda-t-elle, le cœur battant. — Rien. C’est seulement Dagobert qui ronfle ! Il n’y a pas moyen de l’en empêcher ! dit Claude irritée. Réveille-toi, Dago ! » Dago bougea un petit peu, puis s’endormit. Il ne ronflait plus. Claude et Annie s’assoupirent. François s’éveilla au milieu de la nuit. Il avait cru entendre quelque chose tomber ; quelques instants plus tard, il sombra de nouveau dans le sommeil. Il s’éveilla vers sept heures du matin. Maria descendait l’escalier, ouvrait les volets de la cuisine, s’affairait. François se rendormit. Vingt minutes plus tard, des cris l’arrachèrent à ses rêves. Il se précipita hors de sa chambre. Mick le suivit. « Regardez ! Regardez ! Le bureau de monsieur sens dessus dessous, les tiroirs vidés, les dossiers par terre, le coffre ouvert ! Un voleur est venu ici cette nuit ? » Maria se lamentait…. « Mais comment est-il entré ? » se demanda François. Il sortit de la maison, regarda toutes les portes et toutes les fenêtres. Rien n’avait été touché. Annie descendit ; elle paraissait bouleversée. « Qu’y a-t-il ? » François la rabroua, il avait besoin de mettre de l’ordre dans ses pensées. Comment ce voleur avait-il pu entrer si personne ne lui avait ouvert ? François se souvint avoir entendu du bruit au milieu de la nuit. Le chien n’avait-il donc pas aboyé ? Pourquoi ? Tout cela était bien mystérieux. Dans sa chambre, Claude essayait en vain de réveiller Dagobert. « François ! François ! Dago ne va pas bien, il ne peut pas se réveiller ! cria-t-elle. Il respire très fort, écoute ! Qu’y a-t-il en bas ? Que s’est-il passé ? » François le lui expliqua en peu de mots, tandis qu’il examinait Dago. « Quelqu’un est venu cette nuit et a fouillé dans le bureau de ton papa. Je me demande comment il a pu entrer. — C’est horrible ! s’écria Claude, qui avait pâli. Je suis sûre qu’il est arrivé quelque chose à Dago : Il ne s’est même pas réveillé la nuit dernière quand le voleur est entré. Il est malade, François ! — Non, il a été drogué ! dit le jeune garçon, en soulevant les paupières du chien. Voilà pourquoi il est resté si longtemps dehors. Quelqu’un a dû lui donner un morceau de viande contenant un somnifère ; il l’a mangé et il s’est endormi si profondément qu’il n’a rien entendu et qu’il ne peut plus se réveiller. — Oh ! François, est-ce qu’il guérira ? demanda Claude inquiète. Mais comment a-t-il pu accepter de la nourriture d’un étranger en pleine nuit ? — Peut-être qu’il n’a eu qu’à la ramasser par terre, murmura François. Maintenant je comprends pourquoi il avait l’air si abattu lorsqu’il est revenu. Il ne m’a même pas regardé ! — Oh ! Dagobert, mon chéri, je t’en prie, réveille-toi ! » supplia la pauvre Claude en caressant doucement le chien. Il grogna un peu. « Laisse-le, dit François. Il ira mieux tout à l’heure. Il n’est pas empoisonné, mais seulement endormi. Descends voir le bureau de ton père. ». Claude fut horrifiée en voyant la pièce. « Il y avait ses deux carnets de notes sur l’Amérique ! s’exclama-t-elle. Je suis sûre qu’ils y étaient ! Papa avait dit que tous les pays du monde souhaiteraient posséder ces documents. Qu’allons-nous faire ? C’est cela que le bandit est venu voler ! — Il vaut mieux appeler la police, dit gravement François. Nous ne pouvons résoudre de tels problèmes tout seuls. Connais-tu l’adresse de ton père en Espagne ? — Non, répondit Claude. Mes parents voulaient avoir de vraies vacances cette fois. Ils devaient nous télégraphier leur adresse dès qu’ils seraient installés quelque part. — Bon. Appelons la police », décida François. Claude le regarda. Son cousin agissait en homme. Il traversa le hall d’un pas ferme, décrocha le téléphone et appela la gendarmerie du bourg. « François a raison, soupira Maria. Je vais préparer du café pour les gendarmes. » Elle se sentait un peu réconfortée à l’idée d’offrir deux tasses de café bien chaud aux représentants de la loi. Ils lui poseraient maintes questions et elle serait fière de répondre. Les quatre enfants demeurèrent silencieusement dans le bureau. Quel désordre ! Pourrait-on jamais remettre tous ces dossiers en place ; et classer tous ces documents ? Personne ; ne saurait vraiment ce qui avait disparu jusqu’au retour de l’oncle Henri. « J’espère que Claude se trompe et que ces carnets si importants n’ont pas été volés ; oncle Henri les avait peut-être emportés avec lui, dit Mick. — Le voleur a probablement trouvé ce qu’il cherchait, répondit François, plus pessimiste. Voilà la police. Venez ! Je crois que nous ne prendrons notre petit déjeuner que fort tard ce matin. » CHAPITRE VII Les gendarmes dans la maison LES GENDARMES étaient lents et minutieux. Les enfants se sentirent lassés d’eux bien avant le déjeuner. Mais Maria, au contraire, s’affairait, leur offrait du café. Elle était fière de penser que c’était elle qui avait découvert le méfait ! Il y avait deux gendarmes : l’un était un brigadier solennel et très poli. Il interrogea chacun des enfants, en leur posant exactement les mêmes questions. L’autre inspecta méticuleusement le bureau, centimètre par centimètre. « Il cherche des empreintes digitales, je suppose, dit Annie. — Oh ! j’ai envie d’aller me baigner ! » soupira Claude. Les deux hommes firent le tour de la maison lentement, en essayant d’ouvrir chaque porte fermée de l’intérieur. Ils s’arrêtèrent devant la fenêtre de l’office. « Peut-on passer là ? demanda l’un d’entre eux. — Il aurait fallu que ce voleur soit de la taille d’un ouistiti », répondit l’autre. Il se retourna vers Annie, la plus petite des quatre enfants. « Pourriez-vous passer par là, mademoiselle ? — Je ne crois pas, répondit Annie, mais je vais essayer si vous voulez. » Elle essaya, mais dut y renoncer ; son frère l’aida à redescendre. « Avez-vous une idée de ce qui a été volé ? demanda le sergent à François. — Non, brigadier, aucun de nous ne le sait, pas même Claude qui est la fille du savant. La seule chose que nous savons, c’est que mon oncle est allé en Amérique pour faire des conférences, il y a quelque temps, et qu’il a rapporté deux carnets de notes et quelques documents « très importants », disait-il. Il a même ajouté que « les pays étrangers seraient heureux de posséder ces papiers ! » Je pensais qu’il les avait enfermés dans ce coffre… — Ils ont dû être volés, répondit le brigadier, fermant son propre carnet. C’est dommage que les savants laissent de tels documents dans un coffre ordinaire et partent en voyage sans laisser d’adresse. Nous ne pouvons donc pas joindre votre père ? Cela pourrait être pourtant très important ! » François semblait inquiet… « Nous aurons son adresse dans un jour ou deux, dit-il. — Bien. Nous partons maintenant, conclut le brigadier. Mais nous reviendrons après le déjeuner pour photographier la pièce. La cuisinière pourra ensuite remettre tout en ordre, je sais qu’elle attend avec impatience de pouvoir le faire ! — Ils vont revenir » soupira Annie quand les deux hommes, marchant solennellement dans l’allée, s’éloignèrent et enfourchèrent leur bicyclette. « Est-ce qu’ils vont encore nous interroger ? Comment leur échapper ? — Si nous allions à la plage ? Nous prendrions ton bateau, suggéra François en riant… — Oui, partons loin d’eux ; de toute façon, je ne vois pas en quoi nous pourrions les aider. Mais je voudrais bien savoir comment le voleur est entré ! » Claude avait été très calme durant toute la matinée. Son chien semblait maintenant remis, bien qu’il parût encore un peu somnolent. « Pauvre Dago ! disait la petite fille émue. Il ne pouvait pas savoir ce qui allait lui arriver. Mais d’habitude il est plus intelligent ! — Il a beaucoup de flair, il n’aurait pas touché une viande empoisonnée, mais une poudre narcotique n’a peut-être pas d’odeur, répondit Mick. — Si seulement il avait pu se réveiller un peu, grogna Claude. En entendant des bruits au bas de l’escalier, il aurait aboyé et nous aurait réveillés. Je m’en veux de ne pas l’avoir sorti moi-même la nuit dernière comme je le fais d’ordinaire. — Il y a eu toute une suite d’incidents, dit François. Tu n’as pas pu le sortir, alors il est sorti seul ; quelqu’un l’attendait et lui a donné à manger. — Non, coupa Claude, Dago n’aurait jamais accepté un morceau de viande d’une main étrangère ; je lui ai toujours appris à refuser. — Mais les faits sont là, dit François. Il a dormi justement la nuit où il aurait dû se réveiller et je suis très inquiet à l’idée que les voleurs ont pu s’emparer des deux carnets de ton père sur l’Amérique. » Maria vint leur dire que le déjeuner était prêt. Elle apprit aux enfants que les gendarmes avaient mangé ce matin des chaussons aux pommes de sa fabrication. La vieille servante se donnait de l’importance, espérant que tout le village serait au courant de ses faits et gestes ; elle brûlait d’impatience d’aller raconter toutes ces aventures à ses amies… « Vous resterez à la maison, lui dit François, et vous servirez le thé aux gendarmes, ils vont venir avec le photographe. — Alors il faudrait que je leur prépare quelque chose ! répondit Maria enchantée. — Oui, un bon gâteau au chocolat par exemple ! suggéra Annie en souriant. — Oh ! croyez-vous qu’ils aimeraient cela ? demanda la cuisinière. — Mais non ! Si vous faites un entremets, faites-le pour nous ! grogna Claude. Pouvez-vous nous préparer un bon goûter que nous emporterions ? Nous allons nous promener en bateau. Nous en avons assez des visites des gendarmes. » Maria obéit. Dagobert semblait un peu plus réveillé et il les suivit. « Il va mieux ! s’exclama Claude, toute contente. Dagobert, je ne te laisserai plus maintenant ! Si quelqu’un veut t’endormir, il aura affaire à moi ! » Ils passèrent un moment merveilleux à bord du voilier de Claude. Ils s’arrêtèrent à mi-chemin de l’île de Kernach et plongèrent du bateau ; ils nageaient tout autour et remontaient à bord épuisés et contents. De temps en temps, Dagobert se jetait, lui aussi, dans les vagues. « Il ne nage pas réellement, dit Annie ; il essaie de courir à travers l’eau. Je voudrais pouvoir monter sur son dos, mais il se sauve dès que je fais mine de grimper sur lui. » Ils rentrèrent vers six heures. Les gendarmes, avaient mangé tout le gâteau au chocolat que Maria avait cuit pour eux. Le bureau était rangé, un ouvrier avait réparé le coffre, chaque chose était à sa place. « Tout objet de valeur devra nous être confié jusqu’au retour du savant, décida le brigadier. — Mais nous ne savons pas quels papiers ont de la valeur ou non, expliqua François. Il faut attendre le télégramme de l’oncle Henri ! J’espère que nous ne serons plus inquiétés par le voleur, il a dû emporter ce qu’il voulait. » Tous ces événements avaient beaucoup fatigué les enfants, à l’exception de François. À neuf heures, Mick déclara : « Je vais me coucher ! — Moi, aussi, ajouta Annie. Tu viens, Claude ? — Je vais promener Dagobert, avant de me coucher. Plus jamais je ne le laisserai sortir seul ! Si tu veux aller dormir, François, je fermerai la porte. — Très bien, répondit le garçon, je monterai dans un instant. N’oublie pas de mettre la chaîne de sécurité, lorsque tu auras fermé la porte. Je pense que nous ne verrons plus de bandits cette nuit ! — Ni de visage à la fenêtre ! ajouta Annie. — Non, murmura François. Bonsoir, ma petite Annie, dors bien. » Annie et Mick montèrent. François acheva la lecture de son journal, puis il vérifia les portes et les fenêtres de la maison. Maria était déjà couchée ; elle rêvait de gendarmes mangeant ses gâteaux au chocolat. Claude sortit avec son chien ; il courut jusqu’à la grille, mais soudain s’immobilisa et grogna. « Tais-toi, Dago, dit Claude, s’approchant de lui. C’est une roulotte. Tu n’as jamais vu de roulotte ? Cesse donc d’aboyer. » Ils allèrent faire leur promenade habituelle. Dagobert mettait son nez dans tous les trous creusés par les lapins ; il s’amusait beaucoup. Claude aimait aussi se promener le soir, elle ne se pressa pas puisque François ne l’attendait pas. François alla se coucher et laissa la porte d’en bas entrouverte. Lorsqu’il fut dans son lit, il sentit le sommeil le gagner. Mais il fit un effort pour rester un moment éveillé, guettant le retour de Claude. Enfin, il entendit la porte d’en bas se refermer. « Elle est rentrée », pensa-t-il et, se tournant vers le mur, il s’endormit. Mais ce n’était pas Claude. Son lit demeura vide toute la nuit et personne ne sut — pas même Annie— que la petite fille et son chien n’étaient pas revenus. CHAPITRE VIII Où est Claude ? ANNIE s’éveilla au milieu de la nuit. Elle avait soif. Dans l’obscurité, elle chuchota : « Claude, es-tu réveillée ? » Pas de réponse. Elle se leva sans bruit, marcha sur la pointe des pieds et se servit un verre d’eau, sans allumer la lumière. Claude n’aimait pas être réveillée au milieu de la nuit. Pas un instant Annie ; ne pensa que sa cousine n’était pas dans son lit. Elle se rendormit et s’éveilla seulement en entendant la voix claironnante de Mick : « Debout, les filles ! Il est huit heures un quart ! Nous allons à la plage ! » Annie s’étira, bâilla, puis regarda le lit de Claude. Il était vide, et même pas défait ! « Eh bien ! s’écria Annie étonnée, non seulement Claude est déjà debout, mais elle a fait son lit ! Elle aurait pu me réveiller, je serais sortie avec elle. Quelle belle matinée ! Elle a probablement emmené Dago. » Le petite fille mit son maillot de bain et courut rejoindre les garçons. Ils étaient au bas de l’escalier, pieds nus. « Claude est déjà sortie, annonça-t-elle. Elle a dû se réveiller de bonne heure et emmener son chien, je ne l’ai même pas entendue. » François était maintenant sur le seuil de la porte. « Cette fois-ci, elle a été gentille. Elle a tiré la porte tout doucement derrière elle, sans la fermer. La dernière fois qu’elle est sortie tôt, elle l’avait claquée si fort qu’elle a réveillé tout le monde. — Elle a dû aller à la pêche en bateau, ajouta Mick. Hier, elle disait : « Quand la marée sera propice, j’irai taquiner le poisson. » Elle va probablement revenir avec un filet plein. Maria pourra faire cuire les soles et les sardines.» Lorsqu’ils arrivèrent à la plage, ils regardèrent la mer. Il y avait un bateau au loin. On distinguait deux silhouettes à bord. « Claude et Dago ! » s’écria Mick. Il appela le plus fort qu’il put, mais le bateau était trop loin, personne ne lui répondit ; les trois enfants plongèrent la tête la première dans les vagues froides. « Délicieux ! dit Annie en sortant de l’eau, ruisselante dans le soleil du matin. Courons pour nous réchauffer. » Ils se poursuivirent les uns les autres le long de la plage et s’aperçurent soudain qu’ils avaient très faim. Ils rentrèrent pour le petit déjeuner. « Où est Claude ? demanda Maria en apportant le café et les tartines beurrées. J’ai vu que son lit était fait… Où est-elle ? — Je pense qu’elle est partie à la pêche avec son chien, répondit Mick. Elle avait très envie d’y aller. — Je ne l’ai jamais entendu dire cela, contesta Maria. Enfin, bon appétit, mes enfants ! — Oh ! que cela a l’air bon ! dit Annie. J’ai vraiment faim ! Allons-nous aussi manger la part de Claude ? Elle ne reviendra certainement pas avant deux heures. — Oui, si vous voulez », répondit la cuisinière. Les trois enfants dévorèrent à belles dents le pain grillé sur lequel ils étalaient la bonne confiture de groseilles. Puis Annie alla aider Maria à faire les lits, tandis que François et Mick se rendaient au village pour les courses. Plus personne ne s’inquiétait de Claude. Les garçons revinrent du marché et virent le petit bateau, de pêche toujours balancé au loin sur les vagues. « Claude va mourir de faim lorsqu’elle reviendra, dit François. Elle traverse peut-être une crise de solitude. Elle était tellement furieuse que son chien ait été drogué ! » Ils rencontrèrent Jo, la gitane, qui marchait pieds nus sur le sable et ramassait des débris de bois. Jo paraissait encore plus sale que d’habitude. « Hello ! » appela Mick. La fillette leva la tête et vint vers eux sans sourire. Elle semblait avoir pleuré. Son petit visage portait encore la trace des larmes. « Bonjour », dit-elle, regardant Mick. Jo avait l’air si misérable qu’il en fut touché. « Que t’est-il arrivé ? » demanda-t-il gentiment. Tant de douceur fit à nouveau pleurer la petite gitane. Elle s’essuya du revers de la main. Son visage était tout barbouillé. « Rien, dit-elle. Où est Annie ? — Annie est à la maison, et Claude est partie en bateau avec Dagobert pour pêcher, répondit Mick. — Ah ! bon ! » murmura Jo. Et elle s’éloigna. Le garçon courut après elle. « Pourquoi t’en vas-tu comme ça ? Raconte-moi ce qu’il t’arrive. » Il la força à se retourner vers lui. Il la regarda de plus près et remarqua qu’elle avait maintenant deux bleus sur la figure. « Qui t’a frappée ? demanda-t-il. — Mon père, répondit la gitane, il est parti emmenant le cheval et la roulotte, il m’a laissée toute seule. Je voulais m’en aller, moi aussi. Je m’étais cachée à l’intérieur de la voiture, il m’a poussée dehors. Je suis tombée. J’ai aussi un autre bleu sur la jambe. » Mick et François écoutèrent, avec un frisson d’horreur. Jo avait vraiment une vie épouvantable. Ils s’assirent et obligèrent la petite fille à se mettre entre eux. « Mais ton père va sûrement revenir, dit François, la roulotte est votre seule maison. — Oui, répondit Jo, nous n’en avons jamais eu d’autre. Nous avons toujours habité cette voiture. Lorsque maman vivait, j’étais plus heureuse. C’est la première fois que papa est parti sans moi. — Comment vas-tu faire pour vivre maintenant ? demanda Mick. — Papa m’a dit que Manolo me donnerait de l’argent pour acheter de quoi manger, répondit Jo, à condition que je lui obéisse. Je déteste Manolo, il est méchant ! — Qui est Manolo ? demanda François de plus en plus étonné. — Manolo est un gitan, un ami de mon père. Il est toujours sur les routes. Si je l’attends ici, il viendra me donner un peu d’argent. — Pourquoi dois-tu lui obéir ? Que va-t-il te commander ? demanda Mick. Tout ça est horrible ! — Oh ! Manolo m’ordonnera d’aller voler quelque chose… Nous ne vivons pas comme vous, vous savez », dit Jo. Elle avait peur que Mick et François lui fassent des reproches. « J’espère qu’il me donnera de l’argent aujourd’hui parce que je n’en ai plus du tout et que j’ai très faim. » Mick et François se regardèrent. Pauvre Jo qui vivait dans la crainte, souvent affamée et solitaire ! Mick plongea sa main dans le panier à provisions, en ressortit un paquet de beurre et quelques biscuits. « Prends toujours cela, dit-il, et viens de temps en temps frapper à la cuisine ; demande à Maria la cuisinière de te donner à manger, elle le fera de bon cœur. Je le lui dirai. Prends toujours cela et viens de temps en temps à la cuisine… — Les gens n’aiment pas que je m’approche de leur maison, ils ont toujours peur que je leur vole quelque chose. » Jo cligna de l’œil en regardant Mick. « Cela m’arrive quelquefois… ajouta-t-elle. — Tu ne devrais pas faire ça ! gronda Mick. — Et que ferais-tu, toi, si tu mourais de faim ? — Je crois que je ne volerais pas… Enfin, j’espère… », répondit Mick qui ne s’était jamais posé la question. «Mais où est Manolo ? — Je ne sais pas… Quelque part par là… Il me trouve toujours lorsqu’il a besoin de moi. Papa m’a dit que je n’avais qu’à rester sur la plage. Alors je ne pourrai pas aller chez vous aujourd’hui. » Les deux garçons se levèrent pour partir. Ils étaient inquiets pour la petite gitane, mais que faire ? Rien, sinon la nourrir et lui donner un peu d’argent. Mick sortit une pièce de sa poche ; Jo la prit sans un mot, les yeux brillants. Claude n’était toujours pas à la maison à l’heure du déjeuner. Pour la première fois, François se sentit anxieux. Il courut à la plage pour voir si le bateau voguait toujours en mer, mais justement l’embarcation approchait de la grève et, le cœur serré, François vit que deux garçons étaient à son bord. Le bateau de Claude était amarré avec les autres ; ce n’était donc pas elle qu’ils avaient vue au loin, ce matin. Claude n’était pas partie à la pêche. François eut des remords d’avoir été si insouciant. Il courut à la villa des Mouettes et fit part aux autres de son inquiétude. Tous furent bouleversés. Qu’était-il arrivé à Claude ? « Attendons jusqu’à l’heure du goûter, dit François, si elle n’est pas revenue, il faudra agir, appeler encore une fois la police, peut-être. » À l’heure du goûter, Claude n’était toujours pas là, ni Dagobert. Les enfants entendirent quelqu’un marcher dans le jardin et se précipitèrent tous à la fenêtre. « C’est Jo ! dit Mick déçu. Qu’est-ce qu’elle veut ? » CHAPITRE IX L’extraordinaire message FRANÇOIS ouvrit la porte. Sans un mot, Jo lui tendit une grande enveloppe. François la prit ; il se demandait ce que c’était. La gitane allait s’enfuir, mais le garçon la retint fermement, tandis qu’il lisait le message. « Mick ! appela-t-il. Occupe-toi de Jo, ne la laisse par partir. Enferme-la à l’intérieur, tout cela est très sérieux !» La gitane n’avait aucune envie d’être en prison. Elle cria et se débattit comme un beau diable. Dans sa fureur, elle donnait des coups de pied à Mick. « Laisse-moi partir, je n’ai rien fait de mal, j’ai juste apporté ce message ! hurlait-elle. — Tais-toi ! Ne sois pas sotte ! Je ne vais pas te battre, tu le sais bien ! Mais il faut que tu restes à l’intérieur de la maison ! » Elle continua à crier ; elle semblait terrifiée. Enfin Mick et François arrivèrent à l’enfermer dans la salle à manger. Annie survint, l’effroi se lisait sur son visage. « Venez voir ! dit François lorsque la porte fut fermée, c’est incroyable ! » Il tendit le message aux autres —c’était une feuille tapée à la machine— ils lurent à voix basse : Nous voulons le second carnet de notes du savant, celui qui contient des schémas et des dessins. Trouvez-le, mettez-le sous la première dalle du chemin pavé, à l’entrée du jardin, ce soir même. Nous avons kidnappé la petite fille et son chien, nous les libérerons lorsque nous aurons obtenu ce document. Si vous appelez la police, ni l’enfant, ni le chien ne reviendront. La maison sera surveillée afin que personne n’en sorte pour alerter les gendarmes. La ligne téléphonique est coupée. Quand il fera nuit, allumez les lumières de la pièce du devant, asseyez-vous non loin de la fenêtre, tous les trois là, ainsi que la bonne, Maria, afin que nous puissions vous voir et vous surveiller. À onze heures, l’aîné des garçons sortira de la maison ; il portera une lampe et viendra placer le carnet de notes là où nous vous le demandons ; il devra retourner aussitôt après dans la pièce éclairée. Quand vous entendrez un cri pareil à celui du cri de la chouette, cela signifiera que nous avons pris le document. La petite fille et le chien seront alors immédiatement relâchés. Ce message effrayant fit pleurer Annie. Elle s’accrocha désespérément au bras de François. « François ! François ! Claude a été kidnappée ! Pourquoi n’avons-nous pas commencé à la chercher tout de suite ? » François avait pâli, il s’efforçait de réfléchir. « Oui, quelqu’un devait guetter Claude et Dagobert dans l’obscurité, il n’y a pas de doute ; il est venu ensuite fermer la porte de la maison pour faire croire que Claude était rentrée. On nous a aussi probablement espionnés aujourd’hui pour savoir si nous nous inquiétions de la disparition de Claude, expliqua François. — Qui t’a donné ce message ? » demanda Mick .durement à la gitane. Elle tremblait. « Un homme », dit-elle. À son tour, François l’interrogea. « Quelle sorte d’homme ? — Je ne sais pas, répondit-elle. — Si, tu sais ! affirma Mick. Il faut nous le dire, Jo ! » Jo semblait sans forces. Mick la prit aux épaules et la secoua. Elle essaya en vain de s’enfuir. « Parle ! Dis-nous comment était cet homme ! exigea-t-il. — Il était grand, il avait une longue barbe, un long nez, des yeux noirs, dit Jo très vite. Il portait des vêtements de pêcheur, et il parlait comme un étranger. » Les deux garçons la regardèrent. « Ne te moque pas de nous, Jo ! gronda François. — Je dis la vérité, répondit la gitane, je ne l’avais jamais vu avant. — Jo, dit Annie, prenant la petite main noiraude de Jo dans les siennes, je t’en supplie, dis-nous tout ce que tu sais, nous sommes tellement inquiets pour la pauvre Claude ! » Tandis qu’elle parlait, les larmes coulaient de ses yeux. « C’est bien fait pour cette fille ! répondit Jo durement. Cela lui apprendra. Je ne vous dirai rien ! — Pourquoi deviens-tu méchante ? demanda Mick, J’ai été attristé par ton sort, mais je ne le suis plus maintenant. » La gitane parut effrayée, ses yeux étaient pleins de larmes. « Laissez-moi partir, dit-elle, je vous ai dit la vérité. Cet homme m’a donné cinquante francs pour que je vous apporte ce message, c’est tout ce que je sais. Quant à Claude, elle n’est pas assez gentille pour que je la plaigne ! — Laissez-la partir, dit François. Je la croyais bonne, au fond ! Hélas, je me suis trompé ! — Je le pensais aussi, dit Mick, lâchant le bras de la gitane ; je l’aimais un peu. Eh bien, va-t’en, Jo ! Nous ne voulons plus de toi ici ! » La gitane courut vers la porte et s’enfuit dans le jardin. Il y eut un long silence après son départ. « François, demanda Annie, qu’allons-nous faire ? » François ne dit rien. Il traversa le hall, il décrocha le téléphone, colla son oreille contre l’écouteur, attendit. Au bout d’un moment, il raccrocha. « Il n’y a pas de tonalité, dit-il, ils ont dû couper la ligne. Je suis sûr qu’il y a vraiment quelqu’un pour nous espionner. Tout cela est absurde. Cela ne peut pas être vrai ! — Mais c’est vrai, François ! affirma Mick. Sais-tu quel carnet de notes ils exigent ? Je n’en ai aucune idée ! — Moi non plus ! répondit François. De toute façon, il est impossible de chercher quelque chose parmi les documents de l’oncle Henri, car le coffre est refermé et la police a la clef. — Alors, qu’allons-nous faire ? interrogea Mick. Veux-tu que je sorte, et que j’aille au commissariat ? — Non, répondit François après quelques minutes de réflexion. Nous avons affaire à des gens trop forts. La vie de Claude est en jeu et puis tu pourrais être pris et kidnappé en chemin. N’oublie pas que nous sommes surveillés ! — Mais, François, nous ne pouvons pas rester ici sans agir ! — Je sais, Mick, mais il nous faut être prudent. Si seulement nous savions où Claude a été enfermée, nous pourrions la sauver, mais je ne vois pas comment découvrir l’endroit où elle se trouve. — J’ai une idée ! s’écria Mick. L’un d’entre nous va se cacher dans les buissons du jardin près de la grille d’entrée ; il attendra pour voir qui prendra le carnet de notes ; en suivant ensuite le voleur, nous découvrirons sans doute l’endroit où se trouve Claude. — Tu oublies que nous devons tous être assis dans la pièce éclairée, répondit François. Les bandits s’apercevraient vite que quelqu’un manque ; même Maria doit être là ! Ton plan est impossible ! — Personne ne doit venir à la maison ce soir ? Aucun commerçant, par exemple ? » demanda Annie. Elle parlait tout bas, elle avait l’impression qu’il y avait des gens aux aguets autour de la maison. « Non, c’est dommage, nous aurions pu lui donner un message », dit François. Et soudain, il frappa si violemment sur la table que les autres sursautèrent. « Mais si ! quelqu’un vient ! Le petit marchand de journaux. Nous sommes parmi les derniers à qui il distribue le quotidien du soir. Mais c’est peut-être risqué de lui confier un message. Cherchons encore ! — Ecoutez, dit Mick les yeux brillants, j’ai trouvé. Je connais le marchand de journaux. Nous laisserons la porte ouverte, nous le ferons entrer immédiatement ; je ressortirai avec sa casquette sur la tête et sa sacoche en bandoulière, je sauterai sur sa bicyclette et je m’enfuirai. Aucun des espions ne pourra se douter de la substitution. Je reviendrai lorsque la nuit sera tombée et je me cacherai dans les parages du jardin pour surveiller. Je verrai bien qui s’empare du document caché et je le suivrai ! — Bonne idée, Mick, approuva François. Oui, c’est possible. Si nous pouvons nous débrouiller sans la police ce sera mieux, car les bandits risquent de se venger sur Claude. — Est-ce que le marchand de journaux ne va pas être étonné de tout cela ? demanda Annie. — Non, il est un peu simple d’esprit ; il croit tout ce qu’on lui raconte, Nous n’aurons qu’à être très gentils avec lui ; il passera une si bonne soirée qu’il ne pensera plus qu’à revenir. — À propos du carnet de notes, dit François, nous allons prendre n’importe quel cahier dans le bureau de l’oncle Henri. Nous écrirons un petit mot à l’intérieur pour dire que nous espérons que c’est le bon. Celui qui viendra ramasser le document ne saura pas si c’est bien ce que cherchaient les bandits ! — Trouve un cahier, Annie, demanda Mick, moi je guette le marchand de journaux. Il ne vient jamais avant sept heures et demie, mais je ne veux pas le manquer, si, par hasard, il venait plus tôt. » Annie courut au bureau de son oncle. Elle était, contente d’avoir quelque chose à faire. Ses mains tremblaient tandis qu’elle fouillait dans les tiroirs, François resta avec Mick sur le seuil de la porte. Ils attendaient patiemment. L’horloge sonna six heures, puis six heures et demie, puis sept heures. « Le voilà ! s’écria Mick soudain, Occupe-toi bien de lui. — Bonsoir, Jeannot ! » CHAPITRE X La merveilleuse soirée de Jeannot JEANNOT, le marchand de journaux fut très étonné de se sentir happé par François. Et il fut encore plus surpris de sentir qu’on lui arrachait sa casquette et son sac de journaux. « Eh là ! s’écria-t-il, qu’est-ce que vous faites ? — Ne t’inquiète pas, Jeannot, dit François en le tenant fermement, c’est un jeu ! Une plaisanterie. Jeannot détestait les plaisanteries. Il se débattit un peu, puis abandonna. François était grand et fort et semblait très résolu. Jeannot se retourna et s’aperçut que Mick avait mis sa casquette et emportait sa sacoche. Il poussa un rugissement quand il vit le jeune garçon enfourcher sa bicyclette et s’en aller. « Vous avez de drôles de jeux ! dit-il à François. — Ne t’inquiète pas ! répondit François en le poussant dans un fauteuil. Quelqu’un a parié que Mick ne serait pas capable de distribuer les journaux ! — C’est ça ? demanda Jeannot. — Tu as deviné ! s’exclama François. Mick a voulu gagner le pari. — Bon, j’espère qu’il fera bien mon travail, de toute façon, il n’en a plus que deux à distribuer dans les fermes voisines. Quand va-t-il revenir ? — Bientôt ! dit François. Veux-tu rester dîner avec nous ? » Jeannot n’en croyait pas ses yeux. On l’invitait à dîner à la villa des Mouettes, lui le petit marchand de journaux ! « Comment ? Dîner avec vous ?… mais… enfin… cela me ferait plaisir, oui… — Très bien. Je suis content que tu aies accepté tout de suite ! Assieds-toi et regarde ces livres. » François lui tendait deux beaux livres illustrés qui appartenaient à Annie. « Je vais dire à la cuisinière de nous faire un bon repas. » Jeannot, très étonné obéit, feuilleta les albums et imagina la surprise de sa maman lorsqu’elle saurait comme il avait été bien reçu à la villa des Mouettes. Pendant ce temps, François expliquait la vérité à Maria. Il fallait qu’elle les aide dans leur plan. Il avait l’air si grave que Maria s’écria : « Mon Dieu ! qu’est-il arrivé ? » François lui parla à voix basse et lui expliqua que Claude avait été enlevée ; il lui raconta le texte du message. Elle s’assit, car ses vieilles jambes commençaient à trembler. « C’est exactement le genre de choses qu’on lit dans les journaux, monsieur François ! soupira-t-elle d’une voix brisée, Ah ! je n’aime pas ça ! — Nous non plus », répondit François. Puis il exposa à la cuisinière ce qu’ils allaient faire. Elle ne put s’empêcher de sourire lorsqu’elle apprit que Mick s’était déguisé en marchand de journaux. « Pauvre Jeannot, dit-elle, personne au village n’a jamais dû l’inviter à dîner. Il est un peu innocent ! Je vais lui faire un bon repas, n’ayez pas peur. Et puis je viendrai, je m’assiérai avec vous ce soir dans le salon ; nous jouerons aux cartes ! — Bonne idée, riposta François, qui se demandait comment il pourrait entretenir la conversation avec Jeannot durant toute une soirée. — Nous jouerons avec le gamin et nous le laisserons gagner. » Le petit marchand de journaux se montra ravi de cette soirée. Il avait trouvé le dîner délicieux et avait mangé à lui tout seul la moitié d’un énorme gâteau au chocolat. « J’aime beaucoup le chocolat ! avait-il confié à Annie. Votre cuisinière le savait car elle bavarde souvent avec ma mère. » Annie lui répondait en souriant. Elle le trouvait gentil et il l’amusait par sa naïveté, mais, tout au fond d’elle-même, elle demeurait inquiète. Jeannot était un invité bien gentil. Il battait des mains, riait avec plaisir et remerciait tout le temps. Après le dîner, il alla à la cuisine et proposa à Maria de l’aider à faire la vaisselle. « J’aide toujours maman, dit-il et je ne casse jamais rien. » Maria le laissa faire, Annie prit un torchon et essuya. Jeannot eut l’air ennuyé lorsqu’on lui proposa de jouer aux cartes. « Je ne sais jouer qu’à la bataille, dit-il. — Eh bien, jouons à la bataille ! répondit François. — Parfait ! La bataille, ça me connaît ! » Jeannot gagna et fut enchanté. « Je n’ai jamais passé une soirée aussi formidable ! s’exclama-t-il. Vous êtes des amis ! de vrais amis ! J’espère que votre frère a bien distribué les journaux et qu’il va me rapporter ma bicyclette ! — Oh ! bien sûr ! » répondit François. Ils étaient maintenant tous assis dans le salon brillamment éclairé. Si un inconnu surveillait la maison, il pouvait les voir facilement, mais personne ne devinerait que l’un des enfants était le marchand de journaux et non pas Mick. À onze heures, François sortit avec le paquet qu’Annie avait préparé : un cahier de notes bien plié dans du papier d’emballage. François y avait glissé quelques mots : « Voici le carnet demandé, je vous prie de relâcher notre cousine immédiatement, vous vous attireriez de graves ennuis en la retenant encore. » Il traversa le jardin, sa lampe électrique à la main. Il s’approcha de la grille du jardin, souleva facilement la dalle et glissa le paquet dans un trou qui semblait avoir été préparé à l’avance et regarda tout autour de lui prudemment, en se demandant si Mick était caché quelque part, mais il ne vit personne. Il revint dans la pièce éclairée où les autres jouaient toujours aux cartes. Il se remit à jouer, très mal, d’une part parce qu’il voulait laisser gagner Jeannot, d’autre part parce qu’il était inquiet pour son frère. Soudain, ils sursautèrent, ils venaient d’entendre le cri de la chouette. François sourit à Maria et à Annie ; ce signal leur annonçait que le paquet avait été trouvé et emporté. Maria disparut et revint avec des tasses de chocolat et des brioches. Les yeux de Jeannot brillèrent. Décidément, tout était parfait. On resta quelques instants encore à boire du chocolat et à écouter Jeannot. « Ta maman doit commencer à s’inquiéter, dit François en regardant la pendule. Il est très tard. — Où est ma bicyclette ? demanda Jeannot, réalisant avec tristesse que cette merveilleuse soirée s’achevait. Votre frère n’est pas encore revenu ? Eh bien, vous lui direz de déposer mon vélo chez moi demain matin, et ma casquette. J’aime beaucoup cette casquette-là et je ne veux pas la perdre. — Mon frère te rapportera toutes tes affaires, sois tranquille. » François se sentait maintenant très fatigué. « Et maintenant écoute, Jeannot. Il est très tard, si tu rencontres sur la route des gens qui veulent te parler, ne leur réponds pas, marche le plus vite possible et ne t’arrête pas en chemin. — Bon, je vais courir ! » approuva Jeannot. Il leur serra la main à tous, de façon assez solennelle et partit en sifflotant pour se donner du courage. Au coin d’une rue, un gendarme l’appela ; le gamin sursauta. « Eh bien ! jeune Jeannot, dit l’agent, que fais-tu dehors à cette heure ? » Jeannot ne répondit pas et partit en courant, lorsqu’il arriva chez lui, il vit devant la porte sa bicyclette, sa casquette et sa sacoche. « C’est parfait », songea-t-il. Mais il fut un peu déçu de trouver la maison obscure ; sa maman était endormie, il lui faudrait attendre le lendemain matin pour lui raconter sa merveilleuse aventure à la villa des Mouettes. Pendant ce temps-là, qu’était-il arrivé à Mick ? Il était parti de la maison sur la bicyclette de Jeannot, la casquette sur la tête. Il avait cru voir bouger les petites branches d’un buisson près du jardin et avait deviné que quelqu’un se cachait là. Délibérément, il s’était arrêté comme pour vérifier l’état de ses pneus. L’espion avait ainsi pu voir sa sacoche de journaux et le confondre avec Jeannot, le petit commissionnaire. Mick s’était rendu à la ferme, avait distribué les deux quotidiens du soir ; puis il était allé au bourg afin de déposer les affaires de Jeannot devant sa porte. Ensuite, il ‘était entré dans un cinéma jusqu’à ce que la nuit tombe. L’obscurité venue, de retour à la villa des Mouettes, il avait hésité avant de se cacher. Si, en se glissant dans un buisson, il se heurtait à un espion ayant déjà choisi cette cachette, il était perdu ! CHAPITRE XI L’embuscade de Mick Mick demeura immobile ; il retenait sa respiration pour mieux écouter. Il n’entendait rien hormis le frémissement des feuilles dans le léger vent nocturne. La nuit était profonde, des nuages obscurcissaient la lune. Quelqu’un guettait peut-être, tapi dans les buissons. Il réfléchit pendant quelques minutes, puis conclut que personne ne devait surveiller l’arrière de la maison qui se trouvait dans l’ombre. François et les autres étaient assis dans le salon éclairé. Enfin, Mick décida de grimper dans un arbre. « Pourquoi pas justement dans celui qui se trouve près de la grille ? Si le vent chasse un peu les nuages, je pourrai peut-être voir l’homme qui s’emparera du paquet ; je descendrai alors doucement de mon arbre et je le suivrai. » Aussitôt dit, aussitôt fait. Il s’installa le plus commodément possible sur une branche et attendit. « Quelle heure indiquait le message ? Onze heures. » Mick entendit la cloche du village sonner dix heures et demie. Encore une demi-heure à attendre ! Il glissa sa main dans sa poche, en ressortit un morceau de chocolat qu’il suça lentement pour faire durer le plaisir. Onze heures moins le quart… Mick finit son chocolat, et se demanda si François tarderait encore. Juste au moment où le premier coup de onze heures tinta, la porte de la cuisine s’ouvrit et Mick vit son frère apparaître, portant le paquet sous son bras. Mick regarda François marcher vers la grille et le sentier ; il ne lui fit pas signe, car il redoutait d’être vu par quelqu’un d’autre ! Puis François, après avoir déposé le paquet sous la dalle, retourna vers la cuisine et claqua la porte derrière lui. Mick se sentait nerveux… Qui viendrait prendre le paquet ? Une feuille emportée par le veut tomba dans son cou et le fit sursauter. Cinq minutes s’écoulèrent ; personne ne venait. Enfin, Mick entendit un bruit léger ; quelqu’un rampait dans les buissons… Mick s’efforçait de voir ; il distingua seulement une ombre qui se penchait. Il crut enfin entendre une respiration, comme si l’homme avait du mal à soulever la pierre, puis la dalle retomba, l’ombre rampa de nouveau vers les buissons, emportant le paquet. Mick descendit doucement de son arbre ; il avait des souliers à semelles crêpe et ne faisait aucun bruit. Il écarquilla les yeux pour voir l’homme qu’il devrait suivre, mais il ne discerna toujours qu’une ombre ; il lui emboîta le pas. L’ombre s’éloignait du jardin, et tout à coup retentit le ululement de la chouette. Mick avait sursauté, mais ce n’était que le signal dont parlait le message. L’inconnu avait parfaitement imité l’oiseau de nuit. Comme il reprenait sa marche, Mick le suivit. Soudain, le petit garçon entendit des voix ; mais il ne put malheureusement pas comprendre un mot. Un bruit sourd le fit sursauter, une vive lumière s’alluma. L’enfant recula jusqu’à la grille du jardin et se cacha. Une voiture s’approchait doucement. Mick fit de son mieux pour voir les occupants ; il n’aperçut qu’un homme, le conducteur. Il n’y avait personne d’autre ! Cela paraissait impossible ! Quelqu’un avait pris le paquet et l’avait donné à l’automobiliste. Mick avait entendu deux voix. Qu’était donc devenu le premier personnage ? S’il était resté là, Mick ferait bien de faire attention ! L’auto avait maintenant dépassé la grille et s’éloignait sur la route qui longeait le jardin. Le bruit du moteur décrut. Mick ne pouvait évidemment pas suivre la voiture ! Il retint sa respiration, terrifié à l’idée que l’un des individus était demeuré dans les parages. Soudain, il entendit une petite toux et demeura immobile. Une ombre se dirigeait vers la maison des Mouettes et se perdit bientôt dans l’obscurité du parc. Mick s’élança à sa poursuite, traversa la pelouse ; mais l’ombre s’était à nouveau cachée dans une haie. Pourquoi le bandit revenait-il ? Il s’était approché maintenant d’une fenêtre obscure. « Il va encore entrer dans la maison pour fouiller dans les papiers de l’oncle Henri, je suppose ! » pensa Mick, rageusement. Il regarda attentivement la silhouette qui se découpait près de la fenêtre, elle semblait très petite. Mick pouvait peut-être terrasser cet homme et appeler François de toutes ses forces. « À notre tour de faire un prisonnier ! pensa Mick. S’ils retiennent Claude comme otage, nous garderons l’un d’entre eux, nous aussi ; œil pour œil, dent pour dent ! » Il attendit encore un peu, puis bondit. La victime roula au sol avec un gémissement. Mick était surpris de sa petite taille et aussi de sa défense farouche. Le bandit griffait, mordait, donnait des coups de pied ! « François ! François ! au secours ! François ! » François sortit immédiatement. « Mick ! Mick ! où es-tu, que se passe-t-il ? » Il posa sa lampe sur la pelouse, afin d’avoir les deux mains libres. Il venait de découvrir, en éclairant ce coin de parc, Mick qui terrassait quelqu’un. Il ne leur fallut pas longtemps à tous deux pour venir à bout de leur adversaire qu’ils traînèrent, gémissant, jusqu’à la maison ; soudain, Mick reconnut cette voix. Cela paraissait impossible ! C’était Jo. Lorsque la gitane fut dans la maison, sanglotante, le corps couvert de coups et d’égratignures, traitant les garçons des noms les plus affreux qu’elle connaissait, ils la reconnurent bien ! Annie et Maria arrivèrent toutes surprises ; que s’était-il encore passé ? « Montez-la dans une chambre, dit François, couchez-la, elle est en piteux état. Moi aussi, d’ailleurs. — Je n’aurais jamais cru qu’elle fût si forte, dit Mick, une vraie tigresse. — Je ne savais pas que c’était toi, Mick, je ne savais pas, sanglotait Jo. Tu as bondi sur moi et je me suis défendue. — Tu es un chat sauvage, une bête féroce, une menteuse ! répondit Mick, furieux. Tu as osé nous dire que tu ne savais rien de l’homme qui t’a donné ce message et tu étais sa complice ! Tu as aidé ces gangsters ! — Ce n’est pas vrai ! gémissait Jo. — Ne mens pas encore une fois ! cria Mick. J’étais grimpé dans un arbre ; j’ai vu quelqu’un prendre le paquet sous la dalle et le remettre à l’homme qui attendait dans une voiture. Je comprends maintenant : c’était toi ! Tu es revenue ici pour voler autre chose, je suppose ? » Jo pleurait toujours. « Non, non ! — Tu seras conduite à la police demain ! décréta Mick. — Je ne suis pas revenue pour voler ! cria Jo. J’avais une autre raison ! » Ses yeux scintillaient, elle rejetait ses cheveux en arrière avec un mouvement d’orgueil. « Tu es une menteuse ! Comment te croire ? Tu es venue pour faire du mal ! — Non, répondit-elle misérablement. Je suis revenue vous dire que je vous conduirai vers Claude, si vous ne le répétez pas ; mon père me tuerait s’il l’apprenait. Je sais qui a pris le paquet. Je ne pouvais pas faire autrement que de l’aider. J’obéis à Manolo. Je suis revenue pour vous dire la vérité, et vous me battez ! » Quatre paires d’yeux observaient la gitane. Elle cacha son visage dans ses mains. Mick la força de nouveau à le regarder. « Regarde-moi, dit-il, c’est très important et très grave pour nous. Sais-tu vraiment où se trouve Claude ? ». Jo approuva. « Est-ce que tu nous amèneras jusqu’à elle ? » demanda François d’une voix très froide. Et Jo répondit : « Oui. Vous avez été très méchants, mais je vous montrerai que moi, je suis gentille. Vous retrouverez Claude. » CHAPITRE XII Jo commence à parler LA PENDULE de l’entrée émit un son profond : dong ! « Une heure, dit Maria, une heure du matin ! Monsieur François, nous ne pouvons rien faire de plus ce soir. Puisque la gitane est ici, elle ne nous dérangera plus. — Oui, vous avez raison, Maria, répondit François, il nous faut attendre demain pour agir. Quel malheur que le téléphone soit coupé ! Je voudrais bien appeler la gendarmerie ! » Jo le regarda. « Alors je ne vous dirai pas où est Claude. Savez-vous ce que les gendarmes me feront ? Ils me mettront dans une maison de correction dont je ne pourrai jamais sortir. D’ailleurs, c’est la vérité, je suis une méchante fille, mais je n’ai jamais eu de chance ! — Tout le monde a sa chance dans la vie, tôt ou tard, dit François gentiment. Tu auras la tienne. C’est bon, nous n’avertirons pas la police si tu nous promets de nous conduire jusqu’à Claude. » La gitane promit. Maria la fit monter. « Il y a un lit dans ma chambre, dit-elle à François. Elle peut y passer la nuit, mais je vais d’abord lui faire prendre un bain. Elle est trop sale. » Une demi-heure plus tard, Jo était couchée dans la chambre de Maria, parfaitement propre, mais marquée de bleus et d’égratignures ; ses cheveux avaient été brossés, un plateau avec du lait chaud et du pain était déposé à côté du lit. Maria appela : « Monsieur François ! Jo est dans son lit, elle veut vous dire quelque chose, ainsi qu’à M. Mick. » Mick et François enfilèrent leur robe de chambre et entrèrent dans la pièce. Ils furent stupéfaits en voyant la gitane toute propre dans une chemise appartenant à Annie. Son petit visage était pathétique, mais en voyant les deux garçons elle sourit : « Que voulais-tu nous dire ? demanda François. — Je me sens bonne maintenant, mais peut-être que demain je serai de nouveau méchante. Alors, je veux parler tout de suite. — Nous t’écoutons, répondit François. — C’est moi qui ai fait entrer les hommes ici la première nuit », dit-elle. Tout en parlant, elle trempait son pain dans le lait chaud. « Voilà la vérité : je suis entrée par cette petite fenêtre qu’on ne ferme jamais, puis je suis allée ouvrir la porte, j’ai regardé ce que faisaient les voleurs dans le bureau ; ils ont pris beaucoup de papiers. — C’est impossible ! Tu n’as pas pu entrer par cette petite fenêtre, dit Mick. — Mais si, répondit Jo, je suis passée par des ouvertures beaucoup plus petites que ça. » François soupira. « Bien, continue ! Je suppose que, lorsque les bandits sont partis, tu as fermé la porte de la cuisine et que tu es ressortie par la fenêtre de l’office. — Oui, répondit Jo, le nez dans son bol de lait. — Et Dagobert ? Qui l’a drogué pour qu’il dorme toute la nuit ? — C’est moi. C’était facile aussi ! » Les deux garçons se regardèrent avec horreur ! « Nous avions lié amitié, Dago et moi, sur la plage. Vous ne vous rappelez pas ? Claude était furieuse. J’aime les chiens, nous en avions des douzaines avant la mort de maman. Papa m’avait ordonné d’apprivoiser Dagobert, afin de pouvoir lui donner facilement un morceau de viande dans la nuit, sans qu’il aboie. — En effet, c’était facile, dit Mick avec amertume. Dagobert est sorti seul et il est tombé entre tes mains ! — Il était content de me voir, je l’ai fait gambader un peu derrière moi en lui faisant sentir la viande, lorsque je la lui ai donnée il l’a mangée avec plaisir. — Et il a dormi toute la nuit pour que tes bons amis puissent dévaliser la maison ! riposta François. N’as-tu pas honte ? — Je ne sais pas, murmura Jo, qui ignorait ce que le mot « honte » voulait dire. Est-ce que je dois m’arrêter de parler ? — Non, continue, ordonna Mick. Est-ce que tu as joué un rôle dans l’enlèvement de Claude ? — Je devais juste imiter le cri de la chouette lorsque Claude et Dagobert apparaîtraient. Les hommes attendaient, ils se préparaient à jeter un sac de toile sur la tête de la petite fille ; ils devaient faire la même chose au chien après l’avoir assommé ! C’est ce qu’ils m’avaient expliqué ; je n’ai rien vu, car j’ai dû revenir en rampant et fermer la porte afin que personne ne s’aperçoive, jusqu’au lendemain, de l’absence de Claude. — Nous avons cru qu’elle s’était levée tôt, grogna Mick. Nous avons été bien naïfs ! La seule chose intelligente que nous avons voulu faire ensuite était de suivre la personne qui s’emparerait du paquet. — C’était moi, répondit Jo ! De toute façon, je revenais pour vous dire l’endroit où se trouve Claude. Ce n’est pas parce que je l’aime, elle est méchante et laide ! Je ne l’aime pas ! — Charmante nature ! s’exclama François. Que faire, d’une fille pareille ? Mais pourquoi t’es-tu décidée à venir nous chercher, Jo ? — Je n’aime pas Claude, mais j’aime Mick ! répondit Jo. Il a été gentil avec moi, alors je voulais lui faire plaisir. Ça ne m’arrive pas souvent, ajouta-t-elle…, je voulais qu’il m’aime… » Mick la regarda. « Je t’aimerai si tu nous amènes jusqu’à Claude, pas avant ! — Je vous conduirai demain, dit Jo. — Où est Claude ? » demanda François durement. Demain, la gitane changerait peut-être d’humeur. Mieux valait la faire parler ce soir… Elle hésita, regarda Mick. «Tu serais bien gentille de nous le dire », murmura le garçon d’une voix très douce. La petite gitane ne savait pas résister à la tendresse. « Bien, murmura-t-elle, je vous ai dit que mon père était parti en me laissant à Manolo. Papa ne m’a rien expliqué… Il a enfermé Claude et Dagobert dans notre roulotte, attelé Sultan, notre cheval et s’en est allé avec eux. Manolo m’a tout raconté. Je sais où ils sont, je connais leur cachette. — Où ? demanda François, étonné par d’aussi étranges révélations. — Au milieu de la forêt de Courcy, répondit Jo. Je vous y conduirai, je ne peux pas vous en dire davantage maintenant. » Elle observait les garçons d’un regard triste coulé entre ses longs cils. Mick pensait qu’elle avait dit la vérité. Il avait pitié d’elle, mais admirait son courage. « Je suis désolé de m’être battu avec toi », dit-il en l’embrassant sur la joue. La gitane le regarda comme une esclave regarde un prince. « Cela m’est égal, dit-elle, je ferai n’importe quoi pour toi ; tu es bon. » Maria frappa impatiemment à la porte. « Etes-vous prêts, les garçons ? Je veux me coucher ; Jo va dormir. Sortez vite de la chambre ! » Les garçons ouvrirent la porte, Maria vit une expression de gravité sur leurs visages, elle comprit que Jo leur avait fait une révélation très importante. « Et maintenant, dors vite, ma petite fille. Si je t’entends bouger cette nuit, gare à toi ! » ajouta-t-elle avec rudesse, mais sans méchanceté. Jo obéit. Le lit était moelleux, les draps frais et doux, elle se sentait bien. « Deux heures du matin, murmura la cuisinière, je ne me réveillerai jamais assez tôt pour dire au laitier que je veux davantage de lait. » François demeura éveillé très tard. Il était inquiet en pensant à la pauvre Claude ! Etait-elle en sécurité ? La gitane les conduirait-elle vers la roulotte ? Ou les mènerait-elle dans la gueule du loup ? Il l’ignorait encore… CHAPITRE XIII À la recherche de Claude MARIA fut la seule à se réveiller de bonne heure le lendemain matin. Il était pourtant trop tard pour rattraper le laitier. Elle descendit en courant les escaliers, noua son tablier autour de sa taille. « Sept heures et demie, est-ce une heure pour se réveiller ! » s’exclama-t-elle. Elle commença à allumer le feu. Elle ne pouvait s’empêcher de penser à la nuit passée. Quelle étrange soirée : le jeune Jeannot qui remerciait, la bataille entre Mick et Jo, l’extraordinaire récit de la petite gitane. En s’éveillant le matin, la cuisinière avait tout d’abord pensé que Jo s’était enfuie. Mais non ! Elle était dans son lit, roulée en boule comme un petit chat, son visage brun posé sur sa main bronzée. Ses cheveux, pour une fois brillants, tombaient en boucles soyeuses sur ses yeux clos. Elle n’avait pas entendu Maria se lever, faire sa toilette et s’habiller. Les autres avaient bien dormi aussi. François s’éveilla le premier, mais il était déjà huit heures. Il se souvint immédiatement des événements de la veille et bondit hors de son lit. Il courut dans la chambre de Maria. Mais il l’entendit en bas ; elle parlait seule comme à l’ordinaire. Le jeune garçon fut tout content de voir que la gitane était encore là. Il s’approcha du lit, la secoua gentiment. Elle se retourna et enfouit son visage dans l’oreiller. François la secoua alors un peu plus vigoureusement. Il fallait qu’elle se levât et qu’elle les conduisit à l’endroit où se trouvait Claude, le plus vite possible. À huit heures et demie, les enfants étaient tous réunis autour de la table pour le petit déjeuner. Jo restait avec la cuisinière. On entendait celle-ci gronder un peu la petite fille. « Pourquoi manges-tu si vite, comme si le chien allait te prendre tes tartines ? Qui t’a appris à tremper tes doigts dans le pot de confiture et à les sucer ensuite ? J’ai des yeux derrière la tête, je vois tout ce que tu fais. » « Qui t’a appris à tremper tes doigts dans le pot de confitures ? » Jo aimait Maria. Elle se sentait à l’aise avec elle et se disait que, si elle était gentille avec la cuisinière, elle serait toujours bien nourrie. La servante cachait sa bonté sous des dehors bourrus. Personne n’avait jamais eu peur d’elle. La gitane la suivit donc comme un petit chien, dès qu’elle eut fini son déjeuner. François entra dans la cuisine à neuf heures. « Où est Jo ? demanda-t-il. Ah ! tu es là. Veux-tu nous expliquer où se trouve la roulotte de ton père ? Es-tu certaine de connaître le chemin ? » Jo éclata de rire. « Naturellement, je connais toute la région. — Parfait », dit François ; il déplia une carte sur la table de la cuisine et posa son doigt sur un point. « Voici la villa des Mouettes, expliqua-t-il ; là se trouve une forêt appelée la forêt de Courcy. Quel chemin vas-tu prendre ? Celui-ci ou celui-là ? » Jo regarda la carte sans comprendre. « Eh bien ? demanda François impatient, est-ce bien la forêt dont tu parlais ? — Je ne sais pas, répondit Jo timidement. Dans celle dont je parle, il y a de vrais arbres. » Maria rit. « Monsieur François, cette petite n’a sûrement jamais vu une carte de sa vie ; elle ne sait même pas lire. — Elle ne sait pas lire ! s’exclama François étonné. Elle ne sait sans doute pas non plus écrire ? » Jo secoua la tête. « Maman a essayé de m’apprendre à lire, dit-elle, mais elle n’était pas très savante. À quoi ça sert ? C’est plus utile de savoir attraper des lapins ou pêcher du poisson ! » François plia la carte d’un air pensif. Comment faire confiance à Jo ? Sur un certain plan elle était très ignorante et sur d’autres elle paraissait connaître parfaitement la vie. « N’ayez pas peur, dit Maria. Les gitans ressemblent aux animaux, ils ont du flair ! — Est-ce vrai que tu renifles ton chemin comme un chien ? demanda Annie qui venait d’entrer. — Non, répondit Jo, je sais où il faut passer, c’est tout ; mais je ne prends pas la route, je choisis toujours un raccourci, vous comprenez ? — Comment sais-tu qu’il s’agit d’un raccourci ?» demanda la petite fille. La gitane haussa les épaules ; tout cela lui paraissait mortellement ennuyeux. « Où est l’autre garçon ? demanda-t-elle, il ne vient pas ? Je veux le voir. — Elle aime vraiment beaucoup Mick ! s’écria Maria. Le voilà ton Mick ! — Bonjour Jo ! s’exclama le garçon en entrant. Tu es prête à nous conduire ? — Il vaudrait peut-être mieux partir ce soir, quand il fera plus sombre, suggéra Jo. — Non, nous voulons partir tout de suite !, dit Mick. — Si papa nous voit arriver, il sera furieux ! répéta Jo avec obstination. — Très bien, riposta Mick en regardant François, nous irons donc par nos propres moyens, nous avons trouvé « le Bois enchanté » sur la carte, ce n’est guère difficile de nous y rendre. — Oh ! se moqua la gitane, vous pouvez naturellement atteindre la forêt, mais elle est si grande que vous ne trouverez jamais la cachette ! Si papa a vraiment décidé que personne ne retrouverait Claude, il la gardera prisonnière au milieu des fourrés dans un endroit inaccessible ; vous ne pouvez pas y aller sans moi. — Bon, nous avertirons donc les gendarmes ! dit François calmement. Ils nous aideront à fouiller le bois jusqu’à ce que nous retrouvions Claude ! — Non ! hurla Jo. Vous m’avez promis de ne pas faire cela ! — Tu as promis, toi aussi ; nous avions fait un pacte, mais je vois qu’on ne peut croire ta parole, et puisque tu ne veux plus partir ce matin, je vais donc me rendre à la gendarmerie. » Au moment où il sortait de la pièce, la gitane se jeta contre lui et lui barra le chemin. « Non ! non ! je vous emmènerai, je tiendrai ma promesse ; mais il vaudrait mieux y aller la nuit. — Nous ne pouvons plus attendre, répondit durement François en repoussant la gitane. Viens avec nous maintenant ! — Bien, accepta Jo. — Si nous lui donnions un autre short », suggéra Annie, en découvrant tout à coup un trou énorme dans le pantalon de la petite fille. « Elle ne peut pas sortir comme ça ! Regarde ! Son pull-over est plein de trous aussi ! » Les garçons regardèrent la gitane. « J’aimerais mieux, en effet, qu’elle ait des vêtements propres, dit la cuisinière, j’ai lavé dernièrement un vieux pantalon qui appartient à Claude, elle pourrait le mettre ; il y a aussi des chemises fraîchement repassées. » Cinq minutes plus tard, la gitane habillée comme un petit garçon réapparut toute propre. Elle portait exactement la même chemise qu’Annie. « Elle ressemble terriblement à Claude, dit Annie en riant ; elles pourraient être sœurs ! — Frères, veux-tu dire ! » corrigea Mick. La gitane fit la grimace. « Elle fait exactement la même grimace que notre cousine ! » s’exclama Annie. Alors Jo lui tourna le dos. Elle n’aimait pas du tout Claude et ne se souciait guère de lui ressembler. « Que tu es laide quand tu fais des grimaces ! gronda Maria. Méfie-toi, si le vent tourne à ce moment-là, tu resteras laide pour toute ta vie ! — En avant ! dit François impatient. Jo, tu m’entends ? Conduis-nous dans la forêt ! — Manolo peut nous voir… », murmura Jo. Elle avait décidé de partir le plus tard possible. « Eh bien, tant pis ! répondit François. Tu n’as qu’à marcher très loin devant nous et nous te suivrons. Manolo ne pourra pas savoir que tu nous conduis quelque part. » Enfin ils partirent. Maria leur avait donné quelques provisions dans un sac que François mit sur son dos. Jo sortit par la porte de derrière, et courut jusqu’à la grille du jardin. Les autres l’observaient de loin. « Suivons-la bien, dit François, c’est une petite sorcière, je ne serais pas étonné si elle essayait de nous fausser compagnie. » Jo gambadait loin devant eux, dans le soleil. Et soudain quelqu’un jaillit d’une haie, s’arrêta devant Jo et lui parla. Elle cria et essaya de s’enfuir, mais l’homme la saisit par les épaules et la poussa durement dans les buissons. « C’est Manolo ! dit Mick, j’en suis sûr ! Il l’attendait ! Maintenant, qu’allons-nous faire ? » CHAPITRE XIV La roulotte d’Antonio ILS coururent tous vers l’endroit où Manolo avait poussé la gitane. Mais ils ne trouvèrent absolument rien ; seules quelques branches cassées révélaient le passage de l’homme et de la petite fille. Pas de Manolo, pas de Jo, aucun bruit. Ni pleurs, ni cris. Les deux personnages s’étaient évanouis comme des fantômes. Mick fouilla la haie, explora le champ qui se trouvait derrière ; quelques vaches le regardèrent avec surprise. « Il y a un petit boqueteau au bout du champ, je vais voir ! » s’écria Mick, Il traversa la prairie en courant vers les buissons ; il ne dérangea qu’une famille de lapins. Au-delà du pré, il découvrit quelques habitations. « Je suppose que Manolo a emmené la petite fille dans l’une ou l’autre de ces maisons, pensa-t-il rageusement. Il habite probablement là, il ne la laissera sûrement plus partir ! Pauvre Jo ! » Il retourna vers les autres. « Nous ferions mieux d’appeler la police maintenant ! supplia Annie. — Non ! Allons jusqu’à la forêt ! Nous savons que la roulotte est cachée là ; nous ne trouverons pas le raccourci, mais nous irons par la route, en suivant la carte, dit Mick. — D’accord, partons ! Dépêchons-nous ! » répondit François. Ils marchaient maintenant sur la route goudronnée, un car apparut en sens inverse. « Si nous voyons au prochain arrêt un car en direction de la forêt de Courcy, nous le prendrons. Cela gagnera du temps. Il faut nous dépêcher, car Manolo ira sans doute prévenir le père de Jo. À moins que Jo l’ait déjà fait elle-même ! Cette fille est une vraie vipère ! — Je la déteste, répétait Annie, presque en larmes. Je ne crois pas un mot de ce qu’elle raconte ! Et toi, Mick ? — Je n’en sais rien ! répondit Mick. Je me demande encore si elle est franche ou menteuse ; à certains moments, elle semble bonne ; hier au soir, par exemple, elle est revenue nous prévenir… — Je ne crois pas qu’elle soit vraiment revenue pour nous prévenir. Elle venait encore commettre quelques méfaits lorsque nous l’avons surprise, répliqua Annie. — Tu as peut-être raison, Annie, convint Mick. Regardez ! Un arrêt d’autobus ; l’horaire est indiqué. » Un autobus conduisait vers « le Bois enchanté ». Il passerait dans cinq minutes. Les enfants s’assirent et attendirent. L’autocar fut très ponctuel ; il arriva, empli de femmes qui se rendaient au marché. Elles portaient d’énormes paniers et ne laissaient guère de place aux nouveaux arrivants. Tous les passagers descendirent à Ravet. François demanda le chemin de la forêt de Courcy. « Par là, dit le chauffeur. Tâchez de ne pas vous perdre et méfiez-vous des gitans ; la forêt en est pleine. » François remercia, puis ils se dirigèrent tous les trois vers les bois. « Quelle belle forêt ! murmura Annie. Ces arbres sont splendides… ! » Après avoir beaucoup marché, ils arrivèrent dans une clairière, où il y avait un campement de romanichels : autour de trois roulottes crasseuses, des enfants gitans jouaient. François regarda les roulottes dont les portes étaient ouvertes. « Claude n’a pas l’air d’être là, dit-il tout bas aux autres, je voudrais bien savoir où elle est !, Prenons ce sentier… — Demandons d’abord si quelqu’un connaît la roulotte de Jo, suggéra Annie. — Nous ne savons même pas le nom du père ! répondit François. — Nous pouvons préciser que la roulotte est tirée par un cheval appelé Sultan et nous pouvons décrire Jo. — Tu as raison, Annie ! » François s’approcha d’une vieille femme qui était en train de faire la cuisine sur un feu de bois. Penchée au-dessus des flammes, elle ressemblait à une vieille sorcière. Elle leva la tête, rejeta les mèches de cheveux gris qui tombaient sur ses yeux et regarda François. « Pouvez-vous me dire s’il y a, dans le bois, une roulotte tirée par un cheval appelé Sultan ? demanda poliment le garçon ; une petite fille nommée Jo y habite avec son père ; nous voudrions la voir. » La vieille femme grommela : « Antonio est parti par là-bas. Je n’ai pas vu Jo, mais la porte de la roulotte était fermée, elle était peut-être à l’intérieur. Qu’est-ce que vous lui voulez ? — Oh ! seulement la voir… répondit François. Antonio, c’est son père ? » La vieille femme fit signe que « oui » et recommença à s’occuper de sa soupe. François se retourna vers les autres. « Par ici ! » cria-t-il. Ils s’enfoncèrent dans un sentier étroit. Les branches des arbres qui se rejoignaient, en formant une voûte, ne laissaient pas filtrer les rayons du soleil. « Quelle étrange vie mènent ces gitans ! Habiter une roulotte. S’enfoncer dans ces bois touffus ! Dormir n’importe où ! » dit Annie. Par endroits, les arbres étaient si rapprochés, qu’il semblait impossible qu’une voiture ait pu passer par là ; pourtant la terre gardait encore des traces de roues. La forêt devenait de plus en plus épaisse, de plus en plus obscure. Les enfants suivaient les deux ornières laissées par la roulotte. Çà et là, des branches cassées prouvaient que le voyage n’avait pas été facile. « Antonio a été se cacher bien loin ! » s’exclama François. Les enfants avançaient sur une piste de plus en plus difficile. Ils demeuraient silencieux. Le bois était tranquille, aucun oiseau ne chantait dans les hautes branches. « J’aimerais que Dagobert soit avec nous », murmura Annie qui commençait à avoir peur. François approuva ; il y pensait depuis un long moment ; il s’inquiétait pour Annie si sensible et si craintive. Quel dommage que Jo ne les ait pas accompagnés ! « Il nous faut être très prudents, dit-il enfin d’une voix basse, nous allons peut-être découvrir la roulotte au moment où nous ne nous y attendrons pas ; il est inutile qu’Antonio nous entende approcher. — Je vais marcher en avant, proposa Mick, je vous avertirai si j’entends ou je vois quelque chose. » Il partit. François réfléchissait. Que feraient-ils lorsqu’ils verraient la roulotte ? Claude et Dagobert étaient sûrement enfermés à l’intérieur. « Si nous pouvons seulement ouvrir la porte, Dago se chargera du reste, pensa-t-il, il est aussi fort que trois gendarmes ! » Mick s’arrêta brusquement et leva la main pour avertir les autres ; il était caché derrière un arbre. « Il a aperçu la roulotte, murmura Annie. Son cœur battait à se rompre. — Ne bouge pas de là ! » lui dit son frère et il marcha doucement vers Mick. La petite fille se cacha dans un buisson. Elle détestait ce bois sombre et silencieux Elle frissonnait en observant les deux garçons. Mick avait découvert la roulotte. Elle était petite, sale et semblait déserte. On ne voyait pas Antonio, ni Sultan, le cheval. Les fenêtres et la porte étaient fermées. Les garçons observaient attentivement la voiture. Ils n’osaient ni bouger, ni parler. « Mick, murmura François, Antonio n’est sûrement pas là. C’est une chance. Nous allons ramper jusqu’à la voiture et regarder par la fenêtre, nous attirerons l’attention de Claude et nous la ferons sortir aussi vite que nous pourrons, ainsi que Dagobert. — C’est curieux qu’il n’ait pas aboyé ! s’étonna Mick. Il ne nous a sans doute pas entendus ! Bon, on y va ? » Ils rampèrent en se cachant derrière les buissons, puis François frappa doucement à la fenêtre. Il faisait trop sombre à l’intérieur, on ne distinguait rien. « Claude, murmura-t-il, Claude, es-tu là ? » CHAPITRE XV Annie n’aime pas l’aventure MICK et François attendirent. Aucune réponse ne leur parvint. Claude dormait-elle ? On lui avait peut-être donné, à elle aussi, un somnifère, comme à Dagobert. François était désespéré ; à la seule idée que Claude pût être maltraitée, il frissonnait d’horreur. Il essaya de nouveau de scruter l’intérieur de la roulotte, mais la vitre était si sale et il faisait si sombre, qu’il ne put rien distinguer. « Si nous frappions à la porte ? suggéra Mick. — Non, cela fera revenir Antonio, s’il est aux alentours ! Si Claude est à l’intérieur et réveillée, nos voix attireront son attention. » Ils contournèrent la voiture jusqu’à la porte ; il n’y avait pas de clef dans la serrure ; Antonio avait dû l’emporter avec lui. François monta les quelques marches et essaya de pousser le battant ; il résistait. François frappa doucement : toc, toc, toc… Aucune réponse ; c’était étrange ! Il essaya de nouveau de tourner la poignée qui lui avait d’abord paru très dure, et fut tout surpris : la porte s’ouvrit. « Mick, ce n’est pas fermé ! » s’écria-t-il, oubliant de parler à voix basse. Il entra dans la roulotte obscure, espérant trouver Claude ou Dagobert. Mick le suivit. Une odeur d’humidité régnait à l’intérieur. Il n’y avait personne. François grogna : « Nous avons fait tout ce chemin pour rien ! Ils ont emmené Claude ailleurs, et nous ne savons pas où ! » Mick sortit sa lampe électrique de sa poche. Claude avait peut-être laissé un message, une indication quelconque ? Non, on ne voyait rien, aucune trace. « Jo a dû inventer toute cette histoire ! » soupira Mick. Sa lampe éclaira la paroi de bois. Quelques mots y avaient été griffonnés au crayon. Mick regarda de plus près. « On dirait l’écriture de Claude ! s’écria-t-il. François, qu’est-ce que tu en penses ? » Les deux garçons se penchèrent sur l’inscription ; « Mesnil-le-Rouge », lut François. Plus loin, d’une écriture plus petite, les mêmes mots étaient répétés. « Qu’est-ce que cela veut dire ? demanda Mick. Et d’abord, est-ce bien l’écriture de notre cousine ? — Oui, je crois, répondit François. Mais pourquoi a-t-elle gribouillé cela ? Elle a peut-être entendu prononcer ces mots alors qu’on l’emmenait ailleurs, et elle les a notés à la hâte, pour le cas où nous arriverions jusqu’ici… C’est sûrement cela. Qu’en penses-tu ? — Je ne connais aucun pays dans les environs qui s’appelle Mesnil-le-Rouge, dit Mick. Je crois que nous ferions mieux de rentrer et d’aviser la police. » Déçus, les garçons revinrent vers Annie. Elle surgit de son buisson. « Claude n’est pas là, lui annonça Mick, mais elle a laissé un message sur la paroi de la roulotte. — Pour dire quoi ? — Pour dire où on l’avait emmenée, sans doute. Mesnil-le-Rouge, tu connais ? — Non… Vous êtes sûrs que c’est bien elle qui a écrit cela ? — Certains. J’ai bien reconnu son M et son g. Et maintenant, allons avertir les gendarmes. Nous avons déjà perdu beaucoup de temps. — Si nous mangions un peu ? proposa François. Cela nous remettrait d’aplomb. » Mais ils avaient tous la gorge serrée ; Annie se sentait trop fatiguée pour manger ; quant à Mick, il marchait très vite et semblait n’avoir aucune envie de défaire le paquet de sandwiches. Ils reprirent leur chemin entre les arbres. Le ciel s’était obscurci et, soudain, de grosses gouttes de pluie s’écrasèrent avec un bruit mat sur la terre sèche. Au loin, le tonnerre grondait. Annie s’accrocha au bras de François. « François, c’est dangereux d’être dans un bois lorsqu’il fait de l’orage, nous allons être foudroyés ! — Mais non, répondit son grand frère, ce qui est dangereux, c’est d’être sous un arbre isolé ; mais regarde, il y a une petite clairière ; nous allons y aller, si tu veux. » Lorsqu’ils arrivèrent dans la clairière, l’averse était si forte, qu’ils durent à nouveau s’abriter sous les branches. Ils attendirent que l’orage s’éloignât. Bientôt, la pluie cessa. « Je déteste ces bois ! dit Mick, sortant des buissons, partons ! » Et il prit à nouveau la tête de file. François l’appela. « Attends, Mick ! Es-tu sûr que ce soit le bon chemin ?» Mick s’arrêta, un peu inquiet. « Je pensais… tu ne crois pas ? — Il me semblait, répondit François, que nous devions tourner sur la droite, après la petite clairière. — Nous ne sommes pas dans la même clairière, affirma Annie. Dans l’autre, il y avait sur la droite un arbre abattu dans l’herbe. — Zut ! s’exclama François. Eh bien, essayons un autre chemin. » Ils se dirigèrent vers la gauche et se retrouvèrent bientôt dans la partie la plus touffue de la forêt. François était furieux contre lui-même ; quelle folie d’avoir quitté l’unique sentier qu’ils connaissaient, sans prendre le moindre point de repère ! Ils ne pouvaient même pas se diriger avec le soleil. Le garçon regarda son frère et celui-ci lut une angoisse dans ses yeux. « Que faire ? demanda Mick, nous n’allons pas rester là immobiles pendant des heures ! — Nous nous enfonçons de plus en plus profondément», murmura Annie effrayée. François la rassura. « Eh bien ! nous ressortirons donc de l’autre côté, dit-il. Ce n’est pas une forêt sans fin, tu sais ! » Il lui cachait la vérité ; en effet, il pensait : « Nous sommes probablement en train de tourner en rond comme font les hommes égarés dans le désert » ; il se reprochait à lui-même d’avoir quitté le sentier où l’on pouvait au moins suivre des traces de roues. Ils marchèrent environ pendant deux ou trois heures, puis Annie s’effondra. « Je ne peux pas aller plus loin, sanglota-t-elle, je voudrais me reposer ! » Mick regarda sa montre. Le temps passait terriblement vite, il était presque trois heures. Il s’assit à côté de sa sœur et lui dit gentiment : « Nous avons besoin d’un bon repas, nous n’avons rien mangé depuis huit heures du matin. » Annie prétendit qu’elle n’avait pas faim, mais lorsqu’elle vit le saucisson et le pain beurré, elle changea d’avis. Ils déjeunèrent tous les trois et se sentirent aussitôt mieux. « Il n’y a rien à boire, malheureusement, dit Mick, mais il y a des oranges. » Ils mangèrent tout ce qu’il y avait dans leur sac. François se demandait s’ils n’auraient pas dû garder quelques provisions. Dieu sait combien de temps ils allaient rester dans ce bois ! Maria serait sans doute inquiète et alerterait la police qui partirait à leur recherche. Mais dans combien de temps les retrouverait-on ? Après le repas, Annie s’endormit. Les garçons bavardaient doucement. « Cette histoire est épouvantable », dit Mick. Nous sommes partis pour trouver Claude et nous nous sommes perdus ! D’habitude, nous sommes plus débrouillards ! — Si nous ne trouvons pas d’issue avant la nuit, il faudra arranger un lit à l’abri d’un buisson. » Lorsqu’Annie se réveilla, ils repartirent d’un bon pas. Mais lorsque la nuit tomba, ils n’avaient toujours pas retrouvé leur chemin ; ils appelèrent en vain ; personne ne les entendait. Alors, ils décidèrent de s’installer pour dormir. Heureusement, il ne faisait pas froid. « Dormons tranquillement, dit Mick, nous nous sentirons beaucoup mieux demain matin. Reste bien contre moi, Annie, tu auras plus chaud. Voilà, parfait ! François se mettra de l’autre côté. Nous vivons une nouvelle aventure, tu vois ! — Je déteste les aventures », dit Annie d’une toute petite voix. Elle sombra bientôt dans le sommeil. CHAPITRE XVI Un visiteur dans la nuit FRANÇOIS et Mick tardèrent à s’endormir. Ils étaient tous deux très inquiets, pour Claude et pour eux-mêmes. Mick, le premier, céda au sommeil. François veillait sur Annie. Il n’avait pas très chaud et il craignait que sa sœur prît froid. Il entendait le murmure du vent dans les feuilles. Puis il perçut un léger bruit… Y avait-il un animal dans le fourré ? Soudain, il frissonna. Il avait été effleuré par le vol rapide d’un oiseau. Une chauve-souris ? Quelle horreur ! Puis, ce fut pire encore : il eut l’impression qu’un insecte marchait sur sa tête. Une araignée probablement ; elle avait le temps de tisser une toile autour de ses cheveux, car il ne bougeait pas dans la crainte de réveiller sa petite sœur ! Enfin, François ferma les yeux et quelques instants plus tard, il rêvait déjà. Tout à coup il se réveilla. Il avait entendu très distinctement le cri de la chouette. « Zut, pensa-t-il, je ne vais plus pouvoir me rendormir. » Il tourna légèrement la tête ; de nouveau l’oiseau cria. « Pourvu qu’Annie ne se réveille pas ! » Elle grognait un peu dans son rêve. Le pauvre François ne pourrait décidément pas se reposer. Il venait d’entendre un autre bruit ! On aurait dit qu’un animal rampait dans les taillis. Malgré lui, et bien qu’il fût un garçon courageux, il se sentit envahi par la peur. Il n’y avait heureusement pas de loups dans le pays. Etait-ce un sanglier ? Un blaireau ? Il écouta. Le bruit se rapprochait de plus en plus. Et soudain, il sentit une haleine chaude contre son oreille. Il s’écarta avec horreur. Il étendit la main, et ses doigts rencontrèrent une chevelure. En hâte, il chercha sa lampe électrique, mais, avant même qu’il ait pu l’atteindre, une main s’empara de sa main, et il eut la plus grande surprise de sa vie. Cet étrange animal parlait : « François, dit la voix, c’est moi ! » Les doigts tremblants, le garçon alluma enfin la lampe. Un petit visage encadré de cheveux hirsutes apparut dans l’ombre. « Jo ! s’exclama François, Jo ! Que fais-tu là ? Tu m’as fait peur ! Je pensais que c’était une horrible bête, avec une tête couverte de cheveux ! — C’est ma tête que tu touchais ! » murmura Jo, qui ne pouvait s’empêcher de rire. Annie et Mick se réveillèrent, se frottèrent les yeux tant ils étaient étonnés. Jo en pleine nuit dans la forêt ! « Cela vous surprend de me voir, n’est-ce pas ? demanda-t-elle. Manolo m’avait attrapée, mais il ignorait que vous me suiviez. Il m’a enfermée dans sa maison. Il jurait de tout dire à mon père ! — Et que t’est-il arrivé ? demanda Mick, le cœur plein de pitié. — Rien de grave, répondit la gitane, j’ai cassé la vitre de la fenêtre et je suis sortie ! Je déteste ce Manolo, je ne lui obéirai plus jamais. M’enfermer ! Il n’y a rien qui me fasse plus horreur que d’être prisonnière ! — Mais comment as-tu pu nous retrouver ? interrogea François, — Tout d’abord, je me suis rendue à la roulotte d’une tribu amie ; la vieille maman Dolorès m’a dit que vous lui aviez demandé votre chemin ; j’ai donc suivi le sentier jusqu’à la voiture de mon père. Mais là, je n’ai trouvé personne, pas même Claude. — Sais-tu où est Claude ? demanda Annie. — Non, je ne sais pas. Papa a dû l’emmener ailleurs. Il l’a sans doute forcée à monter Sultan, car le cheval n’était pas là non plus. — Et Dagobert ? » demanda Mick. Jo regardait au loin… «Je me demande ce qu’ils en ont fait… » dit-elle. Cette phrase fut suivie d’un long silence. Les enfants pensaient avec tristesse au sort du pauvre chien fidèle. « Mais comment es-tu arrivée jusqu’à nous en pleine nuit ? demanda François. — Ce n’était pas difficile, répondit la gitane, je peux suivre la trace de n’importe qui, grâce à mon flair. Mais, il faisait noir et puis il me semble que vous avez tourné en rond ! — C’est vrai, dit Mick. Tu as fait tous les détours que nous avions faits nous-mêmes ? — Oui ! avoua Jo. J’étais très fatiguée ! Pourquoi avez-vous quitté le chemin où l’on voyait les traces de roues ? » François lui expliqua. « Vous n’avez pas l’habitude, répondit la petite sauvage. Lorsqu’on marche dans un bois et que l’on sort du sentier, il faut laisser des marques dans l’écorce des arbres, çà et là, afin de retrouver le chemin du retour. — Nous étions perdus », soupira Annie. Elle prit la petite main de Jo et la serra bien fort entre les siennes. Elle était si contente de la voir ! Maintenant ils allaient pouvoir sortir de cette triste forêt. Jo était surprise et émue, mais elle retira tout de suite sa main. Elle n’aimait que Mick. Il était son héros, quelqu’un de « pas comme les autres ».Il avait été si bon avec elle et elle était si heureuse de le connaître ! « Nous avons trouvé des mots écrits sur la paroi intérieure de la roulotte, expliqua François. Le nom de l’endroit où Claude a été emmenée : Mesnil-le-Rouge, est-ce que cela te dit quelque chose ? — Il n’y a aucun endroit appelé Mesnil-le-Rouge ! répondit Jo. — Ne sois pas sotte, répliqua Mick. Tu ne peux pas connaître tous les villages de la région. Les gendarmes nous aideront. » Jo eut un mouvement d’effroi. « Vous m’aviez promis de ne rien dire aux gendarmes. — Oui, nous avions fait cette promesse, mais seulement si tu nous amenais vers Claude, contesta Mick, et tu ne l’as pas fait. Si tu nous avais conduits immédiatement jusqu’à la roulotte, sans perdre de temps, nous aurions retrouvé notre cousine ! Maintenant, nous n’avons qu’un recours : appeler la police. — Claude a écrit « Mesnil-le-Rouge » ? demanda Jo. Eh bien, je peux vous emmener jusqu’à Claude. — Comment ? Tu viens de nous dire qu’il n’y avait aucun endroit de ce nom ! dit François exaspéré. Je ne crois pas un mot de ce que tu racontes, Jo. Je pense même que tu travailles contre nous, que tu es l’alliée de ce bandit ! — Non, non ! cria Jo. Ce n’est pas vrai ! Je vous ai dit que Mesnil-le-Rouge n’était pas un endroit. Mesnil-le-Rouge, c’est un homme. » Cette phrase fut suivie d’un silence profond. Un homme ! Personne n’avait pensé à cette possibilité. La gitane sembla assez contente de son effet de surprise. « Il s’appelle Mesnil et il a les cheveux roux, dit-elle. Voilà toute l’explication. — Tu es en train d’inventer une nouvelle histoire ! s’exclama Mick. Tu nous en as déjà tellement raconté ! » Le visage de la gitane se renfrogna. « Je m’en vais, dit-elle. Débrouillez-vous tout seuls, vous êtes trop méchants. Vous ne me croyez jamais. » Elle s’enfuit, mais François eut vite fait de la rattraper. « Non, tu vas rester avec nous maintenant, gronda-t-il, même si je dois t’attacher toute la nuit. Tu vois, nous n’avons pas tout à fait confiance en toi, mais c’est ta faute. Allons, raconte-nous ce que tu sais de ce Mesnil-le-Rouge ; mène-nous à l’endroit où il habite, et nous te croirons désormais. — Mick me croira-t-il aussi ? demanda Jo, qui essayait d’échapper à la solide poigne de François. — Oui ! » répondit Mick. Il éprouvait de l’affection pour la petite gitane ; elle était curieuse, fascinante, agaçante, pourrie de défauts et, pourtant, il l’aimait bien ! Mais il lui dit : « Je ne t’aime pas beaucoup en ce moment. Si tu veux reconquérir mon amitié, il faudra nous aider un peu mieux que tu ne l’as fait jusqu’à présent ! — Bien ! » grogna Jo. Et elle s’allongea par terre. « Je suis fatiguée, je vais dormir. Demain matin, je vous conduirai vers Mesnil-le-Rouge, mais je vous préviens, cet homme est une brute. » Elle se tut, et ils essayèrent tous de dormir. Ils étaient plus heureux maintenant que Jo se trouvait avec eux et pouvait les aider à sortir du bois. François lui-même s’endormit. Jo s’éveilla la première et s’étira comme un jeune chat. Elle réveilla les autres ; ils se sentaient fatigués, sales et affamés. « J’ai faim et soif ! gémit Annie. — Nous allons retourner à la maison, prendre un bain et un bon petit déjeuner. Maria doit se faire du souci, dit François. Montre-nous le chemin, Jo. » Elle marcha devant eux. Quelques minutes plus tard, ils se retrouvèrent dans le sentier qu’ils avaient perdu la veille. « Dire que nous en étions si près, soupira Mick. Nous avons eu l’impression de faire des kilomètres dans cette forêt ! — Vous avez beaucoup marché, parce que vous tourniez en rond ! Suivez-moi, nous allons prendre mon raccourci jusqu’à la villa, c’est beaucoup plus rapide que l’autocar. » CHAPITRE XVII Dans le bateau de Claude MARIA était très heureuse de retrouver les enfants. Elle avait passé la nuit dans l’inquiétude. Si le téléphone avait fonctionné, elle aurait sûrement appelé la police. « Je n’ai pas dormi, déclara-t-elle. Si une telle aventure se reproduit, monsieur François, j’en mourrai ! Et vous n’avez retrouvé ni Claude, ni Dagobert ? S’ils ne reviennent pas, je vais moi-même chercher les gendarmes ! Aucune nouvelle non plus de votre oncle, et de votre tante J’espère qu’ils ne sont pas perdus et kidnappés eux aussi ! » La pauvre cuisinière était dans tous ses états. Dans son impatience, elle commençait plusieurs choses à la fois ; le pain grillé brûlait, le lait débordait… Les enfants se servirent eux-mêmes leur petit déjeuner… Ils étaient encore tout étonnés. La gitane les avait ramenés vers leur maison comme un chien berger ramène ses brebis. Elle connaissait tous les raccourcis, et ils n’avaient pas mis longtemps pour revenir de la forêt de Courcy. Maria les regardait tous d’un air apitoyé. « Vous êtes aussi sales que la petite gitane ! Vous pourriez être ses frères et sœurs ; je vais vous préparer un bain, mes pauvres chéris ! » Jo mordait dans son pain beurré. Elle se moquait des remarques de Maria. « Et maintenant je ne pourrai plus faire la cuisine aujourd’hui, monsieur François, je n’ai plus aucune provision dans la maison ! Comment s’organiser au milieu de tous ces troubles ! Vous vous nourrirez de pain et de confitures ! » Après le petit déjeuner, les quatre enfants prirent un bain bien chaud. Jo ne voulait pas. Mais Maria courut derrière elle en brandissant la tapette à battre les tapis. « Si tu ne prends pas ton bain, je vais te battre avec ça jusqu’à ce que toute ta crasse s’en aille ! » La gitane obéit enfin. Lorsqu’elle fut dans la baignoire, elle s’y trouva très bien. Les enfants eurent un entretien sérieux aussitôt après. « Que sais-tu de cet homme que tu appelles Mesnil-le-Rouge ? demanda François à Jo. — Pas grand-chose. Il est riche, il a une drôle de façon de parler et je crois qu’il est fou. Il emploie des hommes comme mon père ou Manolo pour faire son sale travail à sa place ! — Quel sale travail ? interrogea Mick. — Oh ! voler, cambrioler, des tas de choses… Je ne sais pas exactement. Papa ne me dit rien. Je ne pose pas de questions, j’écoute. Je ne tiens pas à être battue davantage… — Où habite-t-il ? demanda Annie, loin d’ici ? — Il a une maison sur la falaise, expliqua la gitane, je ne connais pas le chemin en passant par les terres, mais je sais y aller en bateau ; c’est un endroit curieux, presque un petit château avec des gros murs de pierre. — Y es-tu allée ? demanda Mick. — Oh oui ! répondit Jo, deux fois. Mon père devait aller chercher un grand coffre ; j’étais allée avec lui. — Pourquoi ? demanda François, il avait vraiment besoin de toi ? — Je m’occupais du bateau. Je vous ai dit que la maison de cet homme se trouve sur la falaise. Nous y sommes allés avec une barque. Il y a là une sorte de grotte. C’est là que nous avions abordé. Mesnil-le-Rouge nous attendait. Il était descendu de sa maison jusqu’à la grotte, je n’ai jamais su comment. » Mick regarda Jo. « Tu vas sans doute nous dire qu’il existe un passage secret qui va de la grotte jusqu’à la maison ? — Peut-être », répondit Jo. Elle se rapprocha de Mick. « Tu ne me crois pas ? Alors débrouille-toi tout seul ! — Ne te fâche pas, répliqua François, mais ton histoire ressemble à un roman ! Es-tu sûre que tout cela soit bien vrai, Jo ? Nous ne voulons pas nous égarer encore une fois ! — Je suis prête à vous accompagner, répondit sèchement la petite, mais il nous faut un bateau… — Nous prendrons celui de Claude, décida Mick. En avant Jo ! Cette fois nous laissons la petite Annie à la maison. — Je veux venir ! supplia Annie. — Non, toi tu restes avec moi, décréta Maria, je n’ai pas envie d’être seule aujourd’hui, tu m’aideras et tu me tiendras compagnie. » Au fond, Annie n’était pas fâchée de rester tranquillement à la maison. Elle regarda partir les autres. Jo se cacha entre les haies. Elle redoutait la présence de Manolo et ne voulait pas être vue. François et Mick descendirent les premiers vers la plage, afin de s’assurer que le gitan n’y était pas. Puis ils allèrent prévenir Jo qui rampa de cachette en cachette, jusqu’au bateau de Claude dans lequel elle sauta. Mick en fît autant et François poussa l’embarcation en profitant d’une grosse vague, puis il embarqua à son tour. « Est-ce loin ? demanda-t-il à Jo qui était assise au fond de la barque. — Je n’en sais rien, répondit la gitane. Deux heures, trois heures peut-être… » Elle n’avait nullement conscience du temps. Elle ne possédait pas de montre et ignorait l’heure. Le temps pour elle, c’était seulement le jour et la nuit, rien d’autre. Mick hissa une petite voile. Le vent leur était favorable. « As-tu apporté le déjeuner que Maria nous a préparé ? demanda François à Mick, je ne le vois nulle part. — Jo, tu es installée dessus ! » s’écria Mick. En effet, elle était tombée assise au fond de la barque et n’avait plus bougé. Elle prit la barre, et les garçons virent tout de suite qu’elle savait piloter un bateau. François déplia une carte. « Je me demande où se trouve la maison du nommé Mesnil-le-Rouge, dit-il. La côte est désolée jusqu’à Port-sur-Mer. S’il a un repaire sur l’une des falaises, ce doit être dans un site vraiment sauvage et solitaire. Je ne vois pas un seul village de pêcheurs. » Le petit voilier avançait à bonne allure. François prit la barre à son tour et interrogea Jo. « Nous avons parcouru déjà pas mal de chemin, dit-il, où est cet endroit ? Es-tu sûre de bien le reconnaître ? — Naturellement, répliqua la gitane. Je pense que c’est là-bas derrière cette grande falaise. » Elle avait raison. Lorsqu’ils contournèrent le promontoire, Jo leur montra du doigt un bâtiment. « Vous voyez ? Là-haut se trouve la maison de Mesnil-le-Rouge. » Les garçons regardèrent Ils virent une demeure de pierre grise qui ressemblait à un petit château. Il surplombait la mer et présentait une tour, face à l’océan. « La grotte ne doit pas être loin, avertit Jo. Ouvrez bien vos yeux ! » Le voilier la dépassa ; les enfants ne la virent qu’en la doublant. « C’est là ! » cria Jo. Ils baissèrent la voile, et revinrent en arrière en ramant silencieusement. Tout était calme à cet endroit. « Peut-on nous voir de la maison ? demanda Mick. — Je ne sais pas, répondit Jo, je ne pense pas, mais il vaut mieux aborder et cacher le bateau dans les rochers, nous ne savons pas si quelqu’un descendra ou non dans la grotte aujourd’hui. » Ils amarrèrent le bateau derrière un rocher, à l’entrée de la grotte, puis Mick recouvrit le pont d’énormes paquets de varech, afin de le camoufler. « Et maintenant, que faisons-nous ? demanda François. — Nous allons grimper par là », expliqua Jo et, s’agrippant des mains et des pieds, elle commença à escalader la falaise. Les enfants étaient bons grimpeurs eux aussi, pourtant à mi-chemin ils semblèrent découragés. Jo se retourna. « Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle. Mon père grimpe aisément, vous devriez donc y arriver ! — Ton père était acrobate ! répondit François qui avait glissé et redescendait un peu trop vite à son goût. — Ah ! je n’aime pas ça ! Si au moins j’avais une corde ! soupira-t-il. — Il y en a une dans le bateau, je vais la chercher ! » s’exclama la gitane. Aussitôt dit, aussitôt fait, quelques instants plus tard, elle remontait à toute vitesse avec la corde. Lorsqu’elle fut beaucoup plus haut que les garçons, elle enroula l’extrémité du filin autour d’un rocher et ils purent s’accrocher pour poursuivre leur ascension. C’était beaucoup plus facile ainsi. Lorsqu’ils arrivèrent à l’endroit où se trouvait Jo, ils découvrirent une seconde grotte dans le rocher. Celle-ci était voûtée et très sombre. « Par ici », dit Jo et elle leur montra le chemin. Mick et François la suivirent un peu inquiets. Où allaient-ils maintenant ? CHAPITRE XVIII Les événements se précipitent « JO LES conduisit à travers un tunnel rocheux. Son instinct la guidait. Ils se trouvaient maintenant dans une nouvelle grotte encore plus grande que la précédente, dont les murs ruisselaient d’humidité. François était très content d’avoir apporté sa lampe électrique. Il faisait froid et il frissonnait. Soudain, il sursauta ; quelque chose l’avait frappé à la figure. « Ce n’est rien, dit Jo en riant, c’est une chauve-souris, il y en a des centaines ici ! Rien qu’à l’odeur je le devine, venez ! » Puis ils débouchèrent dans une autre grotte, plus petite cette fois. « Je n’ai jamais été plus loin qu’ici, expliqua Jo. Une fois nous avions amarré le bateau ; mon père et moi attendions Mesnil-le-Rouge. Lorsqu’il est apparu, je n’ai jamais su par où il était entré. — Il existe sûrement un passage. Nous allons le trouver ! » et Mick alluma sa lanterne. François et Mick commencèrent à explorer la grotte, cherchant une faille, un tunnel, une ouverture. Jo attendait dans un coin, elle n’avait pas de lampe. Soudain les enfants eurent une émotion terrible. Une voix tonna dans la caverne. C’était une voix basse et pleine de colère qui fit battre leur cœur à coups violents : « Ainsi, vous avez osé venir ici ! » Jo se cacha dans une anfractuosité du rocher, comme un petit animal. Les garçons demeurèrent cloués sur place. D’où venait le son ? « Qui êtes-vous ? gronda la voix. — Et vous, qui êtes-vous ? cria François courageux, sortez et montrez-vous ! Nous sommes venus pour voir un homme appelé Mesnil-le-Rouge, conduisez-nous jusqu’à lui ! » Il y eut un long moment de silence, comme si l’inconnu était parti, puis de nouveau la voix tonna : « Pourquoi voulez-vous voir le Rouge ? Qui vous envoie ? — Personne, nous sommes venus exiger la liberté de notre cousine et de son chien ! » hurla François. Il y eut un autre silence, puis deux jambes apparurent dans un trou du plafond, et quelqu’un sauta légèrement à côté d’eux. Les garçons sursautèrent, ils n’avaient pas réalisé que la voix venait d’en haut. François prit l’inconnu dans le faisceau de sa lampe. C’était un géant aux cheveux couleur de flamme ; ses sourcils étaient roux, comme ses cils, et il portait une barbe fauve, qui cachait en partie sa bouche cruelle. François regarda les yeux de l’homme et pensa aussitôt : « Il est fou ! Qui est-ce ? Un savant, jaloux du travail et de la réussite de l’oncle Henri, ou un voleur, travaillant pour un gang, essayant d’obtenir des documents importants pour les vendre ? De toute façon, il a un regard de fou ! » Mesnil-le-Rouge observait les deux garçons… « Ainsi, vous croyez que je retiens ici votre cousine ? demanda-t-il. Qui vous a raconté une histoire aussi stupide ? » François ne répondit pas. Mesnil-le-Rouge avança vers lui. « Qui vous a dit cela ? — Je vous l’expliquerai lorsque les gendarmes viendront », répondit froidement François. L’homme recula. « Les gendarmes ? Que savent-ils ? Pourquoi viendraient-ils ici ? Répondez-moi ! — La police sait sans doute beaucoup de choses à votre sujet, monsieur, répliqua François. Qui a envoyé des hommes pour voler les documents de mon oncle ? Qui nous a adressé un message pour obtenir un important carnet de notes secrètes ? Qui a kidnappé ma cousine et l’a gardée en otage ? Qui l’a conduite jusqu’ici dans la vieille roulotte d’Antonio ? Qui ? — Ah ! ah ! ah ! » s’exclama l’inconnu ; il y avait de l’effroi dans sa voix. « Que de mensonges ! Les gendarmes ont-ils entendu ce récit fantastique ? — Qu’en pensez-vous ? » demanda François qui souhaitait de tout son cœur que la police soit avertie à temps, tandis qu’il bravait courageusement ce fou. Et soudain celui-ci, levant la tête vers la trappe, appela : « Markhoff ! descends ! » Deux jambes apparurent et un homme se laissa glisser près des garçons. « Descends la falaise, tu trouveras, à l’entrée de la grotte probablement, le bateau dans lequel nous avons vu ces garçons arriver, dit le géant roux. Fais-le couler, détruis-le, rends-le inutilisable, puis reviens ici, conduis les enfants dans la cour, ligote-les. Nous partirons au plus vite avec la gosse. » Markhoff regarda Mesnil-le-Rouge d’un air surpris. « Comment partirons-nous ? reprit-il. Tu sais bien que l’hélicoptère n’est pas en état de marche ! — Répare-le, rugit le bandit, nous partons ! Ce soir la police sera là, tu entends ? Ce garçon sait tout et il a prévenu les gendarmes. Il faut filer ! — Que ferons-nous du chien ? demanda Markhoff. — Tue-le ! ordonna Mesnil-le-Rouge, tue-le avant que nous partions. C’est une brute ! Nous aurions déjà dû lui envoyer quelques balles dans la peau ! Obéis ! » L’homme disparut. François serrait les poings. Quelle tristesse de penser que le bateau de Claude allait sombrer ! Mesnil-le-Rouge attendait, ses yeux cruels brillaient. « Je vous aurais emmenés avec nous s’il y avait eu de la place, dit-il à François, et je vous aurais jetés à la mer ! Vous pouvez dire à votre oncle qu’il entendra parler de moi ! S’il veut retrouver sa fille, qu’il m’envoie les documents, je l’exige ! Merci beaucoup de m’avoir averti de l’arrivée de la police ! Je partirai à temps ! » Il faisait les cent pas dans la grotte, en parlant entre ses dents. Mick et François se regardaient en silence. Ils étaient anxieux pour Claude ; l’homme allait-il vraiment l’emmener dans son hélicoptère ? Il semblait fou ! Il devait être capable de tout ! Enfin, Markhoff revint. « Le bateau a coulé ! dit-il. — Parfait, répondit Mesnil-le-Rouge. Je passe le premier, ensuite les garçons, ensuite toi ! Surveille-les bien » Mesnil se hissa dans l’ouverture, le plafond était d’ailleurs très bas. François et Mick suivirent, ils n’avaient vraiment aucun moyen de résister ! Markhoff grimpa derrière eux. Quant à Jo, elle était demeurée si bien cachée dans l’anfractuosité du rocher, que personne ne l’avait vue. Que faire ? François se demandait s’il devait en parler à Mesnil. Il lui semblait terrible de laisser la petite fille seule ; elle ne pourrait pas s’enfuir, puisque le bateau était perdu ; mais elle était si débrouillarde qu’elle s’en tirerait peut-être. Le géant roux leur montra le chemin à travers une autre grotte, si basse de plafond qu’il fallait marcher courbé en deux. Markhoff éclairait le chemin avec une lampe puissante. Le passage secret, d’accès peu facile conduisait à la demeure, sur la falaise. Une rampe avait été installée le long du mur, car le chemin souterrain montait assez dur. Un escalier taillé dans le roc, aux marches très hautes, conduisait jusqu’à une porte qui se dressait maintenant devant les enfants. L’homme roux l’ouvrit. François fut aveuglé par la lumière du jour. Ils se trouvaient dans une grande cour pavée de larges pierres ; entre les dalles, l’herbe poussait. Au milieu, ils virent un hélicoptère ; cela faisait un effet curieux, dans cette cour ancienne. Des bâtiments couverts de lierre épais bordaient la cour sur trois de ses côtés. Sur le quatrième s’élevait un mur assez haut, percé en son milieu d’une ouverture fermée par une forte grille. François distingua les énormes verrous dont elle était pourvue. « On dirait une citadelle », pensa-t-il. Et soudain il fut entraîné vers une cabane édifiée dans un angle de la cour. On le poussa à l’intérieur. On attacha durement ses poignets dans son dos ; la corde fut nouée autour d’un anneau de fer. François était prisonnier ! Il pouvait voir maintenant Markhoff attacher le pauvre Mick. L’aîné des garçons cherchait désespérément un moyen d’échapper à ce cauchemar. Par la fenêtre de la cabane, il regarda la tour qui dominait la demeure. Dans l’encadrement d’une fenêtre, il distingua un petit visage pâli. Le cœur de François battit très fort. Etait-ce la pauvre Claude ? Pourvu qu’elle ne les ait pas vus ! Ne serait-elle pas affreusement découragée si elle apprenait que Mick et lui étaient faits prisonniers ? Mais où se trouvait Dagobert ? De l’autre côté de la cour, il y avait une petite maison basse. François distingua un animal couché là ; était-ce Dagobert ? Pourquoi n’aboyait-il pas en les voyant ? « Est-ce le chien de ma cousine ? demanda-t-il à Markhoff. — Oui, répondit celui-ci. On lui a donné des somnifères, car il aboyait trop. C’est une sale bête, heureusement qu’on va le tuer ! » Mesnil-le-Rouge avait traversé la cour et avait franchi une porte voûtée. Markhoff le suivit. François et Mick furent abandonnés à eux-mêmes. « Nous n’avons pas beaucoup de chance de réussir ! dit François. Ils vont s’en aller et emmener Claude ! » Mick ne répondit rien, il se sentait misérable, ses poignets attachés lui faisaient très mal. Les deux garçons, compagnons de misère, se demandaient ce qui allait leur arriver. « Pstt ! — Qu’est-ce que c’est ? » François se retourna dans la direction de la porte d’accès du souterrain. Jo était là, dans l’ombre. « Pstt ! Attendez, je vais venir vous détacher ! » CHAPITRE XIX Escalade acrobatique « JO ! s’écrièrent les garçons. Viens ! » Il n’y avait personne dans la cour. Jo se glissa jusqu’à la cabane et y pénétra. « J’ai un couteau dans ma poche, dit François, Sors-le, ce sera plus facile de couper ces cordes que de défaire les nœuds. Je n’ai jamais été aussi content de retrouver quelqu’un ! » Jo se hâtait. Elle s’empara du couteau et l’ouvrit. C’était un magnifique canif de scout à la lame acérée. « Je suis restée un peu en arrière, expliqua-t-elle rapidement, puis j’ai suivi le même chemin que vous, mais c’était très sombre. Je n’aime pas ça ! J’étais bien contente lorsque je vous ai vus. — Heureusement que les hommes ne t’ont pas aperçue ! dit Mick. Comme je suis content que tu sois là, ma petite Jo ! Je te demande pardon pour tout ce que je t’ai dit de désagréable ! » Jo était ravie. Elle coupa les dernières cordes qui liaient François. Bientôt les deux garçons furent libres. « Où est Claude ? demanda-t-elle. — Dans cette tour, répondit François. Tu peux regarder et la voir par la fenêtre ; nous avons aussi aperçu ce pauvre Dago, abruti de sommeil. — Je ne le laisserai pas tuer, dit Jo, c’est un gentil chien, je vais y aller et l’emporter dans une grotte. — Pas maintenant ! s’écria François horrifié, si les hommes te voient, nous serons de nouveau capturés ! » Mais Jo courait déjà vers la petite maison d’été où se trouvait le chien. Une porte qui claquait fit sursauter les enfants, Jo se cacha. Mesnil-le-Rouge traversait la cour. « Vite, il arrive ! dit Mick en proie à la panique. Replaçons-nous devant les anneaux de fer, cachons nos mains derrière nous, faisons semblant d’être toujours attachés ! » L’homme s’approcha de la cabane et rit. « Vous pouvez rester ici jusqu’à ce que les gendarmes viennent », dit-il ; il ferma la petite porte à clef, marcha vers l’hélicoptère, l’examina consciencieusement. Puis, il rentra dans la maison. Lorsque tout redevint calme, Jo courut de la maison d’été à la cabane. Elle en tira les verrous. « Sortez ! dit-elle, et nous refermerons à clef, personne ne saura que vous n’êtes plus là ! Vite ! » Ils sortirent en espérant que personne ne regardait de leur côté. Jo ferma la porte derrière eux, et ils coururent vers l’entrée du souterrain, dont ils descendirent les premières marches. « Merci, Jo », dit Mick. Ils s’assirent sur une marche. La tête dans ses mains, François essayait de réfléchir. Que faire ? La police ne viendrait pas. Il avait bluffé. Personne ne savait rien de « Mesnil-le-Rouge », ni de Claude. La malheureuse petite emportée dans l’hélicoptère ne pourrait appeler au secours et Dagobert serait tué. « Il n’y a aucun moyen de faire sortir Claude de la tour », pensa-t-il. « Les portes sont sûrement verrouillées, dit-il tout haut. Sinon Claude serait venue tout au moins dans la cour. Comment faire pour la délivrer ? » La gitane regarda Mick. « Vous voulez vraiment délivrer Claude ? demanda-t-elle. — Quelle question stupide ! répondit Mick. Bien sûr ! — Bon, j’y vais tout de suite ! » et elle se leva. « Nous ne plaisantons pas, Jo, dit François ! tout cela est très grave. — Je suis sérieuse aussi, répondit Jo. Je la ferai sortir, je vous le dis, vous savez bien que vous pouvez me croire, maintenant. Vous aviez l’impression que je ne valais pas grand-chose, mais je peux vous aider. — Comment ? » demanda François étonné et sceptique. La petite fille expliqua : « Cette tour est grande. Il y a sûrement plus d’une pièce. Si je peux me glisser jusqu’à la chambre voisine de celle de Claude, je pourrai la libérer. — Et comment arriveras-tu jusqu’à la chambre voisine de la sienne ? demanda Mick. — En grimpant le long du mur, bien sûr ! Ce n’est pas difficile, je m’accrocherai au lierre. Je fais cela souvent ! » Les garçons la regardèrent. Ils se souvenaient de l’effroi d’Annie le premier soir, lorsqu’elle avait vu un visage derrière la fenêtre de la villa des Mouettes. Ils comprenaient tout. C’était donc la gitane ! « Cette tour est trop haute, affirma François. Je ne te laisserai pas faire ! Si tu tombais, tu te tuerais ! » La gitane éclata de rire. « Tomber d’un mur comme celui-là ? J’ai souvent grimpé quand il n’y avait même pas de lierre, en m’accrochant aux arêtes de la pierre, aujourd’hui ce ne sera vraiment pas difficile. » François n’arrivait pas à la croire, mais Mick songeait au père de Jo, un acrobate ; la petite fille avait probablement hérité de ses dons. « Je voudrais que vous me voyiez danser sur une corde, dit Jo, et sans filet ! C’est un jeu d’enfant… Bon, j’y vais. » Elle grimpa les escaliers silencieusement, comme un petit chat et attendit à la porte que tout soit calme, elle traversa la cour et puis arriva au pied du mur couvert de lierre. François et Mick, réfugiés sous le porche d’entrée du souterrain, la regardaient. « Elle risque de se tuer, dit François. — Je n’ai jamais vu une gosse pareille ! Regarde ! Elle grimpe comme un singe ! » répondit Mick. En effet, elle montait, légère et rapide. Elle se tenait vigoureusement par les mains et posait son pied, d’abord légèrement pour s’assurer de la solidité des branches avant de monter de plus en plus haut. Soudain, une branche cassa, et Jo glissa un peu ; les deux garçons avaient la gorge serrée en la voyant faire. Mais la petite acrobate continuait sa difficile ascension. Elle avait dépassé le premier étage, puis le second, puis le troisième. Maintenant, elle était presque au sommet, elle paraissait minuscule. « Je ne peux pas m’empêcher de la regarder, dit Mick, c’est épouvantable ! » Il frémissait. « Si elle tombe maintenant, que ferons-nous ? — Tais-toi, murmura François, elle ne tombera pas, c’est un vrai chat ! Regarde ! Elle pousse la fenêtre, elle entre… » La gitane était maintenant assise, triomphante, sur le rebord de la fenêtre. Elle avait atteint la chambre voisine de celle de Claude, elle faisait de grands gestes de bras imprudents, pour montrer sa joie aux garçons ! La fenêtre était entrouverte, et comme Jo ne réussissait pas à la pousser, elle se glissa dans la mince fente, entre les deux battants, et disparut à la vue des enfants. Mick sentait ses genoux trembler. Son frère l’entraîna vers l’escalier du souterrain où ils étaient plus en sécurité. « C’était pire qu’au cirque ! dit enfin Mick, je ne pourrai plus jamais regarder d’acrobates ! Que fait-elle maintenant ? Peux-tu l’imaginer ? » Jo s’était fait une bosse en sautant à l’intérieur de la pièce. Maintenant son cœur battait très fort. Elle se cacha un moment derrière un fauteuil dans la crainte que quelqu’un l’ait entendue entrer. Mais personne ne semblait habiter cet étage. La pièce était garnie de meubles anciens. Il y avait de la poussière partout et des toiles d’araignées pendaient au plafond. Jo traversa doucement la chambre. Comme elle était pieds nus, elle ne faisait aucun bruit. Elle découvrit un escalier qui descendait en spirale. De chaque côté se trouvait une porte. Il devait y avoir quatre pièces dans la tour, une à chaque angle. Chacune avait deux fenêtres. « La porte voisine, pensa Jo, doit être celle de la prison de Claude. » Jo tira le verrou. Cela fit un peu de bruit et elle se cacha de nouveau, mais personne ne vint. Alors, elle se hasarda à tourner l’énorme clef dans la serrure. La porte s’ouvrit, la fillette passa sa tête prudemment. Claude était là, une Claude amaigrie et triste, assise près de la fenêtre. Elle regardait Jo sans pouvoir en croire ses yeux. « Pstt ! dit Jo qui s’amusait beaucoup de tout cela. Je suis venue te chercher ! » CHAPITRE XX La terrible aventure continue CLAUDE regarda Jo comme si elle voyait apparaître un fantôme. « Jo, murmura-t-elle, est-ce bien toi ? — Oui, tu ne rêves pas. » Et traversant la chambre, la gitane malicieuse alla pincer Claude. « Tu vois que tu ne rêves pas ! Tu as senti ? Viens maintenant. Il faut nous dépêcher avant que Mesnil-le-Rouge arrive, je n’ai pas envie de me faire prendre. » Claude se leva comme une somnambule. Elle traversa la pièce, franchit la porte. Les deux fillettes se tenaient sur la plus haute marche de l’escalier. « Je pense qu’il faut s’échapper par là ? » demanda Jo. Elle écouta, descendit quelques marches, mais avant d’avoir pu aller plus loin, elle s’arrêta affolée ; quelqu’un venait. Bouleversée, elle remonta et poussa Claude dans la première pièce. « On vient, murmura-t-elle, nous sommes perdues ! Si c’est l’homme aux cheveux rouges, qu’allons-nous faire ? — Il vient trois ou quatre fois par jour ; il essaie de me faire parler de mon père et de ses travaux ! » Les pas se rapprochaient et résonnaient sourdement… Les fillettes entendaient maintenant quelqu’un respirer fort. Jo eut une idée. Elle dit tout bas à l’oreille de Claude : « Ecoute, nous nous ressemblons beaucoup. Je vais me laisser enfermer dans cette pièce et tu pourras t’enfuir et retrouver Mick et François. Mesnil-le-Rouge ne saura jamais que je ne suis pas toi ; tu vois bien, Maria m’a donné ces vêtements, nous sommes habillées de la même façon. — Non ! protesta Claude, je ne veux pas que tu sois prise ! — Obéis-moi ! Ne t’inquiète pas pour moi : j’ouvrirai la fenêtre et je descendrai le long du lierre, tout simplement, dès que l’homme sera parti ; c’est notre seule chance, sinon ils vont t’emmener dans leur hélicoptère, ce soir. » Les pas étaient maintenant tout proches. Jo poussa Claude derrière un rideau et murmura : « De toute façon, je ne fais pas ça pour toi, je le fais pour Mick ! Reste ici et laisse-moi agir ! » Lorsque l’homme s’aperçut que la porte de Claude était ouverte, il poussa un juron. Il entra et ne trouvant personne, il ressortit aussitôt ; il appela : « Markhoff ! La porte est ouverte et la petite est partie ! Qui a ouvert la porte ? » Markhoff apparut, essoufflé. Il avait monté les escaliers quatre à quatre. « Personne ! La petite ne peut pas être loin ! Je n’ai pas quitté la chambre de dessous ; si elle était descendue, je l’aurais vue ! — Qui a ouvert la porte ? rugit Mesnil-le-Rouge hors de lui. Il faut que, nous rattrapions cette gosse ! — Elle doit être dans l’une des autres chambres ! » répondit Markhoff que la colère de son maître ne semblait pas impressionner. Il marcha vers la pièce où Jo et Claude se cachaient en tremblant. La première chose qu’il vit, ce fut la chevelure noire de la gitane dépassant un peu de la chaise derrière laquelle elle s’était tapie. Il l’attrapa aussitôt et s’écria : « La voilà ! » Il ne remarqua pas que ce n’était pas Claude, mais Jo. Il faut dire que les deux fillettes, avec leurs cheveux courts et leurs vêtements semblables, pouvaient aisément passer l’une pour l’autre. Jo se plaignit et se débattit, tout en cachant son visage dans ses mains… Pendant ce temps, Claude, cachée derrière les rideaux, ne pouvait s’empêcher de frémir. Elle aurait voulu voler au secours de la gitane, mais il ne fallait pas. Elle pensait avec tendresse à son pauvre chien qu’elle allait peut-être enfin retrouver ; elle avait été si triste que les bandits le lui arrachent. La gitane fut entraînée dans l’autre pièce. Elle hurlait toujours et se défendait, mais on l’enferma à clef. Les deux hommes se disputaient à présent. « C’est toi qui as laissé la porte ouverte ! Tu es descendu le dernier ! — Je t’ai déjà dit que j’avais verrouillé la porte et que je me trouvais à l’étage en dessous ! D’ailleurs, tu es tellement distrait, c’est probablement toi qui as commis cette bêtise ! — Eh bien, nous verrons qui a raison ! gronda Mesnil-le-Rouge. Pour le moment, fais ton travail ! As-tu tué ce chien ? Non ? Pas encore ? Dépêche-toi de le faire avant qu’il ne s’échappe à son tour ! » Le cœur de Claude se serra. Ils allaient tuer Dagobert ! Oh non ! Elle ne le supporterait pas ! Pauvre Dagobert qu’elle aimait tant ! Mais que faire ? Elle entendit Mesnil-le-Rouge et Markhoff descendre les escaliers, le bruit de leurs pas décrut. Alors elle se décida à descendre à son tour. Ils étaient maintenant dans la grande salle et se disputaient toujours. Claude risquait d’être vue en passant devant le seuil. Heureusement, elle découvrit un autre escalier qui descendait tout droit ; il était si raide qu’elle faillit tomber. Elle ne rencontra personne. Quelle étrange demeure ! Enfin, elle arriva dans une pièce immense, très sombre et très humide. Elle courut vers la grande porte ; après maints efforts elle parvint à l’ouvrir. Elle demeura un instant aveuglée par la lumière du soleil. Elle savait bien où se trouvait Dagobert, car elle l’avait quelquefois vu par sa fenêtre. Elle n’ignorait pas qu’on l’avait drogué pour l’empêcher d’aboyer. Mesnil-le-Rouge le lui avait raconté. Il éprouvait un méchant plaisir à lui faire de la peine. Pauvre Claude ! Elle traversa la cour et entra dans la maison d’été. Dagobert était là ; il semblait endormi. Claude s’agenouilla près de lui, noua ses bras autour de son cou. « Dagobert, oh ! Dagobert ! » gémit-elle. Elle le voyait à peine à travers une buée de larmes. Dagobert très loin, perdu dans le sommeil, entendit cette voix qu’il aimait tant ! Il frémit, ouvrit les yeux et aperçut sa maîtresse. La drogue qu’on lui avait administrée était si forte que le pauvre chien ne pouvait se dresser sur ses pattes ; il lécha le visage de son amie puis referma les yeux. Claude était désespérée. Elle avait tellement peur que Markhoff vienne et le tue ! « Dagobert ! dit-elle, en parlant tout contre l’oreille du chien. Réveille-toi, Dagobert ! Dago ! » Dago ouvrit enfin les yeux ; sa maîtresse était encore là. Ce n’était donc pas un rêve ! Le pauvre animal était incapable de comprendre ce qui lui était arrivé durant ces derniers jours. Il fit un effort, ses pattes tremblaient, enfin il se dressa. « Très bien, mon petit chien ! murmura Claude. Maintenant, viens vite avec moi. » Mais Dagobert ne pouvait pas marcher. Découragée, Claude regarda dans la cour, effrayée à l’idée que Markhoff allait arriver. Mais ce n’est pas le bandit qu’elle découvrit : François, debout sur le seuil de la grande porte voûtée, la regardait. Elle se faisait tellement de souci pour le chien qu’elle ne s’étonna même pas de voir son cousin là. « François ! appela-t-elle, viens au secours de Dago, ils vont le tuer ! » François accourut, suivi de Mick. « Qu’est-il arrivé, Jo ? As-tu trouvé Claude ? — Voyons, François ! C’est moi Claude ! » François ne l’avait pas reconnue… « Où pouvons-nous cacher le chien ? — Dans le souterrain, répondit Mick, c’est le seul endroit possible. Viens ! » Ils arrivèrent à tirer le pauvre Dagobert, engourdi et lourd, à travers la cour jusqu’à l’arche de pierre ; ils ouvrirent la porte et le poussèrent à l’intérieur. Le malheureux chien dégringola les marches plutôt qu’il ne les descendit et s’écroula en bas de l’escalier en gémissant. Claude fut affolée. « Il a dû se blesser ! » Mais au grand étonnement des trois enfants, le choc semblait, au contraire, avoir réveillé l’animal ; il se secouait, regardait tout autour de lui, enfin il vint manifester sa joie à sa maîtresse. Celle-ci le caressait, le consolait ; les deux garçons étaient très émus eux aussi. Dans sa tête de chien, Dagobert pensait que tout irait mieux s’il ne se sentait pas si lourd et si fatigué, il n’aspirait qu’à une seule chose : s’étendre et dormir. « Descendons-le vite dans les grottes ! dit Mick. Ces bandits le chercheront sûrement, lorsqu’ils s’apercevront qu’il s’est enfui et que nous ne sommes plus dans la cabane. » Comme ils l’avaient vu faire aux deux hommes, les enfants passèrent par la trappe. Maintenant, réunis autour du chien, ils tenaient un conciliabule. Les garçons avaient éteint leur lampe, et Claude en était plutôt contente, car après toutes ces émotions elle pleurait en silence et ne voulait pas qu’on la vît. Enfin, elle raconta à ses cousins, à voix basse, les exploits de la gitane. « C’est elle qui a voulu que je me cache et qui s’est fait enfermer à ma place. Elle est merveilleuse ! C’est la fille la plus courageuse que j’aie jamais connue ! Avoir fait tout cela pour moi qui lui étais tellement antipathique ! — C’est une drôle de gamine ! répondit Mick. Elle a très bon cœur. » Ils parlaient vite, échangeant les nouvelles qu’ils connaissaient. Claude leur raconta comment elle avait été enlevée et conduite dans la roulotte en pleine forêt. « C’est là que nous avons vu ton message « Mesnil-le-Rouge », expliqua Mick, et c’est pourquoi nous sommes arrivés jusqu’ici. — Ecoutez, dit François gravement, il faut vite établir un plan, les bandits vont nous chercher, c’est certain ! Qu’allons-nous faire ? » CHAPITRE XXI Nouvelles surprises FRANÇOIS avait l’impression d’entendre du bruit ; les autres écoutèrent attentivement… Le cœur de Claude battait très fort. « C’est peut-être la rumeur de la mer dans les grottes, dit enfin François. D’habitude, nous n’avons pas besoin de tendre l’oreille, Dagobert nous avertit toujours, mais cette fois-ci, il a été tellement drogué, le pauvre ! Je suis sûr qu’il n’entend rien du tout. — Est-ce qu’il retrouvera toutes ses forces ? demanda Claude, inquiète pour Dago. — Bien sûr, répondit son cousin, pour cacher sa propre inquiétude ; d’ailleurs, il n’a pas l’air malade. — Tu as dû passer des moments épouvantables, ma pauvre Claude, dit Mick. — Oui, riposta Claude, je n’aime pas beaucoup en parler ! Si seulement j’avais eu Dagobert avec moi, j’aurais été moins malheureuse, mais le brave chien ne faisait qu’aboyer et se plaindre, alors les bandits l’ont drogué. — Comment as-tu été amenée jusqu’à ce château ? interrogea François. — J’étais enfermée dans cette roulotte qui sentait mauvais, lorsque soudain un homme, appelé Antonio — le père de Jo, je suppose — vint me faire sortir. Dagobert somnolait, abruti ; on l’avait frappé sur la tête ; le gitan le mit dans un sac et nous installa tous les deux sur le cheval. C’est ainsi que nous avons traversé le bois, et suivi un sentier désert ; à la nuit tombée nous sommes arrivés jusqu’à la côte et jusqu’à cette affreuse demeure. — Pauvre petite Claude, s’apitoya François. J’aimerais que Dagobert soit guéri, cela me ferait plaisir de le voir sauter à la gorge de ce monstre ! — Je me demande ce qui a pu arriver à Jo, dit Mick se souvenant avec tristesse que la gitane était maintenant captive dans la tour. — Crois-tu que Mesnil-le-Rouge et Markhoff ont déjà découvert notre évasion et la disparition de Dagobert ? Ils vont être furieux ! s’exclama François. Nous ne pouvons pas partir ? demanda Claude brusquement alarmée. Vous êtes venus en bateau ? Alors partons, nous ramènerons du secours pour délivrer Jo. » Il y eut un silence. Aucun des garçons ne se décidait à dire à Claude que son bateau avait été mis en pièces par Markhoff, pourtant, il fallait bien qu’elle sût la vérité ; en quelques mots, François lui résuma les événements. Claude ne réagit pas. Ils demeurèrent silencieux durant quelques minutes. On n’entendait plus que la respiration de Dagobert. « Ne pourrions-nous pas, lorsqu’il fera nuit, monter jusqu’à la cour et tâcher de franchir la grande grille ? Qu’en pensez-vous ? demanda Mick. De toute façon, nous ne pouvons pas nous échapper en descendant la falaise, puisque nous n’avons plus de bateau ! — Si nous attendions que Mesnil-le-Rouge et Markhoff soient partis dans leur hélicoptère ? suggéra François. Ce serait beaucoup plus sûr ! — Mais Jo ? riposta Mick. Ils la prennent pour Claude, n’est-ce pas ? Ils vont la pousser dans l’hélicoptère après l’avoir bâillonnée et ligotée ; je ne vois pas comment nous pourrions nous évader sans avoir délivré celle qui s’est sacrifiée pour notre cousine ! » Ils discutèrent longuement sur la façon de libérer la gitane. Mais aucun des trois enfants ne trouva un plan réalisable. Le temps passait, ils avaient faim, ils avaient froid. « Je me demande ce qui se passe là-haut dans la maison », grogna Mick. Là-haut, dans la demeure mystérieuse, les événements se succédaient. Markhoff était parti pour tuer Dagobert, comme son maître le lui avait ordonné, mais, lorsqu’il arriva dans la maison d’été, le chien n’était plus là ! Le bandit fut fort étonné ! Le chien avait été solidement attaché et drogué. Maintenant la corde gisait par terre, et l’animal avait disparu ! Markhoff fit le tour de la maison d’été. Qui pouvait avoir délivré Dago ? Il se dirigea ensuite vers la cabane où François et Mick étaient prisonniers. La porte était fermée à clef. Markhoff l’ouvrit. « Ah ! maudits gosses ! Vous allez voir ! » cria-t-il, mais il fut surpris : il n’y avait personne. Là aussi la corde gisait sur le sol. Elle était coupée ! Les captifs s’étaient enfuis ! Markhoff ne pouvait en croire ses yeux, il regarda tout autour. « Qui a bien pu libérer le chien et les garçons ? grogna-t-il. Que va dire Mesnil-le-Rouge ? » Markhoff regarda l’hélicoptère, prêt pour le départ. Il eut grande envie d’abandonner Mesnil-le-Rouge et de s’envoler seul, mais, se souvenant des colères et des méchancetés de celui-ci, il eut peur et changea d’avis. « Il vaudra mieux partir avant qu’il fasse nuit, pensa-t-il. Il y a sûrement un inconnu dans la maison ! Nous sommes en danger ! Je vais avertir Mesnil-le-Rouge. Au moment où il allait entrer dans la grande salle, il aperçut deux hommes qui l’attendaient. Ils se tenaient dans l’ombre, et Markhoff fut incapable de les identifier tout de suite. Lorsqu’il s’approcha d’eux, il reconnut Antonio et Manolo. « Que faites-vous ici ? s’écria-t-il, on vous avait dit de surveiller la villa des Mouettes, afin que personne n’aille alerter la police. — Oui, répondit Manolo, nous sommes venus te dire que la cuisinière, Maria, est allée ce matin à la gendarmerie. Il y avait une petite fille avec elle. Les garçons ne semblaient pas être là. — Naturellement ! Ils sont ici ! ou tout au moins ils y étaient, grogna Markhoff, car ils viennent de disparaître. Quant à la police, nous savons qu’elle est en route et nous avons établi nos plans. Vous nous apportez des nouvelles un peu tardives ! De toute façon, nous emmenons la fillette en hélicoptère avant que les gendarmes arrivent ! Savent-ils qu’elle est ici ? — Nous n’avons aucun rapport avec la police ! répondit Antonio furieux. Nous n’avons pas l’intention de nous trouver là lorsque les gendarmes arriveront, mais nous voulons de l’argent. Nous avons fait tout votre sale travail et vous ne nous avez payé que la moitié de ce que vous aviez promis, donnez-nous le reste ! — Demandez à Mesnil-le-Rouge, rugit Markhoff. Allez ! demandez-lui ! — Parfait, nous y allons ! s’écria Manolo, dans un mouvement de colère. Nous avons fait tout ce qu’il nous a dit : volé les documents, kidnappé la gosse et son maudit chien— il m’a mordu, regarde ma main !— et nous ne serions pas entièrement payés ! Eh bien, nous arrivons à temps ! Ces beaux messieurs allaient s’envoler en hélicoptère et nous laisser ici nous débrouiller avec les gendarmes ! Où est Mesnil-le-Rouge ? — Là-haut, répondit Markhoff. J’ai de mauvaises nouvelles pour lui. Il ne se réjouira pas de nous voir ! Il vaut mieux que je lui parle le premier ! — Très malin ! répondit Manolo. Mais si tu crois que tu vas nous jouer un tour de ta façon, tu te trompes. Nous allons avec toi. » Ni lui, ni Antonio n’aimaient Markhoff. Ils le suivirent dans l’escalier, jusqu’au bureau de Mesnil-le-Rouge. Celui-ci fouillait dans les papiers qui avaient été volés chez le père de Claude et il paraissait de fort mauvaise humeur. Lorsque Markhoff entra, il lui jeta les feuilles à la figure ! « Je n’ai pas le document que je voulais ! Je garderai donc la fillette en otage jusqu’à ce que… Mais que veux-tu, Markhoff ? Qu’est-il arrivé ? — Des ennuis ! Premièrement, le chien s’est sauvé ! Il n’était plus là lorsque je suis allé pour le tuer ; deuxièmement, les garçons se sont enfuis aussi ; ils se sont échappés de la cabane, qui était pourtant fermée à clef ; troisièmement, il y a deux visiteurs pour vous ; ils réclament de l’argent et viennent vous apprendre ce que vous savez déjà : c’est-à-dire que la police est à vos trousses ! » Pour la circonstance, Markhoff vouvoyait le bandit. Mesnil-le-Rouge entra dans une grande fureur. La rage faisait scintiller ses yeux. Il regarda durement Markhoff, Antonio et Manolo. Markhoff semblait mal à l’aise, mais les deux gitans te provoquaient avec insolence. Mesnil Le Rouge entra dans une grande fureur. « Vous ! Vous osez venir quand je vous ai ordonné de rester là-bas ! hurla Mesnil-le-Rouge. Vous avez été payés, vous n’avez pas le droit de me demander encore de l’argent ! » Personne n’entendit ce qu’il dit ensuite, car de l’étage au-dessus venaient des cris, des hurlements, des trépignements. « C’est la petite, je suppose, grogna Markhoff, elle veut défoncer la porte. Elle qui était si calme, jusqu’à présent ! — Il vaut mieux la faire sortir maintenant et partir, décréta Mesnil-le-Rouge ; Manolo, va la chercher ! Amène-la ici et tâche de la raisonner un peu. — Va la chercher toi-même ! » répliqua Manolo. Mesnil-le-Rouge regarda Markhoff, puis sortit immédiatement un revolver de sa poche. « On ne discute pas mes ordres ! cria-t-il d’une voix soudain très calme et très froide, jamais, vous entendez ? » Manolo monta les escaliers quatre à quatre ; Antonio le suivit. Ils poussèrent les verrous de la porte, et entrèrent. Antonio demeura immobile en découvrant la jeune captive, il se frotta les yeux, s’avança, la regarda de plus près. « Bonjour, papa, dit Jo. Tu as l’air bien surpris de me voir ! » CHAPITRE XXII La ruse de Jo « Jo ! s’écria Antonio. Eh bien, ça alors ! » Manolo intervint : « Qu’est-ce que ça veut dire ? demanda-t-il rudement à Antonio. Que fait ta fille ici ? Qui l’a amenée ? Où est l’autre gosse, celle que nous avons kidnappée ? — Comment veux-tu que je le sache ? répliqua Antonio. Jo, qu’est-ce que tu fais ici ? Parle ! Où est l’autre fillette ? — Faites le tour de la pièce et regardez si vous la trouvez », répondit la gitane d’un ton léger. Mais elle restait sur ses gardes. Les deux hommes fouillèrent la pièce. Manolo s’approcha d’une grande armoire. « Elle doit être là-dedans, dit la gitane en riant. C’est toi qui as trouvé ! » Les deux gitans ne savaient trop que penser de tout cela. Ils étaient venus chercher Claude et avaient trouvé Jo ! Que s’était-il passé ? Ils n’arrivaient pas à comprendre ! Ni l’un, ni l’autre ne voulait redescendre dire la vérité à Mesnil-le-Rouge, aussi continuaient-ils à chercher fébrilement dans la chambre. « Regardons bien partout, elle est sûrement cachée ! — Si je l’attrape, elle va recevoir une bonne raclée ! » grogna Manolo qui ouvrait la porte de l’armoire. Une voix furieuse résonna dans les escaliers. « Manolo ! Que fais-tu là-haut ? Amène la gosse immédiatement ! — Elle n’est pas là ! répliqua Manolo, hors de lui. Qu’as-tu fait d’elle ? Elle est partie ! » Mesnil-le-Rouge monta les escaliers en courant et fit irruption dans la chambre. Dans la pénombre, il aperçut la gitane et grogna : « Qu’est-ce que tu racontes ? Elle est là. Tu es fou ? — Non, répondit Manolo, c’est toi qui es fou. Nous avions kidnappé la fille du savant et celle que nous trouvons ici n’est que Jo ! » Le bandit considéra Manolo. Était-il idiot ou avait-il perdu la raison ? Puis il regarda à nouveau Jo et ne remarqua pas de différence entre elle et Claude ; mêmes cheveux courts, même nez en trompette, mêmes vêtements, il ne pouvait pas croire qu’il avait devant lui la fille d’Antonio. Il continuait à croire que Manolo et Antonio voulaient le berner ! Mais Jo avait son mot à dire. « Oui, je suis Jo ! Claude est partie ! Antonio, mon père est venu pour me libérer, n’est-ce pas ? » Antonio demeura stupide, ne sachant comment réagir. Mesnil-le-Rouge était de plus en plus en colère. La voix qu’il entendait n’était, en effet, pas celle de Claude. Il crut alors qu’Antonio avait substitué sa fille à l’autre enfant. Il courut vers lui et le frappa violemment à la face. « Tu as voulu être plus fort que moi, n’est-ce pas ? » Antonio s’écroula sur le sol. Manolo vint immédiatement à son secours. Jo regarda les hommes lutter et haussa les épaules. Qu’ils se battent donc ! Ils l’avaient oubliée et elle s’en réjouissait. Elle courut vers la porte, dégringola les escaliers, mais, à mi-chemin, elle s’arrêta et remonta en courant ; elle avait une idée : elle tourna la clef dans la serrure et poussa les verrous. À l’intérieur, les trois hommes entendirent la clef tourner, Manolo se rua vers la porte. « Elle nous a enfermés, elle a tiré les verrous ! — Au secours ! Markhoff ! » hurla Mesnil-le-Rouge écumant de rage. Markhoff se trouvait à l’étage inférieur ; il entendit des cris et des coups violents dans la porte ; il se demanda ce qui se passait et monta voir. Jo était cachée dans l’autre pièce. Aussitôt qu’elle vit Markhoff s’approcher de la porte verrouillée, elle descendit les escaliers. Elle serrait très fort un objet contre son cœur. C’était la grande clef de la pièce où elle avait emprisonné les bandits ; personne ne pourrait les délivrer ! « Ouvre la porte ! criait Mesnil-le-Rouge, la gosse s’est enfuie. — La clef n’est pas là, répondit Markhoff. Cette maudite gamine a dû la prendre. Je m’en occupe ! » Courir après Jo était une chose, la retrouver en était une autre ! Elle semblait s’être dissipée dans l’air. Markhoff fouilla en vain toutes les pièces et sortit dans la cour ; il n’y avait personne. Au même instant, la gitane pénétrait dans la cuisine, car elle mourait de faim. Elle se rendit à l’office et prit soin de fermer à clef la porte de communication. Il y avait une petite fenêtre par laquelle il lui serait facile de s’enfuir en cas de danger. Jo fouilla dans les placards et s’installa pour manger. Elle avait trouvé un gros morceau de gruyère, du pain, du beurre, du pâté et un pot de confiture. Lorsqu’elle se fut restaurée, elle se sentit beaucoup mieux. Puis elle pensa à ses amis qui devaient avoir bien faim eux aussi. La fillette s’empara d’un sac et le remplit de provisions. Si elle retrouvait les garçons et Claude, ils pourraient se rassasier. Jo enfouit la grande clef dans le fond du panier. Elle était très fière. Mesnil-le-Rouge, Manolo et Antonio étaient captifs, cela la rassurait. Elle n’avait pas aussi peur de Markhoff que de Mesnil-le-Rouge, et pensait pouvoir lui échapper facilement. La petite fille ne se sentait même pas triste en pensant à son papa. Elle ne l’aimait pas et ne le respectait guère, car il ne se comportait pas comme un vrai père. Soudain, entendant Markhoff entrer dans la cuisine, elle se prépara à sortir par la fenêtre si jamais il enfonçait la porte, mais il n’en fit rien. Il s’éloigna en jurant. Il était temps de repartir. Jo ouvrit doucement la porte de l’office. À cet instant, une vieille femme venue sans doute de la cour, entrait dans la cuisine en portant un paquet de linge. La servante demeura clouée sur place en voyant la gitane devant elle… « Qui êtes-vous ? » balbutia-t-elle. Mais Jo était déjà sortie de la pièce et se trouvait dans le hall d’entrée ; elle entendait Markhoff à l’étage au-dessus, claquant les portes et grommelant. Elle souriait et savourait sa victoire. Elle sortit tranquillement par la porte principale. Maintenant, il fallait retrouver les autres. Ils étaient sûrement encore dans les grottes. Jo eut du mal à descendre les escaliers du souterrain car elle n’avait pas de lampe. Elle n’avait pas peur, mais elle poussa un petit cri de douleur, car elle était pieds nus et l’arête un peu vive d’une pierre la blessa. Les trois autres, François, Mick et Claude étaient toujours assis au même endroit, Dagobert au milieu d’eux. François avait remonté le souterrain afin de voir s’ils pouvaient s’échapper, mais il avait aperçu la vieille femme apportant le linge. D’un commun accord, ils avaient tous décidé d’attendre la nuit pour partir. À ce moment-là, Dagobert serait peut-être plus réveillé et leur viendrait en aide. Soudain le chien jappa. Claude le fit taire ; ils écoutèrent tous… « François, Mick, où êtes-vous ? J’ai perdu mon chemin ! — C’est Jo ! » s’écria Mick. Il alluma sa lampe. « Nous sommes là ! Comment t’es-tu échappée ? Qu’est-il arrivé ? — Je vous raconterai. » Elle s’assit auprès d’eux, le visage brillant de joie. « Le chemin n’est pas commode, sans lumière. C’est pourquoi je vous ai appelés. Qui veut du pain et du fromage ? — Comment ? Que dis-tu ? » interrogèrent les trois affamés ; le chien lui-même leva la tête et commença à renifler le panier de Jo. La gitane rit et sortit ses provisions. « Jo, tu es la huitième merveille du monde ! dit Mick. Mais qu’y a-t-il encore au fond du panier… ? » La gitane brandit une énorme clef. « Regardez, j’ai enfermé Mesnil-le-Rouge, Antonio et Manolo dans le donjon. Voilà la clef ! Qu’en dites-vous ? » CHAPITRE XXIII Markhoff les poursuit CLAUDE s’empara de la clef et la regarda en souriant. « Jo, c’est la clef ? et tu les as enfermés à l’intérieur ! C’est formidable ! Tu es merveilleuse ! — Oui, répéta Mick, Jo est extraordinaire. Je n’ai jamais rencontré une fille comme toi dans ma vie ! » Il lui donna une gentille bourrade, et Jo eut un sourire de fierté. « C’était facile ! dit Jo, les yeux brillants de joie. Tu me crois maintenant, Mick, n’est-ce pas ? Vous ne serez plus méchants avec moi, ni les uns ni les autres ? — Bien sûr que non ! s’exclama François, tu es notre amie pour toujours. — Et l’amie de Claude ? demanda la gitane. — Bien sûr, répondit celle-ci, je te demande pardon pour toutes les sottises que je t’ai dites ; tu es aussi courageuse qu’un garçon. » C’était le plus beau compliment que Claude pût faire à une fille. Jo cligna des yeux. « J’ai fait tout cela pour Mick, avoua-t-elle, la prochaine fois, je le ferai aussi pour toi, Claude. — J’espère bien qu’il n’y aura pas de prochaine fois, s’écria Claude horrifiée. Je peux dire que je n’ai pas connu une seule minute de paix durant ces derniers jours. » Le chien leva soudain la tête, et se frotta doucement contre les genoux de Jo. « Regardez, il me reconnaît ! s’écria celle-ci. Il va mieux, n’est-ce pas, Claude ? » Claude, d’un geste très doux, replaça la tête de Dagobert sur ses genoux. Elle avait maintenant beaucoup d’amitié pour la gitane, mais pas au point de laisser son chien lui manifester tant de sympathie. « Oui, il va mieux, dit-elle en caressant Dago. Il a mangé la moitié de mon petit pain. Mais il se méfie maintenant ; il sait qu’il a été drogué, pauvre vieux Dago ! » Ils se sentaient tous rassérénés. Pourtant François regarda sa montre. « Je me demande ce qu’ils font là-haut. » Trois bandits étaient toujours enfermés. Markhoff n’avait sûrement pas pu défoncer la porte qui était très lourde. Les deux mécaniciens de l’hélicoptère étaient venus aider Markhoff, mais la porte résistait toujours. Rien ne pouvait l’ébranler. Antonio et Manolo surveillaient Mesnil-le-Rouge qui faisait les cent pas dans la pièce comme un lion en cage ; ils se réjouissaient d’être deux contre lui, car il était déchaîné et capable de commettre n’importe quel crime. À l’extérieur, Markhoff et les deux mécaniciens, Charles et René s’inquiétaient. Les gendarmes n’étaient pas encore arrivés (ils n’arriveraient d’ailleurs pas, car Maria n’avait pas pu leur dire que François et Mick étaient partis à la recherche d’un homme appelé Mesnil-le-Rouge, puisqu’elle n’en savait rien !). Mais Mesnil-le-Rouge et Markhoff redoutaient l’arrivée de la police. Si seulement ils parvenaient à s’enfuir avec l’hélicoptère que les mécaniciens avaient réparé ! « Markhoff, emmène Charles et René dans les grottes, ordonna Mesnil-le-Rouge. Les enfants y sont sûrement cachés ! Ils ne peuvent sortir d’ici puisque la grille est verrouillée et le mur beaucoup trop haut pour qu’on y grimpe. Attrapez-les et tâchez de trouver la clef ! » Markhoff et ses deux compagnons s’élancèrent ; ils traversèrent la cour, descendirent les escaliers du souterrain. Leurs pas résonnaient dans le tunnel rocheux. Ils arrivèrent enfin dans la grotte. Il n’y avait personne ; les enfants, entendant du bruit, s’étaient glissés par la trappe dans l’autre cave. Ils avaient traversé la grotte hantée de chauves-souris et se trouvaient maintenant à mi-hauteur de la falaise. « Impossible de nous cacher ! » dit François en retournant dans la grotte. Là, au moins, personne ne pouvait les voir. Il chercha, en braquant sa lumière, quelque anfractuosité rocheuse où se tapir. Au-dessus de lui, la paroi offrait un renfoncement. Il y hissa Claude et Dagobert, encore somnolent ; Mick grimpa ensuite derrière Claude. François trouva une autre cachette, tandis que Jo se blottissait dans une faille et, en hâte, recouvrait son corps de sable. François admira la ruse de la petite fille. Mais, hélas, ce fut elle qui fut découverte, par hasard : Markhoff buta contre elle. Charles, René et lui venaient d’arriver dans la caverne. C’est en cherchant à l’éclairer avec sa lampe que Markhoff marcha lourdement sur la main de Jo qui ne put retenir un gémissement. Alors, il attrapa la gitane, l’arracha à son nid de sable ! « Voilà celle que je cherche, dit-il aux autres, elle a pris la clef. » Et bousculant la fillette : « Où est-elle, demanda-t-il, donne-la-moi ou je te précipite du haut de la falaise ! » François était épouvanté à l’idée que Markhoff allait jeter la petite fille dans la mer ! Il se préparait à courir à son secours, lorsqu’il entendit Jo parler. « C’est bon, dit-elle, lâche-moi, espèce de brute, voilà la clef ! Va délivrer mon père avant que la police arrive, je ne veux pas qu’il soit arrêté ! » Markhoff poussa une exclamation de triomphe et arracha la clef de la main de la gitane. « Maudite gosse ! Tu vas rester là avec les autres, vous ferez tous un long séjour dans ces grottes, car nous allons pousser un énorme rocher sur la trappe et vous serez prisonniers ! Vous ne pourrez vous échapper ni par en haut, ni par en bas ! Et si vous essayez de vous enfuir à la nage, les vagues vous rejetteront contre la falaise ! » Les deux hommes ricanèrent. « Bonne idée, dit l’un, ils seront emmurés vivants et personne ne le saura ; venez vite, nous n’avons pas de temps à perdre ! Si Mesnil-le-Rouge n’est pas bientôt délivré, il va devenir fou. » Ils repartirent vers le souterrain et les enfants écoutèrent décroître leurs pas. François sortit de sa cachette. « Quelle histoire ! dit-il. Si ces hommes bouchent vraiment la trappe, nous ne pourrons plus nous enfuir ! La mer est trop agitée pour que nous puissions nous sauver à la nage ! — Je vais regarder s’ils ont déjà bloqué l’ouverture, dit Mick. Ils ont peut-être voulu seulement nous faire peur !» Hélas, lorsque François et Mick éclairèrent le plafond, ils virent le rocher qui fermait la trappe. Impossible de ressortir ! Tristement, en silence, ils vinrent s’asseoir sur le rebord de la falaise, dans la lumière du soleil couchant. « Quel dommage que la pauvre Jo ait été découverte ! dit Claude. C’est épouvantable qu’elle ait dû leur donner la clef ; maintenant Mesnil-le-Rouge et les autres seront en liberté ! — Mais non ! dit Jo. Je ne leur ai pas donné la clef de la tour, j’avais aussi sur moi celle de la cuisine ! — Dieu soit loué ! s’écria François. Tu es fantastique, Jo ! Mais tu possédais donc la clef de la cuisine ? » Elle leur raconta comment elle s’était confortablement installée pour manger dans l’office… « Tu es vraiment astucieuse ! » Jo souriait. « Les bandits sont toujours enfermés là-haut ! » dit-elle. Mais soudain, Mick émit une pensée encore plus désagréable que les précédentes. « Ne nous réjouissons pas trop vite, dit-il. Lorsque Markhoff et ses complices vont voir qu’ils ont été dupés, ils vont revenir ! Et qu’est-ce qui va nous arriver ! » CHAPITRE XXIV De l’inattendu… LA PENSÉE que les bandits pouvaient revenir, en proie à la fureur, affolait les enfants. « Dès que Markhoff aura essayé la clef, il verra bien que Jo s’est moquée de lui ! dit Claude. — Il reviendra ici fou de rage ! Que faire ? demanda François. Nous cacher encore une fois ? — Non, dit Mick, sortons ! Descendons le long de la falaise jusqu’à la mer, je me sentirai plus en sécurité que dans cette grotte. Peut-être trouverons-nous une meilleure cachette dans les rochers de la côte. — Quel dommage qu’ils aient détruit mon bateau ! soupira Claude. Comment allons-nous emmener Dagobert ? » Ils se concertèrent. Jo se souvint de la corde qui leur avait servi à grimper et qu’elle avait laissée au creux d’un rocher. « J’ai une idée », dit-elle. Son esprit travaillait vite. « Toi, François, tu vas descendre le premier, ensuite Mick, et puis Claude. Alors je remonterai la corde, j’y attacherai Dagobert et je le ferai descendre jusqu’à vous. Il est tellement endormi qu’il n’aura même pas conscience du danger ! — Et toi ? demanda Mick. Tu vas rester la dernière ? Tu seras toute seule sur le rebord de la falaise. Et si les hommes reviennent… — Ça m’est égal, dit Jo, je n’ai pas peur. Dépêchez-vous. » François descendit le premier en s’aidant de la corde, puis ce fut le tour de Mick, à qui l’angoisse donnait du courage. Il fallait fuir à tout prix ! Claude descendit ensuite ; elle n’aimait pas particulièrement ce genre de sport ; chaque fois qu’elle regardait la mer au-dessous d’elle, elle avait le vertige. Enfin elle parvint au bas de la falaise. Pour le chien, ce fut plus difficile. Claude attendait avec anxiété. Jo s’efforçait d’attacher Dagobert de telle façon qu’il ne coure aucun risque, mais il était bien lourd… Elle parvînt tout de même à le lier solidement et elle appela les autres. « Attention, le voilà ! Pourvu qu’il ne se mette pas à gigoter ! Il risquerait d’être projeté contre les rochers. » Le pauvre Dagobert n’aima pas du tout cette expérience. Se trouver balancé dans l’air ne lui plut guère. Mais enfin tout se passa bien. Claude le reçut dans ses bras et le détacha. « À mon tour ! J’arrive ! » s’écria Jo. Ses doigts de pied s’accrochaient aux arêtes de pierre, ses mains trouvaient des aspérités où s’agripper. Elle descendait très vite, sans même s’aider de la corde. Les enfants la regardaient avec admiration. Bientôt elle fut au milieu d’eux. « Et maintenant, demanda Jo, qu’est-ce qu’on fait ? — On cherche une cachette », répondit François. Ils se séparèrent en deux groupes pour explorer la crique rocheuse. La mer agitée se brisait en vagues écumantes contre les récifs. Il était certainement impossible de nager, dans ces eaux tumultueuses. Tout à coup, Claude poussa un cri : « François ! viens voir ce que j’ai trouvé ! » Ils accoururent tous autour de Claude. Elle montrait du doigt une sorte d’épave, couverte de varech, échouée sur les galets. « Un bateau ! Il est couvert de varech, mais c’est un bateau ! — C’est ton bateau ! cria Mick qui avait commencé à le dégager. Markhoff ne l’a pas détruit. Il n’a pas pu le trouver, nous l’avions recouvert d’algues. Il a simplement menti à Mesnil-le-Rouge en lui disant qu’il avait exécuté son ordre. — Formidable ! criait Jo, en battant des mains. Nous sommes sauvés. » Les quatre enfants étaient si contents qu’ils bondissaient sur place et s’administraient de grandes claques joyeuses. Ils pouvaient s’enfuir ! Mais un cri résonna soudain. Ils levèrent la tête. Markhoff et les deux hommes se tenaient sur le rebord de la falaise, les menaçant du poing. « Vous êtes pris ! hurlaient-ils. — Vite, vite ! dit François, poussant le bateau à la mer. Aidez-moi, poussez fort ! » Markhoff descendait déjà le long de la falaise, s’aidant de la corde restée en place. Le bateau était presque à flot lorsqu’un événement inattendu survint : Dago, toujours somnolent, glissa et tomba à la mer. « Il va se noyer ! » cria Claude. François et Mick ne pouvaient pas interrompre leurs manœuvres. Ils voyaient que Markhoff serait bientôt près d’eux. Claude appelait désespérément son chien. Mais l’eau eut un curieux effet sur celui-ci. Le froid le réveilla tout à fait. Il se mit à nager vigoureusement vers Claude qui le repêcha par la peau du cou. Le bateau glissait maintenant dans l’eau. François suppliait sa cousine de se hâter. Jo était déjà à bord avec Mick. François jeta un regard désespéré vers Markhoff qui descendait toujours. Soudain, Dagobert s’échappa des mains de Claude et courut vers la falaise en aboyant. Markhoff se trouvait tout près du sol lorsqu’il entendit le chien aboyer. Il essaya de remonter en vitesse pour se mettre hors d’atteinte. « Ouah ! Ouah. ! hurlait Dagobert furieux. Grrrr… — Attention, Markhoff ! hurla un des hommes. Ce chien est enragé ! » Markhoff avait peur. Ses genoux glissaient le long de la falaise. Il ne parvenait plus à grimper. Cet incident faisait gagner du temps aux enfants. « Viens, Dagobert ! appela Claude. Viens maintenant. » Le bateau était prêt, mais Dagobert n’avait qu’une idée : mordre les mollets du bandit ! « Dago ! Dago ! » Enfin le chien obéit, après avoir jeté un regard de regret sur les jambes de Markhoff. Lorsque celui-ci sauta enfin sur la grève, il était trop tard. Le bateau voguait sur les vagues. En quelques minutes, il avait disparu derrière le haut rocher du promontoire. François et Mick ramaient vigoureusement, Claude embrassait son chien, Jo le caressait. « Il va bien, il est guéri ! s’exclamait Claude. — L’eau froide l’a sauvé ! Pauvre vieux Dago ! » disait la gitane. Soudain le chien aboya joyeusement, il avait trouvé au fond du bateau le paquet de sandwiches que les enfants avaient apporté le matin. « Que c’est bon d’entendre Dagobert japper et de le voir remuer la queue ! » Dago avait retrouvé le bonheur de vivre, et sa maîtresse qu’il aimait tant. « Rentrons vite à la maison ! dit François. Annie sera si contente de nous voir ! Quelle aventure nous avons vécue ! » CHAPITRE XXV Tout va bien IL FAISAIT nuit lorsque le bateau de Claude entra dans la baie de Kernach. Les enfants étaient si fatigués, qu’ils avaient l’impression d’être partis depuis un mois. Les filles avaient ramé pour relayer les garçons. Dagobert remontait le moral de chacun par ses joyeux aboiements, et ses gentilles caresses. « Il n’a pas cessé de remuer la queue pendant tout le voyage. Il doit vraiment être content de se sentir guéri ! » dit Claude. Une mince silhouette apparut sur la plage, dans l’ombre. C’était Annie. Elle les appela d’une voix tremblante : « C’est vous ? Je vous ai attendus toute la journée. Tout va bien ? — Oui, nous ramenons Claude et Dagobert », cria Mick d’une voix triomphante tandis que le bateau abordait. Ils sautèrent tous sur le sable ; Annie aida à tirer l’embarcation sur la plage. « Je ne resterai plus jamais toute seule à vous attendre, dit-elle, j’aime encore mieux avoir peur près de vous. — Ouah… » dit Dago, en remuant la queue. Lui non plus ne voulait pas qu’on le laissât seul. Il souhaitait partager toutes les aventures des enfants. Ils rentrèrent, marchant lentement, ils étaient très fatigués. Maria les attendait sur le seuil et pleura de joie lorsqu’elle vit Claude. « Claude ! Vous me ramenez ma petite Claude, enfin ! Oh ! méchants enfants ! Vous êtes partis toute la journée et je ne savais même pas où vous étiez ! Je me suis fait du souci tout le temps ! Claude, comment te sens-tu ? — Très bien ! dit Claude qui tombait de sommeil. Je vais manger un peu et aller me coucher. — Mais où avez-vous été toute la journée ? Qu’avez-vous fait ? demanda Maria en mettant la table. J’étais si inquiète, que je me suis rendue à la gendarmerie. Je me sentais si bête. Je ne pouvais pas dire où vous vous trouviez ! Tout ce que j’ai pu raconter c’est que vous étiez partis à la recherche d’un homme appelé « Rouge » et que vous aviez pris le bateau de Claude. Les gendarmes ont longé la côte dans un canot automobile et ils ne vous ont pas vus ! — Non, notre bateau était bien caché, dit Mick ; nous aussi, d’ailleurs ! Si bien cachés, que nous aurions pu rester là-bas toute notre vie ! » Le téléphone sonna. François sursauta. « Oh ! la ligne est rétablie ? Je téléphonerai à la police lorsque vous aurez répondu, Maria. » Mais c’était justement la police qui appelait. « Nous serons là dans un quart d’heure », dit le brigadier, heureux d’apprendre que les enfants étaient revenus sains et saufs. Un peu plus tard, les cinq enfants et Dagobert dévoraient un excellent repas. « Continuez ! dit le brigadier en entrant. Nous allons bavarder, tandis que vous mangez. » Chacun expliqua ce qu’il savait. D’abord, Claude, puis Jo, puis Mick et François. Le brigadier d’abord surpris, rassembla enfin toutes ces informations ; il commençait à y voir clair. « Est-ce que mon père ira en prison ? demanda Jo. — Je le crains ! répondit le gendarme. — Pauvre Jo ! soupira Mick. — Cela m’est égal, répondit celle-ci. Je suis bien plus heureuse quand il n’est pas là ; je n’ai pas à faire les vilaines choses qu’il me commande. — Nous allons voir si nous pouvons te caser dans une bonne maison, dit un gendarme, avec bonté. Tu as eu une vie bien rude, ma petite Jo, il faut qu’on s’occupe un peu de toi. — Je ne veux pas aller dans une maison de correction, répondit la gitane, affolée. — Je ne le permettrai pas, décréta Mick. Tu es l’une des plus chic filles que j’aie connues. Nous trouverons quelqu’un qui s’occupera de toi, quelqu’un de très bon comme… comme… — Comme moi », dit Maria qui écoutait. Elle passa un bras autour des épaules de la gitane et lui sourit. « J’aimerais bien vivre avec quelqu’un comme vous, dit Jo. Je ne serais pas méchante ; je voudrais aussi voir Mick et vous tous de temps en temps. — Bien sûr, si tu es gentille, répondit Mick en souriant, mais fais attention : si j’apprends que tu passes par les fenêtres pour entrer chez les gens, je ne te reverrai jamais ! » Jo rit ; elle était heureuse, elle se souvint de ce qu’il y avait dans son panier, y plongea la main, en sortit une grosse clef. « Voilà pour vous, dit-elle au brigadier. C’est la clef de la tour, j’espère que les bandits sont toujours enfermés, vous n’aurez qu’à les cueillir. Ils vont avoir une drôle de surprise lorsqu’ils vous verront entrer ! — Beaucoup de gens auront des surprises ! dit le brigadier qui sortait un bloc-notes et un stylo. Mademoiselle Claude, vous avez de la chance de n’avoir subi aucun mal, vous et votre chien ! Nous avons été mis en rapport avec un ami de votre père, tandis que nous recherchions les documents volés. Le savant lui avait confié son carnet de notes sur l’Amérique avant de partir en voyage, Mesnil-le-Rouge n’a donc aucun papier de valeur. Tous ses méfaits auront été inutiles. — Que savez-vous de ce Mesnil-le-Rouge ? demanda François ; il m’a semblé fou ! — Si cet homme est bien celui que nous recherchons depuis longtemps, il est en effet un peu fou. Nous serons contents de l’avoir sous les verrous, ainsi que Markhoff, qui n’est pas aussi intelligent que Mesnil-le-Rouge, mais qui est très dangereux. — J’espère qu’il ne s’est pas échappé en hélicoptère, dit Mick. Il devait partir ce soir ! — Nous serons là-bas dans une heure ou deux, dit le brigadier. Je vais téléphoner, si vous le permettez. » Toute cette aventure allait se terminer cette nuit-même. Les voitures des gendarmes stoppèrent devant la maison de Mesnil-le-Rouge ; on défonça la grille, puisque personne ne venait ouvrir. L’hélicoptère était toujours dans la cour ; il semblait avoir subi des dommages. Markhoff et les deux mécaniciens avaient essayé de partir, mais ils avaient eu un ennui mécanique, l’appareil était retombé au sol après avoir décollé. La vieille servante soignait les trois hommes. Markhoff était blessé à la tête et semblait fiévreux. « Et Mesnil-Le-Rouge ? demanda le brigadier à Markhoff, est-il toujours enfermé ? — Oui, répondit Markhoff. Et tant mieux ! Il vous faudra briser la porte si vous voulez l’ouvrir, car elle résiste à tout ! — Inutile », répondit le brigadier, et il montra la clef. Markhoff le regarda furieux. « Maudite gosse ! Elle m’avait donné la clef de la cuisine ! Lorsque je la retrouverai, elle me le paiera cher ! — Vous ne la retrouverez pas avant bien longtemps, Markhoff, dit le brigadier. Je vous arrête. » Mesnil-le-Rouge, Manolo et Antonio, toujours enfermés écumaient de colère. Mais leur vilain jeu était fini, et il ne fallut pas longtemps pour les embarquer dans la voiture de la police. « Nous avons fait un beau butin, dit un gendarme : trois bandits, soigneusement mis sous clef, pour que nous n’ayons plus qu’à les arrêter. — Qu’adviendra-t-il de la petite gitane ? demanda un autre. Elle n’a pas eu beaucoup de chance dans la vie et elle semble tellement intelligente ! — Jo aura sa chance maintenant ! répondit le brigadier. Elle a sans doute quelques défauts, mais on l’éduquera bien et elle deviendra une gentille jeune fille. » Jo dormait dans la chambre de Maria, les autres étaient dans leurs lits. Mais ils ne semblaient pas avoir sommeil. Dagobert courait d’une chambre à l’autre, frétillant de bonheur ! « Dago, si tu sautes encore sur mon lit, je te mets à la porte ! » gronda Claude. Mais, naturellement elle n’en fit rien ; elle était bien trop heureuse d’avoir retrouvé son chien. Soudain les enfants entendirent la sonnerie du téléphone et sursautèrent : « Qu’est-ce que cela peut bien être encore ! » François se précipita pour répondre. Une voix dit : « Kernach 011 ? un télégramme pour vous, réponse payée. Je vous en donne lecture. — J’écoute, dit François. — Texte : « Voici notre adresse : Hôtel Cristina— Séville— Espagne. Répondez par télégramme pour donner nouvelles. Oncle Henri. » Les enfants se pressaient autour de François qui leur répéta le message. « Qu’allons-nous répondre ? demanda-t-il. Beaucoup d’aventures bien terminées ? Non, n’est-ce pas ? Nous n’allons pas inquiéter notre oncle et notre tante maintenant que tout est fini. — Dis ce que tu veux… Quelque chose de gentil… répliqua Mick. — Bien. » François reprit le téléphone. « Allô ! Voici la réponse au télégramme, je vous donne le texte : « Vacances amusantes, beaucoup de bonheur, tout va bien, François. » — Tout va bien, répéta Annie, alors qu’ils montaient se coucher tous ensemble, voilà ce que j’aime entendre à la fin d’une aventure : tout va bien. » FIN