Cris Jerel L’Univers d’Ildaran Cycle de l’héritier intégral Chapitre 1 L’alarme de la petite base impériale réveilla brutalement Florilius. La nuance sonore qualifiait une alerte de niveau neuf, ce qui provoqua un vif étonnement chez le commandant du détachement local de la garde spatiale. Comment une alerte de niveau neuf pouvait-elle être déclenchée sur une planète insignifiante, isolée dans le quadrant d’un bras spiral situé à l’opposé du noyau galactique ? L’intelligence artificielle, régulant la base, avait automatiquement éclairé la pièce et Florilius put balayer des yeux son environnement quotidien : une chambre, de trente mètres carrés, qui était son seul refuge privé, depuis maintenant trois ans. Il avait été affecté sur cette planète à l’écart des principales voies de communication et avait appris à apprécier le calme de cet isolement relatif. Le niveau neuf était le plus élevé dans l’échelle d’importance de l’Empire et la première pensée qui lui vint à l’esprit fut que la fédération de Lorka ait pu décider d’envahir ce système, bravant la Charte des Al-Heoxyrians. Mais son esprit rationnel se refusait à admettre que les dirigeants de la fédération puissent être assez fous pour risquer la destruction de leur étoile ? La chambre de Florilius correspondait aux standards en vigueur dans l’Empire, aussi bien à bord des vaisseaux spatiaux que dans les installations militaires au sol. L’homme l’avait partiellement personnalisé avec des représentations graphiques fluctuantes, affichées sur les murs nanocontrôlés de la pièce. L’officier ne prit pas le temps de passer dans la salle d'hygiène corporelle, attenante à sa chambre, il se contenta de vérifier sa tenue en faisant face à son reflet projeté devant lui. Il mesurait un mètre soixante-dix-huit et on lui aurait donné environ quarante ans. Une allure typiquement militaire : déterminée, mais sans agressivité. Une lueur rassurante dans les yeux, semblant dire : vous ne risquez rien si vous suivez mes instructions à la lettre. Bien qu’en exercice, il avait revêtu l’uniforme simplifié de la marine impériale : combinaison nanoformée noir et orange, ceinturon standard avec un disrupteur moléculaire à la hanche et le boîtier caractéristique d’un générateur de champ Horlzson. Florilius n’affichait aucun insigne distinctif identifiant sa fonction, mais tout le personnel de la base le connaissait et il était donc inutile d’exhiber les signes extérieurs de son rang. Il s’estima satisfait de l’image qu’il renvoyait et, compte tenu de l’urgence de l’alerte, se décida à rejoindre son équipe. Avec un geste négligent, il passa sa main dans ses longs cheveux clairs, coupés suivant les règles de la marine impériale : au ras des épaules. En cas d’alerte dépassant le niveau cinq, tous les officiers devaient se rendre, sans délai, dans la salle tactique et le responsable militaire de la petite base s’engagea, d’un pas décidé, dans le couloir menant au centre opérationnel. Le lieutenant Gorantim l’attendait à l’entrée ainsi que les deux sergents de la petite unité qui étaient déjà assis, l’air interrogateur. Florilius entra dans la salle tactique, observant ses hommes parfaitement calmes bien que visiblement très intrigués par le niveau d’importance de l’alerte. Gorantim lui lança un regard interrogatif auquel Florilius répondit par une mimique signifiant : vraiment aucune idée. - Avez-vous une idée de ce qui se passe, commandant ? s'impatienta son adjoint. - Non, lieutenant. J’ai attendu que nous soyons tous réunis pour interroger l’IA, répondit l’officier. L’IA, c’était le cœur opérationnel de la base. Un calculateur quantique, interconnecté avec une masse de neurones artificiels, capables de prendre des décisions semi-intelligentes. Chaque nanocomposant constituant la station était sous le contrôle de l’IA. Celle-ci était reliée en permanence aux détecteurs et drones multiples parsemant ce système solaire. Elle était capable d’opérer pratiquement en autonomie complète, tant son degré de raisonnement était affûté, mais elle prenait néanmoins ses consignes du commandant Florilius qui avait l’autorité décisionnelle, tant qu’il ne contrevenait pas aux règles édictées par l’Empire. - IA, les officiers sont tous présents. Que se passe-t-il pour avoir déclenché une alerte de niveau neuf ? s’enquit le commandant. Une représentation holographique de l’IA se matérialisa au centre de la table. L’image projetée en trois dimensions était criante de réalisme et n’importe qui, non habitué aux échanges avec elle, aurait cru voir apparaître réellement une sphère de quinze centimètres de diamètre au milieu du groupe. Une voie androgyne s’en échappa. - Un sous-programme vient de détecter une correspondance morphologique avec un individu recherché par l’Empire. - Un niveau neuf pour une personne recherchée ? Sur une planète préspatiale ? Le lieutenant Gorantim haussa les sourcils d’étonnement devant l’incroyable situation et croisa le regard de son chef, visiblement aussi surpris que lui. - Cet ordre de recherche émane directement de Kera Seravon et concerne la Sécurité Impériale. Cette personne doit être appréhendée morte ou vive et ramenée à l’empereur. Cette injonction a été implantée dans mes systèmes à l’insu de ma partie consciente et je n’ai pris connaissance de cette routine que lors de l’alerte. - Tu veux dire que cet ordre impérial est resté dissimulé depuis son implantation ? Questionna le commandant, surpris. - En effet. Cet ordre contient une injonction de confidentialité. Les informations concernant cet individu recherché ne doivent pas être diffusées en dehors des services spéciaux de l’empereur. - Et qui est l’heureux élu demanda avidement l’officier. - Ishar Verakin. La représentation d’un jeune homme remplaça la sphère et tous purent l’observer en train de discuter, au milieu d’un groupe d’humains. Rien ne semblait le distinguer des autres jusqu’à ce que les soldats de l’Empire remarquent le signe particulier caractérisant la famille Verakin depuis des millénaires. - Il resterait un Verakin vivant ! s’exclama Gorantim, décidément pas au bout de ses surprises. Florilius réfléchissait à la situation. Les services de l’Empire avaient pourtant largement communiqué sur la mort de tous les Verakin lors du putsch du clan Seravon. Comment un survivant pouvait-il avoir atterri sur cette planète perdue ? Mais peut-être était-ce simplement une fausse alerte. Après tout, l’individu avait été repéré par un programme de surveillance à partir d’images télédiffusées. L’IA reprit. - La correspondance a été réalisée à partir d’une reconnaissance faciale extrapolée de son ADN stocké et est donc incertaine. Il reste à analyser l’ADN de cet humain pour en être sûr, mais la morphologie correspond approximativement à 79,543% avec celle d’Ishar Verakin. Florilius eut un sourire amusé en pensant que le degré d’approximation était une donnée subjective. Trois chiffres de précision après la virgule étaient une approximation pour une IA. - Comment un Verakin aurait-il échoué sur cette planète, loin de tout axe de communication ? Il n’y a rien dans ce quadrant spatial. S’interrogea tout haut le commandant impérial en regardant ses subordonnés, tout aussi étonnés que lui. - Nos systèmes de détection n’ont rien enregistré en dehors de nos navires de ravitaillement. Je n’ai aucune explication probabiliste sur la présence possible d’un Verakin sur cette planète avec les données actuelles à ma disposition. - C’est peut-être tout bonnement une erreur, sans rapport avec Ishar Verakin. Avec un peu moins de 80% de correspondance, nous ne pouvons pas écarter l’hypothèse qu’un natif lui ressemble. Néanmoins, dans le doute, nous devons le capturer et vérifier son identité. Tu as sa localisation précise ? s’enquit Florilius. - Pas encore, mais il se trouve dans une zone géographique située de l’autre côté de la planète. J’affine mes recherches pour vous permettre de le situer avec précision. - Bien. Je suppose que l’ordre implanté exige d’avertir l’empereur sans délai ? - En effet. J’ai fait appareiller le Carusif en direction de l’extérieur du système pour qu’il expédie une sonde messagère, au plus vite. En attendant les forces spéciales de l’empereur, vous devez mettre tout en œuvre pour appréhender le fugitif recherché. L’ordre est très clair : vivant de préférence, mais dans tous les cas, le corps doit être renvoyé à l’empereur. - Oui, ça j’imagine bien que Kera Seravon ne souhaite pas voir réapparaître un Verakin … Ajouta Gorantim regardant son chef, d’un air entendu, en dodelinant légèrement la tête. - As-tu une estimation de l'importance des forces de protection auxquelles nous pourrions avoir à faire face ? S'informa le commandant, d’un ton professionnel, plus préoccupé par la mission que par les aspects politiques de la nouvelle. - Je ne dispose pas de suffisamment de données, mais j’ai envoyé des drones de surveillance sur site et je vous transmettrai les mises à jour au cours de la mission de récupération. - Parfait. Jilien prend trois hommes avec toi et allez capturer la cible : déplacements individuels, armement standard et pas de glisseurs. Tout en douceur. L’IA couvre l’opération avec les drones de surveillance, nous sommes incognito sur cette planète, nous avons déjà été repérés à plusieurs reprises alors : profil bas. Il ne s’agit pas de rompre la charte des Al-Heoxyrians. Vous connaissez tous la sanction. Ordonna Florilius à l’un des sergents assis autour de la table des opérations. Tous connaissaient leurs instructions et se mirent aussitôt en mouvement. Jilien était un peu contrarié de ne pouvoir utiliser un glisseur de combat, mais plusieurs de leurs appareils avaient été repérés par les natifs depuis leur installation sur cette planète et il devenait de plus en plus compliqué de se déplacer en plein jour avec des engins volants. L’officier supérieur était malgré tout inquiet, car il n’avait pas droit à l’erreur dans une opération avec une priorité impériale de niveau aussi élevé. L’IA n’avait fourni aucune donnée sur le niveau de protection autour de la cible, mais s’il s’agissait bien d’un Verakin il bénéficierait certainement de la protection d’anciens gardes d’élite de sa famille, améliorés aux Nanocrytes militaires de niveau six ! Le commandant de la petite base savait que, si c’était le cas, ses hommes ne pourraient pas soutenir la confrontation dans un combat rapproché, mais il ne pouvait malheureusement rien faire de plus. Il ne pouvait pas engager ses glisseurs armés et courir le risque qu’ils soient aperçus par la population autochtone et il ne disposait malheureusement pas de mini drone tactique. L’équipement de la petite base était limité. La vocation de cette station avancée était essentiellement scientifique et, sur la quarantaine d’occupants, seulement douze étaient des militaires. Les marines impériaux étaient là en mission de protection et d’assistance au cas, bien improbable, où l’un des membres se ferait capturer par des locaux. Le reste de l’équipe était composé de scientifiques de spécialités diverses allant de l’archéologie à la génétique en passant par l’intelligence cybernétique et spatiale. Le groupe était chargé de rechercher d’hypothétiques traces d’une intervention des Al-Heoxyrians, pas de quoi impressionner une force de protection digne de ce nom. Maintenant que l’opération était engagée et que Gorantim avait ses instructions, Florilius allait pouvoir avertir Golchem de l’intervention en cours. Golchem était le directeur scientifique de la station et patron de toute la base, sauf en cas d’opération militaire. Florilius n’avait aucune dépendance hiérarchique directe avec lui et il entretenait de bons contacts avec le scientifique. L'officier sourit en imaginant d’avance sa réaction agacée à l’idée que ses hommes puissent être découverts par la population. Cela pourrait les contraindre à quitter la planète et à stopper leurs opérations scientifiques. Dans un premier temps, il allait déjà falloir interrompre les sorties en dehors de la base et les scientifiques allaient certainement protester vigoureusement. En acceptant ce poste, Florilius savait qu’il aurait un jour ou l’autre à composer avec sa double mission de protéger les membres de la base et d’obéir aux impératifs de sa responsabilité militaire. Il n’avait cependant pas été préparé à ce qu’il allait devoir affronter. Si la soudaine réapparition d’un Verakin était confirmée, cela risquait de déclencher une guerre entre les familles régnantes qui n’avaient pas digéré la prise du pouvoir par un Seravon. Nul doute, dans ce cas, que l’Empereur fasse tout ce qui soit en son pouvoir pour que le survivant de la famille Verakin disparaisse le plus vite possible. Les jours à venir allaient être tendus dans la base impériale située sur la troisième planète orbitant autour d’un petit soleil jaune du bras d’Orion. * Chapitre 2 Un mois plus tôt. Paul fut réveillé par la voix du journaliste, venant de son radioréveil. La météo s’annonçait fraîche et ensoleillée sur Paris et il pourrait, comme à son habitude, aller au lycée en petites foulées. Ses parents étaient déjà réveillés et il entendait sa mère préparer le petit-déjeuner. À tout juste dix-huit ans, depuis quelques jours, l’adolescent d’un mètre quatre-vingt-deux était athlétique, mais sans excès. On ne pouvait pas dire qu’il soit un grand sportif, mais l’on voyait que le jeune homme entretenait sa forme. Il avait le visage fin, malgré des traits marqués de type caucasien, le nez aquilin, les cheveux châtain très clair, mais ce qui surprenait, chez le jeune homme, c’était ses yeux d’un bleu cobalt très inhabituel. Paul n’avait d’ailleurs jamais rencontré quelqu’un ayant les yeux de cette couleur et ce n’était pas ses parents adoptifs qui pourraient lui apporter des réponses, car ils ignoraient tout de ses origines. Paul était en classe de terminale dans un lycée parisien et était un élève plutôt brillant. Il rêvassait tranquillement en pensant à la journée à venir et à sa petite amie Stéphanie pendant que le journaliste de la radio s’attaquait aux nouvelles du jour. Le présentateur s’attardait particulièrement sur la crise économique qui sévissait depuis plusieurs années. Les difficultés sociales s’étaient aggravées dans toute l'Europe et personne, même les plus insouciants, ne pouvait ignorer les conséquences de la crise au quotidien. Paul sortait avec Stéphanie depuis presque deux ans et ils faisaient un peu figure d’exceptions dans leur groupe d’amis avec leur fidélité. Peut-être un retour à des valeurs de stabilité en cette période trouble ? Le jeune homme fut soudain plus attentif, car le sujet suivant traitait des élections et cela lui rappela que des journalistes devaient venir dans sa classe dans la matinée. Il s’intéressait à la politique depuis son plus jeune âge et l’idée d’un reportage l’excitait, comme la plupart de ses camarades de Terminale. Il en avait discuté avec son amie et l’adolescente regrettait de n’être qu’en 1re et de ne pas pouvoir participer à l’émission. L’adolescent finit par se décider à se lever et sauta en bas de son lit. Comme d’habitude, il se sentait en pleine forme. Il n’était jamais fatigué le matin et n’avait pratiquement jamais été malade, ce qui ne lassait pas d’étonner Lionel, le vieux médecin de famille qui le suivait depuis seize ans. C’est quand même pratique de temps à autre d’être souffrant. On peut rester au lit et sécher les cours pensa l’adolescent sans trop de conviction. - Paul le petit déjeuné est prêt. Sa mère le hélait et il sentait déjà l’odeur du thé et du pain grillé. Son père les rejoignit dans la cuisine et la conversation s’engagea sur les élections prochaines. Paul s’intéressait énormément à la manière de gérer un pays et les aspects géostratégiques le passionnaient tout particulièrement. Le garçon interrompit soudain les diatribes de son père, car il se souvenait d’avoir omis d’informer ses parents sur le tournage de l’émission de télévision dans sa classe. - Ah, au fait, j’ai oublié de vous en parler hier soir, mais une équipe de France 3 doit venir en classe, aujourd’hui, pour nous interviewer sur la prise de conscience politique des lycéens. Nous devons faire une sorte de table ronde pendant une heure et cela devrait être diffusé ce soir, au journal régional. Ses parents trouvaient l’initiative enrichissante et ce fut l’occasion, pour son père, de relancer le débat sur les programmes des différents candidats déclarés. Paul n’attendait pas grand-chose de ce tournage, mais ce pourrait être l’occasion de démontrer que des adolescents se sentaient concernés par l’avenir de leur pays et de la planète. Paul et sa famille vivaient dans le 11e arrondissement de Paris, un quartier plutôt cosmopolite. Il était fils unique et regrettait parfois de ne pas avoir de frère ou de sœur avec qui partager ses états d’âme d’adolescent. Il se confiait parfois à Stéphanie, car il se sentait très proche de l’adolescente, un an plus jeune que lui. Il échangeait également beaucoup avec son meilleur ami, Alex, rencontré cinq ans auparavant, mais il lui manquait un confident familial et il ne pouvait pas tout raconter à ses parents. Il enviait un peu son amie d’avoir une grande sœur, trois ans plus âgée, car la jeune femme avait ainsi pu partager ses expériences avec elle. Paul prit sa douche et fit un choix attentif, bien que rapide, dans sa garde-robe. Il possédait un goût exagéré pour le bleu, ce qui ne lassait pas d’étonner ses amis qui se demandaient bien d’où pouvait venir cette lubie. Lorsqu’il s’estima satisfait, il passa rapidement embrasser sa mère, encore dans la cuisine, et parti en courant vers son lycée, distant de deux kilomètres. Il courait à un rythme soutenu, sans effort apparent, le long du Cours de Vincennes lorsqu’il faillit percuter une femme qui sortait précipitamment de son immeuble, en pleine conversation, l’oreillette vissée à l’oreille et le téléphone portable à la main. Malgré ses réflexes, Paul ne put éviter de lui toucher le bras et elle lâcha son portable sous la surprise. D’un geste souple, Paul rattrapa l’appareil en plein élan et le rendit à sa propriétaire éberluée qui n’avait pas encore totalement intégré la scène. - Tenez madame, faites attention la prochaine fois lorsque vous sortez brusquement de chez vous en téléphonant, lâcha-t-il d’un air amusé. - Merci jeune homme. Lâcha la femme, d’un air un peu pincé d’avoir été prise en défaut. - Bonne journée, fit Paul en reprenant tranquillement sa course, l’esprit tranquille et joyeux de ce petit intermède sans conséquence. La femme le suivit un instant des yeux puis se reconcentra sur sa conversation. Paul aimait courir le matin, avant les cours, le long de la contre-allée de la grande avenue et ne prenait le bus que s’il pleuvait abondamment. De temps à autre, il s’arrêtait pour acheter un croissant frais chez le pâtissier, mais ce matin il n’avait pas très faim et le pain grillé lui suffisait. Il salua néanmoins la vendeuse qu’il connaissait depuis presque trois ans. Celle-ci prit la peine de lui rendre son salut, d’un petit geste de la main en lui souriant. Il arriva à son lycée sans être essoufflé et retrouva ses amis qui passaient déjà le porche de l’entrée. La discussion s’engagea naturellement sur la venue de l’équipe de télévision et se poursuivit jusque dans le couloir menant à leur classe. Paul appréciait particulièrement ce premier cours du mardi matin, car il excellait en chimie, semblant jouer virtuellement avec les combinaisons atomiques et le tableau de Mendeleïev. Il était donc plutôt content que la télévision ait préféré venir après 10h, cela ferait sauter le cours d’économie qui lui plaisait un peu moins malgré l’insistance de son père pour qu’il s’investisse plus dans cette matière. Le cours de chimie se déroula sans aucun fait notable et les jeunes gens se retrouvèrent à l’intercours attendant, avec impatience, l’interview télévisée. La venue de l'équipe de télévision avait occupé toutes les conversations de la veille et mobilisait encore aujourd’hui les discussions des adolescents, malgré les vacances de Pâques toutes proches. Plusieurs élèves discutaient de leurs projets pour les congés, surtout ceux qui avaient planifié de partir. Paul restait évasif sur ses projets, car il préparait une surprise à Stéphanie et lui avait raconté qu’il devait descendre chez sa tante dans le sud de la France. Il n’aimait pas lui mentir et se le reprochait un peu, mais, dans ce cas précis, c’était pour la bonne cause et il était certain que la jeune fille lui pardonnerait aussitôt lorsqu’elle apprendrait la vérité. Dans leur groupe d’amis, seul Alex, son meilleur ami était informé, du moins c’est ce que Paul pensait. Stéphanie aurait dix-sept ans dans trois semaines et le garçon était tout excité à l’idée de lui préparer son dernier anniversaire avant sa majorité : dix-huit ans en France. Il avait prévu de passer les vacances au Maroc, seul avec la jeune fille, et comptait lui faire la surprise avec l’assentiment de leurs familles respectives. Tout avait été organisé avec les parents des deux adolescents afin de réserver leur séjour à Marrakech dans un club de vacances, mais il avait fallu à Paul beaucoup de ténacité pour les convaincre que cet intermède n’aurait pas d’incidence sur les révisions du bac et pour qu’ils acceptent. En tant que majeur il serait en effet responsable d’elle durant tout le séjour à l’étranger. Stéphanie était une jeune femme moderne d’un mètre soixante-dix-sept. Ses cheveux châtain foncé, ses yeux gris et ses petites fossettes lui donnaient un air gai et pétillant. Elle habitait près de la Place de la Nation, côté douzième arrondissement, et pratiquait assidûment la natation, à la piscine toute proche, ce qui lui avait sculpté une silhouette élancée. Les jeunes gens s’étaient rencontrés au lycée, deux ans auparavant, et avaient rapidement entamé une liaison. La sonnerie ramena tout le monde à la réalité et les élèves entrèrent dans la salle de cours transformée en plateau de télévision. L’équipe de la chaîne régionale avait profité de la pause pour installer des projecteurs et deux caméras. Le présentateur était déjà sur place, un micro posé sur sa droite, il relisait ses feuillets. Dès que tous les adolescents furent installés, le délégué de la chaîne les briefa sur le déroulement du tournage. L’objectif était de mettre en relief l’intérêt des jeunes pour la politique et les clivages pouvant exister entre les différentes sensibilités. Le journaliste commença par interroger les élèves sur leur perception de la crise financière et ses incidences sur les programmes politiques. Comme prévu, plusieurs opinions parfois contradictoires émergèrent et Paul en profita pour animer les interventions de ses camarades, soufflant presque le leadership au journaliste de la chaîne. Le tout se déroula dans une atmosphère assez électrique, car il y avait des clivages idéologiques très marqués et Paul dut souvent intervenir pour calmer le jeu devant des échanges verbaux particulièrement musclés. Finalement, les deux heures d’interview passèrent très vite et Paul, en tant que délégué de classe, s’était retrouvé souvent en première ligne pour répondre au journaliste. Le producteur de l’émission semblait satisfait et voyant l’heure avancée, proposa de clore le débat. - Bon, on va en rester là les jeunes. Certains extraits devraient être diffusés dans le journal de 19 h 30, mais une émission complète sera montée et diffusée d’ici trois à quatre semaines. Le journaliste de la chaîne semblait ravi de cette petite table ronde qui donnerait certainement du poids au programme de prime time. Le débat se poursuivit à l’interclasse et Paul dut, de nouveau, intervenir pour séparer deux camarades qui étaient prêts à en venir aux mains. Le jeune homme s’approcha avec calme des deux protagonistes leur signifiant d’un air posé, mais ferme qu’il était préférable de s’en tenir là. Les deux élèves savaient que Paul pratiquait les arts martiaux depuis dix ans et ils se calmèrent rapidement, préférant éviter de se ridiculiser encore plus. L’interview était dans toutes les têtes et les lycéens allaient poursuivre le débat sur les réseaux sociaux. * Chapitre 3 À 19h30, sans surprise, la majorité des élèves du Lycée, et plus encore ceux de la classe de Paul, étaient prêts à regarder le journal de la chaîne. Dans le sud-ouest de la France, un téléspectateur attentif monta légèrement le son de sa télévision lorsqu’il découvrit le lieu de reportage du journal de la chaîne régionale et son attitude se figea instantanément à la vue de Paul à l’écran. Même s’il se trouvait dans une autre région, ses centres d’intérêt se situaient en Île-de-France et il suivait assidûment les informations locales. Sans affolement, malgré le fait qu’il jugea la situation très sérieuse, il appela un correspondant en tête de sa liste d’appels sur son téléphone portable. L’individu avait l’air passablement contrarié et réfléchissait à toute vitesse aux conséquences potentielles de cette émission télévisée. Un œil non averti lui aurait donné la trentaine bien tassée, un mètre quatre-vingt, un physique corpulent de type militaire. Son visage était bien proportionné et on l’imaginait aisément interpréter un rôle dans une série d’actions américaine sur les Navy Seals, presque un stéréotype. Son interlocuteur répondit dès la première sonnerie, indiquant qu’il attendait un appel. - Darin, as-tu vu le journal télévisé sur France 3 ? S’enquit le premier. - Oui Sarian. Je suis tombé dessus par hasard. Le ton de la voix du dénommé Darin dénotait une certaine inquiétude. - Penses-tu qu’il ait pu être identifié ? Chercha à savoir Sarian, d’un ton signifiant qu’il s’attendait à la réponse. - Si un programme de recherche est activé, il y a de fortes probabilités qu’il ait pu être reconnu Le dénommé Darin était plus élancé, moins massif. Légèrement plus jeune, il dégageait néanmoins quelque chose de dangereux et son regard avait un je-ne-sais-quoi qui incite à la prudence. On l’imaginait pratiquer un sport de combat plutôt méchant. Un signal d’appel indiqua qu’un troisième interlocuteur souhaite se joindre à eux. - C’est Oria, j’accepte l’appel, elle va se joindre à la conversation, précisa aussitôt Sarian. - Ici Oria. Avez-vous vu le journal de 19h30, sur la 3 ? - Oui, répondit Darin. - Affirmatif, compléta Sarian - Votre avis ? Interrogea la jeune femme. - Il va falloir resserrer la surveillance, car il y a de fortes probabilités que nos ennemis aient identifié le gamin. Fit Sarian - Je vous l’avais bien dit : nous aurions dû installer des écoutes chez lui pour prévenir ce genre de situation. Tenu à faire remarquer le dénommé Darin. Ce point avait fait l’objet de nombreuses discussions entre les différents membres de l’équipe, mais c’était finalement la prudence de Sarian qui l’avait emporté, outre le fait qu’il était le supérieur hiérarchique des deux autres. - C’eût été prendre le risque que les micros soient détectés en portant l’attention sur lui et d’être repéré par l’équipe adverse, rétorqua Sarian. Nous en avons déjà discuté. - Oui, c’était un risque que nous n’avons pas voulu prendre, maintenant il faut gérer la situation. Nous ferions peut-être mieux d’agir de manière préventive et de l’extraire ? proposa Darin, plutôt partisan de l’action immédiate. - Ce n’est pas du tout certain qu’il ait été identifié. Il est juste apparu quelques secondes dans un plan large au milieu d’un journal télévisé. Ce n’est peut-être pas suffisant pour des logiciels de surveillance à partir de données morphologiques. Intervint Oria. - Eh bien, je ne parierais pas là-dessus. Dans tous les cas, il faut absolument détruire les épreuves de tournage du tournage afin qu’il n’y ait pas d’autres diffusions plus compromettantes, rétorqua Darin. - Oria, tu peux t’en occuper ? interrogea Sarian - Oui. Dès cette nuit, j’irai discrètement détruire tout ce que je trouve. Répondit la jeune femme. - N’utilise pas de technologies sophistiquées, si nos ennemis ont repéré la diffusion ils vont s’attendre à une intervention de notre part et pourraient détecter ton équipement. Répondit Sarian. - OK, je vais m’équiper comme les locaux, mais je prends quand même de quoi me défendre en cas de souci : lame en Arkrit et pulseur - D’accord, préviens-nous dès que c’est fait, demanda Sarian - D'accord. À demain soir. De mon côté, je vais me rapprocher du gamin au cas où, compléta Darin - Tu as raison, mais fais attention qu’il ne remarque pas ta présence et utilise de la technologie locale. On a déjà eu assez de soucis avec les Autochtones qui deviennent de plus en plus soupçonneux. Bonne chance à vous deux, conclut Sarian. - Supprimer quelques fichiers informatiques dans une zone faiblement sécurisée ne devrait pas être une mission trop dangereuse. Je vous rappelle cette nuit. S’amusa Oria en raccrochant. - Ne t’inquiète pas, tout se passera bien. Ajouta Darin avant de couper la communication, l’air très préoccupé. La jeune femme resta un moment immobile, le téléphone à la main, et semblait, elle aussi, soucieuse. Elle paraissait avoir une petite trentaine d’années, athlétique, un mètre soixante-quinze ou seize, un visage fin et énergique, blonde, aux yeux d’un bleu cobalt qui laissaient perplexes ses interlocuteurs sur ses origines. Elle ne paraissait pas dangereuse, au premier regard, comme les deux hommes, mais avait le regard décidé des personnes qui ne laissent rien entraver leur destin. La fluidité de ses mouvements, lorsqu’elle avait rangé son téléphone portable, trahissait une longue pratique d’un art martial. Oria vivait également à Paris depuis de nombreuses années à proximité de la Place de la Nation, non loin de chez Paul. Elle se prépara pour l’opération qui devait l’amener à pénétrer par effraction dans les locaux de la chaîne locale. Entrer ne devrait pas lui poser trop de problèmes, mais retrouver les fichiers du tournage risquait d’être un peu plus ardu. Elle serait peut-être obligée de contraindre un employé de la chaîne à la conduire dans le local des serveurs vidéo. Une complication de plus, car il faudrait ensuite effacer toute trace de son passage. * Les trois semaines suivant la diffusion du reportage se déroulèrent sans incident notable dans l’entourage de Paul. Il y eut juste une information de presse relatant une effraction dans les bureaux d’une chaîne régionale et le sabotage de plusieurs serveurs vidéo, détruisant par la même de nombreux rushs dont ceux du tournage dans l’école. L’action n’avait pas été revendiquée et personne ne comprenait les motivations d’un tel acte. Les élèves avaient très vite oublié cet incident et se concentraient essentiellement sur leurs études en attendant les vacances de Pâques qui arrivaient à grands pas. Paul avait cependant eu plusieurs fois le sentiment d’être observé, mais il n’avait repéré personne de suspect autour de lui. Une fois, cependant, il avait eu l’impression de reconnaître un homme d’allure sportive lorsqu’il se rendait à ses cours du matin, mais il y avait tellement de gens qui faisaient un footing avant d’aller travailler, qu’il lui fût très difficile d’affirmer que l’individu l’observait ou le suivait. C’était peut-être tout simplement quelqu’un qui avait les mêmes horaires que lui. Combien de fois avons-nous remarqué les mêmes personnes aux mêmes heures dans des transports en commun, sans pour autant être suivis. L’adolescent essaya d’oublier ses craintes légèrement paranoïaques et il se sentait un peu stupide si bien qu’il n’en parla ni à Stéphanie ni à Alex. Le dernier jour de cours arriva enfin et la sonnerie du lycée entérina le début des vacances de printemps. Tous les adolescents quittèrent leurs classes dans un désordre apparent, mais tous savaient que le bac se profilait dans moins de quatre mois et ces congés seraient le calme avant la tempête. Nombre d’entre eux n’avaient d’ailleurs pas prévu de partir et comptaient profiter de cette pause pour réviser le programme du début d’année. D’autres, peut-être plus insouciants ou avec une autre stratégie, prévoyaient de recharger leurs batteries avant le round final. Quoi qu’il en soit, tous se souhaitèrent de bonnes vacances, qu’elles soient studieuses ou réparatrices. Un petit groupe d’amis se maintint néanmoins à l’écart quelques minutes, le temps de se coordonner une dernière fois sur le rendez-vous du soir puis la petite bande se sépara. La majorité des jeunes gens se dirigea vers les transports en commun : métro ou tramway alors que Paul repartait seul à pied en songeant à la surprise qu’il allait faire à Stéphanie. Le garçon avait organisé une fête pour l’anniversaire de son amie et lui avait présenté la soirée comme une simple petite surprise-partie entre copains. Il rentrait chez lui d’un pas rapide lorsqu’il eut soudain la désagréable impression d’être surveillé. Une sorte de sixième sens avait déclenché un frisson qui se répandait de haut en bas de son échine. Il balaya des yeux l’espace environnant avec attention, mais malgré des coups d’œil réguliers à droite et à gauche, il ne put repérer quoi que ce soit d’inhabituel. Il ressentait néanmoins une sorte de malaise diffus qu’il connaissait bien depuis quelque temps et qui lui avait souvent permis d’anticiper les ennuis. Ce fut donc avec une angoisse larvée qu’il se pressa de rentrer pour préparer la salle de réception de la résidence qui serait, pour la soirée, transformée en boîte de nuit miniature. Il s’engouffra rapidement dans le vaste jardin, derrière une vieille dame habitant son immeuble, et la salua rapidement. Il avait déjà disparu derrière le bâtiment lorsqu’elle parvint à bredouiller un bonsoir jeune homme. Après avoir avalé un goûter frugal au domicile de ses parents, Paul récupéra les clés de la salle commune auprès du gardien qui lui répéta une énième fois les règles de bruit régissant la résidence arborée. Paul sourit, car il les connaissait parfaitement, mais savait aussi qu’il serait très difficile de les respecter avec une troupe de jeunes débridés qui allaient danser jusque tard dans la nuit. Un petit groupe d'amis, parmi les plus proches, le rejoignirent quelques minutes plus tard avec les éléments indispensables à une surprise-partie réussie : matériel hi-fi, luminaires et bien entendu quelques boissons alcoolisées. Tout ce petit monde s’affaira le mieux possible pour transformer la salle en lieu de fête. Les premiers participants commencèrent à arriver vers 20h30. Paul avait dit à Stéphanie que la soirée commencerait à 21h et presque tout le monde était déjà sur place lorsque la jeune femme arriva pour découvrir tout le groupe entonner avec entrain un « happy birthday to you ». L’ambiance de la soirée était débridée, mais respectueuse. Quelques bouteilles de vodka et de gin circulaient, mais Paul veillait au grain afin qu’il n’y ait pas de débordement. Ses parents résidaient juste en face du jardin intérieur de la résidence et tout problème aurait trouvé une solution rapide et définitive : la fin de la fête. Vers 22h, Paul lança la séance cadeau. La plupart des jeunes gens s’étaient cotisés pour offrir à Stéphanie un superbe maillot de bain, connaissant tous son sport préféré. Après que les naturelles demandes d’essayage eussent toutes été refusées avec un sourire, par la jeune fille, Paul put lui présenter son cadeau : la semaine à Marrakech. Sous le coup de l’émotion, elle se jeta littéralement dans les bras de son amant, les larmes aux yeux, déclenchant l’ovation de tous leurs amis. Savoir qu’elle avait, en plus, l’assentiment de ses parents confortait son choix d’adolescente et la rapprochait encore plus du garçon. De son côté, le jeune homme ressentait de la fierté et de la satisfaction de voir sa compagne, rayonnante, virevolter au milieu de la salle transformée pour l’occasion, en piste de danse. La soirée se prolongea jusqu’à deux heures du matin sans incident malgré le niveau sonore un peu élevé pour une résidence d’ordinaire plutôt calme. Stéphanie exultait à l’idée de cette semaine à Marrakech et elle réfléchissait déjà à la préparation de ses affaires de voyage. Paul la raccompagna chez elle, de l’autre côté de la grande place parisienne et, après un long baisé passionné, repartit en petites foulées à son appartement. La sensation de l’après-midi ressurgit soudainement et lui glaça le sang. Un mince filet de sueur coula le long de son dos lorsqu’il entraperçut, de nouveau, l’inconnu. Cette fois-ci, il ne pouvait plus être question de footing à 2h20 du matin. Il voulut aborder l’homme, mais celui-ci bifurqua en direction de l’avenue de Saint-Mandé, à l’opposé de sa destination. Impossible d’affirmer avec certitude que l’inconnu le suivait, même si la coïncidence apparaissait très improbable. Paul rentra chez lui en accélérant, un peu perturbé, ne sachant plus que penser de la situation. Il réfléchissait à toute vitesse, mais ne voyait vraiment aucune raison de se sentir en danger et finit par conclure à une coïncidence. Puis le départ le lendemain matin accapara son esprit et il se promit d’y repenser à son retour du Maroc. * Chapitre 4 Le radioréveil de Paul se déclencha, mais, bien que n’ayant dormi que quatre heures, l’adolescent ne se sentait pas fatigué. La douche et le petit-déjeuner furent expédiés rapidement et il salua son père et sa mère avant de se rendre chez Stéphanie. Le temps de rassurer, une dernière fois, les parents de celle-ci et de prendre la valise de la jeune fille, ils filaient déjà vers la station de taxis du Cours de Vincennes. Malgré ce jour de départ en vacances, la circulation vers l’aéroport d’Orly Sud était fluide et dans le véhicule, les adolescents étaient tout excités à l’idée de leurs premières vacances ensemble sans les parents de l’un ou de l’autre. À l’aide de la tablette de Stéphanie, ils passèrent en revue les différentes activités proposées par leur club sur le site internet. Paul repensa brièvement à l’inconnu du soir précédent, mais son attention fut rapidement accaparée par sa compagne qui découvrait avec ravissement les activités du club de vacances. Ils avaient prévu suffisamment de marge pour attraper le vol AT749 de la Royal Air Maroc de 12 h 15, car le taxi les déposa à 9h47, ce qui leur laissait largement le temps de flâner dans les magasins détaxés. Paul avait toujours la curieuse sensation d’être surveillé et le souvenir de l’individu de la veille au soir, associé à la lecture récente d’un roman d’espionnage, n’était peut-être pas étranger à cette légère paranoïa. Néanmoins, il n’avait remarqué personne qui sembla les suivre. Je dois me faire des idées. Qui pourrait s’intéresser à un étudiant de dix-huit ans et à sa petite amie en partance pour l’Afrique du Nord ? Pensa-t-il L’heure de l’embarquement approchait et le couple d’adolescents rejoignit le terminal d’embarquement juste à temps : l’hôtesse commençait l’appel par les numéros de 1 à 30. Ils se préparèrent donc à monter à bord, mais, mû par une subite intuition, l’adolescent se retourna avant d’entrer dans le tunnel d'embarquements et aperçut le visage de l’homme repéré plusieurs fois ces dernières semaines. Cette fois-ci, ce ne pouvait plus être une coïncidence. Il n’en parla pas à son amie afin de ne pas l’effrayer, mais il était inquiet et intrigué à la fois. Le temps de s’installer à bord de l’appareil, la jeune femme qui le connaissait bien s’aperçut que quelque chose n’allait pas. - Que ce passe-t-il ? Je te trouve bizarre depuis que nous avons embarqué ? l’interrogea-t-elle. - C’est l’excitation du voyage. C’est la première fois que nous partons tous les deux à l’étranger, et n’oublie pas que je suis responsable de toi. Lui répondit-il en déposant un baiser sur ses lèvres. Décidément, ce voyage aura été l’occasion de lui mentir, songea-t-il. Il tenta d’oublier l’inconnu en se focalisant avec sa compagne sur le programme de la quinzaine : piscine, visite de la médina, promenade à cheval et quad faisaient partie des projets envisagés. La jeune femme ne tarda pas à s’endormir sur son épaule, fatiguée par la courte nuit de sommeil pendant que Paul cherchait à vérifier si l’homme était à bord, mais, malgré ses efforts, il ne parvint pas à le repérer. Deux heures trente, plus tard, l’Airbus A321 se posait à l’aéroport de Marrakech. L’avion était plein et le passage en douane fut un peu fastidieux. L’inconnu semblait s’être volatilisé et Paul finit par penser qu’il n’avait pas embarqué dans le vol de la RAM. Après avoir récupéré leurs bagages, les deux jeunes gens se dirigèrent vers le bus affrété par leur club où ils retrouvèrent d’autres vacanciers. Ils durent encore patienter de nombreuses minutes que tous les résidents soient montés à bord pour que celui-ci les conduise à la palmeraie de Marrakech. Les formalités d’arrivées furent rapidement expédiées et les deux adolescents purent prendre enfin possession de leur chambre. À peine installée, Stéphanie voulut aller se baigner et ils allèrent nager et batifoler amoureusement dans la grande piscine. Paul restait encore préoccupé par la présence de l’homme aperçu à l’aéroport. Il ne l’avait pas vu pénétrer dans l’avion, mais sa présence dans le tunnel d’embarquement ne laissait que peu de doute sur sa destination. Il réussit cependant à se détendre en évacuant ce souci de son esprit. Il eut pourtant été inspiré de scruter plus attentivement son environnement, car l’homme logeait, lui aussi, dans le même hôtel club qu’eux et les surveillait discrètement à distance. - Stéphanie, si nous allions découvrir les activités pour demain ? proposa Paul, qui commençait à se lasser de bronzer et de multiplier les allers-retours dans la piscine. - Bonne idée. Je ferai bien une promenade à cheval demain matin avant qu’il ne fasse trop chaud. Ils se rendirent au bureau des activités et s’inscrivirent à une promenade pour le lendemain, de 9h à midi. Pendant tout le trajet jusqu’à l’accueil, Paul n’avait pu se départir d’un sentiment de danger. Il ressentait cette impression trop souvent ces derniers temps, mais ne souhaita pas se confier à son amie, de crainte de l’effrayer. - Il est déjà 19h ! Allons nous changer pour le dîner. Proposa la jeune fille qui, en adolescente coquette, voulait se faire belle pour son amant. Après un dîner sans surprises, servi autour d’un large buffet, les deux jeunes gens dégustèrent un thé à la menthe au bar de la piscine. - Tu veux aller faire un tour à la discothèque ? L'interrogea le garçon. - On peut y passer un moment, mais pas trop longtemps, car nous montons à cheval demain matin tôt, répondit sa compagne, le sourire aux lèvres. La discothèque était un peu à l’écart afin que le bruit ne dérange pas les clients du club de vacances. Il n’y avait pas foule pour ce premier soir et il semblait évident que la majorité des nouveaux arrivants aient préféré se coucher tôt. Paul et Stéphanie décidèrent donc de rentrer dans leur chambre et la jeune femme passa sa main sensuellement sur son amant, signifiant sans ambiguïté qu’elle avait à l’esprit un programme plus personnel que celui proposé par le village. En repassant près du bar de la piscine, Paul eut un nouveau choc en croyant reconnaître une autre personne en train de boire un café. Comme avec l’inconnu de l’aéroport, et malgré son excellente mémoire, il ne se souvenait pas précisément où il aurait pu voir cet homme. Mais cette fois-ci, il en était sûr, il l’avait également croisé dans les dernières semaines et, assurément, plusieurs fois. Un frisson lui hérissa l’échine en s’éloignant du bar. L’inconnu ne lui avait pourtant pas accordé la moindre attention. - Stéphanie, aurais-tu déjà aperçu cet homme avec la chemisette bleu clair au bar ? demanda-t-il en commençant à s’interroger sérieusement. - Non jamais. Pourquoi ? Tu penses le connaître ? lui répondit la jeune fille après s’être retournée discrètement. - Non, mais je crois l’avoir déjà vu. Depuis quelque temps, j’ai l’impression d'être suivi, avoua le garçon. - Tu deviens paranoïaque, ma parole rit-elle. Mais c’est que tu as l’air sérieux ? continua-t-elle, soudain alertée par l’air soucieux de son compagnon. - Ce doit être la fatigue du voyage, ne t’inquiète pas, lui répondit le jeune homme préoccupé, se retournant une dernière fois pour observer l’inconnu. Le trajet jusqu’à leur chambre se fit en silence, car Paul était perturbé par la sensation de danger toujours omniprésente. Ce fut Stéphanie qui se chargea de lui faire oublier ses inquiétudes, du moins temporairement. Après une joute amoureuse passionnée, la jeune fille s’endormit rapidement, mais l’adolescent resta éveillé un long moment en cherchant à se souvenir où il aurait bien pu voir l’homme du bar. Le sommeil eut cependant raison de ses craintes et la nuit se déroula sans incident. * Le soleil était levé depuis longtemps et, lorsqu’il ouvrit l’œil, il était déjà presque 8h. - Ma puce, il est l’heure de se préparer si tu veux avoir le temps de prendre ton petit-déjeuner, fit-il, en déposant un baiser dans le cou de sa compagne. Si le jeune homme était frais et dispos, comme à son habitude, la jeune fille mit un peu plus de temps à émerger. - Est-il possible de se faire servir le petit-déjeuner dans la chambre ? s’enquit l’adolescente en lui rendant son baiser. - Je ne crois pas. C’est un hôtel-club : il faut aller au buffet. - Prenons notre douche ensemble, nous serons prêts plus rapidement, proposa malicieusement Stéphanie. Ce n’était pas vraiment le meilleur moyen de gagner du temps, mais, assurément, le projet avait l’assentiment du jeune homme. Le petit-déjeuner au buffet fut une formalité vite expédiée, car l’heure avançait. Il ne leur restait que dix minutes pour finir de se préparer et se rendre à l’accueil pour attraper le minibus qui les emmènerait au club d’équitation. Dans la navette, il y avait déjà cinq personnes : deux couples et une femme seule. Celle-ci attira immédiatement l’attention de Paul : elle avait quelque chose de curieux et de fascinant dans le regard. Paul mit un moment à comprendre ce qui l’avait attiré chez elle : ses yeux ! Ils étaient exactement de la même couleur que les siens ! Un bleu cobalt intense légèrement teinté de gris. Une couleur rarissime qui faisait, en grande partie, l’attirance du garçon et qui lui avait valu un surnom de bourreau des cœurs malgré sa fidélité à Stéphanie. - Paul regarde cette femme, elle a les yeux de la même couleur que toi ! s’exclama la jeune fille. - Oui, j’ai remarqué, c’est la première fois que je rencontre quelqu’un qui a les yeux de cette couleur. - Ne la dévisage pas comme cela, c’est impoli pour elle comme pour moi ! fit-elle. - Excuse-moi, mais c’est tellement troublant. Le jeune homme détourna à regret les yeux de l’inconnue. J’aurai bien l’occasion de lui parler et d’en apprendre plus sur elle, si elle réside dans notre club, pensa-t-il. Le trajet jusqu’au centre équestre fut rapide et leur donna l’occasion de découvrir l’étendue de la Palmeraie. Paul n’eut plus l’occasion de croiser le regard de l’inconnue, mais son esprit restait focalisé sur la couleur de ses yeux. Qui était cette femme ? Arrivé au centre équestre, un accompagnateur les guida près des chevaux et leur attention se focalisa sur les montures et les équipements. Les deux adolescents montaient assez souvent à cheval, car les parents de Paul possédaient deux chevaux andalous appelés également Pure Race Espagnole. Ils possédaient ces chevaux depuis dix ans et les montaient régulièrement le week-end. L’inconnue de la navette les avait suivis et demanda une monture calme. Je ne monte pas très bien, précisa-t-elle. Le son de sa voix troubla Paul presque autant que la couleur de ses yeux. Elle avait un accent indéfinissable qu’il ne parvint pas à identifier bien qu’il parle déjà couramment quatre langues et ait de bonnes notions de plusieurs autres. Aussitôt équipé, le groupe prit la direction du sud-est vers le Moyen Atlas. Le guide avait naturellement pris la tête et avait demandé à la jeune femme débutante de se placer derrière lui. Paul se retrouvait en sixième position derrière Stéphanie et un couple d’âge mûr. D’où vient-elle ? pensa-t-il. Il semblait fasciné par cette jeune femme sans en comprendre la raison. Une obsession inconsciente comparable à la crainte ressentie la veille en passant devant le bar. Mes sens me jouent des tours ces temps-ci. Allons ! Ressaisis-toi, songea-t-il. La promenade se déroula sans incident, mais Paul, à son grand dam, n’eut aucune occasion de se rapprocher suffisamment de l’inconnue pour lui parler. Le petit groupe se dirigeait vers la navette et il s’interrogeait toujours sur le moyen de l’aborder sans froisser son amie ni paraître impoli, lorsque l’un des couples lui offrit une solution sur un plateau en leur faisant une proposition : - Nous fêtons nos vingt ans de mariage avec ma femme et souhaiterions vous inviter à l’apéritif ce soir Le second couple répondit positivement et l’inconnue confirma également sa présence avec sa voix à l’accent étrange. - Nous viendrons avec plaisir, accepta Paul un peu précipitamment sous le regard légèrement courroucé de son amie, qu’il n’avait pas consultée, préalablement. - Et bien, c’est parfait, précisa le couple. On se retrouve tous au bar à 19h30 ? Tout le monde acquiesça et monta dans le bus. Les conversations privées reprirent après un bref échange sur la promenade et les comparaisons sur les chevaux et les équipements sans que Paul ait pu parler avec l’inconnue qui s’était allongée sur deux sièges au fond du minibus. Du coin de l’œil, Paul aperçut qu’elle tenait un téléphone mobile et semblait en pleine conversation. Malgré toutes ses tentatives, il ne put rien entendre et ce fut Stéphanie qui interrompit sa concentration. - Tu ne voulais pas faire un massage à 19h ? lui demanda-t-elle. - Si, mais nous irons demain. Cet apéritif est l’occasion de faire connaissance avec d’autres personnes du club, rétorqua Paul, l’air distrait. - Oui et pour échanger sur la couleur des yeux …, glissa son amie, d’un air polisson. - C’est vrai que je suis intrigué et je voudrais bien en savoir plus sur cette femme, répondit-il, un peu sur la défensive. - Plus jusqu’à quel point ? ironisa la jeune fille avec un sourire ingénu, accentué par ses fossettes. - Mais non, c’est juste que je me demande bien d’où elle peut venir, je n’ai jamais entendu quelqu’un parler avec un tel accent, fit Paul faussement offusqué. - Tu n’as pas visité le monde entier non plus…, argumenta Stéphanie ironiquement. - C’est vrai, mais tu sais que je passe beaucoup de temps devant les chaînes étrangères même si je ne comprends pas tout. - Après tout, ce n’est que pour l’apéritif et ils ont l’air sympa, ces gens. Conclut l’adolescente avec une moue faussement boudeuse. Le sujet fut vite épuisé, mais Paul restait obnubilé par l’inconnue et il était impatient d’être à l’heure de l’apéritif. Après quelques minutes de trajet, la navette déposa tout le groupe à l’entrée du club de vacances et les deux jeunes gens prirent la direction de leur chambre pour se changer et faire quelques longueurs de piscine avant le déjeuner. - Ils étaient endurants, ces petits chevaux. Lui fit remarquer Stéphanie, en ouvrant la porte de la chambre. - Quoi ? Ah oui, répondit Paul, le regard dans le vague. - Tu penses encore à cette femme ? lui demanda-t-elle. - Non, j’ai juste un peu faim, lui mentit le garçon. Le temps d’enfiler un maillot de bain et le jeune couple était en train d’enchaîner les longueurs. Enfin surtout Paul, car il semblait à peine fatigué après ces trois heures d’équitation et il venait déjà de parcourir presque deux cents mètres en crawl. La jeune fille s’était installée sur une chaise longue et admirait son amant qui nageait sans effort. Stéphanie pratiquait pourtant la natation, mais ne parvenait pas à le suivre en endurance. La faim eut raison de la baignade et l’adolescent sortit prestement de l’eau, sans paraître essoufflé. La nage lui avait un peu vidé l’esprit, mais la curiosité envers la jeune femme revint en même temps qu’il s’allongeait sur un transat pour se sécher. - Tu donnerais des complexes à n’importe qui, tu ne sembles jamais fatigué, lui fit remarquer Stéphanie, qui s’entraînait pourtant depuis plusieurs années. - Détrompe-toi, j’ai un peu mal dans les bras, mais cela passera très vite. Allons manger. Je meurs de faim, proposa-t-il. - Tu crois qu’elle est venue seule ? répondit-elle, les yeux dans le vague. - Qui ? S’enquit-il intrigué par l’intérêt de la jeune femme - Allons, ne fais pas l’innocent. L’inconnue aux yeux bleus, voyons. Stéphanie avait envie de taquiner un peu son amant et l’occasion était trop belle pour la laisser passer. Une manière également de se rassurer sur son attachement envers elle peut-être ? - Je n’en sais rien, mais une jolie femme comme elle ne doit pas être seule. Paul fut rapidement sur la défensive, car il ne comprenait pas bien la motivation de son amie à aborder ce sujet. L’attitude de son amant et ses paroles hésitantes confortaient l’adolescente dans son jeu et elle prenait un malin plaisir à prolonger cette provocation. - Tu la trouves jolie ? ajouta-t-elle. - Ah ! Voilà le fond de la question. Sourit-il, croyant avoir décelé de la jalousie. - Tu n’as pas répondu, insista la jeune fille, l’air mi-figue mi-raisin. - Je lui trouve beaucoup de charisme pour une personne de son âge. Elle dégage surtout une sorte d’autorité naturelle plutôt étonnante pour une jeune femme, peut être liée à son regard… tenta Paul, ne sachant plus trop comment changer de conversation. - C’est de l’autosatisfaction, ajouta malicieusement l’adolescente, en dodelinant de la tête. - Steph ne commence pas. Cette femme m’intrigue, rien de plus. Elle doit avoir pas loin de trente ans et ne s’intéresse certainement pas à moi. Par ailleurs, je songe qu’elle pourrait avoir un lien avec mes parents biologiques. Paul avait enfin avoué consciemment ce qui semblait l’attirer chez l’inconnue. Stéphanie fut totalement prise au dépourvu par sa réponse, car elle n’avait pas du tout imaginé cette hypothèse, malgré la similitude de ce signe distinctif. - Ce serait un hasard incroyable, mais je n’y avais pas pensé, répondit-elle, à la fois songeuse et déçue de ne pas pouvoir prolonger son petit jeu. Paul avait été adopté à l’âge estimatif de douze mois et personne n’avait pu retrouver ses origines. Le bébé avait été déposé devant l’hôpital Saint-Antoine à Paris et malgré des recherches minutieuses, il n’avait pas été possible d’identifier de membres de sa famille ni de savoir comment il avait pu arriver là. Les services sociaux l’avaient pris en charge et une procédure d’adoption avait abouti à l’arrivée de Paul dans la famille Delavigne. Dans l’entourage du jeune homme, Stéphanie était la seule à être informée, même ses plus proches amis et les parents de la jeune fille l’ignoraient. Le jeune homme n’avait jamais cherché particulièrement à connaître ses origines, mais la simple couleur des yeux d’une inconnue venait soudain d’éveiller un sentiment de manque, enfoui profondément dans son esprit. L’idée que l’inconnue puisse être de sa famille hantait Paul depuis qu’il avait vu la couleur de ses yeux. Comment aborder ce sujet avec elle sans être ridicule, elle ne doit pas du tout s’intéresser à moi, songea-t-il Le garçon se trompait totalement, car l’inconnue le surveillait étroitement. Elle était d’ailleurs, au même instant, en communication avec quelqu’un qui prenait de ses nouvelles. - Contact établi facilement. Je devrais pouvoir lui parler dès ce soir sans éveiller ses soupçons, affirma la jeune femme aux yeux bleus. - Parfait, Oria. Ne le lâchez pas. À vous trois, vous pourrez vous relayer pour le surveiller. - Il va falloir être discret Sarian, je crains que Darin n’ait été repéré à l’aéroport d’Orly. Lui annonça la jeune femme. - Qu’est-ce qui te fait dire ça ? répondit son interlocuteur, soudain alerté. - Je l’ai observé dans le hall de l’aéroport et tout indique qu’il a été intrigué par Darin. Il l’a peut-être déjà aperçu à Paris et l’aura reconnu. Le retrouver à l’hôtel pourrait l’inquiéter et produire l’effet inverse à celui désiré. - Tu aurais dû le signaler plus tôt, j’aurais envoyé Telius pour le relever. Regretta Sarian, légèrement contrarié. - Ce n’est pas très important tant que nous restons en observation. Ce serait plus gênant si nous devons l’extraire en urgence. De toute façon, nous n’avons pas le choix, il vaut mieux que notre équipe d’intervention soit au complet en cas de complications, rétorqua Oria, tentant de minorer le problème. - De toute manière, je ne crois pas que nous risquions grand-chose, à court terme. Il n’y a visiblement pas eu assez d’images diffusées pour éveiller l’attention de nos ennemis sinon ils auraient déjà réagi. Affirma l’homme sans y croire totalement. - Tu as probablement raison, mais restons quand même sur nos gardes Oria gardait un œil sur Paul craignant une mauvaise surprise, car elle avait perçu dans le ton de Sarian que celui-ci semblait craindre des complications. Et pour corroborer ses soupçons, celui-ci ajouta : - Rassure-toi, j’ai préparé un plan d’extraction par précaution, rappelle-moi après la prise de contact. À ce soir. - OK à ce soir Sarian. La jeune femme coupa la communication et alla tranquillement s’installer à une table, au restaurant de la piscine non loin des deux jeunes gens. Sa position, à l’écart, lui permettait de les surveiller sans en avoir l’air et ils ne remarquèrent d’ailleurs pas sa présence. Le restaurant bordait la piscine en forme de pyramide tronquée, coupée à sa base par une avancée comportant une fontaine jaillissante. De l’autre côté du bassin, de nombreux transats étaient disposés sur une plage artificielle donnant sur un vaste jardin arboré planté de palmiers. Darin et un autre homme s’y étaient installés et pouvaient couvrir du regard la totalité du restaurant. Totalement inconscients du manège qui se jouait autour d’eux, Stéphanie et Paul déjeunaient tranquillement en marchandant le programme de l’après-midi. La jeune femme négociait pour faire une visite du souk alors que Paul argumentait pour une balade en quad. - Je suis un peu fatiguée pour faire du quad, mais j’aimerais bien visiter le marché aux bijoux, minauda la jeune femme avec un regard enjôleur. - Ah! c’est donc une question vitale, sourit le jeune homme, pas dupe, une seconde, de l’objectif de son amie. - C’est le cas, il me faut une bague en argent ! argua, charmeuse, Stéphanie. - Allons pour le souk alors, mais après 15h, que la chaleur soit plus supportable. Avant, je souhaiterais lire un peu au bord de la piscine, parvint à lui opposer l’adolescent. - OK, cela me fera du bien de me reposer aussi avant d’arpenter la médina et demain on fera une promenade en quad, d’accord ? ajouta-t-elle. - Matin ou après-midi ? proposa le garçon, vaincu. - Décide, j’obéis, répondit Stéphanie, magnanime, avec un sourire. - Matin, alors, choisit Paul, qui songeait qu’il serait plus agréable de se garder l’après-midi au bord de la piscine. - Deal, conclut-elle en déposant un baiser furtif sur les lèvres de son amant. Le déjeuner terminé, les adolescents s’installèrent sur des chaises longues de l’autre côté de la piscine. Oria n’avait pas bougé, car les jeunes gens étaient restés dans son champ de vision, mais ses deux amis avaient discrètement migré vers le bar jouxtant le restaurant, en contournant la piscine par le sens opposé. Ils avaient pris soin de ne pas être repérés par Paul, qui semblait avoir oublié temporairement ses angoisses de la veille. L’adolescent refit quelques longueurs en crawl et après s’être séché proposa à sa compagne d’aller se changer pour se rendre dans le centre de Marrakech. Un minibus faisait régulièrement la navette entre le club de la palmeraie et la place Jemâa el Fna, porte d’entrée de la médina légendaire de la ville touristique marocaine. De nombreux membres du club attendaient déjà dans le minibus et les adolescents ne purent s’asseoir côte à côte. Paul se retrouva installé à côté d’une octogénaire qui accompagnait son fils et sa belle-fille pour une semaine de vacances. Il eut le droit à l’histoire de la vieille dame pendant tout le trajet, sous le regard amusé de Stéphanie qui observait le manège. Cet intermède permit au moins à Paul d’oublier ses craintes, car il n’eut pas une minute pour vérifier s’ils étaient suivis. Il dut encore patienter que la vieille dame descende du bus pour, enfin, retrouver son amie qui pouffait ouvertement devant sa mine déconfite. Il avait à peine eu le temps d’apercevoir la Koutoubia sur la droite en arrivant. Le bus les avait déposés au terminus Arset El Bilk juste en face de la célèbre place. - Elle était charmante, mais je croyais ne jamais pouvoir l’arrêter. Elle m’a raconté son histoire depuis son enfance pendant la guerre de 1940, lâcha Paul, soulagé d’être arrivé. - Je m’en doutais à la voir te parler sans interruption, tu semblais dépassé par la situation, s’amusait la jeune femme. - Eh bien! espérons que je ne l’aurai pas, de nouveau, au retour, soupira-t-il. Bien, allons-y. Je crois que l’entrée est par là, ajouta-t-il en se dirigeant au nord-ouest de la grande place. Les deux adolescents découvraient le lieu pour la première fois et étaient fascinés par la foule bigarrée. On y trouvait des marchands de fruits secs, de sandwich, des amuseurs de rues, des charmeurs de serpents, etc. Stéphanie se mit soudain à crier lorsque l’un d’entre eux déposa délicatement un jeune boa sur son épaule. Le contact froid du reptile la fit frissonner sous le regard amusé de son compagnon qui prenait sa revanche sur l’épisode du bus. Après s’être frayé un chemin dans cette ambiance colorée, les deux jeunes gens entrèrent enfin dans le souk sans remarquer que deux hommes les suivaient à bonne distance, séparés chacun de quelques mètres. Ils échangeaient régulièrement des mots brefs à travers leurs oreillettes, ou ce qui semblait être des oreillettes de téléphones portables. Ils étaient descendus d’un taxi quelques secondes après l’arrivée des adolescents sur la place Jemaâ el-Fna et ne les perdaient pas de vue. Cette fois-ci, Paul ne ressentit aucune sensation de danger bien que les deux hommes se soient rapprochés afin de ne pas les perdre dans le dédale de ruelles du souk marocain. C’est donc sans appréhension que les deux adolescents continuèrent leur promenade après avoir demandé plusieurs fois leur chemin et éconduit de nombreux guides qui se proposaient de les piloter dans la médina. Le souk de Marrakech était divisé en plusieurs secteurs qui regroupaient chacun les artisans de différentes natures : cuirs, bijoux, vêtements, etc., et il n’était pas toujours facile de s’y repérer la première fois. Les parents de Paul, qui connaissaient bien la ville, les avaient avertis d’éviter de se faire accompagner par un guide. Ceux-ci proposaient leurs services gracieusement, mais les orientaient vers les boutiques où ils touchaient un pourcentage sur les ventes. Cela augmentait d’autant le prix des objets achetés et leur laissait moins de latitude pour marchander. De plus, les adolescents souhaitaient se promener au gré de leurs envies sans, spécialement, être guidés. À force de ténacité, Paul et Stéphanie se retrouvèrent enfin dans le quartier des bijoutiers. La jeune fille voulait un bijou en argent pour marquer le souvenir de ce voyage avec son amant et le garçon n’était que trop heureux de pouvoir, dans la mesure de ses moyens, lui offrir un cadeau si personnel. Ce fut donc le début d’un long périple de boutique en boutique. - Paul regarde cette bague. - Un peu grossière à mon goût. Tu devrais essayer quelque chose de plus élégant, car, sortit du contexte, il faut imaginer la porter à Paris. - Tu as raison, celle-ci est plus fine. Répondit l’adolescente - Celle-là aussi est jolie, tu ne trouves pas ? lui proposa-t-il en désignant un modèle plus ouvragé. La sélection prit plus de temps que prévu et, après avoir visité huit échoppes, la jeune fille n’avait toujours pas arrêté son choix. Heureusement pour le garçon, la neuvième boutique renfermait enfin une bague qui convenait à Stéphanie. Restait à trouver le diamètre adapté à son doigt. Le commerçant n’en possédait pas en stock, mais ce ne fut pas un souci, car il envoya immédiatement son fils en chercher une, de la bonne taille, chez le fabricant tout proche et la jeune fille se vit offrir le bijou tant désiré. Maintenant que la bague tant désirée avait été enfin dénichée, le jeune couple continua à déambuler pendant plus d’une heure dans le souk, achetant quelques objets en cuir, une écharpe en coton et une veste en peau pour Paul. Durant leurs pérégrinations, les deux hommes qui les suivaient ne les avaient pas quittés des yeux, attentifs au moindre détail de leur environnement. - Nous avons bien fait de mettre une résille Kries. J’ai la nette impression qu’il ne nous a pas repérés aujourd’hui. Oria avait raison, ses facultés s’éveillent. Fit l’un d’eux. - Plutôt précoce ! Mais il fallait s’en douter. Il est issu d’une famille de psykans très puissante. Répondit le second. Stéphanie et Paul revenaient presque naturellement vers l’entrée de la médina quand l’adolescent risqua un œil sur sa montre et découvrit que le temps avait passé très vite dans cette ambiance animée. La nuit tombait doucement et la médina se modifiait au gré de la luminosité déclinante. - Il faudrait revenir à la place Jemâa el-Fna sinon nous allons rater la navette de 18h30, fit-il remarquer à sa compagne. - Tu as raison. Répondit-elle en regardant, elle aussi, sa montre. Je passerai bien encore du temps à chiner. J’ai une boulimie d’achat et j’aime vraiment ces couleurs, ces odeurs, cette ambiance. Compléta la jeune fille en soupirant d’un air repu de sensations. - Moi aussi je me plais bien ici. On reviendra demain ou après-demain si tu veux ? proposa-t-il d’un air conciliant. La place s’était illuminée et les deux jeunes gens zigzaguèrent entre les échoppes des restaurants qui commençaient à déployer les bancs et les tables pour les clients du soir. Ils atteignirent sans encombre le point d’arrêt d’Arset El Bilk, les sens saturés d’odeurs et de couleurs. La navette du club était déjà arrivée, mais cette fois-ci ils purent s’asseoir côte à côte. Paul avait évité la vieille dame qui jeta son dévolu sur une autre victime. Le chauffeur du bus patienta encore une dizaine de minutes, que tous les inscrits pour la navette soient à bord, puis s’engagea résolument dans l’avenue Mohamed V. Le minibus bifurqua, ensuite, à gauche sur la Place du 16 Novembre, prit l’avenue Hassan II puis l’avenue du 11 janvier en direction de la Palmeraie toute proche. Le minibus les déposa quelques minutes plus tard à l’entrée du site de vacances. Le temps de traverser une partie de leur club, ils furent de retour à leur chambre vers 19h10. Ni l’un ni l’autre n’avait remarqué le taxi qui les avait suivis depuis la médina et qui avait déposé deux hommes devant le club, quelques secondes après l’arrêt de leur minibus. - Je prends une douche rapidement et on va retrouver les gens du cheval ? proposa la jeune fille, le regard coquin. - Fais vite, car je voudrais en prendre une également avant de me changer et, cette fois-ci, on se douche séparément sinon nous allons vraiment être en retard, rétorqua Paul, en souriant, l’air épanoui, en se laissant tomber sur le lit, sur le dos, les bras en croix. L’adolescente rit gaiement et se hâta vers la salle de bain. Le garçon en profita pour appeler ses parents à partir de son téléphone cellulaire et leur résuma la journée. Les Delavigne étaient rassurés et satisfaits de savoir leur fils unique, heureux de son séjour avec son amie et Paul pouvait percevoir la fierté et leur joie au téléphone. Stéphanie sortit de la salle de bain alors que l’adolescent finissait sa conversation. La jeune fille prit la relève pour appeler ses parents à son tour pendant que le garçon prenait possession de la douche. * Chapitre 5 Le jeune couple était un peu en retard, mais ils n’étaient pas les derniers. - Bonsoir ! les jeunes, les accueillit le mari qui fêtait son vingtième anniversaire de mariage. Nous avons commandé du champagne rosé, cela vous convient-il ? - Vous êtes tombé pile dans nos goûts, répondit Paul. C’est notre préféré avec Stéphanie. Le troisième couple arriva et la conversation s’engagea rapidement sur la matinée à cheval puis de fils en aiguilles sur les activités à faire à Marrakech : la médina, la Menara, la Koutoubia, les jardins de Majorelle et tous les palais à visiter, etc. Paul n'y tenait plus : comment questionner la jeune femme blonde sans paraître incorrect ni contrarier Stéphanie ? se ressassait-il. À court d'idées, il se décida enfin. - Comment vous appelez-vous ? demanda-t-il abruptement à la femme aux yeux bleus cobalt. - Je m’appelle Oria, lui répondit-elle avec un sourire franc et ouvert, signifiant qu'elle ne prenait pas ombrage du côté direct de sa question. - C’est un prénom original, d’où provient-il ? Questionna l’une des femmes de la table qui avait tout entendu. - Je n’en sais rien, mes parents ne me l’ont jamais dit, ils sont morts dans un accident de voiture lorsque j’avais quatre ans, répondit la jeune femme d’un ton désinvolte. - Oh! Pardon de vous avoir remémoré ce moment pénible. S’excusa la femme brune d’un air embarrassé. - Non, ne vous excusez pas. Il y a prescription. Je me suis construite depuis le temps. Fit-elle avec un revers de main. - Si ce n’est pas indiscret, dans quel pays avez-vous grandi? Vous avez un accent que je n’ai pas pu identifier. Continua Paul, toujours très curieux sur les origines de la jeune femme aux yeux bleus. - C’est très indiscret jeune homme, répondit Oria en riant. J’ai passé mon enfance dans une petite bourgade en Australie avant d’aller étudier à Melbourne. - Vous parlez très bien français, vous l’avez étudié en Australie ? insista l’adolescent. - Oui, mais je l’ai perfectionné depuis que je suis en France. Mais cessons de parler de moi, que faites-vous dans la vie ? Vous devez être encore étudiants, je présume. Le jeune homme était frustré de ne pouvoir lui poser plus de questions, mais elle avait clairement indiqué, en retournant la conversation, qu’elle ne souhaitait pas se dévoiler plus avant. Les participants à l’apéritif-anniversaire racontèrent tous une partie de leur histoire et ce qui les avait amenés au Maroc. Finalement, rien de bien extraordinaire, mais Oria avait, de nouveau, réussi à éluder le sujet et Paul n’avait pas beaucoup progressé. En définitive, après plus d’une heure passée ensemble et trois bouteilles de champagne, Paul était un peu enivré, mais ne savait toujours rien de plus sur la jeune femme. Il brûlait pourtant d’envie d’en connaître davantage sur ses origines, mais la présence de Stéphanie avec son regard impérieux l’avait dissuadé plusieurs fois de l’interroger plus directement. Cependant cette fois-ci il ne tint plus. - Dites-moi Oria. J’ai remarqué que nous avions la même couleur d’yeux, ce qui est assez original. Vos parents, ou quelqu’un de votre famille, les avaient-ils également de cette teinte ? demanda-t-il d’un ton qu’il aurait voulu neutre, mais qui trahissait une profonde curiosité. - Paul, tu poses des questions indiscrètes, intervint Stéphanie. - Mais non. Laissez mademoiselle. Je comprends sa curiosité, je me suis également posé la même question, car il est vrai que cette couleur est inhabituelle. Pour vous répondre : non. Je ne me souviens pas que mes parents aient eu, l’un ou l’autre, cette couleur d’yeux et ma famille est très réduite. Mais vous ? Vos parents ? retourna-t-elle. - C’est un peu particulier pour moi, je ne connais pas mes parents biologiques. Avoua Paul, devant l’étonnement de Stéphanie qui ne l’avait jamais vu se dévoiler ainsi. - Oh, je ne voulais pas vous mettre dans l’embarras, s’excusa la femme blonde. - Non. Ce n’est rien. Et puis c’est moi qui ai abordé le sujet en premier…continua l’adolescent laissant sous-entendre qu’il attendait plus de précision de sa part. - Si vous voulez, nous pouvons dîner à la même table, je suis venue seule et je ne connais personne à part ce petit groupe. Suggéra la jeune femme qui changea habilement de sujet tout en offrant à Paul la possibilité de reprendre la conversation de façon plus confidentielle. - Et les autres ? demanda-t-il à voix basse, ravi de l’occasion. Oria lui répondit près de l’oreille, juste assez fort pour que Stéphanie entende : ils sont sympas, mais c’est la génération précédente non ? Les deux adolescents sourirent. C’est vrai, mais ils nous ont offert l’apéritif, releva l’adolescente. - Bon, posons-leur la question dans ce cas. Proposa Oria - S’il vous plaît ? Vous comptez aller dîner ? demanda immédiatement Paul aux deux couples. En fin de compte, l’un d’eux avait réservé une table dans l’un des restaurants à thème du club et proposa à tout le monde de les accompagner. Paul déclina poliment de même qu’Oria, mais le second couple accepta. - Eh bien bonne soirée à vous trois. Leur lancèrent-ils en se dirigeant tranquillement vers le sud du village. - Dites-nous demain si le restaurant était bon, ajouta Stéphanie - Avec plaisir leur fut-il répondu. C’est comme cela qu’Oria, Stéphanie et Paul se retrouvèrent à la même table pour le dîner dans le restaurant principal du club de vacances. À peine installé, Paul questionna Oria sur l’Australie et plus particulièrement sur le lieu de sa naissance, ses parents, sa famille, ses amis. Malgré l’avalanche de questions, qui mit un peu mal à l’aise Stéphanie, la jeune australienne répondait gentiment et tentait de lui résumer les quelques années passées près de Melbourne. Mais malgré l’importance des détails fournis, Paul restait sur sa faim, car elle n’avait dévoilé aucun renseignement susceptible de faire un lien, même tenu, avec lui. Ils ne virent pas le temps passer et il était déjà 22h30 lorsque le téléphone de la jeune femme se mit à sonner. - Désolé s’excusa-t-elle, il faut que je réponde, fit-elle en voyant le numéro d’appel. - Pas de souci, c’est normal, répondit Paul - Allo, Oria ? - Oui - C’est Sarian - J’ai vu oui. Que ce passe-t-il ? - Il y a urgence, il faut extraire le garçon. - Quoi ? L’intonation et la surprise, pourtant contenues, de la jeune femme mirent en alerte les deux adolescents. - Que se passe-t-il, des ennuis ? demanda Stéphanie sourcils relevés. - Non, rassurez-vous, rien de très grave. Je viens d’apprendre une nouvelle surprenante. Ne vous inquiétez pas, mais il faut que je m’isole quelques instants pour une conversation confidentielle. Je reviens dans un moment. Fit-elle, en se levant de table. - Bien sûr, nous comprenons, nous vous attendons, répondit Paul avec courtoisie tout en échangeant un regard compréhensif avec Stéphanie. La jeune femme s’éloigna de quelques mètres et reprit sa conversation avec Sarian tout en gardant un œil attentif sur les deux jeunes gens. - Que s’est-il passé pour que la situation ait évolué si rapidement ? Elle avait posé sa main gauche sur son oreille afin de mieux entendre. - Nous pensions que tu avais détruit les rushs tournés au Lycée, mais il devait rester une copie sur un serveur de secours. La chaîne a diffusé un reportage complet où l’on identifie clairement le garçon. Expliqua son interlocuteur d’une voix posée. - Il y a eu des réactions ? interrogea la jeune femme qui avait retrouvé tout son calme et tentait d’imaginer la suite. - Oui malheureusement. Moins de trois minutes après la diffusion, nous avons enregistré l’appareillage du vaisseau de combat, de classe Tonnerre, stationné sur la face cachée de la Lune, répondit son interlocuteur. Oria comprit immédiatement les conséquences. Elle connaissait parfaitement les spécifications de ce vaisseau : un vieux modèle de croiseur, assez lent, mais bien armé. Il pouvait croiser à 0,2c et aurait dépassé l’orbite de pluton d’ici vingt-cinq heures. Il serait alors capable d’expédier une sonde messagère et d’avertir l’Empire. Son interlocuteur poursuivait. - Il y a deux minutes, nous avons également détecté quatre signatures de déplacement par sauts quantiques. Au moins quatre personnes, en déplacement individuel, certainement accompagnées de plusieurs drones de surveillance. - Cela nous laisse combien de temps d’après l’IA ? s’enquit-elle. - D’après ses calculs, il faudra au moins quatre-vingts sauts à la sonde pour atteindre les frontières de l’Empire avec les délais de rechargement en énergie Kin. Il lui faudra donc environ cent vingt heures pour délivrer son message. Ensuite, tout dépendra de la réaction de l’Empereur. Sarian lui communiqua les données transmises par l’IA. Le calculateur intelligent avait estimé que si l’Empereur était joint rapidement il pouvait choisir d’expédier une des flottes de protection d’Ildaran Prime ou une unité spéciale. Les probabilités de délais de réaction variaient entre quatre et cinq heures. Suivant le type d’appareils, il faudrait moins de deux cents heures pour arriver à la périphérie de ce système, et encore une bonne quinzaine d’heures, pour être en orbite terrestre avec des chasseurs. L’IA avait fourni une probabilité de 79,987% de voir arriver des commandos de la Sécurité Impériale d’ici treize à quatorze jours, temps local. - L’unité de la marine spatiale basée en Australie est déjà à votre recherche, ils vont retrouver rapidement les parents du garçon et apprendre très vite où vous êtes. Transmit l’homme. - Que veux-tu que nous fassions ? Si tu envoies un glisseur ici, ils risquent de le détecter et s’ils ont un autre vaisseau de guerre nous n’aurons aucune chance. Lui fit remarquer Oria. - L’IA estime peu probable qu’ils possèdent d’autres appareils sinon nous les aurions remarqué, depuis tant d’années. Néanmoins, nous ne pouvons pas en être absolument certains. L’IA a, par contre, calculé une probabilité de 81,895% qu’ils disposent d’au moins quatre glisseurs de combat. Sans les drones satellites de surveillance, nous aurions pu utiliser un glisseur furtif, mais avec le déclenchement de l’alerte, ils vont repérer immédiatement les turbulences atmosphériques. Oria réfléchissait à toute vitesse et avait déjà compris qu’ils devraient se débrouiller avec les moyens locaux sans avoir recours aux technologies ildaranes. Elle savait néanmoins que Sarian avait prévu un plan d’extraction et elle attendait ses instructions. L’homme reprit : - J’ai activé le plan de fuite, rejoignez la côte avec eux au sud d’Agadir entre Tan-Tan et Tarfaya, je viendrai vous y prendre avec un bateau, car ils vont surveiller tous les aéroports, et même les vols privés sur le Maroc. Un véhicule est déjà en attente devant la porte du club, ordonna l’homme. - OK, nous nous mettons en route. La jeune femme afficha les données tactiques sur ses neurorécepteurs et comprit qu’il leur faudrait au moins sept heures pour s’y rendre. Il va falloir convaincre Paul de tout abandonner. Oria avait déjà reçu toutes les informations nécessaires et ses Nanocrytes de communication avaient déjà tout synchronisé avec celles de Vira et de Darin, qui s’étaient mis en mouvement et venaient vers eux. - Au besoin, utilise tes facultés et neutralisez-les s’ils refusent de vous accompagner volontairement, ajouta Sarian - Darin et Vira arrivent près de la table de Paul, j’y retourne et je vais essayer de les convaincre, répondit la jeune femme. - OK. Fais vite le temps presse. Lui rétorqua l’homme, avant de couper la communication. Oria revint précipitamment vers la table, l’air franchement préoccupé alors que les deux adolescents discutaient tranquillement et semblaient parfaitement détendus. - Ah, Oria, tout va bien. Vous avez l’air inquiète ? demanda Stéphanie en regardant la jeune femme. - Malheureusement oui, nous avons un grave problème. - Nous ? souligna Paul, en fronçant les sourcils - Oui et je vous dois quelques explications. Concéda-t-elle en se rasseyant avec souplesse. Ce fut à ce moment que Darin et Vira apparurent dans le champ de vision du garçon. Il reconnut tout de suite l’homme qui semblait le suivre depuis plusieurs semaines. - Oria ! Que ce passe-t-il ? Vous connaissez ces hommes qui se dirigent vers nous ? questionna-t-il sur un ton, soudainement, devenu méfiant. - Oui Paul, je les connais. Ils sont là pour te protéger, souffla la jeune femme. - Pour me protéger ? Mais de quoi ? répliqua Paul, très nettement sur la défensive. - C’est un peu compliqué, mais il y a urgence et il faut quitter Marrakech tout de suite, lui répondit-elle d’un ton parfaitement calme, mais ne laissant que peu de place à la discussion. - Mais pourquoi ? intervint Stéphanie, dépassée par la situation. Nous n’avons aucune raison de quitter ce club. Nous sommes en vacances et comptons bien terminer notre séjour ici. - Écoutez attentivement tous les deux. Reprit la jeune femme. Je n’ai pas le temps de tout vous expliquer, mais Paul doit nous suivre immédiatement. Des individus sont déjà en train de le rechercher pour le capturer ou le tuer. - Mais c’est ridicule, Oria. Qui peut vouloir me kidnapper ou me tuer ? ricana Paul pour se rassurer, mais en réalité pour tenter de dissimuler son intuition que lui criait danger en lettres de feu, je suis un adolescent normal. - Non Paul, tu n’es pas un adolescent normal. Que sais-tu de ton passé ? Lui objecta Oria, pressée par le temps. - Eh bien, j’ai été adopté vers l’âge d’environ douze mois. J’ai été découvert à proximité de l’hôpital Saint-Antoine, à Paris. - Moi, je connais les origines de ta naissance, lui répondit la jeune femme le plus calmement possible afin de donner plus de solennité à ses propos. - Je le savais ! Vous faites partie de ma famille ? cria presque Paul, tant les paroles d’Oria résonnaient avec force dans son esprit. Et vous qui êtes vous ? s'énerva l’adolescent face aux deux hommes qui venaient de se rapprocher. Darin lui répondit d’une voix calme : tu as déjà dû m’apercevoir, je m’appelle Darin. Je suis chargé, ainsi qu’Oria, Vira et notre équipe, de te protéger. - Mais de me protéger contre quoi ou contre qui ? Questionna l’adolescent en dodelinant légèrement la tête. Il était perdu, mais une sorte de sixième sens continuait de lui hurler DANGER et cela ne faisait qu’ajouter de l’angoisse à sa confusion. Darin n’eut pas le temps de lui répondre, car deux nouveaux arrivants s’approchaient également de la table. - Paul, Stéphanie ! Nous vous avons fait une surprise. Les deux jeunes gens se retournèrent en entendant leurs prénoms et découvrirent Alex, accompagné de son amie Mélanie. L’arrivée inopinée des deux nouveaux adolescents bousculait significativement les plans des inconnus qui devaient maintenant composer avec d’éventuels témoins supplémentaires. - Mais qu’est-ce que vous faites là ? demanda Paul, presque le plus surpris de tous. - Nous avions planifié, dès le début, de passer les vacances avec vous, mais nous étions restés discrets jusqu’à ce soir pour vous laisser un peu en amoureux. Répondit le jeune homme avec un grand sourire. Cache ta joie Paul, on dirait que tu as vu un fantôme. Allo la Terre ? Alex et Mélanie appellent Paul et Stéph… Ajouta le garçon, d'un ton taquin, devant l’air décontenancé des deux jeunes gens. Oria et Vira étaient sur la défensive, mais Darin les rassura immédiatement. Pas d’inquiétude, ils font bien partie du cercle d’amis de Paul. Je les ai déjà identifiés. Alex se moquait toujours de son copain lorsque le portable de Darin se mit à sonner. L’homme répondit immédiatement - Oui ? répondit laconiquement l’homme de main. - Ici Sarian. Nous avons enregistré deux sauts individuels de Paris vers Marrakech. Ils ont fait parler les parents et savent qu’il est ici. Il faut que vous quittiez la ville immédiatement. - Deux ? Nous pouvons facilement les contrer d’autant qu’il ne s’agit certainement pas de militaires très entraînés. Ricana Darin. - Vous pouvez facilement vous en débarrasser, mais cela risque d’attirer l’attention des autorités locales ainsi que des autres impériaux. Je ne sais pas exactement combien ils sont en Australie, mais ils vont vite envoyer des renforts. Il est préférable que vous appliquiez tout de suite le plan de fuite vers l’océan. Répliqua Sarian. - OK j’essaie de convaincre le garçon de nous suivre. Que fait-on des trois autres ? demanda Vira, qui avait suivi la conversation sur son propre communicateur, jumelé à celui de Darin. - Trois ? Je croyais qu’il était seul avec son amie ? S’étonna Sarian - C’était le cas, mais deux autres jeunes viennent d’arriver : un garçon et une fille identifiés lors de la surveillance. Fit Darin d’un ton contrarié. - Ils sont clean ? - Locaux à 100%, non hostiles, affirma Darin d’un ton catégorique. - Bon. Embarquez tout le groupe. Ils savent que nous existons et ils pourraient vous identifier après les avoir interrogés. Oria n’a pas le temps de les traiter sans risque de dommage cérébral. Lui ordonna Sarian. - Ils ne savent pas grand-chose. Les emmener va nous compliquer sérieusement les choses. On pourrait les neutraliser. Ce serait un faible dommage collatéral au vu de l’urgence de la situation, lui objecta Vira. - D’accord, cela ne vous simplifie pas la tâche, mais c’est ma décision. Pas question de les éliminer, si c’est à cela que tu penses, Vira. Mettez-vous en mouvement immédiatement, ordonna Sarian d’un ton sec, ne laissant plus de place à la contestation. Durant l’échange, Alex et Mélanie avaient résumé à leurs amis comment ils avaient planifié de les rejoindre en vacances. Stéphanie n’était pas spécialement ravie de les voir débarquer pendant leur séjour en amoureux, mais il fallait préciser qu’elle n’appréciait pas spécialement la nouvelle petite amie d’Alex. Un sentiment largement partagé par Paul qui avait d’ailleurs les plus grandes difficultés à le cacher à son ami qui semblait pourtant très amoureux d’elle. Elle et Alex s’étaient rencontrés, l’année passée, pendant les vacances de Noël à la montagne et la jeune femme avait rapidement eu une forte emprise sur le jeune homme. Paul soupçonnait la jeune femme de sortir avec Alex par intérêt, car celui-ci était particulièrement généreux et ne regardait pas à la dépense. Son père dirigeait une solide entreprise familiale et ils vivaient confortablement. Cette arrivée imprévue compliquait sérieusement leur plan … Oria bouillait déjà d’impatience et Vira jetait des regards dans toutes les directions, tous les sens en éveil, à l’affût de la moindre menace. L’homme semblait particulièrement mécontent d’avoir à gérer deux adolescents de plus. - Paul, il va finir par me faire peur, ce type, fit Stéphanie en désignant Vira. - Bon, demanda Paul à Oria, d’un air décidé. Vous avez deux minutes pour m’expliquer ce cirque sinon j’appelle la sécurité du club. - Calme-toi Paul. Lui répondit lentement la jeune femme, comprenant aussitôt, devant l’attitude du garçon, qu’il allait lui falloir être à la fois convaincante et rassurante. Nous ne te voulons pas de mal, bien au contraire : nous sommes là pour te protéger depuis ta naissance. - Mais. Qu’est-ce que vous me racontez ? s’énerva l’adolescent. J’ai dix-huit ans, vous avez l’air d’en avoir à peine trente, et vos amis également. Vous n’êtes pas devenu garde du corps à dix ans ! Agacé par la situation et par l’arrivée non prévue de ses amis, Paul extériorisait sa colère sur la jeune femme. - C’est exact, Paul. C’est simplement que je suis beaucoup plus âgée que tu ne le penses. Répondit-elle très calmement en s’efforçant de masquer son impatience. - Vous avez une bonne hygiène de vie, rétorqua, presque rageusement, le garçon. Ne comptez pas que je croie à votre histoire uniquement parce que j’ai bu quelques verres de champagne, compléta l’adolescent, en colère. - Paul. C’est quoi, cette histoire de fou ? demanda Alex, qui commençait à trouver la conversation bien étrange. - Écoutez-moi. Intervint soudain Darin. Je ne vous demande pas de nous croire sur parole d’autant que l’histoire vous semblerait assez incroyable. Sachez simplement que Paul est réellement en danger et que deux individus viennent d’arriver il y a quelques minutes pour le capturer ou le tuer. Si nous ne partons pas d’ici, ils le trouveront d’ici moins de dix minutes. - Mais vous pouvez nous protéger, si c’est votre fonction. Répondit Stéphanie, également énervée par la situation. Ils sont que deux et vous êtes trois. - En effet, répondit Darin. Mais si nous intervenons frontalement, nous allons nous dévoiler et ils reviendront plus nombreux. Il est préférable qu’ils ignorent, pour le moment, notre capacité défensive. - Admettons que j'accepte de vous croire. Que devons-nous faire ? demanda Paul, qui commençait à se calmer. - Vos amis nous ont vus et pourraient renseigner nos ennemis sur notre nombre. Nous devons donc vous emmener tous les quatre, au moins jusqu’à notre prochain lieu de rendez-vous, affirma le dénommé Vira. - Et qui est ? questionna Alex, qui se sentait subitement concerné. - Il est préférable que vous l’ignoriez pour le moment, mais nous devons quitter le pays rapidement. Les aéroports étant certainement surveillés, nous avons un plan de secours, mais vous devez venir maintenant ! insista Oria. - Mélanie ? Alex ? Cela fait partie de votre surprise ce jeu de rôle d’agents secrets ? demanda soudain Stéphanie, à ces deux amis. - Non ! Je t’assure. Lui répondit la jeune fille. Cela me fait plutôt peur, cette histoire. Vous êtes sûr de vouloir les suivre ? ajouta-t-elle, visiblement inquiète par l’attitude résolue d’Oria et ses amis. - Je ne suis sûr de rien. Répondit Paul. Pouvez-vous me donner au moins un début de preuve de ce que vous avancez pour nous convaincre. Ajouta-t-il en se tournant vers Oria. - Devant tout le monde, en plein restaurant, je crains qu’une démonstration de nos capacités n’éveille l’attention, mais si vous nous suivez dans le 4x4, qui nous attend depuis dix minutes, dès que nous aurons quitté la Palmeraie, je vous montrerai quelque chose qui devrait vous convaincre de la véracité de nos dires. Répondit-elle. Réfléchissez, si nous vous avions voulu du mal nous aurions pu vous nuire depuis longtemps. Dépêchez-vous le temps presse. Insista encore la jeune femme. - Détection d’un saut quantique à moins de cent cinquante mètres, l’un d’eux est ici, les coupa brutalement Vira. Darin met toi en position d’interception. Oria emmène les, immédiatement, au Land Rover, je vous couvre. Le ton de l’homme, froid et déterminé, impressionna Paul. - Tu crois qu’il nous a repéré ? s’enquit Oria - Non. J’ai coupé tous mes détecteurs actifs. Je suis uniquement en mode passif et il n’a pas d’armure de combat. Répondit Vira. Allez, bougez ! lança-t-il avec un ton de commandement. OK on y va, cette fois on ne peut plus attendre. Paul ! Suis-moi si tu veux vivre, lui cria Oria, le plus sérieusement qu’elle put. Darin se déplaça à une vitesse qui stupéfia les adolescents qui n’avaient jamais vu quelqu’un se mouvoir aussi rapidement, l’homme se retourna, un bref instant, avec ce qui sembla être une arme à la main et fila dans la direction opposée au bar, vers les jardins. L’attitude des deux hommes et le ton d’Oria commençaient à entamer la résistance de Paul qui finit par se laisser convaincre d’accompagner la jeune femme. Les trois autres adolescents suivirent sans trop se poser de questions, un peu effrayés par les propos de la jeune femme aux yeux bleus. Vira laissa celle-ci prendre la tête du groupe et ferma la marche derrière les quatre adolescents. Oria leur intima d’avancer vivement, mais sans précipitation vers le parking du club. Ne courez pas afin de ne pas attirer l’attention, le tueur est apparemment seul et Darin devrait pouvoir le neutraliser sans faire de vagues ni se dévoiler. Il leur fallut moins de cinq minutes pour arriver auprès d’un grand 4x4 Land Rover sept places. - On dirait que vous aviez prévu notre arrivée, s’étonna Alex - Non. Lui répondit-elle. Je ne savais même pas qu’il était en configuration sept places, mais on a le droit d’avoir de la chance. Nous n’allons pas nous en plaindre. De toute façon, nous nous serions serrés, car nous n’avons pas le choix. Montez à bord s’il vous plaît. Ajouta la jeune femme en ouvrant la portière. C’est à cet instant que Mélanie commença à se rebeller. Elle avait bien réfléchi pendant la marche en direction du parking et ne comptait pas suivre des inconnus, même si son amant y allait. - Moi, je ne crois pas à votre histoire. Alex, tu fais ce que tu veux, je reste ici. Se braqua la jeune fille, campée sur ses positions, les bras croisés. - Mélanie, cessez de faire l’enfant gâté, on ne joue pas ici. Vous êtes réellement en danger, répéta, de guerre lasse, Oria. L’amie d’Alex ne bougeait pas d’un pouce, bien décidée à ne pas se laisser dicter sa conduite. - Vous ne comptez quand même pas que je suive de parfaits inconnus qui débarquent de nulle part et veulent nous emmener je ne sais où ? Au Maroc, en plus ! S’emporta la jeune fille en amorçant un mouvement de retour vers le club. - Vous avez raison d’être prudente, lui répondit la femme, en se plaçant en travers de son chemin, mais je n’ai pas le temps de vous convaincre. Vous nous mettez tous en danger en ralentissant notre fuite, ajouta-t-elle, l’air franchement agacé par l’attitude de la jeune fille. C’est à ce moment que Darin réapparut dans leurs champs de vision. Il revenait vers eux tranquillement, comme si de rien n’était, et Paul en vint à douter de la réalité de leurs assertions et il hésitait maintenant à monter dans le véhicule. L’homme s’adressa à sa collègue : - Il était seul, sans armure de combat, avec, uniquement, un champ Horlzson, un pulseur à aiguilles et une lame en Arkrit. Indiqua-t-il en montrant un long poignard de couleur sombre et une arme qui pouvait s’apparenter à un pistolet. Il ne s’attendait visiblement pas à ce que nous soyons sur place, mais la prochaine fois nous n’aurons plus l’effet de surprise. - Que lui avez-vous fait ? l'interrogea Stéphanie. - Je l’ai neutralisé, il n’est plus une menace pour Paul, répondit l'homme simplement, sur un ton qui ne laissait aucune place à des questions plus précises. - Allez, grimpez dans la voiture. Dépêchez-vous ! Nous n’avons pas beaucoup de temps, leur ordonna Vira, d’une voix autoritaire. Les adolescents ne savaient plus quoi faire. La situation semblait figée et Mélanie commençait déjà à faire demi-tour, vers l’entrée du club. - Devant l’urgence de la situation, Oria décida d’intervenir. [Montez dans la voiture !] l’ordre mental fut brutal. Les adolescents totalement pris au dépourvu commencèrent à monter dans le Land. Paul hésitait encore et dodelinait de la tête. Il sentait confusément qu’il pouvait lutter contre cette injonction, mais ne savait pas comment. - [Monte Paul !] ordonna Oria, à l’adolescent récalcitrant. Cette fois-ci l’injonction mentale était destinée à accroître son emprise et il obéit mécaniquement, comme drogué. Il monta à bord, avec des mouvements saccadés, mais un combat acharné se livrait dans son cerveau, comme si son esprit tentait de contrer l’injonction émise par la jeune femme. Démarre ! lança aussitôt Darin à Vira, qui embraya immédiatement et quitta le parking du club en direction du centre-ville. Il s’était écoulé à peine dix minutes depuis l’appel de Sarian, mais Darin savait que la partie ne faisait que commencer. Leurs adversaires allaient tout faire pour les retrouver même si leurs ressources étaient limitées sur cette planète. Le Land Rover descendit le boulevard Oued Issil en direction du centre afin de rattraper la route menant à l’ouest, vers Essaouira. Après avoir tourné dans l’avenue du 11 janvier, le 4x4 bifurqua dans l’avenue Yacoub Mansour. Darin crut apercevoir un véhicule qui les suivait, mais c’était une fausse alerte. Les adolescents semblaient dans un état second et ne se rendaient compte de rien. La nuit était claire et, malgré le peu de lumière, on distinguait nettement les rues de la ville, mais Darin restait sur ses gardes, car il craignait que des drones de chasse ne les repèrent et ne tentent de les intercepter. Vira prit à gauche, vers la gare de Marrakech qu’il contourna, et s’engagea dans l’avenue Hassan II lorsqu’une voiture surgit derrière eux, venant de l’avenue Mohamed VI et cherchant visiblement à les rattraper. Cette fois, aucun doute ils étaient repérés. - Mais comment nous ont-ils trouvés si vite ? Jura Oria - Les téléphones portables ! s’exclama Darin, se maudissant de n’y avoir pas pensé plus tôt. Une faute impardonnable pour un professionnel de son acabit. - Mais ils ne connaissent pas nos numéros. S’étonna Paul, qui émergeait progressivement de sa torpeur. - Ils ont dû trouver des informations chez toi et tracer ton mobile, répondit la jeune femme. - Vous voulez dire qu’ils sont allés chez moi ! S’effraya le garçon, malgré son engourdissement. - C’est certain sinon ils n’auraient jamais pu te retrouver aussi vite. Mais ne t’inquiète pas pour tes proches, ils ont les moyens d’obtenir des informations, sans même que les sujets se souviennent de leur passage et nos ennemis ne souhaitent pas plus que nous, que les autorités françaises ne soient mêlées à leurs histoires, le rassura la jeune femme. - Mais qui êtes-vous à la fin ? Russes, américains, chinois ? S’emporta Alex, qui venait également de reprendre conscience. - Nous venons d’un peu loin, lui répondit Oria. Nous vous expliquerons tout cela lorsque nous serons hors de danger. - La voiture se rapproche. Il est seul, les interrompit Darin, d’une voix calme. - Donnez-moi tous vos portables, ordonna la jeune femme. Alex et Paul fouillèrent dans les poches de Stéphanie et Mélanie qui n’avaient pas encore repris totalement le contrôle de leurs mouvements et récupérèrent leurs téléphones. Mélanie eut un faible geste de révolte, mais fut incapable de s’y opposer. Dès qu’Oria eut les quatre appareils en main, elle ôta toutes les batteries et jeta le tout par la fenêtre du Land Rover. - Avec un peu de chance, des habitants les trouveront et les réactiveront. Cela devrait brouiller un peu notre piste. Expliqua-t-elle - Je bloque ses communications sur un faisceau étroit afin que nous ne soyons pas détectés par un drone en orbite, ou en approche, il ne peut plus communiquer avec sa base. Précisa Darin, qui trifouillait un curieux appareil électronique. - Espérons qu’il n’ait pas eu le temps de faire un rapport avant de nous engager, fit Vira très concentré sur la conduite du 4x4. - Nous le saurons bientôt, répondit Darin, qui sortit un étrange pistolet de son sac. - Vise ses pneus. Oria, prépare-toi à le neutraliser, cria Vira en bifurquant brusquement à gauche, dans la rue El Iraq, en direction des jardins de la Menara. Leur poursuivant fut pris au dépourvu, mais réussi à les suivre in extremis. Darin sortit un objet noir qui ressemblait à un révolver et le braqua sur la voiture poursuivante. Une sorte de vibration fut émise par l’appareil et la roue avant droite, du véhicule qui les suivait, disparue dans un petit nuage de poussière. La voiture fit une brusque embardée sur la droite et faillit percuter une maison, avant de s’immobiliser dans un tête-à-queue. Vira freina violemment et le Land s’immobilisa dans un crissement de pneus. Sans attendre, Oria bondit souplement hors du véhicule à une vitesse telle, que Paul put à peine enregistrer son déplacement. Elle était déjà en train d’extraire l’homme de la voiture endommagée. Celui-ci tenait un long poignard de couleur sombre à la main et essaya d’atteindre la jeune femme qui esquiva le coup, d’un mouvement félin. Un violent combat s’engagea alors entre eux, ils semblaient se mouvoir de manière trouble comme si la lumière était brouillée, mais Oria semblait plus rapide et, après quelques parades, parvint à désarmer son adversaire. D’un geste vif, elle plaça sa lame sous la gorge de l’homme et se concentra en le fixant droit dans les yeux. Il s’immobilisa soudain comme paralysé. - Que fait-elle ? demanda Paul, qui avait observé toute la scène. - Elle l’interroge pour savoir s’il a eu le temps de communiquer notre position et tente de connaître leurs plans, lui expliqua Vira. - Va-t-elle le tuer ? questionna l’adolescent, un peu surpris d’être mêlé à cette violence inhabituelle. - Ce ne sera pas nécessaire, elle va lui implanter un verrouillage mental pour qu’il oublie les dernières vingt-quatre heures. Cela ne tiendra pas longtemps, mais suffisamment pour que nous disparaissions. Lui précisa Darin. - Mais d’où venez-vous ? Je n’ai jamais entendu parler de technologies de ce genre. S'étonna Alex, encore vasouillard. - Nous vous expliquerons tout plus tard, mais pour le moment il faut fuir, répondit l’homme, en désignant Oria, qui revenait rapidement vers le véhicule. - Nous allons pouvoir reconstituer nos réserves d’Arkrit. Plaisanta la jeune femme qui ramenait un poignard identique à celui récupéré par Darin, un peu plus tôt. Il n’a pas eu le temps de communiquer notre position, tu as brouillé ses communications, juste à temps. Cela va nous laisser un peu de répit avant que le reste du commando de Paris n’arrive ici. Ils auront un peu de mal à nous retrouver surtout qu’ils vont devoir se concentrer sur les aéroports et les gares. Ajouta-t-elle en embarquant dans le Land et en refermant la portière. Vira embraya immédiatement, sans laisser le temps aux adolescents de réagir, et s’engagea dans la rue d’El Iraq en sens inverse. Il tourna ensuite à gauche sur l’avenue Hassan II et continua sur le boulevard Essaouira puis sortit enfin de la ville, direction plein ouest, vers l’océan atlantique. - Dommage qu’il soit trop tard, nous aurions pu essayer de louer un avion privé sur le terrain de Sidi Zouine. C’est là, sur la droite, indiqua la jeune femme qui semblait consulter des informations sur un écran invisible. - Nous aurions laissé une trace trop aisément identifiable, rétorqua Vira. - Mais enfin est-ce que vous allez nous expliquer qui vous êtes et qui sont ces gens après nous ? S’emporta Paul, qui avait été un peu choqué par l’agression. Avant que quiconque n’ait eu le temps de répondre, le communicateur de Darin se mit à vibrer. - C’est Sarian, précisa l’homme à l’intention de ses complices. - Nous venons de repérer vingt-cinq déplacements de très petite taille sur Marrakech, il s’agit sans aucun doute de drones de chasse. Avez-vous quitté la ville ? s’inquiétait leur interlocuteur. - Oui nous venons juste d’en sortir, acquiesça Darin, en mettant son téléphone sur haut-parleur. - Parfait, le temps qu’ils quadrillent toute la ville, en partant du club, vous serez loin. C’est passé juste, à quelques minutes près, vous n’auriez pas pu vous enfuir sans combattre. Je suis dans un vol privé à destination des Canaries, un contact local a tout organisé pour qu’un bateau soit prêt à partir depuis l’île de Tenerife. J’appareillerai dès que possible et devrais être entre Tan-Tan et Tarfaya avant l’aube. Je vous contacterai dès que je serai sur zone, Sarian transmettait les données de son plan sur un ton typiquement militaire. - OK, on trouvera un coin tranquille pour embarquer le long de la côte, car nous devrions être à Agadir d’ici deux heures maximum, mais il restera presque cinq cents kilomètres de trajet par la nationale côtière, lui répondit Oria, qui agitait ses mains et semblait, de nouveau, consulter un écran invisible. - Très bien, nous ferons une jonction en fonction de nos localisations respectives. Tenez-moi informé sur votre position toutes les heures. Terminé, répondit Sarian, en coupant la communication. - Ne te trompe pas Vira. - L'autoroute A7 vers Agadir est bientôt sur la gauche, intervint Darin. - Bon. Maintenant que le danger est passé, peut-être allez-vous pouvoir nous expliquer la situation ? s'emporta Paul, un peu stressé. - Oui, détendez-vous. [Dormez !] Les quatre adolescents se firent surprendre par la nouvelle injonction mentale d’Oria et commencèrent à dodeliner de la tête puis s’assoupirent. Seul Paul continuait à lutter dans un état second, mais sans céder totalement. - [Endors-toi Paul !] insista la jeune femme qui plissa le front, sous l’effort de la concentration. Le jeune garçon fut comme assommé par cette seconde injonction et ne put résister plus longtemps. - Il commence à éveiller ses facultés, j’ai de plus en plus de mal à le soumettre. Dans quelque temps, je ne pourrai plus le contrôler. Il faut le convaincre rapidement de nous suivre de son plein gré, jouta la jeune femme. Les deux cent vingt-trois kilomètres jusqu’à l’entrée d’Agadir furent parcourus rapidement, mais il était déjà presque 1h du matin. Darin avait brouillé toute trace électronique pendant qu’Oria avait effacé le souvenir de leur passage de l’esprit du préposé au péage de l’autoroute. Toutes les précautions avaient été prises pour que leurs poursuivants perdent leur trace. Du moins l’espéraient-ils. * Chapitre 6 Vira roulait sur l’autoroute A7 en direction de l’océan Atlantique sans paraître fatigué le moins du monde pendant que Darin et Oria se reposaient en silence. Aucune trace d’inquiétude n’émanait des trois adultes malgré la gravité de leur situation. Ils étaient arrivés à la fin de l’A7 et empruntèrent la nationale 8 qui menait à Agadir. Avant la zone industrielle Bab Al Madina, Vira tourna à gauche en direction du Golf Royal et rattrapa la nationale 1 à Sidi Mimoun. Malgré l’heure tardive, la circulation était toujours difficile, car il y avait de nombreux camions sur cet axe nord-sud du royaume chérifien et la vitesse moyenne allait considérablement baisser. Ils passèrent successivement Tiznit puis Guelmim en continuant la nationale 1, en direction de Tan-Tan. Encore environ cent vingt kilomètres pour atteindre Tan-Tan, précisa Vira. - Il est déjà 3h35 du matin. Il faudrait embarquer au plus tard vers 6h sinon le jour sera levé et il sera plus difficile de passer inaperçu. On ne peut pas se permettre d’être contrôlé par une vedette de la marine marocaine. S’inquiéta Darin - Essaie de rouler un peu plus vite sinon nous n’y arriverons jamais. Suggéra Oria. - Si j’accélère, nous risquons de nous faire arrêter par la police et nous serions repérés immédiatement, rétorqua le conducteur. - Il faut prendre le risque, car nous ne pouvons pas embarquer en plein jour ni rester au Maroc une journée de plus. Insista la jeune femme. La ville de Tan-Tan fut atteinte à 4h50 du matin sans incident. La police marocaine ne semblait heureusement pas patrouiller de nuit, sur cette nationale pourtant très fréquentée. À 5h10, le communicateur d’Oria vibra et la voix de Sarian, se fit entendre : je suis près de la cote à quelques kilomètres au nord de Tarfaya, indiquez-moi une position précise pour faire jonction. - Nous avons rattrapé la cote à El Ouatia et passé l’embouchure de l’Elkhalona, mais la mer n’est pas facile d’accès par ici. Par contre, nous ne pourrons jamais atteindre Tarfaya avant l’aube, il faudrait que tu remontes encore un peu et que l’on se rejoigne plutôt du côté d’Akhfennir, lui répondit la jeune femme qui consultait toujours son écran invisible. - OK je vois où c’est, je peux y être d’ici trente minutes. On pourrait se retrouver à quelques kilomètres au sud d’Akhfennir, le drone de reconnaissance indique un accès possible par une plage de sable. Proposa leur interlocuteur. - Nous devrions y être aussi dans ces eaux-là. Le temps de réveiller les jeunes. Répondit Darin. - Sarian, je te propose un point de jonction dans trente minutes aux coordonnées : latitude 28,08970, longitude -12,07775. Il y a un accès direct sur la plage, suggéra Oria, qui avait repéré une position précise sur le bord de mer. - Reçu. Conclut Sarian avant de couper la communication. Les jeunes, réveillez-vous ! les secoua Oria, quinze minutes plus tard. Nous arrivons. Les quatre adolescents émergèrent de leur torpeur, encore un peu groggy, sans, réaliser où ils se trouvaient. Seul Paul fut instantanément sur ses gardes et commença à manifester son mécontentement. - Vous nous avez trompés ! Vous deviez nous donner des explications et vous nous avez drogués ! Pendant qu’il éructait, le jeune homme observait ses amis et fut rassuré de découvrir que tous les trois allaient bien, Stéphanie en particulier. - Venez ! Ne traînons pas ici : nous ne sommes pas en sécurité. Leur répondit simplement Darin. Un bateau nous attend et il faut embarquer avant que le jour ne se lève : il faut éviter de se faire repérer par des pêcheurs ou des garde-côtes. Mélanie commençait à reprendre ses esprits et était, elle aussi, furieuse d’avoir été kidnappée. Elle ne savait pas trop quelle attitude adopter, car elle craignait une réaction violente de la part de leurs ravisseurs, mais ne voulait en aucun cas embarquer sur un bateau. - Non, je ne vous suivrai pas. Laissez-moi partir, je ne dirai rien à personne. Elle était déterminée à ne pas se laisser emmener. - Alex, essaie de raisonner ton amie. Nous ne pouvons pas la laisser derrière nous, intervint Darin, prêt à contraindre l’adolescente. - C’est que je n’ai pas très envie non plus de vous accompagner. Objecta l’ami de Paul. Cette attitude ne plaide pas en votre faveur. Sans un mot, Vira sortit de sa poche un objet qui ressemblait à une arme et mit en joue les quatre adolescents. - Nous n’avons plus le temps pour les bavardages. Suivez-nous sans histoire ! Ordonna-t-il d’un ton sec. Comprenant qu’ils n’avaient pas d'autre option, les quatre adolescents obtempérèrent à contrecœur et se dirigèrent vers la mer, à la suite d’Oria et de Darin. Vira fermait la marche en scrutant attentivement leurs arrières. Paul, qui craignait pour Stéphanie et Mélanie, aurait aimé discuter de la situation avec Alex, mais les circonstances ne leur avaient laissé aucun répit. - Sarian est là-bas sur la gauche, leur annonça Vira - Comment l’avez-vous vu ? Il fait nuit noire, questionna Paul, d’un ton froid. - Nous avons des équipements à visée nocturne, lui répondit laconiquement Oria. - Sans lunette amplificatrice de lumière ? s’étonna Alex, curieux malgré la situation. - Nous n’en avons pas besoin. Soyez patient, nous vous expliquerons tout cela pendant la traversée, répondit Vira. - Ici ! appela une voix forte. Ils se dirigèrent vers le son de la voix et un homme que Darin appela Sarian ajouta, je n’ai malheureusement qu’une seule annexe il va falloir faire deux voyages pour embarquer tout le monde il eut air contrarié en découvrant l’arme de Vira pointée sur les jeunes gens, mais n’ajouta rien de plus. Il était accompagné d’un autre homme appelé Briza et, malgré le peu de lumière, Paul parvint à distinguer sa silhouette et son visage. Il avait une allure sportive, environ trente-cinq ans, visage carré, démarche assurée et semblait sur ses gardes. Aucun signe distinctif ! Paul l’imaginait pouvoir se dissimuler facilement dans un autre décor avec d’autres vêtements. Peut-être un barbouze songea-t-il ? - Briza va remonter avec le Land Rover vers Tanger et l’abandonner dans un endroit désert pour brouiller les pistes. Espérons qu’ainsi les impériaux nous croient remontés vers le nord, expliqua-t-il. Briza, tu communiqueras les coordonnées du Land au Randor dès que tu seras à l‘écart. Ensuite, redescends sur Casablanca et restes-y au moins deux jours. Évite toute interception, y compris de la police marocaine, ordonna-t-il à l’homme qui repartit aussitôt vers le 4x4. - La police marocaine est avec eux ? s’étonna Paul, qui ne comprenait plus rien du tout. - Non, lui répondit Oria. Ils ignorent même notre existence, mais nos adversaires doivent avoir piraté tous les systèmes informatiques du royaume et sont certainement à l’écoute de la moindre information susceptible de nous repérer. Des drones de chasse doivent déjà quadriller tout le territoire chérifien. - Paul ! Stéphanie ! On y va. Vous montez avec Oria et moi dans le premier voyage, les enjoignit Darin. Le reste du groupe attend avec Sarian. L’homme fit glisser le petit canot pneumatique sur le sable jusqu’à l’océan. Il fallut mettre les pieds dans l’eau salée et Paul ressentit un frisson lorsqu’une vague lui éclaboussa le haut des jambes. L’eau n’était pas très froide, mais le sel lui piquait la peau et collait le bas de son pantalon. Dès que tous furent assis sur les bords du canot, Darin fit démarrer le petit moteur hors-bord. Il fallut moins de cinq minutes, à l’annexe, pour rejoindre un magnifique yacht de vingt-cinq mètres ancré, hors de vue de la plage, à cent mètres de la côte marocaine. Le vent marin et les éclaboussures avaient achevé de réveiller l’adolescent qui observait avec attention l’attitude du pilote cherchant à décrypter ses intentions. Les nuages avaient obscurci le ciel et masquaient la lumière de la lune donnant au navire une teinte sombre, légèrement effrayante. Paul espéra que ce n’était pas un signe défavorable. À peine déposés à bord ses passagers, Darin repartit chercher le reste du groupe. Mélanie et Alex n’avaient pas dit un mot en attendant le retour du petit canot. L’homme resté avec eux avait bien cherché à nouer le dialogue, mais l’attitude franchement hostile de Mélanie l’avait convaincu de reporter à plus tard toute tentative d’explications. Le dénommé Sarian leur intima juste l’ordre de s’approcher du bord, car le frêle esquif revenait les chercher et moins de cinq minutes plus tard ils étaient tous à bord du yacht. L’annexe fut attachée sans perdre une seconde et le yacht remonta l’ancre avant de prendre un cap plein ouest. - Vous n’avez pas peur que nous soyons repérés par un radar ou par les garde-côtes ? demanda Alex, qui avait regardé de nombreux films d’espionnage. - Nous avons des équipements de brouillage anti-détection. Lui répondit Darin. Ils sont activés au minimum afin d’éviter de nous faire repérer par nos adversaires, mais c’est suffisant pour neutraliser l’équipement local. Il faudrait un balayage direct sur le bateau pour nous détecter et les Marocains ne disposent pas de cette technologie. Néanmoins, nous couperons le camouflage dès que nous serons au large, car les drones ennemis pourraient repérer le champ de neutralisation. - Bienvenus à bord. Les héla un membre d’équipage qui les attendait dans le grand salon du bord. - Je vous présente Telius, leur dit Sarian. Il est chargé de la surveillance électronique, c’est lui qui a tracé tous les mouvements de nos adversaires, précisa-t-il. Telius était plus grand que Sarian. Probablement un mètre quatre-vingt-dix, longiligne, il ne ressemblait pas à un militaire, mais ses mouvements trahissaient une grande souplesse et Paul le soupçonna d’être aussi dangereux que les autres. - Vous devez avoir faim, leur demanda Sarian. C’est l’heure du petit-déjeuner. Venez vous restaurer. Ajouta leur hôte en souriant, visiblement soulagé de les voir tous sains et saufs, à bord du navire. Les jeunes gens quoique fatigués découvraient le bateau avec curiosité malgré le sentiment d’avoir été kidnappé. Seul, Alex toujours optimiste semblait ravi de faire une petite croisière sur un petit yacht de luxe. Opinion visiblement non partagée par les deux jeunes filles qui n’avaient pas décroché une parole depuis l’épisode de la plage. Paul balaya du regard la pièce centrale du bateau. Ils se trouvaient dans un grand salon couplé à une partie salle à manger comprenant huit chaises et une table garnie de nourriture. Quelle est cette marque de bateau ? demanda Alex à Sarian, tout en louchant un peu sur le petit-déjeuner. Sarian fut ravi de changer de sujet pour détendre un peu l’atmosphère. C’est un First Episode, un bateau qui file à 25 nœuds en vitesse de croisière avec une autonomie de quatre cents miles nautiques. Nous avons deux moteurs de mille quatre -cent vingt chevaux. L’homme semblait fier de son navire. - Il est à vous ? s’enquit Mélanie sur la défensive et encore mécontente d’avoir été forcée de monter à bord. Elle s’efforçait néanmoins de rester calme afin de ne pas provoquer ses ravisseurs. - Non. Nous l’avons emprunté dans la marina au sud de la ville de Santa Maria del Mar, sur l’île de Tenerife. Son propriétaire ne le déclarera pas volé avant plusieurs semaines. Il y a quatre cabines, dont deux doubles avec salles de bain. Vous avez vu l’annexe et nous disposons également d’un jet ski et d’équipements de plongée. Compléta Telius. Venez vous asseoir et restaurez-vous, le jour va bientôt se lever et je voudrais être hors de vue du rivage au plus vite. - Tu as prévu quelque chose après les Canaries ? s’enquit Darin en regardant Sarian et en attaquant un croissant frais avec du café. - Oui, pour l’instant, nous appliquons le plan initial. Nous allons ravitailler en carburant, au sud de l’île de Lanzarote, puis je vous expliquerai la suite du programme après le petit-déjeuner. Répondit l’homme, en désignant discrètement d’un œil les adolescents. Tout le monde commençait à se détendre un peu devant la nourriture qui redonnait un aspect plus normal à leur situation, lorsqu’un cinquième homme à l’allure aristocratique entra discrètement avec du thé. - Voici Irias. Fit Sarian aux adolescents. - Votre Altesse. S’inclina l’homme devant Paul, d’un air sérieux. - Votre Altesse ? J’apprécie beaucoup votre humour, Irias. Sourit Paul malgré la situation incongrue. L’homme lui rappelait quelque chose, mais il n’arrivait pas à se souvenir. Il détonnait dans l’équipe de Sarian, car il n’était, à l’évidence, pas un militaire. Il ressemblait plutôt à un majordome anglais du 19e siècle. Il se déplaçait avec prestance et affichait une allure aristocratique, très désuète au 21e siècle. Paul ne savait pas pourquoi, mais la présence d’Irias le rassurait. Il ne se souvenait pourtant pas l’avoir déjà rencontré, mais il lui semblait familier. Soudain Paul crut comprendre : la couleur de ses yeux ! L’homme avait les mêmes yeux qu’Oria et lui : un bleu cobalt intense, légèrement tigré de gris. Bien que le gris soit peut-être plus marqué chez Irias, mais la lumière artificielle du bateau ne permettait pas d’en voir plus. - Nous avons beaucoup de choses à vous raconter, le coupa gentiment Oria. Irias, tu es incorrigible. S’amusa la jeune femme. - Bon, ton altesse, tu prévois quoi pour la suite ? plaisanta Alex, cherchant à amuser la galerie pour décontracter l’ambiance. Il avait déjà un croissant à la main et en tendait un à son ami un peu médusé. La faim eut raison de la grogne chez les adolescentes qui imitèrent les garçons et s’installèrent pour déjeuner. Elles n’en étaient pas moins furieuses et ne décrochaient pas un mot. La pause déjeuner dura presque quarante-cinq minutes et permit à tout le monde de relâcher un peu la pression. Les jeunes filles semblaient enfin un peu plus détendues, du moins en apparence, car Mélanie ne décolérait pas intérieurement. Stéphanie était plus curieuse qu’inquiète et observait chaque détail lui permettant d’affiner son jugement sur la situation. Pendant ce temps, le yacht filait ses trente nœuds, à sa vitesse maximum, vers l’île des Canaries la plus proche. Dès qu’il fut évident que tout le monde était rassasié, Darin proposa d’aller dormir un peu dans les cabines, mais, sans surprise, Paul temporisa et exigeait des réponses aux nombreuses questions qui le taraudaient. - Allez vous coucher, proposa Paul à ses amis. Je reste pour en apprendre un peu plus, je vous raconterai. Les deux adolescentes ressentaient le contrecoup de la tension et ne se firent pas prier pour aller se reposer dans les cabines doubles. Alex aurait bien aimé rester, mais il était, lui aussi, trop fatigué pour résister à l’appel du sommeil. En fin de compte, Paul lança d’un ton n’attendant aucune réponse : tout compte fait, je vais prendre une douche et je reviens. Nous avons un peu de temps, non ? - Je vais en prendre une aussi. Abonda Oria. Prends ton temps on ne va pas s’en aller, lui sourit-elle, essayant d’adoucir le moral du garçon. - Très bien. Moi, je m’occupe de la surveillance avec Telius, fit Darin Le jour s’était levé au large de la côte marocaine et il craignait d’être repéré par des gardes-côtes ou des drones ennemis. Lorsque la salle à manger fut redevenue silencieuse, il interrogea Sarian - Que prévois-tu après avoir fait le plein ? - Nous allons à Madère pour brouiller les pistes. Ce sera plus compliqué de retrouver notre trace si nos adversaires entrent dans les systèmes informatiques des compagnies d’aviation françaises et espagnoles, répondit le chef du groupe. Le plan prévoyait de faire escale à la marina de Los Coloradas au sud de l’île de Lanzarote, à un peu plus de soixante nautiques de la côte marocaine, car l’autonomie du First Episode ne permettait pas d’atteindre Madère sans ravitailler. Los Coloradas était une petite bourgade côtière à l’est de la ville très touristique de Playa Blanca et il y avait déjà de nombreux bateaux autour de l’île. La saison battait son plein et Sarian comptait se dissimuler dans l’intense trafic maritime. Avec une vitesse maximum de trente nœuds, il faudrait au petit yacht moins de deux heures pour atteindre la côte de l’île espagnole. Sarian s’attendait à ce que les changements de pays compliquent la tâche de leurs poursuivants qui devaient vraisemblablement surveiller prioritairement les pays limitrophes : Algérie, Espagne et Mauritanie. Le trajet vers Madère devrait ensuite prendre un peu moins de seize heures, en fonction des conditions météorologiques : houle et orientation du vent. - Et ensuite ? Voulut savoir Telius, revenu dans le grand salon. - Nous verrons une fois sur place. Si les renforts de nos adversaires se manifestent ou si nous pouvons prendre le risque de louer un avion ou encore de faire venir le glisseur. Ajouta le chef du groupe. La fuite du Randor devrait faire diversion et tromper les impériaux, en leur faisant croire que nous avons quitté ce système. - Il faut convaincre les ados de nous suivre de leur plein gré, car si nous devons les contraindre cela va sérieusement compliquer les choses. Souleva Darin. - C’est surtout Mélanie qui bloque, les autres semblent plutôt accepter la situation. Affirma Telius. - Oria ne peut rien faire ? interrogea le lieutenant de Sarian. - Compliqué, avec les autres à proximité. S’ils ont l’impression qu’elle cherche à les contraindre, ils pourraient devenir récalcitrants à leurs tours. Fit Sarian. - Bon, de toute façon, elle ne va pas sauter en pleine mer. Il faudra être vigilant à l’approche des côtes. D’ici là, essayons de les convaincre. Conclut Telius. Sarian ne souhaita rien ajouter, car Paul revenait déjà dans la salle à manger et se resservit un nouveau café. Darin n’apprit donc rien de plus sur les détails du plan de fuite. Oria revint également et s’assit sans un mot, en face du garçon. - Bien. Pendant que nous sommes au calme, j’aimerais bien que vous m’expliquiez toute cette histoire. Commença le jeune homme, d’un ton calme, mais ferme. Il était resté debout et semblait déterminé à dénouer cette affaire. - Assieds-toi Paul. Lui demanda gentiment Sarian. Que connais-tu de tes origines ? - Eh bien, comme je l’ai déjà dit à Oria : j’ai été trouvé à proximité d’un hôpital à Paris et j’ai été adopté. Mais elle m’a dit que vous connaissiez mon histoire avant cette période de ma vie. Répondit le garçon, avec une curiosité non dissimulée. La jeune femme regarda longuement le jeune homme. - Tu as beaucoup de choses à apprendre et ta véritable formation va commencer à partir d’aujourd’hui, lui dit-elle en le fixant droit dans les yeux. L’intensité de son regard mettait Paul mal à l’aise et renforçait sa colère. - Commencez par me dire qui vous êtes et de quel pays je viens ! répondit-il, un peu irrité, en essayant de soutenir son regard. En réponse la jeune femme se concentra et lui lança une puissante sonde mentale. [Défends-toi Paul !] Il ressentit soudain une violente douleur à la tête comme si une aiguille, chauffée à blanc, s’était plantée dans son cerveau. Dans un premier temps, il chancela sous l’attaque invisible puis eut la sensation que son esprit se dédoublait. Il percevait les personnes présentes comme derrière un brouillard. Seule, la jeune femme rayonnait dans cet étrange environnement. [Non !] S’insurgea-t-il en même temps qu’il projetait, vers elle, une puissante énergie psychique incontrôlée. Oria fit un bond en arrière et s’écroula sur le sol en gémissant et en soutenant sa tête avec ses deux mains. Sarian se porta immédiatement à son secours et cria à Darin : vite, il faut lui mettre rapidement une résille Kries sinon elle risque de perdre la raison. Il avait soudain l’air paniqué, lui qui avait, jusqu’ici, toujours réagi avec un calme olympien. Darin sortit aussitôt une sorte de filet argenté, d’un sac posé près d’une cloison, et couvrit la tête de la jeune femme qui gémissait toujours. Dès que le filet fut posé sur sa tête, elle sombra dans un sommeil sans rêves. Sa respiration était faible et Paul pensa qu’elle était dans une sorte de coma artificiel. - Descendons là dans une cabine. Elle en a au moins jusqu’à Madère, si elle récupère. Ajouta Sarian, visiblement très inquiet. Paul, attends-nous ici s’il te plaît, lui intima l’homme. - Je n’ai pas voulu lui faire du mal, je ne sais même pas ce que je lui ai fait, répondit-il totalement hébété. - Nous le savons Paul. Je lui avais demandé de ne pas essayer, mais elle ne m’a pas écouté, grommela Sarian en emmenant la jeune femme dans la coursive menant aux cabines et coupant ainsi cours à d’autres questions. Tester quoi ? demanda benoîtement l'adolescent, à la porte du carré qui s’était refermée sur les trois adultes. Paul ne tenait plus en place en attendant le retour des deux hommes. Il tournait en ronds dans le carré et était réellement inquiet pour la jeune femme qu’il appréciait malgré les circonstances. C’était même auprès d’elle qu’il se sentait le plus à l’aise dans cette étrange situation. Il y percevait une sorte de complicité inconsciente avec cette jeune femme, comme un lien invisible. * Chapitre 7 Darin et Sarian étaient partis depuis moins de dix minutes, mais, pour Paul, l’attente devenait insoutenable. Totalement déboussolé par la série d’évènements et par ce qu’il semblait avoir provoqué, il n’était pas loin de craquer nerveusement. Il se sentait vidé par l’altercation, bien qu’il n’y ait eu aucun échange physique. Après quelques secondes de flottement où il eut peur de perdre connaissance, il ressentit soudain comme une bouffée d’adrénaline. Il eut brutalement l’impression que l’on venait de le shooter à la vitamine. Sa fatigue disparut et il se sentit de nouveau prêt à affronter le monde entier. Les deux hommes revinrent enfin alors que Paul avalait son 3e croissant, répondant à une faim aussi soudaine que dévorante. - Que m’avez-vous fait ? Demanda-t-il la bouche pleine. Son visage exprimant une vive inquiétude. - Nous ne t’avons rien fait, lui répondit calmement Darin - Alors qu’est-ce que j’ai fait à Oria ? Voulut savoir le garçon - Elle a souhaité tester tes aptitudes psychiques pour vérifier si tu étais capable de te défendre, et avec quelle intensité. Le résultat a été, malheureusement pour elle, au-delà de nos attentes. Car, même non éveillées, tes capacités te placent déjà dans un cercle très restreint d’individus. Répondit Sarian, en le fixant avec attention. - Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire de facultés psychiques ? s’énerva Paul, qui avait besoin de se défouler sur quelqu’un. - Paul, tu vas avoir beaucoup de mal à nous croire alors nous allons faire simple. Commença posément Sarian. Tu es le survivant d’une lignée génétiquement modifiée depuis trois cent cinquante siècles, équivalents terrestres, qui a porté les éléments les plus puissants depuis la découverte des glandes psykanes. Continua-t-il en essayant de trouver des mots rassurants, malgré l’incongruité de son discours. - Trente-cinq mille ans ! Mais l’homme vivait encore dans les cavernes ! C’est ridicule, votre histoire. Se mit à rire nerveusement le garçon, ébranlé par les paroles de son interlocuteur. Ce dernier sourit. - Sur cette planète en effet. Mais d’où nous venons, c’est le début de l’Empire d’Ildaran. - D’où venez-vous ? Parce que vous allez avoir du mal à me faire croire que vous venez d’une autre planète ? fit Paul d’un air dédaigneux. Pourquoi pas d’une autre galaxie ? Vous avez abusé de drogue, vous faites partie d’une secte ? Malgré ses fanfaronnades, le jeune homme commençait néanmoins à se sentir très mal à l’aise. - Nous n’essayons pas de te mentir Paul. Nous venons bien d’une autre planète située dans cette galaxie, dans un autre bras spiral que les astronomes d’ici appellent : bras Règle-Cygne. Ajouta Darin. - Vous comprendrez que vos propos ont de quoi me rendre sceptique, rétorqua Paul, qui commençait à regretter de les avoir suivis jusqu’ici. – Ces gens sont totalement timbrés, il faut que l’on quitte le bateau - pensa-t-il. Suis-nous sur le pont. Tu ne risques rien. Nous n’avons pas fait tout cela pour te nuire maintenant. Proposa Sarian. Bien que déstabilisé par les propos des deux hommes, la justesse du raisonnement et la curiosité incitèrent Paul à les suivre. De toute façon, ils tenaient Stéphanie et ses amis, installés dans les cabines et, pour le moment, il n’y avait rien d’autre à faire que de les écouter. Ils s’assirent tous les trois autour de la petite table, sur le pont arrière, et Paul les observa attentivement. Il apprécia être à l’extérieur, malgré la nuit. Le vent marin lui fouettait le visage et les senteurs de l’océan saturaient ses sens de parfums iodés. Les mouettes commençaient à voler autour du navire à l’affût de nourriture et il eut même l’occasion d’apercevoir brièvement un dauphin. Il faisait assez frais malgré la latitude, mais il ne ressentait pas le froid. Il n’eut cependant pas le loisir de réfléchir plus avant à la situation, car Sarian reprit son récit. - Paul commença l’homme. Nous allons essayer d’être concis, car nous serons bientôt en vue de Lanzarote et je souhaite que vous restiez à l’abri des regards. Sarian craignait qu’un drone orbital de surveillance capte l’image de l’adolescent et déclenche l’alarme. Il connaissait parfaitement la sophistication des senseurs impériaux. Il commença par donner à Paul son véritable nom : Ishar Verakin. Il continua en lui expliquant qu’il était le fils cadet du dernier empereur issu de la famille Verakin. Sa famille avait été entièrement décimée, à part lui, quelque dix-sept années plus tôt, en équivalents terrestres, lors d’un coup d’État orchestré par une famille rivale qui s’était emparée du pouvoir sur Ildaran Prime. Sarian continuait sans s’interrompre. - L’Empereur actuel est issu d’une autre vieille famille, rivale de la tienne depuis plus de trente-cinq mille ans. Lorsque l’attaque de notre planète mère a commencé, ton véritable père, le dernier empereur légitime, nous a demandé de t’emmener loin d’Ildaran Prime et de te cacher jusqu’à ce que tu sois prêt à combattre pour reprendre le trône. Au vu des évènements ces dernières heures, Sarian reconnut avoir partiellement échoué, car Paul avait été découvert avant d’être prêt à affronter son destin. - Jusqu’ici, la famille Seravon pensait que tu étais mort, bien que ton corps n’ait jamais été retrouvé. Maintenant qu’ils te savent vivant, ils vont lancer les forces de la Sécurité Impériale à tes trousses, dans tous les systèmes répertoriés par l’Empire. Poursuivit-il. Paul se sentait de plus en plus mal à l’aise. Ils sont vraiment germés, pensa-t-il. Il faut vraiment que l’on quitte ce navire dès que possible. Mais en attendant, je dois leur laisser croire que je rentre dans leur jeu afin de ne pas éveiller leur méfiance. - Admettons. Alors comment suis-je arrivé sur Terre et qui sont ces gens après moi ? Reprit Paul à voix haute - C’est nous qui t’avons amené sur cette planète il y a dix-sept années terrestres, répondit Sarian Darin prit la suite : - Les personnes qui te traquent sont des militaires de la marine spatiale en poste sur Terre. Ces hommes ont pu intervenir rapidement parce qu’il y a, sur chaque planète habitable répertoriée, une petite base de l’Empire chargée de faire respecter la non-ingérence des civilisations préspatiales et de rechercher des traces archéologiques d’interventions non humaines. Sarian ajouta qu’heureusement il ne s’agissait que d’un petit détachement de soldats peu entraînés et équipés avec du vieux matériel. Malheureusement, la neutralisation de deux de leurs hommes avait confirmé que la cible était bien un Verakin et qu’il était protégé par une petite équipe de gardes d’élite. Ils devaient avoir donné l’alerte et l’Empire allait dépêcher des membres des services spéciaux qui seraient bien plus coriaces et surtout beaucoup mieux équipés et plus nombreux. L’Empereur actuel et sa famille ne pouvaient, en aucun cas, se permettre de voir réapparaître un héritier Verakin. - Vous voulez me dire qu’une bande de soldats sous-équipés nous sont tombés dessus par hasard ? demanda Paul, un peu subjugué par cette incroyable histoire. - Non Paul. Pas par hasard. Leurs logiciels de surveillance avancés ont assurément détecté une correspondance morphologique avec ta famille dans les images du reportage tourné dans ton lycée. Heureusement, ils n’étaient pas certains de ton identité et ne s’attendaient pas à nous affronter, sinon ils seraient venus mieux armés. Répondit Darin Mais comment pouvaient-ils connaître mon visage si j’ai quitté votre planète à l'âge de douze mois ? s’étonna l’adolescent. Sarian lui expliqua que la technologie ildarane était très sophistiquée et permettait de reconstituer la morphologie des individus à partir de l’ADN. Comme l’ADN des Verakin était conservé dans les bases sanitaires de l’Empire, il n’avait pas été difficile d’intégrer ses données physiologiques dans le mécanisme de surveillance. Néanmoins, sans comparaison effective de son ADN, il était impossible d’être positif à cent pour cent et le détachement local avait pu croire à une fausse alerte. Les soldats locaux avaient, malgré tout, le devoir de vérifier et s’étaient lancés à sa poursuite. - L’équipe locale ne nous inquiète pas trop. Par contre, ceux qui vont arriver prochainement de l’espace vont modifier le rapport de force en notre défaveur. Ajouta l’homme qui paraissait être le chef du groupe. - Pourtant l’homme qui a combattu Oria à Marrakech m’a semblé plutôt efficace, fit remarquer Paul, qui trouvait cette histoire totalement délirante, mais se laissait entraîner par la curiosité. Le jeune homme continuait la conversation afin d’en savoir un peu plus sur cette équipe de farfelus qui pouvait s’avérer dangereuse, s’il les contrariait ouvertement. - Oh non. Il était très lent selon nos standards. Il devait avoir reçu l’injection d’un package Nanocrytes de niveau trois ou quatre maximum, sourit Darin. - Oh là là ! Ça fait trop de questions à poser. Vous m’embrouillez avec vos histoires : je ne sais même plus par quel bout commencer. Qu’est-il arrivé à Oria ? Chercha à savoir le garçon. - Tu t’es défendu sans maîtriser des facultés psychiques et tu as relâché trop d’énergie. Tu aurais pu la tuer. Il va te falloir apprendre à canaliser cette énergie, car tu es issu d’une lignée de psykans parmi les plus puissantes qu’Ildaran ait produite. - Vous aussi, vous avez cette faculté ? demanda le jeune homme curieux et inquiet à la fois. - Non. Il n’y a qu’Oria, dans notre groupe, qui en soit dotée, car elle est issue d’une branche de ta famille. Répondit Sarian. Il lui expliqua que seules les grandes dynasties de l’Empire avaient les moyens et la longévité pour entreprendre les modifications génétiques qui offraient cette capacité au bout de plusieurs générations. Irias possédait également quelques aptitudes de perception, mais à un niveau insignifiant. Il précisa ensuite que peu de familles comme les Verakin et les Faraï étaient améliorées depuis l’origine de cette technologie, trois cent quarante siècles plus tôt, et qu’il n’y avait que huit grandes dynasties aussi anciennes. Au cours de l’histoire d’Ildaran, les Verakin avaient toujours produit les psykans les plus puissants. - Et comment se fait-il que vous soyez aussi rapide ? Questionna Paul, qui avait encore en mémoire la réaction de Darin dans le jardin du club de Marrakech. - Ce n’est pas lié aux facultés psychiques : c’est une autre amélioration artificielle. Nous recevons tous à la naissance une injection de nanorobots organiques, appelés Nanocrytes, qui augmentent nos capacités physiques. Nous avons également été conditionnés pour pouvoir résister temporairement à une injonction mentale et, en cas de besoins, nous disposons de résilles de protection qui nous protège d’attaques mentales de moyennes intensités. Précisa Darin. Sarian enchaîna les explications. Tous les habitants de l’Empire recevaient à leur naissance un package de niveau 1, qui était le niveau médical de base. Ces Nanocrytes permettaient de combattre les infections, de guérir et de cicatriser rapidement, de retarder l’effet de fatigue et surtout : prolongeaient l’espérance de vie. - Tu dois déjà avoir remarqué que tu n’es jamais malade et qu’en cas de blessures tu cicatrises plus rapidement que la moyenne ? L’interrogea Darin. - Oui en effet. Stéphanie me le fait souvent remarquer et cela a toujours intrigué Lionel, notre vieux médecin de famille. Répondit machinalement Paul, un peu troublé. - Je ne sais pas précisément quel package on t’a injecté avant que nous ne quittions Ildaran Prime, mais tu possèdes au moins le niveau 1, comme tous les habitants de l’Empire. Affirma Sarian. - Et combien de niveaux y a-t-il ? Voulut savoir Paul, qui commençait à se prendre au jeu. On pourrait faire un film avec une histoire pareille, pensa-t-il. Darin relaya Sarian. - Il y a sept niveaux de Nanocrytes, mais le dernier niveau est réservé aux membres de la famille impériale et aux huit grandes familles. Le niveau six est injecté aux forces de la Sécurité, le niveau cinq aux forces de police spatiale puis viennent ensuite différents niveaux selon la position et les moyens financiers des individus. - Vous avez quel niveau ? s’enquit Paul, passionné par les détails fournis par les deux hommes. - Nous sommes tous de niveau six, car nous faisions partie de la garde qui protégeait directement ton père. Fit Darin. Mais c’est impossible : il a été tué il y a dix-sept ans et vous avez quoi ? Vingt-huit ? Trente ans ? Rétorqua Paul, agacé de s’être laissé embarqué dans ce récit délirant. Sarian sourit affectueusement. Non jeune Paul. J’ai à peu près cent trente-six ans, équivalent terrestre. - Cent trente-six ans ! Mais c’est impossible. Tout se bousculait dans l’esprit du garçon. Je ne dois pas les contrarier : ils pourraient devenir dangereux, songea-t-il. - Beaucoup de choses sont possibles en génétique, tu sais. C’est une question d’avancée technologique. Nous savons que de nombreux scientifiques terriens travaillent sur ces sujets et qu’ils découvriront un jour comment augmenter plus largement l’espérance de vie. Répondit Sarian, qui lui précisa comment les évolutions génétiques depuis trente mille ans avaient permis de prolonger la durée de vie jusqu’à plus de six cents ans, équivalent terrestre. - Six cents ans, ce n’est pas possible ! lâcha Paul incrédule, avant de se fustiger et penser : arrête de t’énerver, ces gens sont complètement cinglés. C’est à ce moment que Telius revint du poste de pilotage et les interrompit. - Nous approchons des côtes espagnoles et il y a beaucoup d’embarcations. Il faudrait que Paul redescende dans sa cabine et que personne ne se montre. - Telius a raison. S’il te plaît. Va rejoindre ton amie Stéphanie et restez dans vos cabines jusqu’à ce que nous ayons quitté la côte de vue. Fit Darin en se mettant de côté pour le laisser accéder à la coursive centrale. D’où il se trouvait, Paul apercevait la côte de l’île espagnole à travers un des hublots du salon et, en effet, ils n’en étaient plus très loin. * Chapitre 8 En chemin vers les cabines, Paul commença à échafauder un plan pour quitter le bateau. Il songeait qu’ils auraient dû être plus méfiants et écouter Mélanie, mais maintenant il fallait rapidement rectifier le tir. En premier lieu : réveiller ses trois amis et se regrouper dans la même cabine afin de pouvoir sortir tous ensemble. L’adolescent était inquiet, car l’histoire racontée par ces inconnus prenait une tournure invraisemblable qui l’incitait à imaginer qu’ils étaient peut-être de dangereux fanatiques illuminés. Paul se savait plus quoi penser. Ces hommes avaient mis en œuvre une énorme logistique pour de simples mystificateurs, mais il ne parvenait pas à croire à cette extravagante histoire d’extraterrestres. Il s’agissait certainement d’une secte, mais, quoi qu’ils veuillent, il était préférable de leur échapper au plus vite. L’adolescent s’approcha de son amie endormie et l’a secoua délicatement « Steph, réveille-toi. » - Nooon… laisse-moi dormir encore un peu …» - Lève-toi, je te dis. Il faut quitter le bateau et je dois réveiller Alex et Mélanie, insista-t-il, un peu brusquement, en laissant transparaître son inquiétude. - Nous sommes encore attaqués ? Interrogea la jeune fille, soudain sur le qui-vive. - Non, mais nous allons devoir nous échapper. Je crois que ces gens sont complètement fous et peut-être dangereux. Lui répondit Paul en essayant de rester calme. - Tu veux quitter le yacht maintenant ? Cette fois, c’était à Stéphanie de ne plus rien comprendre. - Oui. Nous serons bientôt sur le territoire espagnol. Il ne devrait pas être trop difficile de se faire rapatrier en France, même sans nos passeports. Affirma Paul, sans croire totalement à son discours. - Et s’ils avaient raison et que quelqu’un cherche effectivement à te tuer ? rétorqua la jeune fille, toujours incertaine sur la conduite à suivre. Paul lui fit un rapide résumé de la conversation et de l’histoire d’extraterrestres, des gardes impériaux et d’une soi-disant conspiration intergalactique. Il lui fit part de sa théorie sur leur appartenance à une secte et du danger à rester avec eux. - Ah oui quand même ! En effet, ça fait peur. Avoua la jeune femme, maintenant totalement réveillée. - Habille-toi. Je vais réveiller discrètement les autres. - D’accord, reviens vite. Lui répondit-elle en lui glissant un baiser, inquiète. Paul ressortit silencieusement de la cabine, mais tout se bousculait dans sa tête et il ne pouvait s’empêcher de penser à ce qui était arrivé à Oria. – Ce doit être un coup monté, elle simule pour me culpabiliser et me faire accepter leur histoire. Le combat à Marrakech a probablement été monté dans le même but. En tous les cas, ils y ont mis les moyens - pensa-t-il. Cette explication, plus rationnelle, le rassurait et il avait déjà occulté l’étrange arme utilisée pour détruire la roue de leur poursuivant, dans la cité marocaine. Il entrouvrit la porte de la cabine de ses amis. Celle-ci grinçait légèrement, mais cela ne réveilla ni Mélanie ni Alex. Paul secoua doucement ce dernier pour essayer de le réveiller, mais l’adolescent ne bougea pas. Sont-ils drogués ? songea l’adolescent alors que son ami commençait à remuer. - Qu’est-ce que tu veux ? Lui demanda Alex, la voix encore embrumée de sommeil. Paul lui résuma rapidement la situation et Alex réveilla aussitôt Mélanie. La jeune femme ne se fit pas prier, satisfaite que les garçons prennent enfin conscience du danger à rester avec ces inconnus. Les trois jeunes gens retrouvèrent Stéphanie dans sa cabine, quelques secondes plus tard, et Paul leur précisa immédiatement ses intentions. Nous allons attendre d’être amarrés à quai. Le yacht ne pourra plus manœuvrer et il nous sera plus facile de sauter à terre. Ensuite, on fonce le plus vite possible vers la capitainerie ou ce qui ressemble à un bureau officiel. Ils ne devraient pas prendre le risque de nous poursuivre en plein jour. Puis on cherche un bureau de police et l'on explique notre cas. Nous devrions être à Paris pour dîner. L’adolescent semblait ravi de son plan. Alex avait écouté son ami, mais restait malgré tout circonspect : - Ces gens semblent avoir investi beaucoup de temps et d’argent dans cette opération. Tu crois qu’ils vont nous laisser partir aussi facilement ? Il est probable que, dès que nous aurons accosté, l’un d’entre eux descendra nous surveiller. Ils n’ont qu’à se poster dans la coursive avec une arme et nous serons coincés. - Que proposes-tu dans ce cas ? demanda Mélanie. - Il faut quitter le bateau avant qu’il ne soit entré dans la marina et gagner la côte à la nage. Ils ne pourront pas nous suivre avec le yacht à cause du tirant d’eau. Répondit Alex avec assurance. - Ils peuvent nager à notre poursuite ou utiliser l’annexe, objecta Stéphanie. - Je ne pense pas qu’ils utiliseront l’annexe. Ce serait le meilleur moyen de se faire repérer d’autant que la douane doit surveiller le coin : nous sommes proches de la frontière marocaine. Pour nous par contre, ce serait idéal si on était récupérés par les gardes-côtes espagnols. Répondit Alex, qui semblait avoir pris la situation en main. - Tu as raison, c’est un meilleur plan que le mien. Conclut Paul, surpris par le sang-froid de son ami. Le jeune homme s’approcha du hublot de la cabine pour découvrir qu’ils étaient maintenant tout près de la cote de Lanzarote. - Bon. Nous devrions pouvoir quitter le bateau d’ici un quart d’heure. Rapprochons-nous de l’écoutille du pont avant : nous sauterons dès que possible. Fit Alex, qui prit la tête du petit groupe. Les quatre adolescents se dirigèrent vers l’avant du bateau, mais il leur fallut patienter presque dix minutes avant que le Yacht ne se soit rapproché suffisamment de la digue de la marina. - Nous sommes près de l’entrée de la marina. Il va falloir y aller bientôt, ils ne pourront plus manœuvrer dès que nous serons entrés dans le chenal souligna l’adolescent tout en se hissant sur le pont avant du First Episode. En effet, le navire arrivait par l’est et devait remonter au cap ouest-nord-ouest puis longer la digue pour entrer dans le port. On en apercevait déjà l’entrée où se trouvait une aire d’héliport. - Le bateau va devoir virer à tribord pour entrer dans le chenal. Nous en profiterons pour sauter à ce moment-là et nager droit vers la plage. Reprit Alex. Quelques secondes plus tard, sans surprise, le First Episode commença à virer et les quatre adolescents se ruèrent aussitôt sur le côté bâbord du pont avant. Sans attendre, ils se jetèrent à l’eau et se mirent à nager rageusement vers la plage. Stéphanie, nageuse émérite, avait pris la tête, suivie de Paul. C’était un endroit très touristique et l’on apercevait les hôtels de luxe, alignés le long de la plage jusqu’à la ville de Playa Blanca, toute proche. Tout s’était déroulé suivant le plan d’Alex, mais le bruit des plongeons avait alerté Telius depuis le poste de pilotage. Celui-ci s’élança sur bâbord arrière pour suivre des yeux les adolescents qui cherchaient à mettre une distance maximum entre eux et le yacht et prévint aussitôt ses complices. - Darin ! Plonge à leur poursuite. Nous n’avons pas le temps de détacher l’annexe ni de virer. Suis-les et ne te fais pas remarquer par la police locale. Ordonna Sarian. - Je m’en occupe. De toute façon, je ne peux pas les perdre avec les nanotraqueurs qu’ils ont ingérés. Répondit l’homme, qui attrapa une sorte de poignée prolongée par un cylindre et plongea immédiatement dans les eaux du petit port de plaisance. Stéphanie nageait toujours en tête et aucun des adolescents n’avait pu voir s’ils étaient poursuivis. Ils pensaient avoir au moins une minute d’avance et se rapprochaient rapidement de la plage, maintenant toute proche. Après un dernier effort, les quatre jeunes gens prirent pied sur le sable. - Nous sommes en face d’un grand hôtel. Fit Paul, qui était le seul à ne pas être essoufflé. Essayons de nous fondre dans la foule : ils auront plus de mal à nous contraindre à les suivre, s’ils nous retrouvent. Ensuite, nous essaierons de nous glisser dans une chambre et de prendre de quoi nous changer. - Tu veux que nous dérobions des habits ? s’indigna Stéphanie, qui venait de se redresser. - Nous n’allons pas nous rendre au commissariat tout mouillé ! En plus on peut essayer de s’en sortir nous-mêmes, si nous parvenons à appeler les parents depuis un hôtel. On pourra dire que nous avons perdu nos passeports ? argumenta Paul. - Ça ne marchera pas. Nous ne sommes pas venus sur cette île par avion et ne sommes pas enregistrés dans un hôtel. On va nous considérer comme des clandestins. Lui rétorqua Alex. - D'accord. Dans ce cas, essayons au moins de trouver des vêtements et nous irons au commissariat, déposer plainte, et tâcher de nous faire rapatrier sur Paris. Proposa Mélanie. Les quatre adolescents s’avançaient déjà vers l’hôtel lorsqu’ils aperçurent Darin tranquillement assis sur le sable, les jambes repliées entre ses bras. Paul s’immobilisa et scruta le bord de mer à la recherche d’autres membres de l’équipe, mais l’homme semblait seul. Les adolescents n’en furent pas moins étonnés de voir qu’il était parvenu à arriver avant eux, sans se faire remarquer. - Vous avez été long. Se moqua-t-il gentiment, en les voyant approcher lentement, l’air contrit. Paul manqua de s’étrangler en l’invectivant. Mais comment êtes-vous arrivé ici plus vite que nous, sans que nous vous voyions ? - J’ai nagé sous l’eau et j’ai un propulseur sous-marin. Répondit l’homme en agitant la poignée prolongée par le cylindre. Il se leva et commença à se rapprocher d’eux. - Stop !lui intima Paul. Sinon on appelle au secours. - Ne soyez pas ridicules. Nous ne vous voulons aucun mal. Calmez-vous. Répondit Darin en s’immobilisant, paumes ouvertes, dans une attitude volontairement non menaçante. Les adolescents s’étaient mis en marche vers l’ouest de la plage avec l’intention de le contourner, mais celui-ci les accompagna sans chercher à les intercepter. Paul réfléchissait à toute vitesse, mais il n’arrivait pas à se décider sur l’attitude à adopter. - Vous ne comptiez pas que je crois votre histoire d’extraterrestres quand même ? lança-t-il, un peu agacé de s’être fait rattraper si facilement. - Écoutez-moi tous les quatre. Vous êtes vraiment en danger et nous sommes ici pour protéger Paul et vous aussi, par la même occasion, tant que vous serez avec lui. Répliqua le second de Sarian. - Nous ne croyons pas à votre histoire de tueurs, lança Mélanie. - Alors comment expliquez-vous la poursuite dans Marrakech ? Et l’état d’Oria après que Paul lui ait pratiquement grillé le cerveau ? demanda l’homme, en fixant Paul. - Qu’est-ce que c’est que cette histoire avec Oria ? Voulut savoir Alex qui ignorait tout de l’épisode, entre son ami et la jeune femme. - Vraisemblablement une mise en scène pour me faire croire à leur histoire afin que nous les suivions sans résistance. Répondit l’adolescent qui cherchait encore une explication rationnelle à cette étrange altercation. - Allons, Paul, dans quel but ferions-nous tout cela ? N’est-ce pas toi qui nous avais dit être un adolescent ordinaire ? Vos parents ne sont pas riches. Vous n’êtes pas non plus un enjeu politique. Et enfin, si nous avions voulu vous enlever, pourquoi revenir en Europe ? Cela aurait été plus simple de nous diriger vers une zone inhabitée, comme le nord de la Mauritanie ou l’Algérie, mais pas en Espagne et encore moins dans une zone hyper touristique. Argumenta Darin, qui cherchait à apaiser la situation en leur montrant la foule sur la plage et les hôtels du littoral. - Il n’a pas tort sur ce point. Nota Alex, resté calme et sûr de lui. - Cela ne lui donne pas, pour autant, un blanc sein sur le reste, rétorqua Mélanie, toujours sur la défensive. - OK, temporisons. Continuons à marcher sur la plage et rapprochons-nous d’un hôtel. Je préfère discuter au milieu des touristes, suggéra Paul. - C’est une sage décision. Séchons un peu sur la plage et entrons dans celui qui est face à nous, si vous voulez. De toute façon, nous avons un peu de temps pendant que Sarian fait le plein du First, proposa Darin. - Éloignez-vous un peu que l’on en discute tous ensemble pendant quelques minutes. Si l’on voit arriver l’un de vos hommes, on ameute toute la plage. Prévint Paul. - Pas de souci, je te le répète : nous sommes ici pour te protéger. Discutez-en entre vous, mais faites vite. Ce serait idiot de se faire repérer à découvert sur une plage, si belle soit-elle. Je reste assis ici. Paul, surtout ne lève pas la tête et ne regarde pas le ciel, je t’expliquerai plus tard. Darin s’assit en tailleur sur le sable et attendit patiemment, mais sous sa tranquillité apparente tous ses sens étaient en éveil, à l’affût du moindre danger. Il craignait par-dessus tout qu’un drone orbital ne détecte la correspondance morphologique de Paul si celui-ci levait la tête. Maintenant que les impériaux avaient la confirmation de l’identité de leur cible, tous les systèmes de surveillance de la base impériale devaient avoir été activés et Darin ne connaissait que trop la sophistication et l’efficacité de la technologie de ses semblables. Les quatre adolescents s’éloignèrent d’une dizaine de mètres et essayèrent de faire le point. Mélanie était toujours décidée à s’enfuir et essayait de convaincre son compagnon. Stéphanie était inquiète et partagée, car elle craignait d’être en présence d'illuminés, malgré certains éléments très réalistes dans leurs discours. Alex tentait de réfléchir plus calmement, mais il lui manquait trop d’éléments pour prendre une décision raisonnée et Paul était, pour la première fois de sa vie, totalement indécis alors que son avenir se jouait probablement en ce moment. Il avait le sentiment inconscient qu’il pouvait faire confiance à Oria, Sarian et Darin, mais il se méfiait quand même de ses propres intuitions, surtout que leur récit était totalement incroyable. Au bout de quelques minutes, Darin les héla gentiment en désignant sa montre. - Il n’y a pas d’urgence absolue, mais on ne peut pas rester ici éternellement. Qu’avez-vous décidé ? demanda-t-il, malgré tout, inquiet par la réponse. - Encore une minute. Temporisa Paul - Pour le moment, ils n’ont pas été agressifs avec nous et Darin à raison : s’ils nous avaient voulu du mal, ils ne nous auraient pas emmenés ici. Intervint Alex. - Moi je ne retourne pas à bord, objecta Mélanie. - Je simplement réfléchi à haute voix, mais s’ils ont raison à propos de Paul et qu’il y a réellement des gens malintentionnés à ses trousses, on ne peut pas réapparaître comme ça. Je ne pense pas qu’ils se soient donné autant de mal dans la mise en scène simplement pour nous enlever. Et dans quel but d’ailleurs argua Alex - Ca d’accord. Mais cette histoire d’extraterrestre, c’est un peu gros non ? fit Stéphanie. - Oui c’est même le seul point qui me fait douter de leur sincérité, car à part ça ils ont plutôt l’air saints d’esprit. Répondit Alex, l’air songeur. - Il faudrait bouger, on pourrait s’étonner de nous voir tout mouillés et habillés sur la plage. Intervint Darin, qui commençait à s’impatienter et redoutait de voir arriver la police locale. Je vous propose d’entrer dans cet hôtel et de faire le point tranquillement. - Bon d’accord, mais pas de coup fourré. Et on reste à proximité de la foule. Proposa Paul, qui restait méfiant. - Je vous accompagne, mais au moindre signe suspect je hurle, répondit Mélanie, qui ne voulait pas rester seule. Darin ne répondit pas et leva les bras en signe de résignation. En plein soleil, la chaleur commençait à augmenter et ils traversèrent la plage en direction d’un luxueux hôtel 5 étoiles appelé Princesse Yaiza. Le bâtiment principal était conçu dans le style colonial des îles Canaries avec deux grandes piscines centrales bordées par deux rangées de chambres aux balcons pittoresques. Darin leur proposa d’entrer dans l’enceinte de l’établissement. Son téléphone portable se mit soudain à sonner. Le mobile devait être étanche pour avoir résisté au bain, pensa Alex Oui Sarian ? - Où es-tu ? demanda le chef du groupe. - Nous sommes tous sur la plage, devant un hôtel touristique, en train de sécher, répondit l’homme. - Ici, nous attendons l’ouverture de la station d’essence à 10h locale, je te rappelle dès que le plein sera fait - OK, nous allons probablement faire un tour le temps de discuter un peu, fit Darin, qui coupa la communication. Après un quart d’heure passé au soleil des Canaries, toute l’équipe était pratiquement sèche, mais les vêtements étaient tout fripés et pleins de sable. - Nous sommes à peu près secs maintenant. Nous ne devrions pas trop nous faire remarquer à l’intérieur de l’hôtel, malgré nos habits en piteux états avança Alex - Essayons de nous glisser dans une chambre et de nous changer si nous trouvons des habits. Suivez-moi, leur proposa Darin - D’accord, mais, si je vois un de tes amis, nous hurlons immédiatement, lui répondit Paul encore sur la défensive. L’hôtel était bondé, en cette période de vacances scolaires, dans plusieurs pays d’Europe, et le petit groupe put se faufiler à l’intérieur sans se faire remarquer. Entrons ici au rez-de-chaussée, proposa Darin. Ils s’engagèrent dans un couloir qui desservait les chambres les plus proches de la mer. Darin se rapprocha d’une porte et plaqua son téléphone portable sur la serrure à carte de la chambre, celle-ci se déverrouilla immédiatement. Ce n’est donc pas un téléphone classique, pensa Alex. Le petit groupe s’engouffra dans la suite et il se promettait de l’interroger sur ce téléphone multifonctions qui semblait sorti tout droit d’un film d’espionnage. La chambre était une suite familiale meublée d’un grand lit à baldaquin en bois lasuré de blanc. Les murs, de couleur orangée, donnaient une tonalité chaude et ils pouvaient distinguer une seconde chambre attenante à la pièce principale. Darin alla immédiatement fouiller les penderies à la recherche de vêtements propres et secs. Mélanie, Alex. Prenez la salle de bain en premier, fit-il en leur tendant des habits grossièrement à leur taille. Ceci devrait vous aller, nous verrons plus tard à trouver des vêtements plus adaptés. Les deux adolescents se faufilèrent dans la salle de bain décorée d’un carrelage vert et de mobiliers de couleur wengé. La baignoire ronde à remous occupait presque la moitié de la pièce, mais les deux jeunes se dirigèrent ensemble vers la douche attenante pour se rincer de l’eau de mer et du sable qui leur collait à la peau. Alex eut fugitivement quelques pensées érotiques lorsque sa main s’égara sur le corps de sa maîtresse, mais il fut vite stoppé dans son élan par le regard courroucé de la jeune fille. Celle-ci ne prit même pas la peine de justifier sa réaction. Après quelques minutes ils avaient retrouvé une allure plus présentable et laissèrent la place à leurs amis. Paul avait eu quelques minutes pour réfléchir et commençait partiellement à croire Darin. Une mise en scène aussi élaborée pour les tromper n’avait aucun sens ni aucune justification plausible. Mais que faire ? Nous ne pouvons pas simplement nous contenter de les suivre passivement, il faudra bien démêler cet écheveau tôt ou tard. Quelles preuves peuvent-ils nous apporter de leur sincérité ? Le jeune homme butait sur ces interrogations, sans trouver de solutions à ce dilemme. C’est avec toutes ces pensées qu’il partagea la douche avec Stéphanie, visiblement préoccupée, elle aussi. Ils n’avaient pratiquement pas échangé de paroles, mais leurs regards en disaient long sur leurs inquiétudes. À peine secs, ils enfilèrent les effets empruntés dans les armoires de la chambre dans un parfait silence qui symbolisait parfaitement leur profond malaise et sortirent rejoindre les autres dans la pièce principale. Mélanie et Alex s’étaient isolés dans une chambre, mais Darin avait soigneusement laissé la porte entrouverte par sécurité ou peut-être pour mieux les surveiller. Personne n’avait envie d’engager une conversation et Paul réfléchissait activement à la suite. Darin ne prit pas la peine de se doucher, il se contenta de secouer le sable sur son corps et enfila des vêtements secs. Paul pensa immédiatement que l’homme avait peur de les laisser seuls, mais en réalité celui-ci ne craignait pas de les perdre, car les quatre jeunes avaient ingéré, à leur insu, un nanotraqueur organique qui permettait de les suivre en temps réel tant que le minuscule organisme serait actif. Il redoutait plutôt qu’ils se séparent, ce qui aurait considérablement compliqué sa mission. Les quatre adolescents semblaient un peu assoupis par la douche et le relâchement de la tension accumulée depuis la veille au soir, mais, dès que Darin fut habillé, Paul le prit immédiatement à partie. - Je crois qu’il est temps que vous nous apportiez un minimum de preuves de ce que vous nous avez raconté, attaqua l’adolescent. - La démonstration va être courte, car je ne peux pas prendre le risque d’être repéré en utilisant des technologies trop sophistiquées, mais je vais essayer de vous convaincre. Paul, tu es ceinture noire d’Aïkido et de Karaté, tu es donc un adversaire redoutable. Attaque-moi sans retenue - Vous êtes sûr, vous ne risquez pas d’être blessé ? interrogea l’adolescent sans s’étonner que l’homme soit informé de ces détails le concernant. Pas par toi, en tout cas, répondit Darin en souriant. Piqué au vif par le regard, un peu moqueur, de l’homme, Paul l’attaqua sans préavis et se retrouva au sol immobilisé, sans avoir compris ce qui lui arrivait. - Comment avez-vous fait ? s’exclama-t-il. - Mon organisme est artificiellement modifié par des Nanocrytes de combat qui accélèrent mes connexions nerveuses et renforcent ma puissance musculaire. Quelles que soient tes aptitudes en arts martiaux, tu ne peux même pas espérer me toucher. Je me déplace une virgule huit fois plus vite que toi. Lui fut-il répondu. Il lâcha l’adolescent et fut soudain enveloppé du même champ irisé que Paul avait observé lorsqu’Oria combattait leur poursuivant en voiture à Marrakech. Maintenant, prenez quelque n’importe quel objet et frappez-moi avec, enchaîna Darin. Si les jeunes filles hésitèrent, Alex et Paul attrapèrent chacun un chandelier et tentèrent d’atteindre l’homme. Leurs coups rebondirent sur leur cible qui semblait être protégée par une barrière invisible. - C’est un champ Horlzson qui m’isole totalement. Bon, j’espère que la démonstration vous a convaincu pour le moment. On essayera de faire mieux, plus tard. Maintenant, quittons cette chambre rapidement, ce serait dommage de se faire surprendre bêtement. Conclut-il. Les adolescents se regardèrent incrédules, totalement désorientés par la dernière expérience. Alex, qui s’intéressait tout particulièrement aux nouvelles technologies et aux systèmes d’armes, n’avait jamais entendu parler de champ de force comme cela en dehors des films de science-fiction. Ce système de protection situait immédiatement Darin dans le camp d’une grande puissance, car il était impensable d’imaginer un groupe de malfrats ou de terroristes posséder une technologie pareille. Les deux garçons fixaient, avec une curiosité non dissimulée, le petit boîtier noir attaché à la ceinture de Darin. Le dispositif faisait environ trois centimètres sur deux, était épais d’à peu près cinq millimètres et totalement uniforme, sans aucune commande apparente. Ils se demandaient comment activer un tel système. - Vous avez bien deviné. Nota l’homme avec un sourire. C’est bien ce petit boîtier qui génère le champ Horlzson. Nous vous fournirons à chacun un équipement similaire afin de vous protéger, mais pour le moment je propose de quitter l’hôtel et de marcher vers le port en attendant que le plein de gasoil soit terminé, reprit-il. - Nous n’avons pas encore pris la décision de vous suivre, objecta Alex, qui cherchait à reprendre l’initiative après l’échec de son plan d’évasion. Il avait été impressionné par le champ de force et commençait à prendre au sérieux une partie de l’histoire de ces individus mystérieux. - Rapprochons-nous toujours de la marina, cela ne vous engage à rien. Leur proposa l’homme. La démonstration avait eu son petit effet et les quatre adolescents considéraient maintenant Darin différemment. Aucune secte, ou aucun mouvement idéologique, si puissant soit-il, ne pouvait avoir développé des technologies de cet acabit. Il s’agissait forcément d’un organisme gouvernemental, mais de quelle nationalité ? Le fait que l’homme ait ajouté qu’ils allaient leur fournir un dispositif identique, rassura un peu Paul, car s’ils les équipaient d’un tel équipement c’est qu’ils ne devaient pas vouloir leur nuire, du moins à court terme. Il était en effet impossible d’imaginer les véritables motivations du gouvernement derrière ces hommes. - Filons avant que les propriétaires de ces habits n’ameutent la sécurité, proposa Darin, en sortant de la chambre. N’ayant rien à lui opposer pour le moment, les adolescents lui emboîtèrent le pas. Le groupe sortit tranquillement de l’hôtel, sans être inquiété, et s’engagea à pied sur la Calle del Cercado, à l’opposé du centre-ville de Playa Blanca. Paul continuait à penser à la démonstration de Darin qui l’avait désarçonné. Il se savait un adversaire de taille et l’homme l’avait pourtant neutralisé aisément. Si ces individus disaient vrai, cela changeait notablement la nature de leur expédition et il eut une pensée angoissée pour ses parents adoptifs, car il redoutait que leurs poursuivants les aient interrogés. Il aurait souhaité pouvoir les contacter, mais il craignait d’attirer l’attention. L’esprit cartésien du jeune homme commençait à intégrer les conséquences de cette affaire et son instinct de préservation était en alerte. Soudain, le téléphone de leur accompagnateur se mit à sonner et cela mit fin à ses sombres pensées. De nouveau Sarian, qui informait son subordonné que le plein du yacht était terminé et qu’ils étaient prêts à repartir. Darin observa les quatre adolescents et fut rapidement convaincu que son travail de persuasion n’était pas achevé. Je te rappelle dès que possible fut son unique réponse. Le petit groupe marchait au milieu d’une foule de vacanciers décontractés qui se promenaient dans les rues de Playa Blanca. À cette saison, les îles Canaries étaient pleines de touristes et le groupe passait totalement inaperçu dans cette foule bigarrée et insouciante, loin de se douter que parmi eux un jeune homme était recherché par des hommes aux moyens quasi illimités. Darin insista, une nouvelle fois, sur le danger à rester sur cette île. - Si nous avions des intentions malveillantes, nous aurions pu nous débarrasser de vous, bien plus tôt. Et si nous avions voulu vous enlever, nous serions partis vers un endroit désert. Pas aux Canaries en plein milieu des touristes. Darin parlait calmement. Des individus veulent capturer ou tuer Paul et tous ceux qui seront avec lui seront éliminés en même temps, afin de ne pas laisser de trace. Le seul moyen de leur échapper, pour le moment : c’est de se fondre dans la population. - Pourquoi en veulent-ils à Paul ? Ses parents ne sont pas riches et sa famille non plus. Questionna Stéphanie - Comme je vous l’ai dit : ils veulent le supprimer, car il est l’unique héritier d’enjeux considérables. Il est difficile de vous en dire plus sans l’autorisation de Paul… Le garçon se sentit soudain mal à l’aise, car, si sa compagne connaissait la vérité sur son adoption, Mélanie et Alex l’ignoraient et il avait toujours souhaité qu’il en soit ainsi. Cependant, compte tenu de la situation, il devait accepter de leur fournir tous les éléments leur permettant de se faire leur opinion. - Vous pouvez le leur dire Darin. De toute façon ils l’apprendront bien assez tôt et, si ce que vous dites est vrai, il est préférable qu’ils connaissent la vérité. Lâcha-t-il finalement. - Merci, Paul. Cela va nous simplifier les choses. En premier lieu, sachez que Paul a été adopté vers l’âge de douze mois. Commença l’homme. - Quoi ! Paul, c’est vrai ? s’exclama Alex. Je suis ton meilleur ami, on se connaît depuis cinq ans et tu ne me l’as jamais dit ! s’indigna le jeune homme en coupant la parole à Darin. Stéphanie ne broncha pas et Mélanie n’eut aucune réaction, se désintéressant visiblement du sujet. - Désolé Alex, mais c’est mon jardin secret. Stéphanie était la seule, en dehors de ma famille, à le savoir. Je compte sur le secret dès que cette histoire sera terminée. Darin, continuez s’il vous plaît. Reprit Paul, signifiant d’un regard appuyé que le sujet était clos. - Comme nous avions commencé à l’expliquer à Paul sur le bateau, il est l’unique héritier … d’un Empire. Darin avait un peu hésité sur le terme à adopter, car il ne souhaitait pas que les adolescents en apprennent trop. Des clans rivaux ont éliminé sa famille, il y a dix-sept ans, et se sont emparés de son influence et de ses biens. Sans entrer dans les détails, l’homme leur expliqua que ces individus seraient prêts à tout pour que Paul ne ressurgisse jamais au milieu de leurs affaires. Ils avaient ignoré jusqu’ici qu’il fut encore vivant, mais, maintenant que l’information était connue, ils allaient, sans aucun doute, mettre tout en œuvre pour l’éliminer. - Cette histoire est quand même difficile à avaler non ? fit Mélanie en regardant, tour à tour, ses amis. Nous n’avons jamais entendu parler d’une famille d’industriel, ou d’homme politique, assassiné dans les dernières années. Cela aurait dû laisser des traces s’il s’agissait d’une famille importante. - Cela ne s’est pas passé en Europe occidentale. Leur précisa Darin, peu convaincant. - Et ces soi-disant ennemis, comment auraient-ils reconnu Paul s’il a disparu à l’âge de douze mois ? argumenta Mélanie toujours très méfiante. - Ils disposent d’excellents logiciels de reconnaissance faciale et de simulation du vieillissement. Comme ils disposent déjà des données morphologiques des parents biologiques de Paul, la couleur très particulière de ses yeux a accru le pourcentage de correspondance possible. Répondit Darin. Ils n’étaient pas totalement certains que ce soit Paul lorsqu’ils sont venus vérifier à Marrakech. Mais nous avons facilement neutralisé leurs hommes et maintenant ils n’ont plus de doutes. S’ils parviennent à nous localiser, ils ne feront pas la même erreur de sous-estimer les moyens à mettre en œuvre pour le capturer ou le tuer. Compléta-t-il. - Cela signifie-t-il que nous devons nous cacher ? intervint Alex, qui commençait un peu à paniquer et à prendre conscience de l’ampleur de la situation. Mais, et nos parents, nos études ? - Je suis désolé, mais nous ne pouvons pas courir le risque que vous soyez interrogés par nos ennemis. Ils découvriraient immédiatement que nous allons à Madère. Mais rassurez-vous, c’est tout à fait temporaire en ce qui vous concerne. Lorsque Paul sera en sécurité, vous pourrez reprendre vos vies normales, si vous le souhaitez tenta de les rassurer Darin. - Désolée, mais moi vous ne m’avez pas convaincu. Je respecte la décision des autres, s’ils veulent vous suivre OK, mais moi, je ne viens pas. Lâcha Mélanie, toujours butée et fermement décidée à ne pas se laisser influencer. Paul tenta de temporiser en demandant plus d’explications : - Darin, vous avez dit que j’étais héritier d’un Empire et que ma famille avait été tuée, mais quel Empire ? Financier ? Industriel ? Soyons sérieux : votre histoire d’extraterrestre ne tient pas debout. Dites-nous la vérité. Continua-t-il. - Eh bien... Je conçois que vous ne preniez pas au sérieux ce que vous a dit Sarian, l’histoire est difficile à croire. Je veux bien vous en dire plus, mais pas avant que vos amis n'aient pris une décision. Pour le moment, il est préférable qu’ils en sachent le moins possible. Répondit l’homme. - On tourne en rond là Darin : vous me racontez des histoires à dormir debout avec Sarian et dès que l’on veut parler sérieusement vous éludez la conversation. Leur rétorqua Paul. - Je sais, mais nous n’avons plus le temps. Répliqua l'homme, très sérieusement. Je pense que vous avez accepté l’idée que nous ne vous voulons pas de mal. Rien ne vous empêche de venir avec nous sur le bateau et d’aller jusqu’à Madère. D’ici là vous pourrez décider vous-même de votre destin. Mélanie, si tes amis décident de nous accompagner, tu dois être solidaire avec eux. Tu ne peux pas réapparaître, car tu serais immédiatement identifiée et tu nous mettrais tous en danger. - C’est facile de dire ça. C’est du chantage. Moi, je ne crois pas un mot de vos histoires. S’en prenant à ses amis : ne me dites pas que vous croyez ces tarés ! Et nos parents ? S'alarma la jeune fille, ils vont s’inquiéter sans nouvelle de notre part. Elle était visiblement très en colère et en voulait largement à ses amis de se laisser influencer. - Ils vous croient à Marrakech et ne devraient pas s’inquiéter avant un jour ou deux. Largement le temps de faire le point ensemble, non ? essaya encore Darin. - Calme-toi Mélanie. Je pense que Darin n’a pas tort : on ne risque pas grand-chose à les suivre jusqu’à Madère. Intervient Paul, qui avait mûrement réfléchi pendant cette dernière heure. Ils auront ainsi le temps de nous donner plus de détails sur cette histoire. - Mais je te rappelle que c’est toi qui as voulu que l’on s’échappe du bateau ! Lui opposa l’adolescente, surprise par le soudain revirement du garçon. - C’est vrai, mais maintenant j’avoue que je ne suis plus sûr de rien et je ne pense pas que nous soyons en danger avec eux. Répondit-il en passant sa main dans ses cheveux, d’un air embarrassé. - Et vous deux ? demanda la jeune fille, se tournant vers Alex et Stéphanie. Tour à tour, les deux jeunes gens se rallièrent à l'opinion de Paul. Ils ne savaient plus à quels saints se vouer et reconnaissaient implicitement qu’ils étaient peut-être réellement en danger. Pour finir, ils déclarèrent qu’ils allaient suivre leur ami, au moins jusqu’à Madère, ce qui leur laisserait plus de temps pour décider de la suite. - Je ne suis pas d’accord avec vous, mais j’accepte le fait que nous sommes dans le même bateau, sans jeu de mots. OK, si vous êtes convaincus tous les trois, je vous accompagne, mais je me réserve le droit de quitter le bord à la prochaine escale. Décida l’adolescente, toujours soupçonneuse et contrariée. - Bien. Fit Darin, soulagé. Dans ce cas, retournons sur le yacht sans tarder, le port n’est pas loin, nous y serons en quelques minutes de marche. Darin était rassuré par la décision prise et n’ajouta rien de plus. Il ne fallut qu’une dizaine de minutes pour retourner au port à pied. Sarian et Telius les attendaient sur des transats, tranquillement en train de lire, comme de parfaits touristes. Les quatre adolescents, suivis de Darin, remontèrent à bord sans un mot et Telius détacha les amarres avant de remonter dans le poste de pilotage. Moins de deux minutes plus tard, le petit yacht quittait la marina. * Chapitre 9 Le First Episode naviguait tranquillement sur un cap nord-nord-ouest, à près de vingt-cinq nœuds, en direction de l’île de Madère. La tension était passablement retombée maintenant que les adolescents se sentaient moins contraints. Alex demanda même l’autorisation de faire du jet ski et Telius l’accompagna près du scooter des mers : un Yamaha FX Cruiser qui semblait récent. Le garçon avait déjà pratiqué le jet ski en vacances et assurait pouvoir suivre facilement le bateau. - Le First navigue à 25 nœuds alors que ce Jet peut atteindre les 90 km/h sur mer calme. Je peux tranquillement vous suivre et m’amuser un peu. Mél, tu viens avec moi ? proposa-t-il à sa compagne. - Oui, après tout cela me changera les idées, répondit la jeune fille qui voyait un bon moyen de quitter le bord. Elle s’étonna d’ailleurs que les inconnus les autorisent à s’éloigner du yacht. - Paul, tu veux en faire après nous ? demanda Alex à son ami - Non merci, je n’ai pas le cœur à ça pour l’instant, une autre fois. Profitez-en bien. Répondit l’adolescent, à mille lieues de penser à faire du jet ski. Telius remit une radio étanche aux jeunes gens et leur prodigua quelques consignes. Il insista surtout sur l’autonomie du jet qui ne dépassait pas une heure de carburant. - Alex, ne t’éloigne pas trop. Je souhaite vous avoir à vue au cas où. Laisse la radio activée en permanence afin que tu puisses revenir en cas de problème. C’est bien compris ? énonça clairement l’homme de Sarian. - Pas de souci, nous allons juste nous amuser un peu. Je resterai en vue du yacht en permanence. Pour répondre, je suppose que c’est ce bouton ? fit Alex, l’air détaché. - Oui. Tu appuies pour parler et tu relâches pour écouter. Attention, cette radio n’est pas cryptée, c’est du matériel standard qui était à bord, donc pas de conversation qui pourrait attirer l’attention. Insista Telius. - Ne t’inquiète pas. Je m’en tiendrai à oui et non. Fit Alex en mimant un salut militaire. - Parfait. Bonne balade, leur souhaita l’homme en souriant. Les deux adolescents avaient enfilé une combinaison en néoprène, car ce type d’engin pouvait occasionner de sérieuses blessures, en cas de chute. Même si la propulsion était assurée par une turbine qui propulsait un jet d’eau sous pression, et donc sans hélice, le scooter des mers restait une activité dangereuse. Telius et Darin mirent le jet ski à l’eau et Alex sauta immédiatement à la mer avec un cri conquérant. Mélanie le rejoint plus discrètement. - Ouf ! Même avec la combinaison, l’eau est froide ! s’exclama la jeune fille - Elle est à 20°, mais c’est le différentiel de température que tu perçois. Tu es prête ? lui répondit son amant, déjà installé sur le scooter. La jeune femme se hissa à l’arrière et s'agrippa au garçon qui démarra le moteur du Yamaha. Ils s’éloignèrent tranquillement alors que Telius leur répétait, une dernière fois, d’être prudents. Celui-ci les suivit un moment des yeux, mais Alex semblait respecter les consignes, car il faisait des ronds autour du First, en prenant soin de rester à vue. Sarian chargea Vira de les surveiller et de l’avertir en cas de souci. Telius, qui avait repris la barre du navire, avait activé un senseur de poursuite qui était verrouillé sur le jet ski et, quoi que fasse Alex, il ne pourrait plus perdre sa position. Cette précaution n’aurait cependant aucun effet si l’adolescent décidait de s’enfuir, car ni l’annexe ni le yacht ne pouvaient soutenir la vitesse de pointe du puissant scooter des mers. Paul, qui avait surveillé la manœuvre, en profita pour revenir vers Sarian, attablé sur la plage arrière du luxueux bâtiment. - Peut-être pourrions-nous enfin avoir une conversation sérieuse maintenant ? proposèrent simultanément Stéphanie et Paul désormais plus curieux qu’inquiets. - Bien, asseyez-vous tous les deux. Je vais vous résumer la situation. Leur proposa Sarian. Comme je vous l’ai déjà dit précédemment, Paul est l’héritier d’une ancienne famille qui a été décimée il y a dix-sept années terrestres. Le véritable nom de Paul est Ishar Verakin, Empereur légitime d’Ildaran et des quatre-vingt-douze systèmes rattachés à l’Empire. Les premiers mots de Sarian n’avaient rien de bien rassurant pour les deux jeunes gens et ils ne savaient plus quelle attitude adopter : céder à son récit ou le considérer comme fou. Mais que penser des autres ? Un illuminé c’est toujours possible, mais plusieurs qui croient à la même version des faits, c’est difficile à trouver. Après avoir croisé leurs regards, ils décidèrent, sans un mot, de le laisser continuer son histoire extraordinaire. Celui-ci s’apprêtait à reprendre lorsque la voix de Telius, venant du poste de pilotage, le coupa dans son élan. - Vedette des douanes en approche, je crains qu’ils ne veuillent inspecter le bateau. Leur annonça-t-il. - Çà c’est la tuile ! pesta Sarian. Heureusement qu’Alex et Mélanie ne sont pas à bord. Il appela aussitôt les adolescents sur le scooter des mers en le cherchant des yeux. Le jet ski, qui était sur bâbord arrière à ce moment, coupa son élan. Quelques secondes plus tard, la voix d’Alex sortit du talkie-walkie. - Oui ? - Pour le moment, restez loin du bateau jusqu’à ce que je vous rappelle, pas de question. Le ton de Sarian n’appelait pas de réponse, mais Alex accusa réception laconiquement. - Compris on reste à vue, terminé. Répondit le garçon en coupant la communication. Il avait remarqué la vedette des douanes et interprété le message sibyllin de Sarian. Ce dernier fut rassuré par la tournure des évènements en espérant que Mélanie ne tente pas d’en profiter pour se faire remarquer. Heureusement qu’ils avaient eu envie de faire du jet ski sinon leur aventure aurait pris une autre tournure. - Le problème est réglé pour Alex et Mélanie, mais, pour Steph et moi, comment allez-vous faire ? interrogea Paul - Ne t’inquiète pas. Nous avons de faux passeports pour vous deux. Répondit l’homme avec un sourire. - Vous aviez prévu de faux papiers dès le départ ? interrogea Paul. - Oui, nous essayons d’anticiper des solutions de secours et depuis le reportage de France 3 nous avions resserré la sécurité. Répondit Darin, qui venait de se joindre à eux après s’être changé. L’homme avait enfilé une sorte de costume noir ressemblant à une tenue de combat. - Ils seront sur nous dans moins de cinq minutes si nous ne changeons pas de cap, leur cria Telius depuis le pont avant. Il était de toute façon impossible au First Episode d’échapper à un navire des douanes espagnoles qui aurait, de surcroît, fait envoyer un avion en cas de tentative de fuite. La vedette militaire se rapprochait et appela le First à la radio, lui demandant de mettre en panne et de se préparer à recevoir des agents à bord. Telius obtempéra, car toute autre option était inutile. - Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Darin. On ne peut pas tous les neutraliser avant qu’ils n’aient le temps de signaler notre présence. - On joue les touristes. Le seul point qui m’inquiète, c’est Oria, car si elle ne se réveille pas ils risquent de nous demander de rentrer au port pour l’hospitaliser. Essayons de les distraire afin d’éviter une fouille complète. Transmit Sarian à tout le monde. Paul, tu es le petit ami de Stéphanie, Oria est ta cousine et ma femme. Darin, Telius, Vira et Irias sont là pour naviguer et nous servir à bord. Les deux adolescents allèrent se mettre en maillot de bain et s’installer discrètement dans des transats sur le pont arrière, car la vedette des douanes arrivait par tribord avant. Sarian sortit son ordinateur pour faire semblant de travailler. Il pensait à Oria et espérait pouvoir leurrer les douaniers en leur racontant qu’elle avait un peu le mal de mer. - Nous sommes à l’arrêt, les avertit Telius. Ils s’amarrent Un grand brun en uniforme des douanes espagnoles monta à bord du First pendant que Sarian sortait pour l’accueillir sur tribord. - Bonjour, Señor. Je suis le Capitaine Gonzales des douanes espagnoles. Le douanier s’était adressé à Sarian en espagnol, car le First était immatriculé à Tenerife. - Bonjour capitaine. Lui répondit Sarian dans un espagnol parfait. Nous sommes huit à bord, si vous voulez vérifier nos passeports… continua-t-il en lui tendant les papiers d’identité de tout le groupe sauf, bien évidemment, ceux de Mélanie et d’Alex. Le capitaine prit les documents et les examina attentivement. Il n’y avait aucun risque qu’il remarque quoi que ce soit, car la reproduction des passeports avait été réalisée avec des technologies très sophistiquées. Il rendit d’ailleurs les documents sans aucune hésitation sur leur authenticité. - C’est un très beau bateau. Il est à vous ? demanda-t-il - Non, il est à un ami qui habite Madrid, qui nous l’a prêté pour la semaine, répondit Sarian avec un sourire candide, digne d’un acteur. - Ah ! c’est pour cela qu’il est enregistré à Tenerife, ajouta le capitaine qui avait dû interroger sa base de données depuis la vedette, avant d’aborder le First Episode. Vous n’avez aucune marchandise illicite à bord ? - Non. Nous nous promenons en famille et faisons le tour des îles Canaries. Assura Sarian, presque la main sur le cœur. - Bien. Je n’ai pas aperçu votre femme ? s'étonna le douanier en désignant le passeport d’Oria. - Elle se repose dans sa cabine. Elle souffre un peu du mal de mer après un déjeuner de fruits de mer un peu arrosé à Playa Blanca. Répondit Sarian, d’un air entendu, pour tenter de détourner l’attention de l'officier. - Javier, descends voir en cabine et regarde si tu ne vois rien de suspect. Ordonna le capitaine Gonzales à l’un de ses hommes. Ni voyez rien de personnel, Señor, mais nous avons beaucoup de contrebande de drogue et de tentatives d’immigration illégale, depuis l’Afrique proche. Ajouta l’officier espagnol à l’intention de Sarian. - Non, rassurez-vous capitaine. Nous comprenons parfaitement. Nous sommes en vacances donc rien ne presse. Répondit ce dernier avec un sourire angélique. Le capitaine de douanes fit le tour du salon en observant chaque détail, mais tout dû lui sembler normal, car il n’ajouta rien de plus. Le douanier dénommé Javier remonta dans la salle à manger et indiqua à son chef ne rien avoir remarqué de suspect. J’ai contrôlé les quatre cabines et la salle des machines : rien de suspect à bord, capitaine. Conclut le douanier. En entendant le douanier annoncer qu’il avait visité les cabines sans rien trouver, Paul et Stéphanie ne purent retenir un mouvement de soulagement. Mais heureusement, personne, à part Sarian, ne s’en aperçut, - Votre femme semble aller mieux, elle devrait remonter très bientôt. Ajouta Javier à l'attention de Sarian - Je pensais bien que c’était bénin, répondit celui-ci en masquant parfaitement sa surprise, surtout soulagé qu’Oria ait repris conscience. Parfait. Nous allons vous laisser continuer votre route. Passez de bonnes vacances dans les eaux espagnoles. Termina le capitaine Gonzales en ressortant sur le pont arrière. Les douaniers quittèrent le bord et la vedette s’éloigna rapidement à la recherche d’une autre proie à intercepter. - C’est une excellente nouvelle qu’Oria se soit remise, s’exclama Paul soulagé. - En effet, c’est bon signe qu’elle ait récupéré si vite. Reprit Darin, qui avait entendu les propos du douanier remontant des cabines. - Je me suis réveillé à temps, semble-t-il. Les apostropha la jeune femme qui venait d’apparaître dans la salle à manger du navire. - Comment te sens-tu ? demanda aussitôt Sarian d’un air grave. - Encore un peu vaseuse. Et j’ai très mal à la tête, mais à part cela je ne semble pas avoir de séquelles. J’ai pris des revitalisants et mes Nanocrytes sont déjà à l’œuvre pour me remettre sur pied. Répondit la jeune femme qui semblait juste un peu plus pâle que d’habitude. - Ouf, j’ai vraiment cru qu’il nous faudrait te mettre dans un caisson médical, fit Sarian rassuré. - J’ai eu l’impression que mon cerveau allait éclater quand Paul m’a retourné mon attaque mentale, fit la jeune femme. - Et tes capacités psys ? L'interrogea Darin. - Curieusement, je me sens très bien. Mes Nanocrytes ont dû régénérer mes cellules endommagées et j’ai même l’impression que mes facultés ont été renforcées. Lui répondit-elle - Tu veux que je demande à Paul de les tester de nouveau ? proposa Sarian, sur le ton de la plaisanterie. - On va attendre un peu si tu veux bien. Opposa la jeune femme avec un sourire. Peux-tu me résumer la situation, j’ai dû rater pas mal de choses ? - Ça oui… Confirma Sarian, qui lui fit un topo rapide des évènements depuis leur fuite de la côte marocaine. Nous faisons route vers Madère. Mais, et toi ? Si tu penses que tes facultés sont renforcées, c’est que tu as joué avec le douanier espagnol. - Oui, sourit la jeune femme, il a commencé à me poser des questions sur la seconde cabine double en découvrant des sous-vêtements féminins alors que nous sommes censés n’être que deux femmes à bord. C’est pour cela que je t’ai dit avoir l’impression d’avoir accru ma puissance psy. J’ai pris le contrôle de cet homme avec une étonnante facilité. Je lui ai suggéré qu’il n’y avait rien d’anormal, sans le moindre effort. Avant l’affrontement avec Paul, il m’aurait fallu au moins une dizaine de secondes de concentration pour y parvenir. À moins que cet homme ne soit particulièrement réceptif, j’ai gagné en puissance. Il faudra que je teste mes facultés psys plus tard pour le vérifier. - L’essentiel est que tu te rétablisses rapidement, car nous ne sommes certainement pas au bout de nos surprises et tes talents vont nous être utiles. Il faut que tu formes Paul au plus vite. Je me demande maintenant si nous avons adopté la bonne stratégie en restant dissimulés. Si nous l’avions formé plus tôt, il serait déjà partiellement opérationnel. Regrettait Sarian. - Nous en avons déjà discuté. Il était trop jeune et une formation n’aurait pas servi à grand-chose. Les talents psys apparaissent assez tard et c’est déjà assez surprenant qu’il ait pu contrer mon attaque avec une telle force. Je vais me reposer sur la plage arrière, car j’ai encore un peu la tête qui tourne, comme si je m’étais soulée. Fit-elle, en se dirigeant vers la porte arrière. - OK. Pas de souci, tu n’as rien à faire jusqu’à ce que nous arrivions à Madère. Tu as au moins douze heures pour récupérer. Répondit Sarian, qui se replongea dans l’analyse des données affichées sur les neurorécepteurs de son nerf optique. La jeune femme quitta le carré principal pour rejoindre l’espace où se trouvaient les deux jeunes gens et s’installa, sans un mot, sur l’une des chaises longues libres à côté de l’adolescente. Elle apprécia ce moment de calme, le corps bercé par la houle et chauffé par le soleil de printemps dans cet hémisphère. D’après son autonomie initiale, le niveau de carburant du jet ski devait baisser rapidement et Sarian appela Alex à la radio pour lui signifier qu’il était temps de remonter à bord. Le garçon se fit un peu tirer l’oreille et négocia de revenir d’ici un petit quart d’heure. Comme le yacht avait repris son cap au nord, en direction de Madère, Sarian accepta après s’être assuré que le Yamaha ne tomberait pas en panne sèche. L’homme commençait enfin à se détendre un peu malgré leur situation, car tout danger immédiat semblait écarté. Il restait néanmoins vigilant, car son plan les mettait à la merci d’une détection et, en cas d’attaque avec un glisseur armé, ils seraient sans défense en plein océan. Il s’en voulait de s’être laissé enfermer dans ce scénario, mais il n’avait malheureusement aucune autre solution que de tenter de se dissimuler au sein de la population locale. Il eut une brève pensée pour les deux membres de son équipe qui allaient peut-être devoir se sacrifier pour leur offrir un peu de répit. Un souffle d’optimisme dut balayer le navire, car tout le monde profitait de cet instant d’accalmie pour se relaxer. Paul avait remarqué l’arrivée d’Oria et chercha à se rapprocher d’elle. Elle exerçait une sorte de fascination sur lui. Il en ressentait presque une gêne physique et se sentait un peu coupable vis-à-vis de Stéphanie. - Oria, comment allez-vous ? lui demanda-t-il un peu maladroitement. Une approche qui n’échappa pas à la jeune fille, intriguée par la démarche de son amant. - Bien Paul, merci. J’ai apparemment récupéré. Tu aurais pu me tuer, mais c’était de ma faute. Il va te falloir apprendre à canaliser cette énergie, car ta vie et celle d’autres personnes peuvent en dépendre. Lui répondit-elle sans ouvrir les yeux, signifiant ainsi qu’elle souhaitait se reposer. Paul n’insista pas et laissa son esprit vagabonder en suivant des yeux un groupe de mouettes qui rasait les vagues. Discrètement, Stéphanie lui prit la main et il se sentit apaisé à son contact. L’adolescente ne comprenait pas de quelle énergie avait parlé Oria et une sorte de malaise l’envahit à l’idée que son ami puisse représenter un quelconque danger. Un bruit de moteur troubla sa réflexion et elle fut saisie d’une brève inquiétude, mais ce n’était qu’Alex et Mélanie qui revenaient à bord. Elle se redressa dans son transat et constata, à leur attitude souriante, que les deux jeunes gens semblaient ravis de leur petite escapade marine. Mélanie paraissait moins stressée, elle aurait pu tenter de s’échapper avec la petite embarcation, mais était revenue sans histoire. Stéphanie en fut soulagée, car elle ne se sentait pas de taille à affronter des dissensions dans leur groupe. Le scooter des mers fut ancré sur son berceau et les deux adolescents ôtèrent leurs combinaisons puis s’éclipsèrent dans leur cabine. Paul, qui s’était également redressé, aperçut Sarian accoudé au bastingage, semblant contempler l’horizon. Il se rallongea sur le transat en pensant à l’extraordinaire aventure qu’ils étaient en train de vivre. Dire qu’il y a encore quelques jours j’étais en classe, préoccupé uniquement par le passage du BAC à la fin de l’année scolaire. Que va-t-il nous arriver ? Le bruit accru des moteurs le tira de sa rêverie et lui indiqua que le yacht avait repris sa route vers le nord. * Chapitre 10 Lorsque Briza avait quitté le petit groupe à proximité d’Akhfennir, il savait qu’il devrait parcourir plus de mille trois cents kilomètres pour rejoindre l’extrême nord du Maroc. Amélioré aux Nanocrytes de type six, l’exercice ne l’impressionnait pas et il conduisait d’ailleurs depuis plus de onze heures sans en être affecté le moins du monde. Il avait soigneusement évité de repasser par Marrakech, craignant les drones de surveillance de l’Empire et était resté sur la nationale 1 au lieu d’emprunter l’autoroute A7 qui lui aurait pourtant fait économiser du temps. Il ne pouvait s’empêcher de songer en permanence à Sarian et ne s’était pas laissé distraire en passant le long d’Essaouira, portant un très joli port de pêche. Il s’était arrêté à Bouguedra pour se restaurer quelques minutes, mais ne s’était pas attardé. À Sidi Smail, il avait failli être arrêté par un contrôle de police, mais finalement l’agent l’avait laissé passer sans encombre, se contentant de scruter attentivement le véhicule de location. L'homme se trouvait maintenant à moins de dix kilomètres d’El-Jadida et s’attendait à recevoir, très prochainement, un message du Randor, car même en volant à vitesse réduite il ne faudrait certainement pas plus de deux heures au petit vaisseau pour rejoindre le nord du Maroc. Pas assez de temps pour rejoindre Tanger avec le Land Rover, pensa l’Ildaran. * À bord du Randor, les deux hommes de Sarian suivaient attentivement leur lente remontée vers la surface. Ils avaient rejoint leur appareil, depuis la côte française, à l’aide de propulseurs individuels, protégés par leurs champs de force. Sans surprise, le navire était intact et prêt à repartir après être resté plus de dix-sept ans en sommeil, à trois mille trois cents mètres au fond de l’Atlantique. Durant toute cette période, les anciens gardes Verakin n’étaient venus à bord que deux fois et en prenant un luxe de précautions inouï, de crainte d’être repérés. À cette profondeur, l’appareil était pratiquement impossible à détecter à moins d’en connaître précisément les coordonnées et, comme les impériaux ignoraient, encore tout récemment, leur présence sur Terre, le navire avait été en parfaite sécurité. L’IA du Randor avait calculé qu’il leur faudrait plus de cinquante minutes pour remonter lentement à la surface sans craindre de provoquer des remous sous-marins qui pourraient être repérés par les senseurs orbitaux. Les deux hommes se préparaient donc à revoir le soleil dans les minutes à venir. Le bâtiment allait bientôt atteindre la surface et les puissants senseurs scrutèrent attentivement les environs du point de remontée. Inutile d’être bêtement aperçu par un bateau qui ne manquerait pas de signaler qu’un étrange sous-marin venait d’apparaître en plein océan Atlantique et s’était envolé ! Lorsque l’IA confirma que l’océan était totalement dégagé à plus de vingt kilomètres à la ronde, le petit appareil fit surface. L’IA activa immédiatement le champ furtif et prit l’air en direction du sud. Dissimulé derrière son écran de neutralisation, il pouvait voler sans risque d’être détecté. Le contrôle du vaisseau veillait à ne pas dépasser la vitesse de huit cents kilomètres à l’heure afin de ne pas déclencher l’alarme des senseurs ildarans qui devaient être étalonnés pour réagir à des turbulences atmosphériques supérieures à celles d’un avion de ligne local. À cette vitesse, l’aviso déclenchait des turbulences inférieures à celle d’un Boeing 747 et le risque d’être repéré devenait négligeable. Dans moins de deux heures, ils auraient rejoint Briza. * Briza reçut des informations de l’IA du Randor qui lui indiqua se trouver à une heure quarante-cinq de sa position actuelle. Le chauffeur du Land Rover calcula aussitôt qu’il ne pourrait pas parcourir plus de quatre-vingts kilomètres avant le rendez-vous. Il faut trouver un autre point de contact pensa-t-il aussitôt. Il se mit immédiatement, à la recherche d’un lieu à l’écart où le Randor pourrait se poser. L’Ildaran pensa que le lieu de jonction était loin d’être idéal, car cette région était l’une des plus peuplées du Maroc ! Même dissimulé derrière son écran furtif, il fallait un espace conséquent pour faire atterrir un appareil de la taille du Randor. Le petit aviso jaugeait trois mille cinq cents tonnes, était long de quatre-vingt-dix mètres, large de onze et haut de huit : ce qui en faisait un appareil plus long qu’un Airbus A 380, le plus gros avion commercial fabriqué sur cette planète. Son armement était limité à un disrupteur moléculaire et à soixante disques-torpilles à distorsion. Il avait la forme d’un cigare aplati, comme la plupart des appareils capables d’évoluer en atmosphère. Les plus gros vaisseaux, condamnés à rester dans l’espace, étaient généralement de conception sphérique ou ovoïde. Comme avec la plupart des appareils interstellaires, c’étaient les condensateurs à énergie qui occupaient le plus gros volume. Ces condensateurs permettaient le stockage de suffisamment d’énergie Kin pour ouvrir un trou de vers dans la structure de l’espace et autoriser le déplacement instantané sur plusieurs centaines d’années-lumière. Après avoir rapidement consulté une carte de la région, Briza prit la décision de bifurquer vers l’est et suivit la direction de Berrechid sur la R308. Dans les terres, il serait certainement plus facile de trouver un grand champ, un peu à l’écart, où le Randor pourrait se poser. Après plusieurs minutes de recherche, il porta son choix sur une zone située après la ville de Sidi Said Maachou. Il y avait quelques carrières dans la région et l’une d’elles devrait faire l’affaire. Il n’en était, a priori, plus très loin. Moins de quarante minutes plus tard, laissant Sidi Said Maachou, il bifurqua à gauche, sur une petite route, au niveau d’une station de relevage des eaux. Juste avant d’arriver à la station d’épuration, il tourna à gauche, s’engageant dans une voie sans issue. Après un kilomètre, il décida d’attendre là le Randor. Ses Nanocrytes de communications transmirent sa position à l’IA du vaisseau furtif et Briza passa à l’arrière de son véhicule pour se reposer. L’IA accusa réception du lieu de rendez-vous et l’informa pouvoir s’y trouver dans cinquante-neuf minutes. L’homme s’endormit à l’arrière du véhicule après avoir activé un drone de surveillance, de la taille d’une mouche terrienne. Le petit appareil était indétectable à très longue distance, mais il pouvait balayer l’espace autour de lui dans une sphère de huit cents mètres. Ces capteurs actifs n’étaient pas assez puissants pour être repéré depuis l’espace et Briza ne craignait donc pas d’être localisé par les impériaux. Ce drone lui servirait au cas où des locaux tenteraient de s’approcher de son 4x4 et, bien sûr, lorsque le Randor serait à proximité. * Klosteran et Rliostem aperçurent le Land Rover sur l’écran virtuel projeté sur leurs neurorécepteurs. Le Randor se trouvait à moins d’un kilomètre du point de contact et l’appareil manœuvrait très lentement afin de ne provoquer aucun remous atmosphérique à si basse altitude. Briza les attendait, tranquillement appuyé sur son véhicule. Le petit vaisseau spatial s’immobilisa à vingt centimètres du sol dans un silence absolu. Il était totalement invisible, ses écrans d’occultation courbant la lumière qui glissait autour de lui. Sans ses Nanocrytes qui lui transmettaient les données de localisation, fournies par l’IA du bord, Briza n’aurait jamais atteint le sas inférieur du petit aviso. - Heureux de vous voir les gars ! fit-il, dès qu’il eut franchi le champ de neutralisation, en apercevant ses deux collègues qui l’attendaient derrière le sas. - Nous aussi. Lui répondirent les deux hommes. - Ne restons pas là, ce n’est pas sûr. Lança Rliostem - Tu as piégé le Land ? demanda Klosteran. - Oui, répondit Briza j’ai transmis le code d’activation à l’IA. Sans plus attendre le Randor pris l’air, en l’éloignant de cent cinquante-mètres du Land Rover, puis s’immobilisa à six mètres du sol. L’IA déclencha alors la petite charge à plasma et le Land Rover commença à s’autodétruire. Le petit aviso désactiva sa furtivité quelques secondes avant d’enclencher sa propulsion et prit la direction du nord. Quelques secondes plus tard, il rétablit son champ de neutralisation et se posa quelques kilomètres plus loin pour déposer Briza avant de désactiver, de nouveau, son champ de neutralisation et de redécoller en direction de l’espace. Briza espérait qu’aucun terrien n’avait aperçu l’aviso lorsqu’ils avaient décollé du point de rendez-vous sinon, avec un peu de chance, la presse accuserait un drone américain d’avoir abattu un véhicule. Un joli pataquès international en perspectives songea-t-il, en se dirigeant vers la ville la plus proche. - Deux drones de chasse viennent de transiter à quatre cents mètres. Je les laisse nous suivre jusqu’à la sortie de l’atmosphère. Alerta l’IA du Randor. - Il semblerait que notre plan ait fonctionné, fit Rliostem - Oui. Et bien maintenant, essayons de nous sortir de ce guêpier. Lui répondit Klosteran * Chapitre 11 Au même instant à des milliers de kilomètres de là, dans la base impériale, la tension était montée d’un cran. Florilius n’avait pratiquement pas dormi, comme ses hommes qui scrutaient en permanence tous leurs détecteurs dans l’espoir de capter une signature de propulsion gravitique. Malgré leurs capacités physiques, améliorées par les Nanocrytes, la pression était palpable et la fatigue, ou la lassitude commençait à amoindrir leurs réflexes et leur vigilance. Sans l’IA de la base, la faible signature aurait peut-être échappé aux impériaux, mais le puissant calculateur déclencha immédiatement une alarme qui eut pour conséquence de rendre presque tout le monde hystérique. - IA, rapport ordonna Florilius d’un ton sec. Une faible signature de déplacement gravitique vient d’être enregistrée au nord de l’Afrique près de la ville marocaine de Sidi Said Maachou. Une carte apparut en relief au milieu de la table, le point clignotait en orange. Cette signature ne correspond à aucun de nos appareils en vol. J’ai fait transiter immédiatement deux drones à sa poursuite, l’appareil semble les avoir repérés et se dirige rapidement vers l’espace. Les systèmes de tirs de la plateforme lunaire sont activés et nous devrions pouvoir l’intercepter d’ici soixante-douze secondes. J’ai également envoyé une alerte au Carusif qui essaiera de se placer sur une trajectoire d’interception dès que la sonde messagère aura transité. L’intelligence artificielle avait annoncé cela très fonctionnellement, mais Florilius était déjà en mode tactique. - Ne le lâche pas, je ne veux pas d’interception à moins de trois millions de kilomètres de la planète. Essayons au moins de faire passer cela pour un évènement naturel. Florilius pensait aux conséquences de la destruction d’un aviso ildaran à proximité de la Terre. Il n’avait pas d’estimation précise de son tonnage, mais l’utilisation de disques-torpilles à distorsion ne pourrait échapper aux terriens, si près de leur planète. Malgré la rusticité des technologies locales, les terriens savaient atteindre leur satellite naturel et chercheraient inévitablement à connaître la cause d’un sursaut de rayons gamma aussi proche de leur orbite. Sans compter les importants dégâts occasionnés à tous leurs satellites artificiels. Il lui fallait donc malheureusement laisser le vaisseau s’éloigner un peu afin que sa destruction ne soit pas détectée. De toute façon avec la puissance de la plateforme lunaire il était peu probable que l’appareil puisse leur échapper, même s’il dépassait l’orbite de Mars avant que les disques-torpilles ne soient lancés. Nous venons de perdre la trace de l’appareil et les drones de chasse ont été détruits. Il doit disposer d’une technologie de camouflage inconnue : probabilité 99%; ou s’est autodétruit : probabilité 1%. L’IA de la base aurait pu annoncer la météo du lendemain, mais l’annonce fit jurer tous les membres présents dans le centre des opérations. Seul Florilius avait compris la portée et l’importance de cette information. Au moins, nous savons comment ils ont pu atterrir sur Terre : ils doivent avoir un appareil spécial. La garde impériale devra accepter l’évidence que nous ne sommes pas en faute. Cette dernière remarque détendit largement l’atmosphère, car tous craignaient l’arrivée de la Sécurité Impériale. Savoir que l’IA avait consigné la présence d’un appareil capable de masquer sa signature gravitique démontrerait que l’équipe militaire en poste n’avait pas failli. - IA. Reste en alerte active et lance tous les drones disponibles dans l’espace à partir de la dernière trajectoire connue de l’appareil. Il va chercher à rejoindre l’espace profond pour charger ses condensateurs de saut et quitter ce système. Je veux que toutes les informations soient envoyées en temps réel au calculateur de combat du Carusif. Aussitôt que la sonde messagère aura été expédiée, qu’il soit prêt à se repositionner pour une interception dès que les filets de captage de matière noire du vaisseau ennemi entreront en action et que nous aurons sa position. Avec un peu de chance, le Carusif pourra atteindre une distance de tir avant qu’ils ne soient prêts à sauter si nos torpilles planétaires les ratent. Ordonna Florilius. Que nous indique notre satellite F04 ? demanda encore le commandant de la base australienne, certain que s’il réapparaissait, le vaisseau rebelle ne pourrait s’échapper du système solaire. - Les capteurs ont enregistré une trace, mais pas suffisamment puissante pour activer une poursuite et acquérir une cible. De toute façon, l’armement est très léger sur F04. Répondit Gorantim, l’adjoint de Florilius. F04 était un satellite artificiel de trois cents mètres de diamètre dédié à la détection, mis en place par l’Empire et situé sur un point de Lagrange sur la même orbite que la Terre. Ce satellite était suffisamment petit et loin de la 3e planète pour échapper aux détecteurs terriens, bien qu’il semble que ces derniers l’aient repéré tout récemment et l’aient pris pour un satellite naturel. Son usage était dédié à la surveillance étroite des activités dans le système solaire et il disposait uniquement d’une batterie de tir, anticollision, complétée par une protection par champ Horlzson. Ses senseurs étaient par contre très sensibles et Florilius avait espéré que F04 ait pu détecter une signature de propulsion, permettant de suivre le vaisseau fugitif. Gorantim intervint de nouveau. Commandant, ne croyez-vous pas que nous pourrions tenter d’aborder l’appareil plutôt que de le détruire, c’est le seul moyen de savoir si l’héritier Verakin est à bord. - Vous avez parfaitement raison, mais le Carusif sera plus rapidement à distance de tir alors qu’il lui faudrait se rapprocher et décélérer pour être dans une situation d’abordage avec des filets gravitiques. De plus, nous ignorons tout de cet appareil, il est peut-être équipé d’un armement qui pourrait endommager voire détruire notre croiseur. Lui envoyer une salve de disques-torpilles à distorsion est beaucoup moins risqué et je préfère annoncer à la Sécurité Impériale que l’appareil a été détruit plutôt que de le laisser s’échapper. Avec un peu de chance, les premiers tirs l’endommageront suffisamment pour empêcher tout saut quantique. Répondit l’officier responsable de la petite base. Le commandant de la station impériale ressentait inconsciemment que les évènements des heures à venir auraient des impacts sur le futur de l’Empire pendant des décennies. Il se sentait à ce moment un acteur privilégié, mais relativement impuissant à influer significativement sur le cours de l’histoire. * Sarian était toujours accoudé sur le bastingage du yacht et pensait, lui aussi, à son aviso qui tentait de fuir ce système solaire. Il n’avait reçu aucune information du petit vaisseau, mais c’était prévu dans le plan initial. L’Ildaran laissa son regard errer sur la surface de l’eau. Il ne se faisait pas trop d’illusions : le Randor avait une forte probabilité d’être intercepté avant d’avoir atteint un point de saut pour quitter ce système. L’IA de la base avait calculé que la probabilité de fuir le système solaire intact était de 47,873 %. Avec moins de cinquante pourcents de chance de réussite, Sarian avait refusé que l'héritier de la Maison Verakin coure ce risque et il avait autorisé l’opération diversion. Les deux membres de son équipe devaient tenter d’abuser les impériaux, laissant croire que l’héritier de l’Empire avait réussi à s’échapper ou, dans le pire des scénarios, était mort dans la destruction de son appareil. Sarian se reprochait d’avoir dû choisir cette option, mais la sécurité du dernier Verakin devait passer avant toute autre considération. Rliostem et Klosteran partageaient sa vie depuis leur fuite d’Ildaran Prime et ils faisaient partie du dernier carré fidèle aux Verakin. Ils s’étaient eux-mêmes portés volontaires et connaissaient parfaitement l’enjeu. Quelle que soit l’issue de cette tentative : destruction ou fuite du vaisseau, la pression devrait se relâcher, car leurs ennemis ne seraient plus jamais sûrs qu’Ishar Verakin soit encore sur Terre. Avec le temps, les recherches actives allaient s’espacer et donner à Paul les quelques années de répit dont il avait besoin pour atteindre ses pleines capacités. Sarian savait que, dans l’intervalle, ils devraient demeurer dissimulés au milieu des terriens. Mais l’homme savait que cette stratégie comportait une faille de taille : ils ne possédaient pas d’autres vaisseaux et, en cas de destruction de celui-ci, il ne leur resterait plus aucun moyen de quitter le système solaire. Le seul appareil, encore, à leur disposition était un petit glisseur furtif de six places, capable d’évoluer dans l’atmosphère et en orbite proche, mais sans capacité interstellaire. Un bruit d’eau le tira de ses pensées : un dauphin nageait à quelques encablures du yacht, mais ses préoccupations se recentrèrent vite sur Le Randor qui devait, maintenant, se préoccuper de ses niveaux d’énergie. L’IA avait calculé que le stock d’énergie Kin de l’aviso devait lui permettre d’évoluer en mode furtif jusqu’à environ quatre milliards et demi de kilomètres du Soleil. La distance de saut, pour un appareil de la masse du Randor par rapport à la gravité du système, était d’environ six milliards de kilomètres de l'étoile. Rliostem et Klosteran allaient donc devoir déployer les filets de captage de matière noire pour la transformer en énergie et ils seraient alors repérés immédiatement par les senseurs impériaux. La suite dépendrait de la vitesse de réaction de l’adversaire et son armement disponible. L’IA de la base avait calculé une probabilité de 47,873% que l’aviso ait suffisamment d’avance pour collecter suffisamment de matière noire, la convertir en énergie Kin, et repasser en mode furtif pour atteindre un point de saut. Il restait néanmoins une inconnue de taille : la puissance des systèmes de défense mis en place par l’Empire dans le système solarien. En général, les systèmes d’armes installés autour des planètes préspatiales étaient conçus pour dissuader un appareil de faible tonnage de tenter une prise de contact avec la population locale. Généralement, il s’agissait de batteries de disques-torpilles de portée d’un à trois milliards de kilomètres et parfois un disrupteur moléculaire de courte portée. Mais avec la confédération de Lorka située à moins de huit cents années-lumière, les stratèges de la marine spatiale ildarane avaient peut-être installé de l’armement plus lourd, comme des disques-torpilles de classe planétaire, sur les planètes extérieures ou leurs satellites. Dans ce cas, le Randor ne disposerait que d’une faible marge pour échapper aux engins à distorsion capables de l’atteindre dans tout le système solaire. Le petit vaisseau furtif serait peut-être contraint de zigzaguer, dans tout le système, pour échapper aux torpilles planétaires autonomes et au croiseur de classe tonnerre, qui se lanceraient inévitablement à ses trousses. Sarian souhaitait donc vivement que Rliostem et Klosteran parviennent à quitter le système solaire le plus vite possible même s’il ne se faisait pas trop d’illusions sur leurs chances de réussites. L’homme savait qu’une flotte impériale pouvait émerger à tout instant et il serait tout bonnement impossible de lui échapper si les réserves d’énergie ne permettaient pas de rester en mode furtif jusqu’à un point de saut. Ses hommes le savaient, mais avaient accepté de se sacrifier en mémoire du serment prêté au père de Paul, le dernier empereur légitime d’Ildaran. Sarian ne connaissait pas précisément l’évolution de la situation politique de l’Empire depuis qu’ils étaient sur Terre, car son groupe n’avait plus aucun contact direct et il n’était même pas sûr que les deux hommes puissent trouver des alliés, après tout ce temps. Ils avaient bien intercepté quelques messages échangés entre la base impériale et les appareils de ravitaillement, passés dans le système solaire, mais c’était très insuffisant pour se faire une opinion crédible sur la situation sur Ildaran Prime. Leur seule certitude était que la famille Seravon était toujours aux commandes et que Kera 1er demeurait l’Empereur. Restait-il encore des fidèles à la Maison Verakin ? Qu’elles étaient les allégeances des autres grandes familles ? Il faudrait reprendre contact avec la civilisation ildarane pour le savoir et leur situation actuelle ne les rapprochait pas de cet objectif. Sarian jouait donc gros sur la tentative de fuite du Randor, mais, tant que l’Empereur aurait l’assurance que Paul était sur Terre, leur marge de manœuvre serait pratiquement nulle. Kera Seravon était même capable de dépêcher une flotte entière de ses troupes d’élite afin de ratisser la planète, en violation directe avec la Charte des Al-Heoxyrians. Le jour commençait à décliner et il prit soudain conscience qu’il s’était laissé entraîner dans ses pensées. Il balaya du regard le pont du petit navire et aperçu Paul et Oria en train de bavarder. Il s’avança lentement dans leur direction, les yeux fixés sur l’horizon derrière eux. Ils l’avaient vu s’approcher et, lorsqu’il arriva à leur niveau, la jeune femme lui expliqua qu’ils cherchaient à en savoir plus sur les capacités psychiques du jeune homme. - Où sont les autres adolescents ? demanda l’homme. - Je crois que Mél et Alex regardent une vidéo dans leur cabine et Stéphanie vient de descendre : elle commençait à avoir un peu froid. Lui répondit Paul en plissant les yeux, car Sarian s’était appuyé sur le bastingage arrière bâbord et le soleil lui auréolait la tête, lui donnant un air surnaturel. La compagne de Paul avait en effet rejoint sa cabine et pensait ironiquement à cette semaine de vacances censée être son cadeau d’anniversaire. Elle eut un sourire intérieur en pensant à Paul, qui aimait les sensations fortes : il devait être pour le moins comblé. Elle l’était nettement moins et s’interrogeait toujours sur les intentions de ces curieux individus. Elle ne se sentait pas en danger en leur compagnie, mais ne comprenait absolument pas leurs objectifs et ne croyait pas un mot à cette histoire d’extraterrestres. L’adolescente rationnelle ne pouvait accepter cette histoire rocambolesque d’Empire interstellaire, même si certains détails paraissaient crédibles. C’est donc l’esprit troublé qu’elle se glissa dans la douche de la petite cabine, regrettant que son amant ne soit pas à ses côtés. Paul avait toute autre chose en tête. Il souhaitait en apprendre un peu plus sur ce soi-disant Empire d’Ildaran et interrogea directement Sarian, qui finit par s’installer sur le transat libéré par Stéphanie, quelques instants plus tôt. Comprenant que le moment était venu d’en dévoiler un peu plus, l’homme se lança. - Pour que tu comprennes bien la situation, le plus simple est que je te fasse un résumé de notre évasion d’Ildaran Prime, il y a dix-sept ans. Et il commença à lui narrer l’histoire de leur fuite à bord du Randor et leur arrivée sur Terre. - Avant que la milice, de l’une des plus vieilles familles de l’Empire : les Seravon, n’attaque la maison Verakin et n’élimine toute ta famille, personne n’avait jamais imaginé l’idée d’un putsch sur Ildaran Prime, tant le système politique était stable depuis des millénaires. Heureusement pour toi, une unité de recherche avait présenté la veille, à l'Empereur, un prototype d’appareil furtif. Celui-ci était resté sur l’astroport privé du palais impérial et ton père, qui comprit immédiatement qu’il était la cible prioritaire du putsch, nous ordonna de te mettre à l'abri. Nous t’avons emmitouflé dans une couverture et avons réussi à nous enfuir à bord de ce vaisseau : le Randor. Cet appareil possède la particularité de pouvoir masquer sa propulsion. Paul se sentait mal à l’aise en l’écoutant, car, même s’il n’avait aucun souvenir conscient de cette période, il s’immergeait dans l’histoire et ressentait la douleur encore fraîche de ce douloureux épisode de son existence. La fraîcheur du crépuscule tombait sur le petit bateau, mais Paul ne sut jamais si les frissons ressentis, à ce moment-là, venaient de la température ou du récit de Sarian. L’Ildaran lui narra comment ils étaient restés immobiles dans l’espace, propulseur coupé, afin d’échapper à toute détection, et comment ils avaient attendu trois semaines que l’étau se desserre pour quitter le système d’Ildaran Prime. Le vaisseau avait alors pris la direction de la Terre et ils étaient arrivés dans le système solaire près de six semaines après avoir quitté la planète capitale de l’Empire. Paul était captivé par les paroles de cet homme, mais sans parvenir à l’accepter consciemment alors que toutes les fibres de son être le ramenaient à cette réalité. Ne semblant pas percevoir le trouble de l’adolescent, ou préférant l’ignorer, Sarian continuait inlassablement son histoire. - Le nouvel Empereur a lancé les forces spéciales à ta recherche dans tout l’espace connu. Toutes les unités de l’Empire ont reçu comme mission de t’appréhender ou de t’éliminer. Sarian et son équipe avaient donc choisi de se cacher une planète, loin des voies de communication de l’Empire, en espérant se faire oublier. - Mais comment connaissiez-vous la Terre ? s’enquit l’adolescent, pensant avoir trouvé une faille dans le récit de son narrateur. Oria relaya Sarian et lui expliqua que, depuis que les Ildarans naviguaient dans l’espace, chaque planète habitable découverte était répertoriée. L’Empire y installait une petite base pour étudier l’évolution technologique des habitants et rechercher des traces de civilisations non humaines. Une sorte de mission archéologique pour les chercheurs impériaux. Ildaran gardait également un œil sur les civilisations humaines dans le but de les intégrer dès que leur niveau scientifique et industriel était jugé satisfaisant. Il s’agissait aussi d’une mesure préventive pour empêcher une civilisation concurrente de s’en emparer et cela s’était déjà produit trois fois depuis trente-cinq mille ans. Les contacts étaient établis lorsqu’une civilisation atteignait un niveau de développement technologique lui permettant de concevoir des appareils habités capables de quitter leur système solaire. C’était donc tout naturel que la Terre ait vu l'installation une antenne de l’Empire. Malheureusement, ils ne connaissaient pas précisément sa localisation, son importance et surtout ses capacités militaires. Depuis leur arrivée, ils avaient pu observer de nombreuses activités au-dessus de l’Australie et il était vraisemblable que la base impériale se situe sur ce continent. Sarian relaya Oria et revint sur le présent en expliquant à Paul que sa sécurité avait été assurée jusqu’à ce que l’adolescent apparaisse à la télévision dans le reportage de France 3. L’équipe avait alors compris que les logiciels de surveillance allaient vraisemblablement le repérer et ils avaient renforcé leur protection. Les évènements s’étaient ensuite enchaînés trop rapidement pour qu’ils puissent prendre une autre initiative que la fuite. Paul avait des milliers de questions, mais n’osait les interrompre tant le récit le captivait. L’Ildaran continua donc tranquillement. - Maintenant que ta présence est confirmée, les impériaux ont alerté l’Empire. Ils s’attendaient que l’Empereur envoie une flotte avec les forces spéciales et leur vaisseau prototype n’était pas suffisamment armé pour affronter des navires de guerre. Sarian confessa son dilemme d’avoir dû trancher entre : tenter directement de s’échapper du système solaire ou se fondre dans la population terrienne. Mais, finalement, laisser Paul embarquer sur l’aviso furtif lui avait paru trop risqué, car ils ignoraient de quelles ressources disposait l’antenne impériale et le Randor ne pouvait pas atteindre les frontières du système solaire sans recharger ses condensateurs énergétiques. Cette phase cruciale offrait des probabilités d’interception trop élevées pour que Sarian ait pris le risque de laisser le garçon monter à bord. Les explications d’Oria et Sarian soulevaient naturellement une multitude de questions et les deux Ildarans peinaient à maintenir un récit chronologique cohérent face aux interrogations de Paul. Ils durent en particulier expliquer comment l’Empire avait découvert la matière noire et canalisé l’énergie associée. C’était cette formidable énergie qui permettait de replier l’espace et d’ouvrir des trous de vers permettant un déplacement instantané. Paul apprit aussi que c’était l’un de ses ancêtres qui avait inventé, trente-sept mille cinq cents ans plus tôt, une technologie pour transformer la matière noire en énergie et la stocker. C’était la famille Seravon qui avait découvert la matière noire et les rivalités dataient de cette époque, enfin c’était la légende. Sarian raconta ensuite comment d’autres grandes familles avaient découvert la navigation dans l’espace, la fabrication de nouvelles armes ou l’activation de boucliers énergétiques et bien d’autres usages, tous basés sur l’énergie produite à partir de la matière noire. Depuis trente mille ans, la civilisation ildarane vivait à l’apogée de sa puissance grâce à cette énergie sans limites et bon marché. Son interlocuteur ne semblait plus pouvoir s’arrêter et narra comment ils naviguaient entre les étoiles grâce à une technologie appelée saut quantique ou trou de vers. Le propulseur Randarion, du nom de son inventeur, enveloppait le vaisseau d’un champ de courbure et fusionnait la trame de l’espace pour apparaître au point de destination. Paul apprit ainsi qu’il était indispensable de s’éloigner de l’attraction de l’étoile pour activer un trou de vers sous peine de déstabiliser la gravité du système dans son entier. Il y avait eu de tristes expériences et un système solaire complet avait dû être évacué, suite à un accident de saut, il avait trente-deux mille cinq cents ans. Le récit devint encore plus passionnant lorsque Sarian fit allusion aux Al-Heoxyrians. L’Ildaran lui conta comment le premier vaisseau à avoir atteint un système comportant une planète habitable avait été averti par un message très explicite. Ce message édictait deux règles intangibles : ne pas utiliser le saut quantique dans la sphère gravitationnelle de l’étoile et ne pas intervenir auprès d’une civilisation préspatiale. Personne n’avait jamais observé ces Êtres et les seules preuves de leur existence avaient été, pendant des millénaires, ces avertissements, émis à proximité de chaque planète humano-compatible. La violation de cette Charte était punie de la destruction du système planétaire du contrevenant. Une menace assez dissuasive qui avait été respectée plus de cinq mille ans, après le premier message d’avertissement. - D’où vient ce nom d’Al-Heoxyrian ? demanda le garçon. - C’est un mot ildaran, très ancien, qui symbolise plusieurs concepts : à la fois concepteur, ordonnateur et entité supérieure. C’est un mot, vieux de dizaines de milliers d’années, utilisé jadis par les Ildarans qui pensaient que leur monde avait été créé par des divinités. Cela représente bien l’idée que nous nous faisons de ce qu’ils pourraient être. Paul ne perdait pas une miette des explications et son jugement commençait à se modifier. Il était tenté de croire à cette fantastique histoire, mais était encore loin de se douter de ce que lui réservait le récit de Sarian. Ce dernier retraça la première intervention directe des Al-Heoxyrians. Tout avait commencé avec la république de Brasky : une civilisation guerrière située à trois mille trois cents années-lumière d’Ildaran Prime. Celle-ci utilisa la propulsion d’un vaisseau pour détruire le système de Vernissos, l’un des mondes de l’Empire, qui fut anéanti après que l’appareil braskyien ait ouvert intentionnellement un trou de vers trop près de son étoile. La réaction fut immédiate et brutale : les dirigeants de Brasky reçurent un message indiquant que leur soleil serait détruit dans cent heures locales et que toute la population devait évacuer. Malheureusement pour les habitants, les dirigeants de cette république autocratique ne prirent pas cet avertissement au sérieux et, cent heures plus tard, le soleil se transforma en nova, détruisant toute la région de l’espace sur plus de sept années-lumière. Les Al-Heoxyrians ne s’étaient pas dévoilés, mais il n’était plus possible de croire à une coïncidence. L’information fit le tour de tous les mondes habités et la Charte fut scrupuleusement respectée depuis cette date. La démonstration avait quand même coûté la vie à plus de huit milliards d’humains, répartis sur plusieurs planètes ou satellites du système de Brasky. Paul se demanda qui pouvait ainsi supprimer plus de huit milliards d’êtres humains sans leur donner une seconde chance, si cette histoire était réelle et pas uniquement imaginée par un mystificateur ou un psychopathe. Sarian revint ensuite sur les grandes familles de l’Empire qui s’affrontaient parfois violemment, mais ne pouvaient pas rompre la charte sous peine de destruction de leur planète mère. Depuis le début de l’expansion spatiale, les grandes familles s’étaient appropriées au moins une planète, voire plusieurs, qu’elles régentaient comme des souverains locaux. La planète d’origine, Ildaran Prime était devenue le siège impérial où résidaient les Verakin, mais la famille de Paul administrait quatre autres systèmes de première importance. Tout du moins avant le putsch. Le garçon buvait littéralement les paroles de son narrateur se demandant quelles seraient les limites de ce récit. Il alternait, sans cesse, entre fascination et doutes et commençait à avoir mal à la tête, phénomène rare chez lui. Oria poursuivit en précisant comment Facel Randarion avait découvert les trous de vers et les contraintes de ce mode de transport. Il fallait que le vaisseau soit parfaitement immobile et accord avec la rotation de la galaxie. Les scientifiques appelaient cela : la stabilisation inertielle. Le vaisseau devait synchroniser sa vitesse avec le déplacement des étoiles autour de lui. Notre galaxie est une spirale en rotation et les étoiles, entre elles, sont comme sur un disque : celles qui sont le plus éloignées du centre tournent plus vite. Un vaisseau, utilisant la propulsion Randarion, devait donc calculer, très précisément, sa position et sa vitesse relative à son point de départ. Comme c’était un calcul très délicat, il y avait toujours de très légères variations et aucun navire ne parvenait à émerger exactement au point prévu. Néanmoins, la technologie était suffisamment précise pour arriver dans le bon système solaire. À cela il fallait ajouter les perturbations gravitationnelles si l'on était trop près de l'étoile. Dans le système solaire, par exemple, il fallait dépasser l’orbite de Pluton. Il était ainsi possible d’ouvrir un trou de vers à l’intérieur de la ceinture de Kuiper, bien que l’attraction du soleil se fasse encore sentir, car elle était suffisamment faible pour transiter sans perturber gravement l’équilibre gravitationnel du système planétaire. Tout au plus, cela déclencherait une tempête solaire. Paul était fasciné par les détails fournis par Sarian, il apprit également que, dans les limites des systèmes planétaires, les vaisseaux utilisaient des propulseurs à ondes gravitationnelles qui s’appuyaient sur la gravité de la matière noire du système lui-même pour se déplacer. Cette technologie requérait beaucoup moins d’énergie que pour ouvrir un trou de vers. Les appareils capables de se déplacer entre systèmes étaient généralement assez gros pour embarquer les massifs condensateurs Verakin, indispensables pour stocker l’énergie nécessaire au saut. Il fallait, suivant les appareils, parfois plusieurs heures pour capter de la matière noire en quantité suffisante et pour transformer assez d’énergie et activer un saut vers un autre système. Paul rêvait déjà de s’élancer dans l’espace à bord d’un croiseur de l’Empire, mais il crut avoir trouvé une faille dans leurs explications. ORTHO - Vous m’avez expliqué qu’il était dangereux d’utiliser les sauts quantiques à l’intérieur d’un système planétaire. Pourtant nos ennemis ont utilisé cette technologie pour nous rattraper au Maroc, non ? fit remarquer l’adolescent, content de lui. - Je vois que tu suis parfaitement, Paul. Sourit l'homme. Tu as raison, mais on ne peut effectuer que des sauts locaux, sur de petites distances de quelques milliers de kilomètres et avec de très faibles masses : petits drones, individus, etc. En aucun cas avec un appareil lourd. C’est pour cela que les impériaux doivent utiliser leur croiseur pour expédier la sonde messagère depuis la périphérie du système solaire. Compléta-t-il. - Les sondes ne peuvent pas se déplacer par leurs propres moyens ? s’enquit le garçon à la recherche d’une autre faille dans leur histoire. - Si. Répondit Oria. Mais beaucoup moins rapidement qu’un croiseur, car leurs propulseurs gravitiques sont peu puissants et nos adversaires sont pressés d’avertir l’Empereur. Dans chaque système solaire de l’Empire, il y a des sondes en périphérie, prêtes à transiter, mais ici il y a peu de communication et c’est pour cela qu’ils doivent en acheminer une à un point de saut. Sarian revint ensuite sur leurs activités depuis leur arrivée sur Terre et conta à Paul comment son équipe veillait sur lui depuis dix-sept ans et comment ils avaient choisi de rester à l’écart de sa vie au quotidien. - Et pourquoi la France ? s’enquit le garçon. - Un pur hasard. Nous cherchions une région pour dissimuler notre base et avons trouvé un endroit idoine dans le sud-ouest de ce pays. Le choix de Paris s’est imposé ensuite, car il s’agissait d’une grande ville où il était assez simple de se dissimuler. Répondit la jeune Ildarane, s’attendant à un afflux émotionnel de la part du jeune homme. En effet, bien qu’il chercha à le dissimuler, l’adolescent laissa transparaître son trouble à l’évocation de cette période. Elle enchaîna aussitôt pour détourner ses pensées et lui expliqua qu’ils attendaient qu’Ishar devienne adulte et soit en pleine possession de ses capacités pour terminer sa formation. La croissance des Ildarans, modifiés génétiquement depuis trois cent cinquante siècles terrestres, les amenait à être adultes vers l’équivalent de vingt-cinq années terrestres. L’objectif initial de Sarian était que, dès que l’opportunité se présenterait, de le ramener dans l’espace contrôlé par l’Empire pour lui faire reprendre ses droits sur le trône. * Chapitre 12 Tout ce récit avait pris plusieurs heures et pendant ce temps leurs adversaires étaient en alerte maximum. Florilius s’était laissé surprendre par le degré de réactivité de l’équipe de protection d’Ishar. Cette erreur de jugement risquait de lui coûtait cher, car il avait perdu la trace du jeune Verakin, malgré les quarante drones de surveillance, lancés à ses trousses. La piste s’arrêtait à Marrakech. Le responsable de la base terrestre avait fait surveiller tous les aéroports, les ports, les systèmes informatiques de la police et des armées de tous les pays limitrophes. Rien n’y faisait : la cible et son équipe de protection s’étaient volatilisées. L’officier mettait ses hommes sous pression, car il craignait la réaction de la Sécurité Impériale lorsque celle-ci allait débarquer. Durant ces années passées sur Terre, Florilius n’avait pas eu beaucoup de nouvelles d’Ildaran Prime et n’était pas au fait du changement des rapports de force entre les grandes familles de l’Empire. La prise de pouvoir des Seravon sur les Verakin n’avait pu se faire qu’avec la complicité de plusieurs autres grandes familles ou du moins de leur neutralité, mais peu d’information avait filtré à l’époque. On savait uniquement que l’ancien empereur avait perdu la vie ainsi que sa famille lors de l’attaque du palais sur Ildaran Prime. Quelques proches avaient disparu ensuite dans différents accidents parfois suspects, mais Florilius n’en savait pas plus. La réapparition potentielle d’un héritier Verakin pouvait déclencher une nouvelle guerre entre les familles dirigeantes et provoquer le chaos dans l’Empire. La garde prétorienne du nouvel empereur allait chercher, à tout prix, à éviter cette situation et ne manquerait pas de reporter la faute sur lui s’il ne retrouvait pas la trace du fugitif. Le commandant de la base australienne ne faisait pas trop de différence entre les Verakin, les Seravon ou les autres grandes familles. Pour le commun des Ildarans, la vie n’avait pas beaucoup changé même s’il courait certains bruits sur la brutalité, souvent excessive, du nouvel empereur. Des bruits qui ne rassuraient d’ailleurs pas Florilius et il souhaitait vivement retrouver la piste d’Ishar, avant l’arrivée de la Sécurité. Le commandant regrettait de ne pas disposer de drones de chasse armés à la place de simples drones de surveillance. - Commandant, en analysant les enregistrements de la surveillance satellite, nous avons retrouvé la trace d’un véhicule qui fuyait vers l’ouest. Malheureusement le temps était couvert et nous n’avons que sa signature thermique, car les drones ne couvraient pas encore cette zone, à ce moment-là. Les fugitifs pourraient avoir pris la direction d’une ville de la côte : Essaouira ou Agadir, plus au sud, l’intervention de Gorantim, lieutenant de Florilius, tira ce dernier de ses pensées. - Bien, envoyez deux drones sur cette piste, bien que je pense plutôt qu’ils soient remontés vers le nord pour revenir en Europe. Ordonna Florilius. C’est ce que semble indiquer la détection de l’appareil furtif qui nous a échappé. Néanmoins il ne faut négliger aucune option et avec la signature thermique il devrait être assez facile à retrouver. - Bien commandant. Je ne pense pas non plus qu’ils soient partis vers l’ouest, mais ne négligeons aucune piste, la Sécurité Impériale pourrait nous le reprocher. Gorantim salua son chef et se replongea dans ses analyses. - Le Carusif se rapproche du point de saut pour l’envoi de la sonde messagère. Aucune trace d’un autre vaisseau dans le système. Informa l’IA de la base avec la voix androgyne qui caractérisait le calculateur semi-intelligent. Florilius enregistra l’information, mais il repensait au son de la voix de son lieutenant et constata qu’il n’était pas le seul à redouter la garde prétorienne de l’empereur. Il faut dire que cette unité très spéciale vivait totalement à l’écart des autres militaires et que ses membres recevaient une formation d’élite. Ils n’obéissaient qu’à l’empereur et avaient une réputation de fanatiques encore plus forte que celle de la précédente unité attachée à la famille Verakin. Certaines rumeurs faisaient même état d’injection de Nanocrytes de niveau sept, ce qui, en théorie, était interdit en dehors du cercle des huit grandes familles fondatrices. Certains leur prêtaient même des pouvoirs maléfiques, un comble dans une société technologique comme Ildaran qui avait cessé de croire au spiritisme, des dizaines de milliers d’années plus tôt. La salle tactique se vida progressivement, car la plupart des membres de l’équipe souhaitaient se reposer ou prendre un repas. - Restez un moment Gorantim. Il y a un point que je souhaiterais discuter avec vous, ajouta Florilius. - Je vous écoute, commandant. De quoi s’agit-il ? demanda Gorantim en levant la tête de ses dossiers, l’air surpris. - Je me demande comment l’héritier Verakin a pu stationner sur Terre sans que nous détections la signature d’un vaisseau sous propulsion gravitique. Il utilise bien cette technologie de vol puisque nous avons décelé l’anomalie gravitationnelle de l’appareil au décollage. Répondit le commandant. - Oui en effet. Je n’y avais pas songé dans l’urgence de la traque, mais c’est un point à élucider, car la Sécurité va certainement nous poser la question. Lâcha le lieutenant soudain mal à l’aise. - C’est pourquoi je voudrais que l’on revérifie toutes les traces de détection, même les plus infimes, qui auraient déclenché une alerte durant ces dix-sept dernières années. L’officier ordonna que son adjoint répertorie toutes les alertes afin de savoir si dans l’équipe quelqu’un avait jugé qu’il s’agissait d’une erreur de détection ou d’un parasite naturel. Le commandant souhaitait savoir s’il y avait des pro-Verakin dans sa base ou s’il s’agissait d’une simple erreur technique. Il craignait que leurs supérieurs n’apprécient que modérément cette bavure alors qu’ils dépensaient une énergie considérable pour surveiller ce système. Loupé un appareil qui était resté stationné, tout ce temps, paraissait inconcevable même si c’étaient leurs prédécesseurs qui en étaient responsables. Il ordonna également le déploiement de drones à la recherche de trace d’énergie Kin dans l’espoir que les condensateurs du vaisseau aient laissé échapper une signature énergétique. - Il faut retrouver leur base avant l’arrivée de la Sécurité Impériale, même si elle est désertée. Mettez également en alerte la plateforme de tir de Protée : si un appareil se rapproche de l’orbite de Neptune et passe à sa portée, abattez-le et demandez au Carusif d’être prêt pour une interception dès que la capsule messagère aura transité. Florilius ne pouvait pas faire plus, mais au moins ses initiatives démontreraient à la SI qu’il se préoccupait du sujet. - Bien, commandant. Je m’en occupe immédiatement. Mais si nous abattons ce vaisseau, cela risque d’alerter les terriens. Objecta Gorantim, inquiet de toute initiative qui pourrait lui être reprochée par la Sécurité Impériale. - Ils ne devraient pas s’en apercevoir à cette distance. D’après nos rapports, ils ne disposent pas encore de technologie de détections capables d’enregistrer les anomalies gravitationnelles ou la formation d’un mini trou noir. Néanmoins, transmettez l’ordre d’aborder le vaisseau et de capturer l’équipage, si c’est possible. Si ce n’est pas réalisable, détruisez-le, mais en aucun cas ce navire ne doit nous échapper. Je préfère subir le courroux de l’empereur plutôt que d’être accusé d’avoir laissé filer l’appareil abritant un héritier Verakin. Réfuta Florilius. Le commandant savait néanmoins que les terriens commençaient à développer des interféromètres géants qui pourraient bientôt repérer les pics de gravité provoqués par la propulsion de son croiseur. Un rapport de Golchem de la base prévoyait que, dans un délai de dix à vingt années locales, les recherches déboucheraient sur des instruments suffisamment performants pour y parvenir. - Et les Al-Heoxyrians ? Cela viole leur loi numéro 2. Essaya encore Gorantim. - C’est un faible risque à courir, ce n’est pas une intervention directe sur la planète et ses habitants. Après tout, le vaisseau des fugitifs n’est pas autorisé par l’Empire à se trouver ici, nous agissons pour protéger la Terre de contacts extérieurs non ? Exécution ! ordonna finalement Florilius, qui s’étonnait de la contestation de son adjoint. Un doute s’immisça dans son esprit, Gorantim serait-il favorable aux Verakin ? Une contestation au sein de son équipe pouvait être fatale au moment d’une inspection par la Sécurité Impériale. Florilius essaya de se remémorer les années passées dans la base et les positions de son lieutenant, sans trouver aucune critique sur la politique de l'Empire. Néanmoins, cela ne voulait pas dire qu’il n’en eut pas et Florilius se mit à espérer que son subordonné ne fut pas un activiste. Le commandant était à la tête de la base australienne depuis trois années terrestres et n’appréciait pas particulièrement être isolé si loin de l’Empire, dans ce trou perdu dans un autre bras spiral de la Voie Lactée. Il espérait que cette occasion de se faire remarquer positivement par l’Empereur lui donnerait la possibilité d’être muté sur Ildaran Prime. Pourquoi pas à la sécurité de l’Empereur lui-même ? Rêva-t-il. Il s’imaginait déjà être félicité par l’Empereur devant la Cour et songea à la courte histoire de cette base impériale qui allait peut-être lui offrir un tremplin pour sa carrière militaire. La base terrienne de l’Empire d'Ildaran avait été établie en 1947, suivant le calendrier terrestre occidental terrien, après la découverte du système par un navire d’exploration du clan Averdin. La famille Averdin était vassale des Uphrasite, famille régnante du système d’Orcaphin, 88e système habitable découvert par l’Empire cinq mille cinq cents ans plus tôt. Les Averdin résidaient dans le système d’Orcaphin et possédaient une importante flotte d’exploration minière. Un incident de saut avait éloigné le navire de prospection de sa zone de recherche initiale et il s’était retrouvé à quelques dizaines d’années-lumière du système solarien. L’équipage avait alors eu la surprise de capter des flux de communications et n’avait pas mis longtemps pour découvrir l’origine de ces émissions radio. Comme c’était devenu une habitude, lorsqu’un navire à propulsion quantique émergeait à proximité d’un système humano-compatible, le message des Al-Heoxyrians avait énoncé les deux avertissements intangibles. Les Averdin avaient aussitôt compris qu’ils venaient de découvrir un Nouveau Monde humain. L’Empire avait alors répertorié la Terre comme planète préspatiale, décrété le black-out et installé la petite station scientifique. Florilius avait encore en mémoire les nombreux rapports sur les soucis rencontrés par la première équipe. Elle avait choisi d’installer la base dans un endroit sauvage et montagneux, dans la région des Cascade Mountains sur le continent nord-américain. Cette région avait été privilégiée initialement en raison de l’avancée technologique de la nation englobant cette zone géographique. Cela semblait plus commode pour les scientifiques d’être au plus près de leur zone d’étude. Malheureusement, les premiers Ildarans ignoraient le climat de guerre froide, entre nations, régnant à cette époque et n’avaient pas été assez prudents. Florilius sourit intérieurement en songeant aux multiples contacts involontaires avec la population locale, déclenchés par les vols de glisseurs et navire de transport. Les autochtones avaient failli les découvrir officiellement. Le premier incident survint en 1947 lorsqu’un avion de tourisme aperçut l’un des premiers glisseurs qui cherchaient un site viable pour l’installation de la base. L’incident le plus grave survint le 7 janvier 1948 lorsque la marine ildarane dut engager un appareil de contrebandiers qui cherchait à se poser sur Terre. L’incident aurait pu tourner au drame, car l’un des appareils fut aperçu par un capitaine de l'armée de l'air américaine qui se tua dans son F51 Mustang en s'approchant trop près des champs antigrav. Le commandant de l’époque décida alors de rechercher un autre site de secours par précaution. C’était une très bonne initiative qui servit par la suite, mais cette recherche coûta la vie d’un autre terrien quand le glisseur de combat fut signalé, par un jeune pilote à bord d'un avion Cessna, à deux cents kilomètres de Melbourne le 21 octobre 1948. Malheureusement, l’avion de tourisme percuta frontalement l’appareil ildaran et le commandant de l'époque dut faire disparaître les restes de l'avion et le pilote. Mais le pire incident fut celui de 1954 et Florilius n’aurait pas aimé être à la place de commandant qui dut gérer cette crise qui faillit déboucher sur une guerre ouverte avec la République de Lorka, en plus de l’agitation déclenchée sur Terre. À cette période, la république découvrit également la Terre et envoya plusieurs vaisseaux d'observation. En novembre 1954, les Ildarans durent engager un vaisseau de combat de la Fédération de Lorka, dans le ciel de Madagascar, car l’appareil semblait vouloir se poser malgré l’ordre formel de quitter la planète. Le faisceau disrupteur de sommation fut tiré trop près de la ville de Tananarive et cela provoqua une énorme panne d'électricité et une chasse aux OVNI sur toute la planète, car les croiseurs avaient été aperçus. Le commandant de l'époque reçut l'ordre de cesser tout déplacement pendant plusieurs mois, déclenchant la grogne de l’équipe scientifique. Les Ildarans décidèrent, depuis lors, de stationner leur croiseur sur la face cachée de la Lune où la marine finit par installer une base de défense planétaire. Mais personne n'envisagea qu'un appareil terrien viendrait les chercher là et en novembre 1969 la mission spatiale Apollo 12 aperçut le Carusif en orbite lunaire. Depuis cette date, les procédures de sécurité avaient été considérablement renforcées et les appareils impériaux n'avaient plus été repérés. La base lunaire fut dissimulée à trois cents mètres sous la roche et aucun matériel n'était autorisé à stationner en surface. La base terrestre de Cascade Mountains fut progressivement déménagée en Australie malgré les protestations des scientifiques présents à l’époque. Les membres de l’expédition avaient ensuite été particulièrement précautionneux et avaient réussi à rester dissimulés malgré l’évolution significative de la technologie sur la planète, depuis plusieurs décennies. L’équipe permanente comprenait une quarantaine de personnes, dont douze militaires de la spatiale et des civils, spécialisés dans l’intelligence scientifique. Cette équipe surveillait attentivement les évolutions technologiques des terriens attendant la découverte de la propulsion quantique par saut ou des avancées sur l’utilisation de la matière noire. Une partie de l’équipe scientifique avait également la charge de rechercher des sites archéologiques et des traces d’interventions des Al-Heoxyrians. Certains membres de l’unité scientifique s’étaient même fondus dans la population dans des centres de recherches pour mieux surveiller les évolutions des terriens dans les technologies sensibles pour l’Empire. En principe, les équipes étaient relayées tous les cinq ans terrestres, mais certains étaient là depuis plusieurs décennies. Ils avaient simplement dû dissimuler leur extraordinaire longévité aux yeux des autochtones. Il y avait peut-être dans l’équipe des éléments favorables aux Verakin qui les avaient aidés à s’installer sur Terre. Si c’était avéré, il fallait les identifier avant l’arrivée des troupes d’élite de l’empereur, songea le commandant impérial. Depuis l’alerte, la totalité de l’équipe, civile et militaire ainsi que tous leurs équipements étaient focalisés sur la traque des fugitifs. Le commandant sorti de sa rêverie : il cherchait des réponses. - Comment ont-ils pu échapper aux drones de chasse ? s’agaçait-il. - Nous avons perdu leur trace dans le centre de Marrakech. L'un de nos agents a été neutralisé. Il ne se souvient de rien, ce qui tend à démontrer qu’ils ont au moins un psykan avec eux. L’analyse de tous les véhicules en mouvement sur la zone se poursuit. Chaque signature répertoriée par nos satellites est analysée par l’IA. Nous finirons bien par retrouver quelque chose ! Deux drones sont maintenant affectés à la reconstitution de l’itinéraire de la signature thermique qui se déplaçait vers l’ouest répondit Jilien qui avait supervisé l’interception ratée et faisait tout pour faire oublier son échec. Florilius ne décolérait pas : la technologie ildarane avait produit des calculateurs quantiques, des logiciels d’intelligence artificielle capables de retracer le parcours de chaque véhicule en mouvement et la machine semi-intelligente éliminaient les fausses pistes à une vitesse vertigineuse, mais malgré cette débauche de moyens, il n’y avait toujours aucune trace des fugitifs ! Aucune piste sérieuse n’avait émergé de l’IA et le commandant ne croyait pas trop à celle de l’ouest. J’espère que nous allons découvrir quelque chose avant l’arrivée de la Sécurité Impériale sinon je vais passer des moments désagréables. Songea-t-il. * Chapitre 13 Pendant ce temps, de l’autre côté de la planète, le First Episode filait à vingt-cinq nœuds en direction de Madère et Sarian relatait toujours l’histoire de l’Empire. Paul était littéralement scotché au récit du chef de la garde de son père biologique ou présumé tel - Sarian, il y a un point qui me semble curieux : comment se fait-il que nous soyons si semblables ? Il est impossible que l’évolution ait pu être la même sur plusieurs planètes différentes, d’autant que les conditions de vie ne doivent pas être totalement identiques ? Gravité, composition de l’air, tailles des planètes… Demanda finalement Paul, qui avait cette question en tête depuis plusieurs minutes. - C’est une question fondamentale à laquelle nous n’avons pas de réponse formelle malgré trois cent cinquante siècles de recherches. Sarian lui expliqua que les scientifiques de l’Empire pensaient que les Al-Heoxyrians étaient derrière ce phénomène, mais ils n’avaient jamais pu le prouver. Aucune expédition scientifique n’avait jamais trouvé de traces matérielles de leur présence et sans les messages d’avertissement et la destruction de la République de Brasky il aurait été impossible d’affirmer leur existence. Oria compléta l’explication en ajoutant que tous les peuples rencontrés étaient indéniablement humains. Il y avait de petites différences liées aux particularités planétaires comme la taille, la couleur de peau, mais, génétiquement, il s’agissait de ce que les terriens appelaient des homo-sapiens. Les scientifiques ildarans étaient unanimes pour estimer que ce ne pouvait pas être un hasard. La similitude entre les planètes habitables et la capacité des Al-Heoxyrians à faire exploser un soleil laissait penser qu’ils étaient certainement intervenus dans l’évolution des planètes habitables pour les rendre plus conformes à la vie humaine. L’Empire avait répertorié des centaines de planètes humano-compatibles, certaines plus grosses ou plus petites que la Terre et Ildaran Prime, mais elles possédaient toutes des gravités et des masses proches, avec moins de 3% d’écarts. Ces planètes se situaient à des distances différentes de leurs soleils respectifs, eux-mêmes plus ou moins massifs et chauds, mais les équilibres des températures et des climats restaient similaires. De plus, dans chaque système humano-compatible on trouvait une planète jovienne géante, au-delà de l’orbite de la planète habitable, qui jouait le rôle de piège gravitationnel et la protégeait du bombardement d’astéroïdes et de comètes. La dénomination al-Heoxyrian venait d’ailleurs de la méconnaissance réelle de cette race, à savoir d’ailleurs si c’était une race, un être unique vivant ou artificiel. - C’est très frustrant d’imaginer être surveillé par quelque chose, ou quelqu’un, qui a le pouvoir de détruire voire de façonner des systèmes solaires entiers. Répondit Paul songeur. - Je suis d’accord avec toi et je peux t’assurer que des milliers de chercheurs se sont épuisés en conjectures sans trouver de réponses. Approuva Sarian. Oria, qui avait soigneusement lu tous les rapports scientifiques expédiés via les sondes messagères confia à Paul que, d’après les scientifiques en poste, les Al-Heoxyrians étaient vraisemblablement intervenus sur Terre dans la disparition de Neandertal et de Cro-Magnon, supplantés par les homo-sapiens. - C’est un peu tiré par les cheveux non ? lui sourit Paul. - Pas tant que cela. C’est la situation actuelle qui est étrange : une seule espèce humaine a survécu alors que la plupart des autres mammifères comportent plusieurs espèces. Objecta la jeune femme qui se passionnait sur le sujet depuis des décennies. Elle ajouta que la question se posait également sur Ildaran et d’autres planètes, déjà habitées par une civilisation humaine, découvertes par les vaisseaux de l’Empire. Sarian compléta ses propos en précisant que des scientifiques terriens s’interrogeaient également, car l’espèce humaine, sur terre, avait failli disparaître cent mille ans plus tôt lorsque la population était descendue en dessous de dix mille individus. Mais il y eut soudain un boom démographique qui permit à l’espèce de coloniser la planète depuis l’Afrique. Oria ajouta que d’après les chercheurs terriens, à cette époque, il y eut une mutation génétique : une désactivation de deux gènes qui eurent une incidence sur le système immunitaire. Cela offrit aux nouveaux humains une meilleure résistance bactérienne qui réduisit considérablement la mortalité des fœtus. Cette désactivation de deux récepteurs de l’acide sialique, chargés de réguler les réponses immunitaires, fut vraisemblablement responsable de la croissance démographique soudaine. - Nous avons retrouvé ce type d’intervention sur plusieurs planètes habitées, dont Ildaran Prime. Il pourrait s’agir d’une intervention extérieure pour favoriser une espèce. Conclut la jeune femme qui semblait vraiment croire à une intervention al-Heoxyrian. Le sujet troublait Paul, car il voyait, d’un seul coup, de nombreuses théories sur l’évolution darwinienne voler en éclat. Une information susceptible de bousculer pas mal de religions, songea-t-il. L’adolescent aurait aimé étudier plus avant toutes ces hypothèses, mais il lui semblait plus urgent d’en apprendre plus sur l’Empire si, bien sûr, celui-ci existait réellement. La nuit était tombée sur la mer et un calme presque inquiétant les entourait, uniquement perturbé pas le faible ronronnement des moteurs et le glissement du bateau sur l’océan. Paul aspirait à rejoindre Stéphanie dans la cabine, mais il s’astreint à en apprendre plus sur la situation. Le récit se poursuivit donc, à sa demande, sur les différentes familles de l’Empire, les conglomérats industriels et marchands. Plus Sarian avançait dans ses explications, plus les questions étaient nombreuses. Devant tant de détails et de précisions, il devenait de plus en plus difficile de ne pas les croire, même si Paul aurait préféré une preuve indiscutable. Sarian lui avait assuré qu’il serait définitivement convaincu lorsqu’ils seraient tous en sécurité dans leur base située en Dordogne. Là il pourrait découvrir un large aperçu de la technologie ildarane qui devrait lever définitivement ses doutes. C’est le moment que choisit Irias pour annoncer le dîner, en rappelant l’heure tardive. - Merci, Irias, cela va nous changer les idées de dîner tous ensemble, sourit Oria. Paul, tu vas chercher tes amis ? ajouta la jeune femme. - OK je rameute la troupe, répondit le garçon, encore troublé par l’histoire qu’il venait d’entendre. Stéphanie ne va jamais croire un truc pareil, sans parler de Mélanie pensa-t-il en s’engageant dans l’escalier qui s’enfonçait dans le bateau. Paul frappa légèrement à la porte de sa cabine, mais Stéphanie devait l’avoir entendu, car elle ouvrit immédiatement et tenta d’attirer son amant à l’intérieur. - Pas maintenant répondit Paul, en se détachant gentiment de l’étreinte de sa compagne le dîner est servi et tout le monde nous attend. Je dois prévenir Mél et Alex. Ajouta-t-il en se dirigeant vers la cabine suivante. Mélanie et Alex mourraient de faim après leur sortie en jet et ils ne se firent pas prier pour rejoindre le carré. Irias était un maître d’hôtel doublé d’un cuisinier hors pair et il avait réussi à leur concocter un dîner complet avec les maigres victuailles du bord. Durant tout le repas, Sarian avait astucieusement orienté la conversation autour de leur prochaine destination afin d’éviter toute question embarrassante. Sa stratégie avait bien fonctionné, mais Paul n’était pas dupe. Néanmoins comme tout le monde commençait à accuser la fatigue l’adolescent ne chercha pas à relancer les débats et après un café bien serré, tout le monde alla se coucher. L’équipe de Sarian préférait se reposer pour affronter la suite et il ne resta que Telius chargé de surveiller la navigation et les communications. Paul avait remarqué que, par instant, l’homme semblait un peu absent, l’adolescent apprendrait, par la suite, qu’il était en contact quasi permanent avec l’IA de leur base, à travers ses Nanocrytes de communication. * Chapitre 14 Pendant ce temps-là, à 3h du matin, heure de Marrakech ou 11h sur le fuseau horaire australien, Rliostem et Klosteran naviguaient à quarante pour cent de la vitesse de la lumière, allure maximum du Randor, vers l’extérieur du système solaire. L’aviso était indécelable sous sa couverture furtive, mais les niveaux d’énergie Kin baissaient inexorablement. Il faudrait bientôt activer les filets de captage pour recharger les condensateurs Verakin. Les deux hommes savaient qu’il leur fallait jouer serré, car dès que le navire serait détecté celui-ci serait la cible à abattre. Les deux hommes de Sarian s’interrogeaient pour savoir s’il était préférable d’attendre au maximum pour s’éloigner le plus possible avant de couper le mode furtif ou garder un peu d’énergie pour manœuvrer en cas de besoin. - Je suis favorable à ce que nous coupions le mode furtif dès maintenant. Suggéra Rliostem. Stoppons les propulseurs et continuons sur notre élan jusqu’à atteindre le 0,2C. L’homme proposait de laisser le vaisseau croiser sur son ère, car ils se trouvaient à 4,2 milliards de kilomètres de la Terre et à 10,2 milliards de kilomètres du bâtiment des impériaux. À cette distance, la détection visuelle était impossible et leurs adversaires ne pourraient pas repérer un vaisseau avec une propulsion désactivée. Ce n’était que lorsque celui-ci commencerait à capter de la matière noire que les impériaux décèleraient sa position. Je suis d’accord. De toute façon si nous continuons ainsi nous n’aurons bientôt plus d’énergie et il faudra, de toute façon, stopper totalement. Acquiesça Klosteran. C’est ainsi que le Randor coupa ses propulseurs et son champ furtif. Il redevint visible, mais il était trop petit pour être repéré par des senseurs optiques. En l’absence de propulsion, les capteurs d’ondes gravitationnelles étaient inutiles et l’IA de la base impériale ne remarqua rien. Néanmoins, sans propulsion et malgré une vitesse de 0,4 c au moment de l’arrêt des propulseurs, le Randor ne pouvait pas atteindre une distance suffisante, dans un délai raisonnable, pour atteindre un point de saut et s’échapper avant que la flotte de l’Empire n’émerge dans le système solaire. Rliostem et Klosteran étaient inexorablement condamnés à recharger les condensateurs Verakin au moins une fois pendant plusieurs dizaines de minutes. La vitesse allait chuter progressivement, car la masse de l’appareil ne lui permettait pas de naviguer sur son élan à une telle vitesse. Ils avaient dû également couper les compensateurs de gravité qui neutralisaient l’écrasement des accélérations, des décélérations et des changements de cap. Même la gravité artificielle du vaisseau avait été déconnectée et les deux hommes se retrouvaient maintenant en apesanteur, car l’IA craignait en effet que des drones-senseurs ultra-sensibles ne repèrent la faible anomalie gravitationnelle provoquée par les générateurs. * En Australie, l’attente devenait intenable dans l’entourage de Florilius. Le commandant se reprochait, de surcroît, d’avoir envoyé ses hommes contre une unité d’élite améliorée aux Nanocrytes de type six et ressassait ses différents arguments face aux membres de la Sécurité Impériale. Cela avait coûté la vie à Varle et l’état mental de Perti n’était pas excellent après l’interrogatoire du psykan ennemi. Je dois pourtant reprendre l’initiative avant l’arrivée de la SI. Fulminait-il intérieurement en faisant les cent pas dans la petite salle tactique, sous le regard de ses hommes aussi agités que lui. Jilien avait perdu son meilleur ami et rêvait de revanche. S’il parvenait à retrouver les hommes de Verakin, il ferait tout pour se venger et Florilius pensa qu’il faudrait le surveiller, car il n’était pas question de déclencher un combat ouvert sur le sol terrien. - Comment peuvent-ils naviguer dans le système sans que nous n’enregistrions pas la moindre signature gravitique ? s’emporta Jilien - J’ai entendu parler d’une technologie de camouflage il y a quelques années, mais j’ignorais qu’elle fut opérationnelle. À ma connaissance, il n’y a pas de vaisseau équipé de cette technologie en opération dans la flotte impériale. Lui répondit Gorantim. Si je me souviens bien, je crois que cette technologie consomme énormément d’énergie et je serais surpris qu’ils puissent atteindre une distance suffisante pour transiter sans avoir rechargé leurs condensateurs. Nous devons rester en alerte, ils vont réapparaître. Assura l’adjoint de Florilius. - Quel dommage que nous n’ayons qu’un appareil : nous ne pouvons pas faire un blocus en périphérie du système. Regretta le commandant. - Le Carusif vient d’envoyer la confirmation de l’envoi de la sonde, annonça l’IA de la base - Ah parfait. Maintenant que la sonde messagère a été envoyée, je propose que nous déroutions le Carusif vers un point de saut. Si la masse du navire ennemi n’est pas trop inférieure à celle de notre vaisseau, leur point de saut devrait se situer dans la même zone périphérique. Avec de la chance, ils seront à portée de tir au moment de la stabilisation inertielle. Plus nous nous rapprocherons, plus nous aurons de chance de l’intercepter dès qu’il apparaîtra sur les senseurs. Intervint Gorantim - Excellente idée, Gorantim. Donnez l’ordre au croiseur d’atteindre une distance de saut et d’attendre nos instructions. Se réjouit Florilius. On va les avoir ! - Ils ont dû couper leurs propulseurs pour économiser l’énergie et continuer sur leur lancée. Émit Gorantim avec un ton plein d’assurance. Le second de Florilius s’était intéressé au sujet, car juste avant la chute des Verakin, il se souvenait qu’une unité de recherche originaire de sa planète avait annoncé avoir découvert une technologie permettant de masquer les anomalies gravitationnelles générées par la propulsion gravitique. - C’est probablement comme cela qu’ils sont arrivés sur Terre sans se faire repérer. J’ai fait lancer tous les drones de surveillance basés sur la lune dans toutes directions et ceux basés sur Io, l’un des satellites de Jupiter. S’ils ignorent l’existence de cette base et qu’ils croisent l’orbite de Jupiter pas trop loin de la planète jovienne, nous les repérerons. Affirma Gorantim, sûr de lui. - Très bonne initiative, si nous repérons je le mentionnerai aux unités impériales. Jubilait presque Florilius en s’appuyant sur ce dernier espoir de se faire bien voir de la SI. * Chapitre 15 Sur l’Atlantique, le First remontait plein nord à vingt-cinq nœuds quand, vers 3h30, la sonnerie du portable tira Sarian de son sommeil. Les senseurs à longue portée de la base avaient détecté l’anomalie gravitationnelle d’un saut quantique effectué par un engin de faible masse puis le mouvement du vaisseau ennemi qui accélérait vers l’extérieur du système solaire. - Ils ont expédié une sonde messagère. Tu penses qu’il navigue vers un point de saut et qu’ils ont repéré le Randor ? demanda Sarian à Numarion, qui était de garde aux communications. - Non, cela m’étonnerait qu’ils l’aient repéré. Ils doivent chercher à atteindre un point de saut pour tenter de l’intercepter au moment de la stabilisation inertielle. Lui répondit son interlocuteur. - Rien d’autre sur les senseurs ? demanda Sarian, inquiet. - Non. Rien du tout. Soit Rliostem et Klosteran sont encore en mode furtif, soit ils courent sur leur ère et ont coupé la propulsion gravitique. Je penche pour la seconde solution compte tenu du niveau d’énergie Kin à l’appareillage. Suggéra Numarion. - Cela signifie que l’on ne va pas tarder à les détecter dès qu’ils enclencheront les filets de captage. Nous devrions en profiter pour bouger : nos adversaires vont se focaliser sur le Randor. Transmit Sarian. L’homme ne put se rendormir, songeant à ses hommes et à son aviso. Il doutait encore de son choix même s’il n’en laissait rien paraître aux autres membres de l’équipe. * De l’autre côté de la planète, les militaires étaient à cran. Toutes les personnes présentes dans la salle du contrôle opérationnel de la base australienne étaient dans l’attente fébrile d’un signal de détection. Florilius avait les mêmes états d’âme que Sarian, mais pour des raisons naturellement opposées. Il espérait que son croiseur parviendrait à intercepter le bâtiment ennemi malgré sa vétusté et sa faible vitesse de pointe. Le commandant ignorait les spécificités du Randor, mais il imaginait qu’un vaisseau capable de furtivité devait avoir des propulseurs récents et plus performants que ceux du vieux Carusif. Son navire fonçait à sa vitesse maximum pour atteindre, au plus vite, un point de saut, mais il avait peu de chance d’y parvenir à temps pour intercepter le vaisseau des Verakin, s’il le repérait. Florilius gardait cependant espoir que son croiseur parvienne à moins de cinquante secondes-lumière pour pouvoir lui expédier une salve de disques-torpilles. Sachant que le vaisseau ennemi devrait s’immobiliser totalement avant de transiter, il serait une proie facile pour des disques-torpilles lancés, à sa poursuite, à quatre-vingt-dix pour cent de la vitesse de la lumière. * L’océan Atlantique, au large des côtes de l’Afrique, était calme à cette période de l’année et le yacht parvint sans encombre, au large de Madère, vers 4h30 du matin. Darin, qui avait relevé Telius au cours de la nuit, laissa tout le monde dormir tranquillement et ancra le First à huit cents mètres de la côte. Le second de Sarian profita de ces instants de calme pour se détendre un peu. Son esprit vagabondait et il se remémorait leurs dix-sept dernières années : leur arrivée sur terre, le subterfuge pour faire adopter Ishar, la surveillance discrète d’Oria et de lui-même, les bons moments sur cette planète encore naïve sur sa place dans la Voie Lactée... Darin se souvenait du choix de s’installer dans ce bras spiral qui les avait obligés à traverser presque les deux tiers de la galaxie. Il n’avait pas été facile de choisir de s’isoler sur cette planète éloignée des routes de l’Empire. Ils s’étaient coupés d’éventuels alliés, encore fidèles aux Verakin, mais Sarian avait privilégié la sécurité de l’héritier. Cet isolement se transformerait en piège si leur unique vaisseau était détruit. Darin craignait l’arrivée d’une flotte impériale, car il savait que leur petit aviso ne tiendrait pas quelques dixièmes de secondes devant des croiseurs de guerre. Le soleil commençait à poindre au ras de l’horizon marin et la beauté du paysage accapara ses pensées, interrompant ce court instant de pessimisme. Sarian, qui ne dormait pas non plus, fut le premier à remonter sur le pont, rapidement suivi par Irias, qui prépara un petit-déjeuner pour tout le monde. Toute l’équipe fut rapidement opérationnelle, suivie assez vite par les quatre adolescents qui semblaient avoir pris la mesure de la situation et affichaient tous des visages graves et résolus. Paul fut le premier à interroger Sarian sur la suite des évènements et celui-ci en profita pour les informer des dernières nouvelles venant de leur base au sujet du croiseur impérial et de la fuite du Randor. - Ça va être juste. Lui fit remarquer Darin - C’est pour cela que je n’ai pas voulu que nous tentions l’opération avec Paul à bord. La marge d’erreur est trop faible pour prendre le risque de perdre l’empereur légitime. Répondit l’homme en regardant le garçon. Bien, abordons maintenant les détails de notre opération : nous allons nous rapprocher de la côte et entrer dans la marina de l’hôtel Calheta Beach avec l’annexe. Des chambres ont déjà été réservées par Mariq, qui est arrivé hier soir en avion. Il amène également des passeports pour Mélanie et Alex. Cela devrait faciliter les déplacements, car nous ne devrions pas rester très longtemps sur l’île portugaise. - Où comptez-vous nous emmener ensuite ? demanda Mélanie, un peu plus calme, mais toujours agressive. - Nous avons plusieurs options pour quitter Madère. Tout va dépendre de la réaction de nos adversaires. Si la traque se relâche un peu, nous pourrons prendre un vol privé et revenir sur le continent avant l’arrivée des services spéciaux. Nous finirons ensuite notre trajet avec des moyens terrestres. Si au contraire ils retrouvent notre trace : il faudra improviser, mais nous avons déjà un plan de secours par bateau. Affirma Sarian avec une assurance rassurante. - Pourquoi ne pas continuer avec celui-ci, après avoir ravitaillé ? interrogea Paul. - Parce que si nos adversaires réussissent à nous pister, malgré nos efforts, ce bateau sera identifié rapidement et rester à bord en plein milieu de l’océan serait le meilleur moyen d’être intercepté. Sur un transport plus anonyme, il sera beaucoup plus difficile de nous retrouver. Mariq s’occupe déjà de nous trouver quelque chose pour les jours à venir. Ajouta l’homme. Paul songeait que Sarian devait être un peu paranoïaque, mais, au moins, il semblait ne rien négliger. Après tout, c’était son métier et il s’en tirait plutôt bien. Mélanie pensait toujours qu’il s’agissait d’illuminés, mais resta silencieuse : il sera toujours temps de prendre une décision lorsque je serai à terre. Pensa-t-elle. Alex et Stéphanie étaient pourtant concernés, mais ne savaient plus très bien sur quel pied danser et ne firent aucune remarque. Le jour était entièrement levé, quelques nuages menaçants parsemaient le ciel et Paul admira un instant ce paysage tranquille. Il sentait l’excitation le gagner de nouveau : un mélange de crainte et de curiosité qui le poussait à suivre ces hommes et à accepter presque naturellement leurs assertions sur son hypothétique passé. Il observa, à la dérobé, son entourage et découvrit qu’Oria le fixait attentivement. Se pouvait-il qu’elle ait perçu ses sentiments ? Quels étaient exactement ses liens de parenté avec cette jeune femme qui l’intriguait tant ? Pourquoi se sentait-il coupable lorsqu’il était proche d’elle ? Autant d’interrogations auxquelles il lui faudrait trouver des réponses si leur promiscuité se prolongeait. Stéphanie lui attrapa la main et le contact le fit reprendre conscience avec la réalité. L’annexe avait été mise à l’eau et il était maintenant temps de quitter le magnifique yacht. L’adolescente songea que si les circonstances avaient été moins étranges, cet intermède marin avait plutôt été agréable. Les jeunes gens rassemblèrent leurs maigres affaires et un premier groupe, composé de Darin, d’Alex, de Mélanie, de Vira et d’Irias embarqua sur le petit canot en direction de la Marina. Sarian leur avait expliqué que Telius repartirait avec le First Episode pour le couler à vingt kilomètres de la côte afin d’éviter qu’il ne soit analysé et que les impériaux retrouvent des traces d’ADN Verakin à bord. - Telius va revenir avec le Jet ski après avoir coulé le yacht ? s’enquit Stéphanie, auprès d'Oria. - Non, il va revenir à la rame dans un canot gonflable pour éviter toute signature thermique. Répondit la jeune femme. - À la rame ! s’exclama l’adolescente qui s’imaginait déjà perdue en pleine mer sur un minuscule esquif en caoutchouc. - Ne t’inquiète pas, sourit Oria. Pour quelqu’un, amélioré avec un pack de Nanocrytes de niveau six, c’est une promenade de santé : il sera à Madère dans l’après-midi. Il pourrait même le faire à la nage. Lui laisser le canot : c’est presque du luxe. Plaisanta la jeune femme aux yeux bleus. Telius lui lança un regard faussement courroucé. L’exercice était en effet facile pour un garde impérial Verakin et ses aptitudes physiques renforcées. - Telius, n’oublie pas de détruire le canot lorsque tu seras revenu à Madère, intervint Darin juste avant que l’annexe ne commence à s’éloigner du yacht. - Ne t’inquiète pas, je te préviendrai dès que je serai à l’hôtel, cria Telius à l’embarcation qui voguait déjà en direction de la côte. Le second groupe attendit une trentaine de minutes le retour de l’annexe et Paul en profita pour observer l’équipement qu’Oria et Sarian avaient déposé à leurs pieds. Ils emportaient de lourds sacs à dos qui devaient certainement contenir des armes et du matériel militaire. Darin avait déjà embarqué un sac identique et Paul se promit de les interroger sur l’armement dont disposait l’équipe. Ils en avaient discuté avec Alex, qui bouillait d’impatience d’être doté du fameux bouclier. L’annexe, qui approchait du navire, interrompit ses réflexions. Il fallut un quart d’heure à la petite embarcation pour que tout le monde se retrouve sur le débarcadère de la marina qui jouxtait l’hôtel. Les adolescents n’étaient pas mécontents de se retrouver sur la terre ferme. Mélanie songea qu’elle allait maintenant pouvoir retrouver sa liberté d’action. Elle était lassée de ce jeu d’espion et était prête à laisser Alex en plan. Qu’ils se débrouillent avec leurs problèmes. Tant pis pour Alex, un de perdu, dix de retrouvés, pensa-t-elle un peu égoïstement. Stéphanie était aux antipodes des pensées de Mélanie : elle s’inquiétait pour Paul, plus que pour elle-même. Elle avait compris que son compagnon était peut-être en danger et, même si les raisons lui échappaient, elle avait décidé de rester auprès de lui. Alex semblait insouciant et à des lieux d’imaginer ce que pensait sa petite amie. Il était transporté par l’excitation de l’aventure et ne semblait pas prendre conscience des risques. Paul observa l’hôtel qui leur faisait face : celui-ci semblait récent et comportait une plage de sable clair, très rare à Madère. L’île volcanique était ceinte de côtes très accidentées et les quelques endroits accessibles à la baignade étaient composés de sable noir d’origine volcanique et plus souvent de galets et de petits graviers. Paul apprendrait plus tard que l’hôtel avait importé du sable de l’île voisine de Porto Santo et que la plage elle-même avait été réalisée avec la marina. L’hôtel blanc, avec quelques balcons de couleur orange, semblait posé sur l’océan Atlantique, le long de la falaise volcanique de l’île. Une piscine en forme de larme tronquée, décorée de quelques palmiers, habillait le devant de l’établissement, face à la mer. Le groupe se présenta à la réception où des chambres avaient été réservées par Mariq pour tout le groupe. Mélanie observait, un peu étonnée, la décoration du lobby avec ses canapés violets et ses fauteuils mauves à fleurs. Un peu kitch. La réceptionniste, une jeune Portugaise souriante, ne parut pas surprise de les voir arriver par la mer et les informa que deux des chambres étaient déjà disponibles : leurs occupants avaient quitté l’hôtel très tôt pour l’aéroport de Funchal. Elle ajouta que les autres chambres seraient prêtes à partir de 12h, heure locale, mais que tous pouvaient se détendre dans l’hôtel et qu’un espace leur était attribué pour déposer leurs bagages et se changer. Les installations étaient à leur disposition s’ils voulaient aller à la piscine ou la plage. Sarian proposa que les adolescents s’installent dans les chambres disponibles et se reposent un peu. - Je viendrais vous chercher dans une heure pour aller acheter quelques vêtements et de l’équipement de première nécessité. Deux voitures de location nous attendent sur le parking, nous pourrons aller à Funchal et nous déjeunerons là-bas. Ajouta-t-il avant que les quatre jeunes gens s’engouffrent dans l’ascenseur. - D’accord, on ne bouge pas de nos chambres cette fois-ci, promis. Répondit Paul le plus sérieusement du monde. Ils purent ainsi s’installer et Stéphanie n’était pas mécontente de se retrouver un peu seule avec son amant. Les dernières trente-six heures ne leur avaient pas laissé beaucoup de temps pour discuter de leur situation et un peu d’isolement leur permettrait certainement de faire le point avec plus de sérénité. Laissant Alex et Mélanie entrer dans la première chambre, les deux adolescents pénétrèrent dans la suivante. Celle-ci était décorée dans un style moderne avec un lit et du mobilier de couleur Wengé, un parquet brun, une grande baie vitrée ouverte sur l’océan Atlantique, des murs blancs sauf celui au-dessus du lit qui était recouvert d’un papier peint sur fond blanc avec des branches de buissons stylisés. Une télévision à écran plat complétait l’ensemble et Paul fut ravi de découvrir que les chaînes françaises étaient accessibles. Un rapide survol sur BFM TV et iTélé, deux chaînes d’information continue, lui permit de constater que l’on ne faisait pas état de leur disparition de Marrakech. Stéphanie entraîna rapidement Paul dans la grande douche bien décidée à détendre la tension accumulée. Elle imaginait Mélanie et Alex de l’autre côté de la cloison et cela ne fit qu’accentuer son désir. Cette fois Paul se laissa guider sans aucune résistance. Chapitre 16 Revenu dans leur chambre, Stéphanie tenta de discuter avec Paul, mais celui-ci semblait être vraiment fatigué, car il s’assoupit, malgré l’excitation et les craintes sur leur avenir. En réalité, il feignait le sommeil et attendit que la jeune fille soit endormie pour aller rejoindre le groupe d’adultes. En pensant à cela, il se dit qu’il commençait à entrer dans la peau d’Ishar Verakin. - Ah, Paul ! Viens te joindre à nous. Maintenant que tes amis sont couchés, il y a certainement des questions complémentaires que tu souhaites nous poser, le héla Darin. - En effet, répondit l’adolescent. J’aimerais que vous continuiez de me parler de ma planète natale et de mes parents. Enfin tout ce que vous pourrez m’en dire. - Ça va être long…, reprit Sarian, tout sourire tant il était ravi que Paul accepte sa situation. Mais nous pouvons commencer par te conter un peu l’histoire de l’Empire jusqu’à tes parents, nous compléterons avec d’autres détails au fur et à mesure. Suggéra l’homme. - Allez. On se donne deux heures puis nous irons tous nous reposer il est déjà 23h. proposa Oria. Et c’est par ces mots que les quatre Ildarans entamèrent l’histoire de l’Empire. Paul écoutait avec avidité la chronologie de la création de l’Empire sur la planète mère, située à trente-huit mille années-lumière du centre de la Voie Lactée, dans le bras du Cygne également appelé bras Règle-Cygne. Le système mère d’Ildaran était situé pratiquement dans l’axe opposé au système solaire par rapport au centre galactique, ce qui le situait à pratiquement cinquante-deux mille années-lumière de la Terre, en ligne droite. Paul n’était pas féru en astronomie et les Ildarans cherchaient parfois les terminologies utilisées sur Terre pour faire référence à leurs connaissances. - Sarian continua en racontant comment Ildaran avait connu une longue évolution, passant par des guerres intestines, l’épuisement des matériaux fossiles…, l'invention des Nanocrytes médicales, trente-huit mille neuf cents ans plus tôt, qui avait profondément changé la société ildarane... - Je ne suis pas généticien, mais, en résumé, le docteur Coren Faraï a, dans un premier temps, conçu des nanotechnologies biologiques artificielles qui pouvaient réparer les cellules endommagées de l’organisme. Tenta d’expliquer Sarian. Cette innovation majeure avait permis d’éliminer pratiquement toutes les maladies et à part la peste verte qui avait décimé trente pour cent de la planète, trente-huit mille neuf cents ans plus tôt, la société ildarane n’avait plus connu la maladie. Dans un second temps, les successeurs de Faraï avaient conçu des Nanocrytes médicales capables de reprogrammer les cellules sénescentes pour générer des cellules souches pluripotentes induites afin de leur donner la morphologie et les caractéristiques des cellules souches embryonnaires. Dès lors, il devint possible de remplacer toutes les cellules de l’organisme et ce fut le début du prolongement de la durée de vie. Sarian essaya de simplifier son résumé en expliquant que la mort survenait, car les cellules finissaient par mourir de faim. En vieillissant, elles ne savaient plus s’alimenter et in fine le corps dépérissait par disparition des cellules qui ne se régénéraient plus. Avec ces Nanocrytes médicales qui reproduisaient les cellules souches embryonnaires, Faraï avait réussi à prolonger la vie des Ildarans jusqu’à plus de six cents années terrestres. Il s’agissait d’une limite théorique, mais sur laquelle les savants butaient depuis plusieurs millénaires, même si quelques rares individus avaient vécu jusqu’à près de six cent quarante ans. - D’après les rapports que nous avons interceptés, il semble que certains scientifiques terriens, à Tokyo et à Montpellier : en particulier à l’INSERM, soient en train de travailler sur ce sujet. La Terre pourra certainement disposer de cette avancée d’ici une centaine d’années. Ajouta Oria. Pour Ildaran, cette innovation avait totalement changé le rapport à la mort. Il semblait que lorsque la durée de vie était courte, l’être humain avait tendance à moins la valoriser, mais avec un potentiel de plus de six cents ans, sauf en cas de mort violente, la conscience de l’existence avait considérablement évolué et les individus étaient devenus plus pacifiques. Le revers de cette situation était que le rapport au temps avait également été modifié et que le rythme des innovations avait ralenti. Il avait ainsi fallu presque mille ans pour découvrir l’énergie Kin, issue de la transformation de la matière noire. Cette étape avait été le véritable début de l’Empire, car de cette énergie gratuite et illimitée était venu l’essor des principales grandes familles qui avaient structuré l’organisation sociétale d’ildarane. Après la découverte de la matière noire par Cavon Seravon, presque trente-sept mille neuf cents ans plus tôt, Ilvaran Verakin conçut une technologie pour convertir cette matière noire en énergie et la stocker dans des condensateurs. Ce fut l’essor industriel et financier de la famille de Paul. Rapidement, plusieurs autres scientifiques découvrirent de multiples utilisations de l’énergie Kin et bâtirent à leur tour de véritables empires industriels. Le système politique, qui avait successivement essayé plusieurs modèles, arrivait à bout de souffle et les grandes familles industrielles et financières se coalisèrent pour prendre le pouvoir. Ni Sarian ni aucun autre ildaran ne savaient précisément comment un Verakin avait été désigné Empereur, mais cela avait donné trente-six mille ans de stabilité politique. - Ce n’est pas très démocratique comme système, le coupa Paul qui pensait aux élections prochaines en France. Sur Terre, dans les pays développés, les dirigeants sont élus par le peuple - Et l’on voit où cela vous mène... lui rétorqua Oria, amusée. En Europe, vous avez constitué une caste de politiciens qui s’auto-entretient et est plus concernée par sa réélection que par l’anticipation et la gestion des pays. Aux États-Unis, le président est élu par de Grands Électeurs soudoyés par les lobbys de tous bords qui voient s’affronter les grands conglomérats militaro-industriels et financiers. Dans tous les cas, le peuple qui vote n’a pas vraiment le choix : ce qu’on lui propose est issu de cercles totalement autarciques. C’est comme si tu me disais que tu as le choix dans un magasin qui ne propose que deux marques de sodas. Tu choisis, mais dans un panel très restreint. Compléta la jeune femme, qui, pragmatique, avait étudié les systèmes politiques en vigueur sur Terre. - Ouaip… un point pour toi, je vous laisse continuer, soupira le garçon, un peu désabusé. Sarian reprit : - En quelque cinq cents ans, la structure politique d’Ildaran Prime fut figée sous sa forme actuelle avec un empereur entouré des grandes familles régnantes et des guildes très puissantes comme celles du commerce ou des scientifiques. Mais il ne faut pas se tromper : si l’Empereur possède un grand pouvoir, celui-ci est équilibré par les familles et les guildes. L’homme ajouta que chaque membre de ces familles recevait, dès son plus jeune âge, une formation adaptée à ses futures responsabilités. Cette organisation sociétale, additionnée à la longue durée de vie des habitants, avait procuré une grande stabilité à l’empire, jusqu’à la traîtrise incompréhensible des Seravon. Oria convint qu’il ne s’agissait peut-être pas d’un modèle parfait, mais qu’il avait fonctionné et que tous les ildarans en avaient largement bénéficié. Cette stabilité politique s’était accompagnée de l’expansion de l’Empire dans l’espace, grâce à la découverte du déplacement quantique. Facel Randarion, un scientifique de génie, avait découvert trente-quatre milles huit cent cinquante ans plus tôt, la translation par trou de vers. Facel fut à l’origine de l’ascension d’une nouvelle dynastie industrielle qui intégra l’assemblée très restreinte du premier cercle du pouvoir qui comprenait aujourd’hui huit grandes familles. Huit cents ans plus tard, un descendant de Coren Faraï, inventeur des Nanocrytes, décoda totalement le cerveau humain et ses échanges électrochimiques. - Un scientifique te l’expliquerait mieux que moi, mais je vais essayer de te faire une synthèse. Dans le cerveau, les informations circulent, de neurone en neurone, sous la forme de messages électriques appelés influx nerveux. Les neurones sont reliés entre eux par des milliers de connexions appelées : synapses. Entre eux, l'information est échangée sous forme de messages chimiques appelés neurotransmetteurs, Sarian semblait connaître le sujet et laissa Paul un peu au bord du chemin devant la complexité du cerveau humain. L’ildaran continuait tranquillement ses explications. Les recherches de Faraï avaient suivi celles réalisées sur l’intelligence artificielle qui avaient conçu les premières IA à partir de neurones synthétiques. Faraï avait réussi à trouver comment interpréter les messages circulant entre les neurones et les neurotransmetteurs. Après avoir développé une sorte d’IA capable de lire le cerveau d’un humain, il développa une technologie biologique permettant d’interagir à distance. Korïn Faraï venait d’inventer les glandes psys. Restait à introduire ces glandes dans le genre humain. Malheureusement, cette technologie ne pouvait pas être greffée : il fallait que le sujet naisse avec, et cela impliquait une altération génétique et une fécondation in vitro. De ce fait, sa découverte ne fit pas recette dans les premiers siècles d’autant que les premiers sujets n’avaient pas développé de résultats très concluants. Faraï avait pourtant averti que les évolutions seraient très lentes et que les résultats ne se feraient pas sentir avant plusieurs générations. Il en résulta qu’un très petit nombre de personnes se laissa tenter par modifier sa descendance, d’autant qu’il fallait intervenir à chaque naissance. Un ancêtre de Paul : Orikan Verakin comprit immédiatement le potentiel de cette découverte et fut le seul dirigeant du premier cercle, en dehors des Faraï, à faire modifier génétiquement tous ces enfants. Il devait posséder un fort potentiel naturel, car, depuis cette date, les Verakin comptaient parmi les psykans les plus puissants de l’Empire. Mais il fallut cependant quinze générations aux Faraï et aux Verakin pour atteindre leurs pleines capacités. Seules les grandes familles avaient eu la persévérance de se projeter sur plusieurs milliers d’années et cela expliquait que les glandes psykanes ne se soient pas beaucoup répandues pendant les premiers siècles. Il fallut ainsi pratiquement deux mille ans pour que les autres grandes familles succombent, elles aussi, à la modification génétique. Aujourd’hui même la moyenne noblesse s’y était mise, mais il leur faudrait probablement encore quelques milliers d’années pour atteindre ne serait-ce que le niveau psy d’Oria qui était une Verakin éloignée et descendait d’une branche modifiée depuis huit mille ans. - OK, je commence à mieux cerner le système politico-financier. Pouvez-vous revenir sur les technologies spatiales ? Voulut savoir Paul. - Comme nous te l’avons narré, répondit Darin, qui prit le relais, c’est Facel Randarion qui a découvert le déplacement par trou de vers. Avant cette découverte majeure pour l’Empire, les Ildarans avaient eu recours à la propulsion par ondes gravitationnelles et les premiers propulseurs à cette époque ne permettaient pas de dépasser vingt pour cent de la vitesse de la lumière, ce qui limitait considérablement l’expansion spatiale. Des dizaines de vaisseaux avaient exploré une sphère d’une dizaine d’années-lumière autour d’Ildaran, mais sans trouver de planète habitable. Les ildarans avaient recensé de nombreuses sources de matières premières intéressantes, mais les trajets aller-retour étaient trop longs et trop coûteux pour une exploitation à large échelle. La découverte de Facel Randarion changea immédiatement la donne, car, du jour au lendemain, il devint possible d’exploiter les gisements de minerais situés à plusieurs dizaines d’années-lumière, avec de faibles coûts de transport. La matière noire étant gratuite et abondante, cette période vit l’expansion de nouvelles familles qui s’enrichirent et prirent de l’importance dans l’empire comme les Averdin et les Uphrasite, spécialisés dans l’exploration spatiale et l’exploitation des matières premières. C’est d’ailleurs un Uphrasite qui découvrit l’astéroïde d’Arkrit dans le système de Teraflonis. Depuis, aucune autre source d’Arkrit n’avait jamais été trouvée malgré les innombrables recherches pratiquées par les familles concurrentes qui souffraient de l’exclusivité des Uphrasite sur ce minerai aux quantités limitées. - Et comment fonctionne la transition quantique ? Voulut savoir Paul. La technologie était complexe et aucun des ildarans présents n’aurait pu l’expliquer scientifiquement. Darin essaya néanmoins d’utiliser des analogies simples : - C’est comme si tu devais aller d’un bord à l’autre d’une feuille de papier. Si la feuille est posée à plat, tu dois parcourir la distance entre les deux bords. Si maintenant tu replies la feuille de manière à ce que ton point de départ touche ton point d’arrivée, la distance à parcourir devient nulle. C’est à peu près ce qui se passe avec un propulseur Randarion. Sauf que pour replier l’espace c’est un peu plus compliqué que de rouler une feuille de papier et que l’énergie nécessaire est considérable. Elle ne dépend pas de la taille de l’objet, mais de sa masse. - On traverse une sorte de tunnel dans la feuille de papier ? questionna Paul - Ce n’est pas vraiment un tunnel. Les bords de la feuille de papier ne se touchent pas vraiment, ils fusionnent. En fait : deux points de l’espace se rejoignent en un seul, sous l’action du champ Randarion. Précisa Darin - Mais il faut bien traverser non ? demanda Paul, un peu dépassé par ce nouveau concept. - Non. Le point de départ devient le point d’arrivée. Le vaisseau ne bouge pas, c’est le volume d’espace qui contient le vaisseau qui se replie sous l’action du champ de déplacement. C’est pour cela qu’il faut que le vaisseau soit totalement immobile avant un saut. Lorsque le champ est coupé, le vaisseau a atteint sa destination, de préciser Darin. - Vous devez avoir exploré toute la galaxie depuis trente-quatre mille ans ! s’enflamma Paul, qui rêvait maintenant d’aller dans l’espace et de voir d’autres étoiles. - Oh, non ! reprit Oria amusée. Notre galaxie fait plus de cent mille années-lumière de diamètre et contient près de trois cents milliards d’étoiles. Un peu moins de vingt pour cent sont des soleils jaunes comme le tien et comportent des planètes telluriques. Environ quinze pour cent d’entre elles se situent à bonne distance de leur étoile pour abriter de l’eau à l’état liquide. Alors tu vois : cela offre du potentiel d’exploration pour découvrir des planètes habitables. L’empire avait engagé une étude méticuleuse des signatures spectrales des étoiles afin de repérer des systèmes potentiellement intéressants, mais il faudrait des dizaines de milliers d’années pour tout répertorier, car le nombre de planètes pouvant héberger la vie se chiffrait en milliards. Au cours des premières expéditions de reconnaissances, les vaisseaux d’exploration avaient constaté qu’il était impossible d’approcher le centre de la galaxie. Les ildarans avaient envoyé de nombreux engins automatiques, mais aucun n’était jamais revenu. Les perturbations spatiales près du bulbe galactique étaient telles, que même les champs Horlzson devenaient inefficaces pour protéger les appareils des nuages de matières stellaires. Après avoir perdu des dizaines de drones et de navires, l’empire avait fini par cartographier une zone inaccessible, délimitée par un disque de plus de cinq mille années-lumière de diamètre sur deux mille cinq cents d’épaisseur au centre. Malgré tout le potentiel en minerai, que cette région riche en étoiles jeunes pouvait receler, il avait été impossible aux appareils ildarans de l’explorer. Les analyses à longue distance avaient permis de vérifier la présence d’un trou noir super massif au centre de la Voie Lactée, complété par plusieurs petits trous noirs dans une sphère de mille années-lumière. Les scientifiques ildarans avaient tout essayé, depuis des milliers d’années, pour percer le mystère du centre de la galaxie, mais, malgré la sophistication de leur technologie, le cœur de la Voie Lactée restait une énigme. Ils en étaient venus à soupçonner que les al-heoxyrians soient derrière ce phénomène, mais ce n’était qu’une hypothèse, parmi tant d’autres, qui n’avait jamais pu être vérifiée. Mais toutes ces explications avaient largement entamé la nuit et Sarian siffla provisoirement la fin de l’histoire. - Bien jeune Ishar. Il est peut-être temps d’aller te reposer, car Oria va commencer demain ton entraînement mental et Darin va t’apprendre à te battre avec un champ Horlzson et une lame en Arkrit. Nous avons d’ailleurs une surprise pour toi. Paul, qui avait la tête pleine de rêves, d’inquiétudes et de questions dut se résoudre à aller dormir un peu. De toute manière, malgré ses Nanocrytes, il commençait à être exténué et quelques heures de sommeil seraient les bienvenues. Oria et les deux hommes allèrent se coucher dans leurs chambres respectives. L’adolescent rejoignit Stéphanie, qui dormait profondément et se glissa lentement dans le lit pour ne pas la réveiller. Malgré la fatigue, il eut des difficultés à s’endormir tant son esprit avait été sollicité ces dernières heures, mais la lassitude eut finalement raison de son excitation et il sombra dans un sommeil rempli de rêves. * Chapitre 17 Sarian, installé dans l’un des canapés violets du lobby, pensait encore à Rliostem et Klosteran à bord du Randor. Ils allaient bientôt devoir collecter de la matière noire pour la transformer en énergie Kin. C’était une phase critique pour le petit appareil qui allait illuminer les détecteurs des impériaux dès que le captage serait enclenché. Ensuite, tout dépendrait de la vitesse de réaction de l’adversaire. Quelle que soit l’issue de cette tentative, Sarian espérait que la pression retombe un peu. Avec le temps, les recherches actives devraient peut-être cesser et laisser quelques années de répit à Paul pour atteindre ses pleines capacités psychiques et physiques. La faille de cette stratégie, c’est qu’il ne disposait plus que d’un petit glisseur capable d’évoluer dans l’atmosphère et en orbite proche. Il leur faudrait peut-être attaquer la base impériale et s’emparer de leur croiseur. Pas simple d’autant que l’appareil était stationné sur la face cachée de la lune et ne se posait jamais sur terre. De plus, les impériaux disposaient de plusieurs glisseurs militaires, beaucoup plus puissants que leur propre appareil … Tout à ses pensées, Sarian observait Oria et Darin, installés sur un canapé voisin. Vira était parti faire un tour de reconnaissance autour de l’hôtel au cas où il faudrait quitter les lieux rapidement. Sans connaître leurs pensées, le chef de la garde Verakin imaginait qu’ils devaient songer, comme lui, à leurs deux camarades dans l’espace. La base de Dordogne n’avait pas détecté de lancement de disques-torpilles, mais cela ne signifiait pas que le Randor soit sorti d’affaire. Irias semblait, comme toujours, imperméable à son environnement. Sarian ne le connaissait pas vraiment malgré ces dix-sept années terrestres passées ensemble. L’homme à l’allure aristocratique restait toujours mystérieux. Sarian savait uniquement qu’il servait la famille Verakin depuis plusieurs siècles terrestres et qu’il était d’une fidélité indéfectible. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il l’avait autorisé à suivre Ishar lors de leur fuite d’Ildaran Prime. L’homme semblait assoupi, mais Sarian savait qu’il n’en était rien, car, même s’il n’était pas un combattant, il disposait, comme eux, de Nanocrytes de type six. Personne ne savait pour quelle raison l’Empereur Verakin avait autorisé un intendant à être amélioré avec un tel pack. Sarian avait souvent voulu lui poser la question, mais il devinait qu’Irias ne lui répondrait pas. Il s’était accommodé de ce statu quo et le temps avait passé. Aujourd’hui ses interrogations lui revenaient et peut-être que la situation rendrait Irias plus disert sur son passé. Paul ne manquerait certainement pas de lui poser des questions sur son père. Oria en savait peut-être plus, étant une Verakin éloignée, mais, si c’était le cas, elle ne s’en était jamais ouverte à lui. Les pensées de Sarian dérivèrent vers des aspects plus militaires et il regrettait de ne pas disposer de plus de données sur les moyens de défense mis en place par l’Empire dans ce système solaire. En quittant Ildaran Prime, ils n’avaient pas pu prendre le risque de collecter d’informations sur la base terrestre. Toutes les communications avaient été interrompues et une requête à la gigantesque base de données impériale avec un code prioritaire n’aurait pas manqué d’être repérée. Sarian avait laissé son esprit vagabonder, mais n’avait pas, pour autant, relâché sa vigilance. Il surveillait machinalement toutes les personnes circulant dans le hall de l’hôtel. Un drôle de couple traversa le lobby en direction de la piscine et Sarian ne put s’empêcher de sourire intérieurement. L’homme et la femme étaient habillés de couleurs vives et il les imaginait déjà, dévalisant les boutiques locales en costumes folkloriques accompagnés de leur petit chien ridicule. En les suivant des yeux, son regard croisa celui d’Oria qui avait également remarqué le couple et esquissait un sourire. Sarian songea, avec un peu d’amertume, qu’il aurait été plus agréable d’être là en vacances paisibles avec sa femme. Il ne l’avait pas revue depuis son départ d’Ildaran Prime et craignait que la Sécurité Impériale ne s’en soit prise à elle. Il n’avait malheureusement pas eu le loisir de pouvoir la faire monter à bord lors de leur départ précipité. Il pensa également à ses deux enfants, déjà adultes, et espéra qu’ils avaient réussi à se consoler de sa disparition. Ils ne savaient pas s’il était mort ou captif et cela devait être terrible à vivre. Darin et Oria étaient célibataires et n’entretenaient que des relations épisodiques, ils avaient moins souffert de l’isolement. Ils semblaient même avoir eu quelques aventures avec des terriens. Deux autres membres de l’équipe de Sarian avaient une famille et ils avaient eu plusieurs fois l’occasion d’en discuter entre eux. Tous voyaient en Paul le moyen de revenir sur Ildaran Prime et l’occasion de revoir leurs proches, même s’ils savaient que le chemin était encore long et semé d’embûches. Cet intermède fut bref et les pensées de l'homme se focalisèrent de nouveau sur des préoccupations plus actuelles. Oria attira son attention et il tourna la tête vers le bureau d’accueil de l’hôtel. La jeune réceptionniste leur indiqua que les autres chambres étaient finalement prêtes plus tôt que prévu. Elle leur remit leurs clés respectives et les quatre Ildarans purent aller se reposer un peu. Il restait une vingtaine de minutes avant l’heure fixée pour se rendre à Funchal et le chef des gardes de Paul en profita pour prendre une bonne douche chaude. Il sortit de sa chambre, en parfaite coordination avec Oria et Darin, qui avaient également dû se doucher, car ils avaient encore les cheveux mouillés. Sarian frappa doucement à la porte de Paul, mais celui-ci n’ouvrit pas la porte. - Qui est là ? demanda une voix derrière la porte. - C’est Sarian. Tu as raison de ne pas ouvrir directement, on ne sait jamais. Répondit-il alors que la porte s’entrebâillait sur l’adolescent. - Tu n’as pas arrêté de nous dire que nous étions en danger alors je suis méfiant, déclara l’adolescent, l’air sérieux. - Mais c’est parfait. Allons voir si tes amis sont dans le même état d’esprit, sourit Sarian. Mélanie et Alex devaient être plus insouciants ou ils étaient occupés à autre chose, car la voix parvint du milieu de la chambre. - J’arrive, cria Alex. Un bruit de chute se fit entendre qui mit instantanément Oria et Sarian sur leur garde et la porte s’ouvrit sur Alex encore ébouriffé. - Tout va bien ? lança Paul un peu inquiet. - Pas de panique, on chahutait avec Mélanie, fit Alex avec un sourire jusqu’aux yeux. - Oh ! Fausse alerte. On part pour Funchal, vous nous rejoignez dans le hall ? répondit Paul compréhensif. - OK on arrive dans deux minutes, lui lança Mélanie du fond de la chambre. En effet moins de cinq minutes plus tard, les deux jeunes sortirent de l’ascenseur et le petit groupe se dirigea vers le parking. Deux monospaces Ford les attendaient et, le temps de se répartir dans les deux véhicules, ils étaient en route vers Funchal, la capitale de l’île portugaise. Irias et Vira avaient préféré rester à l’hôtel, car ils n’avaient besoin de rien. Sarian avait pris le volant du premier monospace dans lequel étaient installés Oria, Paul et Stéphanie. Le second Ford était piloté par Darin bien qu’Alex, qui avait passé son permis de conduire deux mois auparavant, aurait bien aimé conduire, mais Sarian préférait avoir un conducteur expérimenté en cas d’ennuis. Ils n’étaient pas en villégiature et le danger restait omniprésent. Le choix du Calheta Beach avait pris en compte l’accès portuaire de l’hôtel et sa situation le long de la nationale 101 qui desservait directement la capitale de l’île portugaise. Madère est une petite île très montagneuse, mais l’infrastructure routière y est largement développée avec, notamment, des tunnels routiers très nombreux. Les deux véhicules longèrent la côte jusqu’à Ribeira Brava, l’une des rares plages naturelles de l’île. La 101 bifurquait dans les terres pour emprunter les plus longs tunnels de l’île et les viaducs sur lesquels passait la voie rapide. L’île avait subi une grave inondation, quelques années auparavant, après des pluies torrentielles qui avaient engendré de nombreuses coulées de boues dans les villes et détruit de nombreux bâtiments. Certaines traces étaient encore bien visibles. Après une trentaine de minutes de voiture sur la nationale assez peu fréquentée, malgré les vacances scolaires dans plusieurs pays européens, les deux monospaces bifurquèrent dans un tunnel vers la sortie en direction de Funchal et s’engagèrent sur la ER 103. Celle-ci les menait directement dans le centre-ville vers la rue Visconde De Andia où se trouvait un centre commercial. Ils y trouvèrent de nombreuses boutiques et des vêtements à leur taille. Sarian avait insisté sur l’aspect confortable et les adolescents purent se faire plaisir en faisant du shopping sans trop regarder à la dépense. Mariq était en effet arrivé avec une valise pleine d’euros en liquide et visiblement l’argent n’était pas un sujet de préoccupation pour le groupe. Sarian était beaucoup plus inquiet à l’idée de laisser des traces de leur passage avec des paiements électroniques ou sur les enregistrements des caméras de vidéosurveillance. Le premier investissement avait d’ailleurs été des casquettes aux couleurs de Madère pour tout le monde, afin de dissimuler au mieux les visages. Paul et Oria avaient eu droit, en plus, à des lunettes de soleil pour masquer la couleur de leurs yeux. L’achat de vêtements pratiques et confortables pour les quatre jeunes fut expédié rapidement et Paul songea, un instant, au contraste avec toutes les séances shopping de Stéphanie dans Paris. Elle avait été, comme Mélanie, plutôt raisonnable et les essayages avaient été raccourcis au maximum, néanmoins il était déjà l’heure de déjeuner et toute la troupe se dirigea vers le rivage et le téléphérique tout proche. Il faisait bon en cette saison, car l’île portugaise bénéficiait d’un climat tempéré exceptionnel et marcher dans Funchal était agréable malgré l’inquiétude sourde liée à l’incertitude de leur situation. Paul songea à ses parents qui devaient les croire en train de visiter Marrakech, et cela le fit curieusement sourire. Stéphanie s’en aperçut et voulut en connaître la raison, mais il réussit à éluder, ne souhaitant pas raviver la polémique sur leur fuite. Les restaurants étaient très nombreux et il fut facile de trouver une table pour sept. Ils furent unanimement attirés vers un restaurant à la façade blanche et lit de vin encadré par des volets vert sapin. Le restaurant O Tapassol était une bonne table de la capitale de Madère avec quelques spécialités comme le Porc farci aux griottes et aux pruneaux, mais possédait également une excellente carte de produits de la mer avec du poisson pêcheur, de l’épée, des calamars ou de la pieuvre. Malgré le fait qu’ils n’aient pas réservé, ils purent s’installer à une table dans la véranda qui donnait côté océan, sur un petit jardin. Le décor était simple avec des tables recouvertes de nappes jaunes sur fond vert et des chaises en osier, mais la carte paraissait alléchante. Ce fut d’ailleurs un déjeuner plutôt plaisant qui leur fit un peu oublier la situation dans laquelle ils se trouvaient depuis leur fuite de Marrakech. Personne n’aurait pu imaginer, en les observant, que le groupe était pourchassé, car les adolescents semblaient détendus et même Sarian appréciait ce moment de répit. Oria souriait et sa beauté rendit Stéphanie un peu jalouse. Paul s’était beaucoup rapproché de la jeune femme qui, bien que plus vieille que les parents du jeune homme, paraissait à peine vingt-cinq ans dans cette ambiance détendue. - Alors qu’allons-nous faire maintenant ? demanda Paul rassasié et légèrement euphorique après avoir bu un peu de vin. Ses Nanocrytes s’employaient déjà à contrer les effets de l’alcool, mais, pour l’heure, il se laissait bercer par une douce griserie. - Nous attendons de savoir si notre aviso a pu quitter le système solaire et faire diversion. Répondit la jeune femme à la place de Sarian, gêné à l’idée que deux de ses hommes risquaient leurs vies pendant qu’ils partageaient un bon repas. Mais Paul voulait maintenant être associé pleinement aux décisions et il n’acceptait plus de se voir forcer la main par Sarian ou par les évènements, sans donner son avis. De guerre lasse, l’homme leur expliqua donc la situation, ce qui eut un effet coupe-faim sur les desserts. - Nous allons donc attendre ici que votre appareil soit détruit ou parvienne à s’échapper ? Et ensuite ? s’enquit Stéphanie qui percevait Paul très impliqué. Elle lui tenait la main et l’avait senti se crisper au fur et à mesure des explications de Sarian. - Si le Randor s’échappe, les impériaux penseront naturellement que Paul était à bord : de quoi instiller le doute et relâcher la pression sur les recherches. Les impériaux ne pourront s’empêcher de penser que Paul a fui ou est mort et cela devrait grandement atténuer leur détermination. Compléta Sarian. Il précisa, directement à l’intention de Paul, que la mission du Randor était d’atteindre une planète, hors du périmètre de l’Empire, et de trouver des partisans fidèles à la famille Verakin. Il n’ajouta pas : s’il en reste, mais y pensa avec une certaine angoisse. - Et que va-t-il se passer pour nous ? demanda Stéphanie. - Paul va commencer sa formation afin d’être prêt à relever les défis qui l’attendent et vous serez libres de partir, mais pas immédiatement lâcha Oria, du bout des lèvres. - Mais pourquoi ? Si vos ennemis nous croient morts. S’alarma Mélanie, qui ne se voyait pas rester cloîtrée avec cette bande d’illuminés. - Parce que si vous réapparaissiez trop tôt, les impériaux sonderaient vos cerveaux et découvriraient facilement le subterfuge. Et à moins de vous lobotomiser, nous ne pourrons pas effacer totalement, de votre mémoire, ce que vous avez vécu ces derniers jours. Un psykan puissant pourrait accéder à vos souvenirs sans que vous en ayez conscience. Précisa Darin. La réponse ne sembla pas satisfaire la jeune fille, mais elle n’ajouta rien de plus, confortant Sarian dans l’idée que les problèmes étaient devant eux. - Quoi qu’il en soit, il va falloir rester discret quelque temps, car les forces spéciales de l’empire vont arriver et nous rechercher activement. Notre meilleure option, c’est de rester caché bien sagement. Compléta-t-il. - Nous allons devoir rester à Madère pendant combien de temps ? s’enquit Alex - C’est hors de question de rester ici. Les coupa Mélanie. J’ai accepté de vous suivre, mais si d’ici deux jours vous n’avez pas de solution, j’irai à la police locale, s’enflamma la jeune fille d’un air très déterminé. - Ne t’inquiète pas Mélanie. Nous ne resterons probablement pas plus de deux jours à Madère. Sourit Sarian, plus préoccupé qu’il ne le laissa paraître. Il est beaucoup trop risqué de rester sur une île et de dépendre de transports aériens ou maritimes. Nous cherchons le moyen de rejoindre la France sans nous faire remarquer. Ajouta l’homme. - Mais pourquoi chercher à rentrer en France si nous ne pouvons pas reprendre notre vie normale ? Nous pourrions rallier l’Afrique, les États-Unis ou l’Australie ? proposa Paul. - Parce que notre base se trouve en Dordogne et que notre équipement est indispensable pour ta formation. Rétorqua l'ildarane, avec un regard sévère. - Allons, profitons un peu du moment présent pour jouer un peu les touristes. Proposa Stéphanie pour faire diversion. Nous sommes près du téléphérique qui mène en haut de la ville, c’est à faire, il paraît. En tous cas, c’est ce que m’a indiqué la réceptionniste de l’hôtel. Ajouta-t-elle. - Excellente idée, jeune fille. Allons-y tous. Embraya Sarian. Il régla l’addition en espèce et le groupe se dirigea vers le téléphérique tout proche. La vue surplombant Funchal valait le détour. Paul connaissait déjà la capitale, étant venu quelques années plus tôt avec ses parents. Il avait visité l’île pendant deux semaines et découvrit l’étendue des changements intervenus. Lors de son précédent séjour, Paul avait survolé Madère en hélicoptère, descendu du haut de Funchal en traîneau d’osier et fait du trek sur les hauteurs de l’île. Il se prenait presque à regretter cette période d’innocence perdue. - Paul ? ’interpella Stéphanie. Tu vas bien ? Tu parais songeur. - Je repensais à mes vacances ici avec mes parents, j’ai l’impression que c’était une autre époque … répondit Paul, les yeux dans le vague. - Heureusement que tu ne m’as pas dit : une autre planète, plaisanta la jeune femme, car je l’aurais pris au premier degré. Ajouta-t-elle en lui donnant un baiser. Le téléphone portable de Sarian se mit à sonner, ce qui focalisa instantanément toutes les attentions. - « Sarian, j’écoute ». L’homme resta figé pendant un court instant qui leur parut interminable puis reprit : « c’est une excellente nouvelle, on se voit tout à l’heure. Merci, Mariq ». Devant toutes les mines interrogatives, il leur rapporta sa conversation : - Il y a un porte-conteneurs qui part demain midi de Funchal vers Marseille. Mariq a négocié des places pour nous tous, moyennant une bonne somme en espèce auprès du capitaine. Nous ne voyagerons pas dans le luxe, mais cela devrait nous garantir l’anonymat jusqu’en Méditerranée. Nous nous arrangerons ensuite pour quitter le navire au large des côtes françaises. De plus, ce porte-conteneurs ne repart pas à plein et dispose d’un espace vide dans la cale arrière qui sera à notre disposition pour nous entraîner. - Nous entraîner à quoi ? demanda Paul, se sentant subitement concerné. - Nous allons commencer par t’appendre à utiliser nos équipements, renforcer tes capacités mentales et accroître tes performances au combat, répondit Oria. - Dans quel ordre ? demanda l’adolescent un brin amusé par l’ambitieux programme. - Mais tout en même temps. Tu auras du temps libre pendant la traversée. Répliqua Darin avec un sourire. - Cela va nous prendre combien de temps de rentrer en France ? intervint Mélanie, l’air pincé. - D’après le capitaine du navire, dixit Mariq : environ cinquante-sept heures. Répondit Sarian, qui ajouta que Funchal se situait à plus de deux mille quatre cents kilomètres de Marseille et que le porte-conteneurs croisait à vingt-trois nœuds de moyenne. - Nous commencerons par vous apprendre à utiliser nos technologies dès cet après-midi, cela devrait vous intéresser et surtout vous être utile en cas de mauvaises surprises compléta Darin. Mélanie, toujours contrariée, détourna la tête, mais elle se calma vite, car elle avait compris qu’il lui serait plus simple de regagner la capitale française depuis le sud de la France. Alex, qui ne savait plus trop comment gérer sa relation avec son amie, se focalisa sur les paroles de Darin. L’adolescent avait besoin de relâcher la tension nerveuse accumulée et le côté enfant de sa personnalité ressurgit. Il s’imaginait déjà entouré par un champ de force avec un pistolet laser à la ceinture comme dans Star Wars. La montée en téléphérique s’achevait et le petit groupe se rendit au terminal de la navette pour redescendre en centre-ville et retrouver leurs véhicules. Le retour en voiture se fit dans le calme et tout le monde affichait un air sérieux. Dans le premier véhicule, Mélanie pensait à ces derniers jours et à l’aventure qu’elle vivait. Elle n’était pas à l’aise dans ce groupe dont elle ne cernait pas les objectifs. Sa relation avec Alex se détériorait et elle songeait d’ailleurs à y mettre fin, une fois rentrée à Paris. Elle s’était un peu calmée, car elle entrevoyait maintenant le bout du tunnel. Dans le monospace suivant, Stéphanie avait posé sa tête sur l’épaule de Paul et recherchait la tendresse qui les liait. Elle aussi songeait à leur vie d’avant et s’interrogeait sur la suite des évènements. Elle avait conscience que cette aventure risquait de l’amener à prendre une décision sur sa relation avec Paul. Ils n’en avaient pas encore discuté ensemble, mais elle commençait à intégrer l'idée que son amant allait partir et elle n’était pas sûre de vouloir le suivre. L’aventure, loin des siens, l’effrayait et, malgré ses sentiments pour le garçon, elle ne savait pas si elle aurait le courage ou la force de tout quitter. Alex était le plus insouciant des quatre et s’il pensait, naturellement à sa famille, il n’avait pas encore envisagé l’avenir. Ses pensées étaient accaparées par l’histoire d’Ildaran : l’Empire, les grandes familles, la conquête spatiale, les Nanocrytes, les pouvoirs psys. Cela se mélangeait un peu dans sa tête, car l’adolescent était maintenant convaincu que Sarian disait la vérité et il s’estimait chanceux d’être associé à cette aventure extraordinaire. Paul, pour sa part, était concentré sur ses facultés psys. Il avait hâte de pouvoir en apprendre davantage, car il avait encore en mémoire sa violente réaction face à Oria et il craignait de blesser quelqu’un. Il avait également conscience que la maîtrise de ses capacités pourrait, le cas échéant, faire la différence si ses ennemis le retrouvaient. Il s’essayait très doucement à percevoir les esprits des occupants du monospace, mais n’arrivait à rien. Oria lui avait expliqué qu’il devait d’abord maîtriser un certain nombre de techniques simples pour interagir avec autrui et il était maintenant très pressé de pratiquer. Il observait Sarian, concentré sur la conduite, et il aurait bien aimé connaître ses pensées. Oria était également songeuse, elle pensait aussi à ses capacités psychiques, car, depuis l’échange brutal avec Paul, elle avait l’impression d’avoir accru l’amplitude de ses facultés. Elle tenta de communiquer avec l’adolescent, à l’arrière du véhicule, mais il ne réagit pas. Elle était certaine qu’il ne lui manquait pourtant pas grand-chose pour que son talent s’éveille, tant l’intensité de ses émissions mentales l’avait prise en défaut. Les deux véhicules arrivaient sur le parking de l’hôtel et Sarian leur proposa de se retrouver dans sa chambre. La journée était déjà bien avancée et il tenait à ce que chacun dispose de protections individuelles. Il savait que leurs ennemis ne resteraient pas inactifs et qu’ils étaient loin d’être en sécurité. Ils se retrouvèrent donc tous dans sa chambre. Darin sortit, d’un sac de sport, plusieurs ceintures affublées d’un petit boîtier noir et les adolescents reconnurent immédiatement l’objet que l’homme portait lors de sa démonstration dans la chambre d’hôtel, sur l’île de Lanzarote. - Vous avez déjà compris à quoi cela sert. Ces boîtiers génèrent un champ de force individuel qui protège son porteur de presque toute intervention physique extérieure. Ils permettent même de sortir dans l’espace. En intensité maximale, on peut les rendre totalement hermétiques. Darin leur précisa que cette technologie avait été inventée par Farmien Horlzson d’où le nom de champ Horlzson. Il insista cependant sur le fait que cette protection ne rendait pas invulnérable et qu’il existait plusieurs moyens pour atteindre quelqu’un à l'abri derrière un champ Horlzson. - La première méthode consiste à surcharger le champ avec un disrupteur moléculaire qui va saturer le champ de force. C’est très basique : si l’intensité du train d’ondes est supérieure à l’énergie du bouclier, celui-ci saute. Sarian précisa qu’il était difficile de saturer un champ individuel avec une arme de poing, car il fallait plusieurs dizaines de secondes de tir continu pour y parvenir et qu’il s’agissait d’une excellente protection en cas d’attaque par plusieurs individus. En cas d’agression avec un armement plus lourd, comme ceux embarqués à bord de glisseurs militaire, un champ individuel n’était d’aucune utilité face à un tir direct. - La seconde méthode s’appuie sur l’utilisation d’Arkrit. Il s’agit d’un matériau très particulier qui a la spécificité d’entrer en résonnance lorsqu’on lui applique une intensité énergétique précise. L’Arkrit en résonnance traverse le champ Horlzson comme si celui-ci n’existait pas. Oria sortit un objet de sa poche qu’elle leur présenta comme un pulseur à aiguilles. L’engin générait un mini-champ de gravité dirigée qui propulsait des mini fléchettes à la vitesse mille huit cents mètres par seconde. La jeune femme précisa que si ce type d'arme était chargée de munitions en Arkrit, les champs Horlzson étaient inopérants, car le pulseur faisait entrer en résonnance les aiguilles qui vibraient alors pendant une demi-seconde, de quoi assurer une efficacité jusqu’à neuf cents mètres. Elle ajouta qu'un pulseur pouvait contenir un millier d’aiguilles et possédait une cadence de tir de vingt fléchettes à la seconde. Fort heureusement, l’Arkrit était un matériau très rare et il était exceptionnel de charger un pulseur avec ce type de munitions. Plus communément, les mini-fléchettes étaient composées d’alliage de corodrium qui ne pouvait pas traverser un champ Horlzson. Il s’agissait néanmoins d’une arme dévastatrice, car les fléchettes déchiquetaient tout sur leur passage. Oria intervint pour ajouter qu’en combat rapproché, on se servait surtout d’une lame en Arkrit autovibrante qui contenait un générateur dans le manche. Il s’agissait d’ailleurs d’un paradoxe de la science ildarane qui voulait que malgré leurs technologies avancées ils soient amenés à souvent se battre à l’arme blanche. - C’est l’une des raisons pour laquelle nous avons veillé à ce que tu sois entraîné à l’Aïkido, au Karaté et au maniement des armes blanches, reprit Darin, à l’attention de Paul. - Mais, vous n’y êtes pour rien ! rétorqua l’adolescent, incrédule. Je me suis mis aux arts martiaux après une rencontre en vacances avec un ami de mes parents qui m’a donné le goût de pratiquer. Je crois qu’il s’appelait Jean-Paul, mais nous l’avons perdu de vue depuis plusieurs années. Compléta-t-il, passablement agacé par cette tentative de récupération. - C’est ta perception des choses. En réalité : Jean-Pierre, et non Jean-Paul, s’appelle Numarion et est l’un des nôtres. Il a tout fait pour t’intéresser aux sports de combat et j’ai réussi à implanter dans ton esprit le goût des arts martiaux, lui répondit gentiment Oria. Paul fut stupéfait et il était abasourdi par la révélation de la jeune femme. Cela sous-entendait que les ildarans l’avaient manipulé pendant toutes ces années ! Il ressentit une forme de colère à l’encontre de ces individus qui semblaient s’être joués de lui. Oria s’en aperçut aussitôt et lui précisa que l’objectif avait été de le préparer à reprendre le trône de l’Empire et à savoir se protéger. - Avec ton entraînement, tu devrais être capable de te défendre contre plusieurs agresseurs armés. La difficulté interviendra si nous sommes pris à partie par des individus améliorés avec des Nanocrytes de combat, car, même contre le plus mauvais combattant, tu n’aurais aucune chance face à sa vitesse de déplacement. Les ildarans comptaient surtout sur la protection des champs Horlzson et par un petit plus fourni sur les prototypes qu’ils avaient amené avec eux : leurs boucliers individuels disposaient de la même technologie furtive que leur aviso et leur glisseur. En activant la furtivité, le porteur du champ disparaissait littéralement des senseurs et devenait invisible à presque toutes les radiations connues, dont la lumière. En réalité, le champ courbait celle-ci et les photons passaient tout autour comme avec une lentille gravitationnelle. Cette technologie avait cependant une contrepartie fâcheuse : la consommation d’énergie. La capacité des mini condensateurs Verakin des boucliers n'était pas suffisante pour rester plus de trente minutes en mode furtif. Il fallait ensuite au moins deux heures de recharge avant de pouvoir réenclencher la furtivité alors qu’en mode normal, l’autonomie permettait de rester hermétiquement protégé dans l’espace pendant six heures. Oria distribua à chacun des adolescents une ceinture en leur expliquant comment la verrouiller autour de leur taille. Alex en avait les yeux qui pétillaient. Il en rêvait depuis la démonstration de Darin. Stéphanie et Mélanie, peu intéressées par les technologies en général, voyaient plutôt cela comme une contrainte et observaient le disgracieux boîtier, heureusement assez fin, qu’il allait falloir porter sous ses vêtements. - Ces modèles possèdent un petit contacteur tactile sur la tranche supérieure. Il suffit de faire glisser le doigt sur la tranche, de la gauche vers la droite, pour activer le bouclier. Précisa Darin - Les vôtres sont différents ? demanda Alex - Oui, ils sont activés directement par nos Nanocrytes de combat : c’est plus rapide. répondit Oria - Je veux que vous les portiez jour et nuit sans aucune exception, intervint Sarian. Sans exception aucune : la nuit, sous la douche, tout le temps. Ajouta-t-il en insistant bien sur le tout le temps avec un regard appuyé qui eut l’air de convaincre les adolescents qu’il ne plaisantait pas. - Maintenant, faites un essai en prenant soin de ne pas être trop rapprochés les uns des autres. Leur demanda Oria. Un espace minimum de trente centimètres est conseillé à l’activation, recommanda-t-elle. Les quatre jeunes gens activèrent leurs générateurs de champs individuels et un très léger halo irisé les enveloppa. Darin mit Paul en joue avec un pulseur à aiguille et appuya sur la détente. Le garçon n’eut pas le temps de réagir. Il ne put qu’assister, impuissant, aux chocs rapides des aiguilles qui s’écrasaient sur son champ de force. - Celui-ci est chargé de mini fléchettes de corodrium qui ne peuvent vous atteindre et cela vous démontre l’efficacité de ces boucliers, fit Sarian. Je le répète, n’enlevez pas cette ceinture tant que nous ne serons pas à l’abri. Les impériaux peuvent nous localiser et apparaître soudainement en utilisant la technologie des sauts quantiques ou envoyer un drone de combat. Vous n’aurez alors que le temps d’activer vos boucliers. Si vous l’avez, pensa-t-il sans faire part de ses craintes aux jeunes gens. - Mais s’ils nous attaquent avec des lames en Arkrit demanda Paul, qui avait parfaitement suivi les explications. - C’est le point faible de notre défense, il faut espérer que l’un d’entre nous soit à vos côtés pour les neutraliser. Fit Oria d’un air résolu. Avant qu’ils n’aient le temps de vous tuer. Songea-t-elle. - C’est rassurant..., intervint Mélanie un peu dépitée. - Vous ne pouvez pas nous confier des armes de poing comme vos lances fléchettes ? demanda Alex - Ce serait totalement inutile, voire contre-productif, répondit Darin. Si nous les chargeons avec des aiguilles au corodrium, ce sera inefficace contre leurs boucliers et nous ne possédons pas assez Arkrit pour fabriquer des munitions dans ce matériau. Cela ne servirait, de toute façon, pas à grand-chose et vous risqueriez de nous blesser, car nos adversaires sont tous améliorés avec des packs de Nanocrytes de combat et leur vitesse de déplacement sera améliorée d’au moins 50%. Vous n’auriez jamais le temps de les aligner et de faire feu. Il vaut mieux que vous soyez désarmés, ils hésiteront peut-être à vous tuer pour vous capturer. - Alors, pourquoi ne pas nous équiper avec ces Nanocrytes ? questionna Paul. - Parce que malheureusement nous ne disposons pas de cette technologie avec nous. Cette intervention, quoique simple, puisqu’il s’agit d’une simple injection, est très encadrée et ne peut s’effectuer que sur une planète de l’Empire dans des centres spécialisés. Fit Oria, en écartant les bras d’un air fataliste. Sarin ajouta qu’il serait certainement compliqué de trouver des packs de Nanocrytes de combat, car tous les centres d’injection étaient sous le contrôle de la Sécurité Impériale. - Mais il est maintenant temps d’aller se reposer. Pensez à garder vos boucliers … Bonne nuit, termina l’ildaran, coupant court aux questions supplémentaires. Tout le monde se souhaita une bonne nuit et les jeunes gens regagnèrent leurs chambres. Oria, Darin et Sarian restèrent à discuter de leurs plans, car leurs Nanocrytes de combat leur évitaient toute fatigue. Mélanie voulut tester son dispositif, de même qu’Alex, et les deux adolescents jouèrent quelques instants avec leurs boucliers. La jeune fille se posait de nombreuses questions sur cet appareil. Jusqu’ici, elle avait douté de la réalité des propos du groupe de Sarian, mais elle était sûre de ne jamais avoir entendu parler d’une technologie pareille auparavant. Qui sont donc ces gens ? pensa-t-elle. Se pouvait-il qu’ils soient réellement étrangers à cette planète ? La jeune fille se perdait en conjectures. Alex était loin d’imaginer les pensées de son amie. Le jeune homme était sur un nuage, il avait déjà accepté l’idée que le groupe de Sarian soit extraterrestre et il commençait à envisager d’accompagner Paul, s’il décidait de quitter la Terre. * Chapitre 18 De l’autre côté de la planète, la fébrilité régnait. - Commandant Florilius, j’ai retracé tous les véhicules dans une zone de dix kilomètres autour de la signature de l’appareil qui a décollé d’un point situé à soixante kilomètres au sud-ouest de Casablanca. Un processus tiers a identifié une signature thermique identique à celle qui a quitté Marrakech et s’est dirigée vers l’ouest, dimanche soir. Je peux en conclure à 99,1% qu’il s’agit du même véhicule. L’analyse indique que celui-ci s’est dirigé vers la côte ouest du Maroc puis a longé l'océan pour retrouver l’appareil qui a quitté la planète. Deux hypothèses sont donc plausibles : la première, c’est que le véhicule terrestre n’a pas suivi une route directe pour éviter d’être repéré. Probabilité : 9,98%. La seconde, c’est qu’il a déposé une partie ou la totalité de ses passagers avant de repartir vers le nord. Probabilité : 90,02%. Ne connaissant pas le mode de pensée de nos adversaires, je ne peux pas avancer de probabilités plus fines. L’IA venait de communiquer une analyse qui réveilla tout le staff de Florilius, présent dans le centre tactique. - Gorantim, envoyez une équipe sur la piste de l’ouest du Maroc. Je subodore une ruse. Ordonna aussitôt le commandant impérial. L’héritier Verakin n’est peut-être pas à bord du vaisseau qui a quitté cette planète. IA recherche des traces d’engins de surface qui auraient pu s’approcher de la côte marocaine et retrace leurs signatures. - Je vais personnellement suivre cette trace à l’ouest. Je partage votre hypothèse commandant. Répondit Gorantim, qui quitta le centre de commande en rameutant deux des militaires de son équipe. Quinze minutes plus tard, les trois hommes embarquaient dans un glisseur qui se dirigea à vitesse maximum vers la côte sud du Maroc. Le second officier de la base ildarane ne craignait pas d’être repéré par les terriens, tant qu’il restait à haute altitude, car leurs appareils étaient équipés de technologies absorbant les ondes radars et les rendaient indétectables par les systèmes de surveillance locaux. La difficulté survenait lorsqu’il fallait se rapprocher du sol en plein jour, car la forme des glisseurs militaires ne pouvait pas être confondue avec celle d’un avion. Les glisseurs n’avaient pas d’ailes et les terriens ne pouvaient que s’effrayer de voir voler une sorte de gros bus plat et silencieux. L’IA du bord annonça une durée de vol de trente minutes pour atteindre les côtes marocaines. Gorantim avait choisi de ne pas utiliser le saut quantique individuel, car il préférait avoir avec lui la puissance de feu d’un appareil militaire. Il fait encore nuit dans cette région, nous allons pouvoir nous poser près de l’endroit où le véhicule terrestre a déposé ses passagers. Le glisseur avait atteint la limite de l’atmosphère et s’élança dans l’espace. Florilius observait le trajet du glisseur lorsque l’IA interrompit ses pensées. - Un drone de chasse, lancé depuis la lune IO vient de détecter une faible signature d’énergie Kin à moins de dix millions de kilomètres de sa position, je l’ai dérouté pour enquête. Annonça l’IA de la base - Ce drone est-il armé ? demanda Florilius. - Non. C’est un drone de surveillance répondit l’IA - Quelle est la position de la détection ? - Légèrement décalée de 28° par rapport à la trajectoire du Carusif, si c’est le vaisseau Verakin, il n’est pas à l’opposé de notre croiseur. - Fais dérouter le Carusif, c’est eux. Ordonna l’officier. - L’ordre vient d’être donné au calculateur de vol du Carusif, il lui faudra quatre heures pour atteindre une distance de saut et se placer à l’extérieur du système sur leur trajectoire actuelle. - Pouvons-nous envoyer une salve de disques-torpille depuis une base spatiale ? - Ils sont trop loin pour que les torpilles de la base lunaire les rattrapent, mais leur trajectoire actuelle passera à quatre cents cinquante millions de kilomètres de Neptune. Nous avons une plateforme de tir sur l’un des treize satellites naturels. Je déclenche le tir d’une salve de huit torpilles à distorsion, mais les probabilités de les atteindre sont de 9,726%, car ils sont en limite de portée à haute vélocité. Après la phase d’accélération, les torpilles vont repasser à 0,5c et ne pourront pas les rattraper s’ils réactivent leur propulsion. - Espérons qu’ils soient à court d’énergie. Avec un peu de chance, nous allons les prendre par surprise si leurs détecteurs sont inactifs. Jubilait Florilius, qui s’imaginait déjà félicité par l’Empereur. La salve de disques-torpilles planétaires jaillie des systèmes de tirs installés sur Protée, dénomination astronomique terrienne d’une des lunes de Neptune, et accéléra rapidement à quatre-vingt-dix pour cent de la vitesse de la lumière. La singularité gravitationnelle fut telle que les alarmes de la base de Sarian, en Dordogne, illuminèrent le centre des opérations. Décidément, il ne passerait pas encore une bonne nuit, car, à peine endormi, son téléphone se mit à sonner pour l’en informer. - As-tu des nouvelles de la position du Randor ? s’enquit immédiatement le chef de la garde de Paul. - Non, mais l’envoi de torpilles planétaires laisse penser qu’il a été repéré. D’ailleurs, le vaisseau impérial a légèrement modifié sa trajectoire dans la foulée. Répondit son interlocuteur. - Bon sang ! En plus, ils vont devoir recharger les condensateurs. Qu’indique l’IA sur la probabilité d’interception ? Voulut savoir Sarian. - L’IA ne peut fournir des probabilités qu’à partir de la trajectoire initiale du Randor puisqu’il n’est pas repéré. Il devrait être trop loin de l’origine de la salve pour être atteint en phase de vol à vitesse maximum, par contre, s’il a été éclairé par un drone, elles vont le suivre tant qu’il ne passera pas en mode furtif et si ses condensateurs sont vides elles le rattraperont avant qu’il n’ait le temps de relancer le captage de matière noire. Et on ne peut même pas les avertir, car nous serions détectés. J’espère que leurs détecteurs sont activés…» - L'aspect positif c’est que cela devrait divertir un peu les impériaux et nous laisser du mou soupira Sarian. - Je crains que non. L’IA vient de m’avertir qu’un glisseur antigrav a décollé de la base impériale et se dirige vers le Maroc. Ils doivent avoir ciblé le 4x4 et vont enquêter - Enfer ! Notre ruse avec le Randor n’a pas pris. - Pas sûr, il s’agit peut-être d’une simple vérification. - Eh bien, je ne compterais pas là-dessus. Nous devons accélérer l’exécution de notre plan et quitter Madère aussi vite que possible, car ils ne vont pas tarder à débarquer. Conclut le chef des ildarans. Contrairement aux attentes de Florilius, Klosteran avait laissé les senseurs, longue portée, activés et le Randor enregistra immédiatement la singularité gravitationnelle provoquée par les propulseurs des torpilles. - Alerte torpilles ! Nous avons dû être repérés. Les senseurs de combat indiquent une salve de huit engins en interception, lancées de l’un des satellites de Neptune - Distance ? demanda aussitôt Klosteran - Environ quatre cent quarante-deux millions de kilomètres, il leur faudra environ quarante-neuf minutes pour nous atteindre à notre vitesse actuelle. - On a bien fait de garder de l’énergie pour rester manœuvrable, mais j’imagine que leur vaisseau va se lancer à notre poursuite. Sans champ furtif, on était cuit. Lance immédiatement le captage de matière noire, maintenant que nous sommes repérés il nous faut un maximum d’énergie pour combattre ces engins. Ordonna Rliostem. - Captage activé commandant, répondit l’IA qui avait intégré Rliostem comme commandant du navire furtif. - On n’aura pas transformé assez d’énergie pour un saut interstellaire en quarante-cinq minutes, fit remarquer Klosteran - Oui, je sais. Mais cela va nous permettre de repasser en mode furtif et d’essayer de détruire ces disques-torpilles au disrupteur puis de nous perdre dans le système - Tu veux changer de cap ? - Pas le choix maintenant. Dès que nous aurons détruit leurs torpilles, ils vont en lancer de nouvelles en ciblant notre trajectoire initiale et, comme il nous faut au moins une heure pour recharger les condensateurs pour un saut interstellaire, on sera trop juste. Grommela Rliostem. - Oui, mais cela va nous retarder et nous risquons de voir apparaître leur vaisseau à distance de combat, objecta Klosteran. - Ça va être juste, mais nous n’avons pas d’autres options - Le captage de matière noire est activé, nous disposerons de 27% de notre capacité d’ici quarante minutes, il sera possible de repasser en mode furtif pendant vingt heures. Indiqua l’IA de bord. - Parfait, en vingt heures nous devrions pouvoir atteindre un point de saut et on pourra même se payer le luxe de détruire ces torpilles. Conclut Rliostem. Sans le champ furtif, le combat entre le petit aviso et les huit torpilles planétaires eut été largement défavorable au vaisseau. Les capacités offensives et défensives de ces armes à longues portées les rendaient très difficiles à détruire alors qu’il leur suffisait de s’approcher à moins de cent cinquante mille kilomètres pour créer un minuscule et éphémère trou noir de la taille d’une tête d’épingle. Le mini trou noir provoquait une aspiration gravitationnelle massive qui surchargeait le champ Horlzson et disloquait tout dans une sphère de cent cinquante mille kilomètres de rayon. Le système d’activation de ces disques-torpilles était basé, comme la plupart des technologies ildaranes, sur l’utilisation de matière noire. L’activation déclenchait une agitation atomique générant des Wimps : des particules ayant cinquante fois la masse de l’hydrogène. La collision des Wimps favorisait la formation d’antimatière qui enclenchait alors la production d’un petit trou noir localisé. Il s’agissait d’armes à longue portée, car en combat rapproché les vaisseaux se seraient détruits entre eux en utilisant cette technologie et chaque navire de guerre disposait également de canons à rayons disrupteurs qui dissociaient les particules de matière pour les combats à courte portée.Ces canons étaient aussi utilisés comme moyen de défense contre les torpilles, mais ils avaient une portée limitée de quatre cent mille à six cent mille kilomètres, suivant les appareils. Face à des torpilles lancées à pleine vitesse, il n’y avait que deux à trois secondes de battement pour les intercepter. De plus, contrairement aux disques-torpilles embarqués, les gros disques-torpilles planétaires étaient protégés par un champ Horlzson. Le Randor ne disposait pas de suffisamment de contre-mesures électroniques ni de torpilles d’interception pour résister à plus de quatre torpilles simultanément. Avec huit torpilles, lancées à ses trousses, les chances de survies étaient nulles même dans la phase de vitesse de croisière de 0,5c. Il n’y avait qu’un croiseur de combat capable de détruire des cibles multiples. La situation était pire lorsque les disques se trouvaient en phase d’accélération à 0,9c. À une distance inférieure à seize millions de kilomètres, le système de défense disposait de moins de deux secondes pour détruire ces engins d’attaques. Pilotées par l’IA du bord, les batteries de disrupteurs devaient maintenir le tir, au moins une demi-seconde, pour saturer le champ Horlzson des torpilles planétaires. Avec une célérité de presque 270 000 kilomètres par seconde, l’opération était délicate. Même avec des systèmes de contre-mesures électroniques et des disques intercepteurs, il était pratiquement impossible d’échapper à une salve importante, correctement guidée. Heureusement pour Rliostem et Klosteran, le Randor pourrait prendre tout son temps pour détruire les torpilles à l’abri derrière son bouclier d’occultation. Les disques-torpilles allaient perdre leurs données d’acquisition et stopperaient la propulsion afin d’économiser leurs capacités énergétiques. Elles seraient alors de belles cibles pour l’IA du Randor qui pourrait les aligner comme à la parade. * Chapitre 19 L’activation des filets de captage du Randor fut enregistrée simultanément par les impériaux et par le centre de contrôle de la base Dordogne. Si en Australie, ce ne fut pas considéré comme positif, Sarian, informé en temps réel, poussa un ouf de soulagement, très terrien. Les quarante-cinq minutes passèrent très lentement dans une grande tension, de part et d’autre de la planète bleue. Mais, moins de trois minutes avant l’alerte de proximité des disques-torpilles, le Randor disparut totalement des senseurs de détection. Il accéléra rapidement perpendiculairement à la trajectoire de la salve qui, faute d’information sur la cible, bascula en mode veille. Le contrôle de tir du petit aviso furtif ne perdit pas de temps et le disque le plus proche fut immédiatement la cible d’un rayon disrupteur. Dans un même mouvement, les autres disques-torpilles réenclenchèrent leur propulsion en remontant à l’origine du tir, mais le navire avait déjà atteint son objectif et la première torpille disparut dans un nuage d’hydrogène. L’aviso avait aussitôt modifié sa trajectoire. Dans le centre de contrôle de l’empire, Florilius ordonna l’activation de la distorsion des deux torpilles les plus proches de la dernière position connue du navire. Il espérait que le navire furtif soit suffisamment proche pour être endommagé. Les deux centres de commande enregistrèrent les deux singularités gravitationnelles générées par l’activation des Wimps et l’apparition de deux mini trous noirs éphémères. Florilius faillit réussir son coup, car l’aviso n’était qu’à cent quatre-vingt mille kilomètres de l’une des deux torpilles, louvoyant pour les prendre à revers. Heureusement, la distance était encore trop importante pour endommager sérieusement le vaisseau protégé par son champ Horlzson. Le Randor enregistra néanmoins un fort tangage et le champ furtif vacilla quelques secondes qui parurent interminables aux deux passagers qui craignirent, un instant, que leur furtivité ne soit compromise, ce qui aurait signé leur arrêt de mort. Deux autres disques-torpilles furent également détruits dans l’explosion. Rendue plus prudente par cet incident, l’IA de l’aviso maintint soigneusement celui-ci hors de portée des deux cent mille kilomètres des engins restants et entreprit de les détruire méthodiquement. Ce petit exercice nécessita moins de dix minutes qui furent suivies, sur Terre, avec une grande attention de la part des deux groupes ennemis. Devant l’échec patent de l’opération, Florilius ordonna immédiatement le lancement de deux autres salves de torpilles planétaires avec une dispersion sur un large cône spatial. Il espérait encore pouvoir intercepter le vaisseau lorsque celui-ci devrait activer ses capteurs de matière noire pour le saut interstellaire. C’était un moment de vulnérabilité maximum, car l’appareil devait être totalement immobile dans l’espace pour ouvrir un trou de vers et il était alors une cible de choix. Le commandant de la base terrestre ne se faisait néanmoins pas trop d’illusions sur la probabilité de réussite de cette opération : l’aviso pourrait repasser en mode furtif et détruire les nouvelles torpilles. Le seul intérêt de cette tactique était de le retarder, car Florilius tablait sur l’arrivée prochaine d’une flotte impériale pour inverser la donne et verrouiller le système solaire. * Cette stratégie n’avait pas échappé à Rliostem et Klosteran, qui savaient qu’ils ne devaient pas trop tarder bien qu’ils n’attendent pas les premiers appareils de la flotte de guerre de l’empereur avant au moins quatre jours. Ils ne perdirent pas de temps et repartirent à pleine vitesse vers un nouveau point de saut, décalé de trente degrés par rapport à leur trajectoire précédente. Il leur faudrait plusieurs heures pour parcourir un milliard et demi de kilomètres jusqu’à un point de saut situé à une distance légèrement supérieure à l’orbite de Pluton. Ils comptaient transiter le plus vite possible vers un système voisin afin de recharger totalement leurs condensateurs puis prendre la direction du bras du Cygne. Ce furent des heures de tension pour tout le monde : dans la base australienne, à bord du Carusif, pour les équipes de Sarian et, bien entendu, à bord du Randor. Tout ce petit monde scrutait les senseurs longue portée, à la recherche de la moindre signature gravitique autre que celles des seize disques-torpilles de la seconde salve tirée depuis la lune de Neptune. * Sarian poussa un second "ouf" de soulagement lorsque Xionnes lui annonça que le Randor venait d’activer ses filets de captage, laissant présager un saut quantique dans moins de soixante minutes. La chance semblait de leur côté, car le vaisseau ennemi et les torpilles étaient trop loin pour le menacer avant le saut. En Australie, ce n’était pas l’euphorie et Florilius ordonna immédiatement à l’IA de repositionner la trajectoire des torpilles tout en sachant qu’il était déjà trop tard pour que la salve, maintenant en vitesse de croisière à 0,5c, rattrape le vaisseau ennemi avant le saut. - Où en est le Carusif ? - Il est encore trop loin d’un point de saut. Aucune possibilité d'interception avant la transition du vaisseau Verakin. Probabilité : 97,99%. répondit l’IA de la base impériale. - Maudit navire furtif ! Sans ce camouflage, nous aurions eu tout le temps de le détruire et peut-être même de l’aborder. IA, est-ce que tout est enregistré en mémoire ? - Positif commandant, tout est consigné. Florilius était certain que le commandant de la Sécurité Impériale allait exiger des explications et il était préférable que l’IA apporte les preuves que tout avait été entrepris pour stopper l’appareil des Verakin. - Il n’y a plus rien à faire du côté de ce vaisseau, concentrez-vous sur la piste du Sud-ouest marocain. Après tout, cet appareil est peut-être un leurre. Ordonna Florilius. Faites revenir le Carusif en orbite, il pourra nous aider si la piste terrestre est confirmée. L’impérial ne croyait pas trop à cette hypothèse, mais il ne fallait négliger aucune piste. Un sens du devoir qui allait fortement compliquer la vie des fugitifs dans les prochaines heures. * Sarian ne perdit pas un instant, car il savait maintenant que le Randor n’était plus la préoccupation majeure des impériaux et qu'ils risquaient de se focaliser sur leurs traces puis remonter jusqu’à eux. La probabilité était faible, mais non nulle qu’ils parviennent à les repérer et leur localisation sur une île, compliquerait leurs options en cas de fuite. Le chef de la garde des Verakin alla donc réveiller toute son équipe afin de les tenir informés des derniers évènements et de préparer leur voyage sur le porte-conteneurs. Ils se retrouvèrent tous les cinq, Vira les ayant rejoints, autour d’un café matinal. - Laissons les jeunes dormir encore un peu, mais commencez à rassembler tout le matériel. Je voudrais être à bord du bateau vers 10h et y rester caché jusqu’à l’appareillage. - Tu crains qu’ils nous retrouvent ? demanda Darin - Oui. S’ils se lancent sur la trace du Land, ils peuvent recomposer son itinéraire et découvrir qu’il a stoppé dix minutes sur une plage. Même si leur commandant est totalement abruti, ce dont je doute au vu de la stratégie suivie par leur appareil et par les torpilles, l’IA de leur base va suggérer l’usage d’une embarcation. Comme nous avons utilisé un bateau à moteur, les signatures thermiques satellites seront archivées et baliseront notre trace comme un fanon en pleine nuit. Il ne leur faudra pas longtemps pour être ici. - Dans ce cas, allons réveiller les jeunes et quittons immédiatement cet hôtel. Proposa Oria, qui prenait les inquiétudes de Sarian très au sérieux. - Vas-y, mais en douceur. Inutile de les affoler. Explique-leur que nous prendrons notre petit-déjeuner à Funchal sur le port. Darin, Vira et Irias, chargez les monospaces ! Je dois faire un autre point avec Xionnes. La jeune ildarane alla réveiller les adolescents et leur demanda de se préparer au plus vite à cause des formalités d’embarquement. Aucun d’entre eux n’eut le moindre soupçon. Sarian allait appeler Xionnes lorsque son téléphone sonna, c’était la base de Dordogne qui l’appelait avec un code rouge. - Sarian, j’écoute. Que se passe-t-il ? Un problème avec le Randor ? - Ici Pallaron. Xionnes est parti se reposer. Les senseurs longue distance viennent d’enregistrer une énorme singularité gravitationnelle, à neuf milliards de kilomètres du cœur du système. L’IA ne connaît aucune signature capable d’engendrer un tel ébranlement de la structure de l’espace. - Bon sang ! On ne les attendait pas avant au moins quatre jours. Comment ont-ils pu arriver si vite ? La Sécurité Impériale a vraiment réagi rapidement et avec du lourd, apparemment. Il n’y a qu’un seul appareil ? - Oui, mais apparemment très gros. Attends... L’IA m’avertit qu’il y a de nombreuses signatures de déplacements gravitiques en accélération qui s’éloignent de la signature initiale. C’est un porte-croiseurs ! D’un modèle inconnu de notre IA. Seize appareils en dispersion dans tout le système dont un, avec une signature beaucoup plus faible, qui fonce droit sur la Terre à 0,6C ! S’il ne modifie pas ses paramètres de vol, il sera en orbite dans treize heures et trente minutes. Les autres sont des croiseurs de combat, modèles non répertoriés. - Un seul en direction de la Terre ? Quelle classe ? - Non répertoriée. D’après la signature émise par ses propulseurs, l’appareil doit être petit, mais il est rapide. Il ne devrait pas accueillir plus de dix à quinze personnes. - Que nous mijote l’empereur ? Je m’attendais à ce qu’il envoie des centaines de membres des services spéciaux pour nous traquer et il dépêche une petite unité. Sarian prit l’air songeur, mais les rides de son front trahissaient son inquiétude. Il n’aimait pas être dans l’expectative et la stratégie de son ennemi restait énigmatique. * Dans la base australienne, l’émergence du porte-croiseurs fut saluée avec satisfaction jusqu’à ce que l’IA avertisse Florilius de l’arrivée d’une communication cryptée avec l’aviso lancé à pleine vitesse vers la Terre. L’IA du Squirs Prime m’avertit de l’arrivée dans treize heures trente de l’unité Squir de l’empereur. Douze personnes sont à bord du Squirs Prime et ils attendent la coopération des équipes au sol. J’ai déjà transmis toutes les informations, en ma possession, à l’aviso impérial. Fin de message. - Qu’est-ce que c’est que cette unité squir ? interrogea Gorantim - Je n’en sais absolument rien. Si je ne me trompe pas, le squir est un reptile très rapide et partiellement intelligent découvert sur Sertone Prime, la planète principale des Seravon ? Le plus curieux est qu’ils ne nous aient même pas contactés. Répondit Florilius. IA, de quelles ressources ont-ils besoin à bord des autres navires dans le système ? - Il n’y a aucun humain à bord des autres bâtiments, ce sont des unités automatiques pilotées par les IA - Tu as des informations sur ce porte-croiseurs ? - Oui, il s’agit du bâtiment amiral de la flotte d’Ildaran Prime et navire personnel de l’empereur. Il peut embarquer seize croiseurs avec tous les besoins en ravitaillement. C’est une forteresse spatiale capable de transiter sur de très grandes distances. Apparemment, c’est une unité très récente fabriquée à la demande expresse de Kera 1er. C’est tout ce que l’IA de bord a accepté de me communiquer. Aucune information sur ses systèmes d’armes. - Commandant, un appareil revient vers le porte-croiseurs, annonça le préposé aux senseurs longue distance. - IA, estimation probabiliste de ce mouvement ? demanda Florilius - Les croiseurs ont été avertis de la position du navire ennemi, mais aucun croiseur ne pourra le rattraper à temps. L’IA du bâtiment amiral a estimé possible à 52,9% la possibilité de transiter avec le porte-croiseurs à portée du navire Verakin et de l’intercepter avant qu’il ne s’échappe. Un croiseur va être embarqué pour abordage. La transformation d’énergie pour effectuer ce saut ne va nécessiter que douze minutes. - Là ils vont être pris au dépourvu, car il est peu probable qu’ils aient anticipé ce mouvement se réjouit Florilius IA, mets-moi en communication avec le chef de cet escadron Squir. - Vous êtes en communication commandant, répondit l’IA pendant que les écrans montraient l’intérieur cossu d’un appareil qui n’avait rien de militaire. - Ici Florilius, commandant de la base terrestre de l’Empire. Je vous souhaite la bienvenue ainsi qu’à vos hommes. Nous sommes tous à votre disposition. Commença l'officier avant que son interlocuteur ne l’interrompe. - Je sais qui vous êtes. Le coupa son interlocuteur, d’un ton sec. Avez-vous des informations utiles à me communiquer avant notre arrivée que votre IA n’aurait pas déjà transmises ? - En effet nous pensons que le navire en cours de transit est un leurre et que l’héritier Verakin est toujours sur la planète. Répondit le commandant, mal à l’aise. - Qu’est-ce qui vous fait penser cela ? demanda le Squir soudain intéressé. - IA, communiquez au capitaine les données sur la piste du Sud-ouest marocain. - C’est fait commandant. Le chef des Squirs se figea pour prendre connaissance des informations qui s’affichaient sur la projection holographique des neurorécepteurs de ses nerfs optiques améliorés par les Nanocrytes militaires. - Oui… , vous avez peut-être raison. Je m’appelle Corvin, je suis le capitaine en chef des unités squirs. Si votre hypothèse se vérifie, vous serez récompensé commandant assura l’homme en coupant la communication. - Nous avons intérêt à ce que le jeune Verakin soit encore sur Terre et qu’ils le trouvent rapidement sinon nous allons au-devant de gros ennuis vous et moi conclu Florilius, en regardant son adjoint Gorantim, l’air soucieux. * Chapitre 20 À bord du Randor, Rliostem et Klosteran avaient détecté l’énorme singularité gravitationnelle et repéré les navires. Ils ne s’étaient pas inquiétés, outre mesure, se croyant hors de portée. Pourtant lorsque l’IA de bord les alerta du changement de cap d’un navire et sur l’activation des filets de captage du porte-croiseurs, ils comprirent rapidement ce que les impériaux avaient en tête. - IA, quelle est la probabilité d’un saut du navire ennemi d’ici moins de vingt minutes ? Voulut aussitôt savoir Rliostem. - Je ne possède pas d’information sur ce bâtiment ni sur sa masse exacte, mais comme il transporte seize croiseurs, il est partiellement creux. Il doit contenir de très puissants condensateurs Kin, car ses filets de captage ont une surface vingt-cinq fois supérieure à ceux d’un croiseur de combat. Probabilité de saut avant vingt minutes avec les données actuelles : 68,87%. - Il devrait pourtant avoir besoin d’au moins deux heures pour recharger en matière noire et transformer suffisamment d’énergie pour faire transiter un appareil de cette masse ! s’étonna Rliostem. - Je ne pense pas. On ne les attendait pas avant au moins quatre jours. S’ils sont déjà ici, c’est que cet appareil doit être excessivement performant sinon ils ne tenteraient pas l’opération. Ils doivent savoir que nous sommes en plein captage et que nous serons prêts à transiter d’ici moins de trente minutes avança Klosteran. - Dans ce cas, il faut transiter au plus vite. IA stabilisation inertielle du Randor. Calcule un saut vers l’étoile Luyten 726-8. L’étoile Luyten 726-8, suivant la nomenclature astronomique terrienne, se trouvait dans la constellation de la Baleine à 7,9 années-lumière du système solaire. Un saut de puce, mais suffisant pour tenter de semer les impériaux qui ne pouvaient pas suivre la trace d’un appareil, lors d’un déplacement quantique. La distance avec Luyten 726-8 était trop importante pour que l’ébranlement de la structure de l’espace à l’émergence soit détectable depuis le système solaire. - Procédure d’immobilisation inertielle enclenchée, nous avons suffisamment d’énergie Kin pour un saut de moins de dix années-lumière, informa l’IA. Quatre autres croiseurs ont modifié leur course, mais ils ne se dirigent pas vers le navire amiral. - Cap ? s’enquit Klosteran. - Périphérie du système, ils cherchent certainement un point de saut. Probabilité : 98,44%. - Ils ne peuvent pas nous intercepter alors ils vont quadriller au hasard les étoiles les plus proches escomptant que nous n’ayons pas assez d’énergie pour une transition sur une longue distance. Jura Klosteran. - Transition vers l’étoile de Luyten 726-8 dans trois minutes - Bien, on va s’en sortir, mais il faudra déployer les filets de captage dès l’émergence afin d’être capable de sauter aussi vite que possible vers une autre étoile. Même si ce n’est pas le plus rapide, nous multiplierons les transitions et ils n’ont pas assez d’appareils pour suivre toutes les destinations possibles, même avec des drones de chasse - Le navire amiral replie ses filets de captage - Si vite ! Transition d'urgence, ils vont sauter d’une seconde à l’autre. Hurla Klosteran. - Transition du Randor dans trois secondes. - Saut quantique détecté à trois millions de km. Salve de huit torpilles en accélération à neuf mille gravités, transition quantique du Randor activée. Les disques-torpilles arrivèrent à l’emplacement quitté par le Randor, moins de deux secondes et demie après la disparition du navire. Sans la réaction de Klosteran après le changement de trajectoire du premier croiseur ils auraient été annihilés. Il s’en était fallu d’un cheveu. * À bord du Squirs Prime, Corvin prit la situation avec sang-froid. Il avait tenté d’intercepter le bâtiment, mais ses navires n’étaient pas dans une configuration optimale pour réussir. - IA amirale au rapport, le navire est parvenu à nous échapper de deux secondes vingt et un centième. D’après l’intensité de l’ébranlement de structure, le saut est de courte distance dans une sphère de dix années-lumière maximum. Calcul de probabilités de saut vers les étoiles les plus proches, suivant dénomination terrienne : Alpha/Proxima Centauri à 4,3 AL, Étoile de Barnard à 5,9 AL, Wolf 359 à 7,7 AL, Luyten 726-8 à 7,9 AL, Lalande 21185 à 8,2 AL, Sirius à 8,7 AL. J’ai rappelé à bord toutes les torpilles y compris celles lancées depuis notre plateforme sur Protée par la base locale. - Bien, tactiquement ils ne devraient pas choisir l’étoile la plus proche. Communique les coordonnées des suivantes à chacun de nos appareils et qu’ils transitent dès que possible. Estimation de leurs délais de transition ? s’enquit froidement Corvin. - Le Sariote 2 pourra transiter d’ici six minutes les quatre autres appareils doivent atteindre un point de saut : leurs IA me communiquent des possibilités de transitions de huit minutes pour l’Oprius, onze minutes pour le Carou 4, seize minutes pour le Mark et vingt minutes pour le Tar 6. - Ce sera probablement trop tard, mais envois-les au fur et à mesure sur les coordonnées des systèmes désignés. Ordonna le capitaine. - Il nous a échappé, jura Niir, le second de Corvin - Rien n’est encore joué. Avec un peu de chance l’un de nos croiseurs va l’intercepter en plein captage de matière noire s’ils commettent l’erreur de vouloir recharger, pour un saut longue distance. Et puis je crois que l’hypothèse de ce Florilius est plausible : l’héritier Verakin est peut-être encore sur Terre. Si c’est le cas, nous ne mettrons pas longtemps à le retrouver. Répondit Corvin avec un sourire froid que lui connaissaient ses hommes lorsque l’excitation de la chasse le prenait. Le Squirs Prime fonçait à pleine vitesse vers la Terre, ses propulseurs gravitiques au maximum de leurs capacités. - Pour l'instant, il n’y a rien à faire. Allons nous reposer. IA alerte-moi au moindre incident. - Bien capitaine * Les manœuvres de poursuites avaient été suivies en direct par Sarian, qui y voyait la preuve d’un ennemi compétent et réactif. Ce qui n’était pas de nature à le rassurer. Il ne tenait pourtant pas à alarmer inutilement les membres de l’équipe. - Le Randor s’est échappé, mais il semble que plusieurs croiseurs soient à sa poursuite, nous ne saurons pas s’il a pu s’en sortir, car il y a peu de chance de l’apprendre par les impériaux - J’avais cru comprendre qu’il n’était pas possible de suivre un navire lors d’une translation quantique. demanda Paul - Ouah, tu vas devenir un vrai spationaute ! s’exclama Alex impressionné. - Tu as parfaitement raison Paul. Répondit Sarian. Ils ne le suivent pas réellement. Ils transitent vers les destinations plausibles, compte tenu de l’intensité de l’ébranlement de la structure de l’espace au moment du saut. Il y a très peu de chance, statistiquement parlant, d’intercepter un bâtiment de cette façon, mais on ne peut pas leur reprocher d’essayer. Ils doivent également compter sur le facteur psychologique, car nous ne serons jamais certains que notre navire ait pu s’échapper. - Tu penses qu’ils savent que nous sommes toujours sur Terre ? s’alarma Paul. - Je ne le crois pas, en ce qui te concerne, mais ils doivent penser qu’il reste une petite équipe qui pourrait se sentir isolée de l’empire et condamnée à rester sur terre. Un bon moyen de proposer une reddition et la promesse de clémence en échange d’informations. Supposa Oria. - Nous sommes bientôt arrivés au port. Les interrompit Darin, en garant le Ford. Préparez-vous à monter à bord du porte-conteneurs. - J’ai un appel de Xionnes. Montez, je vous rejoins. Indiqua Sarian au reste du groupe. Je t’écoute Xionnes. - Le glisseur tourne en rond à proximité de la plage marocaine où vous avez embarqué, transmit l’homme, depuis la Dordogne. - Il se doute de quelque chose, il est temps de quitter Madère. Où en est Telius ? Chercha à savoir Sarian. - Aux dernières nouvelles : il était à l’aéroport de Funchal, attendant un vol à destination de Paris. - Si tu l’as en ligne, demande-lui de rejoindre la base directement après son arrivée à Paris. Si les impériaux nous repèrent, nous devrons peut-être tout verrouiller. Je te laisse, je dois rejoindre les autres à bord. Appelle-moi s’il y a du nouveau. - OK, bonne chance Sarian emprunta la passerelle reliée au quai et rattrapa le reste du groupe qui suivait un marin les accompagnant à leurs cabines. Les installations n’avaient plus rien à voir avec le luxe du First Episode. Chaque cabine comportait deux couchettes superposées, il n’y avait aucun chauffage apparent et les sanitaires étaient situés au bout du couloir. - C’est plutôt spartiate comme confort, fit remarquer Mélanie. - Ah ! C’est que mademoiselle s’est habituée au luxe, lui lança Alex d’un ton narquois. - Non. C’est juste un constat, répondit l’adolescente, un peu vexée par la remarque de son petit ami. - Allons, les jeunes, c’est provisoire et nos ennemis devraient perdre notre trace, intervint Darin pour calmer le jeu. La jeune fille détourna son regard, l’air de dire qu’elle en avait assez de ces pérégrinations. C’est le moment que choisit le commandant Fortier pour se présenter. - Bonjour et bienvenue à bord de mon navire. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à monsieur Mariq qui m’a contacté : ce bâtiment de marchandises ne convoie habituellement pas de passagers et seule l’urgence de votre situation m’a fait accepter de vous emmener. J’espère que vous plairez à bord. - Merci capitaine, nous apprécions votre générosité. Nous ne vous gênerons pas et resterons la plupart du temps dans nos cabines ainsi que dans la partie de la cale que vous avez accepté de nous octroyer. Répondit Sarian. L’ildaran ne faisait aucune mention de la somme rondelette que Mariq avait remise au capitaine pour la compensation de son geste généreux face à une urgence majeure. Le commandant Fortier n’avait posé aucune question même s’il s’interrogeait sur ses passagers et apparemment la transaction arrangeait tout le monde. - Les repas vous seront servis à 9h, 14h et 20h, heure française, lorsque mes officiers et moi-même aurons mangé. Notre cuisinier est prévenu et vous préparera des repas améliorés par rapport à l’ordinaire. J’ai fait approvisionner de la nourriture en supplément pour vous. Compléta l'officier de marine. - Un grand merci, capitaine, nous apprécions votre geste doublement, acquiesça courtoisement Sarian. - Bien. Je dois maintenant vous laisser pour surveiller les derniers préparatifs avant l’appareillage. Si vous avez besoin de me joindre, faite le 0 sur l’un des téléphones de bord, vous serez en communication avec la passerelle qui saura toujours où me trouver - Merci encore pour votre hospitalité capitaine, nous nous verrons, j’espère, après le dîner ? demanda Darin. - Bonne idée. Je passerai vous rejoindre pendant que vous dînerez. À tout à l’heure, conclut le commandant, en tournant les talons. - Installez-vous tranquillement dans vos cabines et restez-y tant que nous n’aurons pas quitté le port, demanda Sarian à tout le groupe. Inutile de nous faire remarquer sur le pont, je préfère laisser le moins de traces possible. Irias et Vira vous vous partagerez une cabine, Darin vient avec moi. On va laisser Oria tranquille pour quelques heures. Cela vous convient-il ma chère ? sourit-il à la jeune femme, sur un ton facétieux. - Mais parfaitement répondit-elle malicieusement avec un mouvement faussement hautain de la tête. Malgré la situation, les ildarans n’avaient pas perdu leur sens de l’humour. - Bien, retrouvons-nous à 14h, le navire sera en pleine mer et nous et nous irons déjeuner. Tout le monde s’installa au mieux dans les cabines étriquées et Sarian pensa enfin s’accorder un peu de repos. Le répit fut pourtant de courte durée, car, moins de trente minutes plus tard, Xionnes venait au rapport. - Oui Xionnes, du nouveau du côté des impériaux ? - De ce côté-là : rien à signaler. Leur glisseur s’est posé non loin de la côte, mais comme il fait jour ils ne peuvent plus trop farfouiller, sans se faire remarquer. Non, le souci vient des adolescents. - Ils sont avec nous ! s’exclama Sarian, plutôt surpris par les paroles de son subordonné. - Oui. Et c’est la source du problème, ils ont été déclarés enlevés à 9h ce matin. - Comment est-ce présenté au public ? interrogea Sarian, qui sentait venir les complications. - Je n’ai pas trop d’information pour le moment puisque l’on n’a plus personne sur place. C’est Briza qui est à Casablanca, qui m’a averti. Il semble que les parents des adolescents aient cherché à les contacter et, devant l’absence de réponses sur leurs téléphones portables, aient contacté le club. Naturellement, ils ne les ont pas trouvés et ont contacté la police marocaine. Celle-ci pense à un enlèvement, car des témoins rapportent les avoir vu monter avec des adultes dans un grand 4x4 de couleur beige. - Cela ne va pas arranger nos affaires, car j’imagine qu’ils vont diffuser leurs portraits-robots à la télévision ? - C’est déjà fait. Ils en ont parlé dans les journaux d’information sur les télévisions marocaines et les chaînes d’infos françaises. - Espérons que cela ne passera pas sur les télévisions espagnoles ni portugaises, car les douaniers pourraient les reconnaître ainsi que le personnel de l’hôtel Calheta Beach. Je vais devoir également gérer ici, car ce navire est sous pavillon français et il est probable que l’information circule à bord. - L’IA surveille également les chaînes espagnoles et portugaises et je vous préviendrai s’il y a du nouveau. - D’accord. Prochain point vers 15h, sauf urgence. Ajouta Sarian. - À tout à l’heure. Conclut Xionnes en coupant la communication. * En Australie, il était déjà 18h et Florilius commençait à s’impatienter de l’absence de résultats du côté de l’équipe envoyée en glisseur sur la côte marocaine. L’IA avait, bien entendu, reconnu Paul dans les journaux télévisés marocains et l’officier comptait sur son subordonné pour retrouver leur trace. - IA, mets-moi en communication avec Gorantim. - Vous avez une ligne cryptée, non traçable par le bâtiment en approche, commandant. J’ai supposé que vous souhaitiez un échange privé, répondit l’IA de la base. - Bien raisonné, comme d’habitude. Gorantim ? - Oui commandant ? - Qu’avez-vous trouvé au Maroc ? - Pour le moment : rien de concret. Nous avons renvoyé le glisseur en orbite, car il fait jour ici puis nous nous sommes rendu à pied dans la ville la plus proche et interrogeons actuellement la population locale. Nous nous sommes séparés en deux équipes afin de ratisser les plages. Je suis avec Miol dans un taxi et nous contrôlons la 3e plage. Rapporta le lieutenant impérial. - L’IA a confirmé l’identification du jeune Verakin comme faisant partie des quatre jeunes enlevés à Marrakech. S’il est encore sur Terre, trouvez-le. Inutile de vous rappeler que le commando squir sera là dans moins de sept heures et j’aimerais avoir quelque chose de concret à leur présenter. - Moi aussi commandant. Je suis conscient de l’enjeu : nous risquons nos têtes. - Nous nous comprenons parfaitement. Si vous ne trouvez rien d’ici deux heures, décollez en direction des îles espagnoles les plus proches. S’ils ont embarqué sur un navire de surface, ce n’est pas pour rester au Maroc. L’IA analyse tous les renseignements sur les vols réguliers ainsi que les données provenant des caméras installées dans les aéroports canariens, mais rien ne correspond. Ils sont peut-être encore sur l’une de ces îles. - OK, je vous recontacte d’ici deux heures et transmets à l’autre groupe. Terminé, commandant. Plus le temps passait, plus Florilius était convaincu que son hypothèse était juste. Les fugitifs devaient avoir rejoint les îles Canarie et la fuite de l’aviso furtif était une diversion. Les chances d’échapper aux poursuites étaient trop faibles et aucun responsable de la vie de l’héritier Verakin n’aurait pris un risque pareil, tant qu’il existait une autre alternative. Mais maintenant, il fallait les retrouver avant que le commando de la Sécurité Impériale n’arrive. - Commandant, appel de Gorantim. - Ouvre une holocom. demanda Florilius - Commandant, je suis sur une plage qui correspond à celle où le véhicule ciblé s’est arrêté vingt minutes avant de remonter vers le nord. Il y a des traces de passage de plusieurs personnes en direction de la mer et une marque qui pourrait correspondre à un bateau pneumatique, mais c’est partiellement effacé par la marée. - J’en étais sûr. Ils sont aux Canaries ! IA recherche tous les bâtiments de surface ayant longé ou abordé les côtes marocaines, dans la période de dimanche soir à lundi midi. Ordonna aussitôt l’officier - Cette opération est déjà en traitement commandant. J’ai isolé un bâtiment qui s’est immobilisé à quelques centaines de mètres de la plage où se trouve Gorantim puis s’est dirigé vers Lanzarote, l’une des îles des Canaries. - Où est-il maintenant ? s’enquit le commandant, excité par la traque. - J’ai une signature nette jusqu’à un port de l’île de Lanzarote, mais la signature se brouille : car il y a énormément de bateaux à moteur, dans cette zone. Je pourrais fournir une évaluation dans douze minutes. - Parfait. Gorantim, vous avez entendu ? demanda l’officier à la représentation tridimensionnelle de son subordonné projetée face à lui. - Oui commandant - Réunissez votre équipe et décollez en direction de cette île espagnole. S’ils y sont encore, je veux que vous les attrapiez avant les squirs. Ce serait un beau pied de nez à ces prétentieux de la Sécurité Impériale et de bonnes chances d’avancement pour nous. - Nous sommes en route commandant. J’ai appelé le glisseur qui va s’immobiliser à dix mille mètres d’altitudes et nous transiterons directement à bord pour gagner du temps. Nous serons au-dessus de Lanzarote dans quinze minutes, mais nous devrons être prudents, car l’île est très peuplée et je ne suis pas sûr qu’arriver avec un appareil antigrav, en plein jour, soit recommandé. - Faites au mieux Gorantim, vous avez toute ma confiance. Répliqua Florilius, signifiant qu’il se moquait de la méthode, mais exigeait des résultats. * Le Randor était immobile depuis dix-sept minutes, filets de captage déployés, au large du système de l’étoile Luyten 726-8 à presque huit années-lumière de la Terre et Rliostem commençait à s’impatienter. - IA, combien de temps, encore, avant une possibilité de saut ? - Encore trois minutes et nous aurons suffisamment de matière noire transformée pour un saut de vingt années-lumière. Préférez-vous recharger plus ou transiter dès maintenant ? - Calcule un saut en urgence. Je me méfie de ces impériaux et de leur gros vaisseau. Restons prudents : programme une transition d’ici dix minutes. Je préfère effectuer des sauts plus courts, mais lâcher au plus vite ces navires lancés à nos trousses. - Singularité gravitationnelle à 60° à la périphérie du système, il s’agit de l’un des vaisseaux impériaux lancés à notre poursuite dans le système solaire. - Active la transition d’urgence que je t’ai fait calculer. - Saut enclenché. Le Randor disparu de l’espace einsteinien, moins de trois secondes après avoir été repéré par les détecteurs du Carou 4 qui avait déjà transité à distance de combat du navire fugitif. La chasse s’arrêtait là, car il y avait maintenant trop de destinations possibles, dans une sphère de quelques dizaines d’années-lumière, et le petit vaisseau avait eu presque vingt minutes pour ravitailler. Même en lançant des drones de chasse, la probabilité de les suivre sur le prochain saut avoisinait moins de 10% puis 2% pour le saut suivant. L’IA du Carou 4 recalcula un saut quantique et transita aussitôt en direction du système solarien. * Gorantim et son équipe transitèrent à bord de leur glisseur qui prit aussitôt la direction de Lanzarote alors l’IA de la base australienne transmettait le résultat de ses recherches. Le bâtiment de surface qui a mouillé non loin de la plage marocaine semble avoir fait une escale de trois heures à Lanzarote puis s’est dirigé vers le nord. La probabilité qu’il s’agisse du même bateau est de 78,89%. Ce bâtiment a été rejoint par un autre navire à sept kilomètres des côtes et ils sont restés immobiles durant trente minutes puis l’un est reparti vers les Canaries alors que l’autre a pris la direction de l’île de Madère. Il a vraisemblablement sombré, car il y a une soudaine disparition de la signature thermique des moteurs de l’embarcation. - Ils sont à Madère ! Gorantim, allez-y et trouvez-les. Ordonna Florilius. - Ou alors ils ont changé de bateau au large des Canaries ? suggéra le lieutenant impérial. - IA, où est le second navire de surface ? répliqua le commandant. - Au port militaire de l’île de Lanzarote. - Ce devait être un contrôle de police. Gorantim, cap sur Madère et trouvez-les. Ordonna l’officier supérieur. - À vos ordres commandant. Nous y serons dans vingt minutes : nous transiterons en individuel pour commencer nos recherches et laisserons le glisseur en altitude. - Parfait. Que le glisseur balaye toute l’île à la recherche de la moindre trace d’énergie Kin. Ils doivent avoir des boucliers Horlzson et on devrait les repérer avec un peu de chance. Il y a un port en face du mouillage du bâtiment de surface, ils doivent être passés par là. Gorantim et Miol, commencez à rechercher des témoins. - Bien commandant. Je vous rappelle lorsque nous serons à terre. Terminé. Florilius était songeur, il lui fallait absolument une preuve du passage de l’héritier Verakin pour le chef des squirs. * Chapitre 21 Gorantim et Miol émergèrent de leur trou de vers individuels à l’abri de la jetée de l’hôtel Calheta Beach, au moment où le porte-conteneurs quittait le port de Funchal. Alors que les deux impériaux commençaient la chasse aux témoins ayant aperçu le groupe de fugitifs, Sarian montait sur le pont du navire pour voir l’île portugaise s’éloigner tranquillement à la vitesse de vingt-trois nœuds. Une fois de plus, la chance était de leur côté, mais leurs adversaires se rapprochaient dangereusement. Le groupe se retrouva pour le déjeuner, dans le carré du navire, après que l’équipage eu pris son repas. Ce fut l’occasion de se détendre un peu, car ils pensaient tous, Sarian mis à part, avoir semé durablement leurs poursuivants. Paul avait retrouvé sa joie de vivre, Stéphanie se sentait en sécurité pendant qu’Alex faisait le clown pour tenter de distraire sa compagne. Rien ne laissait penser, à les voir ainsi, qu’ils étaient les cibles d’enjeux interstellaires. À Madère, Gorantim et Miol avaient déjà interrogé le personnel de l’hôtel et plusieurs employés avaient formellement reconnu Paul. La diversion offerte par la fuite du Randor avait été de courte durée : les impériaux savaient maintenant que l’héritier Verakin était toujours sur Terre. Florilius s’était empressé de communiquer la nouvelle au capitaine des squirs à bord de leur aviso. Corvin avait accueilli l’information avec satisfaction et assuré que lorsque son équipe serait posée ils ne tarderaient pas à retrouver les fugitifs. Le commandant de la base australienne se demandait bien de quels moyens disposaient ces squirs pour que leur chef soit aussi confiant, mais s’abstint de l’interroger sur ce sujet, se contentant d’approuver. Les heures suivantes passèrent sans évènement particulier. Le soir tombait doucement et le soleil s’approchait lentement de l’horizon. Stéphanie et Paul profitèrent du romantisme, de ce coucher de soleil en pleine mer, pour discuter un peu de l’avenir. Oria semblait détendue à quelques pas d’eux et capta quelques éclats de voix trahissant leur désaccord. Darin et elle avaient provisoirement renoncé à entraîner Paul, préférant laisser tout le monde se relaxer un peu. Après tout, ce n’était pas quelques heures de formation, de plus ou de moins, qui changerait la situation, si les impériaux les retrouvaient. Sarian discutait avec Darin et Vira, en buvant un thé, alors qu’Alex et Mélanie avaient choisi de s’isoler dans leur cabine. Le groupe semblait savourer le calme avant la tempête. * En Australie, il était 5h du matin et Florilius avait peu dormi, car le Squirs Prime était en approche et le commandant de la base s’attendait à voir les membres du commando transiter directement au sol, dans les minutes à venir. Effectivement, le vaisseau n’était pas encore en orbite géosynchrone que le chef des squirs se matérialisa seul dans le central de commandement de la base impériale, bien que la distance soit de trente-six mille cinq cents kilomètres, presque à la limite des possibilités d’une transition individuelle dans un système. - Florilius ! Rapport. Attaqua immédiatement Corvin - Comme je vous l’ai transmis, nous avons retrouvé la trace du Verakin à Madère. Il n’était pas à bord du navire qui a quitté ce système. Répondit l’ildaran, sur la défensive. - Je vous félicite, commandant pour votre perspicacité et votre efficacité dans cette affaire. L’Empereur en sera informé et nul doute qu’il vous récompensera personnellement. Comme vous le savez, cette affaire est particulièrement délicate et je vais la diriger directement. Je prends officiellement le commandement de cette base jusqu’à ce que nous quittions cette planète. N'y voyez aucunement une quelconque atteinte à votre autorité : il s’agit uniquement de garantir une efficacité maximum à mes hommes. N’ayez crainte, sourit Corvin. Je perçois votre trouble. Florilius n’avait pas cillé, mais ses pensées l’avaient trahie. - Oui en effet, vous êtes perspicace. Je suis un psykan. Je vous félicite pour votre sens de l’observation. Le complimenta le squir. Florilius était mortifié par la situation et ne savait pas ce qui le perturbait le plus : perdre le commandement de la base ou découvrir que ces squirs étaient des psykans. À sa connaissance, ni la sécurité spatiale ni la garde personnelle de l’Empereur n’avaient jamais admis de psykans en leurs seins. Qu’avait fait Kera 1er ! - Ne vous inquiétez pas, Florilius. Les squirs ne sont pas nombreux. Nous sommes l’unité d’élite attachée à la protection directe de l’Empereur et nous n’intervenons que très rarement dans des opérations extérieures. - Je suis sûr que la confiance de l’Empereur est bien placée, se hâta d’ajouter Florilius. Capitaine Corvin, je vous remets officiellement le commandement de la base impériale sur Terre ainsi que de tous les équipements de ce système. Permettez-moi de me retirer afin de me reposer un peu : nous sommes en alerte maximum depuis soixante-douze heures locales et je n’ai pas dormi. - Bien entendu, commandant. Corvin appuya sur le mot commandant, signifiant ainsi que Florilius n’avait en rien démérité. Vous avez bien œuvré, je vous tiendrai personnellement informé de nos recherches et, rassurez-vous, nous ne resterons pas longtemps. Nous allons les retrouver rapidement. Conclut le squir, avec un sourire carnassier. Florilius prit congé dans ses quartiers, convaincu que les unités spéciales allaient, en effet, retrouver rapidement la piste des fugitifs. Si tous les hommes de son équipe étaient des psykans, il allait être difficile aux fuyards de continuer de se cacher. La traque avait été longue et finalement l’officier n’était pas mécontent d’avoir dû laisser son commandement. Après tout, il avait retrouvé la trace de l’héritier Verakin. L’aviso furtif s’était échappé, mais le porte-croiseurs commandé par Corvin n’avait pas non plus réussi à l’intercepter et il ne pourrait pas être tenu responsable de cet échec. Si, comme il le pensait, Corvin réussissait à trouver rapidement les Verakin, il retrouverait son commandement et en sortirait grandi. * En Atlantique, le porte-conteneurs continuait tranquillement sa route vers le nord-est. Les adolescents, comme les ildarans, avaient réintégré leurs cabines respectives et tous s’attendaient à passer une nuit paisible, bercée par la houle. Sarian put enfin récupérer et dormir six heures d’affilée, sans être réveillé par une mauvaise nouvelle. Ils se retrouvèrent tous au petit-déjeuner à 9h, dans le réfectoire du navire. Le capitaine Fortier vint les saluer et leur proposa de visiter, dans la journée, la passerelle ou toute autre partie du bâtiment qui pourrait les intéresser. Les adolescents s’empressèrent d’accepter et ils se retrouvèrent tous à 10h30 dans le poste de commande, l’occasion pour le capitaine et son second de leur présenter les équipements de navigation. Sarian avait demandé à Oria de sonder brièvement l'officier afin de savoir si la nouvelle de la disparition des adolescents était parvenue jusqu’au navire. Le commandant Fortier ne semblait au courant de rien, mais un membre de l’équipage pouvait avoir entendu quelque chose sur une chaîne satellite, sans, nécessairement, en référer au pacha. Les adolescents eurent néanmoins l’autorisation de visiter le navire, Oria pourrait toujours effacer postérieurement la mémoire des hommes du bord. La visite commença par le pont F, situé sous la passerelle, où se trouvaient les cabines du capitaine, du second capitaine et des 1er et 2nd officiers-mécaniciens. Le petit groupe, accompagné par le capitaine Fortier, se dirigea ensuite vers les ponts C et D qui accueillaient les cabines de l’équipage, puis par le pont B où se trouvait la cuisine avec le mess officiers et passagers et le mess équipage. Face aux mess respectifs se trouvaient le carré des officiers et le carré de l’équipage que le groupe de Sarian avait déjà eu l’occasion de pratiquer. Le pont A, encore un étage au-dessus du pont principal, hébergeait le centre administratif du bateau où se déroulaient les formalités de gestion : chargement, enrôlement ou inscription de l’équipage. La visite se poursuivit ensuite dans la salle des machines et tous furent impressionnés par le gigantisme des moteurs et des arbres des hélices. La matinée passa ainsi si rapidement que l’heure du déjeuner se rapprochait déjà. Le commandant se joignit à eux à table, ses officiers ayant déjà terminé leur repas. * À Madère, deux membres du commando de Corvin avaient rejoint Gorantim et Miol par saut quantique. Ils avaient sondé les témoins interrogés par les impériaux et il était indiscutable que l’héritier Verakin se trouvait encore sur Terre. Malheureusement, aucun témoin ne savait où les fugitifs étaient allés et les squirs allaient devoir ratisser toute l’île. Ils disposaient néanmoins d’un énorme avantage sur les hommes de Florilius : leurs capacités psys qui leurs permettaient de sonder les habitants. À douze, il leur faudrait moins de quarante-huit heures pour trouver un témoin ayant encore en mémoire le passage de l’un des fugitifs. C’était une estimation, mais ils ne se privèrent pas de l’annoncer à Florilius et Gorantim … Corvin savait qu’ils ne pourraient peut-être pas retrouver directement les gardes de l’ancien empereur si ceux-ci portaient des résilles de protection Kries, mais il était peu probable qu’ils se doutent que des psykans soient à leur poursuite. De toute façon, ils ne pouvaient pas rester durablement isolés et seraient bien aperçus par des locaux qui trahiraient involontairement leur présence. Les squirs allaient recourir à un balayage mental généralisé qui présentait l’avantage de pouvoir ratisser un territoire très large. Le revers de cette méthode : était que, contrairement à un interrogatoire direct, il était impossible d’orienter le sujet sur un détail particulier et les psykans seraient dépendants du vagabondage mental des résidents de l’île. Une limitation dans leurs recherches, rendue nécessaire par l’ampleur de la tâche à accomplir sur les quelque 270 000 personnes, présentes sur Madère. Corvin ordonna à l’IA de son navire de lui envoyer les trois glisseurs restants à bord afin que ses hommes se répartissent dans les quatre appareils pour survoler l’île. Un groupe de trois squirs commença la recherche par la ville de Funchal avec le glisseur de Gorantim et de Miol, qui repartirent par saut à leur base distante de dix-sept mille kilomètres. Les glisseurs pilotés à distance par l’IA du Squirs Prime mettraient moins de vingt minutes pour arriver durant lesquelles Corvin et ses hommes durent ronger leurs freins. Les appareils devaient, en effet, traverser l’atmosphère à vitesse réduite afin d’éviter de provoquer des turbulences atmosphériques aisément repérables en plein jour. * À bord du porte-conteneurs, Oria prit Paul à part, après le déjeuner, et lui signifia qu’il devait commencer son entraînement psy. Sarian voulait que le garçon sache contrôler son talent et soit capable de se défendre en cas de rencontre avec un psykan hostile. Paul n’était pas particulièrement enclin à travailler en ce bel après-midi de printemps, mais la curiosité sur ses capacités psys et le regard impérieux de l’ildarane eurent raison de sa nonchalance. - Suis-moi. Nous allons nous isoler dans la cale vide qui nous a été allouée. Ordonna sèchement la jeune femme qui prenait son rôle avec un grand sérieux. Pas question de transiger sur la sécurité. Son attitude autoritaire suffit à Paul pour comprendre que cette fois-ci il n’échapperait pas à sa formation. - Steph, je vais accompagner Oria pour travailler. Reste s’il te plaît avec Mélanie et Alex, je te rejoindrai dès que possible. - Je ne peux pas venir avec vous ? Je me contenterai d’écouter sans intervenir. Demanda la jeune fille, contrariée d'être mise à l'écart. - Je ne préfère pas. Intervint fermement l’ildarane. Paul va devoir travailler dur et se concentrer intensément. Cela exige d’avoir l’esprit totalement disponible et je crains que ta présence ne le distraie. - Bon, je resterais avec nos amis alors…, conclut Stéphanie à la fois déçue et, un peu, jalouse de voir son petit ami s’isoler avec la jeune femme. Elle aurait préféré que ce fût plutôt avec Sarian ou Darin… * Chapitre 22 C’était le premier entraînement mental de Paul avec son mentor. Ils s’allongèrent sur le sol froid de la cale alors que Paul s’attendait à devoir prendre une position plus martiale, mais Oria lui expliqua que la position ne comptait pas. Seul le relâchement de l’esprit était important et à ce stade et le plus simple était de s’étendre. - Nous allons commencer par un exercice facile, mais indispensable. Tu vas te détendre totalement et essayer de penser à moi comme si tu voulais juste m’écouter en pensée. Fais-moi un signe de la main droite lorsque tu te sentiras prêt. L’adolescent attendit une bonne minute en appliquant les techniques de décontraction utilisées à la fin d’une séance d’Aïkido pour relâcher le corps et l’esprit. Il leva alors la main droite très doucement afin de ne pas perturber sa concentration. - Parfait, reprit Oria d’une voix très calme. Maintenant, concentre-toi comme si je te parlais. Essaie de m'entendre, je t’appelle. Paul s’était totalement relaxé et se concentrait intensément sur la voix de la jeune femme, mais malgré tous ses efforts il ne parvenait pas à percevoir quoi que ce soit. La séance se poursuivit pendant une heure sans aucun résultat tangible. L’adolescent avait juste eu la fugace impression d’avoir très faiblement perçu l’ildarane, mais sans parvenir à identifier de mots qui auraient permis de valider, même partiellement, le succès de l’expérience. - Ne t’inquiète pas : c’est tout à fait normal. Il est très exceptionnel de réussir la première fois. Surtout que tu n’as pas été élevé dans la croyance de ces facultés. Cela minore inconsciemment ton potentiel. Précisa-t-elle pour apaiser sa déception évidente. - Rassure-toi, je ne me décourage pas, nous essaierons une autre fois ? répondit l’adolescent néanmoins très déçu et essayant vainement de la masquer. Il en vint à douter de ses facultés et se demanda si l’incident sur le First Episode n’avait pas été un accident. - Nous réessaierons dès demain matin, jeune Paul. Je veux que tu sois capable de te défendre, au plus vite, car Sarian craint que l’empereur ait envoyé des psykans à notre recherche. Darin va prendre le relais de ta formation maintenant conclut-elle en se tournant vers ce dernier qui venait de pénétrer dans la cale. - J’ai amené des armes en corodrium. Active ton bouclier Horlzson. Maintenant ! ordonna l’ildaran en lui tendant un poignard et en se mettant en position d’attaque. - Je pensais faire une pause et rejoindre Stéphanie, qui doit trouver le temps long, fit le garçon, un peu dépité. - Nos adversaires ne se préoccuperont pas de tes états d’âme lorsqu’ils passeront à l’attaque. Cet embryon de formation peut te sauver la vie. Allons-y. Rétorqua Darin d’un ton ne supportant aucune contestation. Paul s’empara du couteau et se mit en position de combat, comme il l’avait appris en manipulant un Tanto, en cours d’Aïkido, depuis presque dix ans. Darin attaqua immédiatement en prenant soin de se mouvoir à une vitesse que Paul pouvait contrer et le jeune homme para aisément le premier assaut. S’en suivit un ballet d’attaques et d’esquives, de parts et d’autre, pendant presque une heure, sans que l’un ou l’autre ne paraisse fatigués puis Darin sifflât l’arrêt de jeu, satisfait du travail de Paul. - Tu t’en es très bien sorti. Si nous avions la possibilité de t’injecter un package de Nanocrytes, tu serais un combattant redoutable. - Justement, à quoi cela sert-il que je m’entraîne alors que nous savons pertinemment que le plus mauvais de nos ennemis me surclassera en vitesse et que je ne pourrais pas l’atteindre ? répliqua le garçon. - Tous nos ennemis ne disposent pas d’un package de Nanocrytes militaires et ton entraînement mental associé à tes techniques de combat devrait permettre de neutraliser un agresseur même disposant d’un package de niveau quatre. Au-delà, bien entendu, pour le moment, tu n’as aucune chance, mais, dès que nous serons revenus au sein de l’Empire, je suis persuadé que nous pourrons t’injecter au moins un pack de niveau cinq et ton entraînement te paraîtra alors très utile. De toute manière, nous n’avons rien d’autre à faire pendant les prochaines heures ? répondit l’homme en regardant Paul droit dans les yeux. - Tu as raison. Ne penses-tu pas que tu pourrais entraîner Alex ? suggéra Paul qui songeait qu’il serait utile que son ami apprenne à se défendre. - Il n’aurait tout simplement aucune chance. Tu as déjà dix ans de pratique de Karaté et d’Aïkido et ton plus gros atout sera d’attaquer simultanément ton adversaire mentalement et physiquement. Alex ne dispose pas de tes capacités psys et ce serait envoyer un agneau à l’abattoir que de lui faire combattre un ennemi amélioré et entraîné. Il ne réussirait qu’à se faire tuer sans même ralentir son adversaire. Rétorqua, Darin. - Bien, il semblerait donc que l’essentiel de notre défense repose sur vous quatre, car je crois qu’Irias n’est pas entraîné au combat ? soupira le garçon, déçu que son ami ne puisse s’entraîner. - En effet, Irias est l’intendant en chef de ta famille depuis quatre cent quarante-cinq années, équivalent terrestre. Je n’en sais pas beaucoup sur lui, mais je crois qu’il a vu naître deux générations de Verakin et qu’il est très attaché à toi. C’est la raison pour laquelle il est avec nous alors qu’il n’est pas un soldat. - J’avais bien perçu qu’il était proche de ma famille, mais je n’imaginais pas qu’il soit à nos côtés depuis si longtemps. Il a bien connu mon père alors ? releva le garçon, étonné par la fidélité d’Irias. - Il l’a vu naître et a toujours occupé une place particulière dans le cœur de l’empereur. Irias symbolisait un peu la sagesse pour ton père et leurs relations dépassaient très largement le cadre d’intendant à souverain. Lors de notre fuite, cela a été un déchirement pour lui de devoir quitter ton père sachant qu’il ne survivrait pas au coup d’État. Il nous a accompagnés, car l’Empereur lui a explicitement demandé de veiller sur toi et c’est devenu, pour lui, la mission de sa vie. Il fera tout pour que tu retrouves le trône d’Ildaran en souvenir de ton père. Ajouta Oria, qui était revenue dans la salle sans que Paul s’en aperçoive. Elle se déplace comme un chat, pensa-t-il. Il faudra que je sois plus sur mes gardes si mes ennemis sont capables d’en faire autant. - Irias est, comme nous tous, prêt à se sacrifier pour toi lâcha soudain Darin en se frappant le côté gauche de la poitrine avec son poing droit et en inclinant légèrement la tête en avant « Verakin Ildaran Frîîkr ». - Calme-toi Darin, intervint amusé Sarian qui venait, lui aussi, de les rejoindre et observait Paul surpris par le fanatisme de son maître d’armes. Il faut le comprendre, Paul. Darin, comme nous tous, a dédié sa vie à ta protection dans l’objectif de t’accompagner à la reconquête du trône et cela altère nécessairement un peu notre manière de penser. - Il est tard maintenant, intervint Oria afin de changer de conversation. Paul, tu peux aller te rafraîchir et te changer pour le dîner. Rassure Stéphanie et tes amis, mais ne leur raconte pas tout ce que tu viens d’apprendre. S’ils choisissent de rester sur Terre quand nous quitterons cette planète, il est souhaitable qu’ils en sachent le moins possible, car, même si je leur impose un blocage mental, des psykans entraînés pourraient toujours le déverrouiller - Et si je choisissais, moi aussi, de rester sur Terre et de mener une vie normale ? lâcha Paul, en quittant la cale, ne laissant pas, aux ildarans incrédules, le loisir de répondre. Ses dernières paroles tétanisèrent les trois gardes d’élite de la famille Verakin, car aucun d’entre eux ne s’attendait à ce que Paul eut envie de rester sur terre, après avoir appris la vérité sur ses origines. Sarian, un peu plus posé que les deux autres, les rassura en signifiant qu’il s’agissait certainement d’une attitude d’adolescent rebelle, face à une forte pression. Il se promit, néanmoins, d’avoir une conversation sérieuse sur le sujet avec le garçon, car il était vital de connaître ses véritables intentions, s’il en avait, sur son rôle de potentiel héritier de l’Empire. Il n’avait pas été, à l’inverse de ses ancêtres, préparé à régner depuis sa naissance et cela pouvait réserver quelques surprises. Paul retrouva Stéphanie, qui s’ennuyait ferme, seule dans sa cabine. La jeune fille avait fait une promenade sur le pont, mais il n’y avait rien à faire à bord de ce navire et elle n’avait pas supporté le regard des marins qui semblaient parler d’elle dans son dos. Apparemment, Mélanie et Alex n’étaient pas sortis de leur cabine et la jeune fille n’avait pas osé les déranger. Elle reprochait à son compagnon de l’avoir laissé seule et craignait pour les jours à venir. La tension nerveuse était retombée et le contrecoup se traduisait par une petite dépression passagère. Paul tenta de la calmer, mais il ne trouva pas les mots rassurants qu’elle aurait souhaité entendre. Le jeune homme ne savait pas non plus où il en était et était incapable de se projeter dans l’avenir proche. À l’heure du dîner, tous se retrouvèrent dans le carré et les conversations restèrent très éloignées de leurs préoccupations du moment. Chacun préférait oublier un peu les dernières heures. Le temps semblait s’être arrêté sur le gros navire marchand et il flottait une sorte d’euphorie, entretenue par le tangage presque imperceptible, mais régulier, du porte-conteneurs. - Qu’est-ce qui est prévu ensuite ? s'enquit néanmoins Paul, en fin de repas. - Comme nous vous l’avons déjà dit, il est essentiel que nous atteignions notre base en Dordogne. Nous y serons en totale sécurité, car les impériaux ne pourront pas nous y déloger par la force, sans contrevenir aux règles des Al-Heoxyrians. Pour pénétrer nos défenses, il faudrait qu'ils utilisent la puissance de feu d’un croiseur pour saturer notre champ Horlzson. Inutile de préciser que ce ne serait pas discret. D’autre part, nous pourrons terminer la formation de Paul et, s’ils ne nous ont pas repérés, attendre qu’ils se lassent. répondit Sarian - Mais cela pourrait être long ! s’exclama Stéphanie. - Peut-être plusieurs années. Mais l’alternative est la mort ou l’emprisonnement à vie dans des conditions certainement moins agréables que celles que nous pouvons offrir à la base. Intervint Darin. - J’en ai assez de vos histoires ! Comme je l’ai déjà exprimé : dès que l’on sera en France, bye bye. Je rentre à Paris. Vous pourrez faire la guerre à tous les aliens que vous voulez, ce ne sera plus mon problème. Éructa Mélanie, qui avait réussi à se contenir jusqu’ici, en jetant un regard de défiance à ses interlocuteurs. - Mél, tu ne peux pas la jouer solo. Si les ennemis de Paul te retrouvent, ils vont remonter directement jusqu’à lui. Intervint Alex, agacé par l'intransigeance de sa compagne. - Ne me dis pas que, toi aussi, tu crois à ce délire ? Je n’aurais jamais dû vous suivre depuis Marrakech. Rétorqua froidement la jeune fille. - OK Mélanie, calme-toi. Sarian est-ce que l’on ne pourrait pas s’arranger pour qu’elle ne se souvienne de rien ? proposa Paul comprenant qu’il fallait désamorcer la situation. - Il est toujours possible qu’Oria lui impose un blocage mental, mais tout ce qui est fait peut-être défait par un autre psykan. répondit Sarian, un peu hésitant. - Bon OK. Mélanie, pour le moment nous n'avons pas de solution, mais de toute manière tu ne peux pas t’en aller en pleine mer alors, allons dormir et nous verrons demain matin où nous en sommes. Proposa l’adolescent. La jeune fille ne répondit pas et se dirigea vers les cabines, sans se préoccuper d’Alex. La bonne atmosphère du dîner venait d’en prendre un coup, et personne ne savait comment allait se terminer cette histoire. Paul, d’ailleurs, ne se voyait pas non plus rester enfermé dans une grotte pendant des mois. - Paul, à raison, allons dormir. Il ne faut pas imaginer le pire, car je pense que les impériaux se lasseront vite et que le Randor reviendra d’ici quelques mois pour tenter de nous ramener dans l’espace ildaran. Avança Oria, qui ne souhaitait pas que s’engage une polémique. - Mais vous ne savez même pas s’il a pu s’échapper, votre vaisseau fit, remarquer Alex, un rien désespéré. - Les calculs de probabilités de l’IA de la base lui laissaient 89,96% de chance de s’échapper avec cinq croiseurs lancés à l’aveugle à sa poursuite dans un volume d’espace de saut de dix années-lumière. Nous sommes donc très confiants. Répliqua Sarian avec un ton assuré. - De toute façon, cela ne changera pas notre situation pour cette nuit. Nos options sont limitées, alors autant nous y faire et gérer au mieux. Conclut Paul, qui, pragmatique, considérait ne pas avoir d’autres alternatives pour le moment. Tout le monde se souhaita une bonne nuit et Stéphanie fut soulagée de se retrouver enfin seule avec son amant. Il lui avait manqué toute la journée. La cabine avec des couchettes superposées ne la réjouissait pas trop, mais elle savait comment le détendre et lui faire oublier momentanément ses soucis. La seconde nuit à bord se passa sans incident et Sarian se serait presque laissé aller à relâcher la tension qui le tenaillait depuis l’alerte, quatre jours auparavant. Le calme avant la tempête ? * Du côté du commando squirs et, contrairement aux attentes et à l’assurance initiale de Corvin, il n’y avait toujours pas la moindre trace mentale des fuyards. Les psykans avaient déjà sondé plus de 78% de la population de l’île et il ne restait plus à couvrir que la partie nord-est, moins peuplée. - Il est 21h, arrêtons pour ce soir, je ne veux pas passer à côté d’une piste à cause d’un habitant qui se couche tôt. Nous aurons terminé demain dans la matinée. Corvin prit cette décision à contrecœur, mais il lui semblait plus productif d’interrompre les recherches que de rater un témoin éventuel endormi et de devoir tout recommencer à zéro. D’un côté comme de l’autre, la nuit interrompit donc, dans cette partie du monde, les opérations. * Le lendemain matin, au petit-déjeuner, le porte-conteneurs longeait déjà les côtes espagnoles entre Valence et l’île de Palma de Majorque. Sarian informa son groupe qu’un bateau de pêche allait les prendre au large de Tarragone. - J’ai déjà réglé les détails avec Narvin, qui est arrivé à Tarragone hier soir, car je préfère quitter ce navire au plus tôt. Si nos adversaires sont aussi bons que je le pense, ils vont remonter notre trace et arriver rapidement à Madère. Il ne leur faudra pas très longtemps pour lister tous les navires ayant quitté l’île et nous retrouver. Une fois sur le continent il leur sera beaucoup plus difficile de nous localiser. Préparez-vous à transborder d’ici trente minutes. Annonça Sarian. Après toutes leurs aventures, plus grand-chose n’étonnait les adolescents et ils repartirent dans leur cabine rassembler leurs maigres affaires. Mélanie n’était pas mécontente de retrouver la terre ferme et comptait bien s’éclipser à la moindre occasion. Ses relations avec Alex se dégradaient, car l’adolescent l’accusait presque de les mettre en danger à cause de son entêtement. Cette tension mettait Stéphanie et Paul mal à l’aise, car aucun d’eux ne savait comment résoudre cette crise. Sarian n’avait pas voulu affoler Paul et ses amis, mais Xionnes l’avait alerté sur un trafic important de glisseurs antigrav au-dessus de Madère, toute la journée de la veille. L'ildaran avait rapidement compris que leurs adversaires parcouraient l’île à la recherche d’indices et qu’un quadrillage aussi systématique en altitude signifiait assurément qu’un ou plusieurs psykans étaient à leur poursuite. Cela allait sérieusement compliquer leur fuite jusqu’à leur base de Dordogne et il avait rapidement modifié son plan initial qui prévoyait qu’un bateau passe les prendre au large de Perpignan puis les dépose sur la côte pour remonter par la route via Toulouse. Les adolescents étaient dans leurs cabines et Sarian résuma le nouveau plan de fuite à son équipe. - Narvin et Prag sont arrivés avec deux véhicules à Tarragone. Ils ont loué un bateau de pêche dans le port pour la journée. Ce sera suffisant, car nous ne sommes qu’à trente miles nautiques de la côte espagnole, nous devrions être à terre avant midi. - Tu penses que la garde impériale est déjà sur nos traces ? s’enquit Darin - Sans aucun doute. Ce qui m’inquiète, c’est qu’il doit y avoir plusieurs psykans avec eux : c’est pour cela qu’ils quadrillent l’île de cette façon. Ils doivent chercher un témoin de notre passage. Je n’ai pas d’autre explication à un survol aussi systématique de Madère. Heureusement, ils ne peuvent pas nous repérer à distance avec les senseurs tant que nous n’avons pas recours à une technologie ildarane. Mais s’ils se rapprochent, les psykans repéreront inévitablement Paul. Affirma le chef du petit groupe. - Dans ce cas, il faut qu’il s'entraîne avec moi le plus possible. S’ils ont des psykans dans leur groupe, nous ne pourrons pas le protéger s’il ne renforce pas ses capacités, lâcha Oria, visiblement anxieuse. - Dans l’intervalle, nous porterons tous des résilles Kries. Ordonna Sarian. Narvin nous en a rapporté depuis la base. Je ne veux pas de mauvaises surprises. Vous mettrez des casquettes pour les dissimuler. Tout le monde se prépara et, en milieu de matinée, le commandant Fortier leur annonça qu’une embarcation de pêche suivait une route parallèle au porte-conteneurs depuis plusieurs minutes. Sarian l’informa du changement de plan et le commandant ne fit aucun commentaire. Il avait été grassement payé et que ses passagers quittent son navire, plus tôt que prévu, ne lui posait aucun problème. Un transbordement avait été prévu dans le contrat initial et comme la mer était calme ce matin, ce serait encore plus simple d'effectuer l'opération maintenant. Il fit ralentir son navire et mettre un canot à la mer. L’opération était un peu délicate, car il fallait descendre le long de la coque du gros navire, à l’aide d’une échelle de coupée, mais le vent modéré leur simplifia la tâche. Le petit canot effectua deux aller-retour pour transborder les neuf passagers et leurs bagages puis le navire marchand reprit tranquillement son cap, après avoir récupéré son canot. Paul le regarda s’éloigner avec un petit pincement au cœur, car il se rapprochait de plus en plus d’un tournant de sa vie qui risquait de l’entraîner loin de ce type d’instants. Stéphanie et Mélanie firent un peu la grimace, car le bateau de pêche dégageait une forte odeur de poisson et de nombreuses parties du pont étaient maculées de sang et de matières visqueuses. Si Paul et Alex ne manquèrent pas de remarquer la réaction des filles, personne ne fit de commentaire. Le petit navire mit immédiatement le cap sur le port de Tarragone. Leur taxi marin était un vieux bateau de pêche qui tanguait violemment malgré la mer calme et le trajet ne fut pas de tout repos pour les jeunes filles contraintes de rester sur le pont parsemé de matières marines en putréfaction. Mélanie, déjà bien remontée, fut malade à cause de l’odeur et passa près d’une demi-heure accoudée sur le bastingage à régurgiter son petit-déjeuner. Stéphanie n’était pas non plus très vaillante, mais elle réussit à conserver son repas. Alex et Paul étaient habitués à la navigation et ne semblaient pas souffrir des conditions de transport, quant aux ildarans : ils semblaient imperturbables. La distance fut parcourue en moins de deux heures et le navire s’engagea dans le chenal du port industriel. La zone du port de pêche se trouvait au fond de la rade artificielle, bordée par des bâtiments commerciaux. Ils durent patienter quelques minutes que le pont basculant, coupant le port en deux, soit relevé pour pouvoir rejoindre le point d’amarrage des navires de pêche. Le capitaine parti se reposer, satisfait de sa journée qui lui avait rapporté autant qu’un mois de travail. Tous furent ravis de quitter le bord et de retrouver la terre ferme. Sarian était surtout soulagé de pouvoir se fondre dans l’anonymat d’une ville. Le ponton en béton donnait face à la marina du port et ils purent débarquer sans autres formalités. Une simple barrière en métal blanc délimitait l’accès et il n’y eut aucun contrôle. Le groupe se retrouva le long d’une voie portuaire, bordée de palmiers, face à des constructions modernes de couleur brique. Face à eux trônait une chapelle qui semblait remonter du temps où cette partie de la ville devait encore être un port traditionnel. Moi qui pensais débarquer dans un petit port typique, pensa Paul. Les deux jeunes filles commençaient à reprendre des couleurs, mais semblaient encore barbouillées. - Où sont Prag et Narvin ? demanda Darin. - Les voilà ! répondit Sarian, impossible de se garer ici nota l’homme en désignant les bornes de métal noir qui balisaient toute la voie portuaire de chaque côté de la rue. Deux véhicules stoppèrent à leur hauteur et le groupe se répartit dans les deux voitures : une Audi A6 Avant et un Mercedes Classe R, 7 places. Paul consulta machinalement sa montre et découvrit avec surprise qu’il était déjà midi quinze. Cette histoire me fait perdre la notion du temps. Tout va trop vite, songea-t-il. Il se retrouva dans l’Audi avec Stéphanie, Oria, Sarian et Darin qui prit le volant. Les six autres montèrent dans le Mercedes R, conduit par Narvin. Les adolescents n’étaient pas ravis d’être de nouveau séparés, mais ils n’avaient pas le choix. - Nous aurions pu déjeuner ici, il y avait un restaurant, juste en face, fit Paul. - Trop dangereux. Nous sommes trop proches du bateau qui nous a amenés. Nous mangerons plus tard. Répliqua Oria d’un ton sans appel. - Si vous avez faim, Narvin et Prag ont prévu des sandwichs et des bouteilles d’eau. C’est dans le sac à mes pieds proposa Sarian. Les deux véhicules prirent rapidement la direction du nord sur la nationale 240. Sarian voulait absolument éviter les autoroutes qui seraient les premières voies de circulation surveillées par le commando de la Sécurité Impériale. Les deux voitures bifurquèrent après Valls, en direction de Lleida. Leur itinéraire privilégiait les petites routes pour éviter Toulouse, point de transit évident pour toute remontée vers Paris où leurs adversaires devaient penser qu’ils se dirigeraient. Sarian prévoyait un peu moins de neuf heures pour parcourir les cinq cent quarante kilomètres qui les séparaient de la commune de Prats-du-Périgord, près de laquelle se trouvait la base. Après Lleida, ils fonceraient droit vers le nord pour traverser la frontière par les Pyrénées après la ville de Vielha. Ensuite si tout allait bien, direction Auch, Agen, Fumel et ils seraient à moins de trente kilomètres de leur destination finale. Le chef des Ildarans commença à se détendre un peu. Personne ne disait mot dans la voiture même si Paul se retournait de temps à autre pour vérifier que le second véhicule les suivait bien. Darin prenait un réel plaisir à conduire sur ces petites routes sinueuses malgré la gravité de la situation. À son arrivée sur Terre, dix-sept ans auparavant, il avait appris rapidement à conduire ces véhicules roulants et s’était passionné assez vite pour le pilotage de voitures sportives. Il dut néanmoins ralentir, car ses passagers appréciaient modérément les virages enroulés et, de toute manière, Narvin commençait à avoir du mal à suivre le rythme avec le gros Mercedes. Ce dernier devait en outre composer avec Mélanie, qui voulait descendre du véhicule depuis qu’ils avaient quitté le centre-ville de Tarragone. La jeune fille n’arrêtait pas de rouspéter et même Alex commençait à être saturé de ses récriminations. Heureusement que la sécurité enfant était verrouillée sur le Classe R, car la jeune fille avait même tenté de s’échapper à un feu rouge à la sortie de Tarragone. Vira avait été contraint de lui injecter un calmant à l’aide d’un petit pistolet à vaccin. Alex avait moyennement apprécié la démarche, mais force lui fut de reconnaître que son amie devenait difficilement gérable. Nous avons une longue route, pensa Paul, en finissant son sandwich dans la voiture de tête. * Du côté des squirs, leur capitaine commençait à penser que leur cible avait quitté l’île. C’était à ni rien comprendre : ils avaient ratissé Madère en intégralité sans aucune trace des fugitifs. Pragmatique, Corvin prit la décision de cesser les recherches. - Ils sont plus malins ou soupçonneux que je ne le pensais. IA, recherche des signatures de sauts quantiques depuis l’île de Madère, ils n’ont pas pu s’évaporer ordonna-t-il à l’IA de son vaisseau. - Je vous confirme qu’il n’y a aucune anomalie quantique, non enregistrée à Madère, capitaine. Les seules signatures sont celles de vos hommes, vous-même ainsi que Gorantim et Miol repartit en Australie. Probabilité de fuite par saut 0%. - Calcule-moi les itinéraires de tous les bâtiments de surface ayant quitté l’île depuis mercredi matin, revérifie tous les signaux vidéo des aéroports, surtout les vols privés - Je vous confirme qu’il n’y a aucune trace vidéo des individus que vous recherchez. Il y a précisément deux cent quatre-vingt-neuf navires de surface, de la barque aux plus gros transporteurs qui ont quitté l’île depuis mercredi. Je vous fournirai les détails ainsi que leurs trajectoires dans une minute vingt secondes. Tous les itinéraires de tous les navires ayant quitté l’île apparurent sous forme holographique projetée directement sur les neurorécepteurs de Corvin. Le capitaine des Squirs pouvait naviguer dans les données à partir des gestes de ses mains, captés par les senseurs de ses Nanocrytes, et affiner les routes de tous les bâtiments. Il élimina les navires ayant suivi des trajectoires locales vers les îles proches – Porto Santo et les Desertas- ou ayant fait demi-tour pour se concentrer sur ceux ayant navigué en ligne droite vers une destination lointaine. Il sélectionna ainsi vingt-huit navires de commerce susceptibles d’avoir embarqué l’héritier Verakin et sa garde. - Niir ! Forme trois équipes de trois, je garde Liar et Virlin avec moi. Que chaque équipe rattrape en glisseur ces vingt-huit navires les uns après les autres. Je veux que chaque membre d’équipage de ces bateaux soit sondé. IA calcule une répartition optimum en fonction des trajectoires à suivre et programme les calculateurs de vol des glisseurs. - C’est fait capitaine Corvin, votre glisseur aura la charge de sonder sept bâtiments. - Bien, exécution, et je veux un contact mental permanent entre nous. Ordonna le psykan. Les Squirs se séparèrent et la traque reprit. C’était encore la nuit, de ce côté de la planète, et les navires de commerce pourraient être survolés de près, les uns après les autres, par chaque glisseur, mais il fallait faire vite, car il allait bientôt faire jour. Les psykans commencèrent à sonder individuellement chaque être humain à bord à la recherche de l’image mentale ou d’un fugace souvenir des fugitifs. Puis le jour s’était levé et les glisseurs avaient dû prendre de l’altitude afin d’éviter d’être aperçus. Au bout de cinq heures, la recherche porta enfin ses fruits : l’un des hommes de Corvin survolait un porte-conteneurs en méditerranée lorsqu’il détecta le souvenir du passage des fugitifs dans l’esprit de plusieurs hommes du navire. Malheureusement, ils semblaient avoir quitté le bord deux heures plus tôt à bord d’un bateau de pêche, lorsque le navire était au large de Palma. Les marins indiquèrent, à leur insu, que l’embarcation avait pris la direction de la côte espagnole. Le glisseur de combat se lança immédiatement à la recherche des bateaux de pêche naviguant sur la zone, tous ses senseurs activés, mais aucun n’embarquait plus de six personnes. Il faisait maintenant jour depuis longtemps et les petits appareils impériaux devaient voler très haut afin de ne pas être visibles depuis le niveau de la mer. Les informations furent transmises à l’IA, qui commença à rechercher la trace d’une embarcation sur zone, à partir de ses enregistrements des drones orbitaux. La machine semi-intelligente identifia très vite le bon navire et informa les Squirs qu’il se trouvait amarré au port de Tarragone depuis quarante minutes. Les senseurs thermiques indiquaient, sans trop de surprise, qu’il n’y avait plus qu'une personne à bord. - À tous les glisseurs, ils sont encore à proximité de la ville de Tarragone. Quadrillez la zone ! Corvin fulminait. Il les avait ratés de moins d’une heure ! Glisseur 1 et 2, positionnez-vous à la verticale des voies rapides et sondez tous les véhicules. Mais malgré les quatre appareils ratissant une large zone autour de la ville côtière espagnole, il fut impossible d’obtenir la moindre information sur leurs cibles. Prudent, Sarian avait fait mettre à tout le monde, une résille Kries et, à moins d’un sondage direct, ils étaient tous à l’abri d’une recherche mentale par balayage. S’ils avaient pris l’autoroute, un Squir aurait pu remarquer l’absence de signaux cérébraux venant de deux véhicules en mouvement et il en aurait déduit immédiatement que les occupants portaient un équipement de protection. Mais heureusement pour les fugitifs, les Squirs n’étaient pas assez nombreux pour tester individuellement chaque véhicule quittant la ville portuaire espagnole. * Chapitre 23 Les deux véhicules, aux vitres fumées, avaient le plein de carburant et n’auraient donc pas à s’arrêter pour atteindre la base en Dordogne, minimisant les risques que quelqu’un reconnaisse les passagers. Ce surcroît de précautions de la part de Sarian fut salvateur, car l’annonce de la disparition des adolescents au Maroc commençait à s’étendre aux autres pays européens, dont l’Espagne, et les portraits-robots des adolescents avaient été diffusés par tous les médias. Ils ne pouvaient pas se permettre d’être identifiés par qui que ce soit, car les autorités seraient alertées et l’information interceptée immédiatement par les IAs des impériaux. Le voyage en train, un temps envisagé, se serait révélé catastrophique. Le moment de répit de Sarian fut de courte durée, car son communicateur mobile le sortit de sa torpeur passagère. - Sarian, j’écoute - Trois glisseurs antigrav convergent vers votre position, un autre est déjà au-dessus du port de Tarragone, annonça Xionnes, qui était de garde. - IA calcule les trajectoires de chacun des appareils : je veux savoir s’ils nous ont localisés ou s’ils se dirigent vers la ville au hasard. Ordonna aussitôt l’ildaran, sous le regard interrogateur de Darin. - Les glisseurs convergent, celui qui est au-dessus de la ville semble quadriller la zone méthodiquement - Ils doivent avoir retracé notre itinéraire depuis Madère jusqu’au bateau de pêche. Ils sont bons ! L’Empereur nous a envoyé une équipe efficace. Sarian semblait presque heureux d’avoir des adversaires à sa mesure et il n’était pas peu fier de leur avoir échappé de justesse. Cela allait les énerver et ils commettraient peut-être des erreurs. Il n’y a pas de raison de s’inquiéter. Ils n’ont pratiquement aucune chance de nous retrouver maintenant, car il y a trop de véhicules en mouvement pour que leur IA calcule toutes les traces depuis le port et qu’ils les contrôlent un par un. Ils ne sont pas assez nombreux. En effet, malgré les quatre glisseurs qui ratissaient une large zone autour de la ville, il fut impossible aux psykans de repérer la moindre trace des fugitifs. Les circonstances étaient maintenant contre eux, car le soleil était au zénith, et ils étaient obligés de rester très haut dans le ciel pour ne pas être aperçus et la distance amoindrissait significativement leurs capacités psykanes. La forte densité de population de la côte espagnole accentuait les difficultés et, au bout de deux heures de recherche, Corvin décida de retourner à bord de son appareil en orbite. Le glisseur de la base terrestre reprit, à vide, la direction de l’Australie et les trois glisseurs du Squirs Prime s’élancèrent hors de l’atmosphère. Sarian et son équipe semblaient avoir repris la main sur leur destin. À bord de son glisseur, Corvin essayait de faire le vide afin de réfléchir posément. Il faudrait plus de dix minutes aux glisseurs pour atteindre le Squirs Prime à vitesse réduite et cela agaçait le chef des forces spéciales. À peine arrivé à bord, il reprit les choses en main et relança la traque de l’héritier Verakin. - IA, il semble que nos adversaires aient repéré nos glisseurs bien avant que nous ne soyons au-dessus de l’île de Madère. Ils ont nécessairement des senseurs orbitaux, car leur installation terrestre n’aurait pas pu détecter un décollage à l’opposé de la planète. Largue des drones sur l’orbite géosynchrone et traque tout appareil qui possède une technologie ildarane. Capture-les et analyse leurs transmissions, nous devrions pouvoir remonter les signaux et trouver la localisation de leur base. - Les drones sont lancés, j’ai envoyé un glisseur, que je piloterai en direct, pour la capture d’éventuels senseurs orbitaux autonomes. - Parfait. Je vais me reposer, alerte-moi quand tu auras capturé les senseurs ennemis. Le largage des drones et du glisseur de combat fut détecté par l’IA de la base Dordogne qui alerta immédiatement Sarian. Les deux voitures venaient de dépasser la ville de Benabar lorsque le communicateur de l’ildaran réveilla Stéphanie assoupie sur l’épaule de son amant. - Sarian. Quoi de neuf ? - Ici Xionnes, l’IA vient de détecter l’envoi de drones et d’un glisseur en orbite géosynchrone. - Ils ont mis du temps, mais ils cherchent nos senseurs orbitaux. Combien sont activés en ce moment ? - Uniquement quatre. Les autres sont en veille et ne devraient pas être repérés. - Parfait, ne les désactivent surtout pas, il détecterait la porteuse et remontraient jusqu’à la base. Laisse-les les détruire. - Et s’il les capture pour analyser les communications ? Ils vont retracer nos relais - Tu as raison, envoies l’ordre d’autodestruction de tous les relais terrestres utilisés depuis l’utilisation de ces quatre senseurs. - Ils ne vont pas trouver la base, mais avec la localisation des relais ils vont réussir à délimiter une zone de recherche. - C’est un moindre mal, lorsque nous serons dans la base ils ne pourront pas nous y déloger sans alerter la population locale et la Charte des Al-Heoxyrians nous protège. J’aurais préféré garder une liberté de mouvement, mais le plus important est de mettre Ishar à l’abri. - L’IA a calculé qu’il y a trois relais terrestres de transmission qui ont communiqué avec ces quatre détecteurs, actuellement actifs. Ils sont détruits. - Où étaient-ils localisés ? - Dans un rayon de cinquante kilomètres autour de la base, un à Fumel, un autre près de Sarlat et le dernier près de Gourdon - Hum, cela positionne le centre de ces relais très proche de la base. Bascule toutes les installations en mode passif ainsi, si vous subissez un sondage actif, il ne devrait pas la repérer. Le générateur à énergie Kin n’émet pas suffisamment pour être détectable. Conserve uniquement les alarmes de proximité. Décida le chef des gardes Verakin. - La destruction des relais et le basculement en mode passif vont nous aveugler. Nous ne pourrons plus détecter les déplacements de leurs glisseurs, lui fit remarquer Xionnes. - Nous n’avons pas le choix, nous aviserons en fonction de leurs prochaines initiatives. Terminé. L’obligation de couper les transmissions et la mise hors fonction des détecteurs orbitaux étaient un handicap majeur pour Sarian et son groupe, car il ne leur serait désormais plus possible de suivre en temps réels les mouvements de leurs adversaires. C’était accroître le risque de se faire surprendre, mais Sarian restait confiant, car il faudrait vraiment jouer de malchance pour que les impériaux retrouvent leur trace maintenant. C’était le relais de Fumel qui le contrariait le plus, car cette ville était sur leur itinéraire de retour et cela nécessiterait de faire un détour par précaution. * Il fallut plus de deux heures, aux drones de recherche, pour trouver le premier senseur orbital. Le glisseur lança immédiatement un champ de gravité dirigée pour le capturer et l’arrima dans la soute puis l’IA fit revenir le glisseur afin d’examiner au plus tôt ce matériel ennemi. Dès que l’appareil fut à bord de l’aviso, le petit détecteur, de la taille d’une orange, fut analysé par les androïdes du bord. Le glisseur reparti aussitôt, car un second senseur venait d’être trouvé. Un troisième senseur fut capturé une heure plus tard, et un quatrième encore quinze minutes après alors que le premier avait déjà fourni de précieuses informations aux Squirs qui avaient appris que deux relais terrestres étaient positionnés dans le sud-ouest de la France. Contrairement à ce qu’ils pensaient jusqu’ici, la base des gardes Verakin ne semblait pas se trouver à proximité de Paris. Le glisseur rapporta les trois nouveaux senseurs pendant que les drones continuaient leur moisson. Il ne fallut pas très longtemps aux impériaux pour analyser les nouveaux senseurs qui confirmèrent la position des deux relais et y ajoutèrent celui de Gourdon. Avec ces trois localisations géographiques, Corvin pouvait trianguler précisément une zone de recherche dans un périmètre de cent à cent cinquante kilomètres de rayon. Les gardes Verakin avaient été prudents en multipliant les relais terrestres. Cette précaution allait les retarder, mais Corvin en était sûr, ils allaient les trouver rapidement. - Capitaine, une sonde messagère vient de transiter. Un message de l’empereur qui vous est destiné. Annonça l’IA du Squir Prime - Je le réceptionne dans la salle tactique, répondit le chef des squirs, en entrant dans une salle proche du centre de contrôle de son vaisseau. Il s’agissait, bien entendu, d’un message enregistré, mais un message direct de l’Empereur était quelque chose d’assez rare et important pour que Corvin s’isole. L’Empereur souhaitait connaître l’avancement des recherches et réitérait au psykan sa confiance en insistant sur l’importance de sa mission. Corvin dut malheureusement avouer qu’un bâtiment leur avait échappé, mais que l’héritier Verakin n’était pas à bord et que son équipe était sur ses traces. Il relata les derniers évènements et surtout la localisation de la base ennemie dans une zone géographique restreinte. À la fin de son rapport, la sonde lui communiqua une information capitale sur l’équipe de gardes Verakin et Corvin sut qu’il tenait là un nouvel atout essentiel pour sa traque. Avec cette information, il transmit sa pleine confiance de retrouver rapidement les ennemis de l’Empereur et laissa repartir la sonde messagère. Il s’attendait à un nouveau message sous une journée ildarane, environ vingt-sept heures terrestre et il était d’ailleurs surpris de ne pas avoir eu de nouvelles plus tôt. Cela démontrait la confiance que lui portait l’Empereur et il n’en ressentit que plus de motivation à satisfaire son maître. Il se mit aussitôt en contact avec l’IA du Squirs Prime pour exploiter son nouvel avantage. L’IA accusa réception de l’information et commença à émettre un code d’activation sur une fréquence à large spectre. * Sarian avait relayé Darin au volant de l’Audi et Prag avait pris celui du Mercedes R, à la place de Narvin. Le groupe avait fait plusieurs pauses de courtes durées, dans des endroits isolés afin d’éviter que les adolescents ne soient identifiés. Leurs photos apparaissaient maintenant dans tous les journaux télévisés français et espagnols et ils devraient redoubler de vigilance pour éviter d’être reconnus. Ils avaient déjà parcouru deux cent soixante-quinze kilomètres en terre ibérique et arrivaient près de la frontière française. Ces quatre heures de route commençaient à peser sur les organismes des adolescents ankylosés dans les véhicules contrairement aux ildarans, qui comme Paul, étaient avantagés, car ils pouvaient compter sur leurs Nanocrytes pour éliminer les impuretés de leurs organismes, responsables de la fatigue et de crampes. Nous passons la frontière, annonça Prag. Par réflexe, Paul regarda le compteur kilométrique. Celui-ci indiquait deux cent soixante-dix-huit kilomètres depuis leur départ de Tarragone. La moyenne était plutôt basse et Paul se demandait si Sarian n’avait pas pêché par excès de prudence en voulant éviter les autoroutes qui leur auraient fait gagner plusieurs heures. - Nous nous arrêterons dans un supermarché, avant la tombée de la nuit, pour acheter de la nourriture lorsque nous traverserons une ville importante, proposa Darin. - Bonne idée, je meurs de faim, répondit Stéphanie. Cela va me changer les idées de faire des courses. Même si ce n’est pas ma tasse de thé habituellement. - Vous ne pourrez pas sortir de la voiture, vous pourriez être reconnu dut préciser Sarian, à contrecœur. - Pourquoi serions-nous reconnus ? demanda Paul soudain en alerte. - Parce que vos photos ont été diffusées dans la presse : les autorités pensent que vous avez été enlevé au Maroc. Répondit l’homme visiblement ennuyé. - Et tu comptais nous l’annoncer quand ? rétorqua l’adolescent en colère. Nos parents doivent être morts d’inquiétude. Il faut tout de suite les rassurer ! - Vous ne pouvez pas communiquer avec eux ! objecta Darin, le signal serait automatiquement repéré par les impériaux. - Nous ne pouvons pas les laisser non plus sans aucune nouvelle, intervint Stéphanie. - Nous sommes désolés que vous soyez impliqués dans cette histoire, mais nos ennemis ne feront pas de sentiments. Répliqua Oria un peu plus sèchement qu’elle ne l’aurait souhaité. S’ils ont l’impression que vos parents peuvent leur être utiles pour capturer ou tuer Paul, ils n’hésiteront pas à les utiliser. Si vous communiquez avec eux, les impériaux en déduiront qu’ils représentent un moyen de pression. Pour le moment, il est donc préférable de ne rien faire et de laisser vos proches dans l’ignorance, car il vaut mieux être inquiets que morts. Ni Stéphanie, ni Paul n’avaient d’arguments à opposer et ils durent se résoudre à accepter la situation. Dans le Mercedes, Mélanie s’était réveillée et recommençait à se rebeller. Elle voulait quitter la voiture et exigeait qu’on la dépose à la prochaine ville française. S’en suivit une forte dispute avec Alex qui alourdit profondément l’atmosphère dans le second véhicule. La jeune fille dut se résoudre à rester tranquille devant l’intransigeance de Narvin et la menace d’être, de nouveau, tranquillisée, mais la situation risquait de vite s’envenimer. Dans le véhicule de tête, le signal d’appel du téléphone de Sarian se déclencha et coupa court à sa discussion avec Paul. - IA, je t’écoute fit-il ayant identifié l’intelligence artificielle. - Je viens de détecter une émission à large spectre en provenance du bâtiment impérial en orbite. Ce type de signal ressemble à un code d’activation, mais je n’ai pas pu le décrypter. - Je n’aime pas ça. Y aurait-il sur Terre d’autres ildarans infiltrés sur lesquels les impériaux pourraient s’appuyer ? - Impossible à dire avec le peu d’information dont je dispose, mais, la certitude : c’est que cette transmission n’était pas destinée à la base impériale ou aux troupes au sol. - Cela accréditerait l’hypothèse d’une troisième force. - Tous mes senseurs passifs sont à la recherche d’un autre signal du même type. - Bien, préviens-moi immédiatement si tu as du nouveau. Sarian coupa la communication avec le sentiment que quelque chose lui avait échappé. - Que ce passe-t-il ? s'enquit Darin. - Les impériaux ont émis un étrange signal semblable à un code d’activation. Je crains que nous n’ayons un nouveau joueur dans la partie. - Comment aurait-il pu rester dissimulé pendant si longtemps ? s’étonna l’ildaran. - Il était peut-être en stase, suggéra Oria. - Quel intérêt d'avoir positionné un espion-dormant sur Terre ? C’est une planète inintéressante encore au moins pour plusieurs centaines d’années répondit, Darin. - Tu as raison et c’est justement ce qui m’inquiète. Voir surgir un nouvel ennemi inattendu et imprévisible. Conclut Sarian d’un air soucieux. Le groupe de la première voiture resta silencieux durant de longues minutes, car aucun d’entre eux ne savait plus à quoi s’attendre. * Corvin observait la carte holographique projetée dans la salle tactique de son vaisseau. Il observait attentivement la topographie et la géographie de la région où avaient été localisés les relais de transmission des rebelles. Il se demandait bien ce que les fidèles des Verakin étaient venus faire si loin de l’Empire. - IA, quelle est la particularité de cette région ? - La Dordogne est principalement connue pour sa gastronomie, foie gras, champignons –Truffe et Cèpes- ainsi que par ses grottes et gouffres. - C’est ça ! Une grotte. Le capitaine des squirs comprit immédiatement que la base Verakin devait être dissimulée en profondeur dans une cavité naturelle. Il allait certainement être difficile de les repérer s’ils l’avaient installée sous des dizaines de mètres de terre et de roches. Préviens mes hommes, nous allons sur place. As-tu un retour de l’activation ? - Vos ordres ont été transmis, aucun retour pour le moment. * Les véhicules du groupe de Paul venaient de se garer sur le parking du supermarché de la ville de Lanneman et Oria, accompagnée de Vira, achetait de la nourriture pour le tout le monde. Les adolescents commençaient à trouver le temps long surtout qu’ils ne pouvaient même pas sortir se dégourdir les jambes. Ils semblaient résignés quand Mélanie réussit soudain à s’extraire du Classe R. Elle était parvenue à ouvrir la portière par l’extérieur après avoir passé le bras par la vitre ouverte. La jeune femme avait hésité à abandonner Alex, mais la situation lui semblait trop incertaine. Tant qu’elle était à l’étranger, elle avait suivi son ami, mais, maintenant qu’elle était de retour dans son pays, sa confiance en elle était revenue et elle voulait reprendre sa vie normale. Elle savait qu’elle risquait de mettre péril Paul et Stéphanie, mais elle prévoyait de simuler une amnésie temporaire pour éviter toutes les questions que ne manqueraient pas de poser la police. Elle avait soigneusement attendu que l’attention soit focalisée sur le supermarché pour jaillir de la voiture et une fois sur le parking il devenait plus compliqué de la contraindre à remonter devant tout le monde. - Alex, tu dois la raisonner, intervint Narvin. Le communicateur de Sarian se fit entendre de nouveau. - Oui ! Ce n’est pas le moment, j’ai une situation de crise ici. Répondit le chef des ildarans. - Désolé de te déranger, mais l’IA vient de capter une émission venant de notre base, fit Xionnes. - De notre base ?! L’IA a-t-elle identifié la source ? demanda Sarian, totalement abasourdi. - Non. La seule donnée, c'est qu’il s’agit d’un code proche de celui émis par le vaisseau des forces spéciales impériales. L’IA pense qu’il s’agit d’une réponse. Avança Xionnes. - Cela signifierait qu’il y a quelqu’un ou quelque chose dans la base qui communique avec l’empire en ce moment. - En effet et ce n’est pas rassurant, mais c’est l’hypothèse la plus plausible - Je veux un contrôle complet des communications et l’activation du champ de brouillage holocom. Ordonna le chef de la garde Verakin. - Cela va compliquer sérieusement nos propres communications, nota Xionnes. - Je sais, mais je préfère ça à la transmission d’informations vitales à nos ennemis. Interroge tout le monde pour savoir s’il n’y a pas eu un comportement suspect. L’IA doit avoir enregistré tous les déplacements. S’il y a quelqu’un qui a communiqué avec l’extérieur, elle doit avoir une trace ! Bon je dois te laisser, j’ai une situation compliquée à gérer ici. - OK, je te tiens informé. Xionnes coupa la communication, encore consterné par leur conclusion. Il y avait peut-être un traître dans leur équipe ! Difficile à croire cependant, car comment expliquer qu’il ait attendu si longtemps pour se dévoiler ? En dix-sept ans, il aurait pu les trahir en communiquant avec la station impériale en Australie. De son côté, Sarian sortit du véhicule pour rejoindre Narvin, qui suivait Mélanie. Cette dernière marchait énergiquement vers le supermarché et était presque entrée quand soudain elle tituba et commença à hésiter. Les Ildarans comprirent instantanément qu’Oria était à l’œuvre et tentait de contrôler la jeune fille. Celle-ci amorça un demi-tour et commença à revenir lentement vers le Mercedes. On devinait le combat qui se livrait dans sa tête à travers la tension sur son visage, mais l’emprise mentale de la jeune femme se renforça et Mélanie adopta une démarche plus naturelle. Oria était sortie du supermarché et se porta à la rencontre de la jeune terrienne puis lui prit le bras et la raccompagna calmement à la voiture. Alex lui ouvrit la portière, probablement rassuré par Irias, qui lui parlait, et la jeune fille entra dans le Mercedes R. La situation était provisoirement rentrée dans l’ordre. Soulagé, Sarian songea qu’au moins l’un de leurs problèmes venait de trouver une issue positive, même si elle était certainement temporaire. L’arrêt avait à peine duré vingt minutes et les voitures reprirent la direction d’Auch au maximum de la vitesse autorisée, car il n’était pas question de se faire repérer par la police française. Oria avait échangé sa place avec Vira dans le monospace afin de mieux contrôler Mélanie, qui ne tarderait pas à s’insurger sur ce qu’elle considérait maintenant comme un enlèvement. - Que comptes-tu faire avec Mélanie ? demanda Paul à Sarian dans la première voiture. - Dès que nous le pourrons, nous la relâcherons. Visiblement elle n’est pas prête à te suivre. Répondit l’homme d’un air un peu sardonique. - Cela va être compliqué si nous devons rester cachés dans ta grotte plusieurs mois avec elle…, fit remarquer l'adolescent, un peu désabusé. - Pas le choix pour le moment. Fit Darin, il faudra faire avec. Stéphanie regardait son amant d’un air désolé, mais elle comprenait la position de leur amie. Elle-même avait du mal à accepter les explications de ces hommes et, maintenant qu’ils étaient en France, elle aurait également souhaité rentrer chez elle. Elle posa sa tête sur l’épaule de Paul en essayant de ne plus y penser. * L’IA du Squirs Prime venait de capter un signal émis depuis le sud de la France. Elle prit contact avec Corvin. - Les rebelles sont en voiture et remontent depuis l’Espagne vers leur base. J’ai les coordonnées du site principal, mais pas celle des véhicules en mouvement. - Ah ! Parfait, enfin ! Le Verakin est-il dans ces véhicules en déplacement ? - Positif, l’appareil envoyé dans l’espace était un leurre. J’ai même des précisions. Le Verakin identifié est le plus jeune fils : Ishar. - Excellent. Calcule les itinéraires possibles, nous allons les intercepter cette fois-ci. Les douze squirs transitèrent dans le Périgord à proximité de la base Verakin dont il venait d’avoir la localisation. Trois glisseurs de combats envoyés du vaisseau devaient les suivre dans les minutes à venir afin de délimiter une zone d’intervention, car, cette fois-ci, Corvin ne voulait laisser aucune chance aux fugitifs. Deux cents drones de chasse avaient été littéralement saupoudrés sur la zone et le moindre mouvement était analysé. Rien de pourrait ni entrer ni sortir sans être immédiatement identifié. Les communications étaient surveillées et, dès que la base rebelle entrerait en contact avec les fuyards, tout le monde serait repéré. Corvin n’eut pas à attendre longtemps, un relais de communication terrestre se mit en relation avec un pylône de communication mobile local. Corvin trouva astucieux d’utiliser les infrastructures de communications autotochtones, cela allait un peu lui compliquer la tâche, car il fallait de nouveau remonter la piste du relais, mais son instinct de chasseur était excité à l’idée d’avoir un gibier à sa mesure. * Xionnes ne put contacter Sarian, car le mobile de celui-ci devait se trouver dans une zone non couverte ou la cellule était saturée. Il lui laissa donc un message vocal. « Sarian, les impériaux sont dans le Périgord. Nos senseurs viennent de capter douze transitions quantiques autour de nous. Je suis obligé de déconnecter tous les systèmes de communication pour éviter qu’ils ne nous trouvent. Vous êtes seuls maintenant, bonne chance, Verakin Ildaran Frîîkr ! » L’IA de la base avait utilisé un relais terrestre, positionné près de la ville de Lamothe-Fénelon, qui avait été détruit immédiatement après l’envoi du message. Moins de deux millisecondes suivant le début du message un drone avait identifié la localisation du relais et un squir transitait sur les lieux. Malheureusement pour celui-ci, le mécanisme s’autodétruisit au moment où il activait un brouilleur pour couper toute communication avec sa base et bloquer un éventuel ordre d’autodestruction. Mais Xionnes avait implanté cette commande en tête de message et dès que celui-ci fut expédié, même privé de communication avec sa base, le relais s’autodétruisit dans un petit nuage de poussière. Sarian prit connaissance du message quelques secondes plus tard, mais il était trop tard pour transmettre des consignes à Xionnes, car celui-ci avait mis les communications en sommeil. La seule consolation de Sarian fut que les impériaux auraient certainement des difficultés à trouver leur base enfouie dans une grotte non répertoriée. De toute manière, même découverte, ils ne pourraient pas donner l’assaut sans alerter les autorités françaises et violer les Règles des Al-Heoxyrians. S’il se trompait sur le premier point, il avait totalement raison sur le second. Il fallait maintenant se concentrer sur leur situation, car il devenait très ardu de rejoindre la base avec une surveillance aussi étroite. Ils ne pouvaient plus compter que sur eux-mêmes et à part Telius, probablement en transit vers Paris et Prat, et Vira toujours au Maroc, tous les autres étaient cloîtrés dans la base. Leurs ressources étaient limitées. Pas en argent, car ils pouvaient disposer de comptes bancaires répartis dans plusieurs pays, mais en terme d’armes et d’équipements et il allait devoir trouver un autre site de repli. Les impériaux venaient de leur porter un rude coup. Ils arrivaient près d’Auch, mais il leur était impossible de s’arrêter dans un d’hôtel, car les adolescents risquaient d’être reconnus. Il est vraiment bon cet impérial songea Sarian. Il a réussi à nous retrouver en peu de temps. Il se prit également à admirer son adversaire et n’eût été la gravité de la situation et l’enjeu pour l’Empire, il en aurait tiré un certain plaisir. La situation s’était inversée, les impériaux avaient repris l’avantage. L’admiration était partagée du côté de Corvin, qui, lui, prenait un plaisir intense à cette traque. Il avait le temps, dans les limites de la patience de l’Empereur, et les moyens technologiques de prolonger ce jeu encore un peu. Il allait bientôt faire nuit, mais les squirs étaient habitués à des conditions beaucoup plus dures que de dormir à l’extérieur dans une zone tempérée. De toute façon, les champs Horlzson les isolaient de tout. Chacun d’eux avala donc une tablette énergétique et s’allongea tranquillement sur le sol, attendant de nouvelles instructions. Celles-ci ne tardèrent pas, car Corvin ne comptait pas attendre tranquillement que ses adversaires se dévoilent. Il s’était attendu à ce que la base ennemie se soit mise en situation de défense, mais au moins il savait maintenant où elle se trouvait. Il savait qu’il lui était impossible de la prendre d’assaut sans alerter les autorités locales et rompre la charte des Al-Heoxyrians, mais de toute façon, cette station, n’était pas sa cible prioritaire. Il en avait la confirmation : l’héritier Verakin était dans un véhicule terrestre entre Tarragone et cette base. Il demanda donc à l’IA de son navire d’afficher tous les itinéraires empruntant les routes secondaires depuis l’Espagne. Sans surprise l’une d’elles passait par Auch et Agen. Corvin envoya aussitôt deux glisseurs, avec quatre membres de son équipe, chargés de sonder tous les véhicules en mouvement dans cette zone. Il était près de 21h et les habitants seraient pour la plupart déjà rentrés chez eux et il n’y aurait donc qu’un faible nombre de véhicules à contrôler. C’est de cette manière et, malgré un changement de trajectoire de la part de Sarian que l’un des squirs finit par survoler deux véhicules n’émettant aucune émission cérébrale. Il alerta immédiatement Corvin, qui battit le rappel de son équipe. Les équipements de détection de la base de Sarian étant en veille, personne ne détecta le déplacement silencieux du glisseur qui survolait tranquillement l’Audi et la Mercedes à quatre cents mètres d’altitude. Sarian avait fait bifurquer les deux voitures vers le nord-ouest en direction de Condom afin de se diriger vers Bordeaux. Il avait modifié ses projets et escomptait que tout le monde embarque sur un navire marchand en direction de l’Amérique du Sud. Le plan était un peu désespéré, mais il n’en avait pas d’autres pour le moment. Corvin se fit ramasser par un glisseur qui redécolla aussitôt. Les rebelles ne pouvaient plus s’échapper : une centaine de drones étaient maintenant verrouillés sur eux. Les véhicules et chaque passager étaient identifiés par une signature énergétique, et même sans schémas cérébraux, la chaleur corporelle et les moteurs fournissaient suffisamment d’informations pour qu’il leur soit impossible de s’échapper. Le chef de squirs avait minutieusement choisi le lieu de l’embuscade. Le ciel était nuageux et la lune masquée : personne ne remarquerait l’intervention si elle était suffisamment rapide et bien exécutée. Le capitaine impérial décida d’intercepter les véhicules des fugitifs après le village de Saint-Lary, sur la départementale 930. Il y avait une longue ligne droite et deux de ses hommes pourraient facilement bloquer la route en amont et en aval afin d’éviter les interventions extérieures. Il y avait bien quelques fermes, le long de la départementale, mais elles étaient suffisamment éloignées pour que personne n’ait le temps d’intervenir. Tout était en place : un squir bloquait la route derrière les deux voitures et un autre était positionné au lieudit Labatisse. Un glisseur surveillait les routes secondaires et les deux autres appareils de combat suivaient les véhicules. L’un se posa en plein milieu de la route et le second descendit brutalement sur l’arrière pour ajuster sa vitesse à celle des voitures. Darin, aidé par sa vision nocturne que lui octroyaient ses Nanocrytes, aperçut immédiatement le glisseur barrant la route à cinquante mètres devant lui, mais il n’eut pas le temps d’alerter Narvin dans la Mercedes. Le second glisseur atterrit derrière eux, bloquant toute retraite. Les routes alentour étaient désertes et il n’y avait aucun autre véhicule sur la D930. La voix de Corvin raisonna, amplifiée par les équipements de son glisseur positionné à la verticale du véhicule de tête. - Ishar Verakin, dites à vos hommes de se rendre. Nous ne voulons pas vous tuer sinon vous seriez déjà mort. Si vous vous rendez, vos compagnons seront bien traités. Nous avons trois glisseurs de combat et un vaisseau en orbite, disrupteurs verrouillés sur vos véhicules, vous n’avez aucune chance de vous échapper. - Sarian, qu’est-ce qu’on fait ? demanda Paul, curieusement très calme, malgré la situation. - À toi de décider, nous sommes prêts à mourir. Si tu es fait prisonnier, ton sort dépendra du bon vouloir de l’Empereur Seravon et nous serons certainement exécutés. Quant à tes amis, je n’en sais rien, cela dépend de cet impérial dit-il en montrant, d’un signe de tête, le glisseur devant eux. - On pourrait activer nos champs de protection et passer en mode furtif, ils perdraient notre trace ? proposa l’adolescent. - Si nous disparaissons de leurs senseurs, le glisseur ouvrira le feu et nos champs Horlzson seront saturés immédiatement. Nous n’avons aucune chance d’en réchapper ainsi. Répondit Darin. - Je vais donc appliquer une maxime locale : tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Je trouve stupide de se sacrifier dans un baroud inutile. Sortons très doucement. Commanda l’adolescent en ouvrant doucement la portière de l’Audi. Tous les neuf sortirent très lentement des véhicules afin de ne pas risquer de méprise, mais les hommes de Corvin étaient tous des professionnels et il n’y eut aucune bavure. Le glisseur de Corvin s’était posé non loin des voitures et les squirs convergèrent vers le groupe. Sarian et ses hommes entouraient Paul afin de tenter encore de le protéger même s’ils savaient que, devant trois glisseurs de combat, leur geste était purement symbolique. Déposez vos armes, déconnectez vos champs Horlzson et enlevez vos résilles Kries, ordonna le capitaine squir. - Obéissons. Fit Paul aux ildarans. - Ils ont bien des psykans avec eux s’ils nous demandent d’enlever nos résilles. Intervint Oria, qui s’était rapprochée de Paul. Prépare-toi, car ils vont certainement tenter de prendre le contrôle de ton esprit. Lui chuchota-t-elle. Tout le groupe s’exécuta et les adolescents, Paul excepté, s’écroulèrent immédiatement. Devant la mine décomposée du garçon, Corvin intervint pour éviter tout malentendu qui aurait pu compliquer la situation : - Ils dorment, ne vous inquiétez pas nous les relâcherons plus tard, après avoir effacé de leurs mémoires les souvenirs de cette aventure. Paul ressentit une violente douleur lorsqu’un psykan tenta de s’immiscer dans son esprit tandis qu'Oria hurlait, car deux squirs venaient simultanément d’essayer de forcer ses défenses. La jeune femme s’écroula et se tordit de douleur. Paul avait le cerveau en feu lorsqu’il eut soudain l’impression de se dédoubler. Ses perceptions étaient brouillées par l’attaque mentale du psykan. C’était réellement la première fois qu’il subissait une agression de cette nature et n’y était pas complètement préparé. Il eut l’impression que son esprit avait quitté son corps et ne ressentait presque plus le poids ou la gêne de son enveloppe physique. Il était en quelque sorte désincarné, mais la douleur de la décharge psychique était bien réelle. Il appréhendait son environnement comme s’il était dans un nuage déformant la lumière à travers des prismes chromatiques et percevait, sans être acteur, le combat qui se livrait dans son esprit ainsi que la détresse de l'Ildarane. Inconsciemment, son cerveau puisa la force de contrer les effluves mentales du Squir et il libéra sans contrôle sa rage contre leurs assaillants. [NON !] [LAISSEZ-LA !] Il avait déchaîné sa puissance psychique, sans retenue, et deux squirs vacillèrent, les neurones court-circuités. L’un d’entre eux se crispa sur la détente de son pulseur et un rayon à distorsion moléculaire balaya le terrain devant lui, traversant l’espace où se trouvait le groupe de Paul. Celui-ci n’eut pas le loisir de vérifier si quelqu’un avait été atteint, car la pression mentale sur son esprit s’intensifia. Corvin avait réagi immédiatement pour épauler le psykan qui tentait de prendre Paul sous sa domination et qui, avec le choc en retour, commençait également à céder. Paul perçu la puissance du nouveau squir et prit la mesure des capacités de ses ennemis en sentant ses défenses mentales faiblir, mais au fur et mesure que Corvin renforçait son attaque, Paul puisait dans les ressources de ses glandes psykanes, génétiquement implantées dans sa lignée depuis trente mille ans. Cinq squirs contrôlaient Vira, Sarian, Irias, Narvin et Darin et le second de Corvin maîtrisait maintenant Oria, mais Corvin comprit qu’il ne réussirait pas à vaincre Paul dans un combat mental, l’effet de surprise passé. Son bouclier psychique commençait à se fissurer et un autre de ses hommes venait de s’écrouler, probablement mort, lui aussi. Le psykan sortit alors un pulseur à aiguilles de sa veste de combat et mit en joue l’héritier Verakin. Tant pis pour les ordres de l’Empereur, s’il ne pouvait pas le capturer vivant, il devait mourir. Il appuya sur la détente et vingt fléchettes de corodrium furent expulsées de l’arme, à 1800m/s, en direction du garçon qui n’avait aucune chance d’esquiver la rafale. Et soudain tout fut terminé. * Chapitre 24 Tout le groupe d’Ishar Verakin avait disparu, laissant Corvin et ses hommes survivants, totalement médusés. - IA, où sont-ils ? Comment ont-ils pu transiter sans générateur Randarion ? tempêta Corvin en regardant dans tous les sens. - Il n’y a aucune trace de saut ni anomalie gravitationnelle locale. Je n’ai aucune explication à leur disparition. Il y a eu, vraisemblablement, usage d’une technologie non détectable par mes senseurs. - Mais c’est impossible ! Où sont-ils passés ? Le squir était à la fois furieux et effrayé, car il ne comprenait pas comment neuf personnes, dont huit inconscientes ou sous contrôle mental, avaient pu disparaître simultanément sans utiliser leurs générateurs de trous de vers. Il ordonna à l’IA de son vaisseau de revérifier les senseurs surveillant la zone, mais aucun des détecteurs des drones, des glisseurs ou du vaisseau en orbite, n’avaient identifié de signature de saut quantique. Corvin dut se résoudre à accepter que les fugitifs n’aient pas pu s’échapper par ce moyen. Mais où étaient-ils passés ? - Niir rappelle nos hommes qui bloquent la route. Qu’ils transitent directement à bord, ordonna-t-il. Les sept survivants du groupe de Squirs étaient désemparés pour la première fois de leur existence. Un évènement totalement incompréhensible venait de se produire et leurs capacités mentales avaient été mises en échec par un adolescent encore en formation aux techniques psykanes ! Corvin s’acharna encore à rechercher une trace mentale de l’esprit de sa cible. En vain, Ishar Verakin semblait s’être évaporé. Au bout d’une heure de recherche et d’indécision, le chef des squirs ordonna à son équipe de retourner à bord du vaisseau en orbite. Les corps des trois commandos tués furent embarqués à bord de l’un des glisseurs de combat qui décolla immédiatement, piloté à distance par l’IA du Squirs Prime. Le reste de l’équipe se répartit à bord des deux autres glisseurs qui suivirent le premier appareil. Ils appontèrent dans le hangar arrière de l’aviso et Corvin laissa ses hommes retourner à leur cabine pendant qu’il se rendait au centre du contrôle du vaisseau pour faire son rapport. Celui-ci partirait dans l’heure par sonde messagère et il était probable que l’Empereur envoie une autre unité pour enquêter sur cette affaire. À sa décharge, le psykan pouvait compter sur les enregistrements de toute la scène par les drones d’observation et les deux IA pour justifier son échec, mais il craignait néanmoins que cela ne suffise pas à calmer la colère de l’empereur. Il n’y avait aucune explication rationnelle à la disparition du groupe fidèle aux Verakin. Était-il possible qu’ils aient développé une nouvelle technologie de déplacement ? Dans ce cas, pourquoi avoir attendu si longtemps pour l’utiliser ? Après avoir expédié la sonde en mode autonome depuis le Squirs Prime, Corvin alla se reposer dans sa cabine sachant que la réponse de l’Empereur mettrait au moins deux cents heures locales à revenir. * Chapitre 25 Paul n’eut pas l’impression d’avoir perdu conscience, mais il ne ressentait plus rien. Un moment il se crut mort, ayant encore le souvenir d’un pulseur à aiguilles pointé sur lui alors qu’il se débattait face à un puissant psykan. Suis-je mort ? pensa-t-il. Non, si j’étais mort je ne penserais plus. Mais où suis-je ? Je ne ressens rien. - [Non, jeune Ishar, tu n’es pas mort.] - [Qui êtes-vous ? Où suis-je, où sont mes amis ?] - [Cela fait beaucoup de questions, jeune Verakin] répondit la voix très posément. [Tu es … ici.]. Il y eut un blanc qui parut interminable et la voix reprit. [Là où nous sommes, la notion de lieu n’a pas beaucoup de sens, mais vous n’avez pas été déplacé si cela peut répondre à ta question.] - [Alors que nous est-il arrivé ?] - [Bien. Tu apprends vite. Vous êtes dans un autre plan de la réalité que certains scientifiques de ta planète appellent une autre brane] - [Je ne comprends pas. Je ne vois rien, ne ressens rien.] - [Ce n’est pas très important, ici les radiations que tu appelles lumière ou les vibrations qui transmettent les sons n’ont pas cours. L’essentiel est que tu sois hors d’atteinte de ceux qui voulaient la destruction de ton essence vitale.] - [Vous m’avez sauvé la vie !] - [En effet, ton rôle dans ce plan de l’existence n’est pas terminé et je ne pouvais pas permettre que tu sois annihilé.] - [Qui êtes-vous ?] - [… Un émissaire.] - [De qui ?] - [De ceux que vous appelez les al-heoxyrians.] - [Vous avez utilisé le terme ceux, cela signifie-t-il qu'ils sont plusieurs ?] - [Je ne possède pas cette information. Je ne suis qu’un émissaire. J'ai simplement fait référence à votre terminologie.] - [Pourquoi m’avoir sauvé la vie ?] - [Le fait que tu poses cette question après ce qui vient de t’arriver prouve déjà tes aptitudes. Mais pour répondre à ta question, cette galaxie a besoin de toi. Elle est menacée et le plan d’existence sur lequel tu vis, est en grand danger. L’Empire d’Ildaran est la seule unité politique et militaire capable d’y faire face, mais l’Empereur actuel est corrompu par des ennemis insidieux qui veulent la perte de cette région de l’univers dans toutes les branes.] - [Je ne comprends pas.] - [Ce n’est pas important. Tu dois reprendre le trône de l’Empire et combattre le danger qui arrive.] - [Quel est ce danger ? D’où vient-il ?] - [Je ne suis qu’un émissaire chargé de te délivrer un message, je n’ai pas de réponse à ces questions.] - [Qu’êtes-vous ?] - […Un concept entité émissaire. C’est l’explication la plus proche de ma nature que tu puisses appréhender. Je ne suis pas important. L’essentiel est que tu te rendes sur Polona. Puis tu devras reprendre le trône d’Ildaran.] - [C’est quoi, Polona ? Un pays ? Une planète ?] - [Tu le découvriras très bientôt, mais maintenant tu dois retourner sur ta brane avec tes amis, car tu ne peux pas survivre longtemps ici. Je vais vous déplacer à l’intérieur de ce que ton ami Sarian appelle sa base. Souviens-toi : tu dois reprendre le trône, cela passe par Polona et l’avenir de cette galaxie dépend de toi. Dernière chose : quand tu seras de retour dans ton plan d’existence, tu tiendras un bandeau à la main. Tu dois le mettre sur ta tête, c’est très important jeune Verakin.] - [Que signifie ce bandeau ? Je dois le porter combien de temps ?] - [Il ne représente rien. Pose-le simplement sur ta tête. C’est très important : tu dois le porter dès que tu seras de retour, ton avenir en dépend. Bonne chance jeune Verakin.] - [Échangerons-nous de nouveau ?] - [Je ne pense pas, je suis un concept entité éphémère et ma mission est maintenant achevée]. * Paul se retrouva soudain dans une salle inconnue de couleur blanche. Il semblait allongé à même le sol, mais il ne percevait pas clairement son environnement. Un homme se pencha sur son visage et sembla lui parler, mais aucun son ne sortait de sa bouche. À moins que je ne sois devenu sourd ? pensa l'adolescent brièvement. Mais avant que sa crainte ne se transforme en panique, son ouïe revint progressivement et il perçut quelques mots : blessé… Trop touché... altesse… Rien d’apparent … caisson médical … urgent. Paul n’avait aucune idée de l’endroit où il se trouvait et ses pensées étaient encore confuses, comme s’il venait d’émerger d’une anesthésie générale. Ses facultés de récupération étaient cependant à l’œuvre et il commençait à sortir de sa léthargie. Impossible, cependant, de bouger la moindre partie de son corps, mais il entendait maintenant plus distinctement. - Votre Altesse, je suis Xionnes. Que vous est-il arrivé ? demanda l’homme penché sur lui. Dans un effort surhumain, Paul parvint à cligner des yeux. - Rassurez-vous, vous n’êtes pas blessé reprit l’homme, alors que Paul commençait à ressentir une fulgurante douleur dans les membres. Il eut l’impression que son corps avait été privé de circulation sanguine et que celle-ci venait brusquement de se réactiver. Un fourmillement intense le traversa, mais ses Nanocrytes médicales neutralisèrent la douleur instantanément. - Ou suis-je ? parvint-il à bredouiller. Mes amis, sont-ils saufs ? - Vous êtes en sécurité dans notre base en Dordogne, tout votre groupe est arrivé en même temps que vous. Esquiva l’homme en détournant le regard, l’air gêné par la question. - C’est encore brouillé dans ma tête. Auriez-vous quelque chose à boire, je me sens un peu faible. Parvint à articuler Paul, un peu rassuré par les paroles de Xionnes. - Tenez Votre Altesse, émit l'homme en lui tendant une sorte de biberon qui n’avait rien d’un objet pour enfant. Buvez, c’est un reconstituant qui va vous permettre de récupérer plus rapidement, ajouta-t-il. Paul aspira l’épais liquide qui ressemblait à du lait concentré sucré et, en à peine quelques secondes, il se sentit plus assuré. Il prit conscience que sa main droite tenait un objet, dont il n’avait pas le souvenir. Il découvrit une sorte bandeau, fabriqué dans une étrange matière comparable à du métal élastique. La sensation était curieuse au toucher : c’était froid, cela ressemblait à du mercure, mais caoutchouteux. Il n’avait jamais rien vu de semblable et, en le manipulant, il discerna, à l’intérieur, six minuscules pierres qui brillaient comme des diamants. Elles étaient réparties, à intervalles réguliers, sur la circonférence. C’était la première fois que Paul voyait un bijou avec des pierres précieuses à l’intérieur plutôt qu’à l’extérieur. Il était encore dans un état second, mais les mots résonnaient dans sa tête : tu dois mettre ce bandeau. Presque mécaniquement, sans trop y réfléchir, Paul ceignit l’étrange serre-tête. Celui-ci s’ajusta immédiatement à son front et il ressentit de petites piqûres, tout autour du crâne. Par réflexe, il porta sa main droite à sa tempe, mais le bandeau avait disparu. Xionnes, qui s’était éloigné de quelques pas, revint vers lui et fronça les sourcils. Vous saignez Votre Altesse, s’exclama-t-il. - Je ne sais pas, répondit béatement l’adolescent qui commençait à recouvrer l’usage de ses membres inférieurs et essayait de se redresser. Il chercha des yeux ses amis, mais ne vit qu’un balai d’individu s’affairer autour de plusieurs silhouettes allongées au sol. Du sang ! s’alarma-t-il en observant le groupe plus attentivement. Y a-t-il des blessés ? S’enquit-il, soudain angoissé à l’idée que quelque chose soit arrivé à ses amis et à Stéphanie en particulier. - Oui. Avoua Xionnes à regret. L’un de vos amis a été atteint sérieusement par un disrupteur, de même que Narvin. Oria est blessée au bras et Vira à la jambe. Les autres sont indemnes. Paul eut l’impression d’avoir été frappé par un coup de poing dans l’estomac. Stéphanie ! s’exclama-t-il, en tentant de se relever pour s’approcher du groupe, mais il était encore trop faible et, sans l’aide de Xionnes il se serait étalé sur le sol. - Rassurez-vous, votre amie n’a rien, répliqua Xionnes en l’accompagnant pour se rasseoir. - Alex et Narvin sont gravement touchés ? demanda l’adolescent peu rassuré par les paroles de l’ildaran. - Oui, je suis désolé - Mais ils vont guérir ? interrogea Paul, pourtant presque assuré de la réponse du fait de l’attitude embarrassée de son interlocuteur. - Le rayon du disrupteur l’a atteint à la tête et à l’épaule droite, nous n’avons rien pu faire. Se résigna à avouer l’homme. - Non. Pas lui. Hurla Paul en prenant sa tête dans ses mains. Il revit en accéléré les bons moments passés avec son meilleur ami : leur rencontre, leur complicité, les vacances, une chute de ski, les révisions scolaires, les soirées … Il ne pouvait pas accepter qu'il ait été tué. Mais vous devez pouvoir le sauver avec toute votre technologie ? implora-t-il. - S’il avait été atteint ailleurs qu’à la tête ou au cœur, nous aurions peut-être pu. Mais là, c’est impossible. Je suis désolé, Votre Altesse, nous ne pouvons plus rien faire pour lui. Xionnes détourna la tête pour ne pas affronter le regard désespéré de son empereur légitime. Après la douleur profonde vint aussitôt la rancœur. C’était la faute de ces ildarans. S’ils ne l’avaient pas entraîné dans cette histoire, Alex serait encore en vie. Il en voulait à Sarian, à Darin, et même à Oria. S’ils ne s’étaient pas mêlés de ses affaires, les impériaux l’auraient peut-être capturé, mais Alex ne serait pas mort. Il jeta d’une voix déformée par la colère. - Je veux le voir ! sous l’effort, il réussit à se mettre debout. - Appuyez-vous sur moi, Votre Altesse, bredouilla Xionnes avec une gêne indescriptible. Paul, aidé par l’ildaran parvint à s’approcher du centre de la grande pièce. Son premier regard fut pour Stéphanie, mais la jeune fille semblait bien portante. Un appareil inconnu était enroulé autour de son bras droit, mais rien n’indiquait un quelconque problème. Le spectacle sur sa droite était autrement plus effrayant et cela lui souleva le cœur. Vira avait été atteint par le rayon sur le côté droit et la moitié de sa jambe avait disparu ! Il ne semblait pourtant pas souffrir et tentait même de parler avec Darin. Le regard de Paul se fixa ensuite sur Oria. La jeune ildarane avait perdu sa main gauche, mais, elle non plus, ne semblait pas souffrir et Paul songea immédiatement à leurs Nanocrytes militaires qui détournaient les signaux nerveux de la douleur. Les corps d’Alex et de Narvin avaient été tirés un peu à l’écart et recouverts d’un grand tissu blanc. - Puis-je voir mon ami ? s'enquit Paul auprès de Sarian, qui s’était approché de lui. - Attends-toi à un spectacle peu réjouissant, jeune Ishar Sarian avait utilisé le véritable nom de Paul ? Peut-être pour lui faire prendre conscience de la dure réalité de sa nouvelle vie ? Le garçon ne connut jamais la réponse, car l’ildaran souleva le tissu sans un mot. La vision était cliniquement étrange : la partie supérieure du corps d’Alex avait tout simplement été effacée : proprement, comme gommée. Le rayon semblait avoir cautérisé la plaie et il n'y avait finalement que très peu de sang. L'adolescent eut néanmoins un haut-le-cœur en prenant conscience de la dangerosité des armes ildaranes. - Transportez les jeunes filles dans des chambres. Il n'est pas utile qu’elles restent par terre, les sondes médicales n’indiquent aucun traumatisme. Ordonna Sarian en se retournant vers ses hommes. Nous n’avons rien pu faire pour le sauver. Sa blessure était fatale, mais il n’a pas souffert. Ajouta Sarian à l’attention de Paul. - Et Narvin ? - Coupé en deux, le cœur a été atteint. Il est mort sur le coup. - Comment ? lâcha Paul d’une voix sourde. - Nous étions tous inconscients et j’ignore totalement ce qui s’est passé. Mais comme Vira et Oria sont également touchés et qu’ils étaient à côté d’Alex et Narvin, je suppose qu’un des Squirs a ouvert le feu et balayé sans maîtriser son arme. Par contre, nous ignorons comment nous avons atterri ici. - C’est votre faute ! rétorqua Paul en essayant de frapper Sarian au torse. - Non Paul. C’est le destin. Nous avons tout fait pour vous protéger, mais nos adversaires sont prêts à tout pour te voir disparaître. Répliqua l’homme en attrapant les mains du garçon. - Ressaisis-toi, Paul ! Ton ami est mort, de même que Narvin en essayant de te protéger. Le combat ne fait que commencer. Tu dois te comporter en Empereur ! Il est temps de prendre conscience de tes responsabilités. Jeta violemment Oria, qui s’était approchée et tenait son bras gauche avec sa main droite. - Mais c’est injuste. Je n’ai rien demandé. Ni Alex. Revendiqua le garçon, en colère contre la jeune femme qui l’obligeait à affronter la dure réalité. - Tu ES un Verakin ! cria-t-elle. Tu n’es pas un humain comme les autres. Tu dois assumer ton héritage et malheureusement la violence en fait partie. Narvin était mon ami, mais il est mort au combat comme il l’avait choisi en te protégeant ! Tu dois respecter sa mémoire et l'honorer en assumant ton destin. La jeune femme d’ordinaire calme était transfigurée. Elle reprochait à Paul de s’apitoyer sur son sort. L’adolescent était en état de choc. Il ne contrôlait plus sa rage et cherchait un bouc émissaire. Sa colère, sans coupable sur qui la reporter, ne faisait que s’amplifier. Inconsciemment, il savait que Sarian et son groupe n’étaient pas directement responsables de la mort d’Alex. Soudain, il revit la scène, comme dans un mauvais ralenti de série B. Le combat mental contre les squirs et l’un deux qui vacille en ouvrant le feu avant de s’effondre au sol. Je suis responsable ! C’est moi qui les ai tués en combattant ces psykans ! Après la rage, les remords. Il serra les poings et libéra son esprit. - Paul ! Arrête ! hurla l'ildaran en mettant sa tête dans ses mains. Contrôle-toi ! Ce furent les seules paroles de la jeune femme qui s’effondra au sol. - Oria ! cria-t-il en se précipitant vers elle. Un homme, que Paul crut reconnaître comme l’ancien ami de ses parents, posa un appareil sur le front de la jeune femme et se retourna vers lui. - Elle est juste évanouie, mais il grand temps que tu apprennes à maîtriser des talents de psykan si tu ne veux pas tuer quelqu’un par accident. - Jean-Pierre ! s’exclama l’adolescent. - Mon véritable nom est Numarion. Ravi de te revoir jeune Verakin même si j’aurais préféré que ce fût dans d’autres circonstances. Reprends-toi. Oria a raison, nous sommes en guerre et la perte de ton ami ne sera malheureusement pas la dernière. - Vient Paul, allons-nous asseoir. Proposa Sarian en attrapant le bras du garçon. De quoi te souviens-tu ? L’adolescent se laissa entraîner dans une pièce adjacente. Un miroir tapissait le mur du fond et il s’en approcha pour découvrir une petite trace de sang sur son front. En observant plus attentivement, il découvrit une petite pierre brillante incrustée dans sa peau. En tournant la tête, il en découvrit deux autres, une sur chaque tempe. Il passa sa main dans ses cheveux et sentit la présence de trois autres pierres à l’arrière de sa tête. Les six pierres du bandeau s’étaient fixées dans son crâne. Comment vais-je enlever ça, maintenant ? pensa-t-il. * Chapitre 26 Paul hésitait à raconter son expérience tant elle lui paraissait incroyable, mais les gemmes incrustées dans son crâne allaient peut-être l’aider à les convaincre. Après tout, le concept entité émissaire ne lui avait pas demandé de garder leur conversation secrète. Il commença donc à décrire sa rencontre avec l’émissaire des Al-Heoxyrians. - Si je comprends bien, tu dis que cet émissaire nous a transportés dans une autre brane ? Tu y comprends quelque chose, Xionnes ? demanda Sarian à celui qui était considéré comme le plus scientifique du groupe. - D’après ce que j’en sais, cette notion de brane provient de la théorie des cordes et des multivers qui voudrait que notre univers fasse partie d’un ensemble de dix dimensions contenant tous les univers. - Moi, je n’y comprends rien, intervint Darin. - Essaie de raisonner comme si tu étais un acarien sur un fil. Pour toi, le fil ne possède qu’une dimension : sa longueur, car tu ne perçois pas l’épaisseur. Mais pour un acarien microscopique, la largeur et l’épaisseur du fil sont perceptibles. Il peut se déplacer dans la largeur du fil. La théorie des cordes décrit que notre univers contient en réalité dix dimensions alors que nous n’en percevons que quatre : longueur, largeur, profondeur et temps. Une onzième dimension est censée contenir tous les univers. Je crois que le propulseur Randarion utilise une de ces dimensions pour effectuer un déplacement instantané en repliant la structure de notre espace conventionnel à l’intérieur du champ de déplacement. Je connaissais donc l’existence de ces dimensions supplémentaires, mais j’ignorais que l’on pouvait y séjourner. En théorie, les lois de la physique y sont différentes et nous ne pourrions pas y vivre. Cet émissaire a certainement créé une structure de confinement pour vous permettre d’y résider temporairement. Compléta l'homme. - S’il a utilisé un mode de déplacement quantique, comment se fait-il que nous ne l’ayons pas détecté ? s'informa Pallaron. - Il est possible qu’ils utilisent un autre moyen pour replier l’espace, peut-être une fréquence différente. Imaginons que tu possèdes un scanner capable de capter une fréquence fixe, cela ne te permettrait pas de détecter une émission sur une autre fréquence. Si c’est vérifié, cela devrait nous permettre d’améliorer le fonctionnement des propulseurs Randarion et démontrerait que nous avons encore d’énormes progrès technologiques à faire. Exprima Xionnes, dubitatif. - Et ces pierres. Tu n’as aucune idée de leur nature ? demanda Darin, qui fixait le front de Paul avec curiosité. - Non. À la fin de l’échange, l’émissaire m’a dit que je devais me rendre sur Polona, sans plus de précision, et que je devais porter un bandeau. Je l’ai mis sur ma tête et ces pierres se sont incrustées dans mon crâne puis le bandeau a disparu. Répondit le garçon. - IA, connais-tu un système ou une planète appelée Polona ? se renseigna Sarian. - À ma connaissance, il n’y a aucune référence à Polona dans l’espace connu de l’Empire. Si c’est une planète, elle n’est pas répertoriée. Répondit l’unité pensante. - Cela ne va pas nous simplifier la tâche si personne ne sait à quoi correspond le nom de Polona. En attendant, je souhaiterais que Paul fasse un bilan complet dans le caisson médical, car ces pierres m’inquiètent. Je ne pense pas que cet émissaire soit malveillant, mais savoir que tu portes ces artefacts ne me rassure pas. Exigea Sarian. - Les deux caissons sont occupés par Oria et Vira et ne seront pas disponibles avant plusieurs heures. Nous verrons ça demain matin. Ces pierres ne semblent pas menacer Paul dans l’immédiat. Intervint calmement Darin afin de tempérer l’inquiétude affichée de son chef. - OK, tu as raison, je suis un peu à cran. Cette intervention des Al-Heoxyrians m’a secoué, je l’avoue. Je ne crains pas grand-chose, mais ces entités me fichent la trouille. Elles ont quand même annihilé un système solaire entier. Se justifia l’ildaran. - Je détecte de nouveau le signal fantôme, intervint l’IA. - Origine ? s’enquit aussitôt le responsable de la base. - À l’intérieur de la base, mais je ne parviens pas à le localiser plus précisément. - De toute façon, rien ne doit passer avec le champ de neutralisation holocom ? intervint Darin. - Oui, c’est d’autant plus surprenant qu’il y ait eu cette émission, car tout le monde sait que nous sommes en alerte /défense maximum/ rétorqua l’unité cybernétique. - C’est peut-être un relais automatique ? suggéra Pallaron. - Comment serait-il arrivé jusqu’ici ? fit Xionnes en écarquillant les yeux. - Continue de chercher, l’essentiel est qu’il ne puisse pas communiquer, mais il faut le trouver avant que nous ne rouvrions le bouclier com. ordonna Sarian. Qu'a dit de plus cet émissaire ? reprit l’homme en s’adressant à Paul. - J'ai tout dépeint. Je n’ai pas compris grand-chose, mais il a été peu disert. Répondit l’adolescent. - En tout cas, c’est bien la première fois que j’entends parler d’une intervention des Al-Heoxyrians depuis la destruction du système de Brasky. Lâcha Darin, réellement impressionné. - Et bien, j’aurais souhaité qu’il sauve Alex. Narvin également, bien sûr. Fit Paul, toujours amer. Comment vont Oria et Vira ? Sarian lui expliqua qu’ils étaient tous les deux dans des caissons médicaux qui allaient accélérer la régénération cellulaire des parties blessées. Sous une douzaine d’heures, la main d’Oria aurait repoussé et la jambe de Vira serait parfaitement fonctionnelle sous vingt-quatre heures. Paul prendrait la place d’Oria dès que possible pour que les Nanocrytes médicales étudient les pierres incrustées autour de sa tête. Il allait falloir également gérer la mort d’Alex. Narvin avait été dissocié, comme le voulait la tradition ildarane, mais Paul ne se résolvait pas à autoriser la dissociation moléculaire de son ami. Il pensait aux parents et à la petite sœur du garçon. Ne jamais savoir ce qu’il était devenu serait un supplice qu’il se refusait à leur imposer. - Nous ne pouvons pas leur ramener le corps. Ses blessures ne correspondent à aucune arme connue sur cette planète. Argumenta Sarian. - Je ne peux pas laisser ses parents dans l’incertitude. Ils ont le droit de faire leur deuil. C’est une coutume chez nous. Contra Paul, d’un ton sec. - Nous pourrions simuler un accident dans lequel un véhicule serait détruit et brûlé ? proposa Darin. - Sans les impériaux en orbite qui n’attendent qu’un mouvement de notre part pour nous tomber dessus ce serait faisable, mais là, c’est courir un risque que nous ne pouvons pas prendre. Objecta Sarian. - Et bien, il faut trouver une solution, car je me refuse de laisser ses parents dans l’ignorance. Soutint Paul sur un ton ferme qui ne laissait pas d’ouverture à un changement d’avis. Comme il n’y avait pas d’urgence absolue, Alex avait été mis en stase. Sarian proposa que tout le monde aille se reposer, il serait temps de faire le point le lendemain matin. Cela laisserait le temps à Oria de récupérer et de réfléchir à une nouvelle stratégie. Paul se laissa convaincre, car il était encore faible après cette expérience. Xionnes n’avait trouvé aucune explication rationnelle à leur fatigue anormale, il avait juste émis l’hypothèse que le séjour dans une autre brane, ou le transfert, devaient affecter l’organisme bien plus qu’une transition quantique. Peut-être que le champ de confinement n’était pas totalement imperméable ? Paul se retrouva dans la chambre de Vira, ce dernier était dans un caisson médical, il n’en aurait pas besoin avant vingt-quatre heures. Darin lui avait expliqué qu’elles étaient toutes conçues sur le même modèle, mais que chacun avait agrémenté l’espace avec quelques objets personnels. Apparemment, Vira semblait passionné par la faune africaine, car il y avait de nombreuses représentations d’animaux en bois et en pierre de savon. Quelques photos ornaient les murs et Paul reconnut l’ildaran sur l’une d’elles, qui devait avoir été prise en Afrique, dans une réserve animalière. Il aurait participé à un safari photo ? Découvrir cette facette de sa personnalité le surprit. En y réfléchissant, ils sont ici depuis dix-sept ans. Ils n’allaient pas rester enfermés tout ce temps. Quelles autres activités ont-ils bien pu faire ? songea l’adolescent. Il n’eut pas le loisir de s’interroger davantage : la fatigue le terrassa et il sombra dans un sommeil peuplé de rêves étranges. [Cette galaxie dans tous les plans d’existence est en grand danger…] … * La nuit fut calme en Dordogne, l’IA de la base surveillait les alentours à plus de cinquante kilomètres à la ronde avec des détecteurs passifs et avait enclenché le champ de neutralisation quantique. Celui-ci interdisait toute intrusion par trou de vers. Le champ Horlzson n’était pas activé afin d’éviter une dépense d’énergie inutile, mais de toute façon les impériaux ne pouvaient pas les prendre par surprise et, en cas d’attaque, il serait toujours temps d’isoler hermétiquement la grotte. Au petit matin, Paul se réveilla en sursaut, l’esprit encore encombré de rêves effrayants. Il n’en avait pas de souvenirs précis, mais il ressentait une angoisse diffuse qui le mettait mal à l’aise. L’adolescent avait totalement récupéré physiquement et se souvint instantanément où il se trouvait. Il se leva et chercha des yeux quelque chose qui pourrait ressembler à une salle de bain. Il entrouvrit une porte attenante à la chambre et découvrit une petite pièce comportant un lavabo et une cabine transparente. Un peu désappointé par la disposition de la cabine, il chercha vainement un robinet, mais ne trouva qu’une sorte d’interrupteur. Ne voulant pas prendre le risque d’une fausse manipulation, il se rabattit sur le lavabo. L’usage était simple, car, lorsqu’il approcha une main du bec-de-canard qui émergeait de la vasque, de l’eau jaillit automatiquement. Sans hésiter, il s’aspergea le visage. Pas de serviettes, mais comment font-ils ? pensa-t-il. Il enfila rapidement ses habits et sortit de la petite chambre. Il se souvenait du chemin pour rejoindre la salle principale et s’y dirigea sans hésitation. Le groupe d’Ildarans était déjà réuni et Paul fut soulagé de retrouver Oria, apparemment en forme. Son regard glissa machinalement vers la main gauche de la jeune femme, mais il n’y avait plus aucune trace de l’horrible blessure. Sa nouvelle main paraissait juste un peu plus pâle que l’autre, mais il fallait vraiment l’observer avec insistance pour s’apercevoir de la différence. - Ah, Paul. Comment vas-tu ce matin ? s’enquit-elle. - C’est à toi que l’on doit poser la question, répondit l’adolescent en désignant, du menton, le bras de l’ildarane. - Le caisson médical a considérablement accéléré le travail de mes Nanocrytes. Sans cela j’aurais mis au moins trois mois pour recouvrer ma main. Sourit la jeune femme. - La peau de ta main gauche paraît plus claire. - C’est normal, c’est de la peau neuve, elle va retrouver une teinte plus normale dans quelques jours. - Et tu ne sens rien ? s’étonna Paul en haussant les sourcils. - Non, aucune différence, mais ce n’est pas la première fois que je subis une régénération cellulaire, tu sais. - Oh. Bien sûr à ton âge on a déjà vécu un tas d’expériences rétorqua l’adolescent, sur un ton légèrement sarcastique. Comment vont Stéphanie et Mélanie ? - Elles sont encore plongées dans une sorte de coma. D’après les analyses médicales, elles ne souffrent d’aucune affection, mais elles dorment. C’est préférable pour l’instant, car il va falloir leur annoncer la mort d'Alex et je crains le pire. Répondit Sarian, l’air embarrassé. Le rappel du décès de son ami provoqua une onde de tristesse chez Paul, rapidement suivi par l’angoisse de la solitude. Il me manque déjà. Je ne lui ai jamais dit à quel point je tenais à son amitié songea-t-il. Oria le fixa avec curiosité et avait légèrement relevé les sourcils, marque d’une forme d’étonnement et Paul afficha une mimique interrogative qu’elle balaya d’un petit revers de main signifiant : rien d’important. - Je crois que c’est à ton tour de passer par le caisson médical pour que les Nanocrytes analysent ces pierres. Je ne suis pas rassuré de les savoir incrustées dans ton épiderme. Fit Sarian, coupant court à toute demande d’explications. - Je t’avoue que moi non plus je ne suis pas tranquille d’avoir ça autour du crâne. Acquiesça le garçon en relevant légèrement les sourcils. Ils se rendirent donc tous les trois vers l’infirmerie. Sarian avait pris la tête du groupe et les emmenait dans une autre partie de la base qui ressemblait à un petit d’hôpital. L’ildaran les fit pénétrer dans une petite salle qui contenait deux caissons métalliques séparés d’environ trois mètres. Vu de l’extérieur ils ressemblaient à de banals gros cercueils gris sans aucune commande externe exceptée une plaque luminescente orangée. Sarian lui expliqua que la couleur orange signifiait que le caisson était actif en pleine phase de régénération cellulaire. Tout était automatique, piloté par une IA dédiée qui envoyait des centaines de millions de Nanocrytes organiques à l’intérieur de l’organisme pour pallier les déficiences et accélérer la production de cellules, etc. Paul songea que toute cette technologie n’avait pourtant pas pu sauver Alex… Oria lui expliqua qu’il suffisait de se déshabiller, de s’allonger à l’intérieur et de ne pas paniquer. L’IA se chargeait de tout. L’adolescent obéit docilement, se dévêtit après avoir demandé aux deux ildarans de se retourner et se glissa dans le caisson. L’intérieur était aussi dépouillé que l’extérieur. Paul s’était attendu à des mécanismes complexes et au lieu de cela il était entré dans un cercueil vide. - Allonge-toi et détend toi, le caisson va se refermer. N’aie pas peur, tu ne risques absolument rien. Précisa la jeune femme. - Je ne me sens pas souffrant et si cet émissaire voulait me nuire il lui suffisait de me laisser mourir criblé par les fléchettes de corodrium, répondit Paul, soudain un peu effrayé à l’idée d’être enfermé dans ce caisson hermétique. - Probable, mais je serais plus rassuré de savoir de quels matériaux sont faites ces pierres. Formula Sarian, qui était resté silencieux jusqu’ici. - Moi aussi je préfère que tu te soumettes à ces examens, ajouta l’ildarane d’un ton ferme. - OK, allons-y, je suis aussi curieux que vous en fait. Se résigna le garçon. - Ne t’inquiète pas. Lorsque le caisson sera refermé, un liquide va le remplir. Tu ne vas pas te noyer, il s’agit d’un liquide de régénération cellulaire composé de Nanocrytes médicales spécialisées qui vont pénétrer dans ton organisme et communiquer en temps réel avec l’IA. Elles ressortiront lorsque les analyses seront terminées. Tu as le droit à un check up complet. Plaisanta Sarian en plaquant sa main sur le caisson qui commença aussitôt à se refermer. Paul eut un petit pincement à l’estomac lorsque le couvercle se verrouilla avec un petit bruit de succion. Une lumière douce sourdait des parois sans que l’adolescent ne puisse en identifier la source. Un épais liquide commença à emplir la cuve et il se sentit flotter comme en apesanteur. Ce n’était pas gênant ni douloureux, mais cela laissait une impression d’étrangeté. La séance dura environ vingt minutes bien que l’adolescent ait un peu perdu la notion du temps puis le liquide commença à s’évacuer et le couvercle se rouvrit. - Alors ? Verdict ? Je suis bon pour le service ? plaisanta-t-il nerveusement. - L’IA n’a rien détecté d’anormal en dehors des pierres. Ton organisme est parfaitement sain, mais, le plus surprenant, c’est que tes Nanocrytes médicales n’aient pas tenté de rejeter les gemmes qui auraient dû être considérées comme des corps étrangers. L’IA indique qu’il s’agit d’une forme métastable de carbone organique sans azote, avec 0,1 % de bore. Une structure sans défaut qui laisse penser que ce sont des diamants artificiels. Leur couleur : bleu gris les rends extrêmement rares, sur cette planète. Commenta Sarian, l’air dubitatif. - Bizarre, quand même, que l’émissaire ait tant insisté pour me faire porter des diamants ordinaires ? réagit Paul - Je ne t’ai pas dit que je pensais que ce fut de simples diamants, même très rares. C’est l’analyse de l’IA qui indique qu’ils ont la structure atomique du diamant. Objecta l’homme. - En tous les cas, je me sens parfaitement bien. Peut-on les enlever ? s’enquit le garçon. - C’est le plus étrange. L’IA a essayé d’en ôter un, mais les microrayons tracteurs à gravité dirigée ne sont pas parvenus à le saisir. C’est comme si ces pierres n’avaient aucune masse atomique. Elle a ensuite tenté de l’extraire avec une micropince, mais sans succès non plus. L’IA n’a pas souhaité tenter une opération chirurgicale et je partage son avis. Compléta Sarian - Je suis condamné à garder ces trucs ? s’alarma l’adolescent. - Pour le moment oui, jusqu’à ce que nous trouvions une solution pour les extraire en toute sécurité. Néanmoins, l’IA n’a pas détecté de danger affirma Oria. - Donc, j’ai autour du crâne des pierres composées d'une matière identifiée comme du diamant, qui en ont la structure atomique, mais pas la masse. Un truc inconnu en somme. Résuma l’adolescent, légèrement désabusé par les conclusions du système médical ildaran. Sarian tenta d’expliquer à Paul les conclusions de l’unité médicale qui pensait que ces pierres ne suivaient pas les lois de la gravitation ou que les effets de leur masse atomique étaient déviés ailleurs : une sorte de pont quantique ouvert en permanence. L’unité intelligente semi-organique n’avait pas pu soumettre les gemmes à une étude plus poussée sans les bombarder de rayonnements trop nocifs pour un être vivant et tant qu’elles seraient incrustées dans son crâne, il serait impossible d’en apprendre plus. - Tu n’as pas faim ? demanda Oria pour changer la conversation. - Si, en effet. On déjeune quoi chez les ildarans ? répondit-il un peu vite, d’un ton bravache qui masquait mal son inquiétude sur ces artefacts inconnus. - Allons dans la salle à manger, tu verras. Souris Sarian. Le trajet inverse vers le lieu d’habitation de la base souterraine se fit dans un silence lourd de sous-entendus. Les trois humains étaient préoccupés par ces étranges pierres. * Chapitre 27 Les deux amies de Paul étaient encore consignées dans les chambres qui leur avaient été attribuées, mais l’IA venait d’avertir Sarian qu’elles étaient maintenant réveillées depuis plusieurs minutes. L’ildaran demanda à l’un de ses hommes d’aller leur proposer de venir se joindre à eux pour le petit-déjeuner. Ils avaient eu dix-sept années pour aménager la grotte et les pièces d’habitations étaient composées essentiellement d’éléments d’origines terriennes qui ne devraient pas dépayser les jeunes filles. Dès qu’elle aperçut Paul, Stéphanie se précipita dans ses bras, trop heureuse de le retrouver sain et sauf. - J’étais morte de peur lorsque je me suis réveillée seule dans cette chambre inconnue. Fit-elle, d’une voix presque hystérique. - Tu ne risques rien ici, rassure-toi. Lui certifia laconiquement l’adolescent. - Où est Alex ? Voulut savoir Mélanie, en les regardant. Je pensais qu’il était avec toi. Paul détourna les yeux, ne sachant comment lui annoncer la nouvelle. La jeune fille balaya la pièce du regard espérant y trouver son petit ami, mais les regards gênés l’alertèrent. - Où est-il, que lui est-il arrivé ? gémit-elle comme pour conjurer un mauvais sort. - Il a été touché par un tir lors de l’embuscade, avoua Paul du bout des lèvres. - Il est blessé ? À l’hôpital ? - Il est mort Mélanie, je suis désolé. Bredouilla l’adolescent, dévasté par le chagrin. - NON ! Ce n’est pas possible ! C’est ta faute. Sanglota-t-elle en se jetant sur lui et en martelant sa poitrine. Paul se laissa faire et entoura la jeune fille avec ses bras. Les pierres qui entouraient sa tête se mirent à briller et cela stoppa net la jeune fille qui recula vivement. - C’est quoi, ce truc ? s’exclama-t-elle simultanément avec Stéphanie. Les regards des deux adolescentes étaient fixés sur lui. Ses diamants perdirent leur luminosité et Stéphanie s’approcha de son amant avec précaution. Elle avança lentement la main jusqu’au front de Paul, mais se retint de toucher la petite pierre qui en ornait le centre. - Qu’est-ce que c’est, Paul ? murmura la jeune fille d’un ton presque plaintif. - Je n’en sais fichtre rien, ma puce. D’après les analyses, ce serait des diamants. Répondit le garçon d’un ton calme qui se voulait rassurant. Il leur expliqua comment les pierres s’étaient fixées en posant le bandeau. Naturellement, les jeunes filles voulurent en savoir plus et Paul dut, de nouveau, raconter son expérience. Sans trop de surprise, Mélanie était imperméable au récit et observait Paul d’un air compatissant, considérant qu’il était sous l'effet d'un choc psychologique. Stéphanie semblait plus réceptive, mais ne disait mot, car elle aussi doutait de cette histoire extraordinaire. - Où est le corps d’Alex ? demanda brutalement Mélanie, soudainement redevenue calme et déterminée. La question interrompit le récit de Paul au beau milieu d’une phrase. Le jeune homme observa attentivement l’adolescente et sembla discerner un traumatisme intérieur profond. En fin de compte, je me trompais peut-être, elle semble réellement affectée, pensa-t-il. Le garçon décrivit les blessures reçues par son ami et les conséquences irréversibles de celles-ci. Au fur et à mesure des explications, la jeune fille palissait. Appréhendant sa réaction, il ajouta que le corps d’Alex avait été incinéré afin d’éviter qu’elle ne demande à le voir. Aucun des ildarans n’était intervenu pendant les explications de l'adolescent, mais Oria l’avait observé avec un regard appuyé. Mélanie balaya des yeux le groupe rassemblé autour d’elle et Sarian craignit un instant une réaction désespérée et violente de la jeune fille. Celle-ci se contint néanmoins avec une maîtrise qui en surprit plus d’un. À l’inverse, Stéphanie était prête à défaillir et Paul dut la soutenir et l’aider à s’asseoir. Jusqu’ici, elle avait encaissé le choc, mais semblait maintenant subir le contrecoup. Oria s’approcha d’elle sans un mot et elles échangèrent un regard triste. L’ildarane partageait la douleur des deux jeunes filles et surtout celle de Paul qui avait réussi à faire bonne figure face à la compagne de son ami disparu. - Mélanie. Paul n’y est pour rien. Alex a été tué par les hommes qui nous ont attaqués. Paul nous a tous sauvés. Intervint Sarian. Stéphanie exténuée physiquement et nerveusement se mit à sangloter. Paul lui posa doucement la main sur l’épaule pour tenter de la calmer, mais la pression avait été trop forte et son intervention n’eut aucun effet. - Qu’allons-nous devenir ? gémit-elle. - Avec tous ces évènements, je n’ai pas encore eu beaucoup le temps d’y réfléchir. L’adolescent savait qu’ils devraient pourtant avoir prochainement une conversation sérieuse, car il lui faudrait rapidement choisir son avenir. Mélanie s’éloigna sans un mot et choisit de s’isoler dans la chambre qui lui avait été attribuée. Malgré l’ambiance un peu sinistre, Oria proposa de prendre le petit-déjeuner et, même si peu d’entre eux pensaient à s’alimenter, il était nécessaire de se changer les idées. Après de brèves banalités autour de boissons chaudes, Sarian proposa à Stéphanie et Paul de visiter leurs installations. Le garçon accepta avec un peu trop d’empressement pour que sa compagne l'interprète autrement que comme un artifice pour la détourner de ses sombres pensées. L’homme les pilota dans la base et leur expliqua que celle-ci se trouvait dans une cavité souterraine découverte lors de leur arrivée sur terre, dix-sept ans plus tôt. Au cours des millénaires, le ruissellement avait dégagé un boyau et c’est celui-ci que Sarian et son groupe avaient découvert lorsqu’ils recherchaient un lieu pour dissimuler leurs installations. Il n’avait pas été très difficile, ensuite, d’élargir la voie d’accès pour autoriser le passage du glisseur antigrav, mais le plus compliqué avait été de le faire à l’insu des impériaux. Heureusement, ceux-ci n’activaient pas leurs drones orbitaux en permanence, car la base impériale n’était pas en situation de crise et sa mission s’étalait depuis tellement d’années que la vigilance s’était relâchée. La base n’était pas très grande, mais regroupait tout ce qui était nécessaire à la survie d’une trentaine d’humains pendant plusieurs décennies. Les ildarans l’avaient aménagé sur plusieurs années et certaines parties semblaient encore récentes, ce que confirma leur guide. Il y avait une trentaine de chambres et la plupart étaient personnalisées, parfois avec excès. L’espace n’était pas compté et, sans le manque de lumière naturelle, Paul pouvait imaginer rester dans cet endroit de nombreux mois. En serait-il de même pour les deux jeunes filles, rien n’était moins sûr. Ils eurent droit aux anecdotes, parfois cocasses, concernant l’aménagement et les surprises de la géologie hydraulique comme lorsqu’ils étaient tombés sur des sources souterraines. Ces petits détails permirent de détendre un peu l’atmosphère parfois pesante même si Stéphanie semblait rester à l’écart de leurs plaisanteries. Sarian leur raconta ensuite comment ils avaient imaginé le moyen de faire adopter Paul par des terriens et cette fois Stéphanie sembla plus intéressée. Ils avaient regagné l’espace de vie commune et l’adolescent eut l’occasion de parler un peu avec Numarion, qu’il avait connu une bonne dizaine d’années plus tôt. Sans surprise, celui-ci n’avait pas pris une ride et Paul était ravi de le retrouver, malgré les circonstances, car il se souvenait de leurs longues discussions et de ses connaissances en arts martiaux. Sa présence lui rappelait son enfance quand l’ildaran lui avait enseigné les échecs et cela lui donnait un ancrage affectif, au sein de l’équipe. Une bouffée d’émotion le submergea et il eut beaucoup de mal à reprendre le contrôle de son esprit qui s’était remis à vagabonder dans le passé, mais Oria vint aussitôt le réconforter, ayant perçu l’intensité de sa détresse mentale. Il prit alors conscience qu’elle n’avait cessé de l’observer depuis qu’il portait ces étranges pierres autour de la tête et cela le troubla profondément. A-t-elle découvert quelque chose sur ces pierres ? songea-t-il. La suite des présentations distrait heureusement l’adolescent et lui évita de s’apitoyer sur son sort. Ils firent ainsi la connaissance du reste de la petite équipe qui comprenait encore cinq personnes. Tout le monde s’accorda ensuite un petit break autour de quelques jus de fruits d’origine terrienne, mais malgré ce court moment de répit, ni Sarian ni Paul n’oubliaient que leurs ennemis étaient toujours à leur recherche et il restait à gérer Mélanie, qui n’était toujours pas ressortie de sa chambre. * Le Randor émergea aux limites d’un système à étoile jaune et L’IA de bord leur annonça que celui-ci n’était pas répertorié par l’Empire. - La transition en urgence a profondément modifié les coordonnées initiales du saut. Nous avons effectué un déplacement de mille quatre cent cinquante-deux années-lumière en direction du centre galactique par rapport au bras d’Orion. Nous sommes dans une zone non répertoriée par l’Empire. - C’est impossible ! s’exclama Rliostem, comment a-t-on pu transiter sur une distance aussi importante avec notre niveau d’énergie initial ? - Je n’ai aucune réponse scientifique à ce phénomène, mais nous avons émergé dans un système comportant une planète humano-compatible. Je capte le message type des Al-Heoxyrians. Attente d’instructions - Sommes-nous assez proches pour identifier la planète habitable ? s’enquit Klosteran. - D’après mes senseurs, il s’agit de la quatrième planète du système. Distance de l’étoile : cent quatre-vingts millions de kilomètres, gravité 0,97% d’Ildaran Prime, taille onze mille huit cent cinquante-neuf kilomètres de diamètre à l’équateur, 32% de terres émergées. Un anneau de glace pure à 83%, de dix kilomètres de largeur sur cinq à huit mètres d’épaisseur, ceinture la planète » - Nous sommes encore trop éloignés pour détecter si elle habitée ? - En effet, mais les radiations lumineuses qui nous parviennent indiquent la présence d’une atmosphère suffisante pour abriter la vie. - Des activités industrielles ? s’enquit Klosteran. - Aucune émission artificielle ni source d’énergie, mais nous sommes presque à l’opposé de l’orbite de la planète dans le système, à trois cent soixante-dix minutes-lumières. Instructions ? - Dirige le Randor vers la seconde planète, maintenant que nous sommes ici, autant faire une reconnaissance. Après tout, ce pourrait être un lieu de refuge intéressant s’il n’est pas répertorié par l’Empire. Ordonna Rliostem. En vitesse de croisière, il faudrait au vaisseau près de vingt-cinq heures pour parcourir les 6,7 milliards de kilomètres qui le séparaient de la seconde planète. - IA, quelles sont les données astronomiques de ce système ? questionna Rliostem - Ce système solaire comporte neuf planètes. La plus lointaine est à huit-virgule quarante-cinq milliards de kilomètres de son étoile. Celle-ci semble avoir trois-virgule quatre-vingt-quinze milliards d’années, 4,0214% plus chaude que le soleil d’Ildaran, mais la planète habitable est 3,5879% plus loin. - Des traces de vie sur les autres planètes ? - Aucune manifestation artificielle, mais nous sommes encore trop éloignés pour détecter si la planète est à un stade préindustriel. Faisceau de détection ! Nous sommes éclairés par un système de tir, salve de deux torpilles en accélération à deux mille gravités, distance dix-huit millions de kilomètres. Contres mesures larguées, champ furtif activé. - IA, origine des torpilles ? Klosteran ne comprenait pas comment une civilisation ne produisant aucune émission radio pouvait avoir développé des systèmes d’armes dans l’espace. - Plateforme lanceur mobile, probabilité 99,99%. Je capte ses faisceaux de détection actifs, elle était en mode passif c’est pour cela que je ne l’ai pas repérée avant le lancement des torpilles. - C’est du matériel ildaran ? questionna Rliostem. - Positif, mais les signatures de torpilles ne correspondent pas à des modèles militaires en vigueur - C’est probablement une base de contrebandiers. L’une des planètes ou leurs satellites doivent être riches en matières premières, suggéra Klosteran. - Les torpilles sont en recherche d’acquisition, elles ont perdu notre trace. - Distance ? interrogea Rliostem. - Six virgule soixante-quinze millions de kilomètres, hors de portée des faisceaux de disrupteurs. Dois-je lancer des missiles d’interception ? - Non, économisons nos capacités défensives, rapproche-toi et détruis-les au disrupteur. Faisceaux faibles, je veux éviter d’avoir à activer des filets de captage le plus longtemps possible, d’autant que d’après les senseurs, ce secteur à l’air pauvre en matière noire. Ordonna l’ildaran qui avait consulté les données sur ses neurorécepteurs. L’aviso, dissimulé derrière son champ furtif, vira pour se rapprocher des torpilles et dès qu’il fut à distance de tir les aligna tranquillement et les réduisit en nuage d’hydrogène. - Un appareil vient de décoller de la septième planète. La signature gravitique correspond à un vieux croiseur reconditionné de classe Renard. Ce type d’appareil n’est plus utilisé par les forces spatiales de l’Empire depuis deux mille huit cents ans. Vitesse du croiseur zéro-virgule quinze c. Attente instructions. - Cap sur la quatrième planète en mode furtif à soixante pour cent de notre capacité gravitique. Détecteurs passifs uniquement, on va aller voir ce qui se trame sur cette planète. Suis les mouvements du petit croiseur, mais aucune action hostile pour le moment. Ordonna Rliostem. L’ildaran préférait réduire la vitesse du Randor à 0,3 C afin d’économiser l’énergie et ne pas avoir à activer ses filets de captage qui pourraient le faire repérer par le croiseur. Le revers de cette stratégie, c’est qu’il faudrait maintenant un peu plus de cinquante heures pour atteindre la seconde planète. Les deux hommes décidèrent donc d’aller se reposer en laissant à l’IA de bord la charge de la navigation et de la surveillance. * Chapitre 28 En orbite géosynchrone, à 35 790 kilomètres de la surface terrestre, Corvin réfléchissait intensément à la manière de capturer l’héritier Verakin et ses hommes. Le Squir était persuadé, mais comment en aurait-il été autrement, que les fugitifs disposaient d’une technologie de camouflage inconnue et sa seule option était de reprendre la traque à partir des dernières données disponibles. Il connaissait maintenant l’emplacement de la base terrestre de ses ennemis et pensait que les fugitifs chercheraient à s’y réfugier. Le capitaine psykan demanda donc à l’IA du Squir Prime de sonder en détail la zone à la recherche de failles dans les dispositifs de défense de la station rebelle. L’IA repéra de nombreuses petites anfractuosités malheureusement aucune ne dégageait la moindre trace d’énergie. - Aucune nouvelle de notre contact ? demanda sèchement le chef des Squirs. - Non, mais les rebelles ont déployé un champ de neutralisation autour de leur base et aucune transmission ne peut passer. - Lance tous les drones disponibles, qu’ils quadrillent toute cette zone, qu’ils cherchent la moindre cavité, remontent tous les boyaux souterrains. Ils sont dans une grotte naturelle et il y aura bien des interstices par lesquelles pourront se faufiler les drones pour contourner le champ de neutralisation. - L’estimation pour un contrôle total de la zone est d’environ six jours terrestres, les cent vingt drones de chasse sont activés. Capitaine Ils allaient devoir passer six jours à bord du Squirs Prime ! Corvin fulminait, mais il savait qu’aucun échec ne serait toléré par l’Empereur. Cette mission commençait à se compliquer sérieusement, songea-t-il, passablement exaspéré. - Je vais me reposer, réveille-moi si tu découvres quelque chose N’ayant rien d’autre à faire qu’à attendre, le capitaine de squirs s’enferma dans sa cabine et s’endormit immédiatement malgré l’excitation de la traque. * Trente-six heures plus tard, l’IA du Randor avait collecté de nombreuses données sur la quatrième planète, ses deux satellites et son anneau. L’atmosphère était composée de 77,892% de diazote, 21,043% de dioxygène, 0,896% d’argon, plus des traces de particules de dioxyde de carbone, de néon, de méthane, d’hélium et de vapeur d’eau. L’atmosphère était légèrement plus riche de 0,097% en dioxygène que la Terre sur laquelle ils avaient passé leurs dix-sept dernières années, mais ce serait imperceptible pour leurs organismes. L’anneau était magnifique et les deux hommes imaginaient déjà le spectacle grandiose depuis sol. Il était majoritairement constitué de glace, mais avec une proportion surprenante et homogène de carbone organique, qui donnait des reflets légèrement bleutés à cette couronne planétaire. Comme ils l’avaient imaginé, la septième planète du système était en activité. Des contrebandiers exploitaient une mine de corodrium et ils étaient à la limite de violer la Charte des Al-Heoxyrians, mais, tant que les natifs de la quatrième planète ne disposeraient pas de vaisseaux capables d’atteindre l’espace, ils ne s’apercevraient jamais que l’on pillait les ressources de leur système solaire. Le Randor se mit en orbite afin de survoler la planète humano-compatible avec ses sondeurs passifs et ne pas être détecté par un éventuel drone de surveillance. Apparemment, le niveau d’évolution de la civilisation locale pouvait être comparé au moyen âge terrien et l’essentiel de la population résidait sur le continent principal qui s’étirait sur les deux tiers du globe, du nord au sud. De nombreuses îles étaient habitées par de petites communautés, mais le groupe le plus avancé sociologiquement se trouvait en bordure nord-ouest de l’océan, longeant le continent principal. - Aucun drone de surveillance en orbite. Les contrebandiers surveillent uniquement l’espace. - Compte tenu du degré d’évolution des autochtones, ils n’ont rien à craindre avant au moins mille ans, sourit Rliostem. - J’enregistre des perturbations parasites qui neutralisent certains de mes senseurs. - Origine ? fit Klosteran soudain en alerte. - Inconnue. Probabilité de 76,647% venant de l’anneau planétaire. - Qu’est-ce qui pourrait perturber tes détecteurs dans un anneau de glace ? s’étonna Rliostem. - J’ai envoyé un drone explorer l’anneau, mais aucune donnée fiable ne me parvient. Le drone n’a pas réussi à prélever le moindre échantillon de matière et le balayage atomique ne donne rien. Cet anneau semble constitué de matière non baryonique. - C’est impossible ! s’exclama Klosteran. De quelles autres données disposes-tu ? - Uniquement des informations astronomiques. La durée du jour est de 25,85 h ildarane, la planète tourne à 32,97 km/s autour de son étoile située à cent quatre-vingts millions de kilomètres soit une rotation autour du soleil en trois cent quarante-deux jours locaux. - Le drone ne détecte aucune radiation ? Aucun danger apparent ? interrogea Rliostem. - Non, uniquement une singularité moléculaire étrange. Comme il ne semblait pas y avoir de danger immédiat, malgré l’anomalie atomique de l’anneau, Klosteran ordonna à l’IA de poser le Randor au fond de l’océan, au large de la côte ouest. L’IA était néanmoins en alerte et le champ Horlzson déployé au maximum de sa puissance. Le petit vaisseau entama sa descente dans l’atmosphère de la planète, sous une tension maximum chez les deux hommes. À l’approche de la surface de l’océan, le vaisseau décéléra brutalement et s’enfonça lentement dans les eaux noires. La profondeur n’était pas très importante à si faible distance de la côte et l’appareil se posa sur le fond, à moins de cent mètres de la surface. - Nous allons débarquer. Commencent à recharger les condensateurs Verakin à faible intensité, le captage ne devrait pas être observé par les contrebandiers puisqu’ils n’ont pas déployé de senseurs orbitaux. Ordonna Klosteran à l’IA. - Il va falloir trouver des vêtements si on souhaite se fondre dans la population, fit remarquer Rliostem - Cela ne devrait pas poser de soucis, nous basculerons nos champs en mode furtif, suggéra Klosteran - IA, reste en état de défense, car notre intrusion dans ce système a été remarquée et les contrebandiers pourraient bien décider de nous rechercher sur cette planète. Ajouta Rliostem aux instructions de l’IA. - Senseurs passifs opérationnels : je ne détecte aucun mouvement dans le système à part le vaisseau identifié à l’émergence. Répondit l’intelligence artificielle. - Souhaitons que cela ne change pas. Je n’ai pas envie de voir débarquer la guilde. Lâcha l’ildaran pour lui-même. - Et surveille cet anneau planétaire, je n’aime pas trop avoir un truc bizarre au-dessus ma tête. Rajouta Klosteran. Le Randor reposait au fond de l’océan à l’ouest du continent principal, protégé de la pression par son champ Horlzson. Il faisait encore nuit et les deux hommes préférèrent attendre le lever du soleil pour prendre pied sur la terre ferme, mais ils n’auraient pas longtemps à patienter, car les drones envoyés en surface observaient déjà les premiers rayons de l’astre jaune. Quelques images d’une grande beauté leur parvinrent au fond de l’océan. Le lever de soleil, sur l’eau, auréolé des reflets de l’anneau planétaire donnait au paysage une allure féérique surnaturelle. Les deux hommes ne restèrent pas béats plus longtemps et pénétrèrent dans l’eau glaciale par une ouverture dans le champ de force. Totalement protégés par leurs boucliers Horlzson individuels, ils ne ressentaient absolument pas la froideur de l’océan et remontèrent tranquillement à la surface à l’aide de petits propulseurs autonomes qui les tractèrent vers la côte distante d’environ cinq kilomètres. L’IA envoya deux drones repérer le chemin vers la principale ville du continent située au nord de leur position, car il était vital d’obtenir des enregistrements audio pour décoder le langage parlé dans cette région. Avec les données collectées par les drones, l’IA pourrait charger les éléments de la langue dans les Nanocrytes de communication des deux hommes, mais malheureusement le lever du jour n’était pas propice à beaucoup de conversations et la collecte de vocabulaire fut pauvre. Ils sortirent de l’eau le long d’une plage de sable brun, non loin d’une habitation isolée où les deux hommes espéraient pouvoir y trouver des vêtements. La chance était avec eux, car il semblait que le lieu soit habité, mais que les propriétaires soient partis très tôt. Rliostem et Klosteran n’eurent aucun mal à trouver des vêtements masculins même si l’homme était un peu plus grand qu’eux de quelques centimètres. L’IA avait d’ailleurs observé que les autochtones possédaient une taille moyenne légèrement plus élevée que les ildarans, due probablement à la plus faible gravité de la planète. Les deux hommes espéraient que cette petite différence ne serait pas discernable pour qu’ils soient catalogués comme étrangers. La morphologie générale des indigènes restait proche des ildarans ou des terriens et il devrait leur être facile de se faire passer pour des habitants d’îles lointaines. Il était peu probable que les locaux aient beaucoup voyagé sur leur planète au regard des techniques de navigation repérées et le risque d’être rejeté paraissait donc minime. Un chemin en pente douce remontait vers les terres et ils arrivèrent rapidement à ce qui ressemblait à une voie de circulation. Ils prirent la direction du nord, vers la ville cartographiée par le Randor, lors du survol orbital. Un drone de surveillance restait positionné à cent cinquante mètres d’altitude, mais sa petite taille le rendait invisible depuis le sol, il ne risquait pas d'attirer l'attention sur eux. Ses senseurs étaient en mode passif, rendant presque impossible une détection depuis l’espace et les contrebandiers de la septième planète ne devraient donc pas pouvoir le repérer. L’IA du Randor était néanmoins en alerte, prête à intervenir pour prêter main-forte à Rliostem et Klosteran en cas d’urgence. Les deux hommes avaient amené chacun un poignard en Arkrit et un pulseur à aiguilles. Il leur fallait maintenant être capables de pratiquer rapidement la langue locale pour s’intégrer sans provoquer d’incidents. Leurs Nanocrytes de communication allaient accélérer la compréhension du langage, mais il faudrait plusieurs minutes avant qu’ils ne soient capables de comprendre une conversation simple et plusieurs heures pour s'exprimer convenablement. Une période délicate pendant laquelle il leur faudrait se faire passer pour des étrangers venus d’un autre continent et arrivés sur un bateau marchand. Les drones n’avaient pas eu suffisamment de temps pour collecter d’autres informations sur la structure sociale et les deux hommes espéraient qu’il n’y avait pas de guerre en cours, car leur statut d’étranger pourrait devenir un handicap. - Une troupe se rapproche de vous par l’arrière. De nombreux humains armés et des véhicules tractés par des animaux quadrupèdes. Annonça l’IA au travers de leurs Nanocrytes de communication. - Distance ? demanda Klosteran. - Deux kilomètres, vitesse de déplacement cinq kilomètres par heure. Précisa l’unité pensante du Randor. Les deux hommes se retournèrent et décidèrent de les attendre, car ce pouvait être une excellente occasion d’établir un contact avec les habitants de la région. Au bout de quelques minutes, ils virent apparaître un convoi de chariots tiré par des animaux de couleur fauve. Un homme de tête, monté sur ce qui ressemblait à un croisement entre un Wapiti et un cheval frison orné d’une crinière de lion, les aperçut à son tour. Sa monture était majestueuse et probablement dangereuse, car ses bois, de plus d’un mètre cinquante, étaient prolongés de pointes en métal. L’animal doit être dressé au combat, pensa Rliostem en observant ses mouvements. L’animal se déplaçait en sautillant majestueusement à la manière des chevaux espagnols et ses fanons longs et noirs voletaient le long de ses membres fauves. Rliostem et Klosteran étaient captivés par l’allure du quadrupède, mais une voix puissante les ramena à la réalité. - Écartez-vous, gueux. Laissez passer la caravane du prince marchand Sertime. Les deux ildarans n’avaient pas compris la phrase prononcée par l’homme de tête, mais la teneur du message fut parfaitement décryptée. Malgré leur longue expérience de la faune de plusieurs mondes humains, ils étaient fascinés par la gracieuse monture. Les chariots étaient tirés par le même type d’animaux, mais plus massif et avec des bois plus courts, non renforcés de métal. Le convoi était protégé par une cinquantaine d’hommes en armes plutôt bien vêtus : des gardes, assurément. Un chariot, au centre, se distinguait clairement des autres. Il devait être le moyen de locomotion du chef du groupe, car sa conception semblait plus adaptée au transport de personnes qu’à celui de marchandises. Rliostem fit mine de ne rien comprendre tout en activant son champ Horlzson et de toute façon il était encore incapable de parler la langue de l’homme de tête. L’absence de réponse n’eut pas l’air de plaire au garde qui semblait habitué à être obéi rapidement, car il lança sa monture avec l’intention manifeste de renverser les deux étrangers. Il fut surpris, car Rliostem esquiva aisément l’animal et l’agrippa au passage, le faisant chuter durement dans la poussière. Klosteran lui subtilisa, au passage, son épée courbe et éclata de rire. La monture s’était arrêtée lorsque son cavalier avait été désarçonné et revenait calmement vers son maître. Il s’agissait donc bien donc d’un destrier de combat dressé. Il n’en fallait pas plus pour provoquer les autres hommes d’armes qui s’avancèrent avec le désir évident de neutraliser les deux ildarans. Pour Rliostem et Klosteran, combattre plusieurs adversaires, en terrain découvert, avec leur vitesse de déplacement était un jeu d’enfant, mais ils ne voulaient pas les blesser inutilement de crainte de compromettre leur première prise de contact. Ils entreprirent donc de les assommer les uns après les autres, et au bout de trois minutes, il y avait déjà douze hommes à terre lorsqu’une voix impérieuse, visiblement habituée à être obéie, cria depuis le chariot central. - Assez ! Milpars, rappelez vos hommes. - Votre Seigneurie, ils vous ont offensé, répondit l’homme de tête qui avait encore des difficultés à reprendre ses esprits après sa chute brutale. - Ils vous ont surtout humilié à ce que je peux en voir. Vos hommes sont-ils gravement blessés ? demanda l’homme sorti du chariot central. - Non, Votre Seigneurie, ils sont simplement assommés, répondit, un peu penaud, celui qui semblait être le chef des gardes. - Vous êtes en train de me dire que deux gueux désarmés ont assommé huit gardes entraînés ? s’étonna le chef de la troupe. - Oui Votre Seigneurie. Répondit, un peu dépité, le dénommé Milpars. Rliostem et Klosteran observaient la scène d’un air amusé, ce qui eut pour effet de mettre Milpars encore plus en colère, mais il ne pouvait à l’évidence pas transgresser les ordres de son maître et dut se résoudre à rappeler ses hommes qui aidèrent les plus malmenés à se relever. - Que ces manants s’approchent. Ordonna le prince marchand - Bien Monseigneur. Fit Milpars en s’inclinant. L’homme accompagna lui-même Rliostem et Klosteran auprès du prince, la main sur la garde de son épée, mais cela n’intimidait nullement les ildarans totalement à l’abri de leur champ Horlzson, pourtant réglé au minimum afin de limiter, au maximum, l’effet de halo irisant. Le prince marchand était d’une grande taille par rapport aux deux hommes : il devait mesurer près de deux mètres. Il était sorti de son véhicule, qui, Klosteran et Rliostem le constataient maintenant, s’apparentait plus à un carrosse qu’à un chariot. Depuis la porte sur le côté gauche ils pouvaient apercevoir un salon tout confort. L’homme était habillé richement, mais de manière non ostentatoire et portait un sabre sur le côté gauche qui semblait plutôt être une arme d’apparat au vu des nombreux joyaux qui incrustaient le pommeau. Un couvre-chef à plumes complétait le tableau, mais, dans le contexte, cela n’avait rien de ridicule. - Je me nomme Sertime, prince marchand de la guilde. Qui êtes-vous pour mettre à mal les meilleurs de mes gardes à mains nues ? demanda-t-il d’une voix ferme et posée. L’intonation était voilée d’une légère menace laissant penser qu’il était préférable de répondre, malgré la formulation courtoise. Les deux ildarans avaient maintenant suffisamment intégré le vocabulaire local pour comprendre le sens de la question, mais ils ne pouvaient pas encore s’exprimer dans la langue de cet important personnage. Klosteran répondit machinalement dans celle de l’Empire d’Ildaran. - Nous sommes des voyageurs venus d’un autre continent. Leur réponse fit l’effet d’une bombe, car tous les hommes, à portée de voix, se figèrent instantanément. Rliostem et Klosteran ne savaient pas comment interpréter cette réaction et furent immédiatement sur leur garde. À leur grand étonnement, le prince leur répondit dans la même langue, bien qu’avec un fort accent. - Comment se fait-il que vous parliez la langue des Initiés couramment ? Vous n’êtes pas prêtre pour combattre comme vous l’avez fait. Demanda Sertime devenu soupçonneux. Le premier moment de stupeur, passé, Rliostem répondit lentement dans sa langue natale. - Je pourrais vous poser la même question, Seigneur. Rliostem avait utilisé le terme Seigneur qui, en ildaran, signifiait à la fois dirigeant d’une maison importante et noble, ne sachant pas précisément comment situer le prince marchand dans la hiérarchie de cette société médiévale. - Répondez à ma question ! ordonna l’homme qui ne semblait pas connaître les subtilités du langage impérial. Milpars ne comprenait pas cette langue, mais le ton de son maître laissait à penser que celui-ci était contrarié. - Obéissez au Prince Sertime, rustre. Cria-t-il en portant la main à son épée. - Il suffit Milpars. Ils ne te comprennent peut-être pas. Rétorqua le prince courroucé par l’attitude du chef de sa garde. - Nous vous comprenons un peu, répondit Rliostem en ildaran, mais nous n’avons pas encore assez de pratique pour parler votre langue. Précisa-t-il. - Dans ce cas, répondez-moi dans la langue des Initiés. Où avez-vous appris à parler ce langage ? Redemanda Sertime plus calmement, mais toujours avec fermeté. - C’est notre langue maternelle. Nous la parlons depuis notre naissance. Affirma Klosteran d’un ton posé. - Vous voulez dire que, là d’où vous venez, tout le monde parle la langue des Initiés ? s’étonna le prince marchand. - Pour nous, il s’agit de notre langue. Nous ne connaissons pas d’initiés. Répondit l’ildaran, peut-être un peu trop hâtivement. - C’est impossible ! Les Initiés sont partout. S’emporta Sertime. Ne comprenant pas les paroles prononcées par son maître, Milpars se fourvoya et chargea Rliostem, mais ce dernier l’esquiva prestement et lui subtilisa son sabre au passage sans effort apparent. - Monseigneur. Dites à vos hommes de cesser de nous agresser, nous allons nous lasser de ce jeu. Fit l’ildaran visiblement contrarié. - Milpars, je croyais avoir été clair ! Rompez et retournez à l’arrière, vous êtes relevé. Éructa Sertime, devenu violet sous la colère. - À vos ordres, mon prince. S’inclina l’homme en tournant les talons, l’air menaçant. Les deux ildarans devraient se méfier de lui, car le garde avait été humilié et il chercherait probablement à se venger, dès que son maître cesserait de les protéger. Comme ni Rliostem ni Klosteran ne semblaient agressifs, et que Rliostem, en possession du sabre de Milpars, aurait eu tout le loisir de le tuer, le prince marchand se calma et leur proposa de se joindre à lui dans son véhicule. - Je me rends à Port Gâal, capitale du royaume, souhaitez-vous m’accompagner ? Comme cela, vous pourrez m’expliquer l’histoire de votre peuple, l’homme jeta un air légèrement dédaigneux sur les habits des deux hommes, mais la curiosité était la plus forte et il ne souhaitait pas que d’autres oreilles entendent les paroles de ces deux inconnus. - Nous acceptons avec plaisir cette proposition et vous en serons redevables. Nous nous rendions également à Port Gâal. Répondit Klosteran, qui était ravi d’avoir appris le nom de la ville côtière. C’est ainsi que les deux ildarans prirent contact avec la civilisation dominante de la planète Polona, ainsi dénommée par ses habitants. * Chapitre 29 Sur Terre, à l’extérieur de la base de Dordogne, la nuit allait tomber et Paul commençait à se lasser des entraînements incessants, prodigués par Darin, même si ceux-ci avaient le mérite de lui faire oublier temporairement la mort d’Alex. La fin de la journée fut la bienvenue, car l’adolescent allait enfin pouvoir retrouver Stéphanie, mise à l’écart pendant sa formation. - J’ai un cadeau pour toi Paul, intervint Sarian juste avant que l’adolescent ne quitte la salle. - Ah oui ? Tu excites ma curiosité. Fit ce dernier, un peu éreinté malgré ses Nanocrytes. Il avait, en effet, affaire à un adversaire infatigable amélioré avec des Nanocrytes de combat. Le chef des gardes de son père ouvrit un coffret et en ressortit un objet emballé qui ressemblait à un sabre. Paul prit l’objet et déroula le tissu de protection pour découvrir un superbe katana. - L’IA du Randor, qui dispose d’une minifab l’a réalisé suivant mes instructions. C’est une réplique d’un katana japonais Shinshinto du 19e siècle, fabriqué en Arkrit. Il y a un générateur dans le manche. En cas de combat contre un adversaire protégé par un champ Horlzson, l’allonge de ce sabre te donnera un avantage. Tu sais t’en servir, je crois ? fit l’ildaran visiblement satisfait de la mine admirative de Paul. - En effet. C’est Numarion qui m’a transmis l’envie d’apprendre, il y a quoi ? Neuf ans non ? En tout les cas, c’est une très belle lame. Merci, Sarian. Paul sortit l’arme de son saya et exécuta quelques mouvements. Il observa le tsuba gravé et Sarian lui précisa qu’il s’agissait des armes de la famille Verakin : un vérin aux ailes déployées. Le vérin était une sorte de faucon géant à tête bleue, vivant sur Ildaran Prime. Une fresque, représentant un vol de vérins, était également peinte sur le saya et lui donnait une allure de sabre d’apparat. - Garde-le avec toi le plus souvent possible. Cette arme peut te sauver la vie si tu es attaqué par un adversaire amélioré aux Nanocrytes de combat. L’allonge de cette lame compensera peut-être sa rapidité. Insista l’homme. Paul ne put résister à la tentation de pratiquer quelques exercices d’échauffement avec le katana. C’était une véritable œuvre d’art et Paul se demandait comment une machine avait pu produire un sabre de cette qualité, à l’équilibre aussi parfait. La résistance de l’Arkrit, en plus de sa capacité de pénétrer les champs Horlzson, ne cédait en rien à celle du corodrium et même sans vibrer cela faisait de ce katana une arme redoutable, entre des mains expertes. Paul appréciait le cadeau et il admira encore la perfection du hassaki, le tranchant, avant de glisser le katana dans son fourreau. Celui-ci n’était pas en matériaux traditionnels, mais dans un alliage composite, très léger et très résistant. Sarian lui avait assuré qu’il pourrait arrêter une lame en acier trempé, mais pas en corodrium. Mais il se faisait tard et l’adolescent savait que Stéphanie l’attendait depuis plusieurs heures et il avait hâte, également, de la retrouver, car elle apportait un peu de stabilité émotionnelle à leur incroyable situation. Il avait besoin de se raccrocher à des éléments de son passé et souffrait de ne plus avoir le soutien d’Alex à ses côtés. Oria avait parfaitement compris que les adolescents avaient besoin d’un peu d’intimité et avait demandé à Sarian de les laisser un peu seuls, le soir venu. Les jeunes gens étaient donc laissés entre eux et l’IA de la base avait reçu comme instruction d’obéir à Paul dans la limite des règles de sécurité. Mélanie semblait toujours absente et Paul n’avait pas réussi à avoir une conversation sérieuse avec elle. Elle n’avait pourtant jamais reparlé d’Alex, mais les ildarans s’inquiétaient pour son état mental, car elle était restée isolée, toute la journée dans sa chambre, refusant même de parler à Stéphanie. Le soir venu, elle déclina de nouveau leur compagnie pour le dîner et se fit servir dans sa chambre par un androïde, malgré l’insistance des deux jeunes gens. L’IA avait concocté des menus à partir des aliments stockés dans les réserves de la grotte, car Sarian avait anticipé, depuis longtemps, l’éventualité d’avoir à soutenir un siège et leurs réserves permettrait de tenir plusieurs mois sans avoir à se ravitailler. Ils étaient à l’abri, mais prisonniers dans leur propre base. Les condensateurs étaient chargés et le bouclier Horlzson pouvait tenir six mois, mais il faudrait néanmoins économiser les ressources énergétiques, car la matière noire était moins présente là où la matière normale était abondante et il était plus difficile de recharger au sol que dans l’espace. En surface, tous les drones du Squirs Prime balayaient la zone à la recherche de la moindre faiblesse dans la sécurité de la base, mais jusqu’ici sans succès. * Le troisième jour, Oria voulut, de nouveau, tester les facultés de Paul et ils s’isolèrent tous les deux dans une salle à l’écart. - Bien Paul. Comme nous n’avons pas retravaillé depuis l’embuscade des squirs, nous allons reprendre là où nous en étions restés la dernière fois. Tu vas faire le vide dans ton esprit et je vais tenter de communiquer mentalement avec toi. Tu vas essayer de m’écouter, d’accord ? proposa la jeune Ildarane. - OK on commence quand tu veux. - [Paul ?] appela-t-elle mentalement. - [Je t’entends Oria] répondit aussitôt le garçon. La rapidité et l’intensité de la réponse surprirent la jeune femme qui le fixa avec stupéfaction. - Tes diamants ! Ils brillent de nouveau ! s’exclama-t-elle à voix haute. - [Comment cela, ils brillent ?] s’étonna l’adolescent sans ouvrir la bouche, sans même sans rendre compte. - [C’est incroyable. Il y a quelques jours, tu ne percevais rien du tout et maintenant je ressens une intense puissance mentale, parfaitement contrôlée. Au moins, nous connaissons désormais l’un des usages de ces pierres : elles accroissent ton potentiel psykan.] S’extasia Oria. - [J’ai au moins gagné quelque chose. Les pierres brillent toujours ?] l’adolescent restait inquiet par la présence de ces gemmes autour de sa tête. - [Non, cela semble terminé. Nous allons continuer les exercices. Je vais dans le réfectoire ensuite je t’appellerai et nous converserons à distance. D’accord ?] - [OK je reste focalisé sur toi]. La jeune femme sortit de la pièce et se dirigea vers la salle commune, distante d’une quinzaine de mètres. Paul eut l’impression que son esprit se dissociait : il était à la fois dans la salle et visualisait le déplacement d’Oria. Celle-ci arrivait à destination. - [Concentre-toi sur moi. Paul, tu m’entends ?] demanda-t-elle. - [Parfaitement Oria. Que veux-tu que je fasse ? Je t’entends et je te vois.] - [Comment cela, tu me vois !] S’exclama, en pensée, l’ildarane. - [C’est comme si une partie de moi était avec toi dans la salle.] Décrivit le garçon. - [Mais c’est impossible : les glandes psykanes ne permettent pas de faire cela.] S’alarma la jeune femme. - [Alors mes diamants ont d’autres fonctions.] Répondit Paul d’un ton fataliste. - [Oui probablement, essaye d’en trouver d’autres. Concentre-toi sur moi et décris-moi ce que je suis en train de faire.] Paul se concentra tellement sur elle qu’il se retrouva soudain à ses côtés dans le réfectoire. Ses diamants brillaient tellement que sa tête était masquée par un halo lumineux et le voir émerger ainsi du néant fit sursauter la jeune psykane qui laissa échapper un cri de stupeur. - Bon sang, tu peux transiter par la force de la pensée ! Je n’aurais jamais cru ça possible. D’où peut venir l’énergie pour ouvrir un trou de vers ? dit-elle après être revenue de sa surprise. IA, as-tu détecté une anomalie gravitationnelle dans la base ? s’enquit-elle aussitôt auprès de l’intelligence artificielle. - Non Oria, aucune transition quantique dans un rayon de vingt minutes-lumière. - Cela signifie que tu ne te déplaces pas par saut quantique ou alors tu utilises une autre fréquence, comme le suppose Xionnes. Il faut avertir Sarian, conclut-elle. Celui-ci les rejoignit immédiatement accompagné de Xionnes, mais aucun d’eux ne savait que penser. Xionnes tenta bien de fournir une explication scientifique en avançant la théorie que les pierres devaient puiser l’énergie nécessaire au saut, dans un autre plan dimensionnel et que leur composition atomique non baryonique devait leur permettre de maintenir un lien permanent avec une source d’énergie de l’autre côté. N’ayant avec eux aucun scientifique de haut niveau, il était difficile d’étayer les suppositions de Xionnes, mais les propos de l’émissaire des Al-Heoxyrians faisant référence à une brane pouvaient corroborer cette hypothèse. L’aspect positif était qu’il serait beaucoup plus difficile aux impériaux de neutraliser l’adolescent, mais ses pouvoirs avaient quelque chose d’un peu effrayant et ses nouveaux talents perturbaient Stéphanie qui le regardait avec des sentiments mêlés d’amour et d’effroi. La jeune fille craignait qu’il ne fût devenu une sorte de mutant extraterrestre. Mélanie de son côté avait enfin accepté de sortir de sa chambre et ne fit pas cas des étranges facultés de Paul, même si elle sembla, un bref moment, déroutée. Elle ne mettait maintenant plus en doute les assertions des ildarans sur leurs origines extraterrestres, mais elle semblait souffrir énormément de la réclusion forcée et de la mort d’Alex. Sarian, toujours pragmatique conclut la discussion : - Paul, il faut que tu fasses l’inventaire de tes nouvelles facultés, celles-ci pourraient te sauver la vie. L’entraînement reprit donc avec un objectif précis. * À bord de son vaisseau, Corvin commençait, lui aussi, à trouver le temps long. Les drones avaient ratissé soixante-dix-huit pour cent de la zone délimitée et aucune faille n’avait été détectée dans les défenses de la base Verakin. Le chef des squirs craignait que ses ennemis ne disposent d’une issue secrète permettant d’entrer et sortir sans qu’ils ne les détectent. Si c’était le cas, les rebelles pourraient rester à l’abri très longtemps. Si je ne m’empare pas rapidement de ces fugitifs, l’empereur va m’obliger à rester sur cette planète. Il va me faire payer cet échec en me consignant ici jusqu’à ce que je capture l’héritier Verakin. La mission qui devait durer quelques jours virait au cauchemar. Il faut absolument les forcer à sortir de leur trou ! L’homme lige de l’empereur ne pouvait pas bombarder la zone, ce serait une violation manifeste de la Charte des Al-Heoxyrians et il les craignait encore plus que l’Empereur. Je vais faire pression sur les parents adoptifs ! Il n’a pas d’autres alternatives : en m’emparant de ses proches, je vais l’obliger à se rendre. Ce plan posait un problème potentiel d’ingérence auprès d’une population indigène, mais la portée était assez faible pour être considérée comme une violation flagrante de la Charte. De toute manière, le squir ne voyait aucun autre moyen d’atteindre ses objectifs. Il convoqua ses hommes et leur fit part de ses intentions. - Nous allons y aller à six. Nous transiterons directement dans l’appartement des parents puisque nous connaissons les coordonnées. Pristo et Suiz vous leur ferez enfiler un harnais de transport, on l’active et en moins de trois minutes l’affaire sera réglée. Des questions ? s’enquit-il en les fixant un à un. - On n’envoie pas de drones en reconnaissance ? demanda Niir, son premier lieutenant. Corvin craignait que les drones ne soient repérés par les rebelles et que cela tourne à l’affrontement en pleine ville. Il avait à l’idée de kidnapper les parents adoptifs de l’héritier pour les échanger contre sa reddition sans condition. Niir argumenta qu’il était vraisemblablement protégé par la garde d’élite des Verakin, car sinon il n’aurait pas pu leur échapper à Marrakech et jamais ces hommes ne l’autoriseraient à se rendre, même pour sauver sa famille adoptive. - Que suggères-tu ? demanda Corvin. - Tendons-leur un piège. Avec de la chance, l’héritier viendra en personne. Dans le cas contraire, nous neutraliserons plusieurs de ses gardes. Proposa Niir. - Oui c’est une bonne idée. Apportons un neutralisateur de champ quantique. S’ils transitent dans l’appartement, ils ne pourront plus s’échapper et nous pourrons les capturer. Que tout le monde porte une résille Kries, je ne veux pas renouveler l’échec de la précédente interception. IA tu contrôleras l’opération à distance et à l’instant où ils transiteront tu activeras le neutralisateur. Allons-y tous les six, je ne veux prendre aucun risque. Ordonna le capitaine de squirs. Il prévoyait d’envoyer deux drones sur Paris pour simuler un repérage au-dessus du quartier des parents adoptifs du jeune Verakin. Le squir espérait que les drones seraient repérés par les senseurs de la base rebelle et que l’héritier ordonnerait à ses hommes d’intervenir pour se porter au secours de sa famille terrienne. Dès que les rebelles auraient transité dans l’appartement, l’IA activerait le neutralisateur quantique et les piégerait. Si tout se passait normalement, Corvin escomptait que ses ennemis soient dans l’impossibilité de s’échapper par saut quantique, même s’ils disposaient d’un nouveau dispositif indétectable. Les hommes de Corvin devraient avoir l’avantage du nombre et, avec les résilles Kries, les capacités psychiques considérables du jeune Verakin seraient neutralisées. S’ils osaient se montrer, l’IA activerait le neutralisateur de saut et une fois Ishar maîtrisé, l’élimination de sa garde serait une formalité. Corvin répéta ses consignes, car il voulait faire au moins un prisonnier pour l’interroger et si son plan fonctionnait, ce serait d’une pierre deux coups : l’élimination d’une partie des gardes rebelles et la capture du dernier Verakin. L’excitation de la chasse le reprenait et lui redonna le moral. Les deux drones furent expédiés au-dessus de Paris et l’unité pensante de la base de Dordogne détecta immédiatement les deux transitions quantiques, car Sarian avait fait réactiver les senseurs dès leur retour. Il ne voulait pas rester aveugle et sourd et l’embuscade lui avait servi de leçon. Hors de question de laisser un si gros avantage à leurs adversaires. Le calculateur semi-intelligent suivit le survol des deux petits dispositifs antigrav au-dessus de la capitale française et alerta Sarian aussitôt. Paul s’entraînait avec Darin au combat au sabre et il appréciait vraiment le cadeau de Sarian lorsque celui-ci requit leur présence. - Paul, Darin, point urgent dans la salle des opérations, j’appelle Oria et Vira également. - Que ce passe-t-il ? demanda le garçon. - L’IA vient de repérer deux drones sur Paris qui attendent en vol stationnaire au-dessus de la place de la Nation. - Mes parents ! l’adolescent avait instantanément compris la mission de drones. - Oui c’est vraisemblable, l’IA indique 99,875% de probabilités positives. - Il faut intervenir ! s’exclama l’adolescent. - Je te comprends, mais il s’agit assurément d’un piège pour te capturer. Rétorqua Sarian. L’ildaran expliqua que toute tentative de saut serait détectée et les coordonnées de départ et d’arrivée révéleraient aussitôt l’emplacement exact de la base. De plus, les risques étaient énormes d’avoir à affronter les impériaux dans un espace restreint avec une probabilité importante de dommages collatéraux. D’autre part, cela signifiait ouvrir le champ de neutralisation et les squirs pourraient en profiter pour attaquer la base. Mais les arguments de Sarian avaient beau être parfaitement rationnels, Paul ne voulait pas les accepter. - On ne peut pas laisser mes parents à leur merci ! s’écria-t-il. J’aurais dû y penser plus tôt. Se reprochait-il. Et si on s’éloignait de quelques kilomètres avant de transiter, ils ne pourraient pas localiser la grotte ? proposa le garçon. - Il y a plus de cent drones au-dessus de nous dans un rayon de dix kilomètres, si nous sortons, nous sommes sûrs d’être repérés. La neutralisation du champ sera automatiquement détectée et la riposte sera immédiate. IA, probabilité de détection si nous sortons ? demanda Sarian pour valider ses assertions. - Si vous vous déplacez à pied : 97,74% dans les trois premières secondes, 99,45% dans les deux suivantes et 99,99% au bout de six secondes. Si vous vous déplacez en véhicule, vous serez repérés au bout d’une seconde à 99,99%. - Cela répond à ta question, Paul. Nous ne pouvons rien faire sans nous dévoiler totalement. Fit Sarian en adoptant un ton compatissant pour tenter de calmer l’adolescent. - Je ne peux pas laisser mes parents ! Je vais y aller seul si vous ne voulez pas venir avec moi. Paul était prêt à se déchaîner sans tenir compte des conséquences. - Calme-toi jeune Verakin. Tu as la fougue de ta mère. Sourit l’homme, qui se souvenait parfaitement de l’impératrice. Agissons intelligemment et essayons plutôt de retourner la situation à notre avantage. Réfléchissons… C’est ainsi que fut bâtie la contre-offensive de Sarian sur les squirs. * Rliostem et Klosteran partageaient le carrosse du prince marchand depuis plusieurs heures et ils commençaient à s’exprimer correctement dans la langue du royaume. Ils avaient appris, par leur hôte, que Port Gâal était la capitale de la partie ouest de ce continent, regroupée sous la bannière du roi Mâaspec. Celui-ci gouvernait depuis trente-deux années locales, mais commençait à accuser le poids des ans et n’avait malheureusement pas d’héritier mâle. De nombreuses guerres intestines avaient éclaté parmi les bannerets qui tentaient de marier leurs fils à la princesse Mâarleen, mais celle-ci était, pour le moment, restée sourde à toute proposition et le royaume risquait l’implosion entre les contrées maritimes et commerciales du nord-ouest et celles, agricoles, du sud-est. Sertime était un prince de la guilde des marchands. Il n’était pas issu d’une noble lignée, mais sa fortune et son habileté étaient reconnues dans tout le royaume, voire dans certaines îles indépendantes. Ils étaient une poignée de princes marchands à avoir une influence auprès du roi et des seigneurs locaux, car ils approvisionnaient tout ce petit monde en denrées essentielles. Ces princes marchands étaient même habilités à commercer avec les autres régions peu explorées du continent. La civilisation de Polona était comparable à celle du moyen âge terrien, mais avec un degré de compréhension du monde un peu supérieur. Les savants avaient notamment compris que leur planète était ronde et qu’elle tournait autour de leur étoile. Des rudiments d’astronomie étaient même enseignés dans les écoles du royaume pour la classe dirigeante et la petite bourgeoisie. Bien que fortement influencée par la religion, la prêtrise locale avait compris que la planète n’était pas le centre de leur univers. La notion d’école avait été introduite vingt ans plus tôt par l’actuel roi qui souhaitait donner un peu d’érudition au peuple, au grand dam de quelques nobliaux qui s’activaient aujourd’hui à fomenter des troubles dans le royaume. Sertime était avide d’informations sur le pays d’origine de Rliostem et Klosteran, car il ne croyait pas que la langue des Initiés soit parlée par tous les habitants de leur contrée. Il ne connaissait certes pas toutes les régions de Polona, mais, depuis que les savants avaient démontré que leur planète était ronde, les polonians avaient commercé avec de nombreux vaisseaux naviguant sur les mers et il n’avait jamais entendu parler d’une région où les habitants s’exprimassent tous dans cette langue. Rliostem et Klosteran n’avaient toujours rien appris sur ces initiés, malgré les questions détournées posées au marchand, et une insistance plus marquée n’aurait pas manqué d’être suspecte. Ils rageaient donc de ne rien savoir sur ces habitants qui parlaient la langue de l’empire et ce n’était à l’évidence pas les contrebandiers qui devaient la leur avoir transmise. Les deux ildarans en étaient réduits à toutes les conjectures sans parvenir à trouver d’hypothèses satisfaisantes. Ils avaient cependant appris que cette religion était assise sur la venue d’un prophète et était ancrée depuis plusieurs millénaires chez les gâalanais. Les Initiés restaient discrets sur ce prophète : il était simplement annoncé comme le rédempteur de Polona. Il était idéalisé comme un être de lumière, aux pouvoirs immenses, capable d’élever Polona dans la roue de l’univers. Sertime ne put en dire plus, n’étant pas lui-même très pratiquant, malgré le poids des prêtres dans la vie du royaume. Les montures qui avaient impressionné les deux hommes s’appelaient des okorox. Il en existait plusieurs espèces dont certaines étaient particulièrement dociles et proches des humains. Ils faisaient des montures de guerre très efficaces, surtout lorsqu’elles étaient dressées à l’attaque et que leurs bois étaient renforcés de pointes d’acier. La conversation avec Sertime et la découverte de la civilisation poloniane fut interrompue par des cris. Les voix qui retentirent trahissaient une attaque et Rliostem et Klosteran se ruèrent aussitôt à l’extérieur du chariot en activant leur champ Horlzson. Cette agression leur donna l’occasion de faire, une nouvelle fois, la démonstration de leurs talents de guerriers, en mettant hors de combat plus de vingt adversaires sans recevoir la moindre égratignure. Leurs capacités physiques n’étaient pas les seules responsables, car sans leur champ de protection ils auraient reçu de nombreuses estafilades, voire des blessures plus sérieuses. Mais leurs adversaires, s’ils purent s’étonner de ne jamais parvenir à les toucher, n’auraient plus l’occasion de le rapporter à quiconque. À la grande surprise des deux hommes, les brigands étaient plutôt bien armés et entraînés. Les assaillants avaient soigneusement choisi le lieu du guet-apens et avaient combattu d’une manière parfaitement disciplinée qui trahissait une longue expérience des embuscades. En quelques minutes pourtant, les agresseurs comprirent leur échec et celui qui semblait être leur chef ordonna la retraite. Les gardes de Sertime ne prirent pas le risque de les poursuivre, car il pouvait y en avoir d’autres dans les bois bordant la route côtière. - Eh bien messires, je me réjouis de vous avoir dans notre camp plutôt qu’avec cette bande de brigands qui nous ont attaqués. S’exclama Sertime après que les bandits survivants se soient éparpillés. Je vous suis redevable de votre intervention, car, sans votre aide, ces bandits nous auraient certainement défaits. Les gardes de Sertime durent comptabiliser seulement six morts et neuf blessés légers. Face à l’attaque de près de soixante-dix gredins bien armés, c’était presque miraculeux. - De rien prince Sertime, c’était bien la moindre des choses, vous nous avez offert l’hospitalité de votre caravane. Je suis cependant surpris par les techniques de combat de ces soi-disant brigands : ils avaient plutôt l’air d’être des hommes d’armes. Dans notre région, les voleurs de grand chemin ne sont pas aussi bien préparés au combat ni armés comme des soldats. Fit Klosteran en montrant l’armement récupéré sur des assaillants. - Vous avez raison, je n’y avais pas pris garde et c’est d’ailleurs étonnant de trouver un si grand nombre de bandits aussi près de la capitale. J’en avertirai le capitaine des gardes royaux, une fois arrivé à Port Gâal. La période est trouble et propice à l’éclosion de bandes organisées qui veulent profiter du chaos, mais il pourrait s’agir d’autre chose. Ajouta le marchand d’un air songeur. Même Milpars vint les remercier de leur concours, ayant reconnu, en eux, des guerriers aguerris qui avaient évité à ses hommes de lourdes pertes. Encore satisfait de leur aide, le prince Sertime leur fit cadeau de deux magnifiques sabres à lame courbée, forgés par l’école de Maître Asuyâata : l’un des meilleurs armuriers de sa génération. Ce geste avait une grande signification dans cette contrée où un présent de cette nature avait valeur de reconnaissance de la part d’un homme aussi puissant et les deux hommes pourraient se targuer de ce cadeau comme sauf conduit auprès de la guilde des marchands, s’ils recherchaient un emploi. Les deux hommes se sentaient à l’aise dans cet environnement moyenâgeux malgré sa brutalité. Les relations humaines étaient simples et le goût du combat très développé et, après dix-sept années terrestres de calme, les anciens gardes impériaux appréciaient de pouvoir combattre à nouveau, même à l’arme blanche. Ils n’en oubliaient cependant pas leur mission première de trouver des alliés à Paul et ce n’était, à l’évidence pas sur cette planète qu’ils en trouveraient, pensaient-ils. Mais il leur restait tant de choses à découvrir … Le prince marchand offrit une prime exceptionnelle aux hommes qui avaient combattu vaillamment et promis d’indemniser les familles des gardes tués. Milpars revint vers les deux étrangers pour les remercier de leur intervention, car ce n’était pas une attitude courante et le chef des gardes soupçonnait les deux guerriers d’être à l’origine de cette décision. Après une entrée en matière plutôt difficile avec le chef des gardes du prince marchand, la situation s’était aplanie et il s’en était fait un allié précieux. L’humiliation, d’avoir été vaincu par des hommes ayant mis hors d’état de nuire vingt combattants entraînés, semblait oubliée. La caravane reprit sa route sans tarder et arriva rapidement en vue de Port Gâal. Rliostem et Klosteran préférèrent quitter le convoi commercial et pénétrer seuls dans la capitale du royaume, malgré l’insistance de Sertime qui se faisait fort de les recommander auprès des autorités de la ville. Introductions, justement, que souhaitaient éviter Rliostem et Klosteran, qui voulaient rester discrets. Ils se présentèrent donc, à pied, à l’entrée sud de la ville fortifiée. Le royaume n’était pas en guerre, mais les luttes incessantes avaient créé une atmosphère de suspicion et les deux hommes durent répondre à de nombreuses questions concernant les raisons de leur venue à Port Gâal. Heureusement qu’ils avaient, entre-temps, amélioré leur pratique du gâalanais, car le chef des gardes n’était pas bien disposé ce jour-là et, en fin de compte, c’est le nom de Sertime qui fut leur sésame. Les gardes royaux leur laissèrent l’accès à la cité portuaire et ils purent se lancer à la recherche d’une auberge pour la nuit. Le marchand leur avait offert, à chacun, une bourse pleine de pièces de métal qui devaient leur permettre de vivre confortablement pendant plusieurs jours et en les quittant il leur avait fait promettre de venir le voir s’ils cherchaient un emploi d’homme d’armes. La ville était très animée et la foule bigarrée offrait un spectacle plutôt joyeux. Il y avait certainement de la misère dans ce royaume médiéval, mais la population ne semblait pas accablée comme sur le monde de Kvia, planète féodale située dans la bordure ou un abominable système autocratique faisait régner la guerre depuis plusieurs centaines d’années. Sans la Charte des Al-Heoxyrians, l’Empereur Verakin aurait d’ailleurs fait cesser cette barbarie depuis longtemps. Ici les couleurs étaient chatoyantes et les gens plutôt joviaux. La présence de gardes royaux ne provoquait pas de réaction de crainte des habitants, ce qui prouvait qu’ils étaient plutôt bien considérés par la population. Sertime leur avait décrit Port Gâal comme un lieu plutôt agréable à vivre, même pour les plus pauvres, car le travail y était abondant et il n’y avait pas de famine. Le climat tempéré de la région donnait au lieu, un air de Toscane au 15e siècle terrien et Klosteran, qui s’était pris de passion pour l’histoire, venait de faire la comparaison. Il souhaitait néanmoins que les intrigues politiques et religieuses soient moins prégnantes que dans l’Italie de l’époque des États Pontificaux… En flânant de rue en rue, Rliostem et Klosteran arrivèrent devant une auberge appelée « le chat errant », installée face au port. N’ayant pas de repères sur les critères d’hébergements locaux, les deux hommes entrèrent et demandèrent chacun une chambre. - Combien de nuits comptez-vous rester dans notre établissement ? s’enquit l’aubergiste. Les deux hommes ne pensaient pas s’éterniser sur Polona, ils réservèrent donc pour deux nuits et le patron exigea une pièce de métal argenté en guise d’avance. Leurs deux bourses en comportaient une cinquantaine et ils apprirent ainsi que ces pièces étaient des tâalents blancs. Il y avait des tâalents jaunes et des rouges, chacun sous-parti des précédents. Rliostem et Klosteran ne reconnaissaient pas le métal, mais la couleur s’apparentait à de l’argent plus clair et les tâalents rouges à du cuivre plus foncé. Pour l’heure, ils n’avaient pas eu l’occasion de voir des tâalents jaunes. Les deux hommes prirent leur repas à l’auberge pour cinq tâalents rouges, soit un demi-tâalent blanc, et allèrent se coucher en ayant activé un drone de surveillance et pris soin de barricader la porte de leur chambre. Apparemment, la ville était calme et ils n’eurent pas à subir de désagrément pendant la nuit. Ils se retrouvèrent tranquillement pour un petit-déjeuner alors que le soleil était déjà haut dans le ciel et il était temps de faire un peu de repérage afin de vérifier si cette planète pouvait servir de base de repli, au moins temporairement. Une planète humano-compatible serait toujours plus accueillante qu’un caillou inhospitalier dans la bordure. Les hommes de Sarian se rendirent ensuite sur le port pour observer les navires locaux. Il n’y avait rien d’original d’autant qu’ils n’y connaissaient rien en gréements et ils étaient totalement incapables de distinguer les différences entre les voiles des différents bateaux amarrés dans le port. Tout au plus, purent-ils observer la diversité des formes de voiles, des tailles des navires et des drapeaux accrochés à leurs mâts. Port Gâal semblait être une plaque tournante importante du commerce maritime local, mais la présence de fortifications, à l’entrée du port, laissait néanmoins penser que si la paix semblait aujourd’hui régner, il n’en avait peut-être pas toujours été ainsi. Les deux hommes se mirent ensuite en quête d’une échoppe pour s’acheter des habits, car, si le prince Sertime leur avait fait don d’une tunique, il leur fallait maintenant s’offrir une garde-robe plus en adéquation avec leur position d’hommes d’armes. On leur indiqua le chemin pour rejoindre le quartier des tailleurs et ils se dirigèrent vers l’adresse recommandée par le prince marchand : le Gilet Rouge. L’échoppe était réputée pour habiller les principaux pairs du royaume et, certains le prétendaient, le roi lui-même de temps à autre. Les deux hommes poussèrent donc, en toute confiance, la porte du Gilet Rouge. - Entrez, mes seigneurs. Que peut faire ma modeste échoppe pour des princes tels que vous ? annonça un personnage, d’un certain âge, qui s’adressa à eux avec déférence malgré leurs tuniques plutôt modestes. - On nous a recommandé votre boutique pour nous confectionner une garde-robe digne de notre rang. Répondit Rliostem, satisfait de l'accueil. - Nul doute que c’est un grand seigneur qui apprécie nos confections pour vous avoir recommandé. Puis-je savoir quel gentilhomme a eu cette largesse à l’égard de mon modeste commerce ? - Le prince marchand Sertime répondit Klosteran amusé par le langage fleuri du tailleur. - Ah ! Cet illustre personnage est de vos connaissances ? Je suis honoré de sa recommandation. Que puis-je vous confectionner qui vous satisfasse ? Rliostem allait répondre lorsque la porte s’ouvrit brusquement pour laisser entrer deux jeunes hommes, visiblement éméchés, qui devaient émerger d’une nuit de beuverie. - Couturier ! Fabrique-nous des pourpoints dans l’heure. Brailla l’un d’eux en titubant. - Comme il vous plaira, messeigneurs. Je me mets à l’ouvrage dans l’instant. Souhaitez-vous attendre dans ma modeste échoppe ou revenir plus tard dans la journée ? répondit le tailleur sans sembler être perturbé par l’odeur avinée qui émanait de deux importuns. - Nous voulons te voir travailler afin d’être sûr que tu ne nous voles pas sur le tissu. Aboya le second en s’avançant et en bousculant violemment Rliostem. - He bien, Messieurs ! Un peu de courtoisie ne vous ferait peut-être pas de mal ! s’exclama celui-ci, furieux d’avoir été interrompu et bousculé. - Qui es-tu, toi, pour nous adresser la parole ? demanda le premier en portant la main à son sabre. - À votre place, je laisserais cette lame dans son fourreau si vous ne voulez pas être blessés, intervint posément Klosteran, qui sentait venir les ennuis. - Je vous en prie, messeigneurs. Pas d’esclandre dans mon échoppe. S’alarma le tailleur visiblement plus inquiet pour son magasin que pour ses clients. Le jeune homme le plus proche de Klosteran sortit son sabre de son fourreau avec l’intention évidente de s’en servir contre Rliostem, mais celui-ci, dans un mouvement vif, lui porta un puissant atémi qui l’envoya au pays des songes. Le second resta paralysé devant la lourde chute de son ami s’effondrant dans les rouleaux de tissu du Gilet Rouge. - Vous avez porté la main sur le fils du duc Tâardian ! Vous êtes des hommes morts. Gardes ! Emparez-vous d’eux ! Ils ont agressé le fils du duc. Beugla-t-il en ouvrant la porte extérieure et en rameutant des hommes d’armes restés dans la ruelle. Huit gardes se précipitèrent immédiatement à l’intérieur de la petite boutique pour se saisir des ildarans. Les deux hommes eurent beaucoup de peine à se débarrasser de leurs adversaires à cause de l’étroitesse de la boutique. Mais les gardes se gênaient mutuellement dans l’espace restreint et devaient les affronter un par un. Klosteran en profita au passage pour assommer le deuxième jeune homme qui vociférait toujours comme un putois. - Fuyez ! quittez la ville ! Les gardes vont vous rechercher partout. S’écria le tailleur, totalement paniqué par l’incident. - Mais nous n’avons pas l’intention de fuir, ces deux hommes nous ont attaqués les premiers et nous exigeons réparation. Répondit Rliostem avec assurance. - Vous avez peut-être raison, mais Tâargrien est le fils du puissant duc Ravokâan Tâardian, et peut-être le futur prince de Gâal, s’il épouse la fille du roi. - Cela ne change en rien au fait qu’ils nous ont agressés les premiers. Intervint Klosteran, l’air buté. Il était de toute façon trop tard pour fuir, car une cohorte de gardes royaux venait d’encercler la boutique du tailleur. Un officier d’âge mûr était à leur tête et il entra calmement dans la boutique en toisant les deux hommes. - Dois-je comprendre, Messires, que vous êtes la cause de tout ce tracas ? lança-t-il d’une voix forte, habituée au commandement. - Il se pourrait nous y soyons mêlés, mais en aucun cas nous n’en sommes à l’initiative. Nous étions en train de choisir des tissus lorsque ces jeunes gens enivrés nous ont cherché querelle. Tenta d’expliquer Rliostem. - L’affaire est fort embarrassante. Vous avez, semble-t-il, agressé le jeune Tâardian et son cousin puis quelque peu malmené leurs gardes. Fit-il en toisant les nombreux hommes, titubants dans la boutique. Je me dois de vous emmener au poste de la garde royale afin de tirer cette affaire au clair. Remettez-moi vos armes s’il vous plaît, inutile de provoquer un autre esclandre, nous sommes vingt. Bien que le nombre de gardes n’intimida pas les deux ildarans, ils préférèrent remettre leurs sabres au capitaine des gardes royaux. Celui-ci s’étonna de la qualité des lames et, lorsqu’il apprit qu’elles leur venaient du prince marchand Sertime, son embarras n’en fut qu’accentué. Encore une affaire délicate qu’il va me falloir gérer. D’ici à ce que cela dégénère en une vendetta entre un grand seigneur et la guilde du commerce. Décidément, le royaume n’avait pas besoin de cela en ce moment pensa-t-il. Les deux jeunes gens reprenaient leurs esprits, de même que leurs gardes et le capitaine de la garde royale, resté en arrière, leur intima de se rendre au palais pour toutes doléances, précisant que ses hommes avaient arrêté les fauteurs de troubles. - Remettez-les-nous capitaine ! je suis le fils du duc Tâardian ! intervint le plus querelleur en bombant le torse d’un air hautain. - Je sais qui vous êtes, Monseigneur, mais ces hommes ont troublé l’ordre de la cité et leur sort dépend de la justice du roi. À moins que vous souhaitiez vous substituer à celle-ci ? lui rétorqua insidieusement le capitaine des gardes. - Non..., bien entendu capitaine, personne ne peut se substituer à la justice du roi. Répondit le jeune Tâardian, visiblement furieux, mais impuissant. Je me rendrai personnellement auprès du roi Mâaspec pour réclamer leurs têtes, soyez-en sûr. Conclut-il en quittant l’échoppe plein de morgue, suivi par ses gardes et son cousin se tenant la tête. Rliostem et Klosteran, malgré leurs protestations devant l’injustice de voir partir libres leurs contradicteurs, furent emmenés au poste de garde pour y être interrogés par un envoyé du palais de la justice. La première journée à Port Gâal commençait bien pour les deux hommes qui se demandaient comment se sortir de ce pétrin sans avoir recours à leurs armes modernes, d’autant que le recours à des technologies avancées risquait de les faire repérer par les contrebandiers stationnés sur la septième planète qui devaient certainement avoir, maintenant, disposé des drones de surveillance orbitaux. Comme reconnaissance en douceur ; il y avait mieux… * Le plan prévu par Corvin était en place : six des membres de son équipe étaient prêts à transiter directement dans l’appartement des parents adoptifs d’Ishar à son signal. Ils disposaient de deux neutralisateurs de saut, synchronisés par l’IA du Squirs Prime, et dès que les gardes Verakin émergeraient, les appareils seraient activés, interdisant toute retraite par saut quantique. À six psykans, rompus aux meilleures techniques de combat renforcées avec des Nanocrytes militaires de niveau six, Corvin ne doutait pas réussir à se rendre maître de ses adversaires. Sa seule crainte était de les voir disparaître, de nouveau, comme lors de la dernière embuscade, mais il espérait cette fois-ci que les neutralisateurs de sauts rendraient impossible tout déplacement quantique. L’officier squir donna le top et ils transitèrent simultanément dans la salle à manger du couple Delavigne alors que les parents adoptifs de Paul étaient tranquillement installés devant leur terminal télévisuel. La surprise fut totale pour les deux terriens qui n’eurent pas le temps de réagir et deux psykans du groupe les plongèrent immédiatement dans un sommeil sans rêves puis les installèrent soigneusement dans leur chambre. Corvin avait donné des instructions strictes : les deux terriens devaient être parfaitement traités afin de pour pouvoir négocier dans de bonnes conditions avec Ishar Verakin et ses hommes. Son objectif restait la capture de l'héritier et il ne voulait pas gâcher ses chances en braquant inutilement ses adversaires. Corvin s’attendait à voir apparaître très vite la garde Verakin, persuadé que leur déplacement avait été enregistré par les senseurs de ses adversaires. L’attente commença, mais au bout d’une heure, le doute s’installa dans l’esprit des squirs. Était-il possible que les senseurs ennemis aient été désactivés et qu’ils ignorent tout de l’opération en cours ? Après quatre heures d’attente, et malgré leur entraînement militaire, les hommes de Corvin devenaient nerveux, car il allait faire jour dans trois heures et les risques d’être découverts allaient se multiplier. Le merveilleux plan du squir semblait avoir échoué. - Bien, s’il n’y a aucun changement d’ici les deux prochaines heures nous allons faire mouvement et nous emmènerons avec nous la famille adoptive d’Ishar Verakin. On les garde endormis durant toute la durée de l’opération et on les mettra en stase dès que nous serons revenus à bord. Ordonna Corvin. Le squir n’eut pas le temps de terminer sa phrase que Paul se matérialisait au milieu du groupe et les neutralisateurs s’activèrent aussitôt, déclenchés par l’IA du vaisseau en orbite. - Bonjour, Messieurs. Pouvez-vous m’expliquer cette intrusion dans la vie de terriens innocents ? Il s'agit d'une violation manifeste de la Charte, non ? lança Paul très détendu. Les membres du commando avaient réagi à la mesure de leurs améliorations physiologiques et avaient déjà tous leur pulseur à aiguilles à la main. Paul ne fit aucun geste qui put être interprété comme agressif car, bien qu’il fût protégé par un bouclier Horlzson, il se pouvait que certaines de ces armes soient chargées avec des munitions en Arkrit. - Votre Altesse. Nous vous attendions plus tôt. Fit Corvin, vite remit de l’irruption du garçon. - Quelques formalités à régler avant de venir, répondit nonchalamment ce dernier, volontairement provocateur. - Veuillez, je vous prie, déconnecter votre bouclier et dégrafer votre harnais de transport. Pas de gestes brusques, s’il vous plaît. Il serait dommage que nous nous méprenions sur vos intentions. Ordonna le capitaine impérial. Malgré la bonne surprise de voir apparaître l’héritier Verakin, Corvin restait prudent, car il ne comprenait pas pourquoi Ishar était venu seul et avait attendu aussi longtemps. Il restait en alerte maximum, de même que ses hommes. Sa méfiance s’accentua lorsque l’IA du Squirs Prime l’informa que son déplacement n’avait pas été repéré par les détecteurs de sauts quantiques. Paul s’exécuta lentement afin de ne pas risquer de se faire tirer dessus, mais les squirs étaient des professionnels aguerris, tous parfaitement concentrés sur leur mission et il n’y eut aucun incident malheureux. - Je suis agréablement surpris par votre arrivée, Votre Altesse. Reprit Corvin d’un ton sarcastique. - Votre invitation était trop tentante, laquais de l’usurpateur. La répartie de Paul cingla comme un coup de fouet. L’insulte n’eut aucun effet sur Corvin qui savait parfaitement se maîtriser, mais il eut un léger flottement parmi ses hommes. - Votre dialectique est acerbe pour un adolescent élevé sur un monde primitif, mais vous êtes maintenant mon prisonnier et j’ai ordre de vous ramener à l’Empereur. Corvin avait appuyé sur le mot empereur, afin de faire comprendre au garçon que la légitimité était quelque chose de subjectif et dépendait de quel côté du pouvoir on se trouvait. IA, dès que tu auras déconnecté les neutralisateurs, active les harnais de saut individuels simultanément : je ne veux pas que nos adversaires en profitent pour émerger soudainement. Le plan fut exécuté sans accroc et l’équipe de squirs, encadrant Paul, transita directement à bord du vaisseau en orbite. L’aviso fut mis aussitôt en situation de défense : tous boucliers dressés et ses champs anti-saut activés. - Bienvenue à bord, Votre Altesse. Nous n’avons pas eu le temps de nous présenter l’autre soir. Sourit le squir ironiquement. Je m’appelle Corvin, je suis le chef de la garde personnelle de l’Empereur Kera Seravon. Vous serez traité avec tous les égards dus à votre rang, mais que les choses soient bien claires : je n’ai aucun grief contre vous ou vos proches, mais j’ai reçu l’ordre de vous ramener mort ou vif sur Ildaran Prime et je m’acquitterai de ma mission. Je n’ai pas d’instructions concernant vos fidèles restés sur Terre, mais s’ils en ont les moyens, qu’ils quittent rapidement ce système, car je doute que l’Empereur les laisse en paix. Nous allons nous mettre en route vers l’Empire immédiatement. Si vous voulez communiquer avec vos hommes, vous pouvez le faire, nous ne leur ferons pas la chasse. Compléta le capitaine d’un ton ferme et professionnel. - Je vous remercie pour votre franchise Corvin, sachez que je vous tiens responsable de la mort de mon meilleur ami, mais je vous propose néanmoins de rejoindre ma cause et je puis vous garantir, dans ce cas, que vos hommes et vous serez bien traités On ne peut pas dire que la réponse de Paul fut celle que Corvin attendait, et malgré tout son professionnalisme et son self-control, l’incrédulité s’afficha quelques secondes sur son visage. Néanmoins, il ne commit pas l'erreur de sous-estimer son interlocuteur et réagit aussitôt. - IA, bâtiment en alerte niveau 7, neutralisateurs de champs de saut renforcés sur tout le navire, boucliers au maximum, enclenche la propulsion gravitique, poussée quatre-vingts pour cent en direction de la périphérie. Le bâtiment rapide commença aussitôt à manœuvrer. - C’est inutile Corvin, vous ne pouvez plus rien faire. Vous m’avez amené exactement là où je le voulais. Paul disparut un bref instant avant de réapparaître sur la passerelle, entouré de ses hommes. Il tenait maintenant à la main un sabre visiblement en Arkrit et le menaçait. Le chef des Squirs activa son bouclier Horlzson par réflexe. Ne cherchez pas à lutter contre nous, continua l’héritier Verakin, dont la tête brillait soudainement violemment. Corvin ne l’avait pas remarqué plus tôt, mais des joyaux encerclaient le front de l’héritier et ils irradiaient puissamment. Le chef des squirs tenta de prendre le contrôle de l’esprit de Paul en lui lançant une puissante attaque mentale et fut stupéfait de découvrir un bouclier totalement impénétrable. C’est comme si ses capacités psys avaient disparu. Il avait l’impression d’être prisonnier de son propre cerveau. Ses perceptions extra-sensorielles, qui lui permettaient habituellement d’échanger avec ses hommes et de savoir constamment où chacun se situait, étaient totalement inefficientes. L’officier squir n’avait jamais entendu parler d’un psykan capable d’inhiber les aptitudes d’autres psykans et encore moins de pouvoir neutraliser six hommes de leur niveau ! - Ne cherchez pas à lutter Corvin, vous êtes face à une situation qui nous dépasse tous. L’avenir de l’empire est en jeu et je dispose de ressources qui vous sont inaccessibles. La peur commença à s’immiscer dans l’esprit du commando, car il ne comprenait pas comment les gardes d’Ishar avaient pu se matérialiser sur le vaisseau alors que les champs de neutralisation étaient activés. Il lui revint en mémoire la disparition de ses adversaires en Dordogne et tenta de se rassurer en pensant à une nouvelle technologie de transition quantique, mais il ne pouvait cependant pas se résoudre à se rendre aussi facilement et dans un sursaut désespéré, sorti son poignard en Arkrit avec l’espoir de surprendre Paul grâce à l’accélération fournie par ses Nanocrytes de combat. Aucun des hommes de Paul ne pouvait intervenir, car le squir disposait des mêmes améliorations qu’eux et Corvin accélérait à presque deux fois la vitesse normale. L’officier impérial percevait la vibration de sa lame capable de traverser un bouclier Horlzson, mais alors que son poignard aurait dû atteindre le cœur du jeune Verakin, sa lame fut brutalement bloquée et son bras paralysé. L’héritier le désarma comme on ôte un jouet à un enfant, sans que le psykan ne comprenne rien aux forces en présence, mais malheureusement pour lui, Oria et Sarian avaient réagi et Paul n’eut pas le temps de les stopper. Corvin était déjà mort, atteint par deux lames vibrantes lancées à presque deux fois la vitesse normale. Il mourut inutilement sans avoir compris ce qui se s’était passé. - Paul ! Tu n’as rien ? s’alarma Oria. - Non. Rassure-toi, il ne pouvait pas m’atteindre. Répliqua l’adolescent, navré de la mort du capitaine impérial. - Mais comment as-tu fait pour le contrer ? Tu n’as pas de pack de Nanocrytes de combat ? demanda Sarian, encore sous le coup de la surprise. - Il semble que mes joyaux ne souhaitent pas que je meure tout de suite et ils ont, semble-t-il, un tas de surprises en réserve. Répondit l’adolescent. Les autres squirs, un moment, tentés d’intervenir pour épauler leur chef, furent stoppés net dans leur élan par la menace de deux pulseurs tenus par Darin et Vira. - Nous sommes maîtres du centre tactique, mais l’IA risque de nous donner du fils à retordre maintenant que le capitaine du navire est mort. Intervint Sarian. Je suis d'ailleurs surpris qu’elle ne soit pas encore intervenue. Préparez-vous à défendre le centre des opérations. - Je pourrais essayer de prendre le contrôle de sa partie consciente ? proposa Paul. - À ma connaissance, cela n’a jamais été réalisé, mais tu es plein de ressources et, bien que j’aie encore du mal à accepter cette histoire d’émissaire des Al-Heoxyrians, je dois reconnaître que tu possèdes des talents inconnus jusqu’alors. De toute manière, tu ne risques rien à tenter le coup, accepta Sarian. - Cela pourrait être un peu long, car faire plier une IA est certainement plus complexe qu’un cerveau humain… répliqua Paul incertain du résultat. L’adolescent commença à sonder son environnement comme le lui avait appris Oria et il perçut une forme d’inquiétude mêlée à de la curiosité de la part de l’IA de l’aviso. La sensation était très différente de celle ressentie lors de ses entraînements avec des cerveaux humains. Ici, pas de souvenirs mélangés chronologiquement : le champ sensoriel recréait plutôt un univers froid et analytique. Paul ne détectait pas de barrière mentale comme avec un psykan, mais le schéma de pensée de l’IA était tellement différent de celui d’un humain qu’il mit beaucoup de temps relatif à l’interpréter. Le jeune homme effleurait la mémoire de l’intelligence artificielle sans parvenir à la pénétrer. Il percevait de nombreux souvenirs : son activation –impression de naissance-, une explosion de perceptions sur la structure du vaisseau, des informations sur les senseurs extérieurs, une forme de plaisir à naviguer entre les étoiles, un souvenir de Kera Seravon, vision fugace qui s’effaça rapidement... Visiblement, l’empereur n’était pas venu souvent à bord de ce vaisseau. Le garçon remontait lentement les synapses artificielles à la recherche du centre de décision et une sorte d’agitation devenait palpable dans la structure de pensée du cerveau synthétique. Paul était persuadé d’approcher de son but. Encore un petit effort… - Ça y est, je l’ai eu ! J’ai le contrôle du bâtiment. Je devrais pouvoir également prendre le contrôle du porte-croiseurs Seravon Prime, car il est subordonné à cette unité. J’ai besoin encore de quelques minutes pour consolider mon emprise. S’exclama Paul, surpris par toutes les informations qui se déversaient dans son esprit. - Ça, c’est une excellente nouvelle ! Cela change passablement notre situation si tu contrôles cette petite flotte bien armée et très récente. S’enflamma Darin rasséréné par cette brève victoire. - Je suis resté longtemps dans ce truc ? s’enquit Paul, encore un peu étourdi et reprenant lentement contact avec la réalité. - Presque cinq minutes. Nous commencions à nous inquiéter. Répondit Oria. Je ne savais pas que l’on pouvait contrôler une IA et je ne pense pas que cela ait déjà été fait auparavant. Compléta la jeune ildarane, visiblement impressionnée par l’exploit de Paul. Le garçon était encore dans un état second et Darin dut le soutenir afin qu’il ne s’effondre pas sur le sol. De son côté, Sarian reprenait espoir, car en quelques minutes leur situation s’était radicalement modifiée. Ils disposaient maintenant de quinze navires de combat, d’un aviso rapide et surtout d’un gros porte-croiseurs puissamment armé. De quoi voir venir et quitter le système solaire pour amorcer la reconquête du pouvoir impérial dans de bonnes conditions. - Paul, si tu as le contrôle de l’IA principale, peux-tu ordonner que les quinze autres croiseurs en périphérie du système surveillent les zones d’émergences de manière à ce que nous ne soyons pas surpris si l’Empereur envoie d’autres appareils. Demanda Sarian. - Laisse-moi quelques minutes pour récupérer. La communication mentale avec une IA est vraiment différente d’avec un humain et c’est d’ailleurs peut-être parce que je suis néophyte que j’ai réussi le contact. Si j’avais appliqué la méthode que m’a apprise Oria, je n’y serais pas parvenu. Répliqua l’adolescent, d’un ton abattu par l’effort. - Prends ton temps, mais pas trop quand même, car nous devons manœuvrer rapidement. Sourit l'ildaran, d’un air compréhensif. - OK, reprit Paul. D’après l’IA, treize navires sont éparpillés dans le système solaire. Les deux derniers sont proches du porte-croiseurs, à distance de combat et l’IA me transmet qu’elle va les positionner à neuf milliards de kilomètres du soleil de manière à intercepter tout navire qui émergerait, quelle que soit sa masse. Le cerveau artificiel du Seravon Prime précisa qu’il faudrait environ deux heures pour que le bouclage du système soit effectif, mais qu’ensuite rien ne pourrait émerger sans être susceptible d’être intercepté par un ou plusieurs appareils. Restaient les stations orbitales et celles des lunes de Neptune, contrôlées par la base australienne. Le groupe de Sarian ne pouvait pas les neutraliser, sans que l’intervention ne soit pas détectée depuis la Terre, mais ne pouvaient pas non plus laisser intactes des plateformes mobiles susceptibles de leur envoyer, sans préavis, des salves de disques-torpilles de classe planétaire. Il faudrait un certain temps avant que les impériaux, de la base terrestre, ne comprennent que la flotte était aux mains des Verakin, car l’IA pourrait toujours arguer que Corvin était occupé à traquer les rebelles. Sarian comptait utiliser ce répit pour quitter le système, mais il restait encore de nombreux points à régler avant le départ. L’ildaran enferma les survivants du groupe de Corvin dans une cabine transformée en cellule et verrouillée par l’IA du bord puis demanda à Paul de ramener toute l’équipe à l’intérieur de la base de Dordogne. L’adolescent était épuisé, mais Sarian ne voulait pas que les impériaux présents en Australie repèrent les transitions quantiques vers la base de Dordogne afin de ne pas éveiller leurs soupçons et seul son nouveau talent de déplacement leur permettait de rester discrets. Leur retour fut accueilli avec soulagement et Stéphanie se jeta, sans retenue, au cou de son amant. Celui-ci était encore un peu titubant et la jeune fille s’en aperçut. - Paul, que s’est-il passé ? J'ai eu si peur ! les larmes coulaient sur les joues de la jeune fille - Tout va bien, nous avons le contrôle de la flotte impériale présente dans le système solaire. Répondit fièrement l’adolescent, un peu grisé par la situation, maintenant que la tension du combat était retombée. Sarian ne perdait pas de vue les priorités et doucha un peu l’enthousiasme de Paul. - Bien, maintenant il faut aviser pour la suite, car, si la menace à court terme a disparu, la base australienne va chercher à savoir ce qui se trame. Il faudrait d’ailleurs ordonner à l’IA d’empêcher toute transition de sonde messagère, en sortie du système, car il faut éviter que les impériaux n’appellent du renfort. Tu peux communiquer avec l’IA d’ici ou il te faut une ligne holocom ? Voulut savoir le chef de la garde, toujours aussi efficace. - Je peux communiquer avec elle d’ici, je ne connais pas la portée de mon emprise, mais, pour le moment, je la perçois parfaitement. L’ordre est relayé aux croiseurs : si une sonde messagère est expédiée depuis la base australienne, elle sera détruite avant d’avoir atteint un point de saut. Répondit le garçon. - Où est le bâtiment de classe Tonnerre ? s'enquit Telius, qui était resté silencieux jusqu’ici, mais s’inquiétait de savoir le vieux croiseur de guerre certainement à portée de tirs. - L’IA du Squirs Prime l’a en visuel, il est à deux mille kilomètres sur la même orbite. Transmit Paul - Je n’aime pas trop savoir un navire de combat aussi près du seul appareil capable de nous exfiltrer de ce système, fit remarquer Darin. On n’a pas trop le choix. Nous ne pouvons pas l’engager si près de la planète : n’importe quel terrien pourrait apercevoir sa destruction avec une paire de jumelle. Souleva Sarian. Stéphanie voulut que Paul lui raconte l’opération, car, même si elle n’avait pas la fibre guerrière, les exploits de son amant l'exaltaient. Elle était restée à l’écart de la préparation du plan de Sarian et elle ignorait presque tous des nouveaux talents du jeune homme. Elle voulut donc tout savoir de ses nouvelles facultés même si, Paul le ressentait presque physiquement, elle semblait effrayée par ses nouveaux pouvoirs. - Tu peux lire dans les cerveaux ? demanda l’adolescente à voix basse en entraînant le garçon un peu à l’écart. - Je n’en sais rien, je n’ai pas encore essayé. Tu sais, je n’ai pas eu trop le temps de réfléchir : tout cela est un peu soudain. Il y a encore deux semaines, nous nous préparions tranquillement à passer des vacances au Maroc et aujourd’hui je commande, virtuellement, la première puissance militaire du système solaire. S'extasia le garçon, un peu euphorique. - Et que comptes-tu faire de nous ? interrogea la jeune fille légèrement anxieuse. - Comment cela ? Rien ne change entre nous Stéphanie : je dois juste intégrer de nouvelles responsabilités. Se méprit l’adolescent. - Je voulais dire pour Mélanie et moi, lui précisa son amie d’un regard grave. - Oh ! Mais je n’ai pas à décider à votre place. Pour le moment, il a fallu que vous restiez avec nous, pour des raisons de sécurité, mais maintenant vous pouvez choisir votre destin. Répliqua-t-il, un peu contrarié par les remises en cause que soulevait cette question. - Et toi, que vas-tu faire ? s’enquit timidement la jeune femme, craignant la réponse. - Je ne sais pas encore, mais il me semble difficile de rester ici. Pour le l'instant, nous avons obtenu un répit, mais, d’après Sarian, l’empereur devrait envoyer une autre flotte et ce ne sont pas nos malheureux navires qui nous protégeront. Je dois encore faire le point avec lui pour définir quelles sont toutes nos options. Répondit l’adolescent, gêné par le regard accusateur de son amie qui semblait lui reprocher d’avoir pris une décision sans en discuter avec elle. - Vous devez bien avoir faim avec ces émotions. Intervint Telius, toujours pragmatique. - Bonne idée. Acquiesça Oria. Il ne faut pas oublier l’essentiel : un bon guerrier est un guerrier bien nourri. Paul remercia intérieurement Telius de lui avoir momentanément évité une discussion qui promettait d’être houleuse. - Mélanie est toujours dans sa chambre ? s’enquit Sarian. - Oui, elle s’est fait apporter de la nourriture, mais n’est pas sortie. Rapporta Numarion, qui était chargé de la surveiller. L’homme n’insista pas et toute l’équipe se retrouva autour de la grande table de la salle de repas de la base. Paul avala littéralement la valeur énergétique de trois repas pantagruéliques tant il était affamé même s’il n’en avait pas ressenti les signes habituels. Après avoir ingurgité plus de huit mille calories, il sembla rassasié et se laissa aller sur le dossier de sa chaise. Les ildarans le regardaient d’un air amusé, car ils connaissaient bien ce phénomène déclenché par les Nanocrytes qui avaient besoin de reconstituer leur stock énergétique. Ce fut un bref moment de détente où tout le monde essaya d’oublier un peu la situation, mais où l’incertitude sur l’avenir restait prégnante dans l’esprit de chacun. Darin en profita pour ouvrir de bonnes bouteilles de vin français, car, depuis qu’il s’était découvert une passion pour les grands crus, l’ildaran avait aménagé une petite cave dans une cavité de la grotte. Il revint de sa cave avec un air triomphant en exhibant fièrement deux bouteilles de Château L’Angélus 2005, un excellent Saint-Emilion Grand Cru Classé. Il souhaitait pouvoir en emmener une partie, car il avait accumulé plus de sept cents bouteilles et trouvait dommage de tout abandonner sur place. Maintenant qu’ils disposaient d’un énorme vaisseau, le volume et le poids ne devraient plus être un souci. Paul, qui avait appris à apprécier les bons crus avec son père adoptif, lui assura, sans plaisanter, qu’il aurait le concours des androïdes du Squirs Prime pour l’aider dans son petit déménagement. Le côté burlesque de la situation n’échappa à personne et Sarian se surprit à sourire, ce qui lui fit énormément de bien après ces instants d’extrêmes tensions. Chapitre 30 À Port Gâal, Rliostem et Klosteran attendaient depuis maintenant deux heures dans une cellule inconfortable qu’un représentant du palais vienne les interroger. L’officier qui les avait appréhendés leur avait expliqué que l’affaire était très sensible : le jeune Tâargrien était le prétendant le plus sérieux pour épouser la fille du roi, favorisé par le pouvoir et l’argent de son père. Le fils du duc était précédé d’une mauvaise réputation ayant déjà déclenché de multiples altercations depuis son arrivée dans la cité, trois jours auparavant, mais sa position sociale lui avait épargné d’être arrêté et le roi lui-même avait donné des instructions pour qu’il ne soit pas inquiété. La situation politique du royaume n’était évidemment pas étrangère à ces consignes très inhabituelles de la part de Mâaspec, considéré généralement comme un roi juste. Un assesseur de justice arriva enfin, accompagné d’un représentant des deux nobles. Ces derniers avaient déjà été interrogés, mais l’assesseur voulut connaître la version de Rliostem et de Klosteran. Sans surprise les deux dépositions ne concordaient pas : les nobles Tâardian accusaient les étrangers de les avoir insultés dans la boutique et, comme le témoignage du tailleur ne comptait pas et que, de toute façon, il ne souhaitait pas se mêler des affaires de puissants, le représentant de la justice royale ne pouvait statuer. - Mes clients demandent le jugement du cercle, intervint le représentant des Tâardian. - Nous sommes étrangers et ne connaissons pas vos usages. Quel est ce jugement du cercle ? s’enquit Klosteran. - Il s’agit d’un combat à mort dans le cercle de la justice, lui répondit l’homme de loi en se tournant vers eux. - Vous voulez dire que nous devrions combattre ce jeune homme et son ami pour laver notre honneur, s’étonna Rliostem. - Eux ou leurs représentants, étant donné qu’il s’agit d’hommes de haute naissance. Acceptez-vous ? demanda l’assesseur. - Avons-nous le choix ? répondit Rliostem, pourtant peu enclin à jouer les gladiateurs dans une arène moyenâgeuse. - Oui. Mais refuser signifierait reconnaître votre culpabilité et je devrais rendre un jugement sur l’agression de deux nobles. Expliqua l’homme de loi. - Donc nous avons le choix de combattre ou d’être déclarés coupables. Devant ces alternatives nous acceptons le duel. Décida Rliostem en regardant Klosteran, l’air un peu désabusé par la justice de ce pays. Les deux ildarans pensaient pouvoir se débarrasser facilement des jeunes gens sans avoir à les tuer et ne s’inquiétaient donc pas trop de ce jugement du cercle. Au pire, ils disposaient des boucliers Horlzson et, si ça tournait mal, pourraient toujours s’éclipser. - Parfait. Dans ce cas les duels auront lieu demain après-midi dans le cercle du jugement. Avez-vous des témoins qui puissent garantir votre moralité ? Voulut savoir l’assesseur du roi. - Comme je vous l’ai indiqué, nous sommes étrangers à cette cité et nous ne connaissons que peu de monde, mais si vous pouviez faire prévenir le prince Sertime. Demanda Klosteran. L’assesseur parut contrarié à l’évocation du prince marchand et les deux hommes pouvaient décrypter l’expression de son visage qui entrevoyait déjà les complications politiques de cette affaire. Le gâalanais s’engagea néanmoins à le faire prévenir au plus tôt et leur annonça que si Sertime se portait garant d’eux, ils seraient autorisés à sortir de prison avec la condition de se présenter le lendemain, après le demi-jour, au cercle de la justice. Les deux ildarans, qui étaient condamnés à suivre les us et coutumes de cette contrée, voulurent en apprendre un peu plus sur les règles de ce jugement. Ils apprirent ainsi qu’il s’agissait d’une vieille tradition qui visait à s’en remettre au duel lorsque la loi des hommes ne pouvait trancher. Cette pratique n’était plus beaucoup utilisée et l’assesseur était assez surpris que le jeune Tâargrien ait requis ce type de jugement. Il tenta de rassurer les deux hommes en leur précisant que cela faisait plus de cent trente ans qu’il n’y avait pas eu de combat à mort, car fréquemment le vainqueur s’estimait satisfait lorsque le vaincu rendait les armes au premier sang. - Néanmoins si le prince souhaite un combat à mort il est en droit de l’exiger ? questionna Rliostem en regardant Klosteran d’un air entendu. - En théorie oui, mais je ne pense pas qu’il le fasse. Ajouta l’homme de loi. - Eh bien moi, je n’en serais pas si sûr. Pressentit Klosteran Le prince Sertime se présenta une heure plus tard, accompagné d’une dizaine de gardes imposants, dont Milpars. - On vient de me prévenir. On peut dire que vous avez le chic pour vous mettre dans le pétrin. À peine arrivé en ville, vous vous êtes déjà fait un ennemi mortel avec le fils du plus important personnage du royaume, après le roi. Je savais que j’aurais dû vous convaincre de rester avec moi, au moins quelques jours. Attaqua aussitôt le prince marchand, l’air contrarié. - Merci d’être venu, Prince, nous vous sommes redevables, répondit Rliostem. - Nous ne sommes pas à l’origine de ce différend. Le jeune homme et son cousin étaient soûls et nous ont provoqués chez votre tailleur tenta de justifier Klosteran - Oh, je connais l’histoire ! répondit Sertime. Elle a fait le tour de la ville avec des variantes quelque peu fantaisistes. Le gâalanais leur expliqua que l’affaire était d’importance, car le roi était impliqué et que le bruit courait que des messagers avaient été envoyés vers le duché Tâardian pour avertir le seigneur Ravokâan. Mâaspec craignait que celui-ci ne profite de l’occasion pour venir à Port Gâal avec une force armée et, en ces temps de situation politique fragile, tente de faire pression pour l’obliger à marier sa fille avec Tâargrien. Sans le savoir, les deux ildarans étaient devenus le catalyseur d’une situation complexe qui menaçait la stabilité du royaume. - Eh bien si nous avions pu nous douter que se rendre chez un tailleur pouvait menacer le royaume, nous serions restés habillés plus simplement, sourit Klosteran. - Ne prenez pas la situation à la légère. S'agaça Sertime, d’un air grave. Si je suis venu avec des gardes, c’est que l’on pourrait bien tenter d’attenter à votre vie, car votre disparition arrangerait beaucoup de monde. Ma présence et celle de ma garde devraient les dissuader, car je représente la guilde du commerce et s’attaquer à moi entraînerait un remous politique que même les opposants du roi Mâaspec ne souhaitent pas. - Monseigneur, nous avons de la visite, intervint le chef de la garde de Sertime. Une vingtaine de soldats aux couleurs des Tâardian encerclaient le poste de garde. Un homme qui semblait les commander s’avança lentement vers le poste sans intention agressive apparente. - Je souhaite parler au prince Sertime, lança-t-il d’une voix forte et assurée. - Milpars, va voir ce qu’il veut, mais aucune provocation, nous ne sommes pas ici pour déclencher un conflit entre les Tâardian et la guilde et je pense qu’eux non plus. Émit le marchand. Le chef des gardes de Sertime s’entretint quelques instants avec le capitaine des Tâardian puis revint faire son rapport. Il semblait que le risque d’assassinat ait été également envisagé par les Tâardian qui tenaient absolument au jugement du cercle et ces hommes avaient été envoyés, par le représentant du duc en ville, pour s’assurer que les deux étrangers arrivent sains et saufs chez le prince. - Tu penses que l’on peut leur faire confiance ? s'enquit Sertime - Je connais leur capitaine de réputation, c’est un homme intègre qui est le véritable chef de la garde du duc Ravokâan Tâardian. Assura Milpars. Celui-ci savait que l’officier était à Port Gâal pour surveiller Tâargrien et qu’il ne trahirait pas sa parole. S’il assurait être ici pour les escorter jusqu’au palais, il n’y avait aucune raison de mettre en doute sa parole, mais Milpars le soupçonnait d’avoir également comme mission de s’assurer que les protégés du marchand ne quittent pas la ville. - Bien, dans ce cas, ne traînons pas ici, inutile d’attirer plus l’attention. Rliostem, Klosteran, vous monterez directement dans ma voiture qui est devant la porte et je me placerai au milieu de vous deux. Milpars, informe ce capitaine que nous faisons mouvement, qu’il n’y ait aucune méprise. Ordonna Sertime. - Vous ne pensez pas que c’est un peu exagéré, s’étonna Rliostem. - Un surcroît de précautions ne nuit pas, mais sachez que si vous étiez tués, la guilde serait dans l’obligation de répondre à l’agression et cela entraînerait un chaos qui pourrait déstabiliser l’équilibre fragile entre plusieurs forces du royaume. Cela pourrait même déclencher une guerre civile entre différentes factions. Exprima le prince, d’un ton solennel. - Tout ça pour un costume ! lâcha Klosteran en haussant les épaules d’un air désabusé. Les deux ildarans prirent néanmoins l’avertissement au sérieux et activèrent leur bouclier Horlzson au minimum, suffisamment, néanmoins, pour stopper une flèche ou un coup d’épée, mais en évitant que l’irisation ne soit perceptible. Heureusement la sortie du poste se fit en pleine lumière et les reflets du bouclier furent masqués par le lumineux soleil de Polona, accentué par les reflets bleutés de l’anneau planétaire qui offrait une vue surnaturelle. Prenons ça comme un bon augure, pensa Klosteran. Le trajet dans Port Gâal, jusqu’au palais de Sertime, se déroula sans encombre. Soit que les inquiétudes du prince aient été surévaluées, ou que l’imposante escorte des deux influents personnages ait découragé toute attaque. Rliostem et Klosteran furent rapidement conduits dans une grande bâtisse, demeure du prince lorsqu’il résidait dans la capitale du royaume. Ce fut l’occasion pour eux de se détendre et de se restaurer : les trois hommes se retrouvèrent autour un buffet de nourritures et de boissons pour préparer les combats du lendemain. Les deux ildarans en profitèrent pour rassurer leur hôte en affichant leur pleine confiance sur l’issue des duels. Sertime les avait vu combattre, mais les mit en garde sur les subtilités du jugement du cercle qui autorisaient à se faire représenter. Il insista surtout sur l'importance de la famille Tâardian qui avait à son service des guerriers expérimentés. Ce qui contrariait un peu les deux hommes, c’est que le rite imposait un habit court sans aucun ornement et cela leur interdirait de porter leur ceinture intégrant le générateur de bouclier Horlzson. Rliostem et Klosteran restaient cependant confiants, car, même sans bouclier, ils doutaient qu’un natif de Polona puisse les vaincre. Ils étaient améliorés aux Nanocrytes de combat et avaient reçu l’entraînement militaire de la garde Verakin. * Dans le système solaire, le répit offert à Paul fut de courte durée, car l’IA du Squirs Prime le réveilla à 4 h du matin. - J’ai un appel de mon homologue de la base australienne, le commandant Florilius s’étonne de ne plus avoir de nouvelle de Corvin. - Réponds-lui que tous les squirs sont concentrés sur une chasse mentale et qu’ils ne doivent pas être dérangés pendant les prochains jours. Cela devrait le faire patienter un peu. On avisera demain matin avec Sarian. Répliqua l’adolescent, ne sachant pas trop quoi fournir comme explication sur le silence du Squir. Il va falloir préparer une liste d’excuses plus plausibles, pensa-t-il. Florilius ne crut pas une seule seconde à la version fournie par l’IA du vaisseau, mais il était loin de se douter que la flotte était passée sous le contrôle des rebelles Verakin. Il soupçonnait plutôt que le squir cherche à s’attribuer l’intégralité de la capture d’Ishar Verakin et marginalisait, à dessein, l’équipe australienne. Une attitude qui, au fond, ne lui déplaisait pas trop, compte tenu de l’évolution plutôt négative de la situation. La traque s’éternisait et l’empereur allait vraisemblablement s’impatienter et envoyer une autre flotte et Florilius ne tenait pas tellement à être associé à l’échec probable de Corvin. La courte conversation n’avait pas réveillé Stéphanie qui dormait près du jeune homme et Paul pût se recoucher, en observant le sommeil de sa compagne. Il ne réussit néanmoins pas à se rendormir en songeant à l’avenir. Qu’allait-elle décider s’il quittait la planète ? Où allait-il devoir s’exiler avec les ildarans ? Que penser des propos de l’émissaire des Al-Heoxyrians ? Reverrait-il ses parents adoptifs ? Trop de questions sans réponse pour un jeune homme de dix-huit ans qui passa ainsi le reste de la nuit à ressasser, en boucle, les mêmes interrogations. Le lendemain matin, après le petit-déjeuner, Sarian souhaita faire un point avec Paul et ses hommes. - Nous allons devoir quitter cette planète. Nous n’avons que quelques jours avant que l’empereur n'envoie d’autres impériaux aux nouvelles, si ce n’est déjà fait, et il nous faut profiter de contrôler cette flotte pour s’éclipser. Inutile de les perdre dans un affrontement perdu d’avance. Exprima l’homme. - Je partage ton avis, mais où penses-tu aller ? interrogea Darin - Nous pourrions nous rendre dans la bordure et chercher à construire une nouvelle base à l’écart. Proposa Sarian, qui avait déjà réfléchi au sujet. - C’est quoi la bordure ? demanda Paul. Oria lui expliqua qu’il s’agissait d’une zone peu explorée au-delà du bras Sagittaire-Carène, non loin du vide entre les galaxies, où l’on trouvait surtout des contrebandiers et des pirates installés sur des lunes désertiques et inhospitalières. Il n’y avait aucune planète habitable répertoriée par Ildaran et donc peu de navires de guerre impériaux. - On pourrait essayer de trouver un système et y installer une base temporaire, proposa le chef des gardes de Paul. - Nous irions sur une planète désertique où il faudrait tout recommencer de zéro ? Ici au moins il y a déjà des installations. Objecta le jeune homme qui ne se voyait pas vivre dans une cabane dans un désert inhospitalier. - Avec les éléments de cette base et surtout les minifabs du porte-croiseur, on pourrait construire une ville complète en moins de six mois. Sourit Darin devant la mine dépitée de Paul. La difficulté allait être de déménager à l’insu des impériaux et des autorités françaises, car aucun croiseur ne pouvait se poser : ils étaient trop gros pour passer inaperçu, même de nuit. Les glisseurs étaient la seule option : ils pourraient atterrir près de l’entrée principale, charger le matériel indispensable et effectuer plusieurs rotations avec le vaisseau. Mais il allait falloir surveiller les impériaux en Australie, car ils chercheraient certainement à connaître la raison de ces va-et-vient et même si Sarian ne craignait pas l’équipe au sol, les systèmes d’armes installées sur la lune étaient une menace à prendre très au sérieux. - On ne peut pas faire une attaque préventive sur leur base ? proposa Paul. - Non, ils sont comme nous, protégés par un écran Horlzson. Si nous les attaquions avec de l'armement lourd, ce sera une violation de la Charte. Imagine un cratère de trois ou quatre kilomètres de diamètre en plein centre de l’Australie éructant des radiations dures. Pas très discret… D’autant que les systèmes de défense installés sur la lune sont autonomes et toute attaque de la base terrestre déclencherait une riposte automatique. Répliqua Darin. - Oui c’est sûr que ça ne passerait pas inaperçu …, sourit Paul, imaginant la réaction des gouvernements face à un affrontement de cette ampleur. Et quelles sont leurs capacités offensives ? - Demande à l’IA du Squirs Prime, elle doit avoir reçu les données de l’IA de la base impériale, intervint Telius, intéressé, lui aussi par l’information. Paul relaya la demande à travers le système holocom. - La base impériale terrestre dispose d’une plateforme de tir sur la face cachée de la lune comprenant deux cents disques-torpilles planétaires à distorsion. Il y a également huit plateformes mobiles réparties sur l’orbite de Jupiter pour faire face à un assaut depuis l’extérieur et une plateforme sur l’un des satellites de Neptune. Cette dernière a déjà tiré seize torpilles et il lui en reste trente-deux, répondit l’IA sur les communications de la salle tactique. - Donc le plus menaçant c’est l’installation sur la lune, car les plateformes mobiles peuvent être évitées avec un bâtiment naviguant à 0,6c. De plus lorsque nous serons à proximité du porte-croiseurs, nous bénéficierons de ses dispositifs de défense. Exposa Telius. - Cela signifie qu’il nous faut neutraliser la plateforme lunaire, le plus rapidement possible, avant qu’elle ne bascule en état de défense. Affirma Darin - IA, la base lunaire est-elle sous champ anti-saut quantique ? demanda Sarian au Squirs Prime. - En dehors des périodes d’alerte, non. Il n’y a aucun écran de protection déployé en permanence. Les procédures prévoient l’activation des champs de neutralisation et des boucliers Horlzson dès l’émergence d’un bâtiment dans le système, mais l’alerte a été levée peu après l’arrivée du porte-croiseurs, identifié comme un navire de l’empire. - Dans ce cas, il ne faut pas traîner. Nous devons détruire les unités de contrôle de tirs en priorité sinon nous sommes coincés ici. La difficulté va être d’investir la base, car je suppose qu’elle est entièrement automatique et capable de résister à une attaque depuis l’espace. Formula Sarian. - Effectivement, la consigne du calculateur de défense est d’interdire l’entrée de quiconque sur le site, sans un code d’accès dont ne dispose pas l’IA de la base australienne. Il était donc temps d’élaborer minutieusement une tactique d’assaut de la base lunaire. Les ildarans se firent transmettre le plan complet du système planétaire de défense et commencèrent à étudier les différentes options. L’IA du porte-croiseur avait analysé les plans du site, mais n’avait trouvé aucune faille dans le système de protection de la base lunaire. Impossible d’opter pour un combat frontal face à un système de défense conçu pour contrer des dizaines de vaisseaux de guerre. Toute intrusion par saut quantique déclenchait le verrouillage et l’intervention des androïdes de combat. Une attaque au sol ferait de gros dégâts et serait assurément repérée par la base australienne. D’autant plus que neutraliser le champ de défense nécessiterait un bombardement massif depuis l’orbite, incompatible avec la discrétion vis-à-vis des terriens. Leur seule option restait donc d’avoir recours au talent de Paul pour transiter directement au sol, protégé par un champ furtif, et rester indétectables aux senseurs ildarans. De cette manière un petit groupe pourrait s’introduire à l’intérieur du site et tenter de neutraliser les systèmes de défense. Mais il fallait encore parvenir à s’approcher suffisamment de la base avec un vaisseau et leurrer l’IA lunaire afin qu’elle tolère la présence d’un navire en orbite. Le petit commando pourrait ensuite rester sous la protection des champs furtifs Horlzson, toute la durée de l’opération. - Cela limite notre intervention à trente minutes maximum sur place. Nota Vira. - C’est court pour neutraliser le calculateur de combat d’une plateforme de cette importance, fit remarquer Telius, qui était l’expert en cybernétique du groupe. - Nous n’avons pas d’autres alternatives de toute façon, il faut tenter le coup. Au pire nous nous retirerons sans avoir désactivé les systèmes de défense et tenterons l’opération une seconde fois. Entérina Sarian. Tout le groupe se prépara minutieusement à investir la plateforme automatique de la lune et L’IA du Squirs Prime transmit les schémas du calculateur de combat, permettant à Telius de préparer des programmes de neutralisation et les détails des secteurs à saboter. Plusieurs simulations furent minutieusement étudiées afin de tester la validité de l’intervention en trente minutes et la préparation prit le reste de la journée. Les deux jeunes filles se sentaient exclues et en étaient réduites à regarder les actualités sur les écrans de la base. Paul percevait clairement la gêne de Stéphanie à son égard, ce qui le mettait de mauvaise humeur, et la tension et les sentiments contradictoires se lisaient sur son visage. Oria et Sarian avaient également remarqué l’attitude de la jeune fille et s’attendaient à devoir gérer des problèmes sentimentaux dans les heures à venir. Quant à Mélanie, son humeur était toujours aussi exécrable, mais elle s’isolait la plupart du temps, accroissant l’angoisse de Stéphanie qui se retrouvait alors seule. Le réel moment de détente était le dîner, où tous se retrouvaient pour échanger des banalités. Stéphanie était ensuite ravie de pouvoir rester avec son amant dans la chambre qui leur avait été attribuée. Cependant ce soir, même sa présence ne suffisait pas à l’apaiser, car elle avait compris, pendant le repas, qu’une action d’envergure se préparait et qu’il y avait un risque majeur pour le groupe et pour Paul en particulier. * En Australie, le commandant Florilius, commençait à s’impatienter de ne plus avoir de nouvelles directes de Corvin et pensait expédier une demande d’instructions directement à ses supérieurs. Ce qui le retenait encore, c’était la crainte de se mettre à dos les psykans. C’est dans ce contexte d’incertitudes et de tensions qu’une nouvelle sonde messagère émergea au large du système solaire. Elle transmit son message et se mit en veille, en attendant la réponse. Florilius accusa immédiatement réception du message et naturellement chercha, une fois de plus, à entrer en contact avec Corvin. Cette fois-ci le groupe de Paul était dans une impasse, car toute tergiversation était inutile. La sonde attendait le rapport du capitaine squir et l’IA de l’aviso ne pouvait pas se substituer au chef de la garde spéciale de l’empereur. Sarian craignait, maintenant, que le commandant de la base australienne ne mette le système solaire en alerte, ce qui bloquerait totalement toute tentative de fuite du vaisseau en orbite. L’IA du Squirs Prime estimait à 0,00087% leur chance d’échapper à un tir de torpilles planétaires lancées depuis la lune tant qu’ils ne seraient pas à une distance d’au moins trois milliards de kilomètres des systèmes d'armes. Il devenait indispensable de neutraliser la station installée sur le satellite naturel de la petite planète bleue. * Chapitre 31 Rliostem et Klosteran passèrent la matinée du lendemain à se préparer au jugement du cercle. La soirée de la veille avait été détendue et Sertime leur avait fait les honneurs de son palais. Le raffinement de la nourriture et de la décoration était conforme au personnage et ravissait les deux hommes. Le prince marchand semblait néanmoins inquiet et s’en ouvrit à ses protégés lorsqu’il revint en fin de matinée. - Mes espions m’ont informé que deux hommes du duc Tâardian sont arrivés cette nuit et ils ont la réputation d’être de redoutables guerriers. D’après mes sources ces hommes sont originaires d’une lointaine région et pratiquent des méthodes de combat peu communes. Précisa le marchand. - Comme vous l’avez constaté, nous ne sommes pas non plus sans ressources dans ce domaine. Tenta de le rassurer Klosteran. La conversation se poursuivit sur le même sujet et après une légère collation, il fut temps de se diriger vers le bâtiment abritant le cercle de la justice. Tous purent constater que les hommes du duc surveillaient la demeure de Sertime et ils les escortèrent, à distance, jusqu’à leur destination. Une foule impressionnante était déjà installée dans les gradins qui surplombaient l’arène centrale, car la nouvelle des duels, dans le cercle de la justice, avait fait le tour de la ville et l’identité des contradicteurs avait accru l’intérêt du spectacle. L’assesseur qui avait accepté le jugement les attendait au centre de l’arène, près d’un cercle d’environ dix mètres de diamètre, délimité par une simple peinture blanche. Six gardes armés étaient répartis à bonne distance de la limite, surélevés sur des estrades en pierre. L’assesseur leur expliqua que tout duelliste qui franchirait le cercle sans l’autorisation serait automatiquement abattu. - Messieurs, vous avez accepté le jugement du cercle, les combats vont pouvoir commencer. Le jeune Tâargrien Tâardian, et son cousin, qui exigent réparation, seront représentés par leurs champions respectifs que voici. Annonça l’homme en leur présentant deux individus, pas spécialement impressionnants. Les deux hommes semblaient avoir une petite trentaine d’années locales, assurément des guerriers à leur façon de se mouvoir, mais d’une taille légèrement inférieure à la moyenne locale. Ils étaient plus proches, physiquement, de Rliostem et de Klosteran que de Sertime. Les deux ildarans s’étaient attendus à devoir affronter de véritables colosses locaux alors qu’ils avaient affaire à des combattants, vraisemblablement très aguerris, mais tout à fait à leur portée, surtout avec leurs améliorations aux Nanocrytes de combat. Les quatre adversaires avaient revêtu une tunique blanche très simple qui interdisait toute dissimulation d’armes ou d’accessoires. Les hommes des Tâardian avaient choisi de combattre au sabre et naturellement Rliostem et Klosteran avaient choisi d’utiliser les lames offertes par le prince Sertime. Le tirage au sort avait sélectionné Rliostem pour le premier duel et il allait affronter un homme roux, champion du cousin de Tâargrien. Rliostem s’apprêtait à entrer dans le cercle lorsque Klosteran l’arrêta soudainement. - Ton adversaire ! Il a une lame en corodrium ! - Quoi ? Mais c’est impossible ! D’après les premiers relevés, il n’y a pas de minerai de corodria sur Polona. C’est probablement pour cette raison que les contrebandiers se sont installés sur la septième planète. Jura Rliostem. - Eh bien, tu pourras demander à ton adversaire d’où lui vient son sabre, car c’est indiscutablement du corodrium. Répliqua Klosteran, catégorique. - Cela ne va pas me simplifier le travail, car ma lame ne va jamais résister. Au premier assaut direct, il va la briser net. Je dois éviter toute attaque frontale, mais, heureusement, j’ai l’avantage de la vitesse. Affirma son ami. - Fais attention tout de même, il a l’air agile ce bonhomme. S’inquiéta Klosteran en observant les déplacements félins du représentant des Tâardian. - Messieurs, il est temps d’affronter votre jugement, leur rappela l’assesseur. Les deux hommes se placèrent dans le cercle et l’assesseur donna le signal du début du combat. Rliostem se retrouva face à un homme d’environ 1,82m, sans un poil de graisse qui n’affichait visiblement aucune crainte sur l’issue du combat. Son assurance avait quelque chose d’un peu provocateur d’autant que Rliostem était d’un gabarit identique et que sa stature aurait dû lui valoir, au moins, un peu d’attention de la part d’un adversaire engagé dans un duel mortel. L’homme roux se mit en garde un peu nonchalamment, le sabre droit face à lui, dans une position typiquement gâalanaise. Il cherchait naturellement à ce que Rliostem l’attaque frontalement pour parer de côté et lui assener un coup susceptible de briser sa lame. Rliostem prit une garde défensive, sabre levé, parallèle au corps et en faisant face à son adversaire de trois quarts. Cette position, typique des arts martiaux japonais, mit instantanément en alerte l’homme roux qui sembla comprendre que quelque chose n’allait pas. La garde de Rliostem ne correspondait pas aux styles enseignés à Port Gâal, mais son hésitation fut néanmoins de courte durée et il chargea soudain à une telle vitesse qu’il faillit surprendre l’ildaran. Ce dernier ne dut qu’à ses Nanocrytes de niveau six de ne pas être décapité par la lame de corodrium. L’homme était amélioré ! Et avec un pack de niveau cinq au moins ! La surprise faillit être fatale à Rliostem, mais son calme revint instantanément et il dévia le sabre de son adversaire d’un léger touché de lame qui ne risquait pas de briser son arme. La surprise changea soudainement de camp, car l’homme venait de comprendre, lui aussi, qu’il avait affaire un à adversaire amélioré aux Nanocrytes de combat, peut-être même plus rapide que lui : de quoi rééquilibrer l’avantage de sa lame en corodrium. Les minutes suivantes furent une succession de passes et d’assauts où l’un cherchait un engagement direct, alors que l’autre feintait pour éviter de briser son sabre. Les vitesses de déplacement et d’engagements provoquaient des exclamations dans la foule des spectateurs. Jamais personne n’avait vu de tels combattants. À l’extérieur du cercle, le champion de Tâargrien Tâardian s’approcha lentement de Klosteran, paumes ouvertes, sans geste pouvant être interprété comme hostile. - Puis-je vous parler, messires ? fit-il avec un léger accent démontrant qu’il n’était pas originaire du royaume. - Allez-y. que voulez-vous ? accepta Klosteran, sur la défensive. - Simplement savoir comment des polonians peuvent être améliorés aux Nanocrytes de combat. Pack six, si je ne me trompe ? avança l’homme, d’un ton assuré. - Il semble que vous ne soyez pas originaire de la région, vous non plus. Continua prudemment Klosteran, en langue ildarane. - J’ai compris que vous n’étiez pas natif de cette planète lorsque j’ai vu la garde adoptée par votre ami. Cela ne pouvait signifier qu’une chose : c’est qu’il avait reconnu le corodrium et comme il n’y en a pas ici… avança l’homme. Baliran ajouta-t-il en se présentant avec un signe de politesse, typiquement ildaran. - Klosteran. Des compatriotes sur une planète perdue, c’est plutôt inattendu. Rétorqua l’ildaran, surprit de trouver des contrebandiers au sol. Il n’imaginait, en effet, pas un instant que ces deux hommes ne soient pas liés, de près ou de loin, à l’activité détectée sur la septième planète. - Comment êtes-vous arrivé ? C’est Marvio qui vous a abandonné ici ? l’interrogea Baliran. - Qui est Marvio ? s’enquit Klosteran. - Vous ne venez pas de Polie ? s’étonna le contrebandier. - Polie ? - La septième planète de ce système rétorqua Baliran, soupçonneux. - Non. Lâcha laconiquement Klosteran. - Vous avez un vaisseau pour quitter cette planète ! s’exclama l’homme soudain très excité. - Possible. Répondit prudemment Klosteran. - Alors il faut arrêter ce combat ridicule. Il se tourna en direction du cercle de justice. Larsen, ce sont des compatriotes de l’empire. Cria-t-il à son compère, en ildaran. L’utilisation de la langue des Initiés fit, de nouveau, son petit effet, car l’assesseur fit instantanément cesser le combat pour en savoir plus. Cela permit aux quatre hommes de se rapprocher et de commencer à échanger entre eux. Le fils du duc et son cousin arrivèrent rapidement et exigèrent que leurs hommes reprennent le combat afin de laver leur honneur, mais les dénommés Baliran et Larsen leur expliquèrent que, dans leur pays, leur religion interdisait de combattre les natifs de la même région. Ils devaient donc se trouver d’autres champions. Le jeune Tâargrien explosa de colère, mais il n’osait pas ordonner à ses gardes de châtier ces insolents, devant la foule disposée autour du cercle de justice, car le prétexte religieux était pris au sérieux dans cette société fortement empreinte de croyances. L’assesseur intervint une nouvelle fois pour ordonner que les combats soient ajournés afin de laisser le temps à Tâargrien et à son cousin de trouver d’autres champions. Il fixa la date du combat à la dizaine suivante. Rliostem et Klosteran réussirent à convaincre rapidement le marchand que leurs adversaires étaient en réalité des habitants de leur région et devenaient, de facto, des alliés. Au fond d’eux, ils n’en étaient pas aussi sûrs, mais ils pensaient préférable de garder un contact étroit avec ces deux individus améliorés et probablement en communication avec les contrebandiers installés sur la septième planète. Tout le monde retourna donc dans le palais de Sertime et les informations fournies par Baliran et Larsen redonnèrent le moral à Rliostem et Klosteran. * Chapitre 32 Le groupe de Paul était enfin prêt à donner l’assaut à la base impériale, sur la Lune. Sarian et ses hommes se firent transporter à bord du Squirs Prime grâce aux nouvelles facultés de l’adolescent, afin d’éviter toute détection par la base australienne. Oria avait préparé des tablettes énergétiques prévoyant que Paul aurait à forcer son talent et que ses Nanocrytes médicales allaient devoir compenser cet excès d’efforts. À peine arrivé à bord, Paul ordonna au vaisseau de mettre le cap en direction du satellite terrestre, distant d’un peu plus de trois cent mille kilomètres. Le départ du petit aviso impérial fut naturellement enregistré par l’IA de la base australienne qui réveilla Florilius. Celui-ci dormait, car c’était le milieu de la nuit de l’autre côté de la planète et il tenta aussitôt de contacter le capitaine squir. L’absence de réponse commençait à l’inquiéter et cette fois-ci il se mit en relation avec la sonde messagère encore en orbite au large de Pluton en attente d’une réponse de Corvin. La communication fut interceptée par le Squirs Prime et Sarian décida qu’il fallait intervenir afin de tenter d’obtenir un répit supplémentaire. Les hommes de Corvin étaient maintenus prisonniers à bord et Sarian demanda à Darin d’aller chercher Niir, le second du capitaine décédé. Il lui proposa un marché : si l’homme acceptait de rassurer Florilius et envoyait un message à la sonde de la part de Corvin, ses hommes et lui seraient saufs et déposés sur Terre au moment de leur départ. Ils pourraient ensuite rejoindre la base en Australie, par leurs propres moyens. Malheureusement, comme Sarian le craignait, la loyauté du commando envers l’Empereur était totale et il refusa tout net, préférant mourir avec ses hommes. Oria suggéra que Paul tente de le contrôler mentalement malgré la complexité de l’opération : le renforcement de son talent de psykan par les joyaux des Al-Heoxyrians devrait lui permettre de le maîtriser psychiquement. C’était la première fois que l’adolescent allait se connecter psychiquement à un esprit humain pour en prendre le contrôle, car jusqu’ici il s’était contenté de fermer son esprit aux attaques des Squirs et de communiquer avec l’ildarane. L’expérience avec l’IA allait être utile, mais Oria se préparait à l’assister, car la prise de contrôle d’un psykan entraîné était extrêmement délicate et Paul n’avait pratiquement aucune formation. Ils accordèrent leurs esprits et la jeune femme le guida habilement pour amorcer l’assaut de l'esprit du second de Corvin. Mais celui-ci avait anticipé la tentative et la première approche, servant de test, fut un échec. L’homme était un excellent psykan et, sans le renfort de ses pierres qui avaient pris l’allure de feu de Bengale sous l’effort, Paul ne serait même jamais parvenu à trouver un angle d’attaque face à cette puissante muraille défensive. Le squir se permit un sourire sarcastique. - Si vous croyez que vous allez pouvoir vaincre mes défenses, vous vous trompez lourdement. Nous avons subi un entraînement long et douloureux, mais aucun psykan n’a jamais percé les protections d’un squir, siffla-t-il menaçant. Paul se contenta de l’observer avec calme et sans animosité, lui laissant penser qu’il y parviendrait tout de même. Avant même la force brute, comme dans tout combat, la volonté et la certitude de vaincre se travaillait au moral et, pour le moment, le squir était trop arrogant et sûr de lui. Il fallait absolument que Paul parvienne à entamer sa confiance pour affaiblir sa résistance. Oria s’était retirée de la connexion psychique, mais observait attentivement le prisonnier. La présence de l’ildarane irritait le commando et cela donnerait peut-être un point d’ancrage à Paul pour ses futurs assauts. Le garçon tenta une autre attaque et, sans surprise, Niir résista fermement. Il avait érigé une véritable muraille mentale, mais il s’agissait là d’un combat de force brute et Paul lança son esprit à l’assaut de la barrière dressée par le Squir. Au bout de plusieurs minutes, ou ce qui sembla des minutes à Paul, l’adolescent n’était toujours pas parvenu à vaincre les défenses du psykan, mais il avait perçu des sortes de fluctuation dans la défense de son ennemi. Le garçon intensifia encore sa pression sur son adversaire et sentit la barrière s’affaiblir légèrement, mais il était encore loin de l’avoir fait plier et il commençait, lui aussi, à ressentir la fatigue. Niir était un excellent psykan et parvenir à en prendre le contrôle n’était pas chose facile. Il aurait été plus simple de le tuer, même à l’aide d’une injonction mentale, car prendre l’ascendant sur un esprit doté de pouvoirs psychiques de ce niveau, requérait beaucoup d’habileté et de patience. Paul savait néanmoins que les minutes étaient comptées et qu’il lui fallait faire vite, même si la perception du temps était très différente dans le monde virtuel, façonné par l’esprit d’un autre. Le garçon savait que s’il s’arrêtait maintenant, tout serait à recommencer, car l’ildaran aurait le temps de reconstituer ses forces. Il était amélioré aux Nanocrytes de type six et il régénérerait son organisme beaucoup plus vite que lui. L’adolescent tenta donc d’intensifier encore son attaque malgré la fatigue et alla puiser dans les ressources de ses modifications génétiques amorcées trente-quatre mille années auparavant dans sa famille. Sa puissance psychique s’accrut encore et Paul commença à percevoir la peur dans l’esprit de son adversaire. Il pilonnait psychiquement le squir qui avait pris une teinte cadavérique. Le combat invisible marquait les corps des deux adversaires et Paul transpirait abondamment sous l’effort. Soudain la barrière mentale du squir se fissura. L’esprit de Niir était chargé de souvenirs, de combats et de règles militaires. Pas étonnant qu’il n’ait pas fait allégeance à Sarian : il n’avait d’autres souhaits que de servir son maître. Il accompagnait Corvin depuis plus de douze ans lorsque Kera Seravon avait décidé de constituer une unité d’élite s’appuyant sur des psykans et ils avaient suivi une formation complète, tant physique que mentale. À travers la connexion mentale, Paul revivait les entraînements, les privations, les souffrances et les blessures acceptés toujours au nom de l’empereur. Paul prit enfin le contrôle total du squir. Il revint dans le monde réel en conservant une concentration totale afin de maintenir son emprise sur le commando de l’empereur, car même vaincu, il percevait encore sa résistance. À la moindre faiblesse, ce dernier retrouverait son contrôle, ce qui serait catastrophique en pleine communication avec Florilius. Le membre des forces spéciales impériales avait transpiré abondamment sous l’effort et Darin lui passa un peu d’eau sur le visage afin de lui redonner une apparence normale. Sarian en profita pour briefer Paul sur la nature du message à transmettre et se plaça à l’écart de la prise de vues holocom. Lorsque l’allure de Niir fut à peu près satisfaisante, une communication fut établie avec Florilius. - Commandant Florilius, vous avez demandé à parler au capitaine Corvin ? commença Niir, d’un ton assuré. - C’est exact, vous êtes son second, je crois ? fit Florilius, surprit de ne pas être en communication avec le capitaine. - Oui, je suis le lieutenant Niir et j’ai en charge temporairement le commandement, car le capitaine Corvin a été sérieusement blessé lors d’un échange avec les insurgés. - Et pourquoi n’en ai-je pas été informé, lieutenant Niir ? répliqua Florilius d’un ton sec. - Les squirs n’ont aucun compte à vous rendre commandant Florilius. Je vous rappelle que vos instructions stipulent que vous nous devez une obéissance absolue et non l’inverse, ne l’oubliez pas ! répliqua sèchement l’homme sous le contrôle de Paul. À l’écart du champ holocom, Sarian lui fit un signe, pouce levé, signifiant son approbation sur le ton des répliques du squir. - Il n’était pas question de remettre en cause la chaîne de commandement, lieutenant. Simplement d’être averti de la santé du capitaine Corvin. Réfuta Florilius, contrarié. Est-il visible ? Le commandant impérial acceptait difficilement d’être traité de la sorte par un membre de la sécurité intérieure de l’empereur, mais il ne pouvait pas s’opposer frontalement à ce petit lieutenant arrogant. - Il est sous sédatif, protégé par une résille Kries après un échange mental particulièrement violent avec deux psykans que nous avons éliminés. Concéda Niir, toujours sous le contrôle de Paul qui suivait les instructions de Sarian. Le garçon commençait à fatiguer et il sentait le squir tenter de reprendre le contrôle. Il fallait faire vite et il le fit comprendre à Sarian avec un geste sans équivoque, passant sa main à plat sous son menton, signifiant : couper la communication. - Parfait. Faites-moi savoir s’il y a des évolutions lieutenant. Il semble, par ailleurs, que la sonde messagère de l’empereur attende votre rapport d’après mon IA ? reprit l’impérial. - Je suis en train de le rédiger et je le transmettrai dès la fin de notre conversation, lâcha le squir avec une légère hésitation, signe de la résistance du commando. - Très bien. Dans ce cas, je ne vais pas vous retarder plus. Uniquement, bien sûr, avec l'objectif de coordonner nos actions : puis-je savoir pourquoi votre appareil a quitté l’orbite terrestre ? questionna insidieusement Florilius. L’impérial restait méfiant, mais Sarian avait déjà préparé une réponse pour justifier le déplacement du navire. - Nous allons coordonner l’arrivée de plusieurs de nos croiseurs afin de ratisser plus efficacement le lieu présumé de la base des rebelles, transmit Niir, semblant encore hésiter. En fait, Paul commençait à perdre le contrôle et avait de plus en plus de difficulté à lui imposer sa volonté. - Hum… fit Florilius, nullement convaincu par l’explication oiseuse de son interlocuteur. Il ne cherchait même pas à masquer ses doutes. Nous restons à votre disposition si vous avez besoin des ressources de la base, longue vie à Kera 1er. - Longue vie à Kera 1er ! Je vous tiendrai informé de l’évolution de l’état de Corvin, Florilius. Conclut Niir, toujours sous l’emprise de Paul. La communication fut coupée et Paul relâcha aussitôt son emprise. Le squir délivré rugit de rage et de colère, comme un fauve sortant de sa cage, mais Telius et Darin avaient anticipé une réaction violente et le menaçaient de leur pulseur, ce qui accrut encore la fureur du commando. Il semblait moins fatigué que Paul et ses Nanocrytes allaient vite le remettre sur pied. Sarian espérait que Paul ne soit pas obligé de recommencer cette expérience trop rapidement, car l’adolescent avait un besoin vital de récupérer. Les ildarans avaient préparé un rapport et, dès l’échange terminé avec Florilius, Sarian le transmit à la sonde. Celle-ci quitta le système aussitôt après réception. Le groupe de Paul avait obtenu un nouveau sursis. La sonde pourrait faire son rapport et rien, dans les informations transmises, ne laissait penser que le commando ait pu échouer ou que la flotte était maintenant sous le contrôle des fidèles des Verakin. Florilius soupçonnait certainement quelque chose, mais aucune preuve tangible ne lui permettait d’outrepasser ses ordres directs. Il restait maintenant à neutraliser la plateforme lunaire puis à déménager la base de Dordogne. Paul semblait épuisé par le combat mental qu’il avait mené contre le squir et il était également sous le choc des informations glanées dans le cerveau du commando des forces impériales. Kera 1er avait bien choisi sa garde personnelle, il s’agissait de psykans puissants et bien formés. Sarian ne perdait pas de vue les priorités et souhaitait déménager le maximum d’équipements pouvant servir à la construction d’une nouvelle base dans la bordure, car il était vraisemblable qu’ils doivent s’installer sur une planète isolée avec peu de ressources. Même avec les équipements du porte-croiseurs, tout élément de confort serait le bienvenu et depuis dix-sept années terrestres, ils avaient accumulé beaucoup de choses. Et il y avait, bien sûr, la cave de Darin… Les éléments les plus importants de la base pourraient être transbordés à l’aide des glisseurs antigrav. L’IA du Squirs Prime avait ordonné à trois croiseurs de pénétrer à l’intérieur du système et de se rapprocher de la Terre. Les trois appareils pourraient, si nécessaire, couvrir leur départ s’ils ne réussissaient pas à prendre le contrôle de la plateforme lunaire, mais il faudrait environ une quinzaine d’heures aux navires, à vitesse maximum, pour rallier l’orbite de la terre et l’équipe de Sarian devrait, si possible, neutraliser la base lunaire dans l’intervalle. La base australienne avait naturellement détecté l’arrivée des puissants vaisseaux de guerre et Sarian s’attendait à devoir convaincre Florilius qu’il s’agissait d’un débarquement pour attaquer le repaire des Verakin. Si ses explications ne prenaient pas, dans le pire des cas, la disproportion des forces en présence devrait dissuader le commandant impérial de tenter quoi que ce soit, tant que des renforts ne seraient pas arrivés. * Sur Polona, la situation était calme depuis la décision de reporter le jugement d’une dizaine. Les Tâardian avaient largement le temps de faire venir de nouveaux champions de la capitale de leur duché et cela laissait également la possibilité à Rliostem et Klosteran de faire le point avec leurs nouveaux amis. C’est comme cela qu’ils apprirent que la base de la septième planète comptait environ deux mille résidents. Des mineurs pour la plupart, mais également d’anciens gardes des Verakin qui avaient fui la répression lancée par les Seravon après la chute du père de Paul. De nombreux anciens gardes loyalistes avaient rejoint des réseaux de contrebandiers et la plupart s’étaient installés dans la bordure, loin des routes commerciales de l’Empire. D’après Baliran cette installation minière était la seule dans un rayon de mille années-lumière, ce qui garantissait une large tranquillité d’exploitation. - Combien d’anciens gardes Verakin y a-t-il dans cette base ? demanda Klosteran. - Nous sommes à peu près cent cinquante, répondit Larsen - Cela fait une belle petite équipe, s'extasia Rliostem. - En effet, mais nous dépendons du dénommé Marvio. C’est le chef de la base et également un influent membre de la guilde des contrebandiers. Précisa Baliran. Larsen reprit en expliquant que les anciens Verakin auraient pu facilement se rendre maîtres de l’installation, mais que c’eut été se mettre à dos la guilde qui aurait aussitôt mis leurs têtes à prix et les aurait traqués dans toute la galaxie. Ils avaient d’ailleurs été avertis que si une situation de ce genre se produisait cela remettrait en cause l’arrangement avec les loyalistes et porterait préjudice à tous les anciens gardes disséminés dans les différentes stations de la bordure. - Ils sont malins. Malgré votre supériorité militaire, vous êtes dépendant de la guilde. Et comment vous êtes-vous retrouvés sur Polona ? s’enquit Klosteran. C’est Larsen qui leur raconta comment ils avaient eu une altercation avec le second de Marvio. Celui-ci s’en était sorti avec les bras cassés et deux côtes fêlées et ils avaient été condamnés à un exil de trois ans sur la planète. Comme le contrebandier contrôlait tous les transports spatiaux, ils n’avaient aucun moyen de s’échapper et avaient dû s’adapter à la vie locale. Pour d’anciens militaires : quoi de plus naturel, sur une planète médiévale, que de devenir mercenaire. Au moment du départ, des amis avaient réussi à leur faire passer des sabres en corodrium, mais pas de boucliers Horlzson. Les deux ildarans supposaient que Marvio eût préféré les éliminer, mais qu’il avait certainement craint une révolte de leurs amis et que leur exil lui était plus profitable à court terme. - Nous restons cependant vigilants, car il est bien capable d’envoyer quelqu’un pour nous tuer lorsque nous approcherons de la date programmée de notre retour. Ajouta Larsen. - Et que s’est-il passé depuis la chute des Verakin ? demanda presque avidement Klosteran. - Oh ! Vous ignorez ce qui est intervenu depuis la mort de l’Empereur ? L’ancien garde désignait encore le père de Paul comme l’Empereur, sous-entendant que, pour lui, Kera 1er était un imposteur. C’était plutôt bon signe. Mais dans quelle région de l’espace étiez-vous pour rester ignorant des nouvelles de l’Empire ? Même ici dans ce bras spiral nous recevons régulièrement des informations par les barges de transport de corodrium. Larsen les regardait avec un étonnement réel comme s’ils sortaient d’hibernation. - Nous sommes restés isolés sur une planète, sans moyen de communication, et n’avons pu nous échapper que récemment, sourit Rliostem, ne souhaitant pas entrer dans les détails. - Et bien vous deviez vraiment être dans un coin perdu ! s’exclama Baliran d’un air sidéré. À voir son étonnement, on avait l’impression d’avoir raté l’explosion de la dernière super nova. Malgré leur surprise, les deux anciens gardes résumèrent rapidement les évènements marquants les dernières années, depuis la chute de la maison Verakin. Après le putsch sur Ildaran Prime orchestré par le clan Seravon, soutenu par les Malezari et probablement une autre famille restée dans l’ombre, Kera 1er avait demandé à toute la garde impériale de faire allégeance. Moins de dix pour cent des anciens gardes Verakin acceptèrent, car cela voulait dire la déchéance à plus ou moins long terme. Tous devinaient que les Seravon ne feraient jamais confiance à des convertis. La majorité des anciens gardes qui le purent s’enfuirent dans tous les transports possibles, mais pratiquement aucun ne venait d’Ildaran Prime, car la flotte Seravon avait fait un blocus total du système mère et vraisemblablement tué tous les gardes sur la planète. Larsen et Baliran n’avaient d’ailleurs jamais croisé personne proche de la garde de l’ancien Empereur. Les Seravon avaient repris en main la planète capitale en moins d’une semaine et la carence du pouvoir avait été suffisamment courte pour ne pas trop perturber le fonctionnement de l’Empire. Puis la vie avait repris ses droits assez vite et, si de nombreuses planètes regrettaient l’ancien empereur, les affaires politiques étaient correctement gérées même si Kera 1er passait pour être plutôt brutal. - À votre avis, combien d’anciens gardes impériaux sont répartis dans la bordure ? questionna Rliostem, très intéressé par cette information. - Difficile à affirmer, mais probablement plusieurs milliers. S’avança Baliran. Nous sommes cent cinquante, rien que dans cette base. De toute façon, cela n’a plus d’importance maintenant que tous les Verakin sont morts, ajouta-t-il, d’un air résigné. - Et si je vous annonçais qu’ils n’ont pas tous été tués ? lança Rliostem d’un air sérieux. - Je ne vous croirais pas, car il était impossible à un vaisseau de quitter Ildaran Prime. De plus, Ikon Seravon, le frère cadet du nouvel empereur, a indiqué que tous les membres de la famille Verakin avaient trouvé la mort lors de l’assaut du palais. Rétorqua Larsen sans espoir. - Et moi, je vous affirme qu’il y a un héritier vivant. Je l’ai quitté il y a moins d’une semaine. Affirma Klosteran le plus sérieusement possible. - Mais comment ? Demanda incrédule, l’ancien garde impérial. Son ton trahissait un faible espoir que Klosteran puisse dire vrai. Les deux hommes de Sarian commencèrent ainsi à leur narrer leur aventure depuis leur fuite d’Ildaran Prime et l’humeur de Baliran et de Larsen s’améliorait au fur et à mesure que leurs interlocuteurs leur relataient comment ils avaient protégé Ishar pendant ces longues années sur une planète non répertoriée par l’empire. Comment ils avaient finalement été découverts ainsi que la ruse employée pour laisser penser que l’héritier s’était échappé dans un aviso furtif. Les deux ex-contrebandiers s’imaginaient déjà repartir à la conquête du trône pour l’héritier Verakin et retrouver leur position dans la nouvelle garde impériale. D’un seul coup, leur avenir s’éclaircissait. Ils étaient passés d’une situation d’exilés sur une planète moyenâgeuse à de futurs héros pourfendant l’imposteur d’Ildaran Prime. Leurs espoirs furent à peine douchés par les difficultés restant à affronter, et en particulier sur l’extraction d’Ishar de la planète assiégée par une flotte de combat. - Il faut retourner dans ce système chercher notre empereur légitime ! S’enflammait déjà Baliran. - Oui, il ne faut pas perdre un instant. Ensuite, nous irons dans la bordure rassembler des troupes fidèles. Verakin Ildaran Frîîkr ! renchérit Larsen. La discussion s’engagea, car les ex-contrebandiers souhaitaient partir immédiatement pour retrouver leur empereur. Ils étaient visiblement ravis d'apprendre qu'un héritier Verakin vivait encore, mais ils avaient encore un doute sur la véracité des dires de Klosteran et Rliostem. Voir Ishar en chair et en os devenait un impératif qui ne souffrait d’aucun délai. Malgré le fait que la Terre soit sous blocus impérial et qu’ils ne disposaient que d’un petit aviso faiblement armé, les deux mercenaires voulaient tenter l’opération. Ils considéraient cela comme un devoir. - Il faut quand même être conscient que notre furtivité a des limites. Nous pouvons atteindre la planète, mais l’autonomie des condensateurs Kin en mode furtif ne permet pas de faire un aller-retour depuis un point de saut. Cela nous rend trop vulnérables, face à une flotte de guerre. Objecta Klosteran - Retournons malgré tout dans ce système. S’il y a une opportunité, il ne faut pas la manquer. Nous pouvons rester dissimulés en attendant une occasion. Ici nous ne pouvons pas aider notre empereur. Insista encore Baliran, qui refusait de se résigner à la passivité, quels que soient les risques. Klosteran et Rliostem étaient plutôt favorables de se rendre dans la bordure, car, s’ils avaient envisagé de se servir de Polona comme d’une base arrière, ils pensaient pouvoir trouver des alliés dans cette zone hors du contrôle de l’empire. - Si vous pénétrez dans la bordure sans aucune monnaie d’échange, votre navire sera abattu ou, au mieux, abordé et confisqué par la guilde des contrebandiers. Affirma Baliran, avec assurance. - Baliran a raison. Si vous voulez des alliés, il est préférable qu’Ishar Verakin soit avec vous, cela crédibilisera votre démarche. Sinon c’est peine perdue. Certains anciens gardes Verakin vous soutiendront peut-être, mais ils n’ont aucune arme ni aucun vaisseau. C’est la guilde qui dirige la bordure. Il faut venir avec une proposition solide et seul l’empereur peut attirer leur attention et éviter que le vaisseau ne soit confisqué. Argumenta Larsen avec beaucoup de conviction. L’argumentation finit de convaincre les deux hommes de Sarian qui acceptèrent finalement de retourner à bord du Randor pour aller chercher Ishar Verakin. Il restait néanmoins un petit détail à régler, car ils allaient devoir quitter Port Gâal malgré l’injonction de l’assesseur de justice. Outre le prince marchand, qui avait donné sa parole en garantie, il était vraisemblable que les Tâardian aient fait surveiller le palais de Sertime et ne soient pas disposés à les laisser quitter la ville. Mais il fallait auparavant en discuter avec le marchand. Sans surprise, dès qu’ils lui eurent expliqué leur projet de rejoindre des amis à eux, celui-ci ne fut pas ravi à l’idée de les voir partir et encore moins à leur faciliter la sortie de la ville. Tout naturellement, il s’inquiétait de savoir si ses hôtes reviendraient bien la dizaine suivante, car, à travers lui, c’était la guilde qui s’était portée caution pour qu’ils soient présents pour les duels qui devaient les opposer aux nouveaux champions des Tâardian. Après que Rliostem et Klosteran l’eurent rassuré sur ce point, en engageant leur honneur, il ne fallut heureusement pas trop longtemps pour que le prince marchand accepte de leur confier des okorox et quelques gardes pour retourner près de l’endroit où ils s’étaient rencontrés. Sertime ne comprenait pas leurs motivations, mais quelque chose de puissant, quoiqu’inconscient, lui dictait de les aider. S’il avait été plus attentif, peut-être aurait-il remarqué qu’une des pierres de son sabre brillait plus que d’ordinaire. Un minuscule diamant bleu gris, incrusté dans le manche de son arme d’apparat avait étincelé puissamment jusqu’à ce qu’il accepte d’épauler les ildarans. C’est ainsi que les quatre anciens gardes Verakin, accompagnés d’une dizaine d’hommes du prince marchand, sortirent de la ville, dissimulés dans un chariot de transport incorporé à une caravane qui partait vers l’est. Dès qu’ils furent hors de vue des remparts de Port Gâal, le groupe quitta discrètement le convoi et piqua vers le sud, en direction du vaisseau. Il leur fallut moins de deux heures, à vive allure, pour rejoindre un lieu isolé au bord de l’océan. La nuit était tombée depuis une heure et les quatre hommes allaient pouvoir s’éclipser sans crainte que le Randor ne soit aperçu par des habitants, malgré le clair d’anneau. Rliostem demanda aux gardes de repartir avec les okorox, comme convenu avec le prince marchand. Ceux-ci, comme Sertime, ne comprenaient absolument pas pourquoi des hommes, visiblement saint d’esprit, souhaitaient rester seuls, sans monture, sur une plage déserte, mais ils obéirent aux instructions de leur maître. Dès qu’ils furent hors de vue, Rliostem s’assura, à l’aide de drones de surveillance, qu’il n’y avait pas âme qui vive à plusieurs kilomètres à ronde et appela l’IA du Randor. Celle-ci répondit à la première sollicitation, car elle recevait en parallèle toutes les informations des deux drones positionnés à deux cents mètres d’altitude au-dessus d’eux. Le vaisseau s’éveilla doucement et quitta lentement le fond de l’océan pour se diriger vers la côte. Lorsque la profondeur de l’eau fut insuffisante pour dissimuler l’appareil, l’IA activa le champ furtif et fit décoller le Randor et le posa sur la plage. En réalité, l’aviso ne reposait pas réellement sur le sable, mais sur ses plaques antigrav et ne laissait donc aucune trace au sol. L’appareil, dissimulé par son champ d’occultation, était totalement invisible aux yeux des trois hommes. Tout juste pouvait-on distinguer une faible irisation liée aux reflets du soleil sur l’anneau de Polona. Il leur fallait être prudents, car ils ne pouvaient prendre le risque d’être repérés par les senseurs des contrebandiers qui devaient toujours se demander comment leurs torpilles avaient été détruites et ils avaient probablement déployé des drones de surveillance en orbite. L’IA les guida à l’aveugle vers le sas du vaisseau qui redevint visible dès qu’ils eurent franchi la limite du champ furtif. À peine étaient-ils montés à bord que le petit appareil décollait en direction de la périphérie du système. Comme à l’aller, ils ne pouvaient pas naviguer à pleine vitesse, car ils n’avaient pas assez d’énergie pour atteindre un point de saut sans ravitailler. Activer le filet de captage, trop près de la base de la guilde, risquait de déclencher l’envoi du navire de combat et il était préférable de rester dissimulé et de croiser à mi-vitesse. Ils prirent donc leur mal en patience et profitèrent de ce délai pour s’informer mutuellement. Les deux ex-contrebandiers leur décrivirent les particularités de la planète Polona, découverte par la guilde dix années auparavant. Polona était la seconde planète de ce système stellaire éclairé par une naine jaune, mais ce qui avait frappé les techniciens de la guilde, c’est qu’après analyse, la position des planètes ne semblait pas refléter un ordonnancement naturel. Plusieurs scientifiques avaient cherché à calculer le poids total du système, mais Polona ne semblait pas avoir de masse. - C’est impossible ! Tout corps céleste possède une masse et c’est aussi ce qui lui permet de rester en orbite autour de l’étoile. Objecta Rliostem. - Si c’était le cas, l’IA du Randor nous aurait avertis, renchéri Klosteran. - À moins que … Souviens-toi Rliostem, lorsque nous sommes arrivés en orbite, l’IA nous a indiqué enregistrer un parasitage des senseurs qu’elle attribuait à l’anneau. Se remémorait l’ildaran. - Je vous le confirme, les scientifiques de la guilde ne sont pas parvenus à mesurer la masse de Polona et ce n’est pas la seule bizarrerie de cette planète. Continua Larsen. L’ancien contrebandier relata comment les scientifiques avaient essayé de prélever de la matière dans l’anneau, car ils pensaient avoir découvert des particules de carbone. Malgré tous leurs efforts, toutes les tentatives avaient échoué, car les rayons tracteurs, à gravité dirigée, ne parvenaient pas à extraire la moindre molécule provenant de cet anneau. Les scientifiques avaient donc essayé de prélever de la matière à l’aide de bras robot, mais tout ce qui avait été en contact avec l’anneau s’était volatilisé. Un glisseur avait même totalement disparu en effectuant une fausse manœuvre qui l’avait amené à percuter l’anneau. Aucune théorie n’avait pu résoudre cette énigme et la guilde avait fini par faire cesser les expériences, au grand dam des scientifiques. Mais pour les contrebandiers, l’exploitation des mines de minerai de corodria primait la recherche, surtout si celle-ci ne débouchait pas sur des profits immédiats. Une singularité astronomique passionnait peut-être les scientifiques, mais ne remplirait pas les caisses de la guilde et l’abord de la planète avait été interdit à tous les vaisseaux, sauf cas d’extrême nécessité. - C’est pour ça que les croiseurs ne se sont pas mis en orbite pour nous traquer. Comprit Klosteran, qui venait enfin d’avoir la réponse à une des questions qui le taraudait depuis leur arrivée. Les deux ex-contrebandiers avaient également découvert d’autres anomalies sur Polona. Par la force des choses, ils avaient eu le temps d’apprendre d’étonnantes informations sur cette planète. Rliostem et Klosteran écoutaient leurs interlocuteurs avec une curiosité non dissimulée et ils n’étaient pas au bout de leurs surprises. D’après Larsen et Baliran, le développement de la société poloniane semblait s’être figé depuis plusieurs milliers d’années. En interrogeant la population, les deux hommes avaient ainsi appris que le niveau technologique n’avait pas du tout évolué depuis des dizaines de générations et cela ne semblait surprendre personne. Aucune innovation pendant des millénaires, cela ne s’était jamais vu sur aucune planète habitée par des humains ! Et il y avait aussi d’étranges rumeurs concernant une communauté religieuse vivant dans le centre du continent principal. Les deux anciens gardes n’avaient jamais pu s’y rendre, car aucun polonian n’avait accepté de leur indiquer le chemin et encore moins de les y conduire. Les autochtones prêtaient à cette communauté des pouvoirs de guérisons et de contrôle de la matière. Comme il s’agissait de rumeurs véhiculées de bouches à oreilles, il était impossible de distinguer la réalité des délires imaginatifs de paysans naïfs, mais il devait bien y avoir une part de vérité dans ces racontars. Après une période de discussion intense sur les hypothèses les plus folles pouvant être à l’origine de ces phénomènes, la fatigue se fit sentir et tous allèrent se reposer dans des cabines séparées. Il leur restait de nombreuses heures avant d’atteindre un point de saut et l’IA pilotait le navire, rendant leur présence éveillée totalement inutile. Le temps s’écoula tranquillement, alterné entre des périodes de repos et d’observation du système de Polona qui demeurait mystérieux. Les contrebandiers semblaient par contre très actifs, car le Randor avait déjà détecté deux transports de minerai ayant transité depuis leur appareillage. Il fallut soixante heures au Randor pour atteindre la périphérie du système, sans déconnecter sa protection furtive. Il ne leur restait plus assez d’énergie pour activer la propulsion Randarion et ils durent se résoudre à déployer les filets de captage de particules de matière noire. Quelques minutes plus tard, l’IA annonça que deux appareils venaient d’appareiller de la septième planète et fonçaient vers eux à 0.3c. Il leur faudrait presque douze heures pour les rejoindre, car le petit aviso se trouvait intentionnellement près d’un point de saut à l’opposé de Polie. Les deux croiseurs devraient donc atteindre le point de saut le plus proche puis transiter vers le Randor. Comme il n’y avait pas de plateforme mobile à proximité, cela laissait largement le temps au petit navire pour convertir assez matière noire en énergie. Après une dizaine d’heures de captage, la réserve d’énergie Kin était suffisante pour une transition de deux cents AL. L’IA de bord calcula un saut de cent dix années-lumière, distance suffisante pour perdre d’éventuels poursuivants. L’IA avait transité dans une zone peuplée de nombreux petits trous noirs, car en général ces régions étaient propices au captage de matière noire qui s’y trouvait en grande quantité. Une théorie voulait que les trous noirs stellaires soient le résultat d’une très forte concentration de matières noires qui s’effondraient sur elle-même. Ne pas confondre avec les trous noirs galactiques super massifs, situés au centre des galaxies, qui étaient le résultat d’agrégation de petits trous noirs créés au moment du big bang et qui avaient ensuite fusionné sous la force de l’attraction gravitationnelle. De fait, la matière noire était effectivement présente en forte concentration dans cette région de l’espace et cela permit au Randor de déployer ses filets de captage et recharger plus rapidement ses condensateurs. L’opération prit moins de trois heures et l’appareil programma ensuite une route en direction du système solaire. Ils eurent besoin de quatre autres sauts pour parcourir la distance restante jusqu’au système solarien et émergèrent au milieu d’une situation de confusion totale. Les alarmes de l’aviso hurlèrent devant la débauche de disques torpilles et de contre-mesures électroniques qui grouillaient dans le système, à moins de deux cents millions de kilomètres de leur point d’émergence. C’était le chaos et ni Rliostem ni Klosteran ne comprenaient rien aux forces en présence. * Chapitre 33 Plusieurs heures auparavant, le Squirs Prime s’était mis en orbite autour de la lune. Toute l’équipe de Sarian avait répété inlassablement les opérations depuis la salle de simulation et chacun connaissait parfaitement son rôle. Les champs furtifs individuels permettraient de rester totalement indétectables aux senseurs pendant trente minutes durant lesquelles il faudrait neutraliser les calculateurs de tirs de la station. Paul et les cinq hommes se tenaient sur la passerelle du petit appareil impérial et l’adolescent se concentra sur le déplacement. Paul ne connaissait pas le lieu de destination et dut projeter son esprit pour visualiser un point de saut. La distance était plus importante que les fois précédentes et cela exigea une intense concentration. Les joyaux, autour de sa tête, étincelaient de mille feux et aveuglaient presque les cinq ildarans, légèrement inquiets. Personne ne comprenait d’où provenait l’énergie nécessaire à la transition ni le procédé utilisé qui ne laissait aucune trace décelable dans la structure de l’espace. Soudain, ils furent tous à l’intérieur de la base lunaire, exactement comme avec un transfert quantique. Paul avait réussi ! Il semblait épuisé et Sarian lui fit avaler une barre revitalisante, car ses talents devraient de nouveau être mis à contribution pour le retour. Chacun retenait son souffle, de crainte d’avoir été repéré, mais apparemment les champs furtifs fonctionnaient parfaitement et aucune alarme ne s’était déclenchée. Paul suivit Sarian et Darin, qui se dirigèrent vers le centre de commandes principal pendant que Vira et Xionnes se rendaient aux silos de lancement des disques-torpilles, où se trouvaient les calculateurs de combats. Sarian espérait qu’il soit possible de détruire les commandes avant que l’IA n’enclenche l’alerte automatique, mais rien n’était assuré. Darin commença à démonter soigneusement le panneau d’accès aux organes de contrôles lorsqu’un androïde entra dans la salle des commandes et balaya la salle avec ses capteurs, à la recherche du moindre indice suspect. Apparemment, l’IA avait dû détecter quelque chose d’anormal, mais rien de bien tangible puisqu’elle n’avait pas enclenché d’alarme. L’androïde se focalisa sur le panneau partiellement déverrouillé et se dirigea vers Darin. Celui-ci n’eut que le temps de s’écarter pour ne pas être percuté par la machine semi-pensante. Celle-ci stoppa devant le panneau et commença à le revisser tout en scrutant la pièce dans tous les sens. Soudain, un ronronnement se fit entendre et Sarian comprit immédiatement que le champ anti-saut avait été activé. L’IA ne devait pas comprendre comment le panneau avait pu s’ouvrir et en avait déduit qu’il y avait probablement une intrusion. Comme elle ne détectait rien, la logique de la machine intelligente l'avait conduit à mettre la base en état d’alerte. À partir de maintenant, rien de pourrait s’approcher sans être détruit et le Squirs Prime risquait même de servir de cible, s’il restait sur son orbite actuelle. L’androïde termina sa tâche et repartit par la même voie, non sans avoir, de nouveau, scruté attentivement la salle de commandes. - Si l’aviso doit s’éloigner, nous serons coincés ici, murmura Sarian à Darin et à Paul. - Il reste encore Xionnes et Vira, espérons qu’ils pourront neutraliser les systèmes de tirs, répondit Darin - Avec la base en état d’alerte, ça m’étonnerait, soupira Sarian. - Il faut ordonner aux croiseurs qui arrivent de s’éloigner sinon l’IA risque de les engager, s'alarma Xionnes. - Pas sûr. Ils sont identifiés comme appareils impériaux. S’ils restent loin de la lune, cela devrait aller. Le souci, c’est que nous n’allons plus pouvoir déménager la base. Jura Sarian. - Et si j’essayais de prendre le contrôle de l’IA, après tout cela a fonctionné avec celle du Squirs Prime. Suggéra Paul. - Tu penses que tu peux faire cela ? Questionna Sarian. - Je n'en sais rien, mais, de toute façon, les options me semblent limitées non ? rétorqua l’adolescent. - Prépare-toi quand même à nous transférer à bord du Squirs Prime si tu échoues. En espérant que l’IA n'en déduise pas que l’attaque vient de notre appareil. Ajouta Darin. - Je reçois un message sur mes neurotransmetteurs : l’IA de la base lunaire demande au Squirs Prime de rester en orbite tant que l’alerte n’est pas levée et un message vient d’être expédié à la base australienne. Paul si tu veux tenter ta chance, c’est maintenant, car Florilius va déclencher l’alarme dès qu’il prendra connaissance de cette information. Assura Sarian. Malgré sa fatigue, l’adolescent se concentra et commença à sentir les gemmes autour de sa tête qui s’échauffaient. La sensation devenait maintenant familière, mais les pulsations des diamants l’inquiétaient un peu, car il avait l’impression, dans ces moments-là, qu’ils étaient vivants et cela ne le rassurait pas de savoir que des organismes inconnus étaient incrustés dans son crâne. La perception de son environnement se modifia instantanément et il commença à ressentir les canaux d’interaction de l’IA. Il percevait le réseau de liens organiques connectés à des milliers de modules cybernétiques. Il intensifia sa concentration et remonta lentement les flux de données qui retournaient au centre de décision de la machine semi-pensante. Comme avec l’IA du Squirs Prime, Paul perçut une sorte de crainte lorsqu’il arriva à proximité du cœur de la machine, composé de milliards de neurones artificiels, et il se concentra pour attaquer immédiatement le centre de décision. Il eut l’impression de pénétrer dans un univers à la fois simple et complexe. Ici aucune pensée désordonnée ou erratique comme dans l’esprit d’un humain. Tout était focalisé sur la défense du système solaire et des systèmes d’armes. Paul ressentait presque physiquement les connections avec les senseurs longue portée de la plateforme lunaire et les lanceurs de disque-torpilles. Les échanges électriques entre les neurones artificiels étaient plus intenses que ceux d’un cerveau humain et aucun psykan n’avait jamais pu accorder son esprit sur celui d’un calculateur quantique organo-piloté. La machine ne disposait donc d’aucune protection contre le pouvoir psychique de Paul. La prise de contrôle de cette IA fut néanmoins plus facile que celle de l’aviso. Le centre intelligent de cette unité de contrôle était plus rustique que celui d’un vaisseau spatial et Paul n’eut aucune difficulté à isoler la masse neurale des centres de commandes électroniques. Il ne s’agissait d’ailleurs pas d’une prise de contrôle, à proprement parler, mais l’objectif était atteint : Paul avait désamorcé les commandes de tirs des deux cents disques-torpilles planétaires. - C’est déconnecté, on ne risque plus rien. Annonça fièrement l'adolescent, en se tournant vers les ildarans. - Excellent ! Si j’avais su que c’était si rapide, nous aurions commencé par là. Nous pouvons couper nos champs furtifs ? souffla Sarian, soulagé. - En principe oui. Mais j’ignore s’il n’y a pas d’alarmes automatiques qui ne passent pas par le centre de contrôle de l’IA. Alerta le garçon, l’air fatigué. - Bon, le mieux est que tu nous ramènes à bord de l’aviso et que l’on commence le déménagement, proposa Darin. - Il serait préférable que vous déconnectiez physiquement les interfaces entre les parties neuronale et électronique de l’IA, on ne sait jamais. Les avertis Paul. - OK, on s’en occupe. Acquiesça Sarian, tout en transmettant ses instructions via ses neurotransmetteurs. Que te faudrait-il pour que tu puisses contrôler la partie électronique ? - Je ne sais pas, mais si vous pouviez la coupler avec l’IA du Squir Prime, je pourrais lui donner des instructions depuis le vaisseau. Suggéra Paul, qui avait la tête qui lui tournait. - Bonne idée. Vira, tu peux faire cela ? transmit Sarian. - Il me faut environ deux heures, mais il va falloir désactiver les champs furtifs, répondit l’homme qui se trouvait maintenant à proximité des silos de torpilles. - Dans ce cas, retrouvons-nous dans la salle de commande où je pourrais déconnecter toutes les alarmes, communiqua Darin. Toute l’équipe se rendit dans la salle de contrôle de la base lunaire et Vira commença à hacker les calculateurs électroniques. Le travail prit finalement plus de trois heures, mais il s’estimait satisfait. Paul n’était pas mécontent de ce répit, car la déconnexion de l’IA juste après un saut de plusieurs milliers de kilomètres l’avait épuisé. Ce délai, plus l’apport de tablettes revitalisantes lui avait permis de récupérer suffisamment pour ramener tout le monde à bord de l’aviso rapide. - Paul, peux-tu faire un test depuis l’IA du Squir Prime ? demanda Sarian Le jeune homme transmit à l’aviso l’ordre de désactiver les systèmes de visées de toutes les torpilles stationnées sur la lune et le calculateur s’exécuta aussitôt. - Pour le moment, cela fonctionne. Reste à espérer que la distance n’altérera pas l’asservissement. Souhaita Paul. - En principe, cela ne devrait pas poser de souci, car j’ai shunté les circuits de commande de l’IA locale pour lui substituer ceux de l’IA du Squir Prime. Ce sera moins efficace, mais plus sûr. Lui assura Vira. - Parfait fit Sarian, l’air satisfait. À l’origine, notre objectif était de neutraliser totalement les systèmes de tirs. Maintenant, nous en avons le contrôle et même avec certaines limitations, cela change la donne si l’Empire envoie une seconde flotte, car deux cents disques-torpilles planétaires, cela fait une sacrée capacité défensive. Paul ? Peux-tu ordonner au vaisseau de nous ramener en orbite terrestre que nous puissions commencer le déménagement de la base ? Le petit aviso rapide accéléra aussitôt en direction de la planète bleue et le trajet se déroula dans un calme olympien, chacun repensant à leur dernière opération. L'appareil se mit en orbite et coupa sa propulsion. Il restait à revenir à la base de Dordogne et les talents de Paul furent, à nouveau, mis à contribution. Le garçon commençait à maîtriser ses nouveaux pouvoirs et la transition, des trois hommes et lui-même, fut immédiate, presque sans avoir à se concentrer sur le lieu de destination. * Dans la base australienne, Florilius ne comprenait plus rien. La station lunaire avait déclenché l’alerte et bouclé le système avant de tout annuler. Le vaisseau de commandement des Squirs avait quitté la Lune peu après, sans qu’aucun transfert ni vol de glisseur n’ait été enregistré. Parallèlement, trois croiseurs étaient entrés dans le système et avaient déjà franchi l’orbite d’Uranus. Ils seraient en orbite terrestre dans six heures. Florilius essaya de nouveau de prendre contact avec le vaisseau de Corvin, mais l’IA de bord lui répondit que les squirs étaient trop occupés à préparer l’assaut de la base rebelle pour accepter la communication. - IA, prépare une sonde messagère. Je veux envoyer un message à la marine spatiale, finit par décider, le commandant impérial. - Sonde prête à enregistrer. - Base de commandement de la marine spatiale ildarane sur planète Terre, commandant Florilius. Je suis face à une situation qui demande clarification. Commando squirs en opération dans le système, impossibilité de se coordonner, le leader du groupe semble gravement blessé, demande instructions claires. Commandant Florilius terminé. - Enregistrement codé et sécurisé. Destination ? - Expédie là vers Wooratoo II, c’est la base militaire la plus proche. - Sonde envoyée commandant * Le lancement de la sonde messagère fut naturellement détecté par les senseurs du Squir Prime et il aurait été facile de l’intercepter, mais Sarian ne voulait pas abattre ses cartes trop tôt et laissa le frêle engin gagner lentement la périphérie du système solaire. - Bien, maintenant nous avons deux options : soit tout déménager d’ici deux jours et quitter aussi vite que possible ce système, soit détruire la sonde avant qu’elle ne transite. Souligna Darin. - De toute façon, il est très vraisemblable qu’une seconde flotte soit déjà en route et cela ne changera pas grand-chose de la laisser transiter. Si nous la détruisons maintenant, cela va compliquer nos relations avec la base australienne. Il est préférable qu’ils nous laissent en paix pour le moment, non ? fit remarquer Paul - Bien Paul ! Tu commences à devenir un vrai stratège, sourit Sarian. Ishar a raison : laissons là transiter, Florilius restera dans le doute et ne bougera pas tant que nous ne nous serons pas dévoilés. Occupons-nous du déménagement au plus vite. L’aviso s’immobilisa en pleine nuit à quelques mètres de la plus grande entrée de la grotte souterraine. L’approche avait été délicate, car la taille du vaisseau n’en faisait pas un appareil aisément dissimulable dans le ciel français, même de nuit. Heureusement, le temps était très nuageux et le petit croissant de lune n’éclairait pratiquement rien et le Squirs Prime put rester en sustentation à moins d’un mètre du sol. Le volet artificiel recouvert de roches et de végétation qui masquait l’ouverture de plus de cinq mètres de diamètre s’ouvrit pour laisser passer le glisseur furtif chargé d’acheminer le matériel à bord du petit aviso rapide. L’IA du Squirs Prime avait littéralement saupoudré plus de cent drones de surveillance sur vingt kilomètres de rayon autour de la base et le moindre promeneur pédestre, véhicule en mouvement et, bien entendu, appareil volant, était surveillé méticuleusement. Hors de question de soulever une nouvelle vague médiatique sur les extraterrestres. Si des promeneurs nocturnes avaient la mauvaise idée de venir randonner dans ce coin isolé et difficile d’accès, Oria et Paul se tenaient prêts à les neutraliser en douceur. Les équipes au sol avaient terminé d’emballer le matériel et le chargement commença immédiatement à l’aide du glisseur antigrav. Il allait falloir bientôt déconnecter l’IA afin de la charger à bord, mais Sarian préférait attendre l’arrivée des trois croiseurs pour prendre le relais de la détection, car il ne pouvait pas basculer le contrôle des senseurs orbitaux sur l’IA du Squirs Prime ni se priver de cette ressource. La base impériale australienne était sous surveillance constante, car le chef des Ildarans ne souhaitait pas voir apparaître, à l’improviste, un glisseur de combat au beau milieu de son déménagement. Sarian aperçut Darin au milieu des containers de transport, l’air inquiet. - Tu t’inquiètes pour ton vin ? Lui lança-t-il, goguenard, le sourire aux lèvres. - Ne te moque pas. Tu seras bien content de boire une bonne bouteille lorsque nous serons dans l’espace. Rétorqua Darin d’un air narquois. Le transbordement dans le vaisseau avançait rapidement, mais le jour allait se lever prochainement et personne ne souhaitait être repéré par des terriens. Les caisses de Darin avaient été arrimées avec le reste des containers et l’homme scrutait l’appareil d’un air soupçonneux. Dès que la soute fut refermée, le navire prit l’air pour se positionner en orbite pendant que la relève de l’équipe, qui avait œuvré une bonne partie de la nuit, continuait l’empaquetage des derniers objets à emporter. Il faudrait attendre la nuit suivante pour terminer le déménagement et quitter la planète. Paul et Oria allèrent se reposer ce qui n’arrangea pas le moral de Stéphanie qui n’avait pas passé un instant seule, avec son amant, depuis plus de vingt heures. Les croiseurs de combats seraient en orbite d’ici une heure, mais ils ne pourraient malheureusement pas utiliser les glisseurs avant la nuit prochaine : trop de risques d’être aperçu par les habitants de la région, car Sarian craignait déjà que les gros navires soient observés visuellement depuis le sol. Florilius n’avait pas cherché à recontacter Corvin et cela inquiétait plutôt l’ildaran. Ce dernier aurait préféré un harcèlement régulier plutôt que de devoir attendre que le commandant de la base australienne prenne une initiative inattendue. La matinée se déroula sans problème et pratiquement tout ce qui pouvait être démonté avait été préparé et rassemblé près de la porte principale. Avec le contrôle d’un porte-croiseurs de plus de quatre-vingt-dix millions de tonnes, Sarian envisageait l’avenir plus sereinement qu’avec un simple aviso faiblement armé et aux capacités de transport limitées. Il n’était plus nécessaire de tout déménager, car les systèmes-usines du grand vaisseau pourraient leur fabriquer à peu près tout, dès l’instant qu’ils auraient accès à des matières premières. Le côté humain semblait plus complexe à gérer et le déjeuner du midi avait été un peu tendu pour l‘héritier Verakin. Stéphanie ne savait plus où elle en était, car son attachement envers Paul était contrarié par la crainte de le voir changer. Son nouveau statut d’héritier de l’Empire d’Ildaran l’avait fait mûrir et les aspirations du garçon ne cadraient déjà plus avec le petit univers feutré, imaginé jusqu’ici par la jeune fille. Elle était également effrayée par les joyaux incrustés dans le crâne de son compagnon, sans parler de ses parents qui lui manquaient énormément. Tout se mélangeait dans sa tête et elle ne s’imaginait pas, non plus, parcourir les étoiles à la recherche d’une planète habitable et encore moins de se retrouver sur un caillou inhospitalier pendant plusieurs années. Les deux jeunes gens avaient eu une longue conversation, après le déjeuner, et Stéphanie avait finalement décidé de ne pas suivre Paul, tout en lui promettant d’attendre son retour. L’adolescent savait ce que valait une telle promesse dans la durée et la décision de son amie l’avait considérablement affecté. Ajouté à la perte d’Alex, son moral était au plus bas et même Oria ne semblait pas pouvoir le réconforter. Mélanie restait toujours silencieuse comme si la mort de son amant avait inhibé sa hargne. Elle affichait une attitude résolue, un visage fermé, mais n’avait pas discuté de l’avenir avec qui que ce soit. Même Stéphanie, qui avait tenté de parler avec elle, avait été éconduite. Pour tout le monde, il semblait cependant évident qu’elle attendait d’être libérée pour tenter de reprendre une vie normale et oublier cette triste aventure. Paul espérait qu’elle ne garderait pas de séquelles psychiques, car son attitude plutôt atone, ces dernières heures, laissait craindre le pire. C’est donc dans une ambiance morose que l’IA intervint. - Commandant, un glisseur vient de décoller de la base australienne et sa trajectoire de vol le dirige droit sur vous. - En plein jour ! Nous ne sommes pas en Australie ici, c’est habité. S’il veut se poser, on va se faire repérer. Il faut le stopper répliqua Sarian, visiblement contrarié. Il contacta immédiatement Paul, qui se trouvait dans sa chambre avec Stéphanie, visiblement en pleine discussion, car il entendait distinctement la voix de la jeune fille. - Paul, il faut que tu remontes à bord du Squirs Prime et que Niir contacte Florilius. Son glisseur est en route et tu es le seul à pouvoir le contraindre à s'informer sur la signification de cette visite. Argumenta, l’ildaran. - OK, on se retrouve dans la salle principale, accepta le jeune homme, soulagé d’avoir une excellente excuse pour s’extraire de la conversation difficile qu’il avait avec son amie. Maintenant que la jeune fille avait pris sa décision, Paul ne souhaitait pas prolonger des situations émotionnellement intenses et stériles pour l’avenir. - Parfait, il faut faire vite. Il est possible que Florilius soit à bord de ce glisseur et, si c’est le cas, il sera probablement très difficile de l’éconduire. Insista Sarian. L’homme expliqua à Paul qu’il n’était pas souhaitable d’engager un bras de fer pendant le déménagement même si les trois croiseurs arrivés en orbite leur donnaient largement l’avantage. Il y avait un trop gros risque d’être repéré par les terriens qui pourraient s’étonner de voir apparaître un nuage de particules en orbite géosynchrone. Il était donc indispensable de convaincre l’officier de la base impériale de faire demi-tour. - Je comprends parfaitement. J’ai besoin d’Oria et je voudrais emmener Darin, au cas-où, même si j’ai le contrôle des androïdes du bord. Répondit l’adolescent d’une voix assurée, parfaitement conscient de ses responsabilités. - Aucun problème, Oria se tient déjà prête. Acquiesça Sarian, qui avait remarqué son attitude très impliquée. J’appelle Darin et je me joindrai également à vous afin de piloter les opérations depuis le Squirs Prime si nous étions amenés à détruire le croiseur de classe tonnerre, on utilisera les disrupteurs Il était impossible d’utiliser des torpilles à distorsion si près d’une planète, car le mini trou noir éphémère était susceptible d’absorber toute l’atmosphère. Les rayons disrupteurs étaient sans danger pour la Terre, mais l’énergie dégagée serait assurément repérée par les terriens et Sarian espérait donc qu’il serait possible d’éviter un combat en orbite de la planète bleue. Quelques secondes plus tard, Paul les rejoignit dans la salle tactique et, sans attendre, transporta toute l’équipe à bord du navire de commandement des squirs. Darin s’installa immédiatement au poste de contrôle en attendant que les androïdes du bord ramènent le premier lieutenant de Corvin. Celui-ci n’avait pas l’air de souffrir de sa détention et tenta même de prendre mentalement le contrôle d’Oria et de Darin. Il en fut pour ses frais, car ils portaient tous deux une résille Kries sous leur casquette militaire, s’attendant à ce genre de réaction. - Êtes-vous plus coopératif ou faut-il vous contraindre de nouveau ? demanda l’ildarane au prisonnier sans aucune animosité. - Vous n’aurez jamais mon concours pour quoi que ce soit. J’ai prêté serment à l’empereur ! répliqua vivement l’homme des forces spéciales. - À l’imposteur, vous voulez dire. Sourit Paul en se joignant à la conversation. - Pour moi il est l’empereur légitime, c’est vous qui êtes des rebelles. Siffla le Squir. - Il a pris le trône par la force, vous le savez bien. Réfuta la jeune femme le plus calmement possible. - Il a redonné espoir à l’Empire, sclérosé par des millénaires de gouvernance Verakin ! rétorqua, amer, le lieutenant Niir. - Bien. Il semble que nous ne puissions pas nous entendre. Je respecte votre allégeance, nous serons donc obligés de vous contraindre de nouveau. Concéda Darin, résigné. - Soyez maudit, vous et votre mutant ! gronda sèchement Niir. Paul fut piqué au vif par la réplique du squir et le terme de mutant le renvoya directement aux frayeurs de Stéphanie. Cela l’affecta beaucoup plus qu’il ne le laissa paraître et il dut faire un énorme effort sur lui-même pour ne pas se laisser déborder par ses sentiments. Il répondit posément à Niir, surprenant même Oria par son self-control tant cette dernière avait craint une réaction violente de la part du garçon. - Vous ne réussirez pas à me mettre en colère, lieutenant Niir. Vous l’ignorez, mais il semble que votre empereur soit, lui-même, sous le contrôle d’une entité malveillante. Articula lentement l'adolescent. Il se tenait droit, face au commando, et aucune hostilité n’émanait de sa personne. Il avait, en cet instant précis, revêtu l’aspect d’un empereur d’Ildaran. Le squir en fut impressionné, mais ce ne fut pas suffisant pour lui faire changer d’allégeance. - Mensonge ! Vous cherchez à me déstabiliser, mais vous n’y arriverez pas avec ce genre de déclaration futile et invérifiable. Le lieutenant des commandos avait néanmoins détourné les yeux, ne parvenant pas à soutenir le regard déterminé de Paul. - Vous avez raison. Je ne peux pas vous le prouver maintenant. Mais cherchez bien, dans l’attitude de l’empereur, ces dernières années s’il n’a pas pris des décisions parfois étonnantes. Tenta encore l’adolescent. - C’est l’empereur, il est libre de ses choix. Se buta l'impérial. - Paul, le temps presse : le glisseur a déjà parcouru la moitié du chemin. Intervint Sarian, qui suivait l’évolution de l’appareil impérial sur ses neurorécepteurs. Paul ne répondit pas et se concentra intensément sous le regard horrifié du prisonnier. Ses joyaux se mirent à briller puissamment et le garçon fut soudain maître de l'esprit de l'ildaran. Il percevait la frustration de Niir, totalement dominé, mais ce dernier avait néanmoins réussi à isoler une partie de sa conscience et Paul tentait toujours de savoir ce qu’il essayait de lui dissimuler. Avec plus de temps, l'adolescent serait certainement parvenu à ses fins, mais il y avait urgence, car le glisseur impérial était en chemin et serait rapidement au-dessus de la France. - IA, prends contact avec le glisseur impérial, ordonna Paul. - J’ai le contact avec l’IA de la base australienne qui relaie la communication, vous pouvez parler. - L'image du lieutenant Niir était relayée par les capteurs holographiques qui l'enregistraient, en trois dimensions, et l’envoyait vers la base impériale. - Je voudrais parler au commandant Florilius, fit le squir, l’air calme et sûr de lui. - Ici Florilius, je vous écoute. Répondit le commandant qui apparut dans la zone holographique. - Commandant, un glisseur se dirige vers la base rebelle. Pouvez-vous me préciser la raison de cette immixtion ? commença Niir d’un ton ferme, mais sans agressivité. - Je suis à bord de ce glisseur et comme votre capitaine est dans l’incapacité d’assurer son commandement il semble que je sois l’autorité la plus élevée dans ce système : je viens uniquement m’assurer que tout se passe bien. Rétorqua Florilius sur le même ton. Sarian percevait néanmoins la nervosité du commandant impérial, malgré sa tentative de la dissimuler. - Les squirs ne sont pas sous l’autorité de la marine spatiale, commandant, ils dépendent directement de l’Empereur Kera 1er. Paul avait utilisé sciemment le nom de l’empereur pour donner encore plus de poids à la subordination de son interlocuteur. Vous n’avez rien à faire sur le théâtre de nos opérations, retournez à votre base Florilius. Vous risquez de nous faire repérer par les terriens, il fait encore jour ici. Après une courte discussion avec Sarian, il avait été décidé qu’il était inutile de tenter de négocier avec Florilius et que le seul moyen de le faire obéir serait probablement la crainte de représailles de l’empereur. - Tout comme vous l’avez souligné, je n’ai pas d’ordre à vous donner, mais vous non plus. Je dépends de la marine spatiale et non des services spéciaux impériaux. Cette planète est revenue sous ma juridiction et, tant que l’empereur ou un représentant habilité ne me relèvera pas de mes fonctions, j’ai le loisir de me rendre où bon me semble. Répliqua l’officier avec un air de défi. Assurément, le commandant impérial n’était pas prêt à se laisser marcher sur les pieds. Une situation qui compliquait sérieusement l’opération de déménagement. Niir, sous le contrôle de Paul, lui rappela que le capitaine Corvin avait pris la direction des opérations sur cette planète et que les instructions de l’empereur stipulaient une coopération totale, mais il en fallait visiblement plus pour faire abandonner le militaire. - Le capitaine Corvin est dans l’incapacité d’assurer son commandement et je n’ai pas d’instruction vous concernant. Vous avez certainement, de facto, la responsabilité de votre équipe, mais cela ne s’applique pas à la base terrestre. Je vous réitère notre soutien total, mais coopération ne signifie pas obéissance ni rattachement hiérarchique. J’ai donc toute la légitimité pour venir observer vos opérations. Je ne me mêlerai pas de votre intervention qui est sous votre unique responsabilité et si vous avez besoin de ressources supplémentaires, je suis à votre disposition. Nous nous verrons à mon arrivée près du site rebelle. Argumenta calmement l’impérial sur un ton qui ne souffrait aucune opposition. - Restez au moins en altitude le temps que la nuit tombe : nous ne sommes qu’à quelques kilomètres de zones densément peuplées. Concéda le squir, essayant de retarder un peu l’arrivée de cet encombrant militaire. - C’est bon. J’attendrai. Terminé. Le commandant impérial coupa sèchement la communication et dut se résoudre à patienter, car le risque d’être repéré par des autochtones était réel. - Cette fois-ci, cela n’a pas fonctionné. Lâcha Sarian, irrité. - J’ai fait tout ce que j’ai pu, répondit Paul, lui aussi contrarié. - Tu n’y es pour rien, je ne pense pas qu’il se doute que nous contrôlions Niir, mais il soupçonne quelque chose et veut s’assurer que tout soit normal. Il va falloir nous préparer à l'accueillir. Le squir avait été ramené chancelant dans sa cellule par deux androïdes et, dès qu’il fut de nouveau enfermé, Paul prit la main des trois adultes et se transporta avec eux directement dans la salle de commandement de la base de Dordogne. L’adolescent aurait souhaité avoir plus de temps pour tenter une dernière fois de convaincre Stéphanie de l’accompagner, mais le glisseur allait se poser d’ici peu, car le soleil commençait à se rapprocher de l’horizon et ils avaient juste le temps de préparer la réception de Florilius. Nul doute que celui-ci allait prendre des précautions pour sa sécurité même s’il était loin d’imaginer la situation. L’appareil militaire se posa à une centaine de mètres de la porte principale, encore ouverte. Il s’agissait d’un vieux modèle de glisseur de combat de huit places, équipé de deux canons mobiles à rayons disrupteurs, de quoi occasionner beaucoup de dégâts en cas d’affrontement à courte portée. D’après les senseurs du Squirs Prime, ses systèmes d’armes n’étaient pas activés, mais son bouclier Horlzson était abaissé, renforcé au maximum. Florilius ne semblait pas pressé de sortir de son appareil et la situation resta figée pendant de longues minutes. - Le croiseur de la marine spatiale a acquis la zone sur ses senseurs de tir, transmit l’IA de l’aviso à Sarian, via les neurorécepteurs de ses Nanocrytes. - Je voudrais parler au lieutenant Niir. La voix du commandant de la marine spatiale ildarane sortie des amplificateurs de son glisseur. Sarian s’avança tranquillement vers lui sans hostilité apparente et répondit calmement - Niir est occupé à bord de notre appareil, je suis son officier en second en charge de cette opération. Que puis-je pour vous, commandant ? Vous savez que nous n’avons pas beaucoup de temps à vous consacrer. Nous avons réussi à pénétrer dans la base rebelle, mais il semble que la plupart des occupants soient parvenus à s’échapper. Les prisonniers ont été transbordés dans notre aviso, mais nous n’avons aucune trace du jeune Verakin. Nous poursuivons les interrogatoires. Tous les hommes de Sarian sauf Darin, Telius et Vira étaient visibles et rien ne permettait de penser que quelque chose d’anormal se déroulait. Florilius finit par se lasser du statu quo et sortit de son appareil. Le champ de protection disparut et il se dirigea droit vers Sarian. - Je suis couvert par mon croiseur qui est verrouillé sur cette position, s’il m’arrivait quelque chose, cette zone serait totalement détruite au disrupteur. Annonça froidement l’impérial. Sarian adopta une attitude contrariée à la limite de la colère afin d’essayer de déstabiliser son interlocuteur. - Je vous rappelle, commandant, que vous vous adressez aux représentants directs de l’Empereur. De plus, une intervention au sol avec un disrupteur orbital serait une violation flagrante de la charte des Al-Heoxyrians. Votre attitude n’est aucunement justifiée, car, comme vous pouvez le constater, nous avons le contrôle de la situation. Si vous le désirez, vous pouvez même m’accompagner dans la base rebelle et vérifier, par vous-même, qu’il n’y a plus de danger pour l’empire. Répliqua Sarian, d’un ton froid. - Je vous laisse la sécurité de l’empire, lieutenant. Je me contenterai de la sécurité de la base impériale sur cette planète. Répondit Florilius, encore sur la défensive malgré qu’il ait remarqué les insignes impériaux empruntés sur les hommes de Corvin. - Sage précision, mais je suis fort impoli. S’adoucit Sarian. Je ne me suis pas présenté : je suis le lieutenant Sarian, second lieutenant du capitaine Corvin. Vous devez comprendre que nous avons dû mobiliser toutes nos ressources pour trouver cette base et que nous sommes encore sous pression. L’ildaran balayait le déménagement avec un mouvement large du bras droit, invitant son interlocuteur à prendre conscience des tâches en cours. - Vous déménagez la base rebelle ? s’étonna le commandant de la marine spatiale en notant les nombreux conteneurs prêts à être transbordés. - Pas en totalité, mais j’applique les consignes de l’Empereur : aucune trace ne doit subsister pouvant laisser penser que l’héritier Verakin est encore vivant. Nous vitrifierons la base après notre départ et tous les éléments emportés seront analysés afin d’essayer d’en apprendre plus sur les gardes qui l’ont protégé toutes ces années. Énonça Sarian d’un ton badin, mais assuré. - Vous êtes en train de me dire que l’Empereur a ordonné que toute trace de la présence de l’héritier Verakin sur cette planète disparaisse ? s’enquit Florilius, soudainement inquiet. - Vous avez bien compris, commandant. Toute cette histoire doit rester parfaitement secrète. Nous pouvons compter sur la discrétion de vos hommes et vous-même n’est-ce pas ? demanda Sarian en relevant les sourcils d’un air ingénu soulignant par ce geste, l’importance du secret. - Naturellement lieutenant, je vais d'ailleurs retourner à la base et transmettre des instructions en ce sens. Merci de votre accueil, je reste à votre disposition. Rétorqua le commandant d’un air beaucoup moins assuré que lors de son arrivée. - Merci commandant Florilius, Niir était certain que nous pouvions vous faire confiance. Lança sournoisement l’ildaran, laissant sous-entendre que le sujet avec été abordé. Sarian avait pris l’air contrarié signifiant que l’avis de Niir n’était peut-être pas totalement partagé par les autres squirs et cela ajouta de la confusion dans l’esprit de Florilius. - Nous restons en contact, car la traque d’Ishar Verakin n’est pas terminée, il doit encore être sur cette planète, ajouta Sarian alors que Florilius se dirigeait déjà vers son glisseur. Heureusement que mon croiseur me couvre, ses maudits psykans m’auraient peut-être descendu sans cela. Pensait l’officier. La peur tenaillait le commandant impérial, car il venait de prendre conscience du risque qu’il avait pris en étant venu au contact des gardes personnels de l’empereur. Si Kera 1er voulait garder cette affaire secrète, toutes les personnes dans la confidence devraient être éliminées. Très peu d’individus devaient être informés sur les opérations déclenchées dans ce bras spiral. La sonde messagère avait dû délivrer son message et être détruite aussitôt. La nature du contenu avait probablement déclenché l’ouverture de canaux prioritaires et peu d’humains devaient avoir été mis dans la boucle. Si le dixième de ce qu’il avait entendu sur Kera 1er était vrai, ces intermédiaires devaient déjà être morts. Il fallait rapidement retourner à la base australienne et se mettre à l’abri derrière le champ Horlzson. S’il s’en sortait, son avenir dépendrait de sa capacité de survie, mais il devrait craindre en permanence d’être assassiné de même que les membres de son équipe. Il était même surpris que les squirs n’aient pas fait le ménage plus tôt. J’aurais dû y penser ! se reprocha-t-il. Dire que je me voyais déjà récompensé par l’Empereur. Kera 1er ne peut pas se permettre de voir ressurgir un héritier Verakin qui pourrait raviver l’espoir d’éventuels opposants aux Seravon. Ma carrière est foutue ! Moi qui n’avais jamais fait de politique… Le glisseur de combat décolla aussitôt et prit la direction de l’espace. L’impérial voulait se mettre à l’abri au plus tôt et Sarian éclatât de rire en regardant l’appareil s’éloigner. - Il va se terrer dans sa base pendant un bon moment, il ne devrait plus nous gêner, fit-il. - J’ai perçu sa peur lorsqu’il a compris ce que sous-entendaient tes propos. Approuva Paul, qui sortit de sa cachette. - Il va craindre pendant tout le trajet que nous ne détruisions son glisseur depuis l’espace avec l’un des croiseurs en orbite et doit interpréter leur arrivée comme un moyen de contrebalancer son navire, voire d’attaquer sa station. Compléta Darin, qui s’était lui aussi rapproché. - Tu as raison, l’IA du Squirs Prime m’informe que le Carusif quitte l’orbite terrestre pour se diriger vers la base lunaire. L’appareil à fait mouvement après avoir reçu une communication du glisseur de Florilius. Annonça Sarian. - Il veut mettre son croiseur sous la protection de sa plateforme de tir. S’il savait que nous en avons le contrôle… sourit Darin. - Ce n’est pas plus mal qu’il s’éloigne de l’orbite si nous avons à le détruire, ce sera moins visible depuis le sol. Nota Paul. - OK, ne traînons pas, tous les conteneurs de transport sont prêts à être embarqués. Paul. Peux-tu faire venir des glisseurs depuis les croiseurs en orbite ? Cela permettra de mieux répartir la masse et d’éviter les aller-retour. S'informa Sarian. Le garçon, resté en contact permanent avec l’IA du Squirs Prime, relaya la requête de l'ildaran et les trois croiseurs de combat expédièrent chacun un gros glisseur de débarquement vers la base. Sarian fit désactiver l’IA qui avait géré la base pendant ces longues années passées sur Terre. Une sauvegarde complète avait été transférée dans celle de l’aviso ainsi qu’une copie dans les mémoires du porte-croiseurs. Ils auraient pu se passer d’emporter l’IA physiquement, ayant récupéré toutes les données utiles, mais une bonne IA pourrait toujours servir à l’installation d’une nouvelle base et Sarian était prévoyant de nature. L’opération ne prit pas plus de vingt minutes et les glisseurs atterrissaient déjà à proximité de la porte. Tous les drones étaient en alerte maximum, car tous craignaient d’être découverts par des terriens malgré la nuit. L’arrivée de glisseurs de la taille d’un gros autobus, en longueur et deux fois plus large, risquait de se remarquer. Les appareils restèrent moins de cinq minutes au sol, car chaque conteneur disposait d’un générateur antigrav qui facilitait le chargement. Les hommes de Sarian se répartirent dans les différents glisseurs et, en moins de quinze minutes, le secteur redevint tranquille. Plus rien ne pouvait laisser penser que le déménagement d’un site complet, ayant hébergé près de vingt personnes pendant dix-sept ans, avait eu lieu ici. La sphère de trois mètres de diamètre, contenants les neurones artificiels de l’IA, fut chargée à bord du dernier appareil et celui-ci reparti vers l’espace. Sarian regarda une dernière fois la porte de la base se refermer et actionna le déclencheur de la mine à fusion positionnée au cœur du site. Il y eut juste un léger tremblement, mais l’ildaran savait qu’à l’intérieur les parois avaient fondu sous la chaleur du plasma dégagé par l'engin et les parois de pierre devaient avoir été totalement vitrifiées. Il n’y avait maintenant plus aucune trace de passage d’humains en ce lieu et le moindre brin d’ADN avait été atomisé. Si les impériaux venaient à découvrir les restes de cette base, ils ne disposeraient d’aucune donnée exploitable. Paul était resté jusqu’au dernier moment avec Sarian, Darin et Oria. Il avait le cœur serré, de devoir abandonner ses parents, ses amis, en particulier Stéphanie, et l’idée de ne plus revoir sa planète l’angoissait. - Sarian, il y a des véhicules terrestres qui se dirigent vers la base. Transmit l’IA du Squir Prime sur les neurorécepteurs de l'ildaran. - Envoie-moi une image de la zone, fit ce dernier. Aussitôt une vue satellitaire précise, en temps réel, fut affichée sur ses neurorécepteurs. Environ trois véhicules se dirigeaient vers l’entrée principale de la base, maintenant totalement dissimulée. - Mais comment ont-ils pu nous repérer ? s’étonna Darin. - Un promeneur a dû remarquer quelque chose et aura alerté les autorités. À dix minutes près ils nous tombaient dessus. Filons d’ici. Suggéra Sarian. Paul leur attrapa la main et se transporta aussitôt sur la passerelle du Squirs Prime. Dès qu’ils furent à bord, Stéphanie apostropha l'adolescent. - Comment comptes-tu procéder pour nous relâcher avec Mélanie ? demanda la jeune fille, à la fois triste et déterminée. - Vous relâcher ? Mais vous n’êtes pas prisonnières ! répondit le garçon, un peu surpris par le ton de sa compagne. - Alors inutile de prolonger cette situation plus longtemps maintenant que nous avons pris notre décision. Peux-tu nous faire ramener à Paris ? rétorqua-t-elle en tentant de masquer sa peine derrière une attitude agressive. Au fond d’elle-même, la jeune fille était déchirée par des sentiments contradictoires et Paul le percevait aisément, sans avoir à recourir à ses facultés mentales. Il était lui-même écartelé entre son désir de rester sur Terre et son devoir de reprendre le trône de sa famille, mais il prit sur lui et se décida à raccompagner les adolescentes à leurs domiciles. - Je vais vous transporter directement chez vous, mais nous devons effacer certains de vos souvenirs, répondit le garçon d’une voix qu'il espérait neutre. - Est-ce vraiment nécessaire ? Je voudrais garder ces moments en mémoire en attendant que tu reviennes. Tenta Stéphanie, qui savait pourtant qu’il n’y avait aucune chance que les ildarans acceptent sa requête. - Inutile de nous leurrer Steph. Rétorqua Paul. Tu sais bien qu’il y est peu probable que je revienne avant très longtemps. Je comprends et j’accepte ton choix, même si je le déplore, mais nos vies se séparent ici et lorsque tu te réveilleras demain matin tu ne te souviendras plus des épisodes survenus après la promenade à cheval à Marrakech. - Mais c’est injuste ! s’insurgea la jeune fille. - Probablement, mais votre sécurité l’impose. Je te rappelle qu’une flotte de guerre va bientôt arriver et il est préférable que les troupes de Kera 1er n’apprennent rien par votre truchement. Et toi Mélanie ? Qu’as-tu décidé finalement ? demanda Paul, quasi assuré de la réponse de l’amie d’Alex. L’assurance de sa voix impressionna Sarian qui savait pourtant que l’adolescent prenait sur lui de ne pas laisser transparaître ses émotions. Au grand étonnement général, la jeune fille annonça qu’elle souhaitait les accompagner si cela ne dérangeait personne. Mélanie justifia sa décision en expliquant qu’elle vivait dans une famille d’accueil. Ses parents étaient décédés dans un accident d’avion lorsqu’elle avait quatorze ans et même si elle n’avait rien de particulier à reprocher à sa nouvelle famille, il lui manquait de l’affection et son avenir en France ne lui paraissait pas particulièrement radieux. Depuis la mort d’Alex, elle avait perdu son unique lien affectif sur cette planète et voulait tenter sa chance dans les étoiles. L’espace lui rappelait les histoires racontées par son père qui avait été astronome amateur. Remis de sa surprise, Paul interrogea Sarian du regard. Celui-ci ne voyait aucun inconvénient à ce que la jeune fille reste avec eux, à ses risques et périls, mais la jeune fille avait parfaitement compris les enjeux et les dangers et trouvait cela encore plus excitant. Décidément, cette fille continue de me surprendre, pensa l’adolescent. - Tu veux revoir ta famille adoptive avant de partir ? s’enquit Paul. - Inutile, je suis prête. Je n’aime pas les adieux de toute façon, répondit-elle d’un ton posé et déterminé. - Dans ce cas, je te propose de rejoindre ta cabine, l’IA va te briefer sur le fonctionnement du navire pour que tu aies un minimum d’indépendance à bord. Paul va raccompagner Stéphanie et nous ferons le point dans quelques heures lui proposa Darin. Celle-ci acquiesça de la tête et se dirigea vers sa cabine et disparue sans avoir même salué Stéphanie. - Elle aurait pu me dire au revoir, fit cette dernière un peu surprise. - Cela aurait été inutile puisque tu ne te souviendras de rien, lui répondit Paul, qui tentait de masquer sa joie de voir une compatriote l’accompagner. Restait à se coordonner. Paul souhaitait revoir ses parents et leur dire adieu et grâce à ses facultés de téléportation quantique, les systèmes de surveillance de la base australienne ne pourraient pas détecter les deux sauts et n’alerteraient donc pas Florilius. Sarian était plus inquiet par le retard pris, car il craignait toujours l’émergence d’une autre flotte de guerre, mais c’est l’IA qui apporta la solution à Paul. Les croiseurs étaient plus lents que le Squir Prime, qui croisait à 0,6 C alors que les bâtiments de combats plafonnaient à 0,5C. Ils pouvaient partir devant et l’aviso rapide les rejoindrait avant l’appontage sur le vaisseau mère. - Dans ce cas : pas de souci. Que les trois navires appareillent immédiatement en direction du Seravon Prime et que celui-ci se tienne prêt à transiter. Nous les rejoindrons avec notre vitesse supérieure ordonna Sarian. - Et si Florilius nous fait des difficultés ? demanda Darin - Nous lui ferons comprendre que nous contrôlons la base lunaire, cela devrait calmer ses ardeurs belliqueuses. Sourit l’homme. - Les trois croiseurs prennent le cap du porte-croiseurs, arrivée estimée dans quinze heures. Sarian se retourna vers les adolescents, l’air grave. - Paul, tu disposes de deux heures pour régler tes affaires ici. Je sais que c’est court, mais la flotte impériale peut surgir à tout moment et nous ne serons probablement pas en situation de force, même si la surprise peut nous donner un avantage temporaire. Stéphanie, c’est l’heure de nous quitter, mais nous nous reverrons peut-être… - Adieu, Sarian. Je partage l’avis de Paul. Vous ne reviendrez pas sur Terre et même si vous le faisiez, nos vies seront devenues tellement éloignées que je ne crois pas que nous nous reverrons, répondit la jeune fille, l’air triste. - Eh bien, viens avec nous alors. Tenta encore Paul, qui entrevit une brèche. - Non. J’ai bien réfléchi et, même si votre aventure paraît prodigieuse, je préfère vivre une vie plus calme dans mon pays. Alors sur une autre planète… fit-elle d’un ton las. - Dans ce cas inutile de refaire le monde, le temps presse et je voudrais également revoir mes parents adoptifs quelques minutes. Oria, peux-tu lui faire oublier les quatre derniers jours ? demanda Paul à l’ildarane qui les avait rejoints depuis quelques minutes. - Il est préférable que ce soit toi qui le fasses. Ta puissance psy est maintenant très largement supérieure à la mienne et ton verrou mental sera plus efficace. Il n’y a que très peu de psykans qui seraient capables de faire sauter ton blocage. Répondit la femme aux yeux bleus cobalt. - Mais comment dois-je m’y prendre ? Ce n’est pas dangereux pour elle ? Paul était un peu désemparé, car, s’il avait réussi à prendre le contrôle d’une IA et d’un psykan, là il s’agissait d’effacer des souvenirs et cela signifiait altérer durablement les signaux électrochimiques du cerveau de son amie. - Non rassures-toi, il faut simplement s'y prendre en douceur. En effet en agissant trop vite cela pourrait être dangereux. Joins ton esprit au mien et je vais te guider, ajouta-t-elle. Paul sentit la sonde mentale d’Oria connecter son esprit et eut l’impression d’être désincarné. Il pénétra dans une sorte d’espace virtuel où ses perceptions étaient modifiées, comme filtrées par de nombreux prismes qui lui offraient une vision altérée tout en étant multiples. Il n’arrivait pas à définir ce qu’il ressentait. Stéphanie était assoupie et ne se rendait plus compte de rien. L’adolescent s’immisça dans sa conscience, à la suite de l’ildarane, et son esprit fut envahi par les souvenirs de sa compagne. Oria s’était matérialisée dans l’espace virtuel de la mémoire de la jeune fille et l’image de l’ildarane était la représentation subjective que Paul avait d’elle et différait sensiblement de la réalité. Elle était plus douce, plus proche : presque comme une grande sœur que Paul n’aurait pas connue. Il percevait l’avatar de la jeune femme telle qu’il la ressentait mentalement et cela concrétisait une sorte de chimère. Il était gêné de s’introduire ainsi dans les souvenirs de sa petite amie, surtout avec Oria, qui allait partager de nombreux moments intimes. L’expérience était très étrange, car Paul s’attendait à devoir balayer une sorte de ligne temporelle linéaire. Au lieu de cela il était immergé simultanément dans plusieurs espaces mémoriels. Certains correspondaient visiblement à de véritables souvenirs, d’autres plutôt des émanations du subconscient de la jeune fille. Comment s’y retrouver pour verrouiller une infime portion de cette mémoire ? Oria intervint pour l’aider. - Suis-moi, enfin façon de parler. Il faut te concentrer sur ce que tu cherches à éradiquer dans sa mémoire. - Tout est mélangé ! s’exclama Paul, qui découvrait des souvenirs totalement incohérents. Ils erraient dans les méandres mémoriels de l’adolescente et Paul se voyait dans certaines scènes. Il découvrait également des moments de l’enfance de Stéphanie. Un chien ! Elle ne lui en avait jamais parlé. Urielle ! Elle s’appelait Urielle. C’était une femelle Airedale Terrier qui était morte lorsqu’elle avait douze ans. Il se faufilait dans son passé, comme un espion virtuel. Il assistait à certains instants très intimes qui le mettait mal à l’aise, surtout qu’il percevait Oria à ses côtés. La mort de la grand-mère, le premier baiser avec un garçon, des vacances aux États-Unis avec ses parents, une chute de cheval avec Voscero, l’Andalou du père de Paul, des entraînements de natation… Cela n’est finissait plus. Comment s’y retrouver dans tout ce méli-mélo ? La mémoire des humains contient tellement de souvenirs… Oria vint à son secours en orientant leur navigation dans les pensées de la jeune Française. Ils avaient perdu totalement la notion du temps quand, tout à coup, ils se retrouvèrent dans une scène mémorielle représentant Marrakech. Stéphanie essayait une bague en argent, l’instant d’après ils étaient en train de dîner au bord de la piscine avec Oria. Nous y sommes presque, il faut remonter un peu, laisse-toi guider lui intima la jeune ildarane. L’impression d’être dans un jeu vidéo était toujours très prégnante et Paul ne savait pas du tout comment influer sur ses souvenirs. Il n’y avait aucune continuité. Oria aiguilla le garçon très doucement vers les souvenirs du voyage puis remonta lentement vers la soirée décisive. Elle choisit de bloquer l’accès aux souvenirs postérieurs à l’apéritif anniversaire. L’ildarane procéda très lentement afin de ne pas endommager les neurones de la jeune fille tout en permettant à Paul de suivre le mode opératoire et surtout de renforcer le blocage mis en place. - Vient, sortons, c’est terminé. Fit Oria, visiblement fatiguée. Paul fut soudain de retour dans la réalité. Stéphanie semblait dormir paisiblement, sa respiration était calme et son visage détendu. L’adolescent avait la tête qui tournait et avait fermé les yeux, presque par réflexe. En les ouvrants, il découvrit son mentor, qui le fixait intensément. - Comment te sens-tu ? demanda-t-elle d’un ton légèrement inquiet. - Totalement déboussolé, articula-t-il difficilement. - Cela fait toujours cela la première fois, ensuite on s’y habitue. Il faut être très prudent, car on peut se perdre dans l’esprit d’un autre et y laisser son équilibre mental, précisa-t-elle. - Nous sommes restés longtemps dans l’esprit de Stéphanie ? balbutia le jeune homme. - Moins d’une minute fit l’ildarane en souriant, comprenant son malaise. - J’ai eu l’impression que cela avait duré des heures ! avoua-t-il, toujours perturbé. - Cela se passe à la vitesse de la pensée. Le cerveau humain est très sous-exploité par le commun des mortels. Il recele d’extraordinaires potentiels, notamment celui d’interpréter des pensées multiples simultanément. - Elle a tout oublié ? - Tout ce qui est postérieur à l’apéritif anniversaire des personnes que nous avons rencontrées lors la balade à cheval. - Parfait. Je vais la déposer sur le palier de son appartement, maintenant suggéra Paul. - Tu n’es pas fatigué ? Tu ne veux pas te reposer quelques instants ? La jeune femme s’inquiétait de son état physique après cette expérience éreintante pour un novice. - J’aurais bien aimé, mais le temps nous est compté et je voudrais revoir mes parents, insista-t-il. Il prit la main de sa compagne, fit un signe à Oria en lui lançant : - à toute à l’heure, attendez-moi hein ? Avant que la jeune ildarane ait pu lui répondre, les deux adolescents avaient disparu. Paul s’était transporté directement devant la porte de l’appartement de Stéphanie. Il la déposa doucement sur le sol et la regarda une dernière fois avant d’appuyer sur le bouton de la sonnette puis il se transporta devant l’appartement de ses parents et sonna tranquillement. Son père adoptif ouvrit la porte et l’adolescent perçut la joie qui envahit son esprit. Il faillit succomber à ce débordement d’émotions lorsque sa mère l’aperçut. Il se mit à pleurer, laissant retomber la tension de ces derniers jours. Ses parents le questionnèrent, mais il ne pouvait naturellement rien leur dire. Il se contenta de leur raconter qu’il ne se souvenait de rien. Sa mère voulut l’emmener à l’hôpital et Paul dû déployer tous ses talents oratoires pour la convaincre qu’il allait bien. Au bout de quelques minutes, il se mit à douter de la pertinence de sa visite d’adieux, car il avait suscité plus de questions et de frustrations que de bons souvenirs. Et que dire à ses parents, alors qu’il était probable qu’il ne revienne jamais ? Cet instant, qu’il avait imaginé comme un moment de partage et d’adieu, se transformait en désastre affectif. Son chat Gribouille lui sauta sur les genoux et cela acheva de l’anéantir émotionnellement. Un immense sentiment de tristesse et de nostalgie le submergeait. Il perdait le contrôle de lui-même ! Une parole de son père adoptif le fit revenir à la réalité : il ne pourrait pas quitter ses parents aisément, ils feraient tout pour le retenir. Il n’y tint plus et se concentra comme Oria le lui avait montré quelques minutes auparavant. La difficulté était de neutraliser les consciences de deux personnes à la fois et ses joyaux se mirent à luire violemment de telle sorte que ses parents poussèrent un cri de frayeur, car ils ne les avaient pas encore remarqués. Il fut soudainement dans l’esprit de sa mère. Son père semblait plus réfractaire, peut-être parce qu’il était en colère et fermait son esprit à toute idée d’ouverture. Mais le père de Paul s’alarma de voir sa femme figée sur sa chaise et sa colère retomba d’un seul coup. Paul en profita aussitôt pour lui ordonner de s’assoupir. Ses deux parents inconscients, il put se concentrer sur l’effacement de leurs derniers souvenirs. Ce fut beaucoup plus facile qu’avec Stéphanie, car il n’y avait qu’une très petite période à oblitérer et il s’agissait des derniers instants encore présents dans leur esprit conscient. Paul les observa un moment, son chat lové sur les genoux. Des larmes coulaient de ses yeux et il n’arrivait plus à maîtriser ses émotions. Il perdit la notion du temps dans ce moment surréaliste, mais il finit par se reprendre et consulta sa montre. Il lui restait encore une trentaine de minutes, mais il craignait de perdre le contrôle. Il posa alors délicatement son chat sur le canapé, attrapa dans un réflexe son baladeur multimédia et son casque posés sur une table, étreignit Gribouille une dernière fois et se téléporta à bord du Squirs Prime, directement dans sa cabine. Son arrivée sur le vaisseau passa inaperçue et il s’écroula sur son lit, totalement effondré. Il n’avait jamais ressenti un tel désarroi. Quelqu’un frappa à sa porte et il ouvrit lentement la porte. Oria entra alors qu’il se retournait sur la défensive. - Comment as-tu su que j’étais revenu à bord ? demanda-t-il en sanglotant, plutôt gêné que la jeune femme le voie ainsi. - Tu dégages une telle émotivité psychique que l’on doit te détecter depuis la lune, répondit doucement Oria, qui était perturbée par les émissions mentales désespérées du jeune homme. - Je n’ai pas supporté de devoir les quitter et de ne pouvoir rien leur dire. J’ai effacé de leur mémoire la trace de ma visite. Il n’y a que le chat qui se souviendra peut-être que je sois passé continua Paul sur le ton de la dérision. - C’est totalement compréhensible. Tu as pris la bonne décision, à la fois pour toi et pour eux. Il est préférable qu’ils ne sachent rien de ton passage ainsi les impériaux ne pourront pas leur nuire. Il va falloir penser à appareiller, tu te sens prêt ? - Oui, inutile de regarder en arrière. Préviens Sarian et quittons cette planète. Le garçon avait retrouvé une voix assurée, mais il ne pouvait tromper la jeune psykane qui percevait toujours ses sentiments mêlés alternant angoisse et tristesse. Oria compatissait à sa peine et aurait voulu trouver les mots pour le réconforter, mais elle savait qu’il devait s’endurcir, car l’avenir proche était semé d’embûches. Paul devait accepter son destin et combattre pour reprendre l’empire aux Seravon et il n’y avait aucune place pour la faiblesse. - Je viens de communiquer avec Sarian, le Squirs Prime appareille. Lui transmit-elle d’un ton neutre. Il souhaite que tu le retrouves sur la passerelle dès que tu le pourras. - OK, laisse-moi quelques minutes. Je ne reviendrai peut-être jamais sur cette planète, pensait-il. Il songeait à ses parents, à ceux d’Alex et de Mélanie qui ne sauraient jamais si leurs enfants étaient encore vivants. Pourquoi, seule Stéphanie était revenue saine et sauve, mais sans aucun souvenir ? Ils resteraient à tout jamais dans l’incertitude. L’aviso accélérait pour rejoindre les trois autres navires de combat et la distance le séparant de la Terre augmentait de secondes en secondes. Paul demanda à l’IA de se connecter aux satellites de surveillance du réseau impérial et de lui retransmettre les chaînes d’informations françaises. Il voulait prendre le pouls de son pays une dernière fois. Le présentateur de la Une traitait justement de la disparition des adolescents et annonçait la réapparition d’une des jeunes filles. Nos reporters signalent que l’une des deux adolescentes disparues, il y a six jours à Marrakech, a été retrouvée devant son domicile sans aucun souvenir de ces derniers jours. D’après les médecins, elle est en bonne santé …Paul regardait la projection holographique qui affichait les photos de son amie. La mélancolie le submergea de nouveau et il préféra couper la retransmission qui commençait d’ailleurs à se brouiller du fait de leur vitesse relative, malgré les technologies de communication basées sur l’intrication quantique. L’aviso rapide avait quitté l’orbite terrestre depuis quarante-cinq minutes et filait à soixante pour cent de la vitesse de la lumière vers le porte-croiseurs, à la suite des trois navires partis deux heures plus tôt. Il avait déjà parcouru presque cinq cents millions de kilomètres et il lui faudrait un peu plus de treize heures pour rallier le gros vaisseau mère qui avait ravitaillé en matière noire et se tenait prêt à une transition longue distance. Sarian, qui avait pris partiellement connaissance des capacités techniques de l’énorme sphère, savait qu’il faudrait au moins douze transitions pour atteindre la bordure extérieure de la Voie Lactée, au-delà du bras du Règle/Cygne. * Chapitre 34 Florilius ne comprenait rien à l’attitude des Squirs : ceux-ci semblaient apparemment vouloir quitter le système. Il savait que les commandos de l’empereur avaient déménagé la base rebelle à l’aide des trois croiseurs et que ceux-ci étaient repartis vers l’espace en direction de leur navire amiral. Ses senseurs avaient enregistré l’activation de la mine à plasma et il imaginait que rien ne subsistait dans la grotte. Mais pourquoi quittent-ils l’orbite alors que l’héritier Verakin est encore sur Terre ? pensa-t-il. À moins qu’ils ne m’aient menti et qu’ils l’aient capturé ? Mais dans quel but me le dissimuler ? Le commandant impérial ne trouvait aucune logique dans les actions récentes des squirs. Leur aviso rapide rattrapait lentement son retard sur les gros navires de guerre et naviguait sur le même cap. Légèrement plus rapide, il devrait être à proximité du vaisseau mère en moins de treize heures, d’après l’estimation de l’IA de la base australienne. Florilius avait tenté d’entrer en communication avec Corvin et Niir, mais c’était Sarian qui lui avait répondu qu’il planifiait de boucler le système, craignant l’utilisation d’un autre appareil furtif par leurs ennemis. Florilius n’avait pas gobé cette explication, mais il n’avait rien à opposer. Il ne tenait pas non plus à trop se faire remarquer, de peur que les squirs ne fassent le ménage par précaution, surtout qu’il ignorait les consignes concernant les membres de la base avancée. C’est à ce moment précis qu’il fut l’averti d’une anomalie alarmante : les IA de la base lunaire et de la base terrestre communiquaient généralement toutes les vingt-quatre heures par procédure de routine et celle du système de défense planétaire ne répondait plus. L’IA de la base terrestre avait ouvert un canal de communication avec le calculateur central et tout semblait normal sauf que la partie neuronale de l’IA lunaire semblait inopérante. Après la courte alerte de la veille, ce second incident devenait vraiment suspect. Les procédures de sécurité commandaient d’aller sur place pour contrôler et, comme le Carusif était déjà en orbite autour du satellite de la Terre, Florilius embarqua à bord de son glisseur de combat. Il lui faudrait moins d’une demi-heure pour atteindre le puissant site militaire. Que de temps perdu, depuis cette alerte de niveau neuf, songea le soldat, un peu désabusé par les évènements de ces dernières heures. * - Sarian, le glisseur de combat de Florilius vient de décoller sur une trajectoire d’interception de l’orbite lunaire, le mouvement du petit appareil avait naturellement été enregistré par les senseurs orbitaux en contact avec l’IA du Squirs Prime et celle-ci avait aussitôt averti ses passagers. - Passe-moi Telius dans sa cabine, ordonna aussitôt l’Ildaran. - Ligne ouverte. - Telius, il semble que Florilius se doute de quelque chose. Il est en chemin pour la base lunaire. Nous ne pouvons pas nous permettre de le laisser entrer. Rapporta Sarian. - Aucune chance, j’ai ordonné au calculateur de verrouiller la base. Rien ne pourra se poser. S’il insiste, il va se faire tirer dessus, lui répondit le spécialiste du groupe. - Commandant. Une flotte de soixante croiseurs vient d’émerger à 8,3 heures-lumière de l’étoile solaire. - Quelle est sa position par rapport au porte-croiseurs ? demanda Sarian, soudain en alerte. - 48° par rapport à l’axe du système. Distance : 14,2 heures-lumière, mais ils vont certainement transiter pour se rapprocher. Sarian avait repris son rôle de commandant des gardes impériaux Verakin et sa vitesse de réaction fut instantanée. - IA. Tir immédiat des deux cents torpilles de la base lunaire en accélération de manière à ce qu’elles nous entourent ainsi que les trois croiseurs devant nous. En cas de combat nous pourrons réassigner les cibles. Que le Squirs Prime simule un dysfonctionnement des propulseurs gravitiques et ramène notre vitesse à 0,45C, cela laissera le temps aux torpilles de nous rattraper. Appelle les IA des trois appareils devant nous et tiens-les informés de nos soucis de propulsion sur une holocom non cryptée.» Cinquante nanosecondes suivant l’ordre de Sarian, deux cents disques de trois mètres de diamètres jaillirent des tubes de lancement de la lune et accélérèrent dans l’espace à plus de deux mille gravités. Ils atteignirent rapidement leur vitesse maximum de 0,9 C. - Florilius nous contacte. - Oui, commandant Florilius, répondit Sarian, simulant l'angoisse. - Je voudrais parler au lieutenant Niir, fit l’impérial en tentant d’observer l’environnement de la passerelle. - Il est occupé à essayer de comprendre pourquoi deux cents torpilles planétaires viennent de se verrouiller sur notre appareil au moment où nous rencontrons un souci de propulsion, rétorqua sèchement Sarian. - C’est incompréhensible ! Mon IA m’a informé il y a trente minutes que celle de la base lunaire semble dysfonctionner et … l’impérial n’eut pas le temps de finir sa phrase. - Quoi ? Et vous ne nous avez pas avertis ! fulmina Sarian, qui avait violemment interrompu l’officier. Paul et Darin, placés en dehors du champ du capteur holographique, sourirent en admirant son talent de comédien. Florilius s’était laissé prendre par le ton accusateur du soi-disant lieutenant de Corvin. - Vous vous rendrez compte, Florilius, que ce retard pourrait coûter la destruction de nos vaisseaux. Je vais en avertir immédiatement le responsable de la flotte qui vient d’émerger. Ajouta Sarian, l’air furieux. - Nous n’y sommes pour rien, lieutenant, et je vous rappelle que l’anomalie semble être survenue après votre survol orbital de la base lunaire. Tenta de se justifier le commandant. Il affichait réellement un air désolé et semblait dépassé par les évènements. - Accusez-nous de vouloir nous suicider tant que vous y êtes Florilius ! Sarian était devenu tout rouge et jouait l’affolement avec une parfaite maîtrise. Vous imaginez ! Deux cents torpilles de classe planétaire ! Comment voulez-vous que nous échappions à ça si elles nous rattrapent ? - Nous essayons de reprendre le contrôle du système d’armes, mais nous n’avons aucune communication avec la base lunaire, avoua le commandant de la marine impériale. - Eh bien, faites vite ! Je dois prendre contact avec la flotte qui vient d’émerger. Tenez-moi informé de vos résultats Florilius. Sarian coupa la communication sans attendre la réponse du militaire. Après avoir croisé à 0,9 C pendant une minute, les deux cents disques avaient pris leur allure de croisière à 0,5 c, à la poursuite du Squirs Prime. Les torpilles n’avaient aucune chance de rattraper le petit aviso s’il naviguait au maximum de sa vitesse, mais à l’allure de 0,45 C elles devraient s’être rapprochées lorsqu’il atteindrait le porte-croiseurs et pourraient servir de force de frappe si la flotte les attaquait. - Communication entrante pour le capitaine Corvin. - Mets en attente et passe-moi Paul. L’IA ouvrit une ligne holocom avec le garçon. Paul, il faut que tu interviennes avec Niir, car il est pratiquement certain que quelqu’un, à bord de ces vaisseaux, connaît l’équipe de Corvin et je ne pourrais pas me faire passer pour un responsable de son commando. Sarian observa le jeune homme, mais celui-ci ne semblait pas trop perturbé de quitter sa famille adoptive et la planète qu’il avait cru être la sienne. - Je me rends tout de suite dans sa cabine, demande à Oria de me rejoindre au cas où. Répondit Paul d’un ton qu’il espérait neutre. Bien que contrit, il n’était pas mécontent d’avoir un motif d’activité pour oublier provisoirement les raisons de ses angoisses. Il avait réussi à masquer ses émotions auprès de Sarian et son taux d’adrénaline venait de monter en flèche. Il retrouva la psykane devant la cabine qui servait de cellule à Niir et ils découvrirent celui-ci en pleine concentration. Sarian l’avait autorisé à accéder à la base d’information du bord et les relais de communication de ses Nanocrytes affichaient les données de lecture directement sur ses neurorécepteurs. - Que me voulez-vous encore ? demanda le Squir, un brin irrité. - Une flotte impériale vient d’émerger et ils réclament Corvin. À défaut, son second devrait faire l’affaire. Énonça Oria calmement. - Je vous ferais payer cette humiliation, soyez-en sûre ! répliqua le squir en lui lançant un regard chargé de menaces. - Paul, fais-le venir sur la passerelle, il y a urgence. Intervint Sarian dans l’intercom du bord. L’adolescent prit le contrôle du commando sans trop d’effort. Paul ne mesurait pas encore l’étendue de ses facultés, mais il lui semblait que son pouvoir s’amplifiait. À moins qu’il soit plus facile de contrôler un individu déjà soumis une première fois, il faudra que j’en discute avec Oria, pensa-t-il. Le lieutenant impérial se dirigea d’un pas hésitant à la suite de la jeune femme vers l’élévateur à gravité dirigée qui desservait directement le pont principal où se situait le centre névralgique de l’aviso. Paul percevait la lutte intense dans la tête de Niir. Il crut également percevoir une étrange forme de pensée, mais cet instant fugace disparu aussi vite qu’il était apparu. Paul rechercha une trace de cette pensée qui lui semblait étrangère, mais sans aucun résultat. Il se promit de se souvenir de cette signature mentale, car elle n’appartenait ni à Niir ni aux autres squirs enfermés dans une cabine du navire. Cette pensée divergeait profondément des schémas mentaux des humains présents à bord du Squirs Prime. Était-il possible que Niir fût en contact avec un autre psykan ? L’intervalle avec un autre vaisseau impérial se chiffrait en milliards de kilomètres et il n’imaginait pas qu’il soit possible de communiquer mentalement à pareille distance. Dès qu’ils furent sur la passerelle, Sarian laissa sa place à Niir au poste de commandement et l’IA ouvrit une communication avec le bâtiment amiral de la flotte impériale. - Vous n’êtes pas Corvin. Où est votre capitaine attaqua immédiatement l’officier de haut rang sur un ton qui dénotait d’une grande habitude du commandement. - En effet amiral, je suis le lieutenant Niir, second du capitaine Corvin. Le capitaine a été tué lors d’une échauffourée avec les rebelles répondit Niir sous le contrôle de Paul. Celui-ci n’osait pas ordonner au lieutenant de demander à l’officier de s’identifier, mais, d’après les insignes sur son uniforme, Sarian lui avait transmis qu’il s’agissait d’un amiral. - Avez-vous capturé ou éliminé la cible ? reprit le militaire d’un ton sec. - Non amiral, il a réussi à s’échapper. Un vaisseau a quitté le système avant notre arrivée et nous pensons qu’il était à bord. Nous avons fouillé la planète et capturé plusieurs rebelles, mais aucune trace du Verakin. Répondit calmement le squir, toujours sous le contrôle de Paul. L’adolescent ressentait sa rage, il maudissait le garçon de l’obliger à leurrer un amiral de la flotte. - Comment un appareil a-t-il pu quitter ce système avec l’armement qui y est installé et votre flotte ? Le visage de l’impérial était impassible même si on y devinait une colère froide. - Cet appareil disposait d’une technologie furtive, nous ne l’avons détecté qu’au moment de la transition et trop tard pour l’intercepter. Nous avons lancé plusieurs appareils vers les étoiles les plus proches, mais sans pouvoir le rattraper. Rétorqua le commando, contre sa volonté. - Transférez-moi le rapport complet de cet épisode. Nous allons débarquer deux cents traqueurs impériaux et ratisser cette planète de fond en comble. Revenez sur l’orbite terrestre, nous nous verrons à votre arrivée. Attendez ! Nos senseurs à longue portée détectent deux cents torpilles planétaires à votre poursuite. Que ce passe-t-il ? L’amiral, jusqu’ici très calme commença à montrer des signes d’agitation. Si ces engins parvenaient jusqu’à sa flotte, ils pourraient lui infliger des dégâts considérables. - Nous l’ignorons Amiral, nous avons quitté l’orbite avec l’objectif de revenir sur le Seravon Prime, mais la base lunaire a tiré ses torpilles peu après. Le lieutenant Florilius qui commande la base sur Terre n’en sait pas plus. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas faire demi-tour tant que ces engins sont à nos trousses. Nous avons de surcroît un souci de propulsion qui a fait chuter notre vitesse à 0,45c. Nous ne pourrons pas échapper à ces engins. Sembla se lamenter le squir. - Je prends contact avec le lieutenant Florilius, terminé. L’amiral de l’empire coupa brutalement la communication sans un mot, laissant penser à Sarian que les commandos des squirs n’étaient pas en très bons termes avec les autorités militaires. - Paul, il va falloir rester sur la passerelle avec Niir, car cet amiral va inévitablement nous rappeler prochainement. À sa place je regrouperais tous les croiseurs et le vaisseau mère pour constituer une force défensive capable de détruire les torpilles. Individuellement aucun appareil n’a de chance face à une salve pareille. Fit Sarian en se tournant vers le jeune homme. Paul avait relâché la pression mentale sur le prisonnier et Oria lui avait passé des menottes magnétiques afin qu’il n’en profite pas pour tenter une action désespérée. Il était immobilisé sur un siège éloigné de toute commande sensible et les observait avec un regard chargé de haine. Il me fait froid dans le dos ce type pensa Paul qui gardait en mémoire l’étrange effluve mentale. Que peut-il nous cacher, il faudra que j’en parle à Oria à la première occasion. - Il nous reste encore presque treize heures de vol pour atteindre le porte-croiseurs, les torpilles peuvent nous suivre jusque-là ? demanda l’adolescent à Darin qui les avait rejoints. - Avec une vitesse de croisière de 0,5C oui. Tant qu’elles trouveront de la matière noire à convertir en énergie pour alimenter leurs propulseurs. Répondit l’ildaran. Il lui expliqua que ces torpilles étaient beaucoup plus grosses et performantes que celles embarquées à bord de navires, ce qui était plutôt un atout, car elles pourraient les escorter jusqu’au Seravon Prime. - Je n’aime pas trop savoir les impériaux aussi près du porte-croiseurs, ils pourraient bien vouloir monter à bord. Est-ce que l’IA est subordonnée à leur autorité ? demanda Sarian à Paul. - D’après l’IA du Squir Prime, non. Ce vaisseau dépend directement de la garde squire et Corvin était leur chef. C’est Niir qui prend automatiquement le commandement tant que l’Empereur ne nomme pas un autre capitaine communiqua l’adolescent après avoir échangé mentalement avec l’IA de l’aviso. - Bon c’est déjà ça. Il faut maintenant réussir à embarquer tous nos navires et quitter ce système. Avec les soixante croiseurs de combat qui nous surveillent, la partie s’annonce serrée. Souligna Sarian en hochant de la tête. - Commandant, holocom entrante depuis la flotte impériale. - Ouvre une communication, ordonna l’Ildaran. Paul, tiens-toi prêt avec le squir. Cette fois-ci, hors de question de faire patienter l’amiral de la flotte. Le commando impérial tenta bien de résister à l’assaut mental du garçon, mais c’était peine perdue. Il redevint instantanément une marionnette à ses ordres. Oria lui ôta aussitôt ses menottes magnétiques pour qu’il apparaisse libre dans la communication holographique. L’hologramme de l’amiral apparu de nouveau dans le centre de commande - Florilius n’arrive pas à reprendre le contrôle de la base lunaire et il n’a pas les moyens militaires de l’investir. Il est vraisemblable que ces torpilles continuent leur poursuite. Comme Sarian s’y était attendu, l’amiral proposa un regroupement de tous les vaisseaux de combat à huit heures-lumière de la troisième planète afin de former un bloc défensif. L’IA de son navire avait calculé qu’avec les contre-mesures électroniques et les défenses actives cumulées, il était possible de détruire toutes les torpilles avec des pertes minimales. - Je fais déplacer ma flotte vers le Seravon Prime, retrouvez-moi à distance de combat. L’officier s’était adressé à Niir avec une agressivité qui surprit Sarian. - Vous avez raison, Amiral, répondit poliment le squir. C’est la meilleure option, je vous recontacterai lorsque nous serons à quinze minutes-lumière du Seravon Prime pour coordonner nos défenses. J’ordonne à tous mes autres croiseurs de se regrouper à distance de combat du vaisseau mère, Lieutenant Niir terminé. Le militaire de la flotte ne prit pas la peine de répondre et coupa la communication avec le Squirs Prime. Sarian et Paul étaient soulagés par la tournure des évènements, car même s’ils n’étaient pas encore sortis d’affaire, les impériaux semblaient ne se douter de rien. Il fallait maintenant établir un plan pour échapper à cette flotte de combat qui serait bientôt à porter de tir de leur vaisseau principal. La proposition de l’amiral avait au moins l’avantage de fournir une bonne raison à leurs onze navires de revenir au contact du porte-croiseurs, sans éveiller les soupçons. - Oria et Paul, vous pouvez ramener Niir dans sa cabine, il est peu probable que l’on ait besoin de lui avant plusieurs heures. Sarian semblait un peu fatigué malgré ses Nanocrytes et l’arrivée de soixante croiseurs de guerre l’inquiétait sérieusement. Le second de Corvin, qui avait retrouvé son libre arbitre, fulminait, mais il savait qu’il n’avait aucune chance d’atteindre ses ennemis avant d’être neutralisé. Bien qu’amélioré, avec un pack Nanocrytes de niveau six, l’arme pointée sur lui par Xionnes ne lui laissait aucune ouverture d’autant qu’Oria l’avait de nouveau menotté avant que Paul ne relâche son contrôle mental. Il avait pensé se suicider pour empêcher les rebelles de l’utiliser comme une marionnette, mais sa loyauté envers l’empereur n’était pas suffisante pour qu’il se sacrifie ainsi. Il lui était, également, venu l’idée qu’il y aurait peut-être des psykans à bord des vaisseaux impériaux et qu’il pourrait envoyer un message d’alerte. Avec un peu de chance, il parviendrait à avertir les croiseurs et même s’il y perdait la vie il aurait au moins la satisfaction d’avoir vengé Corvin. Il se laissa donc ramener sagement à sa cabine et reprit tranquillement sa lecture tout en restant concentré sur son plan. Et il me reste une carte à jouer s’ils me laissent monter vivant à bord du Seravon Prime, songea-t-il, un rictus aux lèvres. Les heures qui suivirent furent d’une monotonie laissant présager du pire. Le Squirs Prime rattrapait tranquillement les trois croiseurs devant lui, qui avaient réduit leur vitesse pour l’attendre, et ils navigueraient de concert dans moins de trente minutes. Sarian surveillait les données tactiques et constata que la salve de disques-torpilles comblait lentement son retard sur les quatre appareils. De son côté, la flotte impériale s’était positionnée à un million de kilomètres du Seravon Prime et tous leurs systèmes d’armes étaient activés. Si les impériaux ouvraient le feu sur le porte-croiseurs, à si courte distance, celui-ci ne survivrait certainement pas face à soixante croiseurs de combat et ils perdraient alors un énorme atout logistique. En état de défense les systèmes d’armes détecteraient immédiatement toute attaque hostile et les croiseurs lanceraient leurs torpilles et déclencheraient les rayons disrupteurs. En quelques nanosecondes, tout serait terminé. Il restait à Sarian environ une heure pour décider s’ils tentaient de s’échapper avec l’aviso ou s’ils jouaient la carte du porte-croiseurs. S’il attendait trop longtemps, le Squirs Prime serait, lui aussi, à portée des armes de la flotte et ils risqueraient tous leur vie. Mais parvenir à s’échapper, sans combattre, d’un système verrouillé par soixante croiseurs de combats regroupés à distance de sauts relevait du miracle. Paul avait regagné sa cabine et il ne s’était plus montré depuis plusieurs heures. L’adolescent s’était fait servir à manger par les androïdes du bord, mais avait refusé toute discussion, même avec Oria ou Mélanie. Cette dernière ne semblait pas trop affectée par la situation et elle avait cherché à se rapprocher de Darin, qui lui avait expliqué la situation. La jeune fille avait également passé beaucoup de temps à observer l’espace depuis une salle tactique qui reproduisait fidèlement l’espace environnant avec une netteté fabuleuse. L’IA lui avait montré la Terre maintenant loin derrière le vaisseau, le Seravon Prime ainsi que la flotte impériale. Elle paraissait captivée par les possibilités techniques du petit aviso. Oria en avait profité pour se reposer, car elle percevait directement la détresse de Paul à travers le lien psychique qui les liait et cela l’obligeait à partiellement fermer son esprit, car les sentiments du jeune homme risquaient d’endommager son équilibre psychique si elle maintenait la connexion mentale. Elle avait bien essayé de lui enseigner à contrôler son esprit, mais il n’arrivait pas à se concentrer suffisamment et les gemmes qui entouraient sa tête semblaient amplifier ses émissions psychiques. Cette situation allait malheureusement profiter aux psykans impériaux. L’IA de bord pilotait le petit vaisseau sans se préoccuper des engins de mort lancés dans son sillage et commença à aligner sa vitesse sur les trois navires de guerre qui les précédaient. - IA, les torpilles sont-elles directement dans notre sillage ? s’enquit soudain Sarian, qui venait d’avoir une idée. - Oui, elles sont verrouillées sur le Squirs Prime. L’IA du Seravon m’indique que tous nos croiseurs sont revenus en protection autour de notre navire amiral. - Bien. Que cinq d’entre eux restent en soutien et que les autres appontent. Pour les torpilles planétaires, si nous reprogrammons leurs données d’acquisitions sur la flotte impériale, à partir de quelle distance les impériaux détecteront-ils le changement ? demanda l’ildaran. - Comme nous naviguons directement vers la flotte et que les torpilles sont en ligne derrière nous, ils ne peuvent pas le détecter avant que les senseurs actifs des torpilles ne les éclairent à une distance de quinze millions de kilomètres. Par contre, si nous modifions notre trajectoire ils s’en apercevront immédiatement, car les torpilles ne changeront pas de cap. - Où sommes-nous par rapport aux trois autres croiseurs ? Voulut savoir Sarian. - Nous naviguerons de concert dans trois minutes L’Ildaran exposa son plan et transmit ses instructions à l’IA du vaisseau. L’aviso devait aligner sa vitesse sur les trois croiseurs puis rester dix minutes en formation. Ensuite chaque appareil amorcerait une trajectoire décalée de trente degrés par rapport au centre du dispositif. - Tu enverras un message à la flotte impériale indiquant que l’on cherche à savoir ainsi quels sont nos vaisseaux pris pour cibles. En combien de temps peuvent-ils se rendre compte que les torpilles ne nous suivent pas ? Se renseigna Sarian. - Après quarante-cinq secondes de vol dévié de notre trajectoire initiale, l’écart angulaire de poursuite entre les torpilles et nos croiseurs devrait être repéré par la flotte. - Reprogramme les données d’acquisition des torpilles sur la flotte impériale et contacte Paul et Oria, nous pourrions avoir besoin de Niir fit Sarian en étendant ses bras en arrière d’un air satisfait. * Chapitre 35 Pendant ce temps, Florilius essayait toujours de reprendre le contrôle du système de défense et s’apprêtait à se poser sur l’aire d’atterrissage. L’IA de la base australienne avait envoyé un message à l’IA lunaire, mais celle-ci n’avait pas daigné répondre. Le commandant de la base scientifique, sûr des procédures de sécurité ildaranes, voulait naturellement vérifier l’état des systèmes de contrôles des armes du satellite terrestre, car, même s’il n’y avait plus de torpilles dans les silos de tirs, les canons à disrupteur moléculaires restaient dangereux. - IA base lunaire, ici le commandant Florilius de la base permanente sur la planète Terre, en fonction des procédures de contrôle 88965 A, je te demande de me laisser l’accès aux installations avec mon équipe technique. - Centre autonome de contrôle, bien reçut votre demande. Contraint de refuser, commandant, répondit le calculateur quantique. - Pourquoi l’IA ne répond-elle pas ? demanda sèchement l’impérial. - L’IA dysfonctionne, elle s’est mise en sécurité, j’assure le commandement de la station. - Laisse-moi accéder aux installations pour vérifications techniques de l’IA de contrôle, exigea le commandant passablement énervé. - Impossible, commandant. Nous sommes en alerte de niveau huit depuis l’entrée d’une flotte de guerre dans ce système planétaire. Je ne peux pas vous laisser pénétrer dans la base. - Contrôle, il s’agit d’une flotte impériale ildarane, vous me devez obéissance. Vos règles de sécurité ne s’appliquent pas dans ce cas, laissez-moi accéder aux installations ! vociféra l’officier. - Je répète, commandant. Je ne peux pas vous laisser accéder à la base, nos systèmes d’armes sont verrouillés sur cette flotte d’invasion, éloignez-vous immédiatement. - Mais il ne s’agit pas d’une flotte d’invasion ! C’est une flotte impériale ! éructa Florilius, hors de lui. - Commandant ! Dernier avertissement, éloignez-vous. Vous êtes entré dans ma sphère de protection. La base est en état de défense, vous avez vingt-cinq secondes pour modifier votre trajectoire avant destruction de votre glisseur. Bien que ne comprenant pas la raison de ce blocage, la menace de destruction suffit à faire réagir Florilius, qui changea immédiatement de cap. Les boucliers Horlzson de son petit glisseur de combat ne pourraient même pas survivre à un seul tir des énormes disrupteurs moléculaires qui défendaient la base lunaire. - IA, mets-moi en relation avec le croiseur amiral immédiatement. Ordonna le commandant de la spatiale au contrôle de son glisseur. - Ligne holocom ouverte vers la flotte. - Commandant Florilius au rapport. L’IA de la base lunaire dysfonctionne : la flotte est considérée comme hostile. D’après le contrôle de secours, les torpilles sont verrouillées sur vous. Accusez réception. - Ici le capitaine Karyo. L’amiral Seravon est dans sa cabine. Je lui demande de venir sur la passerelle. Êtes-vous sûr de vos informations ? D’après nos senseurs, les torpilles sont verrouillées sur les croiseurs squirs qui viennent de la troisième planète. Répondit un militaire tiré aux quatre épingles. - Le contrôle lunaire vient de m’informer de la nature hostile de votre flotte et du verrouillage de tous ses systèmes d’armes sur vous. Florilius venait de comprendre pourquoi le visage de l’amiral lui avait semblé familier. Il s’agissait d’un membre de la famille de l’empereur. - Nos senseurs indiquent pourtant que la cible est l’aviso Squirs Prime, mais les torpilles sont encore trop loin pour que les systèmes d’acquisition actifs soient verrouillés. J’informe l’amiral de ces nouvelles données. Terminé. Le capitaine coupa la communication avait un mauvais pressentiment. L’IA du Squirs Prime avait détecté la communication et Sarian avait aussitôt ordonné de l’intercepter. Ils n'avaient malheureusement réussi à capter que la fin de la transmission, mais l’ildaran aurait presque embrassé Florilius pour son intervention. Inutile maintenant de changer de cap, il lui suffisait d’attendre tranquillement que l’amiral le contacte pour lui proposer son plan. L’attente fut de courte durée : car, moins de six minutes plus tard, l’IA de bord annonça une communication entrante venant de la flotte impériale. - Je veux parler au lieutenant Niir ! Le ton de l’impérial ne laissait pas place à la discussion. - Il se repose, je suis son second à bord. Répondit poliment Sarian d’un ton neutre et impersonnel. - Faites-le venir sur la passerelle immédiatement ! ordonna l’amiral d’un ton méprisant. - Amiral, avec tout le respect que je vous dois, je vous rappelle que les squirs dépendent directement de l’empereur et que vous n’avez pas à ordonner quoi que ce soit au lieutenant Niir ou à qui que ce soit d’autre de notre unité. Répliqua posément Sarian, malgré un début de colère face à l’impolitesse manifestement volontaire du haut gradé. - Allez me chercher Niir immédiatement ou je vous ferai exécuter. Précisez-lui que l’amiral Aki Seravon exige sa présence ! Sarian venait de se rendre compte de son impair. Même s’il se moquait de la colère de cet imbécile, sa parenté avec l’empereur pourrait lui donner envie de prendre provisoirement les squirs sous sa coupe et ils n’avaient pas besoin de cela. Il décida donc de faire profil bas et de flatter son interlocuteur. Il se mit au garde-à-vous ildaran : main gauche sur la couture de son uniforme et poing droit replié sur le cœur. - À vos ordres, amiral ! Il se tourna vers Darin. Fais venir le lieutenant sur la passerelle et, se retournant vers l’hologramme Com, il salua l’amiral : Seravon Ildaran Frîîkr. L’amiral esquissa un léger frémissement du coin des lèvres qui démontra à Sarian que son petit jeu de soldat soumis avait fonctionné. Il fallut quelques minutes pour que Niir arrive sur la passerelle, accompagné par Darin. Délai pendant lequel Paul et Oria avaient été briefés sur la parenté de cet amiral de l’empire et sur les raisons de son appel. La prise de contrôle du squir devenait plus simple à chaque fois, mais obligeait Paul à entrer en quasi-communion avec l’esprit du commando impérial. Il chercha encore la trace de la pensée étrangère et hostile détectée les fois précédentes, mais elle semblait avoir définitivement quitté Niir. Il restait néanmoins une zone verrouillée dans son environnement mental et cela intriguait l’adolescent. Ses gemmes étincelaient et cherchaient visiblement à abattre cette barrière mentale autour d’un point qui apparaissait sombre dans la représentation psychique du Squir. Paul décelait également un souvenir masqué derrière cette barrière. Que cherchait à cacher Niir ? Le jeune Verakin aurait aimé avoir le temps d’obtenir des réponses, mais l’heure n’était pas à l’exploration de la psyché du commando, car il fallait lui faire tenir son rôle, face au cousin de l’empereur. Paul composa donc un masque d’inquiétude sur le visage de Niir, ce qui sembla ravir Aki Seravon. - Niir, un message de Florilius vient de nous avertir que nous pourrions bien être la cible des torpilles lancées depuis le satellite de la troisième planète ! Quelles sont vos données de poursuite ? demanda le capitaine Karyo sous le regard agacé de l’amiral Seravon. - Nos senseurs ne détectent pas de scanners actifs depuis les torpilles, nous sommes trop loin. Nous pouvons donc uniquement nous appuyer sur leur trajectoire qui suit rigoureusement le nôtre. Nous avons pensé être la cible, car l’IA de la lune a tiré lorsque nous avons quitté la proximité de la Terre. Répondit Niir d’un air soumis. - Déroutez légèrement vos croiseurs de vingt degrés, nous verrons bien si ces engins calculent une nouvelle trajectoire d’interception, proposa Karyo. - IA, ordonne aux autres bâtiments de se dérouter de vingt degrés et synchronise la manœuvre, ordonna aussitôt Niir, contraint par Paul. Il fallut moins de dix nanosecondes pour que les navires squirs soient totalement synchronisés. Ils effectuèrent une manœuvre simultanée qui modifia leur cap. Sans surprise pour les passagers du Squirs Prime, les deux cents torpilles ne modifièrent pas leur trajectoire d’un iota. - Florilius avait donc raison. Mais qu’est-ce qui lui prend à cette IA ? s’exclama, furieux, l’amiral de l’empire. Puis, relevant la tête : qu’en pensez-vous Niir ? Darin avait détaillé le plan de Sarian à Paul et celui-ci savait parfaitement quoi faire dire au lieutenant impérial sous son contrôle. - Au lieu de maintenir une ligne de défense en arc de cercle, nous pourrions mettre le Seravon Prime devant votre flotte, cela pourrait obliger les torpilles à le contourner. Avec le porte-croiseurs et nos navires en soutien, nous pourrons déjà en détruire un bon nombre, avant que le reste ne soit sur vous. Proposa le Squir. - C’est risqué. L’IA lunaire pourrait vous prendre pour cible et détruire le Seravon Prime. C’est le navire personnel de l’empereur. Répliqua le militaire, sur un ton impersonnel. - Je pense qu’il serait plus attristé à l'idée de perdre un membre de sa famille que son navire amiral. Objecta Niir, d’un air faussement ingénu. Paul lui avait façonné volontairement une expression naïve pour influencer le cousin de l’empereur. L’amiral réfléchissait rapidement, mais Paul avait bien manœuvré. L’officier supérieur ne pouvait pas proposer lui-même cette solution, car il était vraisemblable que le Seravon Prime soit très gravement endommagé dans l’affrontement avec les torpilles de classe planétaire, mais avec la proposition du squir, Aki Seravon pourrait toujours prétexter qu’il avait été prêt à se sacrifier, mais que Niir avait préféré interposer le porte-croiseurs. Les conversations étant enregistrées, cet idiot de commando venait de lui sauver la vie. - Vous avez probablement raison. Bien que je préférerais donner ma vie plutôt que de perdre le bâtiment personnel de mon cousin, vous avez l’autorisation de faire manœuvrer vos appareils. Il avait appuyé sur le mot cousin pour affirmer encore plus son autorité informelle sur les squirs. - Nous devrions pouvoir limiter les pertes, amiral. Le Seravon Prime est un bâtiment équipé de puissantes défenses et nous pouvons sacrifier les croiseurs automatiques. Nous avons encore un peu d’avance sur les torpilles. Je vais engager cinq croiseurs. Notre vaisseau mère va s’interposer devant votre flotte. De votre côté, je suggère que vous accélériez au maximum pour les distancer et une fois que vous aurez atteint une distance de saut, que vous transitiez de l’autre côté du système. Le Seravon Prime va engager le combat et en détruire le maximum puis se tiendra prêt à vous rejoindre lorsque les torpilles seront à moins de trois cent mille kilomètres. Niir avait proposé la stratégie établie par l’IA du vaisseau pour éloigner la flotte du porte-croiseurs. Sarian espérait que l’amiral tomberait dans le panneau et avaliserait ce plan. - Bonne stratégie, lieutenant Niir, nous manœuvrons. Terminé. Conclut l’officier supérieur, visiblement soulagé de ne pas avoir à risquer sa vie et celles de ses hommes. L’amiral avait, pour la première fois, ajouté le titre du squir, ce qui semblait indiquer que son humeur s’améliorait. Il fallait que Sarian profite de cet intermède pour s’échapper. Tout semblait se présenter au mieux : la flotte allait prendre un peu le large pendant que les trois croiseurs et l’aviso embarqueraient dans le Seravon Prime qui était paré à transiter loin de ce système. Pendant que l’amiral de l’empire se demanderait encore où avait bien pu passer l’énorme vaisseau, celui-ci serait tranquillement en train de se diriger vers la bordure du bras spiral du Cygne, de l’autre côté de la galaxie. Sarian sourit intérieurement et ordonna à l’IA de positionner cinq croiseurs à distance de combat autour du Seravon Prime. Ils étaient tous dans une sphère de trois millions de kilomètres de rayon, qui représentait l’espace de défense de l’énorme bâtiment. Il fallait maintenant tout calculer minutieusement. Heureusement, les navires étaient pilotés par des IA et celle du Squirs Prime pouvait coordonner les quatre appareils pour qu’ils appontent en même temps dans l’énorme vaisseau mère. Avec son système d’appontage ressemblant à un immense barillet, le gros navire était capable d’accueillir huit croiseurs simultanément tout en étant en état de défense maximum : boucliers Horlzson déployés et systèmes d’armes activés. Sarian, qui ne voulait rien négliger, demanda à l’IA du bord de mettre le porte-croiseurs en situation d’alerte maximale au cas où les impériaux découvriraient la supercherie. Même si le risque lui semblait vraiment faible, il ne fallait pas encore considérer la partie comme gagnée. Ce surcroît de prudence allait bientôt leur sauver la vie. Les quatre appareils Verakin naviguaient toujours de concert, suivis par les deux cents torpilles distantes encore de trois cents millions de kilomètres. Il faudrait vingt minutes aux puissants disques à distorsion pour être à proximité du vaisseau mère, ce qui laissait une petite marge à celui-ci pour atteindre un point de saut et calculer une transition qui devrait le transporter à plusieurs dizaines d’années-lumière. Les capacités énergétiques des croiseurs impériaux étant plus faibles, la dépense d’énergie pour transiter à l’autre bout du système solaire devrait garantir l’impossibilité d’une longue poursuite. Cependant, les croiseurs devaient disposer de drones de chasse capables d’essaimer les systèmes les plus proches et il faudrait donc effectuer plusieurs sauts successifs pour échapper à toute poursuite ou se dissimuler à l’intérieur d’un système stellaire. Ils s’acheminaient vers une phase critique du plan de Sarian, car le Squirs Prime se trouvait à moins de neuf millions de kilomètres de la flotte impériale et une torpille en phase d’accélération pouvait les atteindre en trente-cinq secondes. Le chef de la garde Verakin était donc nerveux, même si tout semblait s’orchestrer parfaitement. - Nous sommes entrés dans la sphère de défense du Seravon Prime, nous allons décélérer en vue d’appontage, tous les systèmes passent sous la coordination du navire amiral. Cinq croiseurs couvrent notre défense. Paul était tendu, car le porte-croiseur semblait gigantesque et l’idée de pénétrer dans le navire personnel de son ennemi intime l’inquiétait. Personne ne décela de différence dans le comportement du petit aviso grâce aux systèmes de compensation de gravité pourtant l’appareil venait d’amorcer une puissante décélération, devant le faire passer d’une vitesse de 180 000 km/s à l’arrêt complet en moins de quinze minutes. En cas de nécessité, les vaisseaux pouvaient apponter en mouvement à une vitesse maximale de 40 000 km/s, synchronisée avec le porte-croiseurs, mais cette manœuvre comportait toujours des risques et la situation actuelle exigeait une totale immobilité du vaisseau mère pour pouvoir transiter en urgence. - Nous sommes maintenant à 2,5 millions de kilomètres de l’appontage et à 8,9 millions de kilomètres de la flotte impériale, mais celle-ci est en accélération en éloignement vers la périphérie du système. La totalité du groupe était réunie dans le centre tactique du petit vaisseau et tous observaient les projections extérieures avec attention. Mélanie n’avait toujours pas adressé la parole à Paul, mais il lui semblait que la jeune fille s’amusait, car elle arborait un sourire étrange, compte tenu de la gravité de la situation. Avait-elle vraiment pris la mesure du danger qu’ils couraient tous, à proximité de la flotte ennemie ? Tant que les puissants vaisseaux de guerre n’étaient pas à plus de dix millions de kilomètres du porte-croiseurs, celui-ci courait un risque majeur. Le Seravon Prime était en état de défense maximum et tous ses canons à rayons disrupteurs étaient parés à détruire toutes menaces, mais s’ils devaient essuyer plusieurs salves lancées par soixante croiseurs, même le gros navire de guerre n’en sortirait pas indemne, à si faible distance. Sarian ne voulait prendre aucun risque avec le porte-croiseurs qui représenterait un atout considérable avec ses systèmes-usines embarqués et ses bases de connaissances. L’ildaran ferait tout pour le conserver même s’il devait sacrifier tous les croiseurs de combat. - IA fait manœuvrer les cinq croiseurs et intercale-les, en arc de cercle, entre la flotte et le Seravon Prime, à un million de kilomètres. Que tous les systèmes d’armes soient activés. Les impériaux penseront que nous nous apprêtons à engager les torpilles. Ordonna-t-il. - Les croiseurs seront en position dans soixante-dix-huit secondes. * À bord du navire amiral de la flotte impériale, le cousin de l’empereur était passablement agacé par ces disques-torpilles en approche. Se faire agresser par ses propres engins de guerre ! D’autant qu’il s’agissait de torpilles, de classe planétaire, autrement plus dangereuses que celles embarquées dans les navires de combat. Les dernières simulations montraient que la flotte aurait le temps d'atteindre une distance de saut et il ne serait pas nécessaire d'affronter ces engins de destruction. L'amiral était soulagé, car même si les systèmes de défense de ses vaisseaux, cumulés avec ceux du porte-croiseurs, pouvaient limiter les dommages, cet engagement aurait été consommateur de ressources : énergie Kin, contre-mesures électroniques et torpilles d’interception. Après un combat de cette intensité, il faudrait plusieurs heures à la flotte pour reconstituer des capacités énergétiques capables d’alimenter la propulsion Randarion. L’ambiance sur la passerelle était cependant tendue, car l’amiral était connu pour son mauvais caractère. Le lieutenant en charge des communications internes interrompit ses réflexions. - Amiral, j’ai une demande holocom urgente venant du croiseur Huriu. - Si l’appel n’est pas confidentiel, activez-la sur la passerelle, l’amiral pensa détendre l’atmosphère en laissant la communication accessible à tout le centre opérationnel. - Amiral, ici le capitaine Zérion du Huriu. Comme vous le savez, nous avons à bord quatre psykans, détachés par l’empereur. Ils viennent de capter un appel mental qui viendrait du lieutenant Niir. Annonça le militaire en saluant l’amiral. - Du lieutenant Niir ? Mais je viens de l’avoir en holocom il y a quelques minutes ! La surprise s’afficha sur le visage d’Ika Seravon. - D’après nos psykans, il était sous le contrôle d’Ishar Verakin qui dispose de capacités psychiques considérables. Nos psykans rapportent que celui-ci serait capable de prendre totalement de contrôle d’un individu, y compris d’un psykan de haut niveau comme Niir. Ils ne connaissent pas de précédent, mais d’après eux le schéma mental serait bien celui de Niir. Ils ont tenté de sonder l’espace en direction des appareils du Seravon Prime, mais ils ne perçoivent qu’une grande détresse. D’après le lieutenant Niir, il s’agirait d’Ishar Verakin, qui contrôle mal ses pouvoirs mentaux. Rétorqua le capitaine d’un air assuré. Il croyait visiblement les psykans présents sur son vaisseau. L’amiral était amélioré aux Nanocrytes de niveau 6 et, même s'il n’était pas un génie, il n’était pas parvenu à ce poste uniquement grâce à sa parenté avec l’empereur. Il réfléchissait rapidement et activa aussitôt une commande secrète à partir de ses Nanocrytes de communication. L’empereur disposait d’une carte décisive dans la traque du dernier Verakin et seul l’amiral en était informé à bord. Corvin, le chef de Squirs l’avait su également, mais, comme il était mort, Aki Seravon était le seul dépositaire de cette information dans ce système solaire. Ne souhaitant pas se reposer uniquement sur cet élément de surprise, il chercha à en déduire un peu plus à partir de données factuelles. En attendant le retour d’information de son action, il continua à échanger avec Zérion. - Pour que ce scénario soit crédible, il faudrait que les rebelles aient pris le contrôle des IA du Squirs Prime et du porte-croiseurs. Comment est-ce possible ? Que disent vos psykans à ce sujet ? s’enquit-il auprès du capitaine de vaisseau. - D’après le lieutenant Niir, Ishar Verakin dispose de ressources mentales très supérieures à ce que nous connaissons. Il ne l’explique pas, mais confirme que les rebelles sont maîtres de tous les appareils squirs. Énonça le militaire sans hésitation. - Et Niir serait capable de communiquer à une telle distance ? Ika Seravon n’était pas familier des psykans, mais il lui semblait impossible de correspondre mentalement à presque dix millions de kilomètres. - Seul, certainement pas, mais il a formé un lien mental avec les survivants de son équipe squir et ils ont lancé un appel à l’aide. Les psykans du bord ont ensuite amplifié ce lien pour commencer à échanger. Par contre, nous sommes en train de nous éloigner rapidement des vaisseaux squirs et ils vont bientôt perdre le contact, prévint Zérion. - Quelle foi apportez-vous à cette hypothèse capitaine ? L’amiral commençait à croire à ce scénario, mais il voulait l’avis de son subordonné. - Nos psykans sont formels et je ne les vois pas inventer cette histoire. Nous ne pouvons cependant pas totalement exclure l’hypothèse d’une ruse pour nous inciter à nous battre entre nous. Ajouta le capitaine du Huriu. - En effet, c’est à cela que je pensais. Quelles que soit les ressources rebelles dans ce système, s’ils parvenaient à déclencher un affrontement entre nos deux flottes, il ne resterait plus grand-chose capable de les menacer à court terme. Si nos ennemis ont de telles capacités psy, ils pourraient avoir forcé Niir à envoyer ce message. L’amiral réfléchissait tout haut. - D’un autre côté, pour influencer Niir, il faudrait que les rebelles soient à bord de l’un des quatre vaisseaux en approche du Seravon Prime. Et s’ils sont à bord, c’est qu’ils ont le contrôle et l’assertion de Niir est correcte. CQFD, Zérion venait de démontrer que les psykans avaient raison. - Bien vu, capitaine Zérion. Si nous acceptons l’hypothèse que le Squirs Prime, voire la totalité de la flotte squir, est sous le contrôle de l’ennemi : nous devons les détruire. Cela risque de faire de sacrés dégâts à si courte distance… Ika Seravon s’imaginait déjà annoncer à son cousin qu’il avait abattu son navire personnel. L’amiral aurait bien aimé en être totalement sûr avant d’engager le combat. Il fallait essayer d’identifier des incohérences dans leur comportement de ses dernières vingt-quatre heures. Ika Seravon se remémora l’annonce de la mort de Corvin. Niir, certainement sous le contrôle des rebelles, avait indiqué qu’il était mort au combat. Curieux qu’il soit le seul à avoir péri dans un combat contre les gardes Verakin. Le second fait étrange était le lancement des deux cents torpilles planétaires et l’avarie simultanée du Squir Prime. Comme si les navires attendaient les torpilles. L’amiral fut convaincu lorsque les senseurs de son bâtiment indiquèrent que les croiseurs squirs avaient pris position entre la flotte et le Seravon Prime. S’ils avaient voulu protéger le porte-croiseurs et la flotte, ils se seraient positionnés entre les torpilles et leur navire amiral. D’autant que les unités automatiques étaient aisément remplaçables. Ce capitaine Zérion a raison, pensa Ika Seravon. - Vous méritez bien votre titre de capitaine. Vos informations militent pour une attaque imminente, mais j’aimerais être certain avant d’engager les hostilités contre le porte-croiseurs personnel de l’empereur… - Il faut faire vite, amiral : si mon hypothèse est vérifiée, nous allons nous retrouver face à deux cents torpilles planétaires, un porte-croiseurs et quinze croiseurs de combat. S’ils ouvrent le feu les premiers, nous n’avons aucune chance. Notre seule option est de tenter de détruire les cinq croiseurs d’escorte déployés et d’endommager gravement le Seravon Prime avant que les torpilles planétaires soient à portée d’activation. Objecta le capitaine. - Oui, votre analyse est parfaite, mais il faudrait essayer d’en savoir plus sur les ressources exactes du Seravon Prime. L’empereur n’a jamais communiqué les spécifications techniques de son navire personnel, mais je ne doute pas un seul instant qu’il soit extrêmement bien protégé. IA de quelles données disposons-nous sur ses systèmes d’armes ? L’amiral voulait être rassuré sur la faisabilité de destruction du gigantesque vaisseau. - Le Seravon Prime est sorti des chantiers spatiaux de Relican II il y a cinq années ildaranes. Un secret quasi total a été maintenu durant toute sa construction et ni plans ou données techniques ne sont disponibles dans les bases de connaissances de l’empire. Je peux uniquement vous communiquer qu’il fait neuf cent cinquante mètres de diamètre. Je ne possède pas de donnée sur sa masse exacte et les senseurs de la flotte se heurtent à au moins trois couches superposées de champs Horlzson. Aucune information sur les systèmes d’armes. - Vous avez entendu Zérion. Nous ignorons totalement si, avec nos soixante croiseurs, nous pouvons même atteindre ce navire. L’amiral essayait de gagner du temps en espérant que son informateur pourrait lui communiquer plus d’informations. - À mon avis amiral, s’ils se sentaient totalement à l’abri, ils n’auraient pas déployé cinq croiseurs, avança le capitaine du Huriu. - Certainement. Mais le fait qu’ils n’aient pas déployé les dix autres m’incite à penser qu’ils ne craignent pas beaucoup notre flotte. Est-ce que vos psykans ont capté quelque chose de nouveau ? Le capitaine du Huriu se retourna vers son lieutenant qui entra dans le champ holographique : - Non amiral, ils ont perdu le contact depuis neuf minutes : la distance devient trop importante et ils ne pensent pas pouvoir rétablir la communication si nous continuons à nous éloigner. - Merci lieutenant, laissez-moi quelques minutes de réflexion. IA quelles sont les options tactiques pour engager la flotte squirs ? L’amiral se gratta le crâne qui signifiait, chez lui, une profonde indécision. - Nous sommes à 11,5 millions de kilomètres du croiseur le plus proche et à 12,4 millions de kilomètres du Seravon Prime. Nous pouvons lancer des salves de quatre cent quatre-vingts torpilles offensives, huit par croiseurs. Nous sommes en supériorité numérique, mais je ne dispose pas d’information sur les capacités offensives et défensives du navire de l’empereur. Si je me réfère aux informations disponibles sur les porte-croiseurs de neuf cents mètres, ils sont équipés de soixante-six lances torpilles et de vingt-quatre intercepteurs à rayons disrupteurs. De quoi neutraliser aisément une ou deux salves, mais si nous maintenons une cadence de tirs élevée, nous devrions surcharger leurs défenses après la cinquième salve. À cette distance, nos torpilles seront sur l’objectif en quarante-cinq secondes. Les capacités de réaction des calculateurs de combat adverses devraient lancer leurs torpilles moins de dix nanosecondes après détection de nos tirs. Si nous estimons leur capacité de feu sur les éléments précités nous devons nous attendre à des salves de soixante-six torpilles en provenance du Seravon Prime et quarante des cinq croiseurs. Nos contre-mesures et intercepteurs devraient pouvoir facilement les neutraliser. Il faudra ensuite tenir compte des deux cents torpilles planétaires, autrement plus puissantes et protégées par des champs Horlzson. Il faut impérativement réduire les capacités offensives de la flotte squir avant d’avoir à affronter les torpilles planétaires, car nous ne pourrons faire face. La fenêtre d’opportunité est de sept minutes. Amiral, je détecte une émission provenant de notre croiseur. Un signal codé inconnu. - Aucune inquiétude, je suis l’émetteur. Il s’agit d’une communication classée confidentielle impériale. J’attends d’ailleurs une réponse. Répliqua l’amiral de l’empire. * La situation semblait figée comme dans un tableau. La flotte impériale avait accéléré à 0,5c pour prendre le maximum de distance atteindre un point de saut. Le Seravon Prime était immobile dans l’espace. Cinq de ses croiseurs étaient déployés en protection et trois autres se préparaient à entrer dans l’énorme vaisseau accompagné du petit aviso. - Capitaine Sarian, je reçois un signal codé provenant des vaisseaux de la flotte ildarane. Ce signal est identique à celui déjà détecté sur Terre. - Une hypothèse sur ce signal ? demanda Sarian soudain en alerte. - Comme celui déjà repéré, cela se rapproche d’un signal d’activation, mais aucune donnée suffisante pour l’identifier. - Enregistre tout et essaye de le décoder puis verrouille les communications. L’ildaran s’agita sur son siège, au milieu de la salle tactique du petit aviso. Se pouvait-il qu’il y ait des dispositifs de surveillance à bord ? - Trop tard ! Je viens de capter un signal venant de notre appareil. Il s’agit clairement d’une réponse, car la flotte vient d’émettre un autre code. Cette fois-ci plus de doute, il y avait un système d’espionnage et les impériaux avaient découverts la supercherie. Heureusement, les quatre vaisseaux venaient juste d’apponter dans le Seravon Prime. - État d’alerte maximum à tous les appareils. Paré au combat ! L’IA eut juste le temps d’enregistrer les ordres et l’enfer se déchaîna. L’amiral Seravon avait pris sa décision. Salve de quatre cent quatre-vingts torpilles verrouillées sur le Seravon Prime en provenance de la flotte ! Les contre-mesures sont lancées, disrupteurs activés, les croiseurs de protection répliquent : salve de quarante torpilles. Réplique du Seravon Prime : salve de cent vingt torpilles, seconde salve du Seravon Prime. Aucun humain n’aurait eu le temps d’intervenir, les calculateurs de combat avaient riposté dans les nanosecondes suivant la détection de l’attaque. La proximité de tous ces navires de guerre rendait toute stratégie inutile. Ordinairement, ces vaisseaux s’affrontaient à plusieurs dizaines de millions de kilomètres, voire plusieurs minutes lumières. La flotte avait tiré alors qu’elle était seulement à douze millions de kilomètres du Seravon Prime et chaque torpille pouvait théoriquement atteindre sa cible en moins de quarante-cinq secondes. Les contre-mesures avaient été lancées quatre nanosecondes après le début de l’attaque et la première salve de torpilles, deux nanosecondes plus tard. Les quatre-vingt-seize batteries de rayons disrupteurs étaient déjà en train de détruire les engins les plus proches. Il ne fallait surtout pas qu’une torpille se rapproche à moins de 150 000 kilomètres et active son champ de distorsion. C’est à ce moment précis que le Randor émergea en mode furtif à deux cent cinquante millions de kilomètres de cette bataille stellaire. * Sarian se demandait encore comment les impériaux avaient pu introduire un mouchard à bord alors que la flotte ennemie venait de tirer une troisième salve lorsque l’amiral appela le Squirs Prime. - Rebelles ! rendez-vous, vos bâtiments ne peuvent pas s’échapper de ce système ! - Commandant, les torpilles planétaires de la base lunaire sont en acquisition des vaisseaux de la flotte. Quelles cibles doit-on affecter en priorité ? - Vingt torpilles sur le navire amiral et les autres sur les vingt croiseurs les plus proches. Cela va les occuper un moment. Ordonna Sarian. Les disques mortels passèrent à moins de mille kilomètres du porte-croiseurs à la vitesse de 150 000 km/s, provoquant une onde gravitique qui fit vibrer le gigantesque vaisseau malgré ses compensateurs de gravité. Les puissants engins de classe planétaire se dirigeaient droit vers la flotte impériale. Il leur faudrait moins d’une minute pour atteindre les premiers bâtiments, mais les impériaux avaient déjà réagi et douze navires tentaient de s'interposer pour protéger leur navire amiral. Leurs canons à disrupteur moléculaire zébraient l’espace de salves continues, mais la lutte était inégale et les bâtiments disparurent rapidement dans l’activation de mini-trous noirs. Seuls trente-six disques-torpilles avaient été détruits et le solde s’ajoutait aux salves du Seravon Prime et des cinq croiseurs qui lâchaient bordée sur bordée. L’espace était saturé d’engins de mort, de contre-mesures électroniques, de rayons disrupteurs et de mini-trous noirs déformant l'espace et rendant les communications pratiquement impossibles entre les deux flottes. Le combat était engagé depuis moins de deux minutes et il y avait déjà trente-deux croiseurs adverses détruits ou hors de combat. Sur les cinq croiseurs du Seravon Prime, deux étaient sérieusement endommagés, mais ils avaient bénéficié des systèmes de protection du gros bâtiment. Une seule torpille était parvenue à s’activer à moins de cent soixante-dix mille kilomètres du gros navire de combat, mais les puissants champs Horlzson avaient absorbé le choc sans encombre. Paul avait pu observer l’effet d’un mini-trou noir sur le champ de protection. Une distorsion gravitationnelle était soudainement apparue à l’emplacement du disque qui s’était activé et la gravité avait commencé à aspirer tout ce qui se trouvait à proximité. L'espace interstellaire et la lumière des étoiles avaient paru se déformer et le premier champ Horlzson extérieur avait flamboyé puis s’était distendu et avait éclaté sous l’attraction fatale. Le second écran avait résisté et le trou noir disparu aussi soudainement qu’il était apparu. Sans champ Horlzson toute la matière du navire aurait été disloquée et avalée par le puit gravitationnel qui aurait recraché un jet de rayon gamma comme preuve de sa digestion de particules. Mais ils n'étaient pas sauvés pour autant, car de nouvelles salves étaient en approche et les réserves de contre-mesures et de torpilles défensives commençaient à diminuer sérieusement. - IA que les cinq croiseurs de couvertures se lancent à l’attaque de la flotte impériale sans souci pour leur intégrité. Qu’ils lancent toutes leurs torpilles et qu’ils couvrent notre retraite pendant que tu nous déplaces vers le point de saut le plus proche. Décida Sarian. Les quatre appareils provenant de la Terre étaient amarrés dans leurs berceaux à l’abri dans la forteresse spatiale et l’ildaran comptait transiter au plus vite, avant que ses réserves d’énergie ne baissent trop, car les champs Horlzson superposés consommaient énormément pour garantir l’intégrité du bâtiment. Heureusement, l’amiral Seravon ne semblait pas avoir connaissance de toutes les ressources du vaisseau personnel de l’empereur. Cependant, il ne fallait pas trop surestimer leurs forces, car, malgré les puissantes ressources de la grosse sphère de guerre, ils n’étaient pas à l’abri d’une avarie majeure qui pourrait endommager la propulsion Randarion et les immobiliser dans ce système solaire. Les cinq croiseurs de soutien allaient donc se sacrifier pour leur éviter d’être touchés trop sérieusement. L’IA du Squirs Prime l’informa soudain d’une demande holocom en provenance d’un nouvel appareil non repéré par les senseurs. - Ouvre une communication directionnelle et passe en stabilisation inertielle dès que nous serons sur un point de saut. - Ici le Randor. Demande clarification de la situation. Le message laconique laissait penser que Rliostem et Klosteran cherchaient encore à décrypter la situation. - Ici Sarian, à bord du porte-croiseurs, vous arrivez juste à temps. Encore quelques minutes et nous aurions quitté le système. Êtes-vous capable de transiter rapidement ? - Nos réserves d’énergie Kin sont faibles, mais pour un saut d’environ vingt années-lumière c’est faisable dans moins d’une minute, le temps de le calculer. Que faites-vous à bord de cet appareil ? s’enquit Klosteran d’une voix empreinte d’étonnement. - Trop long à expliquer. Retrouvez-nous dans le système d’Epsilon Eridani, à 10,5 AL. Ce système comporte une planète jovienne qui pourra nous masquer si nous décidons d’y séjourner un moment. Transmission terminée. Sarian coupa l’holocom avec le Randor. Malgré le cryptage, il n’était pas nécessaire de laisser aux impériaux le loisir de décoder la communication. Une nouvelle salve de torpilles arrivait sur le porte-croiseurs et le système de contre-mesures était sollicité au maximum. Les données tactiques s’affichaient sur les rétines de Sarian, qui nota qu’il faudrait encore près de six minutes pour atteindre un point de saut. Six longues minutes pendant lesquelles le pilonnage du gros navire allait se poursuivre. Le navire vibrait sous ses propres salves de disques-torpilles et de missiles d’interception. Les tourelles de canons à rayons disrupteurs balayaient l’espace, expulsant leur puissant rayonnement vers tous les engins ennemis en approche. L’espace était parsemé de sorte de bulles gravitationnelles qui déformait la vision environnante. Même l’image du soleil était modifiée, comme s’il bouillait. Malgré tout cet arsenal défensif, une torpille parvint à s’infiltrer à moins de 130 000 kilomètres du porte-croiseurs, avant d’être détruite par une salve de rayons. Le vaisseau sembla tanguer tant la singularité gravitationnelle était proche. Un pan entier de l’espace sembla absorbé par l’explosion invisible de l’engin ennemi. Le premier écran explosa alors que le second commençait à scintiller violemment. L’éclairage faiblit quelques millisecondes pendant lesquelles toute l’énergie disponible était détournée vers les écrans de protection. Puis le mini trou noir disparu aussi rapidement qu’il avait été généré par l’arme diabolique. Encore quatre minutes qui parurent à tous une éternité, rythmées par les vibrations du gros vaisseau. L’IA annonça enfin la stabilisation inertielle et le gros navire ouvrit un trou de vers pour se retrouver instantanément à plus de dix années-lumière du système solaire, à huit milliards de kilomètres de l’étoile Epsilon Eridani. Le Seravon Prime avait émergé à 40° par rapport à l’axe de rotation de la première planète du système, une planète jumelle de Jupiter. Ils étaient à seulement neuf cents millions de kilomètres de leur objectif, et Sarian ordonna à l’IA de mettre le cap sur la planète jovienne. La tension commençait à retomber même si tous les détecteurs étaient actifs, à la recherche d’éventuels drones de poursuite. * Dans le système solaire, la bataille faisait encore rage. La flotte impériale ne comptait plus que dix-huit croiseurs opérationnels face aux cinq bâtiments du Seravon Prime, mais il restait encore vingt et une torpilles de classe planétaire en recherche de cibles. Le déséquilibre des forces ne laissa aucune chance aux navires de la flotte squir, d’autant qu’ils avaient perdu le soutien de leur vaisseau mère. Moins de trois minutes après le départ du gros porte-croiseurs, ses cinq bâtiments de protection n’étaient plus que des nuages de gaz, criblés de rayons gamma vomis par les éphémères mini trous noirs artificiels. Le Randor, qui avait observé le baroud d’honneur des cinq navires, termina de calculer ses données de saut et quitta le système solaire à la suite du gros vaisseau sphérique. Les bâtiments impériaux rescapés subirent encore de lourds dégâts infligés par les torpilles de classe planétaire, mais ils réussirent à détruire les dernières encore actives. Il était temps d’évaluer leurs avaries. Sur les soixante croiseurs de la flotte, il n’en restait plus que neuf dont deux totalement irréparables et quatre incapables de manœuvrer. Les IA de bord avaient ordonné l’évacuation des deux navires les plus touchés, car l’intégrité des cellules de survies était compromise. Les systèmes de climatisation étaient hors service : l’air respirable allait manquer et la température chuter rapidement. Des dizaines d’œufs d’évacuation jaillirent des bâtiments condamnés en direction des navires encore opérationnels. Le croiseur amiral n’était plus manœuvrable, il avait été pratiquement coupé en deux par un mini trou noir activé à moins de 110 000 kilomètres qui avait aspiré une grande partie de sa structure. Les écrans avaient lâché et le bâtiment avait été profondément irradié par des rayons gamma de plusieurs milliers de Gray recrachés par le vorace aspirateur gravitationnel. Certaines parties du bâtiment avaient fondu sous l'impact des radiations et le croiseur ne devait sa survie qu’à un champ Horlzson de secours qui protégeait les rares survivants du vide interstellaire. Les trois quarts de l’équipage avaient péri et les survivants avaient tous été gravement irradiés. L’amiral avait survécu, mais était sérieusement brûlé. Il allait devoir passer de longues heures dans sarcophage de régénération cellulaire, car même ses Nanocrytes de type 6 ne pourraient, seules, le guérir. Le personnel survivant se répartit sur les cinq navires en état de naviguer en mode gravitique. Il n’y en avait plus que trois qui soient encore capables d’effectuer un saut quantique. Ils allaient avoir impérativement besoin de navires-usines pour réparer les vaisseaux survivants et l’amiral Seravon dû se résoudre à envoyer une sonde messagère pour demander l'assistance de l’amirauté. Il savait que son cousin allait exploser de rage. Quel gâchis ! L’Empire s’était fait dérober l’un de ses plus beaux navires de guerre et une flotte entière avait été réduite pratiquement à l’état d’épave. Tout cela pour rien, car l’héritier Verakin était toujours en fuite. Et l’amiral ne savait pas tout. Il ignorait les capacités du navire personnel de l’empereur qui disposait d'une base de connaissances complète pour fabriquer une flotte de guerre. L’empereur l’avait fait construire dans l’hypothèse où il aurait à prendre la fuite. Avec un tel bâtiment, il était capable de reconstituer ses forces militaires partout dans l’espace, dès l’instant où il trouverait une planète tellurique disposant des matières premières nécessaires. Même si le Seravon Prime avait perdu cinq de ses croiseurs, il disposait encore d’un potentiel offensif et défensif considérable. Ce potentiel était maintenant entre les mains du clan Verakin. * Chapitre 36 Rendu prudent par les derniers évènements, le Randor apparu dans le système d’Epsilon Eridani en mode furtif. Il ne mit pas longtemps à détecter les puissants propulseurs gravitiques du Seravon Prime, qui se trouvait à cinq virgules sept milliards de kilomètres de son point de transition. Le petit vaisseau avait émergé à 170 ° de la position du Seravon Prime par rapport à l’axe du système et Rliostem enclencha immédiatement le captage de matière noire. Le gros vaisseau était trop engagé dans le système pour transiter et les menacer, mais l’ildaran préférait avoir une réserve d’énergie en cas d’urgence. Ce système ne comportait que deux planètes qui orbitaient autour de la petite étoile naine de couleur orangée. La plus grosse, de type jovien, était similaire à Jupiter avec approximativement de la même masse et elle possédait trois petits satellites. La seconde planète faisait la taille de Neptune, mais possédait une masse un peu plus faible. Elle était manifestement de type tellurique. L’activation des filets de captage du Randor avait été détectée par le Seravon Prime et Sarian demanda à l’IA d’ouvrir une holocom avec l'aviso. - Ici Sarian. Demande situation à bord. L’appareil avait bien été identifié comme le Randor, mais l'ildaran ignorait tout sur son retour. Une batterie de torpilles était déjà verrouillée sur le petit appareil. - Ici Rliostem et Klosteran, vous pouvez lever l’alerte détection. Nous sommes heureux de vous entendre, commandant ! Pas de dégâts de votre côté ? La voix de Rliostem trahissait sa joie de retrouver son équipe. Les deux hommes de la garde Verakin apparaissaient souriants sur l'holocom et l’IA du bord confirma la réalité de la transmission : ce n’était pas un montage ou une communication truquée. Sarian leur proposa immédiatement de les rejoindre. - Non, aucune avarie. Si vous avez assez d’énergie Kin, ralliez directement l’orbite de la première planète. Nous allons nous dissimuler au plus près du plus gros de ses trois satellites. Nous vous envoyons les données relevées par les sondeurs. D’après les puissants détecteurs à longue portée, la seconde planète du système d’Epsilon Eridani faisait deux mille sept cent cinquante-deux kilomètres de diamètre, de type tellurique, avec une forte présente d’eau liquide détectée entre trois et quinze kilomètres sous une épaisseur de glace. Température en surface : -150° degré Celsius ; trace d’atmosphère ; pression au sol : 10-8 Pa. Impossible de poser un appareil de gros tonnage, bien que la gravité soit faible. La surface était saturée de fractures, fossés et crevasses de glaces. La radioactivité était de 6,7 Siverts, interdisant toute sortie sans boucliers activés. - Pas très hospitalier ton coin. Lui lança, goguenard, Klosteran encore tout excité à l’idée de retrouver son groupe. - Cela permettra d’attendre dans l’espace, quelques jours à l’abri de toute détection, bien que je ne pense pas qu’il reste beaucoup de croiseurs impériaux capables de nous faire la chasse. Répondit Sarian. - Ça, je confirme. Intervint Rliostem. Lorsque nous avons quitté le système solaire, d’après les senseurs, il n’y avait plus que cinq appareils en état de manœuvrer. Par contre, désolé pour tes croiseurs restés sur place, ils sont tous détruits. - Ils ont couvert notre retraite et cela a préservé l’intégrité du vaisseau mère. Je n’ai pas eu le temps de faire l’inventaire de ce bâtiment, mais il semble plein de ressources. L’usurpateur s’est fait construire une petite merveille. Il ne va pas être content, sourit Sarian. - Nous avons assez d’énergie pour vous rejoindre à 0,3 c, nous serons en approche d’ici dix-sept heures. Dommage que l’on ne puisse pas calculer plus précisément les points d’émergence dans un système solaire… Regretta Rliostem. - Ce qui paraît être un inconvénient est aussi un avantage lorsque l’on est poursuivi : le chasseur se retrouve parfois à l’opposé du système… Cela nous donnera l’occasion de faire retomber la pression. Ce sera le dîner pour nous, à l’heure française. Sur quelle unité horaire êtes-vous synchronisés ? s’enquit le chef du groupe d’ildarans. Nous nous sommes calés sur l’heure spatiale impériale, mais on fera la fête avec vous. Randor terminé. Conclut Klosteran, avant de couper la communication. L’heure spatiale impériale était alignée sur le fuseau horaire de la capitale de l’empire sur une planète qui tournait autour de son soleil en trente heures, soit vingt-sept heures terrestres. Pas si simple de s’y retrouver dans l’espace. C’est pour cela que la marine impériale avait instauré, plusieurs milliers d’années auparavant, l’heure spatiale de référence. Le porte-croiseurs allait bientôt être masqué par la masse de la planète jovienne et, lorsqu’il couperait sa propulsion gravitique et ses boucliers Horlzson, serait indétectable depuis l’extérieur du système. Le Randor se plaça sur une trajectoire d’interception du satellite choisi par Sarian et son équipage alla se reposer, car, à l’heure spatiale impériale, c’était le milieu de la nuit. * À bord du Seravon Prime, Sarian ordonna la mise en veille de tous les systèmes actifs rendant le porte-croiseur, virtuellement indétectable par des senseurs longue portée. Il était temps de faire l’inventaire de ce gigantesque vaisseau et de reconstituer les stocks d’armes utilisés contre les croiseurs impériaux. Sarian s’inquiétait surtout d’avoir à bord un traceur capable de s’activer si un appareil impérial émergeait dans le système et qui pourrait trahir leur présence. Je ne vais quand même pas détruire le Squirs Prime par précaution ? pensa-t-il. Une question le taraudait particulièrement : comment leur base de Dordogne avait-elle été repérée ? Et s’il y avait un traître dans son équipe ? Cela semblait plutôt incroyable qu’un espion des Seravon ait pu se glisser dans leur groupe, d’autant qu’Oria les avait tous testés mentalement. À moins qu’il n’existe un moyen de bloquer l’inquisition d’un psykan ? Il faudrait demander à Paul de revérifier tout le monde dès que possible. Nul doute que l’ambiance, dans l’équipe, allait s’en ressentir, mais il n’avait pas le choix. Darin fut désigné pour cette investigation, car ils ne pouvaient se permettre de garder à bord un espion, humain ou électronique. Telius fut chargé de superviser les réparations les plus urgentes, et surtout le ravitaillement en matières premières qui serait, comme la plupart des activités du bâtiment, exécuté par les androïdes, sous le contrôle de l’IA centrale du gros navire. La grosse sphère expulsa deux petits navires-usines extracteurs qui se dirigèrent vers la seconde planète du système d’Epsilon Eridani. Cette planète tellurique regorgeait de matières premières qui permettraient, aux petits vaisseaux spécialisés, de fabriquer ou de ramener à bord tout ce dont avait besoin le vaisseau mère. L'extraction allait être un peu compliquée puisqu'il fallait, aux appareils automatiques, forer la glace, plonger dans l'océan et atteindre la croûte de la petite planète. Néanmoins en moins de dix heures, les quelques avaries minimes sur le gros bâtiment furent réparées par les androïdes polyvalents, répartis dans tout le vaisseau. L’arrivée dans un nouveau système solaire avait été une source d’excitation pour Paul et Mélanie, qui s’étaient installés sur la passerelle devant les grands projecteurs holographiques reproduisant fidèlement la vue extérieure sur 360°. La jeune fille semblait avoir retrouvé sa joie de vivre même si Paul percevait de temps à autre quelques émotions nostalgiques. Le garçon n’avait pas voulu la questionner, mais elle semblait souffrir de la mort d’Alex. Quoi qu’il en soit, à cet instant précis, elle admirait les projections de l’espace environnant et paraissait détendue. Oria leur avait expliqué comment déplacer les plans et zoomer sur des portions d’espace. Ils avaient même commencé à analyser les données des sondeurs et suivaient le travail des petits navires-usines qui s'affairaient sur la petite planète rocheuse. Les jeunes gens étaient émerveillés de découvrir les technologies ildaranes qui permettaient de capter des images d’une netteté incroyable malgré les déplacements relatifs du porte-croiseurs et des petits bâtiments à des vitesses de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres par seconde. L’IA avait commencé à leur expliquer que les systèmes de communication ildarans étaient basés sur l’intrication. Un phénomène qui permet à deux électrons distants d’avoir un même état. Cela offrait la particularité d’obtenir des données identiques à des distances de plusieurs milliards de kilomètres. C’est de cette façon que fonctionnaient les senseurs ildarans et permettait d’obtenir des données précises, sans distorsion temporelle. Malheureusement, cette technologie n’avait jamais pu être étendue au-delà d’un système solaire et les liaisons intersystèmes s’appuyaient toujours sur des sondes messagères. En théorie, l’intrication devait fonctionner sur de plus grandes distances, mais les savants ildarans n’avaient pas réussi à stabiliser l’état aléatoire des électrons intriqués, au-delà de quelques heures lumières. De leur côté, Sarian et Xionnes avaient commencé l’inventaire des ressources du Seravon Prime et ils étaient stupéfaits par ce que leur égrenait l’IA principale. L’empereur Kera 1er devait se sentir menacé ou était totalement paranoïaque pour avoir fait construire un tel navire. Avec de telles ressources, il y avait de quoi démarrer une nouvelle civilisation. En détaillant les systèmes d’armes du porte-croiseurs, Sarian comprit qu’ils n’avaient jamais été réellement menacés sous le feu des appareils impériaux. Il aurait fallu, au moins deux fois plus de vaisseaux pour surcharger les systèmes de défense. Ils avaient probablement sacrifié cinq croiseurs pour rien. De son côté, Oria s’était attachée à inventorier les systèmes d’assistance médicale et, là encore, le navire était à la pointe de ce qui existait dans l’Empire. Il n’y avait rien de moins que vingt-huit caissons de régénération cellulaire, mais le plus intéressant vint d’une question posée à l’IA. - IA, pouvons-nous utiliser ces caissons pour améliorer les capacités physiques de Paul et de Mélanie ? - Non Oria. Ces caissons ont été conçus pour reconstituer les cellules endommagées d’un corps humain, pas pour les améliorer. Il faudra d’ailleurs que chaque membre de l’équipage m’autorise à prélever quelques cellules pour que les caissons soient capables de fabriquer des cellules souches en cas de besoin. - Nous n’avons donc aucun moyen de renforcer leurs capacités de combat…, ajouta l’ildarane presque pour elle-même. - Inexact. Nous disposons, à bord, de Nanocrytes de combat de niveau 4 à 6. L’entité artificielle avait répondu sur le même ton neutre, sans prendre en considération l’importance de cette information. - Des Nanocrytes de niveau 6 ! En quelle quantité ? sursauta Oria, soudain très agitée. - Les réserves s’élèvent à deux cents doses de niveau 6, quatre cents de niveau 5 et six cents de niveau 4. Nous avons également la capacité de produire des packs médicaux élémentaires. Avec du temps mes minifabs devraient être également capables de produire des packs de niveau 7. - Mais c’est fantastique, pourquoi ne nous l’as-tu pas dit plus tôt ? Nous aurions pu protéger Paul. Oria n’en revenait pas. - Personne ne me l’a demandé. C’était en effet une réponse naturelle de la part d’une intelligence artificielle, capable d’initiative, mais avec certaines limites. Oria informa Sarian qui voulut, aussitôt, que Paul soit préparé pour une injection de type six. Ce dernier était à la fois excité à l’idée de pouvoir bénéficier d’améliorations et inquiet, car il craignait un peu cette intrusion de nanotechnologies supplémentaires dans son organisme. Il n’était pas facile de se débarrasser de la culture qui prévalait, en France, sur la génétique et sur le principe de précaution en général. Il se demandait également comment se passerait la cohabitation avec les gemmes qui ornaient son crâne, car, si les Ildarans pouvaient le rassurer sur l’innocuité des Nanocrytes de combat, il n’en était pas de même sur une éventuelle réaction des diamants des Al-Heoxyrians. Quoi qu’il en soit, il ne pouvait s’abstenir, car l’avantage procuré par ces Nanocrytes pouvait lui sauver la vie et, au-delà, influer sur l’avenir de la dynastie Verakin. Comme il l’avait déjà compris, en quittant la Terre, il n’était plus totalement maître de son destin. Sarian lui avait longuement expliqué le potentiel des Nanocrytes de combat de type six et il s’était déjà un peu habitué à l’idée d’héberger ces millions de nanorobots organiques. Il gardait surtout en mémoire les améliorations physiologiques qu’offraient ces petits dispositifs. Il s’allongea donc sur un canapé qui décorait l’un des nombreux salons du vaisseau et tenta de faire le vide dans son esprit. Oria arriva avec un minuscule appareil qui aurait pu passer, sur Terre, pour un injecteur de vaccins. La jeune femme lui appliqua l’injecteur sur la peau, au niveau de l’épaule, et appuya sur la petite gâchette. Paul ressentit une chaleur soudaine, mais non douloureuse, et ce fut terminé. Aucune réaction allergique, pas de montée de température des pierres autour de sa tête. - Ensuite que suis-je censé faire ? demanda-t-il aux ildarans. Mélanie, qui espérait être la prochaine à recevoir une injection, suivait l’opération avec grand intérêt. - Rien du tout. Répondit Oria. Les Nanocrytes vont essaimer dans tout ton organisme et renforcer tes tissus et tes muscles, améliorer tes connexions nerveuses et neurales, etc. Oria détailla, autant pour Paul que pour Mélanie, le processus qui prenait en général plus de deux mois pour atteindre son plein effet. Il s’agissait d’une manière non intrusive, mais en cas d’urgence on pouvait injecter des Nanocrytes à action rapide avec un risque élevé d’intolérance. De toute manière, il n’y avait pas ce type de Nanocrytes à bord. - Il n’y a aucune précaution à prendre ? demanda la jeune terrienne d’un ton reflétant une certaine appréhension. - Avec les Nanocrytes à action rapide si, mais avec celles-ci la transformation est suffisamment progressive pour que ton cerveau s’habitue à son nouveau potentiel. Précisa Oria. - Qu’est-ce qui se produit si je suis blessé ? Voulut savoir Paul. - Tes Nanocrytes agissent sur les lésions et bloquent la douleur puis commencent un travail de réparation en stoppant les hémorragies, détournant les influx nerveux pour pallier d’éventuelles déficiences et te permettre de rester à un niveau optimum de capacités physiques et psychiques. Avec le temps un membre coupé peut repousser, mais il est préférable de passer dans un caisson médical c’est beaucoup plus rapide. C’est ce que j’ai fait avec ma blessure à la main. Dans un second temps, tu percevras des améliorations au niveau des temps de réaction : forces, rapidité d’exécution, prise de décision... Les Nanocrytes améliorent les interactions neurales. - Ouah ! Je serai presque invulnérable alors. S’extasia le garçon. - Si aucun organe vital n’est fortement endommagé, tu peux être soigné, mais prends garde au cerveau et au cœur. Si l’un de deux est atteint, les dommages sont irréversibles. Tes Nanocrytes ne peuvent pas pallier une insuffisance de la circulation sanguine plus de dix minutes et, quant au cerveau, si les liaisons synaptiques sont endommagées, c’est la fin … - À ton tour Mélanie ? interrogea Darin voyant l'intérêt briller dans les yeux de l’adolescente. - Si vous voulez bien, je préférerais attendre quelques jours pour voir les résultats sur Paul. Je ne mets pas en doute la compatibilité de vos technologies, mais j’ai un peu peur quand même. La jeune fille ne semblait pas effrayée, mais elle était partagée entre son tempérament rationnel et la curiosité. - Les résultats sur Paul ne t’apprendront rien, car il est né sur Ildaran et est déjà pourvu de Nanocrytes médicales expliqua gentiment Oria. Néanmoins, je peux te rassurer sur la compatibilité génétique entre les ildarans et les terriens. Nous sommes rigoureusement semblables, comme tous les humains rencontrés dans la galaxie. C’est d'ailleurs un sujet de réflexion depuis des milliers d’années. L’hypothèse d’une race ou d’une méta entité interventionniste en est d’ailleurs la résultante, car il est statistiquement impossible que le cycle de la vie ait été le même sur tant de mondes si distants. Peut-être qu’un jour nous pourrons échanger avec ceux que nous avons appelés les Al-Heoxyrians maintenant que Paul a eu affaire à un de leurs émissaires. Ajouta la jeune ildarane, d’un air songeur. - De toute manière, maintenant que je me suis embarqué dans cette aventure, ce n’est pas pour me dégonfler à peine sorti de mon système solaire. Alors, vas-y Oria. Je suis prête, finie par décider, l’adolescente. - Rassure-toi, nous allons commencer par t’injecter des Nanocrytes médicales qui sont un préalable à une amélioration plus poussée. Il faudra ensuite attendre, au moins un mois, avant de pouvoir t’injecter un pack de niveau six. Précisa la jeune femme. Mélanie n’était pas totalement rassurée, mais Darin lui avait déjà expliqué que des Nanocrytes avaient déjà été injectées, sans aucun problème, sur d’autres populations que des ildarans de souche et elle accepta donc l’injection du pack médical. Oria chargea une cartouche scellée, de couleur blanche, et lui appliqua l’injecteur sur le haut du bras puis pressa de nouveau la petite gâchette. Sans bruit, les milliards de nanorobots organiques se répandirent dans son organisme. - Vous voilà paré, maintenant. Affirma Darin on va bientôt pouvoir reprendre les entraînements. - Ouf. J’ai encore au moins un mois avant que cette mixture ne fasse effet alors, d’ici là, pas d’entraînement. Tu ne voudrais pas risquer un incident. Répliqua ironiquement Paul, peu pressé de se remettre au travail. - Tu sais que tu dois te préparer et que le plus tôt sera le mieux. Nos adversaires n’attendront pas que tu sois disposé. Intervint Sarian, qui venait d’entrer afin de surveiller la réaction des adolescents aux injections. - Je sais Sarian, mais pour le moment nous sommes à l’abri dans le Seravon Prime, fit l’adolescent d’un ton las. - Pour le moment, en effet. D’ailleurs tu me rappelles que c’est peut-être le moment de débaptiser ce navire, car cela heurte mes oreilles de devoir le nommer du nom de cette famille renégate. Comment veux-tu baptiser ton navire amiral ? Verakin Prime ? proposa l’ildaran. - Oh non. Pas de culte de la personnalité ! rétorqua le garçon en riant et en agitant ses mains en avant, d’un geste clair de dénégation. Le choix du nom du gros navire de guerre fut finalement beaucoup plus long que prévu par Sarian. Paul et Mélanie avaient, bien entendu, des références culturelles terriennes alors que les ildarans faisaient référence à des noms ou à des évènements totalement inconnus des adolescents. Après de longues discussions et des négociations qui tournaient en ronds, le choix final fut octroyé à Paul et le jeune homme opta pour le nom de Bellator : un mot, d’origine latine, qui signifiait « guerrier ». Paul avait un moment pensé à Bellatrix, féminin de Bellator, qui faisait également référence à une étoile de classe spectrale B2, distante d’environ deux cent dix années-lumière du système solaire. Mais Mélanie trouvait plus approprié de choisir un nom masculin et tout le monde s’accorda donc sur Bellator. Dans la foulée, l’aviso des squirs prit naturellement le nom de Bellator Alpha, abrégé en B-Alpha. Les autres croiseurs conserveraient leurs noms d’origines, car aucun ne faisait référence aux Seravon ou à leurs vassaux. Ces discussions passablement frivoles avaient largement détendu l’atmosphère et les adolescents avaient un peu mis de côté leur chagrin d’avoir dû abandonner des êtres chers et la Terre. Sarian, lui-même, s’était amusé de ces échanges, parfois enflammés, autour de noms dont les significations ne faisaient pas toujours sens pour tous. C’est pour cela qu'ils avaient finalement entériné le choix de Paul. Le porte-croiseurs s’appelait donc à partir de cet instant le Bellator. - Comme c’est bientôt l’heure du dîner, je propose que nous célébrions dignement ce baptême autour d’un apéritif. Je me suis bien adapté à ces habitudes terriennes. Proposa Darin. - Irias, qu’avons-nous en réserve dans ce gros navire de guerre ? s’enquit Oria auprès de l’intendant de la famille Verakin qui les avait rejoints dans le grand salon du bord. - À part les bouteilles de Darin : rien d’origine terrienne. Vos goûts de ces dernières années devront se réhabituer aux boissons de notre planète mère, sourit Irias. Mais rassurez-vous : il y a de quoi célébrer dignement plusieurs évènements d’importances. C’était le vaisseau privé de l’empereur et la cave du bord est bien fournie. Je vous prépare une petite fête pour célébrer le baptême du Bellator. Retrouvez-moi d’ici une demi-heure dans la salle à manger principale. Ajouta-t-il en s’éloignant d’un pas vif. Sans laisser le temps de répondre à ses interlocuteurs, Irias s’éclipsa pour ordonner aux androïdes de services de préparer la salle. Il se contenta de sélectionner les boissons dans la liste impressionnante d’alcools et jus de toutes sortes. Le tout était conservé dans de précieux caissons de stase, à l’abri de toutes vibrations. Seul un androïde pouvait d’ailleurs accéder à ces zones de stockage isolées. L’heure était à la détente et Sarian commençait à souffler un peu après l’agitation des derniers jours. Il commençait à imaginer la construction d’une base dans la bordure. Les ressources de cet impressionnant vaisseau allaient leur permettre de préparer la reconquête du trône et le chef de la garde de Paul se laissait aller à l’euphorie. Le Randor se dirigeait rapidement vers le Bellator et apponterait d’ici moins de quatre heures. Le petit aviso pourrait se ravitailler en matière noire à partir des réserves du gros navire. * Excepté Prag et Briza, qui étaient restés sur la passerelle, tous les autres passagers avaient profité de cet instant de répit pour se reposer. De toute façon, tout était géré par l’IA principale et aucune présence humaine n’était indispensable, dans le central. Ce n’est que par respect de la discipline des gardes impériaux que les deux hommes avaient été désignés pour rester en alerte passerelle. Une précaution qui allait se révéler salvatrice. Les installations du bord étaient remarquables et les appartements réservés aux passagers intégraient tout le confort imaginable. Ils avaient tous pu se changer à partir de vêtements à la dernière mode ildarane. Sarian avait préféré éviter d’utiliser les quelques uniformes impériaux découverts à bord et était resté habillé en civil. L’IA avait néanmoins reçu l’instruction de fabriquer, au plus vite, des vêtements aux couleurs des Verakin : bleu cobalt et argent. Tout ce petit monde se retrouva donc serein et reposé dans l’imposant salon d’apparat. Paul n’avait pas du tout l’impression d’être dans l’espace. Darin lui avait expliqué que les compensateurs de gravité maintenaient une gravité de 1,02 G, quelle que soit la vitesse du vaisseau. C’est d’ailleurs les performances de ces compensateurs qui limitaient la vitesse en vol normal par rapport à des engins automatiques comme des torpilles capables d’atteindre 0,9 C en moins de 5 secondes. Aucun compensateur n’aurait pu absorber une telle accélération. Ce fut donc une surprise totale lorsqu’ils sentirent soudain une forte vibration et le déclenchement d’une sirène d’alarme. - IA, que ce passe-t-il ? Questionna Sarian, soudain sur le qui-vive. Darin, Oria, restez près de Paul en protection. Tous les autres, trouvez des combinaisons de combats et enfilez-les. IA, mets-moi en communication avec la passerelle... IA ? - Il se passe quelque chose de grave si l’IA ne répond pas, intervint Telius en dégainant une arme de poing. Je vais dans le central avec Pallaron. Sarian reste ici, tu dois protéger l’empereur. Sous le coup de la surprise, Telius retrouvait ses habitudes de garde impérial. - Non. Si l’IA est hors d’usage, le vaisseau est immobilisé et sans défense. Nous allons tous monter à bord d'un croiseur et nous éloigner pour faire le point. Qui a eu un contact avec le Randor en dernier ? S'enquit Sarian. - C’est Xionnes qui était dans le central, mais le Randor ne devait pas apponter avant trois heures, affirma Darin. - OK, Telius et Pallaron, allez voir ce qui se passe sur la passerelle, mais passez d’abord une combinaison de combat, on ne sait jamais. Ordonna leur chef. - Paul, est-ce que tu pourrais communiquer avec l’IA par l’intermédiaire de l’interface organique ? Questionna Oria. - Oui, je capte l’IA parfaitement et elle m’indique avoir perdu tout contact avec les interfaces électroniques du vaisseau depuis plus de trente minutes. Transmit le garçon. - Et nous n’avons rien remarqué ! s’exclama Darin. - Quelle est son analyse de la situation ? demanda Sarian. - Elle ne sait pas, car elle est coupée de tous ses capteurs et ne reçoit aucune donnée interne ou externe. La coupure a été instantanée. Elle a juste enregistré un signal clandestin quelques minutes avant sa déconnexion. Lui répondit Paul. - Encore ! Darin, il faut régler ce problème rapidement, car cela va nous empoisonner la vie, cette histoire. Nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir un espion à bord, humain ou androïde. Fulmina le chef des ildarans. - En attendant, rendons-nous sur le croiseur le plus proche et espérons que les cloisons de sécurité ne soient pas verrouillées. Escompta Oria. Deux secousses rapprochées ébranlèrent, de nouveau, le gros navire, ce qui ne rassurait personne, car tous se demandaient quel armement était capable de pénétrer les défenses du Bellator. - Une flotte de combat doit nous avoir découvert, mais c’est incompréhensible que les senseurs longue portée n’aient rien détecté ni que le Randor ne se soit pas manifesté. Intervint Darin. Ils approchaient de l’Oprius, l’un des croiseurs du bord, le B-Alpha était trop éloigné et Sarian préférait embarquer dans une unité puissamment armée plutôt que dans le petit aviso rapide. Narvin ouvrit manuellement le sas d’accès au cordon pressurisé qui était amarré au croiseur, car l’IA du Bellator ne répondait toujours pas. Mais que font Pallaron et Telius ? pensa-t-il. - Dès que vous serez à bord de l’Oprius, je veux que vous passiez des combinaisons de combat. Ordonna Sarian aux adolescents. Une nouvelle explosion fut ressentie, faisant même vibrer le cordon d’accès à bord. Paul craint un instant que celui-ci ne se rompe et ne les laisse, sans protection, dans le vide du dock d’amarrage de l’Oprius, mais le conduit résista. - Sarian, ici Pallaron. Nous sommes dans le central. Prag et Briza sont morts - Quoi ! Mais comment ? s’exclama Sarian en rage. - Pulseur à aiguilles. Ils ont dû être pris par surprise, car il n’y a pas de trace de lutte, répondit Telius. - Les squirs ! Ils ont dû s’échapper et ont neutralisé le navire. Paul, demande à l’IA s’il n’y aurait pas un mécanisme de secours pour déconnecter toutes les fonctions du vaisseau, réclama aussitôt Sarian, qui venait de comprendre. - Oui en effet, elle m’informe qu’il existe un dispositif accessible en de nombreux points du navire, comme la passerelle ou la cabine de Corvin. Elle suppose que quelqu’un a déconnecté toutes ses interfaces à l’aide de ce contrôleur, car elle ne reçoit plus aucune donnée de ses capteurs. Transmit l’adolescent qui avait commencé à enfiler, tant bien que mal, une combinaison de combat. Visiblement, Mélanie ne s’en sortait pas mieux et Sarian se fit la remarque qu’il faudrait effectuer des exercices de secours s’ils sortaient de ce mauvais pas. - Et où sont les squirs en ce moment ? s’enquit Darin - L’IA ne possède aucune donnée, car ses capteurs sont inopérants, lui répondit Paul. - Comme personne n’est censé pouvoir communiquer avec une IA en dehors des interfaces holocom, Niir croit certainement avoir neutralisé le Bellator. Qu’elle est la procédure pour réactiver les connexions de l’IA demanda Darin. - On peut le faire depuis n’importe quel terminal holocom en fournissant le code d’activation qui est 64HK38YGFI7Z9HBGYU d’après l’IA, lâcha Paul. - On peut la réactiver depuis l’Oprius ? Voulut savoir Sarian. - Non il n’y a plus aucune interconnexion avec le Bellator. Rétorqua Paul, en secouant négativement la tête. - Bon, dans ce cas retournons à bord du Bellator. Où se trouve le terminal de déverrouillage du vaisseau le plus proche ? Sarian entraînait déjà Paul en courant dans le conduit pressurisé reliant le croiseur au grand navire sphérique. - L’IA ne peut pas nous localiser précisément, mais le terminal le plus près de l’Oprius se trouve à droite en sortant du cordon d’accès. Cria Paul, qui courait au côté de l’ildaran. Ils se précipitèrent vers le terminal de communication indiqué et l’IA expliqua à Paul la manière de procéder pour accéder au système de déverrouillage. L'adolescent effectua l’opération et, instantanément, la lumière redevint normale. - IA, est-ce que tu m’entends ? Tenta Paul oralement. - Parfaitement Majesté. Tous mes systèmes sont réactivés. - Fournis-nous un rapport de la situation et mets le vaisseau en état de défense, lui ordonna Sarian. - Nous avons essuyé le tir de vingt torpilles à distorsion qui ont sérieusement endommagé ma structure extérieure. La moitié des systèmes de tir sont hors d'état et nous ne pouvons plus lancer que quatre croiseurs, car les portes de tous les autres docks ont été sabotées ou vrillées pendant l’attaque. Quelqu’un s’est introduit dans le Carou 4 et a déconnecté les procédures de sécurité puis a ouvert le feu sur le Bellator. - Nous aurions dû être anéantis sans protection ! s’étonna Paul. - Nos champs Horlzson fonctionnaient parfaitement et nous ont protégés, car même la procédure de neutralisation générale ne peut les déconnecter. Par contre, aucun système actif ne permettait de riposter. » - Où se trouve le Carou 4 en ce moment ? Interrogea Sarian - Il se dirige à vitesse maximum vers l’extérieur du système. - Peut-on encore l’intercepter avant qu'il atteigne une distance de saut ? s’enquit l’ildaran - Non, il a quitté le bord il y a vingt-six minutes et est déjà à quatre cent soixante millions de kilomètres. C’est en dehors de la portée de nos torpilles à vitesse d’interception de 0,9 C. Elles pourraient le poursuivre, mais ne le rattraperont jamais. Il lui suffira de transiter dès qu’il sera à six heures-lumière de l’étoile d’Epsilon Eridani. - Mais, le temps qu’il passe en stabilisation inertielle pour sauter, les torpilles ne l’auront pas rattrapé ? S'informa Paul, qui se souvenait des contraintes imposées par le saut quantique. - Non, car avec un navire de la classe du Carou il lui faudra moins de vingt minutes pour décélérer, les torpilles arriveraient sur cible au moins six minutes trop tard. Une nouvelle secousse ébranla violemment le vaisseau. - IA, rapport. Ordonna Sarian alors que trois autres secousses furent ressenties presque simultanément malgré les puissants compensateurs de gravité. L’éclairage bascula en mode de secours, phénomène inquiétant sur un bâtiment de cette taille. - Les quatre générateurs Verakin dédiés au saut quantique viennent d’être sabotés. Probablement par des mines à distorsion localisée. Je détecte quatre présences en fuite dans les couloirs de maintenance adjacents. J’ai isolé ces secteurs et envoyé des androïdes de combat. - Apparemment, tous les squirs n’ont pas quitté le navire ! s’exclama Sarian j’aurais dû y penser ils ont saboté l’alimentation en énergie des propulseurs Randarion. Niir a prévu que nous pourrions réactiver le Bellator et a prévu un plan de secours. Enfer ! L’ildaran se reprochait de ne pas avoir anticipé les manœuvres de leurs adversaires. Après tout, ils étaient à bord d’un navire qu’ils connaissaient parfaitement ! - D’ailleurs comment ont-ils pu s’échapper de leurs cellules et quitter le bâtiment ? demanda Darin à l’intention de l’IA. - Je ne peux pas répondre à cette question, car mes capteurs étaient hors service. La seule information disponible, c’est que l’activation du mécanisme de sécurité a été déclenchée et que les squirs ont reçu une aide extérieure. Ce ne sont pas eux qui ont activé la déconnexion d’urgence de mes interfaces. - Ils n’auraient pas pu utiliser une télécommande ? interrogea Sarian - Non, on ne peut activer ce mécanisme que depuis les points de contrôle - Il y a donc clairement un traître à bord, jura Sarian - Il ne s’agit pas d’un dispositif intégré au Bellator, car je contrôle tous les éléments du navire. - Pourrait-il s’agir d’un androïde autonome ? suggéra Paul. - Probabilité inférieure à 7,874%, car je l’aurais repéré depuis longtemps, même en veille. Chaque dépense énergétique artificielle est enregistrée - C’est donc l’un de mes hommes. Jura Sarian. Comment a-t-il pu se dissimuler tout ce temps, bon sang ! Il a dû aider les squirs à s’échapper. Ils ont agi rapidement pour être déjà à distance de saut. Ont-ils utilisé des œufs de transports ? - Oui, ils ont eu recours aux tubes d’évacuation présents dans toutes les cabines et qui abritent des œufs de transports autopropulsés reliés aux cordons de plusieurs croiseurs. Ces œufs peuvent accueillir deux personnes et les enregistrements automatiques indiquent que trois œufs ont embarqué sur le Carou 4 qui a quitté le bord en faisant sauter les portes de soute au disrupteur moléculaire. Ce sont probablement les premières explosions que vous avez ressenties. - Il va falloir que nous prenions très rapidement connaissance des ressources de ce vaisseau si nous ne voulons pas avoir d’autres mauvaises surprises. Émit Darin. - Les quatre squirs sont engagés par les androïdes, mais ils en ont déjà neutralisé six. Dois-je les capturer vivants ? - Si possible, mais ne sacrifie pas inutilement des androïdes de combat, nous pourrions en avoir besoin. Souligna Sarian. Quatre explosions simultanées apparurent sur les écrans holographiques de retransmission, activés par l’IA dès le début de l’engagement dans les couloirs du vaisseau. Les squirs avaient choisi de se sacrifier plutôt que de se rendre. Ils devaient posséder des informations capitales et Sarian se reprocha de ne pas les avoir mieux surveillés et interrogés plus tôt, mais les évènements s’étaient enchaînés trop rapidement. - IA, fournis-nous un rapport sur les dégâts. La sollicita immédiatement Sarian. Tout le monde attendait et craignait la réponse de l’intelligence artificielle. - Les explosions visaient les générateurs Verakin chargés d’alimenter les propulseurs Randarion et les ont presque totalement détruits. Nous avons perdu 100% de notre capacité énergétique pour le saut quantique. Le Bellator ne peut plus quitter le système d’Epsilon Eridani. - Mais comment ont-ils pu atteindre ces générateurs ? Ils sont, en général, totalement isolés sur les vaisseaux spatiaux. S’exclama Darin. - C’est parfaitement exact et c’est le cas sur le Bellator, mais les squirs ont profité de la déconnexion de mes capteurs pour forcer les accès scellés et ont pénétré en combinaison de combat. Malgré cela, ils ont été fortement irradiés et n’auraient pas survécu plus de quelques heures même avec leurs Nanocrytes militaires. C’était à l’évidence une mission suicide. Quoi qu’il en soit, ils ont réussi à nous immobiliser dans ce système, car les générateurs de secours ne sont pas assez puissants pour ouvrir un trou de vers. - Les systèmes de survie du vaisseau sont-ils menacés ? demanda Sarian - Non. L’énergie fournie par les condensateurs de secours est largement suffisante pour alimenter le Bellator, y compris la propulsion gravitique jusqu’à 0,2C. Les boucliers Horlzson sont désactivés et nous n’avons pas assez d’énergie pour les disrupteurs de combat. La défense du Bellator repose sur nos torpilles d’interception et sur les quatre croiseurs qui peuvent encore sortir. La sentence venait de tomber et tous comprenaient qu’il faudrait probablement abandonner le magnifique vaisseau. Sarian avait blêmi au fur et à mesure que l’IA égrenait les conséquences de l’attentat. Passer d’une situation où ils disposaient d’une énorme machine de guerre à celle de fugitifs réfugiés dans neuf croiseurs d’attaque était difficile à gérer moralement. Néanmoins, l’ildaran restait optimiste et il se reprit rapidement avant que les autres membres du groupe n’aient décelé la moindre faiblesse. - IA, est-il possible de réparer les générateurs ? - Non. Ils sont détruits, mais je possède tous les éléments de fabrication et avec la matière première adéquate je pourrais fabriquer un générateur en quatre cent cinquante heures ildaranes. La fabrication des trois suivants devrait prendre neuf cents heures. Par contre, il n’est pas garanti que tous les éléments chimiques indispensables soient présents dans ce système solaire. - De toute façon, cela représente cinquante journées ildaranes, les impériaux seront là avec une flotte bien avant. Enfer ! Sarian était furieux et regrettait d’avoir embarqué les squirs. Je n’aurais jamais dû les prendre à bord. - Inutile de te le reprocher, nous étions tous sous pression. Préparons-nous à abandonner le navire. Après tout, il nous reste encore neuf croiseurs et un aviso rapide, plus le Randor. C’est déjà une petite flotte. Souligna Darin. - Ce n’est rien à côté de ce que représente ce bâtiment. Répliqua Sarian, blâmant presque son subordonné pour son fatalisme. C’est un véritable navire-usine capable de produire à peu près tout ce que notre civilisation a conçu. L’abandonner, c’est nous condamner à une fuite perpétuelle alors qu’avec le Bellator nous aurions pu reconstituer une véritable force. Sarian tournait en rond à la recherche de solutions. - C’est bien pour cela que les squirs se sont sacrifiés, fit remarquer Oria. Ils avaient parfaitement conscience de l’importance stratégique de ce navire et ont voulu nous en priver. Nos adversaires ont bien joué ce coup même s’il leur a coûté la vie. Nous avons perdu un précieux atout. - Il faut quitter ce système rapidement, car il est sûr que le Carou va avertir la flotte et revenir rapidement. Si nous restons ici, nous risquons d’être bloqués. Nota Darin. - Non, je refuse d’abandonner le Bellator. Objecta Sarian. Il doit y avoir une solution. IA, nous avons neuf croiseurs. Est-il possible d’utiliser leurs condensateurs pour remplacer ceux du Bellator ? - Techniquement, c’est possible, mais un seul générateur du Bellator est plus puissant que les neuf générateurs de tous les croiseurs du bord. De plus, je ne peux pas connecter plus de quatre générateurs en simultané. La mise en place de ces générateurs des croiseurs fournirait une capacité énergétique d’environ dix pour cent de nos besoins. C’est insuffisant pour activer tous les boucliers et nos capacités de défense. - Cela signifie que nous devrons impérativement maintenir nos ennemis à distance… Mais qu’en est-il des déplacements quantiques avec dix pour cent des capacités énergétiques ? s’enquit Sarian. - Le besoin en énergie pour ouvrir un trou de vers n’est pas linéaire, comme vous le savez. Disposer de dix pour cent de nos capacités énergétiques ne limite pas directement la propulsion Randarion dans les mêmes proportions. C’est une équation très complexe, mais pour simplifier cela limiterait notre capacité de saut entre dix et quinze années-lumière. - C’est déjà ça ! Concrètement comment faire pour installer les générateurs des quatre croiseurs dans le Bellator ? Questionna Darin. - Le remplacement des générateurs est prévu et il y a des tunnels de maintenance dédiés permettant de les introduire à bord depuis l’extérieur. Il en est de même pour chaque croiseur. Il faudra effectuer ces opérations sans dock de radoub, mais mes androïdes de maintenance pourront le faire. Il faut savoir que lorsque les générateurs des croiseurs auront été extraits, ceux-ci seront hors service et ne pourront plus retourner à bord par leurs propres moyens. - Cela signifie perdre quatre navires de plus… À ce rythme, on va finir en glisseur. Sourit ironiquement Darin - Combien de temps prendra l’opération ? interrogea Sarian, qui entrevoyait déjà la solution pour conserver le magnifique vaisseau de combat. - J’ai suffisamment d’androïdes de maintenance pour effectuer les quatre extractions en même temps. Comptez quatre heures pour l’extraction et six heures pour les connecter en toute sécurité. - Donc dans dix heures nous pourrons appareiller. Quelles seront nos capacités de manœuvre ? s’informa Sarian - Nous pourrons appareiller dans quatre heures, dès que les quatre condensateurs seront à bord. Les raccordements peuvent s’effectuer en vol. Nos capacités de propulsion sont opérationnelles jusqu’à 0,2C, car cela ne mobilise que peu d’énergie. Nos boucliers sont déconnectés et il faudra éviter les deux nuages de météorites qui gravitent dans ce système. - Commence les opérations de transfert immédiatement et appareille dès que possible sur un axe perpendiculaire aux orbites des deux nuages. Combien faudra-t-il de temps pour recharger les condensateurs Kin ? Sarian ne voulait pas perdre une minute qui pourrait s’avérer précieuse si une flotte émergeait. - Nos filets de captage sont intacts, mais ne pourront pas être utilisés au maximum de leurs capacités, sous peine de surcharger les condensateurs, moins puissants, des croiseurs. Il faudra environ trois heures pour transformer assez de matière noire pour transiter sur dix années-lumière. - Bien, nous allons étudier un itinéraire avec des transitions successives dès que les condensateurs seront opérationnels. Il faut s’éloigner d’Epsilon Eridani le plus vite possible. Il me vient une idée : pouvons-nous utiliser les faisceaux tracteurs d’un croiseur opérationnel pour amarrer les navires dépourvus de condensateurs ? Se renseigna Sarian. - C’est une manœuvre délicate qui risque d’endommager les docks d’amarrage et les portes extérieures si les rayons tracteurs débordent, mais c’est faisable. - Dans ce cas, force les portes bloquées des croiseurs opérationnels et utilise-les pour ramener les appareils désactivés, on n’aura pas tout perdu. Même si l’on abîme un peu le Bellator, dans l’état dans lequel il est déjà, cela ne changera pas grand-chose. Ordonna Sarian. Ils venaient de découvrir les dégâts extérieurs retransmis depuis l’un des bâtiments de maintenance et les androïdes envoyés par l’IA. C’était impressionnant de voir qu’il devait manquer près de 5% de la gigantesque sphère. Paul se demandait même comment le vaisseau avait pu maintenir son intégrité avec des dégâts aussi importants. Il allait falloir réparer le navire aussi vite que possible. Une formidable course contre la montre avait commencé. Le vaisseau mère devait quitter le système d’Epsilon Eridani avant l’arrivée d’une flotte impériale sinon il faudrait l’abandonner et il serait définitivement perdu pour le clan Verakin. Tous les androïdes de maintenance étaient mobilisés dans les opérations de remplacement des condensateurs et Paul et Mélanie pouvaient suivre le ballet incessant des machines depuis la passerelle, sur des projections holographiques géantes. Ils avaient l’impression de contempler une gigantesque fourmilière dans l’espace. Une partie des androïdes s’affairait sur les quatre premiers croiseurs pendant qu’un autre groupe découpait les portes des docks endommagés afin de permettre aux croiseurs, bloqués, de s’extraire du Bellator. Paul était finalement heureux d’avoir la jeune fille à ses côtés. Il ne l’appréciait pas outre mesure, lorsqu’ils étaient sur Terre, peut-être un peu par jalousie, car elle lui avait, en quelque sorte, ravi Alex, qu’il considérait comme son frère. Mais aujourd’hui, loin de leur planète, la présence d’une compatriote était rassurante. De son côté, la jeune fille avait changé, elle n’était plus la petite adolescente cherchant à accaparer Alex. Elle semblait avoir mûri et s’intéressait vraiment à tout ce qui concernait le vaisseau. Elle avait même demandé à Darin de lui apprendre à se battre. Sarian avait réuni toute son équipe dans la salle tactique du vaisseau afin d’analyser les différentes options qui s’offraient à eux. Le Randor devait bientôt apponter et tous souhaitaient quitter ce système au plus vite. Ils allaient devoir effectuer des sauts de puces jusqu’à ce qu’ils soient assurés d’avoir semé leurs poursuivants, car il était certain que la flotte impériale irait explorer toutes les étoiles proches d’Epsilon Eridani dans l’espoir d’intercepter le porte-croiseurs. - Penses-tu que les squirs aient pu retourner dans le système solaire chercher le restant de la flotte ? demanda Oria. - Je ne pense pas, car d’après les données du Randor, les navires restants ne sont pas en nombre suffisant pour nous attaquer. Répondit Darin. - Toi, tu le sais, mais pas eux. Ils pourraient bien avoir transité vers le système terrien pensant y trouver des renforts. Objecta Telius. - C’est une éventualité que nous devons envisager. Releva Sarian. L’ildaran craignait que quelques navires de guerre ne les pistent sans chercher à engager le combat. Cela n’exonérerait pas les squirs de revenir dans l’Empire pour chercher une flotte capable d’engager neuf croiseurs récents, car ils ignoraient qu’il n’en restait plus que cinq en état de manœuvrer, mais ce serait préjudiciable d’être suivi de trop près. Sarian ordonna donc que le Randor soit ravitaillé et qu’il se tienne prêt à appareiller. Avec ses aptitudes furtives, il pourrait certainement endommager le, ou les, croiseurs de surveillance et les empêcher de jouer les pisteurs. - OK, je m’en charge personnellement. Se proposa Xionnes, qui quitta rapidement la salle tactique. - Si nous transitons avec le Bellator, un seul croiseur ne devrait pas pouvoir nous suivre ? Je croyais que l’on ne peut pas suivre un appareil en saut. Exprima Paul. - Tu as raison, répondit Telius, mais, si l’on ne peut pas suivre un navire, il est possible de quantifier l’énergie utilisée pour l’ouverture du trou de vers. Telius approfondit son explication en précisant que s’il était impossible de détecter le point d’émergence d’un saut quantique, il était par contre très simple de déterminer la distance approximative de transition en fonction de l’intensité de l’ébranlement de la structure de l’espace par rapport à la masse de l’appareil. Si un croiseur ennemi était présent au moment de la transition du Bellator, les impériaux découvriraient aussitôt que les capacités de déplacement du gros vaisseau étaient considérablement restreintes. Avec la contrainte de temps de rechargement des condensateurs Verakin de secours, un poursuivant aurait amplement le temps d’explorer plusieurs étoiles dans une sphère de quinze années-lumière, avec des drones de chasse, avant que le Bellator ne soit en mesure de transiter à nouveau. Cela risquait de les entraîner dans un jeu du chat et de la souris qui se finirait inévitablement par l’apparition d’une flotte impériale, capable d’achever le gros navire. D’où l’importance de la mission du Randor, chargé de protéger la fuite du Bellator. Le reste de l’équipe s’affaira à étudier une succession de transitions vers Polona, en tenant compte de la limite des quinze années-lumière imposées par la puissance des condensateurs pris sur les croiseurs de combat. Cela représentait un nombre considérable de sauts, car le système qui abritait la planète médiévale se situait à mille quatre cent cinquante années-lumière de leur position. Darin fut chargé de rechercher la taupe. Opération délicate, car il ignorait s’il s’agissait d’un matériel-espion ou d’un humain. Le traître était peut-être Prag, ou Vira, tués tous les deux par les squirs. Mais dans le doute, il allait devoir recourir aux facultés de Paul pour sonder tout le monde et la suspicion allait altérer le moral du groupe. Les impériaux semblaient avoir repris l’avantage psychologique et matériel. * Chapitre 37 Sur Polona, la situation politique s’était considérablement crispée. Le duc Tâardian complotait plus que jamais pour renverser le roi Mâaspec et depuis qu’il avait été averti de l’altercation entre son fils et un étranger, proche d’un membre de la guilde du commerce. L’homme comptait bien profiter de la situation. Son conseiller privé, Perculio, âme noire s’il est était, lui avait soufflé l’idée de continuer à fomenter des troubles autour de Port Gâal et d’accuser le roi de ne pouvoir assurer la sécurité du peuple. Tâardian avait donc envoyé une partie de sa garde personnelle dans les forêts proches de la capitale afin d'épauler les mercenaires et accroître les opérations de déstabilisation dans la population et les voies de commerce. L’élite de la garde du duché s’était travestie en une bande de brigands et avait attaqué plusieurs caravanes et convois de marchandises. Quelques courtes razzias dans plusieurs villages autour de Port Gâal avaient achevé de provoquer l’inquiétude des notables, de la bourgeoisie et du peuple gâalanais. Ces attaques à répétition commençaient à provoquer une pénurie dans les approvisionnements en produits frais et le roi Mâaspec avait dépêché une partie de sa garde à la poursuite de ces pillards, malheureusement sans aucun résultat et les hommes du duc tendaient régulièrement des embuscades aux forces royales, affaiblissant chaque jour, un peu plus, l’autorité du vieux roi. Dans le même temps, le fils Tâardian en profitait pour se répandre, auprès de la Cour, sur l’affront infligé par ces étrangers, accusant directement la justice du roi Mâaspec. L’atmosphère de la capitale était de plus en plus pesante et les pairs du royaume commençaient à s’inquiéter, très ouvertement, de l’instabilité croissante. Le roi avait tenu un conseil de guerre avec ses ministres et avait demandé à son général en chef de faire revenir une partie de l’armée stationnée aux frontières du royaume pour protéger la capitale de toute agression. Ce qu’ils ignoraient, c’est que les cavaliers envoyés avaient tous été interceptés par les gardes Tâardian et qu’aucun message ne parviendrait aux régiments de protection extérieurs. La ville était donc sans armée capable de la protéger, à court terme, d’un éventuel coup d’État. De son côté, le prince Sertime commençait à être inquiet de ne pas avoir de nouvelles de Rliostem et Klosteran, car la date du jugement approchait et ses informateurs l’avaient averti de l’arrivée régulière d’hommes du duc en ville. La plupart des nobles de la cour commençaient d’ailleurs à quitter Port Gâal pour rejoindre leurs terres. Un signe qui ne trompait personne et Sertime était d'ailleurs persuadé que le duc Tâardian était derrière cet exode. La stratégie était habile, car, moins de nobles près du roi, cela signifiait moins d’épées en cas de conflit et participait à affaiblir politiquement Mâaspec. Les brigands avaient reçu comme instruction de laisser passer les convois des nobles quittant Port Gâal, afin de ne pas se mettre à dos d’éventuels futurs alliés, et peu de monde était conscient de ce qui se jouait réellement dans le royaume. Cette situation inquiétait sérieusement Sertime et les autres princes marchands, car les conflits étaient toujours préjudiciables aux affaires. Mais leur crainte essentielle venait de la volonté affichée, depuis longtemps, du duc Tâardian de modifier les accords entre le royaume et la guilde des marchands. Sertime, qui méditait dans sa bibliothèque, savait que, quel que soit le roi, Port Gâal aurait toujours besoin de marchandises et que la guilde savait se rendre indispensable. Néanmoins, une période de troubles favorisait souvent les changements d’alliances, où pouvaient se faire et se défaire des positions commerciales durement acquises. Sertime était également le garant moral de la présence de Rliostem et Klosteran au cercle de la justice et leur absence commençait à devenir un problème. Non, décidément les jours à venir s’annonçaient sombres pour le royaume et le prince marchand commençait à envisager, lui aussi, de quitter la capitale. Si ce n’était sa réputation, il serait déjà loin, mais il avait donné sa caution morale. C’était-il trompé à propos de ces deux étrangers ? pensait-il, lorsqu’un domestique entra dans la pièce garnie de livres anciens. - Prince, l’assesseur royal demande à vous voir dans l’instant. Annonça le serviteur. - Fais-le entrer Lôor. Répondit très calmement le Prince, conscient du motif de cette visite. L’assesseur entra lentement, avec assurance, dans la bibliothèque de Sertime et s’inclina légèrement, comme il convenait, devant le prince marchand. - Mes respects, Prince Sertime. Salua l’homme d’une voix neutre. - Mes respects Assesseur Royal. Sertime avait insisté sur le titre, marquant le fait qu’il n’ignorait rien du motif de la venue de l’émissaire de la justice royale. L’homme semblait un peu mal à l’aise, mais il représentait la justice du roi de Gâal et son attitude était, malgré tout, posée. - Pardonnez cette visite impromptue, Prince, mais les évènements nous dictent parfois notre conduite. Vous n’ignorez pas que les étrangers qui ont offensé le jeune Tâargrien et son cousin doivent combattre leurs champions dans quatre jours et ils n’ont pas été vus depuis plus de six jours… Il avait volontairement laissé traîner ses derniers mots, sous-entendant la possibilité que les étrangers ne soient plus à Port Gâal, malgré l'engagement de Sertime. L’hésitation avait cependant été suffisamment étudiée pour ne pas froisser inutilement le marchand. - Oui, et bien ? répliqua négligemment Sertime comme si la subtilité de langage ne l’avait pas effleuré. La gêne de l’assesseur fut de courte durée, car il n’était pas né de la dernière pluie et le roi l’avait envoyé avec un objectif précis. - Hum… Pardonnez d’avance ma requête, Prince, et ceci sans remettre en question votre caution morale envers ces hommes, mais je dois les voir sans délai. Pour les besoins du jugement, bien entendu… Ajouta-t-il en espérant ménager la susceptibilité de son prestigieux et influent interlocuteur. Sertime, qui n’était pas dupe une seule seconde, n’entendait pas laisser la moindre ouverture à l’assesseur. - Le jugement doit être rendu par le cercle de la justice, il n’est donc nullement nécessaire de les interroger. Expliquez-moi cette curiosité assesseur. S’agit-il d’une nouvelle procédure judiciaire dont je n’aurais pas entendu parler ? Je vais de ce pas en informer mon défenseur de justice. Il sera enchanté de découvrir cette bizarrerie. Sertime jouait son rôle à la perfection, mais cela ne suffit pas à décourager l’envoyé du roi. - Voyons Prince, nous savons, vous et moi, que je n’ai en effet nul besoin d’interroger ces hommes dans le cadre de cette affaire. Admit l’homme sans détour. L’assesseur avoua le réel motif de sa venue qui était de vérifier que ces hommes étaient toujours sous la protection du marchand. Les Tâardian avaient ouvertement fait courir le bruit que Sertime les avait volontairement laissé s’échapper afin de décrédibiliser l’honneur du duc Ravokâan, accusant presque le roi de complicité. Naturellement, Mâaspec ne pouvait pas laisser s’installer le doute et lui avait enjoint de s’assurer personnellement de leur présence pour le jugement. Le Roi ne pouvait pas se permettre, en ce moment, de contrarier le duc Tâardian. L’homme de loi s’était dévoilé et la marge de manœuvre de Sertime se rétrécissait. Il joua cependant sa dernière carte. - Allons assesseur, avec tout le respect que je vous dois, vous savez bien que Ravokâan Tâardian est à l’origine de ces troubles et qu’il n’attend qu’une occasion pour forcer le roi à donner la main de sa fille à cet idiot de Tâargrien, voire pire… Le prince marchand s'aventurait sur un terrain glissant en abordant directement, et sans ambages, la politique du royaume. - Justement, ne lui donnons pas de motif qui servirait à justifier une action brutale de sa part. Port Gâal n’est pas en capacité de soutenir un siège sans les régiments des frontières. À la surprise de Sertime, l’assesseur n’avait pas évité le sujet et, au contraire abondé dans son sens. L’homme, quoiqu’inconnu du prince marchand devait être très proche du roi. - Si je me souviens bien, l’envoi de ces régiments aux frontières était une idée du duc lors d’un conseil royal l’année passée ? Tenta encore le marchand. - Oui en effet, visiblement le bougre prépare son affaire depuis longtemps, mais le fait est là : il nous tient provisoirement et il faut gagner du temps avant que l’armée ne revienne. En un mot comme en cent : puis-je voir les étrangers et rassurer le roi ? Cette fois-ci, il n’y avait plus d’échappatoire possible. La question était directe et ne souffrait aucune tergiversation. Sertime dut se résoudre à avouer la vérité. - Malheureusement non, ils ne sont pas ici. Avoua, à regret, le marchand. Étonnamment, l’Assesseur ne parut pas surpris et Sertime pensa aussitôt qu’il devait y avoir au moins un espion dans son personnel. Il classa l’information en se promettant de vérifier cette hypothèse, car la pensée d’avoir un informateur dans son entourage ne l’enchantait guère. Dans ces périodes troubles, un mort de plus ou de moins passait souvent inaperçu et il ne souhaitait pas disparaître avec l’eau du bain. Pour le moment, Sertime était piégé : il avait escompté que la politesse interdise à l’assesseur d’insister, mais celui-ci était entré franchement dans la conversation en lui expliquant la situation sans détour et la volonté du roi. Il avait été contraint de tout dévoiler. - Ils ont dû se rendre hors de la ville pour des motifs que j’ignore, mais qui semblaient cruciaux à leurs yeux. J’ai accepté leur parole de revenir pour la date du jugement. Expliqua le marchand. - Vous avez été étonnement confiant, Prince. J’espère pour vous qu’ils se présenteront. Il y va de votre vie et je parle sérieusement. L’assesseur avait froncé les sourcils et semblait réellement surpris par l'attitude du marchand, réputé pour sa prudence. - J’en ai conscience, assesseur. Sertime avait appuyé sur le A. J’ai envoyé l’un de mes plus proches conseillers à leur recherche avec quelques gardes, mais il se pourrait qu’ils soient tombés dans une embuscade, car aucun n’est revenu. - Il ne manquerait plus que des bandits aient enlevé ou, pire, tué ces deux étrangers ! s’emporta l’assesseur, soudain inquiet des conséquences. - Ils m’avaient l’air de bien savoir se défendre, mais ces hors-la-loi deviennent de plus en plus audacieux. Ils s’en prennent à presque toutes les caravanes qui sortent ou entrent dans la capitale. Fit Sertime en tentant de rassurer son interlocuteur autant que lui-même. - Le roi s’en inquiète beaucoup, car ils semblent vouloir nous asphyxier économiquement. Mâaspec pense qu’il s’agit de mercenaires payés par les Tâardian. Étonnamment, l’assesseur partageait les craintes du roi et cet aveu renforça l’intuition de Sertime sur l’importance du rang de son interlocuteur. - C’est également l’avis de la guilde, mais nous n’avons aucune preuve… avança prudemment le marchand. - Malheureusement, nous ne pouvons accuser le duc Tâardian sans certitudes, ce serait lui fournir une excellente occasion de mettre encore en cause la justice royale et de se faire passer pour une victime. Mais revenons à vos étrangers, il est vital qu’ils se présentent le jour du jugement. Vous devez tout mettre en œuvre pour les retrouver. L’Assesseur avait appuyé la fin de sa phrase laissant transparaître une menace à peine voilée à l’encontre du Prince. Le roi devait être acculé pour que l’un de ses représentants ose menacer, aussi ouvertement, un prince de la guilde de l’envergure de Sertime. Celui-ci comprenait parfaitement la situation et chercha à rassurer son interlocuteur. - Ils seront présents le jour du jugement. Vous pouvez transmettre cette information au roi. Affirma-t-il une nouvelle fois. - Je vais la lui transmettre, venant directement de votre bouche, Prince Sertime… Acquiesça l’assesseur, sous-entendant le poids de la responsabilité du marchand dans cette affaire. L’homme de loi avait insisté sur sa dernière phrase indiquant qu’en cas d’absence de Klosteran et Rliostem, la faute lui en incomberait. Son honneur serait entaché à tout jamais et sa position sociale, dans le royaume de Gâal, remise en cause, voire sa tête… Mais tout espoir n’était pas perdu, il restait encore quatre jours avant le jugement. * Dans le système d’Epsilon Eridani, les travaux de réparation du Bellator progressaient à un rythme soutenu. Les portes endommagées avaient été débloquées, permettant à tous les croiseurs de sortir dans l’espace. Plusieurs vantaux étaient partiellement détruits et, sans les générateurs de champs Horlzson, il aurait été impossible d’envisager une transition quantique. Les petits navires-usines avaient collecté des matières premières sur les satellites et astéroïdes, mais malheureusement n’avaient pas trouvé de minerai de corodria. Le Bellator ne pourrait donc pas réparer sa coque dans ce système solaire, car les stocks embarqués n'étaient pas suffisants. Heureusement, Sarian savait maintenant, par Klosteran et Rliostem, que la septième planète du système de Polona regorgeait de ce minerai et qu’il serait possible de restaurer entièrement le gigantesque navire de guerre. S’ils parvenaient à quitter Epsilon Eridani … La propulsion interstellaire du Bellator était de nouveau opérationnelle grâce aux condensateurs Verakin des quatre croiseurs de guerre. Les androïdes de maintenance avaient commencé la construction de condensateurs hautes performances pour remplacer ceux détruits par le commando suicide des squirs et ce n’était qu’une question de temps avant que le navire soit, de nouveau, pleinement opérationnel. Mais c’était justement le temps qui leur manquait. L’énorme sphère gagnait la périphérie du système pour tenter un premier saut quantique et Sarian était particulièrement tendu, car il craignait l’arrivée de croiseurs survivants, en provenance du système solaire terrien. Le Randor était sur le pied de guerre, dissimulé derrière son écran furtif. Le petit aviso avait été ravitaillé et s’était aussitôt dirigé vers l’extérieur du système d’Epsilon Eridani, se tenant prêt à ouvrir le feu sur tout navire impérial en émergence. Sarian ne se faisait néanmoins pas trop d’illusions sur les capacités offensives du petit appareil. Il pourrait certainement endommager un croiseur, mais, s’il s’en présentait plusieurs, il devrait fuir pour éviter d’être détruit, car les navires ennemis pourraient aisément retracer la source du tir de torpilles et saturer l’espace environnant de mini trous noirs dévastateurs pour un petit appareil aux champs de protection peu puissants. Le saut quantique vers Epsilon Eridani les avait entraînés à plus de dix années-lumière du système solaire et à 35° de l’axe galactique par rapport au système terrien. Il y avait trente-trois étoiles dans une sphère spatiale de 12,5 AL de la Terre et à peu près autant d’Epsilon Eridani. Plus ils multiplieraient les sauts, plus il serait difficile à un appareil impérial de les retrouver malgré les drones de chasse. Lors du saut en urgence, depuis le système terrien, Sarian avait intentionnellement choisi une étoile qui ne soit pas dans l’axe du centre galactique, qui les aurait pourtant rapprochés de la bordure au-delà de l’Empire, afin de leurrer ses adversaires. Il devait continuer dans cette voie bien qu’avec des sauts de dix à quinze années-lumière au maximum, le voyage, pour rallier Polona, risquait d’être interminable. Dans les limites des capacités énergétiques du gros porte-croiseur, Sarian choisit, pour premier saut, l’étoile Sirius qui se trouvait à environ 46° de la Terre par rapport au centre galactique et à moins de dix années-lumière d’Epsilon Eridani. D’après les senseurs, longue portée, et les données collectées sur Terre depuis leur arrivée, Sarian savait que le système de Sirius les rapprocherait un peu du système solaire terrien. L’étoile de Sirius était située à plus de 8,5 AL du soleil terrien. Il s’agissait d’un système binaire comportant une étoile blanche principale de type A0 et une naine blanche. Un troisième astre en fin de vie, pratiquement éteint en faisait potentiellement un système triple et compte tenu de la typologie particulière de ce système, l’IA indiquait que l’étoile principale avait probablement siphonné la masse des deux autres étoiles. Cela expliquait en partie sa croissance rapide puisque l’étoile blanche avait approximativement 250 millions d’années. Paul et Mélanie prenaient conscience de l’avancée technologique des appareils ildarans qui leur prodiguaient un petit cours d’astronomie Le Bellator était encore à 3,3 milliards de kilomètres d’un point de saut lorsque l’IA déclencha l’alarme du bord. - Deux vaisseaux en émergence à 6,7 heures-lumière à 60° par rapport à l’axe stellaire. Il s’agit de croiseurs impériaux, leurs signatures énergétiques correspondent à des appareils identifiés lors du dernier combat dans le système solaire terrien. - Niir a dû rallier une base impériale, avec le Carou 4, pour alerter la flotte. Fais sortir les cinq croiseurs de combats en état de manœuvrer et lance-les à leur poursuite. Ces vaisseaux ne doivent pas nous suivre vers Sirius. Ordonna Sarian. - Attends ! intervint Darin, si nous faisons sortir nos croiseurs, ce sera la confirmation de l’incapacité du Bellator à combattre. Niir a dû leur communiquer que le porte-croiseurs était endommagé et incapable de se défendre. Ils doivent déjà être étonnés de le voir naviguer. Ils peuvent penser que les Squirs ont échoué dans le sabotage et que nos capacités énergétiques sont intactes. - Oui, tu as raison. Approuva Sarian. IA stoppe le lancement. Mets le cap sur ce croiseur et verrouille nos systèmes de tirs sur eux. IA, des réactions de leur côté ? - Les appareils ennemis restent parfaitement immobiles et les filets de captage ne sont pas déployés. Ils doivent se tenir prêts à transiter. - Cela signifie qu’ils cherchent à découvrir nos intentions, mais qu’ils se méfient quand même de la puissance de combat du Bellator, émit Telius, d’autant qu’il ne doit plus leur rester beaucoup de capacité offensive après notre affrontement dans le système solaire. Continuons l’intimidation en nous dirigeant droit sur eux. À 0,2C nous avons environ dix heures avant de pouvoir les engager militairement. IA, des nouvelles du Randor ? s’enquit l’Ildaran. - Il est en mode furtif depuis déjà deux heures trente et d’après son plan de vol il devrait être à environ trente-cinq minutes-lumière des croiseurs impériaux. - Avec un peu de chance, il devrait pouvoir les engager avant qu’ils n’abaissent leurs boucliers. Les appareils ennemis sont en état de défense ? demanda Sarian. - Non, leurs senseurs longue portée sont verrouillés sur nous, mais aucun signe d’activation des systèmes d’armes. Ils savent que nous sommes encore trop loin pour représenter une menace. - Bien, occupons leur attention et laissons le Randor les attaquer par surprise. Proposa Darin. Rien ne surviendrait dans les minutes à venir et il était temps de se détendre un peu. Mélanie en profita pour poser une question qui le taraudait depuis un moment. L’attitude de la jeune fille avait changé du tout au tout. - Excuse-moi Sarian, comme nous avons un peu de temps, il y a une question qui m’intrigue sur la navigation spatiale. Comment faites-vous pour vous repérer dans l’espace ? demanda l’adolescente, sous le regard étonné de Paul, qui s’était également interrogé sur le sujet. - Ce sont les calculateurs de navigation dépendants de l’IA qui s’en chargent. Répondit Sarian, plutôt satisfait de l’intérêt de la jeune fille. L’ildaran leur expliqua que les systèmes de positionnement interstellaires calculaient les coordonnées du vaisseau, par triangulation, en fonction d’étoiles de références. Il y avait dans la galaxie, des sortes de phares stellaires et la technologie ildarane s’appuyait sur les coordonnées astronomiques d’une cinquantaine de supernovae, d’une dizaine de pulsars et de quelques quasars. Un peu comme le GPS sur Terre qui calculait une position en fonction de satellites, sauf que les calculateurs devaient tenir compte de la distorsion temporelle importante séparant la lumière des étoiles de leurs coordonnées spatiales en temps réel. Le mouvement circulaire de la galaxie était pris en compte, sachant que la vitesse linéaire de rotation des étoiles était d’environ deux cent cinquante kilomètres par seconde. De ce fait, la position d’un navire par rapport aux coordonnées réelles des étoiles de référence pouvait varier de plusieurs milliers d’années-lumière avec celles de leurs observations visuelles. - Comme le sujet était assez complexe et dépassait largement le niveau de connaissance de Sarian, celui-ci proposa à la jeune fille d’en discuter avec l’IA qui pourrait répondre à toutes ses questions et lui sélectionner des représentations spatiales sur les projections holographiques du bord. L’ildaran était ravi que l’adolescente ait changé d’attitude. Elle a un sacré tempérament. Songea-t-il. - Moi aussi j’ai une question. Intervint Paul. J’ai conversé avec l’IA sur un mode télépathique, mais je n’ai pas osé trop échanger avec elle, car je suis mal à l’aise. Je me l’imagine comme un gros cerveau connecté à des machines ? Il avait parlé doucement de crainte que l’IA ne l’entende. - Non, sourit Oria. Les IA sont de gros calculateurs quantiques contrôlés par une unité biologique de neurones synthétiques, plus ou moins importante, en fonction des missions assignées. Ils n’ont absolument rien d’humain, je t’assure. - Ce serait donc avec ces neurones totalement artificiels que je peux échanger télépathiquement ? s’étonna Paul. - Assurément, bien que je n’ai pas d’exemple de communication directe entre un psykan et la partie neuronale d’une IA. J’ignorais d’ailleurs que ce fut possible avant toi. Répondit l’ildarane. - Tir d’une salve de torpilles vers les croiseurs impériaux à moins de trois millions de kilomètres. Les deux appareils viennent de transiter. Distance du saut inférieure à trente années-lumière. - Le Randor était donc plus proche des croiseurs ennemis que nous ne le pensions. IA mets-moi en communication. Ordonna Sarian - Holocom activé. - Klosteran en attente d’instruction, fit la matérialisation holographique de l’ildaran. - Bravo pour le tir. Transmit Sarian. - Nous n’avons pas eu beaucoup de mérite derrière notre écran furtif. J’ai préféré engager le combat à courte portée pour qu’ils n’aient pas le temps de riposter. Malheureusement, ils devaient avoir activé une procédure de saut d’urgence pour être capables de transiter aussi vite. Rliostem semblait sincèrement déçu de ne pas avoir au moins endommagé l’un des vaisseaux de combat. - Les impériaux connaissaient les capacités furtives du Randor et devaient se méfier. C’est déjà bien de s’en être débarrassé. Cela compliquera leurs options de quadrillage stellaire après nos sauts. Intervint Darin. - Maintenant qu'ils sont en fuite, nous devons retourner sur Polona pour le jugement, autrement notre crédit sur cette planète sera compromis et cela compliquerait notre capacité d’y établir une base. Affirma Rliostem. - Allez-y, inutile de nous attendre, avec une autonomie limitée à quinze années-lumière, il va nous falloir probablement plus de cent transitions pour vous rejoindre. Nous n’y serons pas avant au moins sept jours ildarans. Approuva Sarian, conscient de l’importance de la mission de ses deux hommes sur la planète moyenâgeuse. - Parfait. Faites attention aux plateformes de défense en arrivant. Ajouta Klosteran, avec un petit geste de salut amical. - Pas d’inquiétude. Bon vol. Leur souhaita le chef de la garde de Paul. - Merci Sarian, bon vol, que les vents stellaires vous soient favorables. Conclut Baliran. Le Randor coupa la communication et réapparu brièvement sur les senseurs, s’immobilisa et enclencha son propulseur Randarion qui ouvrit un trou de vers dont l’intensité de l’ébranlement de la structure de l’espace correspondait à un déplacement de près de deux cents années-lumière. * Chapitre 38 Le petit vaisseau furtif émergea à la périphérie d’une étoile rouge et les filets de captage furent immédiatement déployés. Il faudrait plus de deux heures pour recharger les condensateurs et être capable de repartir. Le Randor devrait effectuer cinq autres ravitaillements avant d’atteindre sa destination finale. À l’issue du dernier saut, le Randor émergea dans le système de Polona, système de camouflage activé. Tous ses senseurs de détection étaient à la recherche de systèmes d’armes. Ces précautions s’avérèrent utiles, car les contrebandiers semblaient déterminés à détruire ce vaisseau fantôme. Deux anciens vaisseaux de combats étaient répartis à la périphérie du système prêt à fondre sur un intrus. Si le Randor avait émergé en mode normal, les croiseurs se seraient rués sur lui dans les nanosecondes suivant sa transition. Cette situation compliquait la navigation du Randor, car, après le dernier saut de deux cent trois années-lumière, les réserves d’énergie Kin étaient trop basses pour rallier la planète intégralement en mode furtif. - Enfer ! Ils deviennent agaçants, ces contrebandiers. Ragea Rliostem. - Nous n’avons pas assez d’énergie pour atteindre la seconde planète. Nous serons bien obligés d’activer un captage. Souligna Baliran. Ce n’était qu’un léger contretemps, car les navires de la guilde ne pouvaient transiter que dans la périphérie. Une fois entré dans le système en mode furtif, le Randor pourrait activer ses filets de captage, et les croiseurs ne pourraient pas le menacer. Le petit aviso disposerait de suffisamment de temps pour collecter assez de matière noire et rallier Polona. Il devrait par contre se faire discret une fois posé sur la planète, car les vaisseaux ennemis ne manqueraient pas de le rechercher. - De toute façon, d’ici une semaine le Bellator fera le ménage dans le système et nous n’aurons plus de souci de furtivité. Ajouta l’ancien contrebandier. - Bonne remarque, Baliran. IA faisabilité de cette stratégie ? s’enquit Klosteran. - L’énergie Kin disponible permet de naviguer onze heures trente-huit minutes et seize secondes à 0,3 C en mode furtif. L’IA avait calculé les données et égrena ses constantes : un captage après dix heures de vol les mettrait hors de portée des torpilles des croiseurs pendant cinq heures et vingt minutes. Dans ce système, il faudrait trois heures de captage de matière noire pour transformer assez d’énergie Kin pour rallier Polona en mode furtif. La marge était donc considérable. Le paramètre inconnu résidait dans le nombre de plateformes mobiles. Si l’une d’elles se trouvait à proximité du Randor lorsque celui-ci redeviendrait visible sur les senseurs, il faudrait engager le combat dans des conditions défavorables au petit vaisseau. Néanmoins, l’IA avait calculé une probabilité de réussite de cette stratégie de 93,5432 %. - Dans ce cas plus d’hésitation. IA, cap vers l’intérieur du système. Ordonna Rliostem. Il restait encore trois jours avant le jugement du cercle. Le Randor prit la direction de la seconde planète à la vitesse de 0,3C, tous les senseurs actifs, à la recherche de plateformes mobiles. L’IA en repéra quatre, très éloignées de leur cap, mais il pouvait néanmoins en exister d’autres en veille. Rliostem mit ce temps à profit pour faire fabriquer par les minifabs du bord trois sabres en corodrium, copies parfaites des modèles utilisés par les Gâalanais. Ces armes étaient plus légères et beaucoup plus solides que n’importe quelle lame fabriquée sur Polona et les deux ildarans s’entraînèrent au combat avec Baliran qui avait eu le temps d’étudier les techniques locales et leur apprit quelques bottes, particulièrement efficaces. * Sur le Bellator, tout le monde se préparait à la première transition en direction de Sirius. Il leur faudrait patienter ensuite plus de deux heures pour recharger les quatre condensateurs. L’IA avait planifié une succession de sauts quantiques devant les amener au large de Proxima Century puis dans le système de Ross, selon la terminologie astronomique terrienne. À chaque transition, il faudrait entre deux et trois heures de captage de matière noire pour recharger les condensateurs, ce qui promettait un long et fastidieux voyage. L’itinéraire les entraînerait non loin des systèmes d’Altaïr et d’Aldebaran puis dévierait de vingt-cinq degrés par rapport au centre galactique en direction de Polona, distante de mille trois cent quatre-vingts années-lumière. Il faudrait ainsi plus de cent transitions quantiques pour atteindre leur destination. Un voyage, de plus de deux cents heures, qui s’annonçait monotone. Sarian en profita pour faire le point avec Larsen sur ce qui les attendait à leur arrivée sur la planète et sur la situation politique dans l’Empire. Paul et Mélanie étaient accaparés par Darin et Xionnes, chargés de les entraîner au combat à l’arme blanche, car la jeune fille avait rapidement compris qu’il lui faudrait savoir se défendre et avait insisté pour apprendre à combattre. Oria complétait l’emploi du temps de Paul par des exercices psychiques de plus en complexes et elle était agréablement surprise par les progrès de son élève, devenu rapidement beaucoup plus puissant qu’elle. Lors des périodes de relâche, les deux adolescents exploraient les possibilités du Bellator et ils étaient toujours émerveillés par les technologies du navire. L’IA semblait prendre plaisir à dialoguer psychiquement avec le garçon, rendant la jeune fille un peu jalouse de ne pouvoir partager ces instants avec le calculateur intelligent. Même si l’IA était constituée de neurones artificiels il semblait que sa partie organique soit capable de notions émotionnelles simples et c’était une découverte pour tous les ildarans, car personne, auparavant, n’avait jamais échangé directement avec la partie consciente d’une IA. - Mélanie, Paul, nous allons émerger à proximité de l’amas des Hyades, vous devriez observer cela sur les afficheurs holographiques de la salle tactique. C’est un spectacle que devraient apprécier les humains. Annonça Bella. - Bien, nous nous y rendons. Sarian ne l’utilise pas ? s’enquit la jeune fille. - Si. La salle est occupée actuellement par Sarian, Larsen, Xionnes et Telius, mais je vais les avertir de votre arrivée. Prenez le prochain tube gravitique à droite, un œuf de transport vous y attend. - Merci, Bella. Lança Paul en se dirigeant à la suite de la jeune fille vers la porte de la salle de repos dans laquelle ils se trouvaient. L'adolescent, qui avait récemment baptisé l’IA, avait pris l’habitude de la remercier, bien qu’elle soit artificielle et, curieusement, celle-ci semblait apprécier d’avoir un nom. Paul avait pensé tout d’abord la dénommer Bellatrix, nom féminin de Bellator, mais il avait tranché pour Bella, plus simple. Il se demandait comment les ildarans prendraient le fait qu’il lui ait attribué un nom. Le gros vaisseau disposait de plusieurs moyens de transport allant de simples tapis roulants, aux ascenseurs gravitiques jusqu’aux œufs de transport d'une à quatre places. Il suffisait de se rendre à la porte d’un tube gravitique et de monter dans un œuf. Celui-ci se déplaçait dans les tubes sous vide jusqu’au terminal le plus proche du point de destination. Comme les humains n’étaient pas nombreux à bord du navire, il n’y avait pas d’attente. Il ne fallut que quelques secondes, à l’œuf de transport, pour atteindre la station la plus proche de la salle tactique. Ni Paul ni Mélanie n’avaient ressenti la formidable accélération, compensée par les systèmes anti-gravités de l’engin. Les deux adolescents arrivèrent dans la salle tactique où tout le monde les attendait, avertis par Bella. Le Bellator avait émergé de son trou de vers quelques instants auparavant et les projections holographiques hémisphériques de la salle tactique avaient envahi leur champ de vision. Tous pouvaient admirer cet amas de plus de trois cents étoiles regroupées dans un espace d’environ cent trente années-lumière de diamètre, situé dans la région que les terriens appelaient la constellation du Taureau. Mélanie et Paul contemplaient un spectacle qui aurait enflammé n’importe quel astronome terrien. De la Terre il n’était, en effet, pas possible de distinguer plus de cent cinquante étoiles parmi les plus brillantes, les autres étant soit de trop faible luminosité, soit masquées derrière le noyau de l’amas. Paul eut un pincement au cœur en s’imaginant avec Stéphanie devant ce spectacle grandiose. Le souvenir de la jeune femme se mêla à celui de ses parents et provoqua une émission psychique mélancolique involontaire. Oria enregistra immédiatement la perturbation mentale du jeune homme et se tourna vers lui. - Paul ? Tout va bien ? S’enquit-elle - Oui, merci. Un moment de nostalgie. J’aurais aimé pouvoir partager cet instant avec Steph. Mais c’est malheureusement impossible… Fit-il en détournant légèrement la tête, gêné par le regard de Mélanie qui devait penser à Alex. - Je pensais à la même chose Paul, mais rien n’est définitif. Avec la technologie ildarane, nous pourrons toujours revenir sur Terre ? Esquissa la jeune fille, devenue optimiste depuis qu’ils avaient quitté le système solaire. - Tant que Kera 1er dirige l’Empire, c’est peu probable et, si je deviens empereur, je ne crois pas avoir le loisir de pouvoir, un jour, retrouver mes parents. Quant à Steph, dans quelques mois elle m’aura oublié… Rétorqua Paul, pensif. Mais bon, changeons de sujet. Bella, quelle est cette étoile très brillante dans le quadrant supérieur gauche ? - Il s’agit d’une étoile de classe spectrale A nommée Theta Tauri dans la nomenclature terrienne, Paul. Si les ildarans furent surpris d’entendre Paul appeler l’IA Bella, et la machine répondre à son prénom, personne ne fit de remarque. - À quelle distance sommes-nous de la Terre maintenant ? s’enquit Mélanie, curieuse. - Le Bellator est maintenant distant de cent cinquante-trois années-lumière du système solaire. L’IA bascula en mode télépathique à l’attention de Paul. [Si tu veux je peux activer mes senseurs très longue distance pour te fournir des vues plus complètes de cet amas.] - Merci, Bella, je voudrais que tu me donnes des informations sur ces deux autres étoiles très brillantes là, répondit-il en tentant le doigt vers une partie de la projection holographique. - Il s’agit de Gamma Delta et Epsilon qui, comme Theta Tauri, sont des géantes rouges. - Et au centre, cette grande luminosité, qu'est-ce que c’est ? Voulut savoir Mélanie, elle aussi, émerveillée par le spectacle. - C’est le cœur de l’amas des Hyades. Mes senseurs détectent huit naines blanches, chacune d’environ trois masses solaires et très actives. - C’est magnifique ! Paul avait les larmes aux yeux devant la beauté des projections tridimensionnelles. Nous sommes loin de Polona ? - Encore plus de mille trois cents années-lumière. Polona est située dans le bras du Sagittaire. - Nous allons traverser cet amas ? interrogea le garçon. - Non, les étoiles sont trop rapprochées et la navigation est plus délicate dans les amas stellaires. Notre route passe à trois années-lumière au large. Devant un tel spectacle, le temps avait paru s’arrêter pour tous les passagers du Bellator et les condensateurs à énergie Kin étaient de nouveau prêts à activer la propulsion quantique. Bella enclencha une nouvelle transition et le gros vaisseau se retrouva quinze années-lumière en avant. - C’est joli, Bella, comme prénom, nota Oria. Paul se trouva un peu penaud face à sa sensiblerie, mais Sarian vint à son secours : - C’est plutôt une bonne idée, cela personnalisera un peu notre vaisseau. Va pour Bella. Conclut-il devant Paul, ravi. Durant les huit prochains sauts, ils longèrent l’amas des Hyades, mais au bout de la troisième transition, le spectacle commença à lasser les plus admiratifs. Irias en profita pour annoncer le déjeuner et tous se rendirent dans la grande salle à manger. Les réserves du bord semblaient combler l’intendant qui avait retrouvé, avec plaisir, des mets oubliés pendant les dix-sept années passées sur Terre : des volailles de Kharitra, des vins de Mertane, des épices de Sylphiria, etc. Autant de spécialités venant des planètes humano-compatibles des quatre-vingt-douze systèmes planétaires de l’empire. Une bouffée de nostalgie envahit les ildarans devant les plats préparés par les androïdes du bord, suivant les instructions d’Irias. Même Sarian, d’ordinaire plus secret et imperturbable, semblait réceptif à ce moment particulier. - Je lève mon verre à l’empereur Verakin, aux amis et frères qui sont tombés pour la réussite de notre cause et à toi Ishar pour que tu retrouves la place qui échoie à ta lignée depuis trente-cinq siècles. Verakin Ildaran Frîîkr ! Paul ressentit soudainement un immense poids sur les épaules. Il venait de prendre définitivement conscience que son avenir ne lui appartenait plus et qu’il représentait un espoir pour des millions d’ildarans. Le discours de Sarian avait éveillé un sentiment de patriotisme qu’il n’imaginait pas. Il savait maintenant qu’il avait le devoir de combattre les Seravon jusqu’à la victoire, même s’il se savait peu préparé à cette responsabilité, car personne d’autre que lui n’avait de légitimité pour destituer Kera 1er. - [Je veille sur toi, jeune Verakin…] - [Émissaire ?] - [Oui, j’ai été réactivé pour t’encourager. Ta force de caractère et ta volonté détermineront l’avenir de cette région de l’espace pour des dizaines de milliers d’années. Aie confiance en toi et suis tes intuitions. Au revoir jeune Verakin. Suis ton instinct…] - [Émissaire… Émissaire ? J’ai tant de questions.] L’entité avait déjà rompu le contact télépathique avec Paul, mais Oria avait remarqué une étrange perturbation psychique autour d’eux. - Paul ? Tout va bien ? s’enquit-elle inquiète. J’ai cru un instant avoir perdu mes aptitudes psykane, j’ai ressenti comme un grand vide autour de nous. - C’est l’entité émissaire qui s’est manifestée, mais je n’ai pas pu échanger grand-chose. Je la cherche mentalement, mais elle a disparu. Répondit l’adolescent, concentré. - Cette chose a réussi à nous tracer jusqu’ici ? s’alarma Sarian. - Avec tous ces diamants autour de ma tête je dois être un phare stellaire pour elle. J’ai réussi à la sonder superficiellement et cette entité ne nous est pas hostile, bien au contraire. Compléta Paul. - Ne te fie pas trop à tes talents. À cette échelle de puissance psychique, il doit lui être assez facile de leurrer un psykan, même toi. Mais je lui laisse le bénéfice du doute, car il faut reconnaître qu’elle nous a aidés jusqu’ici. Restons cependant méfiants, car nous ne connaissons pas ses objectifs réels et ils pourraient bien différer des nôtres. Avertis Oria. - Après cette interruption non sollicitée, mais encourageante, je lève, moi aussi, mon verre à notre entreprise. J’ajoute des remerciements tout particuliers à Sarian et à toute l’équipe qui m’a sauvé, enfant sur Ildaran Prime, et qui m’a protégé jusqu’ici. J’espère être digne de vous. Paul avait improvisé ce petit discours, mais celui-ci fit son effet auprès de l’auditoire. Seule Mélanie resta un peu dubitative devant la ferveur apparente de Paul. Elle était un peu dépassée par la tournure des évènements, mais après avoir bu un second verre, d’un breuvage inconnu fortement alcoolisé, elle avait oublié ses états d’âme. La conversation reprit autour de Larsen qui résuma la situation de l’empire durant les dix-sept dernières années, à la demande d’Oria qui n’avait pas participé au premier débriefing. - Comme je l’ai indiqué en détail, en réunion, l’Empire n’a pas beaucoup changé en apparence. Dix-sept ans, c’est très peu dans l’histoire de notre société bâtie il y a trente-cinq mille ans. L’ancien contrebandier narra comment Kera 1er s’était imposé par la force après la chute du clan Verakin. Dès le début de l’insurrection, sa milice privée avait verrouillé Ildaran Prime et aucune des grandes familles n’avait été en mesure de lui opposer assez de ressources pour lui barrer l’accès au trône. Officiellement, aucune grande famille ne s’était alliée aux Seravon pour revendiquer le coup d’État, mais tout le monde s’accordait à penser qu’au moins l’une d’elles était intervenue. Il est impensable que les Seravon aient pu monter seuls une opération militaire de cette envergure, car les troupes du clan Seravon avaient pris le pouvoir sur plus de vingt planètes simultanément. Tout particulièrement les planètes intégrant les arsenaux et les forces spatiales. Au moins vingt mille miliciens avaient débarqué sur Ildaran Prime et des commandos avaient réussi à désactiver tous les systèmes de sécurité ainsi que les androïdes de combats protégeant le palais. Cela avait impliqué un très grand nombre de complicités sur la planète mère. L’Empire était resté désorganisé à peine deux semaines. Quelques fidèles à la maison Verakin avaient bien tenté un coup de force en revenant dans le système mère, mais des centaines de vaisseaux de combat les attendaient. Ils n’avaient même pas pu pénétrer, de plus de cinq millions de kilomètres, à l’intérieur du système. Un grand nombre de vaisseaux avaient été détruits et les survivants avaient fui. Ensuite, tout était redevenu normal, du moins en apparence. Sur les planètes extérieures, rien n’avait changé : elles fournissaient toujours l’essentiel des denrées alimentaires et industrielles de l’empire. Sur Ildaran Prime et les planètes arsenal, il y avait eu de grands changements dans la chaîne de commandement. Tous les amiraux et militaires gradés avaient été évincés au profit de proches des Seravon et des Malezari, qui s’étaient ralliés ouvertement au nouvel empereur. Kera 1er avait constitué une garde prétorienne, appelée les squirs qui avait une sinistre réputation et était intervenue de nombreuses fois pour mater quelques révoltes sur plusieurs planètes. À chaque fois, de nombreux membres des familles dirigeantes avaient disparu sans laisser de trace. Tous écoutaient attentivement le récit de Larsen et plus spécialement Paul qui avait tout à apprendre sur l’Empire. Larsen continuait, grisé par ses propres paroles et heureux d’avoir un auditoire aussi attentif. Il raconta comment les anciens gardes du clan Verakin furent pourchassés et tués pour la plupart, comment un grand nombre d'entre eux avaient réussi à se cacher dans la bordure, au-delà du prolongement du bras Écu-Croix. Le bras Écu-Croix se prolongeait presque jusqu’à la périphérie de la Voie Lactée. Plus on s’éloignait du centre du bras spiral, plus les étoiles se raréfiaient jusqu’à atteindre le halo stellaire, partie externe de la composante sphéroïdale de la Voie Lactée, puis le grand vide entre les galaxies. L’Empire n’exerçait pas sa tutelle dans cette région de l’espace, car aucune planète habitable n’avait été découverte et il s’agissait d’une zone sans foi ni loi, où les pirates côtoyaient les contrebandiers et les mineurs indépendants. On trouvait également quelques déserteurs de la Confédération de Lorka, opposés à l’humeur guerrière de ses dirigeants, qui avaient réussi à embarquer sur des vaisseaux ildarans. La région contenait un grand nombre d’astéroïdes renfermant les minerais les plus divers qui faisaient le bonheur des prospecteurs indépendants. Quelques sociétés minières avaient bien tenté d’explorer industriellement cette région, mais les pirates avaient pillé leurs installations et elles avaient toutes abandonné. Larsen estimait à plusieurs milliers le nombre d’anciens gardes Verakin dans cette région du bras spiral. Le Bellator effectua un nouveau saut de quatorze années-lumière. Malgré la forte densité d’étoiles, il n'y avait pas de système habité dans cette région de l’espace et Bella ne détectait aucune source d’énergie artificielle ou émission d’ondes de communication. L’atmosphère, dans la grande salle à manger du Bellator, était donc plutôt sereine. Sarian paraissait détendu malgré la présence possible d’un espion dans le groupe. Les différents vins originaires de plusieurs planètes de l’empire faisaient des merveilles. Larsen était ravi d’avoir retrouvé des Verakin et le moral de tous était en hausse. Le vol se poursuivit sans incident pendant plus de soixante-dix heures et les passagers alternaient périodes d’observation et phases de sommeil. Le Bellator avait enchaîné son trente-cinquième saut quantique et était maintenant à plus de quatre cents années-lumière de la Terre. Pour Paul et Mélanie, les heures se succédaient, entrecoupées par des entraînements avec Darin et Oria. Les deux adolescents s’étaient isolés plusieurs fois dans leurs cabines pour écouter de la musique et ressasser leurs souvenirs communs sur Terre. Paul avait une préférence pour le pop-rock avec des groupes comme The Killers, Kill Hannah, Metric ou de la pop comme Élie Goulding ou Clare Maguire. De son côté Mélanie écoutait plus volontiers Bakermat, Daft Punk, Ratatat ou Macklemore. Les périodes de sommeils leur paraissaient presque une délivrance comparée au vide émotionnel causé par l’éloignement de leur famille, de Stéphanie et la mort d’Alex. Il restait encore plus de mille années-lumière à parcourir pour atteindre le système de Polona. * Chapitre 39 Le Bellator approchait de l’amas des Pléiades quand l’alarme intérieure se déclencha et Bella annonça sur l’audio générale : - Nous subissons un balayage actif de faisceaux de détections. - Origine de la source ? Sarian, qui était dans sa cabine à ce moment-là, avait réagi immédiatement. - C’est étrange, je détecte le balayage, mais impossible d’en identifier la source. Il semble qu’elle soit dans un autre système solaire, au-delà de la portée de mes senseurs. Ce balayage est presque furtif. Sans les nouveaux détecteurs installés il y a quelques mois sur le Bellator, je n’aurais rien enregistré. - Combien y a-t-il de systèmes dans une sphère de vingt années-lumière ? s’alarma l’Ildaran, déjà en chemin vers le centre tactique. - Dix-huit. - Isole les systèmes comportant des planètes telluriques, ordonna-t-il aussitôt. - Il y en a treize dans une sphère de vingt années-lumière. - Lance des drones éclaireurs dans chacun d’eux. Hors de question de passer à côté d’un système habité par des intelligences capables d’activer des faisceaux de détections intersystèmes ! Mets le navire en état de défense, j’arrive sur la passerelle. Compléta Sarian, qui avait enfilé une veste et quitté sa cabine avec précipitation. Il appela aussitôt Darin, via ses Nanocrytes de communication, et lui résuma la situation. - Klosteran et Rliostem nous attentent au plus vite sur Polona, objecta Darin qui était plutôt favorable à la poursuite du vol sans se préoccuper de cette détection. Et l’émissaire des Al-Heoxyrians a enjoint à Paul de se rendre au plus tôt sur cette planète, ajouta-t-il. - Je sais tout cela, mais, s’il existe une civilisation inconnue dans cette région de l’espace, nous ne pouvons pas prendre le risque de ne pas le vérifier. Bella, fais sortir les cinq croiseurs opérationnels et qu’ils se positionnent à distance de combat, systèmes d’armes activés. Rétorqua Sarian. - Drones largués, saut quantique. Les croiseurs quittent le bord. - Quelles sont les capacités défensives du Bellator ? s’informa Telius qui venait de prendre pied sur la passerelle. - Nous avons effectué un saut de quatorze années-lumière qui a pratiquement épuisé nos ressources énergétiques. J’ai activé les filets de captage dès l’émergence, mais nous en sommes à cinq pour cent. Les boucliers peuvent être activés au minimum, mais pas question d’utiliser les faisceaux disrupteurs avant au moins une heure. Annonça l'IA. - Bien, abaisse les boucliers, les croiseurs prendront en charge l’offensive s’il y a lieu, il faut protéger le Bellator. Combien de temps avant de pouvoir transiter ? s’enquit Sarian. - Avec les boucliers activés : trois heures sept minutes. - Alerte générale, que tout le monde enfile une tenue de combat et des boucliers individuels, on ne sait jamais. Tout le monde dans le centre tactique, c’est la partie la mieux protégée du vaisseau et je préfère que nous soyons tous ensemble en cas de pépin. Ajouta l'Ildaran. Une puissante sirène retentit dans le vaisseau alors que l’IA égrenait les consignes. Le chef des Ildarans était très inquiet à l’idée de rencontrer une nouvelle civilisation, possiblement technologiquement plus avancée que l’Empire. Cela ne s’était jamais produit jusqu’ici. Seraient-ils humains comme toutes les civilisations rencontrées jusqu’à ce jour dans la Voie Lactée ? Il n'oubliait pas non plus qu’ils n’avaient toujours pas identifié la taupe, malgré les efforts de Darin. * À bord du Randor, les heures s’écoulaient avec monotonie à s’entraîner au combat et à surveiller les trois croiseurs des contrebandiers. Ils étaient maintenant à plus de quatre milliards de kilomètres de la périphérie et du point de saut le plus proche lorsque Klosteran ordonna à l’IA de couper le mode furtif et d’enclencher le captage de matière noire. À la périphérie du système, leur manœuvre fut immédiatement repérée et l’un des croiseurs fit immédiatement mouvement vers l’intérieur du système. Avec dix heures de retard, il n’avait aucune chance d’atteindre le Randor avant que celui-ci n’ait transformé assez d’énergie pour réactiver son écran d’occultation. À cette période de l’année, l’orbite de la septième planète était très éloignée de Polona et ils ne craignaient donc pas de voir arriver des renforts de la base des contrebandiers. - IA, combien de jours nous reste-t-il avant le jugement du cercle ? demanda Rliostem - En journée poloniane, vous êtes restés absents huit jours et onze heures. Le jugement est donc dans deux jours. - Sertime va certainement être content de nous revoir, sourit Klosteran. - Sûr. Il doit être inquiet, car il s’est porté garant pour vous et dans la société gâalanaise, ce n’est pas à prendre à la légère. Renchérit Baliran. - Raison de plus pour nous hâter. Combien de temps faut-il pour le captage ? s'enquit Rliostem - La matière noire n’est pas présente en grande quantité, mais, en trois heures, nous disposerons de suffisamment d’énergie pour rallier Polona en mode furtif et garder une marge en cas de complication. - Très bien, dans ce cas profitons-en pour nous restaurer, car dès l’atterrissage nous nous mettrons en chemin vers Port Gâal. Klosteran préférait assurer ses arrières. Il faudrait encore une vingtaine d’heures pour atteindre Polona, ce qui laissait le temps de dormir avant l’atterrissage. Après une brève collation, les trois Ildarans allèrent se coucher chacun dans une cabine et d’après l’IA du Randor, ils arriveraient en fin de matinée, heure locale à Port Gâal. * Douze drones étaient revenus transmettre leurs données au Bellator et les douze systèmes visités ne présentaient aucune activité ni aucune planète habitable. Bella analysa les résultats des drones et repéra immédiatement l’anomalie. Quatre des drones avaient identifié une région de l’espace comportant une étoile manquante. Celle-ci était parfaitement visible depuis le Bellator, mais, sur les relevés ramenés par ces quatre drones, elle avait disparu. Il ne s’agissait pas d’une destruction naturelle comme lors d’une explosion d'une supernova, mais d’une disparition pure et simple, sans aucune trace de matière stellaire résiduelle. Les Ildarans n’avaient jamais été confrontés à un phénomène astronomique comme celui-ci. Il s’agissait justement de l’étoile vers laquelle avait été envoyé le treizième drone qui n’était pas revenu et Bella expédia cinq nouveaux drones vers ce système. Chacun des petits appareils de reconnaissance devait s’approcher de plus en plus près de l’étoile à partir d’une distance d’au moins quatre-vingts minutes-lumière. De cette manière, si le système était pourvu de plateformes de défense, le drone le plus éloigné pourrait enregistrer l’attaque et revenir avec des données exploitables. L’attente ne fut pas très longue et, moins de vingt-cinq minutes plus tard, deux drones refirent surface à moins de cinq millions de kilomètres du Bellator. Toute l’équipe attendait dans la salle tactique et la surprise fut de taille. Les deux drones rescapés signalaient la destruction des trois autres. Ils semblaient avoir heurté une barrière invisible en naviguant dans ce qui apparaissait comme un système stellaire situé à vingt et une années-lumière de leur position. Sur place, aucune donnée ne parvenait de l’intérieur de ce système et la présence même de l’étoile semblait remise en cause. À vingt et une années-lumière de ce système fantôme, l’étoile était parfaitement visible, la mise en place de cette barrière était donc postérieure à vingt et une années ildaranes. Toute l’équipe avait rejoint la salle tactique du Bellator et l’excitation y régnait. Pour la première fois de leur longue histoire, les Ildarans faisaient face à une technologie qui leur était supérieure ! - Nous sommes, de nouveau, balayés par des faisceaux de détections. - Toujours en provenance du système fantôme ? interrogea Sarian. - Non, mes senseurs indiquent une source à sept millions de kilomètres. - Un vaisseau furtif ! Boucliers au maximum, calcule immédiatement un saut quantique d’évitement et verrouille les systèmes d’armes sur la source. Lança Telius. - Je détecte dix-huit torpilles verrouillées sur le Bellator. Elles sont pourvues de boucliers Horlzson individuels. - Que tous les vaisseaux transitent en évitement. Heureusement que nous n’étions pas enfoncés dans un système ! ordonna Sarian. Sarian n’avait pas terminé sa phrase que les six vaisseaux ildarans étaient déjà à huit minutes-lumière du lieu de l’attaque. L’ennemi semblait utiliser le même type d’arme que l’Empire, bien que plus sophistiqué, car même leurs torpilles embarquées étaient protégées par un champ Horlzson. Cela sous-entendait une meilleure utilisation de l’énergie Kin et la miniaturisation des condensateurs. Par contre, protéger un système entier devait nécessiter une énergie phénoménale ! - Qu’est-ce que l’on fait maintenant ? demanda Darin - Essayons de prendre contact avec eux malgré leur hostilité. Bella, envoie un message indiquant que nous sommes un bâtiment de l’Empire d’Ildaran et que nous venons en paix. Transmit Sarian - C’est fait. Aucune réponse. - Précise que nous avons des avaries à bord et que nous avons besoin de réparer notre vaisseau amiral. Envoie l’un des croiseurs à une trentaine d’années-lumière en attente avec, comme instruction : de revenir dans trois heures, ajouta-t-il. - Tu n’as pas peur qu’ils prennent cela pour de la faiblesse et qu’ils en profitent pour nous attaquer de nouveau ? intervint Oria. - C’est une probabilité, mais, s’ils savent que l’un de nos croiseurs s’est échappé, cela sous-entend qu’il puisse revenir avec une flotte entière. Maintenant qu’ils sont découverts, ils n’ont aucun intérêt à nous détruire, sauf à vouloir déclencher une guerre avec l’Empire. Répondit Sarian, qui essayait de se convaincre que son raisonnement était le bon. - Souhaitons qu’ils raisonnent comme toi, fit Paul en regardant Mélanie qui avait foncé les sourcils, signe d’inquiétude chez l’adolescente. - Appareil étranger en émergence à vingt millions de kilomètres. Systèmes d’armes verrouillés, attente instructions - Pas de tir, nous attendons. Réitère le message de paix. Que détectes-tu de ce vaisseau Bella ? s’enquit Sarian. - C’est un appareil apparenté à nos petits croiseurs de combat, légèrement plus joufflu en son centre. On dirait le Randor en plus gros et surtout mieux équipé en système d’armes. Masse inconnue, un système de brouillage bloque tout balayage actif. - Maintiens les boucliers au maximum. Distance de combat entre les croiseurs de six millions de kilomètres. Commanda l’Ildaran. L’appareil étranger s’était immobilisé dans l’espace. - Vingt-deux navires en émergence à trente-cinq millions de kilomètres, nous sommes encerclés. Attente d'instruction. - Essai de communiquer avec ces vaisseaux en langage binaire et ouvre-moi une holocom, je vais m'adresser à eux en ildaran. Transmets-leur que l’un de nos croiseurs est reparti vers Ildaran et qu’il va prévenir notre civilisation. Puis s’adressant cette fois-ci aux appareils inconnus, Sarian reprit : étrangers, nous sommes pacifiques et n’avons aucune intention hostile envers votre civilisation. Nous sommes ici par hasard à cause d’une avarie sur notre vaisseau mère. Ici Sarian capitaine du Bellator. - J’ai relayé votre message en binaire et avec tous les langages connus. Les vingt-trois appareils ont verrouillé leurs systèmes d’armes sur le Bellator. - Paré à transiter en urgence. Cherche s’il n’y a pas d’autres appareils furtifs plus proches de nous qui pourraient nous atteindre par surprise. - À moins qu’ils ne disposent d’une autre technologie furtive, je ne détecte rien d’autre que ces vingt-trois vaisseaux. - Ils ont l’air tous identiques, nota Mélanie, qui avait les yeux rivés sur les projections holographiques reconstituées à partir des données interceptées. Cela faisait maintenant presque neuf minutes que la situation était figée. Aucun des navires inconnus ne bougeait et les vaisseaux restaient également immobiles dans l’espace, prêt à transiter en urgence pour échapper à des tirs de torpilles ou d’armes plus redoutables encore. Sarian, habituellement calme, commençait à devenir nerveux. Il savait que leur capacité de saut était ridiculement faible et qu’il serait facile aux vaisseaux inconnus de les traquer jusqu’à épuisement complet de leur énergie. - J’ai une transmission audio de l’un des vaisseaux étrangers. - Transferts-la sur l’audio générale de la passerelle. Ordonna aussitôt Sarian, l’air tendu. - Ici le capitaine de la flotte scientiste, vous avez violé notre espace, déconnectez vos écrans de protection et déverrouillez vos systèmes d’armes nous allons venir à votre bord. La voix était claire, s’exprimant en ildaran, sans aucun accent. - Ici le capitaine Sarian, commandant de cette flotte impériale. Nous sommes ravis que vous parliez l’ildaran standard. Nous ignorions votre présence dans cette région de l’espace et n’avons pas pénétré votre territoire intentionnellement. Si un représentant de votre peuple souhaite monter à bord, il est le bienvenu. Vous pouvez envoyer une navette. Proposa Sarian, rassuré par le fait que ces inconnus semblaient humains. - Vous ne m’avez pas bien compris, capitaine Sarian, nous allons monter à votre bord et prendre le contrôle de vos navires. Vous êtes nos prisonniers et ne tentez surtout rien d’irréparable. Répliqua la voix d’un ton autoritaire. - Je pense, Monsieur, que vous ne connaissez pas bien l’Empire d’Ildaran pour menacer une flotte impériale. Le Bellator est l’un de nos plus puissants bâtiments et ce ne sont pas vos modestes croiseurs qui peuvent sérieusement menacer nos vaisseaux. Mais si vous aviez l’incurie de nous attaquer, sachez que vous risquez un conflit avec Ildaran. Je vous rappelle que l’un de nos bâtiments est reparti et que l’Empire sera bientôt informé de votre existence. Rétorqua Sarian, piqué au vif par les menaces de l’inconnu. - Détrompez-vous commandant Sarian, nous connaissons parfaitement l’Empire et son niveau technologique. Ne vous fiez pas à la taille de nos appareils. Leurs capacités offensives et défensives dépassent très largement celles de votre porte-croiseurs. Je réitère donc mes instructions : abaissez votre écran et laissez apponter l’un de mes avisos. Ne nous forcez pas à ouvrir le feu sur votre navire. Il est déjà bien endommagé si j’en crois mes senseurs. Répliqua l’inconnu. - Vous n’avez aucun intérêt à déclencher un conflit avec l’Empire. Nous connaissons maintenant votre présence dans cet amas. Chercher à nous détruire n’a plus de sens, votre secret est éventé. Tenta de lui objecter Sarian. - Notre existence, mais pas qui nous sommes. Nous pouvons rester dissimulés derrière notre barrière stellaire et vous allez venir avec nous. S’obstina l’étranger. - Laissez-moi quinze minutes pour en discuter avec mes officiers. Proposa Sarian, qui avait besoin de réfléchir. - Je vous accorde dix minutes, ensuite nous ouvrirons le feu sur votre flotte. Terminé. Tous les passagers du Bellator étaient dans la salle tactique et tout le monde avait pu suivre l’échange avec le représentant de ces scientistes, comme ils se dénommaient eux-mêmes. Les avis étaient partagés sur la conduite à tenir. La majorité était favorable à l’ouverture du feu et à ne pas s’en laisser compter par ces inconnus prétentieux. Telius était indécis, arguant que ces navires pouvaient disposer de technologies offensives à la hauteur de leur bouclier stellaire et que de telles armes pourraient facilement venir à bout des défenses du Bellator, surtout endommagé comme il l’était. - Et toi Paul, qu’en penses-tu ? demanda Oria. Après tout, c’est toi le chef ici. - Je suis ravi d’avoir à trancher en ces circonstances, répondit l’adolescent d’un air ironique. Je partage l’avis de Telius sur leurs capacités technologiques. S’ils ont conçu un bouclier capable de protéger un système solaire entier, ils doivent posséder des armes très efficaces. Le Bellator est sérieusement diminué et il est bien possible que nous ne soyons pas en état de leur tenir tête. - Tu proposes que l’on se rende sans combattre, face à ces croiseurs ridicules ? s’étonna Darin. - Il existe un proverbe dans le pays où j’ai vécu qui dit : l’habit ne fait pas le moine. Cela signifie que, quel que soit l’aspect de ces croiseurs, ils peuvent être très dangereux. Qu’en penses-tu Sarian, tu n’as rien dit jusqu’ici ? répondit Paul. - Je suis de ton avis. Je ne crois pas qu’ils bluffent, ils doivent disposer de technologies que nous ne connaissons pas. Cependant, l’idée de me rendre à ces inconnus ne m’enchante guère. Soupira l’Ildaran. - C’est toujours mieux que de mourir ici, cela dit. Argua Xionnes. - Je propose de leur dire la vérité sur mon identité. Après tout, ils n’ont pas l’air d’apprécier l’Empire. Qu’est-ce qu’on risque ? proposa Paul. - Sur ce point, je ne partage pas ton avis, objecta Oria. Tant qu’ils ignorent qui tu es, nous serons considérés comme des prisonniers, point barre. S’ils étaient informés de ton identité, ils pourraient vouloir te remettre à Kera 1er sous conditions. - C’est un risque à courir, mais j’entends l’argument. Je propose que nous laissions monter leurs représentants à bord et nous jugerons ensuite de la conduite à tenir. Suggéra Paul. Après un bref conciliabule sur le sujet, Sarian trancha en faveur de la proposition de Paul et reprit contact avec les scientistes. Le Bellator déconnecta ses écrans de protection et se prépara à l’appontage d’un des navires étrangers. L’un d’entre eux se mit en mouvement vers la gigantesque sphère, en direction de l’ouverture du hangar numéro 4 qui avait contenu le Carou 4. D’après les informations visuelles du lidar à intrication, les navires étrangers étaient trente pour cent plus petits que les croiseurs impériaux, mais Bella ne parvenait pas à acquérir de données précises sur leurs masses. Le vaisseau étranger entra lentement dans la soute du Bellator et un cordon de débarquement fut raccordé à son sas. Maintenant que le vaisseau était dans la soute, les senseurs de Bella fournissaient des informations plus complètes sur l’appareil. Il y avait de très nombreuses similitudes avec les navires de l’Empire, mais ce qui surprit tout le monde fut la signature énergétique qui s’échappait de l’appareil. Elle représentait une capacité d’au moins cinq condensateurs du Bellator, parmi les plus gros produits par l’Empire. Les avoir intégrés dans un appareil aussi petit, indiquait une technologie de miniaturisation largement au-delà des capacités techniques en vigueur dans les systèmes ildarans. Il semblait donc bien que ces navires de guerre aient eu la possibilité de détruire le Bellator. Sarian s’était rendu au dock d’appontage numéro 4 avec Xionnes et Pallaron. Ils étaient tous armés, boucliers Horlzson activés. Ils allaient enfin voir leurs adversaires bien que les échanges audio les aient déjà convaincus de la nature humanoïde de ces scientistes. Ce n’était donc pas encore le jour de la découverte d’une race non humaine, dans la Voie Lactée. La porte du sas du cordon s’ouvrit sur cinq humains en combinaison grise et vert pâle. Ils ne ressemblaient pas à des militaires et étaient plutôt frêles. De taille identique aux Ildarans, Sarian se demandait bien qu’elle pouvait être cette civilisation qui avait réussi à se dissimuler aussi longtemps, avec des technologies aussi sophistiquées. Avec des navires aussi performants, comment se faisait-il qu’ils n’aient jamais croisé un navire de l’Empire ? Ou alors il n’y avait pas eu de survivant pour le raconter… Les inconnus étaient coiffés d’une casquette vert pâle sans ornement. Aucun insigne ou marque ne les distinguait qui aurait permis d’identifier un grade ou une fonction. - Bonjour commandant Sarian. Je me nomme Sorphir et je suis le chef de cette expédition. Se présenta l’homme sorti le premier du tunnel de raccordement. - Expédition ? Votre attitude fait plutôt penser à une action de guerre qu’à une expédition. Répondit sèchement Sarian. - Nous avons dû agir ainsi pour protéger notre peuple. Nous connaissons parfaitement la politique de votre empereur, Kera 1er, et tenons à rester le plus à l’écart possible de l’Empire. Répliqua le scientiste d’un ton glacial. - Vous ne risquez rien. L’Empire n’a jamais intégré de civilisation par la force. Rétorqua l'Ildaran, contrarié par l’attitude, ouvertement hostile, de l’étranger. - Pas du temps de la dynastie Verakin, mais depuis que les Seravon dirigent l'Empire, les choses évoluent ! assena le scientiste d’un ton sec. - À ma connaissance, il n’y a pas de guerre en cours ? Sarian était rendu dubitatif par les propos de Sorphir. - Allez raconter cela au système de Lorka ? Ildaran a annexé la confédération il y a deux ans après une guerre éclair qui a décimé leur flotte de combat ! S'agaça le scientiste. - Comment savez-vous cela ? s’étonna Sarian. - Parce que nous surveillons l’Empire et que nous avons observé la bataille dans le système de Lorka avec des drones furtifs. Mais vous. Où étiez-vous à cette période pour ignorer cela ? À moins que vous ne cherchiez à nous leurrer. Lança l’étranger en observant Sarian d’un regard soupçonneux. - Nous étions dans le bras spiral d’Orion sur une planète préspatiale, sans contact avec l’Empire depuis de nombreuses années. Larsen, tu étais informé de l’annexion de Lorka ? demanda Sarian en se tournant vers l’ancien contrebandier. - Non. À ma connaissance, rien n’a filtré dans la guilde. Lui répondit l’ancien garde du clan Verakin. - Vous voulez nous faire croire que l’amirauté vous aurait confié un navire de cette classe pour stationner sur une planète arriérée ? Il semble que nous ayons beaucoup de choses à nous dire, commandant. Reprit Sorphir, sourcils relevés. - En effet, je vous propose de nous rendre dans une salle plus confortable pour continuer cette conversation, proposa Sarian. - Bien, mais mes hommes vont se rendre sur le pont de navigation afin de vérifier que votre IA programme correctement une trajectoire vers notre système solaire. N’essayez pas de les neutraliser, vous découvririez que nous disposons de ressources individuelles qui dépassent votre armement. Lâcha le scientiste. Sarian ne répondit pas et indiqua aux quatre hommes la porte du réseau de transport interne. Aucun d’entre eux ne parut surpris. Ils connaissaient visiblement très bien les technologies ildaranes. Ce pouvait-il que ce soit une branche isolée de l’Empire depuis des centaines d’années ? Quatre étrangers prirent place dans un œuf disponible et Sarian ordonna à Bella de les conduire sur le pont de navigation. Au même instant, Paul, qui était resté dans la salle tactique, s’efforçait de lire dans l’esprit de ces inconnus, mais ils semblaient protégés et Oria soupçonnait qu’ils soient équipés de résilles Kries, ou d’un équivalent, car elle ne percevait pas non plus leurs schémas mentaux. Un second œuf de transport quadriplace se présenta et Sorphir monta avec Sarian, Xionnes et Pallaron. Dès qu’ils furent installés, Sorphir reçut un appel de ses hommes qui lui confirmèrent qu’ils étaient sur la passerelle et qu’ils devaient attendre que le Bellator recharge ses condensateurs pour transiter vers l’étoile scientiste. Sorphir sembla un peu contrarié par ce délai, mais ne laissa paraître aucun signe d’inquiétude. Cette décontraction perturbait Sarian, qui tentait d’estimer le potentiel militaire de ces inconnus dans leurs combinaisons grises et vertes qui paraissaient inoffensives. Le navire dans la soute était autrement plus dangereux, car il suffisait qu’il se saborde à l’intérieur du Bellator pour endommager gravement le vaisseau. Il ordonna donc à Bella de suivre les instructions des scientistes, mais en l'informant régulièrement sur la situation. Arrivé dans un salon d’apparat, Sorphir s’installa dans l’un des fauteuils et observa avec attention les installations. - Ce bâtiment n’est pas uniquement un navire de guerre. Ces installations sont trop luxueuses. Qui êtes-vous ? - Rien de plus que ce que je vous ai dit : des soldats de l’Empire. Avança Sarian, prudemment. - Nous connaissons suffisamment l’Empire pour savoir que Kera 1er n’aurait jamais confié un tel bâtiment à un simple soldat. L’un d’entre vous à bord est un dignitaire de l’Empire. Le plus simple serait que vous nous disiez la vérité, car cela pourrait compliquer votre situation. Suggéra l’étranger - Nous sommes un groupe d’exploration à la recherche de planètes humano-compatibles. Tenta encore Sarian. - Commandant, ne nous prenez pas pour des naïfs ignorants. Soupira le scientiste d’un air las. D’après nos informations il ne doit pas y avoir plus de dix porte-croiseurs de cette classe dans tout l’Empire et vous tentez de me faire croire que la marine spatiale aurait confié à un petit groupe de soldats, un puissant navire de guerre et des croiseurs de combat pour rechercher des planètes habitables ? Je pense que vous me mentez. Le plus plausible est que vous veniez tester nos défenses. La question reste donc en suspens : comment vous avez-nous trouvé ? L’homme n’avait pas élevé la voix, mais ses propos contenaient une menace à peine voilée. - Sorphir. Que vous me croyiez ou non, nous vous avons découvert par hasard. Nous avons subi de gros dommages sur nos condensateurs Verakin et avons connecté en secours ceux de quatre croiseurs. Leurs capacités limitent notre autonomie à une quinzaine d’années-lumière entre chaque saut. Vous pouvez le vérifier auprès de vos hommes qui sont sur la passerelle. Tenta d'expliquer l’Ildaran. - Cette partie est véridique, mais comment nous avez-vous détectés ? questionna Sorphir, toujours méfiant. - Nous avons capté un balayage actif venant d’un système de l’amas des Pléiades. Cela a éveillé notre curiosité et nous sommes tombés sur votre bouclier stellaire. Sorphir était visiblement très surpris que le Bellator ait pu détecter les senseurs actifs, car cela remettait en cause leur furtivité. Mais cela prouvait également qu’ils ne connaissaient pas tout sur les technologies impériales, ce qui n’était pas pour déplaire à Sarian. Paul tentait toujours de forcer les barrières psychiques de leurs visiteurs et il pensait avoir trouvé une faille dans leur protection. Il commençait à percevoir les effluves mentales de Sorphir et fut surpris de leurs similitudes avec celles des Ildarans. Le scientiste ne semblait pas avoir détecté les sondes de Paul et cela l’encouragea à poursuivre ses efforts. Mélanie se sentait complètement inutile et avait entrepris de se documenter au maximum sur l’Empire en restant dans sa cabine. Bella lui avait sélectionné des données à compulser sur son terminal holographique personnel et l’adolescente dévorait l’histoire d’Ildaran depuis sa création, plus de trois cent cinquante siècles auparavant. À part Darin et Oria, les hommes de Sarian avaient reçu comme consigne de rester dans leur cabine et de ne pas interférer sans instruction claire. Tout ce petit monde se sentait donc frustré d’être tenu à l’écart des échanges avec le scientiste, mais ils étaient tous des militaires rompus à la discipline. Dans le luxueux salon, Sorphir observait attentivement Oria qui les avait rejoints. La jeune femme avait abandonné l’espoir de contrôler le scientiste malgré sa surprise de découvrir qu’il ne portait pas de résille Kries. L’étranger avait ôté sa casquette et laissait apparaître une chevelure fournie, mais dépourvue d’ornement, qui aurait pu dissimuler un dispositif psy. Pourtant, ni Paul ni Oria n’avaient détecté d’aptitudes psy chez les cinq scientistes, mais ils pouvaient également les dissimuler. Sarian chercha à en apprendre un peu plus sur son interlocuteur, mais celui-ci resta évasif, précisant que les réponses leur seraient fournies dès qu’ils seraient dans leur système solaire. C’est à cet instant que Paul réussit à percer les défenses psychiques de Sorphir. Il eut instantanément une photographie des pensées du scientiste et fut rassuré de constater qu’il pourrait le contrôler facilement, le cas échéant. L’importance des informations tirées du bref échange mental l’incita à contacter Sarian. Celui-ci fut immédiatement réceptif à l’appel de Paul. - Paul, nous sommes en pleine négociation - Je dois vous rejoindre. Ces hommes sont des natifs d'Ildaran. - Quoi ! tu es sûr ? L’exclamation de Sarian qui savait pourtant se maîtriser alerta Darin et Oria et mit également Sorphir sur la réserve. - À cent pour cent, je peux même prendre le contrôle de ces cinq hommes si tu veux, j’ai trouvé une faille dans leurs protections psy. Ils n’utilisent pas de résilles Kries, mais le dispositif est très similaire. Affirma l’adolescent. - Ne fais rien pour le moment, viens nous rejoindre, proposa l’Ildaran - Que ce passe-t-il ? demanda très posément Sorphir malgré une légère agitation. - Rien de grave, rassurez-vous. Je viens juste d’apprendre que vous êtes des Ildarans. C’est vous qui avez beaucoup de choses à nous dire Sorphir. Sarian avait annoncé cela très calmement, mais l’homme pâlit, car, pour lui, la surprise était totale. Oria et Darin, bien que stupéfaits réussirent à ne montrer aucun signe d’étonnement. Sans rien montrer à ses interlocuteurs, Sorphir réfléchissait à toute vitesse. Comment ces militaires avaient-ils pu découvrir leur origine ? La femme était probablement une psykane, la couleur de ses yeux la rattachait d'ailleurs probablement à une branche Verakin, mais leurs protections psys étaient inattaquables. Ces Ildarans ne possédaient pas de technologies capables de scanner en profondeur les signatures humanoïdes et leurs combinaisons les protégeaient de toute inspection… Sorphir en était encore à balayer toutes les possibilités quand Paul entra nonchalamment dans le salon. - Bonjour Sorphir de la guilde des scientifiques, je m’appelle Paul. S’annonça l’adolescent - Vous êtes un Verakin ! lâcha Sorphir, dont le regard s’était fixé sur les yeux de l'adolescent. - En effet, vous êtes à bord de mon navire personnel et vous osez nous menacer. Rétorqua Paul, un rien menaçant. Ses joyaux commençaient à étinceler, ce qui attira aussitôt l’attention du scientiste. - Il semble que la situation soit trompeuse pour nous tous. Nous vous avions pris pour des émissaires de Kera 1er, mais la présence d’un héritier Verakin m’incite à penser que nos objectifs pourraient converger. Observa l’homme. - Veuillez préciser. Intervint Sarian sur la défensive. - Comme vient de le dire … Comment dois-je vous appeler ? Majesté, Sir ? continua Sorphir. - Mon nom est Ishar, répondit Paul sur un ton qui cingla comme un coup de fouet. - Bien. Comme vient de le préciser … Ishar, nous sommes en effet de la guilde des scientifiques. Nous avons pris le nom de scientistes lorsque nous nous sommes installés dans cet amas stellaire pour fuir la dictature des Seravon. Nous avions réussi jusqu’ici à échapper à toute détection. Raconta le scientifique. - Kera 1er s’en est pris à la guilde ? s’exclama Darin, surpris. C’est ainsi que le scientiste relata l’histoire de son peuple. Quelques mois après la chute des Verakin, Kera 1er avait décrété une loi mettant la guilde des scientifiques sous la tutelle directe de son oncle : Utuis Seravon. Cette décision avait naturellement déclenché un tôlé dans l’Empire, surtout dans les laboratoires de recherche, directement financés par la guilde, ainsi que dans les campus, mais cela n’avait pas stoppé Kera Seravon. Lorsque des hommes de la garde squir commencèrent à emmener des membres de la guilde sur Ildaran Prime, les scientifiques décidèrent de quitter l’espace contrôlé par l’Empire. Les dirigeants de la guilde avaient envisagé, depuis des centaines d’années, qu’un évènement de ce type puisse se produire et ils disposaient de tous les vaisseaux de transport nécessaires. - Vous aviez prévu que ma famille puisse être décimée ? lâcha sèchement Paul - Majesté, fit Sorphir en s’inclinant devant Paul. Non, nous n’avions pas anticipé la mort de votre famille, mais la possibilité d’avoir à isoler une partie de la guilde. Si nous avions pu nous douter que vous étiez encore vivant, nous vous aurions contacté bien plus tôt. En grande majorité, les scientistes sont restés fidèles aux Verakin et nous avons vécu l’assassinat de votre famille comme une infamie. Il va sans dire que vous n’êtes plus nos prisonniers. Je doute d’ailleurs que vous alliiez dévoiler notre existence à Kera Seravon, plaisanta le scientiste. - Nous ne sommes pas en très bon terme, en effet, répondit Sarian, qui commençait à se détendre. - Vous avez regroupé tous les scientifiques de l’Empire ? s’étonna Oria. - Ceux qui ont réussi à nous rejoindre, répondit Sorphir en se tournant vers la jeune Ildarane - Le niveau de recherche a dû sérieusement chuter dans l’Empire intervint Darin - Vraisemblablement, d’autant que les informations que nous obtenons de nombreuses planètes révèlent que les scientifiques qui y résident encore ne s’illustrent pas par une créativité débordante sourit le scientiste La situation prenait une autre tournure. Le hasard, mais était-ce bien le hasard avec les Al-Heoxyrians qui suivaient Paul, les avait amené à proximité de ces scientifiques de haut vol. Sarian imaginait déjà le Bellator totalement remis à neuf. - Néanmoins sans abuser de votre hospitalité, notre vaisseau a besoin de réparations importantes et nous n’avons pas la possibilité de radouber en plein espace. Il nous faudrait une orbite stationnaire et l’apport d’un port spatial qui nous simplifierait la tâche. Si vous nous autorisiez à résider quelques semaines dans votre système, nous vous en saurions reconnaissants. Ajouta Sarian - Je ne peux pas prendre seul cette décision, commandant Sarian, mais je ne doute pas de la réponse de notre collège, lui répondit Sorphir. Je propose d’envoyer une sonde messagère immédiatement, nous aurons la réponse rapidement. Nous ne sommes qu’à vingt-deux années-lumière de notre système. Une sonde fut lancée de l’un des croiseurs des scientistes et transita quelques secondes plus tard. Il ne lui faudrait qu’une heure pour recharger ses condensateurs Kin et être capable de revenir délivrer son message. Le délai nécessaire à une décision du collège des scientistes serait probablement plus important. Sans trop divulguer de secrets sur leurs installations, le scientifique leur détailla comment ils avaient pris possession d’une petite planète tellurique inhospitalière, quinze années auparavant. La plupart des centres de la guilde avaient été évacués simultanément et la garde impériale n’avait pas eu le temps de réagir. C’était près de huit cents vaisseaux de transport qui avaient rallié ce refuge. L’installation n’avait pas été simple, car la planète n’était pas humano-compatible. Elle hébergeait une petite base sous dôme, installée deux mille ans plus tôt et les scientistes s’étaient donc attelés à la construction d’habitats de grandes tailles, capables d’accueillir les cinq-millions de scientifiques et leurs familles. La population comptait maintenant un peu plus de vingt-cinq millions de personnes, car, à la suite de la première vague, d’autres scientifiques les avaient rejoints pour échapper, eux aussi, aux Seravon. Il n’avait pas toujours été simple d’exfiltrer des populations sous surveillance, mais les scientistes avaient considérablement amélioré les technologies en usage dans l’Empire, notamment la furtivité. La motivation avait été déterminante dans leurs recherches, car tous les habitants de Kriavia savaient qu’inévitablement l’Empire finirait par les découvrir et qu’il leur faudrait combattre les flottes de guerre d’Ildaran. L’une des premières innovations avait été le bouclier stellaire censé interdire à tout appareil l’entrée dans leur système. Pour le réaliser, il avait fallu améliorer considérablement le rendement des condensateurs Verakin afin de gérer l’énergie nécessaire au déploiement d’un réseau de défense à l’échelle d’un système solaire. Mais lorsque l’on dispose de plus de dix millions de scientifiques de haut niveau, tous focalisés sur un objectif : leur survie, les travaux avancent plus rapidement. Quatre ans après leur installation massive, le premier bouclier fut déployé autour de la planète, dix-sept mois plus tard le bouclier définitif fut mis en place à deux cent soixante-dix minutes-lumière de l’étoile. Deux mille cinq cents plateformes mobiles, déployées comme un réseau en toile d’araignée, assuraient le fonctionnement du champ de force. Dans le même temps, de nouveaux systèmes d’armes furent améliorés, tant sur le plan défensif qu’offensif. La recherche n’avait jamais autant progressé depuis des milliers d’années dans la société ildarane, habituée à la stabilité. Les habitats furent également considérablement agrandis. Plus du dixième de la surface de la planète était maintenant recouvert de dômes énergétiques. Des zones, de plusieurs centaines de milliers hectares, avaient ainsi été rendues humano-compatibles et des animaux y avaient été introduits, venant de plusieurs écosystèmes des planètes de l’Empire et des mondes extérieurs. Kriavia était maintenant un petit paradis. Artificiel, certes, mais très agréable à vivre. Le nom de Kriavia signifiait liberté retrouvée en Ildaran ancien et les premiers colons avaient trouvé ce nom parfaitement approprié. Durant les premières années, les scientistes avaient vécu dans la crainte permanente d’être retrouvés par les forces spéciales de Kera Seravon et avaient limité, au maximum, les contacts avec les planètes impériales. Puis, peu à peu, la population avait repris confiance à l’abri derrière le bouclier stellaire et ils avaient commencé à envoyer des drones furtifs pour glaner des informations dans les principaux systèmes solaires gouvernés par Ildaran et dans le système mère. Le conseil avait ensuite constitué une équipe dédiée chargée de l'exfiltration de nouveaux scientifiques. Celle-ci avait initié de multiples contacts avec de nombreux scientifiques ayant échappé aux rafles des Seravon, car considérés comme de moindres valeurs. Par deux fois, des vaisseaux impériaux s’étaient approchés à moins de cent années-lumière de Kriavia, mais aucun d’eux n’avait repéré le refuge et le Bellator était le premier bâtiment à avoir détecté les faisceaux de surveillance. L’Empire disposait visiblement de nouveaux senseurs, ce qui corroborait la destruction récente de plusieurs drones furtifs dans le système d’Ildaran Prime. La sécurité de scientistes semblait à nouveau compromise. Sorphir se grisait de son récit et s’enflammait de partager ces informations avec l’héritier Verakin. Il voulut savoir comment Paul avait échappé à Kera et fut particulièrement intéressé par les informations sur la furtivité du Randor. Plusieurs savants avaient eu connaissance de ce vaisseau par d’anciens membres de l’équipe qui avaient conçu l’appareil. Malheureusement, les principaux membres, initiateurs du projet, avaient été tués dans l’assaut d’un centre de recherche qui avait mal tourné. Quelques assistants étaient en dehors du centre, à ce moment-là, et seule une partie de la technologie avait pu être préservée. C’est cette technologie furtive qui équipait actuellement les navires scientistes, mais elle venait d’avouer ses limites face aux nouveaux détecteurs équipant le Bellator. Sorphir assura que les scientistes seraient très désireux d’étudier le Randor, car il n’avait aucun doute en leurs capacités de pouvoir reproduire la furtivité du petit aviso. Sarian se voyait déjà disposer de la furtivité sur le Bellator et ses croiseurs d’attaques. Les sujets de conversations s’enchaînaient successivement sur les échanges de technologies et le récit de la fuite de Paul jusqu’au système de Kriavia lorsque Bella annonça que les condensateurs Verakin étaient suffisamment rechargés pour un saut de douze années-lumière. Les croiseurs étaient tous rentrés à bord et le Bellator put transiter en direction du système de Kriavia. Immédiatement suivi pas les appareils scientistes. Bella avait laissé une sonde de communication à destination du vaisseau programmé pour revenir, afin qu’il les rejoigne dès connaissance du message. Dès l’émergence dans l’espace einsteinien, les navires activèrent leurs puissants détecteurs afin de vérifier qu’aucun intrus n’avait détecté l’énorme ébranlement de la structure de l’espace provoqué par la transition du Bellator. Les vaisseaux scientistes avaient émergé en mode furtif et leurs systèmes de compensation avaient absorbé le choc gravitationnel provoqué par la translation de leurs dizaines de milliers de tonnes. Ce saut confirmait que c’était bien leur système de camouflage dans l’espace normal qui était faillible, car si le Bellator captait les signatures déformées, caractéristiques, de déplacements par poussée gravitiques, il n’avait pas enregistré les ébranlements résultants du saut quantique. Si en vision normale les navires restaient invisibles, Bella parvenait à les repérer, malgré un flou important, grâce à ses détecteurs récents. Après une correction par imagerie électronique, il était ainsi possible d’identifier ces signatures énergétiques comme des vaisseaux spatiaux. Sorphir fut impressionné par les résultats obtenus par Bella et cela renforça son intérêt de pouvoir étudier rapidement le Randor afin d’améliorer leurs systèmes de furtivité. Il fallait maintenant attendre, de nouveau, que les filets de captage du Bellator alimentent les condensateurs Verakin pour transiter sur les dix années-lumière restantes. Le dernier croiseur du Bellator émergea à six millions de kilomètres du vaisseau mère et apponta dans la foulée dans l’énorme sphère de combat. Sarian eut une pensée fugitive sur leur situation et espéra que les scientistes seraient de bonne foi, car, s’ils décidaient de détruire leur navire, il n’y aurait plus aucune trace de leur passage dans cette région de l'espace. * Pendant ce temps, le Randor avait atteint l’orbite de Polona et amorçait sa descente vers la cote longeant Port Gâal. Les réserves d’énergie Kin étaient au plus bas, mais Klosteran avait privilégié un retour rapide vers la planète. Il comptait sur l’arrivée prochaine du Bellator pour recharger, ultérieurement, ses condensateurs en toute sécurité, car la priorité du moment était de rallier la capitale gâalanaise pour le jugement du cercle. L’appareil furtif se glissa très lentement dans l’océan, à quelques kilomètres de la côte, afin de ne provoquer aucun remous qui aurait pu alerter d’éventuels senseurs orbitaux. Le vaisseau à peine posé et stabilisé sur le fond, à près de huit cents mètres de profondeur, les trois passagers s’éjectèrent par un sas. Ils avaient revêtu leurs boucliers individuels qui assuraient une étanchéité parfaite et les protégeaient de l’énorme pression de l’eau et des problèmes de décompression. Ils remontèrent lentement à quelques mètres de la surface et rallièrent la côte à l’aide de petits propulseurs à impulsion dirigée. Sous plusieurs mètres d’eau, la probabilité d’être repéré par un drone de surveillance était quasi nulle, mais ils terminèrent néanmoins leur progression à la nage, dès la cote en vue, afin de ne prendre aucun risque. Ils étaient à environ trente kilomètres de Port Gâal et, bien que le soleil se soit levé depuis plusieurs heures, il n’y avait aucun voyageur sur la grande route longeant l’océan. Ils apprendraient, plus tard, que les raids de pillards avaient considérablement réduit le trafic commercial dans la région. Ils allaient devoir parcourir la distance jusqu’à Port Gâal à pied, mais cela ne représentait pas un gros effort pour trois Ildarans améliorés aux Nanocrytes de combat et, dès qu’ils eurent posé le pied sur la terre ferme, ils prirent la direction du nord en petite foulée. Baliran était le seul des trois à avoir déjà combattu sur des planètes extérieures et à avoir l’expérience d’une civilisation préspatiale. Il prit donc la tête du groupe, tous les sens en éveil. Les trois hommes ne pouvaient plus compter sur l’aide de l’IA du bord, car, par précaution, ils avaient refusé l’assistance de drones de surveillance. Il y avait trop de risques que les contrebandiers surveillent la région après avoir été deux fois bernés par le Randor. Ils avaient amerri en début de matinée et, avec un peu de chance, atteindraient Port Gâal pour le déjeuner. Klosteran regarda les données projetées sur ses neurorécepteurs et constata qu’il courait à 13,3 kilomètres à l’heure. Ils longeaient des friches non cultivées et les plantes étaient hautes à cette saison. Le soleil avait commencé à chauffer l’herbe qui dégageait une odeur épicée plutôt plaisante qui tranchait avec l’air artificiel d’un vaisseau spatial. De nombreux sillons étaient visibles, laissant imaginer que des animaux de grandes tailles ou des groupes humains traversaient régulièrement cette lande désolée. Rliostem se souvenait de l’attaque contre le convoi de Sertime et restait sur le qui-vive, car le terrain était propice aux embuscades. En effet, ils n’avaient pas parcouru plus de quatre kilomètres qu’ils découvrirent une caravane pillée et partiellement incendiée. Il y avait plusieurs chariots renversés et d’autres qui fumaient encore. Le lieu de l’attaque était situé dans une cuvette et les chariots n’avaient pas pu s’échapper, freinés par la déclivité. L’endroit avait été judicieusement choisi, car, outre la déclivité, il y avait, de part et d’autre du chemin, de nombreuses caches pour se dissimuler et quelques arbres offrant des positions idéales pour des archers. Le guet-apens devait remonter à la nuit précédente et ils aperçurent plusieurs hommes morts, mais aucun blessé ni aucune femme. Le parfum âcre de la fumée était encore irritant et se mêlait aux odeurs de sang séché. - Ils ont été pris par surprise, car il n’y a pas beaucoup de traces de combat. Observa Baliran. - C’est visiblement courant ce type de pillage, nous avons été témoins d’une attaque lors de notre première arrivée ici. Ajouta Klosteran. - Lors de notre arrivée dans la région, avec Larsen, il n’y avait pas de hors-la-loi aussi près de Port Gâal, mais, depuis que le roi est affaibli, les pillards se sont rapprochés. Répondit Baliran. Ils deviennent de plus en plus audacieux. Pour en avoir affronté, certains sont de bons combattants, ce ne sont plus de vulgaires détrousseurs de grands chemins. S’ils sont encore à proximité, nous devons être prudents. - Je ne pense pas qu’ils soient de taille à nous affronter, mais ce serait gênant de devoir utiliser nos pulseurs, acquiesça Klosteran. - C’est étrange, pour des pillards, ils ont laissé de nombreuses armes et marchandises sur place, constata Rliostem. - Oui tu as raison, cela ne ressemble pas à des bandits d’attaquer une caravane et de laisser des objets qui ont une valeur marchande. Tenez, ceci est une lame de Damiusin, un village réputé pour la qualité de ses forges. Ici encore il y a des traces de tissus brûlés. Non décidément cela ne correspond pas à des méthodes de pillards. Compléta Baliran. - Cela ressemble plutôt à une action militaire cherchant à couper le ravitaillement de Port Gâal. Nota Klosteran qui avait fait le tour des chariots. - Toi, tu penses aux Tâardian, sourit Rliostem. - D’après Sertime, ils visent le trône non ? Quoi de mieux pour affaiblir un peu plus le roi Mâaspec. Lui répondit son ami. - Allons, filons d’ici, l’odeur est insupportable. Proposa Baliran. Ils reprirent leur progression à un rythme soutenu, car il restait encore plus de vingt-cinq kilomètres à parcourir et ils estimaient qu’il leur faudrait encore deux bonnes heures. Après une heure de course, Klosteran proposa de réduire un peu l’allure afin de ne pas risquer de tomber tête baissée dans une embuscade. Ils s’approchaient de la capitale et croisèrent quelques habitations et des champs cultivés, mais aucune trace humaine. Soit les habitants avaient fui, soit ils étaient loin de la route. Baliran confirma que cette partie du royaume était d’ordinaire plus active, surtout en cette saison de semence. Cette absence de présence avait quelque chose d’un peu inquiétant. À peine deux kilomètres plus loin, la route côtière était barrée par deux arbres couchés en travers et un homme semblait coincé sous les branches. Rendu méfiant par leurs précédentes expériences, Rliostem s’approcha lentement couvert par Baliran et Klosteran qui s’étaient déportés chacun d’un côté de la route et avaient dégainé leurs épées. Un Gâalanais n’aurait rien pu distinguer, tant les agresseurs étaient bien dissimulés, mais les Nanocrytes de combat amplifiaient le spectre visuel de leurs porteurs et, en vision infrarouge, les tâches de chaleur étaient sans équivoque. Il y avait environ trente soudards qui les entouraient, de part et d’autre de la route. Si les gâalanais n’avaient pas encore inventé l’arbalète, ils disposaient d’arcs très efficaces et savaient très bien s’en servir. Les trois Ildarans se préparèrent donc à essuyer plusieurs flèches si leurs détrousseurs découvraient qu’ils avaient été repérés. Ils firent donc mine de secourir l’homme bloqué sous les branches et, profitant de ce répit, étudièrent soigneusement les positions de leurs adversaires. Ils étaient vingt-neuf cela faisait presque à dix contre un. Sans les archers, cela n’aurait pas posé pas trop de problèmes à des hommes capables d’évoluer 1,8 fois plus vite, mais il y avait au moins cinq larrons qui avaient encoché leurs flèches. Klosteran minuta donc soigneusement l’opération et transmit, à l’aide de ses Nanocrytes de communication, l’ordre d’attaque. Ils plongèrent simultanément dans une chute avant parfaitement contrôlée, sortant chacun, d’un mouvement souple, une paire de couteaux de combat. Leurs adversaires n’avaient pas encore réalisé la situation que trois couteaux étaient déjà fichés dans les poitrines des archers les plus proches. Les deux autres reçurent une lame alors qu’ils étaient encore en train de bander leurs arcs. Les attaquants avaient vite réagi et s’étaient jetés sur les trois Ildarans. Mal leur en prit, car les lames de corodrium devinrent des faux mortelles. Les agresseurs étaient visiblement des professionnels, car, malgré la perte de la moitié de leur groupe en moins de quinze secondes, ils revinrent concentrés à l’attaque, tentant d’encercler ces redoutables bretteurs. Ils avançaient avec beaucoup plus de prudence, car ils avaient vu de quoi étaient capables ces étrangers. Le chef de la bande leur proposa de se rendre, mais Klosteran ne lui laissa même pas terminer sa phrase. L’homme avait relâché son attention, pendant une demi-seconde, pensant parlementer, mais les Ildarans plongèrent dans la mêlée et tuèrent trois hommes de plus. Les survivants n’insistèrent pas et prirent la fuite. La mort de leur chef avait dû calmer leurs ardeurs, car, même à sept contre trois, ils ne demandèrent pas leur reste et les Ildarans renoncèrent à les poursuivre. Ils n’avaient pas eu à utiliser d’armes modernes et les survivants ne pourraient que raconter qu’ils avaient affronté des hommes diablement habiles et rapides au sabre, mais rien de plus. - Ils sont fichtrement bien équipés. Regardez : des épées bien entretenues et des vêtements en bon état. Il ne s’agit pas d’une bande de pillards désœuvrés, mais d’un groupe organisé et formé au combat. Fit remarquer Baliran. Cela ne correspond pas aux brigands que l’on trouve d’ordinaire sur les routes du royaume. - Cela confirme nos soupçons sur les Tâardian. Ce sont à l’évidence des soldats professionnels. Dommage que nous n’ayons pas pu en capturer un. Regretta Rliostem. - Filons, il est probable qu’il y en ait d’autres et nous risquons de tomber sur le reste de la troupe. Nous devons rejoindre Sertime au plus vite. Lui saura quoi faire de ces informations. Trancha Klosteran. Ils reprirent leur course et, durant les dix kilomètres qui leur restaient pour atteindre la ville, ils découvrirent deux autres caravanes pillées. Ils se présentèrent à la porte sud de Port Gâal, mais, contrairement à leur dernière visite, celle-ci était fermée. On les héla depuis le haut de la muraille extérieure sous la menace de quatre archers. - Nous sommes des hommes du prince Sertime, il nous attend. Cria Klosteran, n’ayant pas envie de se faire cibler de flèches par erreur. - Vous voyagez à pied ? Les invectiva, soupçonneux, le chef des gardes. - Oui. Nous avons été attaqués et nos agresseurs ont fait fuir nos okorox, nous sommes parvenus à nous échapper. S’égosilla Baliran. - Vous avez eu de la chance d'en réchapper. On a eu beaucoup d’attaques dans la région, les caravanes ne veulent plus passer par la ville. Le dernier ravitaillement date de six jours et il était sous la protection de cinquante soldats royaux. Leur répondit le garde, toujours méfiant. - Nous avons vu de nombreuses caravanes détruites en venant et nous avons tué plusieurs de nos assaillants. Cria Rliostem. - Entrez, mais vous allez devoir attendre que l’on vérifie vos identités auprès du prince Sertime, car nous craignons l’intrusion d’espions et nous avons des consignes très strictes du roi. Vous devrez également me remettre vos armes en patientant. Beugla le garde alors que la grande porte s’entrouvrait. Les trois Ildarans se plièrent, de bon gré, aux exigences de la garde. Il était inutile de provoquer un incident. L’un des hommes partit en direction du palais de Sertime et Klosteran en profita pour questionner les trois autres. Cependant, devant leur méfiance affichée, l’Ildaran préféra finir de patienter en silence. La rue principale était déserte malgré l’heure et Baliran se décala légèrement afin d’avoir une vue directe sur la place du marché, deux cents mètres à l’intérieur de la ville. Habituellement, celle-ci était animée par des marchands et amuseurs de toutes sortes. Aujourd’hui, elle était pratiquement déserte et seuls quelques passants traversaient l’étendue vide d’un pas vif. Il semblait que la situation ait évalué rapidement depuis leur départ : ce n’était pas une ville en état de siège, mais l’on ressentait une situation extrêmement tendue. La plupart des volets étaient fermés, laissant penser que des habitants avaient déjà fui la ville ou qu’ils s’étaient barricadés chez eux. L’attente ne fut pas très longue. Il était l’heure de la demi-journée à Port Gâal et Sertime devait être dans son palais pour le déjeuner, car il arriva avec huit de ses gardes, en moins de trente minutes. Ils avaient amené trois okorox supplémentaires et Klosteran songeait qu’ils allaient enfin pouvoir se reposer un peu. Sertime confirma immédiatement l’identité des trois Ildarans et le chef des gardes leur rendit leurs armes avec respect, impressionné que le prince se fût déplacé en personne. Klosteran le remercia et le complimenta pour sa prudence. Visiblement, l’homme était soulagé de ne pas avoir contrarié un important personnage. - Allons, rentrons au palais, c’est l’heure du déjeuner, vous avez certainement d’importantes histoires à me raconter. Lança Sertime en talonnant son okorox qui partit au petit trot, dans la rue principale de Port Gâal. Ses gardes lui emboîtèrent le pas et les trois Ildarans montèrent rapidement en selle afin de ne pas se laisser distancer. Rliostem retrouvait la ville telle qu’ils l’avaient laissé quelques jours plus tôt et, malgré le peu de monde dans les rues, il appréciait toujours cette ambiance médiévale. En traversant certaines ruelles, des odeurs mélangées lui rappelèrent d’autres planètes sur lesquelles il était intervenu sous les ordres de l’empereur Verakin. Un moment de nostalgie le traversa, mais Sertime s’engouffrait déjà sous le large porche de son palais et il se hâta à sa suite. De nombreux hommes attendaient dans la cour de la demeure et se précipitèrent pour prendre en charge les okorox et les ramener dans leurs box. Le marchand pénétra dans sa vaste maison sans s’arrêter en lâchant un simple suivez-moi. Il était visiblement mécontent d’avoir attendu sans nouvelle jusqu’à la veille du jour du jugement et l’affichait ouvertement. Il n’était pas homme à se laisser imposer sa conduite et la situation dans laquelle il s’était retrouvé l’avait rendu irascible. * Chapitre 40 Les appareils scientistes attendaient les instructions du collège et Sorphir doutait que les dirigeants de Kriavia autorisent le Bellator à approcher de la planète mère, mais il voulait des consignes précises. En lui-même, le système de Kriavia était peu intéressant. Il comportait quatre planètes et aucune n’était humano-compatible. De plus, il n’y avait aucune présence de minerais précieux. Les scientistes avaient choisi volontairement ce système, car il n’attirait pas l’attention, en effet, depuis la création, deux mille ans plus tôt, de la première base, aucun vaisseau n’avait approché le système à moins de cinquante années-lumière. Des équipes de recherche avaient prospecté dans un rayon de cent années-lumière à l’intérieur de l’amas des Pléiades et avaient découvert plusieurs sources de minerai de corodrium, c’est ainsi qu’ils avaient pu construire leurs vaisseaux de combat. Ceux-ci auraient été incapables de soutenir la comparaison avec les flottes de guerre d’Ildaran, mais étaient suffisamment puissants pour repousser une puissance régionale, même bien armée. Mélanie et Paul étaient totalement excités à l’idée de poser le pied, pour la première fois, sur une planète étrangère. Ils écoutaient distraitement les échanges entre Sorphir et les Ildarans présents dans le salon, mais leurs yeux étaient rivés sur les projections holographiques qui reproduisaient l’espace sur des dizaines d’années-lumière aux alentours. Les deux heures d’attentes nécessaires au rechargement des condensateurs leur parurent une éternité et, quand Bella annonça enfin qu’il s’apprêtait à transiter, ils ne tenaient plus en place. La sonde messagère revint avec des instructions pour Sorphir. - Comme je le pensais, le collège souhaite que votre bâtiment reste en orbite de la quatrième planète. Nous vous prendrons à bord de l’une de nos navettes pour vous accompagner sur notre planète capitale. Annonça celui-ci. - Nous comprenons cette position. Si vous n’y voyez pas inconvénient, une partie de mon équipage restera à bord. Répondit Sarian, alors que le Bellator émergeait au large du système de Kriavia. Malgré ses puissants senseurs actifs, Bella ne détectait pas l’étoile. Mais comme avec les vaisseaux scientistes, l’anomalie gravitationnelle du système restait très légèrement perceptible. La distance était probablement trop grande jusqu’aux planètes pour que les senseurs du Bellator parviennent à collecter d’autres informations utiles. Sorphir leur transmit des données de navigation et le Bellator suivit les trois vaisseaux qui le précédaient. Pendant ce temps, la conversation se poursuivait. - Je vous comprends, Sarian, nous avons besoin de temps pour apprendre à nous faire confiance. Qui proposez-vous pour rencontrer notre collège ? s’enquit Sorphir. - Trois de mes hommes et moi-même. Lui répondit l’Ildaran, sans hésitation. - Il va être difficile de faire accepter qu’un Verakin soit encore en vie s’il ne vient pas avec vous. Laissa entendre le scientiste, déçu par la proposition de Sarian - Je comprends votre déception, mais Ishar est unique et il catalyse trop d’enjeux. Sa sécurité est vitale et je ne sais pas ce que pourraient imaginer vos dirigeants… Objecta Sarian, un ton sans appel. - Sarian, ne crois-tu pas que cette décision me revienne ? intervint Paul avec beaucoup de diplomatie, afin de ne pas le froisser. La remarque du garçon jeta un froid dans la pièce. Sarian ne pouvait pas s’opposer à son empereur et Oria se fit toute petite, prise d’une envie de rire. - Le jeune Verakin a du caractère, concéda Sarian, mais sa sécurité dépend de nous et je ne possède pas assez d’information sur Kriavia. Répondit rapidement l’Ildaran, afin de couper l’herbe sous le pied de Sorphir qui s’appétait déjà à renchérir. - Cette responsabilité t’honore Sarian, mais, une fois encore, je suis seul juge de mon avenir et j’ai décidé de rencontrer le collège des scientistes. Je suis persuadé que tu sauras assurer ma sécurité à terre. Paul se tourna vers le scientiste Sorphir mes conditions sont simples : tous mes hommes devront restés armés et avec tout notre équipement de combat. Jusqu’ici, Paul s’était totalement laissé guider par Sarian, mais il venait, à cet instant, d’affirmer sa position d’héritier de l’Empire. Et pour sa première prise d’autorité, Paul s’en était remarquablement bien sorti, à tel point qu’Oria faillit laisser apparaître un sourire admiratif. De son côté, Darin buvait du petit lait : Paul semblait avoir réussi à obliger les scientistes à les laisser atterrir avec leur armement, car ils ne pouvaient pas exiger une confiance unilatérale. L’Ildaran songeait que les facultés de Paul, totalement inconnues des scientistes, pourraient également les aider à mieux comprendre ce peuple et améliorer les négociations. - Je reçois une communication de Kriavia pour Sorphir. Les alerta l’IA. - Transmets-la sur l’holocom du salon, Bella. Ordonna Sarian. À moins que vous ne souhaitiez vous isoler, Sorphir. - Non, merci, Sarian. Je pense que ces informations vous concernent sinon le collège m’aurait contacté sur mon communicateur personnel. Tu peux transmettre Bella. Cela me fait drôle d’interagir avec une IA par un prénom. Sourit le scientifique. La projection holographique apparut au centre de la pièce et tous découvrirent la salle du collège. Un individu habillé sobrement, sans signe distinctif, était assis au centre. Il se leva pour saluer les Ildarans et son regard s’attarda tout particulièrement sur Paul. - Salutation de Kriavia. Je me nomme Quirtan et occupe provisoirement le rôle de porte-parole du collège. Pardonnez cette interruption, mais nos senseurs-espions, placés dans le système d’Ildaran, ont d’enregistré l’appareillage d’une flotte de cent dix croiseurs de combat, il y a maintenant cinquante heures. D’après les ébranlements de structure, le saut quantique était d’au moins quatre cents années-lumière. On peut supposer que la destination finale est située au-delà des frontières de l’Empire. Êtes-vous certain de ne pas avoir été découvert ? Ce serait fâcheux que vous ayez amené les impériaux ici. - Salutation aux scientistes, répondit Paul suffisamment rapidement pour que Sarian n’ait pas le temps d’intervenir. Décidément, il s’affirme, pensa Oria. Nous allons avoir des moments difficiles. - Les impériaux n’ont pas pu nous suivre, Quirtan. À moins qu’ils ne disposent de technologies inconnues et non installées sur ce vaisseau. Il est plus vraisemblable qu’ils se rendent à notre dernier point de contact. Ils doivent être informés que notre navire est endommagé et que nous ne pouvons pas transiter sur de longues distances. Ils vont probablement explorer toutes les étoiles depuis le système d’Epsilon Eridani en direction du centre de la Voie Lactée. La vraie question est de savoir si votre système peut rester dissimulé à cette flotte de recherche. Reprit Paul. - Nous ne risquons rien dans le système de Kriavia, mais s’ils sont équipés de détecteurs, nouveau modèle, comme ceux de votre bâtiment, nos vaisseaux, à l’extérieur, pourraient être repérés. Je vais ordonner immédiatement que tous nos navires reviennent dans notre système. Aurons-nous le plaisir de vous voir sur notre sol, majesté ? s’enquit Quirtan. - Vous aurez, Quirtan, vous aurez. Nous en discutions justement avec Sorphir. Je crois qu’il reste quelques détails à régler, mais rien d’insurmontable, j’en suis persuadé. Ajouta Paul en se tournant vers le scientiste, situé à sa gauche. - J’en suis ravi. Je vais préparer votre arrivée et faire mettre en place quelques mesures de sécurité. Répondit le porte-parole du collège. - L’empereur légitime court-il des risques à débarquer sur votre planète ? intervint négligemment Sarian, vite remis de sa surprise de voir Paul prendre les commandes. Je crois comprendre que l’opinion de votre population est plutôt défavorable aux Seravon. - En effet, nous sommes hostiles aux Seravon, mais cela ne signifie pas que nous souhaitions tous revenir au sein de l’Empire, même dirigé par un Verakin… Certains d’entre nous se sont habitués à l’indépendance et voir débarquer sur notre sol un héritier impérial, revenu du néant, pourrait aiguiser quelques craintes. Inutile de prendre des risques, ne trouvez-vous pas ? répliqua, très diplomatiquement, le porte-parole du collège scientiste. - Vous avez raison et c’est pourquoi j’ai expressément précisé à Sorphir que tous mes hommes devront rester armés. J’ai la responsabilité d’Ishar Verakin et il ne mettra pas les pieds sur votre planète si je n’ai pas l’assurance de pouvoir le protéger. Exigea Sarian. - Je comprends parfaitement votre position, capitaine Sarian. Soupira Quirtan en baissant la tête, l’air embarrassé. Malheureusement, notre législation est formelle : aucun civil sur Kriavia n’a le droit de porter une arme. Nous sommes tous des scientifiques et cet article de loi fait partie intégrante de notre constitution. Je ne peux rien y changer. Je vous assure que nous allons vous attribuer nos meilleurs éléments en qui j’ai toute confiance - Mais nous ne sommes pas des civils. Nous sommes des diplomates ! Objecta Sarian. - Le cas ne s’est jamais présenté, vous vous en doutez, mais il a été prévu et même les représentations diplomatiques n’ont pas le droit d’être armées sur Kriavia. Je crains que vous ne deviez vous résoudre à venir sans armes. Rétorqua le scientiste, l’air navré. La situation semblait bloquée, car Sarian refusait catégoriquement de débarquer sur une planète inconnue sans pouvoir assure lui-même la protection d'Ishar. De son côté, Quirtan était contraint par les lois de sa constitution. Paul prit donc la décision de céder et indiqua que la délégation Verakin descendrait sans armes, mais en costume officiel. Sarian, sans connaître de costume officiel à Paul, fulminait, mais il ne pouvait pas s’opposer ouvertement à son empereur, surtout devant d’autres personnes, sans remettre en cause son allégeance aux Verakin. La communication fut coupée et Sarian, furieux, apostropha immédiatement le garçon, malgré la présence de Sorphir. - Si tu mets sans arrêt ma parole en doute, il est préférable que tu me retires mes attributions. Lança-t-il vexé. - Voyons Sarian. Il ne servait à rien de s’entêter. Ils n’auraient pas cédé et nous avons un impérieux besoin de condensateurs neufs. Sans compter toutes les nouvelles technologies qui pourraient être installées sur le Bellator. Puis Paul ajouta discrètement, à l’insu du scientiste : j’ai accepté que nous ne portions pas d’armes cela ne signifie pas que nous viendrons sans moyens de défense. Je décrète ce jour que les uniformes de ma nouvelle garde comporteront des poignards d’apparats en Arkrit. Avec des boucliers Horlzson, nous ne serons pas totalement démunis. Sarian esquissa un sourire et apprécia le petit tour de Paul, joué à Quirtan. Le jeune homme apprenait vite… La petite flotte s’approchait de la barrière stellaire entourant le système de Kriavia et une ouverture, de trois kilomètres de diamètre, apparue devant le navire de tête. Deux cent mille kilomètres en arrière, le Bellator suivi le vaisseau scientiste et traversa, à son tour, la limite de protection. Lorsque le dernier croiseur eut traversé, la barrière se reforma. Les senseurs de Bella laissaient apparaître un léger scintillement, mais les étoiles restaient visibles. Le bouclier stellaire laissait donc passer la lumière dans un seul sens. Les Ildarans étaient impressionnés par cette technologie capable d’ériger un champ énergétique englobant tout un système solaire. L’énergie nécessaire à son fonctionnement devait être colossale. D’où provenait-elle ? L’isolement des scientistes leur avait visiblement fait faire un bond technologique considérable. Maintenant qu’ils étaient à l’intérieur du système, les senseurs du Bellator détectaient la présence des quatre planètes. Kriavia était la seconde. La plus proche du soleil était une petite planète gazeuse, de la taille de mars, comparable à Venus. Les trois autres étaient des planètes telluriques. La troisième planète était recouverte de glace et avait dû être plus chaude dans le passé, lorsque l’étoile était plus jeune. Sarian pensa qu’il serait intéressant de vérifier s’il n’y avait pas quelques traces de vie fossilisée. Malgré la distance, les senseurs du bord enregistraient une température au sol de -143 degrés Celsius sur la face éclairée et de -216 degrés sur la face sombre. Sorphir demanda à Sarian de suivre un cap vers la quatrième planète. Il semblait que ce soit le point de rassemblement de la flotte locale, car Bella détectait plusieurs ports spatiaux et un intense trafic orbital. Bella suivit les données communiquées par Sorphir et le Bellator se vit attribuer un vecteur de vol menant à une énorme base orbitale où étaient amarrés cinq croiseurs de combat, une vingtaine de vaisseaux civils ainsi qu’une multitude de petites navettes. Malgré la distance de 2,2 milliards de kilomètres, les détecteurs du Bellator permettaient de distinguer parfaitement leur destination. Il s’agissait d’une énorme sphère de dix kilomètres de diamètre avec, à son équateur, un demi-anneau l’entourant comme une ceinture arrondie. Accrochés, à cet anneau, comme de gigantesques épines épointées, il y avait dix excroissances en forme de flèches de huit cents mètres de long. Sur cinq de ces flèches étaient amarrés des navires spatiaux, cinq par flèche. Il y avait vingt-cinq autres emplacements disponibles, laissant penser que cette base pouvait accueillir simultanément jusqu’à cinquante appareils. - Il s’agit de notre base spatiale principale. Précisa Sorphir. Notre flotte est petite, mais, comme nous misons sur la furtivité de notre système, nous n’avons pas besoin de grosses capacités militaires. Cette station regroupe le commandement de la flotte et est utilisée également par les navires civils. De nombreuses familles de navigants vivent ici. - J’ai une communication entrante qui me transmet des précisions sur le débarquement. Le commandant de la base souhaite également vous parler. Le coupa Bella. Bien que le vaisseau soit encore très éloigné de leur lieu d’amarrage, les autorités de la quatrième planète semblaient impatientes de prendre langue avec l’héritier Verakin. La représentation holographique d’un Ildaran apparut. L’homme était brun aux yeux verts, cheveux mi-longs. Sarian songea qu'il était probablement originaire des planètes Urtiana ou Hertocha. Il était vêtu d’un uniforme vert pâle qui semblait être la couleur officielle de la république de Scienty. Son allure était typiquement militaire et détonnait largement avec le style très policé de Sorphir. Il plut immédiatement à Sarian. - Bonjour et bienvenue dans le système de Kriavia. Je suis le commandant Livion et je serai ravi d’accueillir l’empereur à bord de notre cité orbitale. Comme vous devez vous en douter, les docks d’appontement n’ont pas été conçus pour accueillir un bâtiment aussi important que le vôtre, mais nous avons prévu de l’arrimer avec des grappins gravitiques. Un cordon de débarquement sera relié à votre vaisseau afin de vous permettre de prendre pied sur la station, sans avoir à sortir dans l’espace. Je vous attendrai personnellement sur le dock. - Bonjour, commandant Livion. Je suis le commandant Sarian, en charge de la sécurité de l’empereur Verakin. Nous serons à l’approche de votre station dans cinq heures. Je suis heureux de vous rencontrer et je compte sur vous pour prendre en charge la protection de l’héritier, puisque nous ne pouvons pas rester armés. - J’en suis désolé moi-même, commandant. Mais sur Kriavia, il n’y a pratiquement que des scientifiques et ils ont horreur de la violence et des armes. La Constitution a été érigée en ce sens. Rassurez-vous, j’ai détaché une unité de vingt de mes meilleurs hommes qui seront dédiés à sa sécurité. Je vous détaillerai tout cela à votre arrivée, répondit fort poliment le militaire scientiste. - Merci commandant, je débarquerai le premier, fit Sarian en le saluant selon les méthodes en vigueur dans l’Empire. Livion lui rendit son salut d’une manière impeccable et la communication fut coupée. Sarian nota que Livion avait donné le titre d’empereur à Paul, ce qui laissait entendre qu’il lui reconnaissait la légitimité du trône. Son salut militaire penchait en sa faveur et Sarian se réjouissait de faire sa connaissance. - Le commandant Livion est l’un des rares militaires de carrière dans notre système. Il faisait partie de la flotte spatiale et était fidèle aux Verakin. Lorsque l’insurrection a éclaté, il a déserté et nous l’avons trouvé par hasard lors d’une opération de secours de scientifiques sur Amaridinia. Vous pouvez lui faire confiance. Ajouta Sorphir. Les propos du délégué scientiste confortaient la première impression de Sarian. Comme il restait encore cinq heures avant d’être en orbite autour de la quatrième planète, Oria proposa que chacun se repose un peu et prépare ses affaires personnelles, car ils allaient probablement être absents du Bellator pendant plusieurs jours locaux. En réalité, aucun d’entre eux n’avait réellement d’affaires personnelles, mais cela laissait le temps, aux mini-fab, de fabriquer les uniformes intégrants des lames en Arkrit et des boucliers. Sarian avait prévu que seuls Darin, Oria, Telius et lui, accompagnent Paul. Mélanie protesta vigoureusement, mais Sarian fut intraitable : pas question de prendre le moindre risque. Les autres membres de l’équipe avaient l’habitude de l’autorité et n’émirent aucune protestation. Pendant ce temps, Irias servit de guide à Sorphir et lui fit visiter le Bellator. Il était convenu de se retrouver deux heures plus tard pour se restaurer dans la grande salle à manger du bord. Paul passa les deux heures à parlementer avec Mélanie, qui ne décolérait pas. Les évènements s’étaient enchaînés tellement vite qu’ils n’avaient pas eu beaucoup de temps pour échanger depuis leur départ de la Terre. Ce fut un moment particulier d’imaginer qu’il y avait encore une quinzaine de jours ils étaient étudiants à Paris, loin de se douter de leur avenir. Leurs familles leur manquaient, surtout Alex, qui était mort pour avoir été au mauvais endroit, au mauvais moment. Se savoir séparée de son compatriote, même provisoirement, angoissait Mélanie. Elle avait accepté de suivre Paul dans l’espace, mais n’imaginait pas se retrouver isolée. Sans être pessimiste, elle craignait qu’il n’arrive quelque chose au garçon et de se retrouver la seule terrienne. Elle semblait tellement désemparée que Paul finit par se laisser convaincre de l’accompagner. - Maintenant, il va falloir que je vende ça à Sarian. Il va encore être contrarié. Déjà que le fait de devoir atterrir désarmé lui déplaît singulièrement. - Cela ne change pas grand-chose que je vienne ou non. Contre-attaqua la jeune fille. - Si. Car il va devoir t’affecter un garde du corps et nous serons donc deux de plus, rétorqua le jeune homme. En effet, lorsque les adolescents rejoignirent le reste du groupe pour la collation, Sarian ne fut pas ravi de la décision de Paul. Il n’avait rien contre la jeune fille, s’étant plutôt pris d’affection pour elle, mais sa présence allait compliquer la sécurité de l’héritier Verakin. Il demanda à Pallaron d’assurer sa protection en précisant que leur rôle principal était la sécurité de l’héritier. Sarian insista sur ce point, en présence des deux jeunes gens, pour bien leur faire comprendre qu’en cas de problème, ils ne seraient pas traités équitablement. Paul était contrarié par la réaction de Sarian, mais Mélanie la comprenait et le calma aisément. - Allons, avec tes pouvoirs de super héros, tu nous tireras de tout. Je ne m’inquiète pas, conclut la jeune fille, néanmoins un peu vexée de ne pas être considérée comme l’égale de Paul. - Merci, mais je ne suis pas invulnérable non plus. Au fait, tu ne ressens pas de séquelles de l’injection de Nanocrytes ? demanda le garçon assez bas pour que les autres n’entendent pas. - Non, rien du tout. Et toi ? - J’ai explosé mon verre à dents ce matin, mais je n’ai rien dit à Sarian. À part cela aucun symptôme alarmant. Chuchota Paul en retour. - Que pensez-vous de ces scientistes ? interrogea l’adolescente, reprenant un ton normal pour changer la conversation et tenter de dissiper le malaise causé par sa venue dans la délégation Verakin. Comme souvent, c’est Sarian qui répondit. - Pas grand-chose pour le moment. Ils n’ont pas l’air de nous être hostiles, mais nous avons découvert leur sanctuaire et ils pourraient vouloir nous faire disparaître. D’un autre côté, s’ils ont développé de nouvelles technologies, nous pourrons certainement nous entendre pour qu’ils nous aident à réparer le Bellator. - Il en aurait bien besoin d’après ce que j’ai vu sur les projections holocom. Ajouta la jeune terrienne. - Bella affirme que c’est impressionnant à voir, mais qu’elle dispose de toutes les ressources pour réparer intégralement le vaisseau. Il suffit d’accéder à des sources de minerais et les usines intégrées fabriqueront tout ce qui sera nécessaire. Le plus délicat : c’est les condensateurs. C’est pour cela que j’ai accepté de descendre à terre. Il faudrait que les scientistes acceptent de nous en céder quatre. Intervint Paul. Le Bellator était encore à soixante-douze minutes lumière de la quatrième planète, mais les senseurs à longue portée permettaient déjà d’afficher des images précises sur les projections holographiques de la salle à manger. Sorphir vint les rejoindre accompagné d’Irias. Les deux adolescents ne s’en aperçurent pas, car ils étaient captivés par les images provenant des senseurs à intrication. Il y avait de nombreux dômes d’habitation à la surface de la quatrième planète et, même si les aménagements ne semblaient pas à la hauteur de ceux que Sorphir leur avait décrits sur Kriavia, ces villes sous dômes devaient déjà offrir un confort largement supérieur à celui d’une base dans l’espace. De leur position, ils pouvaient également apercevoir la cité orbitale dans son intégralité et elle paraissait gigantesque aux yeux des deux terriens. Sarian leur affirma pourtant qu’elle était minuscule au regard de certaines bases militaires impériales. La station scientiste ressemblait à une sphère parfaite, hérissée de pointes sur tout le pourtour de l’équateur. En zoomant, ils purent constater que la base était en fait scindée en deux dômes accolés entourés d’une ceinture arrondie. C’est vers cette ceinture et les emplacements vides que se dirigeait le Bellator. Des androïdes apportèrent plats chauds et boissons et Paul découvrit soudainement qu’il avait faim. Apparemment, il n’était pas le seul, car tous les Ildarans se servirent copieusement à manger et à boire. Sorphir fut ravi de retrouver des spécialités ildaranes, car, si les scientistes faisaient encore quelques incursions dans l’Empire pour exfiltrer quelques scientifiques, ils ne prenaient pas le risque d’organiser des expéditions pour importer des denrées alimentaires. Le déjeuner se déroulait tranquillement lorsque Bella intervint. - Commandant, nous avons eu une surchauffe du condensateur trois, j’ai dû le désactiver. - Cela handicape beaucoup nos performances ? s'enquit l'Ildaran. - Pas en vol normal, mais cela raccourcira encore nos capacités de sauts quantiques. - De combien ? soupira l’Ildaran un peu découragé par tous ces problèmes. - Nous serons limités à huit années-lumière. - Enfer ! À cette allure, il va nous falloir plusieurs semaines pour rallier Polona. Sarian s’était levé sous le coup de la contrariété. Il devenait impératif que les scientistes les dépannent sinon ils allaient devoir abandonner le Bellator. Il va falloir négocier serré, songea le chef des Ildarans. - Nous avons encore la possibilité de remplacer le condensateur trois par celui d’un des cinq croiseurs opérationnels. - Merci, Bella, nous aviserons lorsque nous serons amarrés à la base orbitale scientiste, répondit l'Ildaran d’un ton neutre de manière à ne laisser transparaître aucune contrariété vis-à-vis de Sorphir. Décidément, leur périple interstellaire n’était pas de tout repos et Sarian espérait que la prochaine surprise serait meilleure. Le vaisseau se rapprochait lentement de la station orbitale et le nombre d’appareils augmentait singulièrement. Le Bellator devait maintenant se mouvoir dans des couloirs de vols attribués par le contrôle spatial. Le gros porte-croiseurs se faufilait entre les vaisseaux qui orbitaient autour de la planète et se rapprochait de son point d’amarrage. Le responsable du trafic de la base avait imposé que les croiseurs du Bellator, en état de naviguer, soient amarrés séparément afin de réduire la masse du vaisseau mère. Il craignait en effet que le gros navire ne déstabilise l’équilibre orbital de la station spatiale malgré le système automatique de lestage gravitationnel. Cinq des croiseurs du bord s’élancèrent donc dans l’espace et allèrent s’amarrer à l’un des pontons spatiaux. Le Bellator se positionna à l’extrémité d’un ponton vide et fut rapidement immobilisé par des grappins à gravitation dirigée. Bella annonça qu’un cordon de débarquement était en train d’être sécurisé et que tous pouvaient se retrouver au sas numéro 24. Ils empruntèrent, à tour de rôle, des œufs de transport pour se rendre au sas de rendez-vous. La délégation avait pris le temps de se changer et Sorphir découvrit les uniformes de la garde de Paul avec un peu d’irritation. Non pas que l’élégance de ceux-ci soit à critiquer, les minifabs de Bella avaient fait de l’excellent travail. Les uniformes, sur-mesure, aux couleurs des Verakin : bleu cobalt et argent, leurs donnaient un air impérial, mais la présence de poignards bien visibles, même à manches bleu et noir agaçait le scientiste. Et que dire du magnifique Katana de Paul ? Mais malgré un agacement évident, le scientiste ne fit cependant aucun commentaire. Le cordon de débarquement vint se fixer à la coque extérieure du Bellator et la pression atmosphérique fut aussitôt équilibrée. L’épaisse double porte coulissa sans bruit et ils pénétrèrent dans le sas de sortie. La paroi interne du sas à peine refermée, la porte extérieure commença à s’ouvrir. Malgré l’équilibrage atmosphérique régulé, la différence infime dans la teneur de l’air respirable provoqua un léger chuintement. Paul et Mélanie avaient une certaine appréhension à l’idée de quitter le gros vaisseau qui les protégeait depuis leur départ de la Terre. Ils allaient fouler un sol extraterrestre pour la première fois et la jeune fille tenait le bras de Paul, semblant s’y accrocher comme à une bouée, malgré sa curiosité irrésistible de découvrir la base scientiste. Sarian s’était avancé en tête et reconnu le commandant Livion. Celui-ci les attendait avec une troupe de vingt gardes en uniforme. Ils portaient tous un pulseur à aiguille et un couteau en Arkrite à la ceinture. Deux d’entre eux tenaient même de puissants disrupteurs moléculaires lourds. Le commandant de la station orbitale aperçut les armes d’apparat des arrivants, mais ne fit aucune remarque même si on percevait son amusement. En fait, il était surtout impatient de rencontrer l’héritier Verakin. Sans l’avouer ouvertement, il ne croyait encore qu’à moitié qu’un Verakin ait pu survivre à l’extermination de la famille, orchestrée par les Seravon. Voir réapparaître un héritier direct de la puissante maison Verakin après plus de dix-sept années avait quelque chose d’un peu miraculeux. L’arrivée dans le système de ce garçon avait fait la une de tous les médias et les opinions étaient partagées. Néanmoins, le commandant Livion voulait y croire, car au fond de lui-même il l’espérait secrètement depuis presque dix-sept années ildaranes. Paul était encadré étroitement par Oria et Darin et la jeune femme conservait une communication mentale permanente avec lui. - [Peux-tu les sonder ?] s’enquit l’Ildarane. - [C’est fait. Aucune hostilité, des interrogations et de grands espoirs chez Livion] répondit l’adolescent. - [Au moindre évènement suspect, enclenche ton bouclier. Je préfère froisser nos hôtes plutôt que de te voir blessé ou tué. C’est bien compris ?] - [Oui maman], répondit Paul laissant échapper mentalement une forme d’ironie. La jeune Ildarane lui renvoya un regard faussement courroucé. Sarian s’avança franchement et salua Livion, le poing sur le cœur, selon l’usage dans l’Empire. Ce dernier limita son salut à la perfection et s’avança immédiatement vers Paul en le dévisageant attentivement. Ce dernier, qui lisait presque à livre ouvert dans son esprit et enregistrait une intense curiosité. Visiblement, l’homme s’interrogeait sur l’identité véritable de Paul. - Majesté, je suis enchanté d’être le premier à vous accueillir sur le sol de la république de Scienty. Je suis chargé, avec mes hommes, de vous conduire directement sur Kriavia, notre planète capitale. Nous allons rejoindre le hall de départ des navettes intrasystème. Un transport privé nous attend, si vous voulez me suivre, fit-il en s’effaçant pour offrir l’accès libre à la délégation. - Ravi de vous rencontrer lieutenant Livion. Je suis sûr que vous vous acquitterez de cette mission avec éclat. Je perçois en vous un homme d’honneur. Répondit intentionnellement Paul. Les aptitudes psychiques des Verakin étaient connues dans tout l’Empire, mais Livion ne put s’empêcher de tiquer légèrement. Il ne répondit pas et s’inclina puis se retourna pour prendre la tête de leur petit groupe. Il était suivi par cinq de ses hommes qui semblaient un peu nerveux. Sarian et Telius marchaient côte à côte, suivis par Paul, entouré d’Oria et de Darin. Mélanie et Pallaron collaient le groupe de Paul et les quinze autres gardes de Livion fermaient la marche. Ils se dirigeaient vers la sphère centrale et, après une dizaine de mètres à pieds, Livion leur proposa de monter dans une sorte de glisseur capable d’accueillir une quarantaine de personnes réparties en huit rangées de cinq sièges. Livion leur expliqua qu’ils allaient rejoindre le hall principal puis se diriger vers un terminal d’embarquement pour prendre une navette vers Kriavia. Le glisseur se mit automatiquement en mouvement, dès que tout le monde fut à bord. À une question de Mélanie, Livion lui répondit que le contrôle du glisseur était assuré par l’IA chargée des transports à l’intérieur de la station. Tout était piloté par l’IA afin d’éviter les accidents. Ils se déplaçaient, sans un bruit, à une vitesse que Paul estima à trente ou quarante kilomètres-heure. Au bout de quelques secondes, le transport stoppa devant une large porte vitrée qui s’ouvrit sur un large hall où se croisaient d’autres appareils, plus ou moins gros et des milliers de piétons. Leur véhicule ralenti considérablement, ce qui permit à Paul d’observer leur environnement. Il y avait des individus habillés luxueusement, d’autres en tenus plus simples, quelques enseignes holographiques qui faisaient penser à des magasins. Paul se serait cru dans une grande gare, d’une métropole terrienne, mais la vue, à travers de larges baies vitrées, ne laissait néanmoins aucun doute : ils étaient bien dans l’espace. Leur groupe suscitait l’étonnement, car il était peu fréquent de voir des civils encadrés par des gardes du collège. Certains passants s’arrêtaient même pour les observer et Paul surprit plusieurs conversations autour du nom Verakin. Il ouvrit son esprit à ce brouhaha mental afin de sentir l’état d’esprit de ces scientistes. Il sentait une grande curiosité, plutôt de la sympathie, mais il ressentit également quelques contacts hostiles sans pouvoir en isoler les sources. Il se promit d’avertir Sarian, car ils n’étaient peut-être pas en terrain absolument amical. Après plusieurs minutes, Paul comprit que ce hall était en fait le demi-anneau qui ceinturait la sphère de dix kilomètres de diamètre. Ce hall de gare était donc gigantesque, Paul calcula qu’il faisait plus de soixante-dix-huit kilomètres de circonférence. Ils arrivèrent enfin près d’un terminal réservé aux navettes privées. Cette partie de l’anneau était moins encombrée et ils purent descendre de leur glisseur sans être gênés. Livion les fit pénétrer dans une salle et dès que la porte fut refermée, un sas apparu dans le mur opposé. Ils entrèrent dans la navette qui prit le départ dès que tout le monde fut à bord, sans même attendre qu’ils soient tous installés. Comme avec tous les transports ildarans, Paul ne ressentit aucune accélération. Pourtant il vit, grâce aux projections holographiques du bord, à quelle vitesse ils s’éloignaient de la station orbitale. Il eut le temps de revoir l’une des faces de la sphère qui, cette fois-ci, était éclairée par le soleil scientiste. Il pouvait apercevoir un paysage vallonné avec des habitations regroupées au centre du dôme. Il s’agissait donc d’un petit monde artificiel en plein espace. Mais la navette avait déjà accéléré à quarante pour cent de la vitesse de la lumière et la station orbitale ne fut très vite qu’un point lumineux de plus dans le noir de l’espace. Kriavia était, à ce moment, à six cent quatre-vingt-dix millions de kilomètres de la quatrième planète du système scientiste et, malgré leur technologie, il faudrait environ une heure quarante pour arriver en orbite de la seconde planète. Paul se serait cru dans un avion terrien, les hublots en moins. La place était comptée et il dut caser son katana devant lui, du mieux qu’il put. Comme dans un train terrestre, il ne pouvait pas parler facilement avec les membres de son groupe. Mélanie s’était assise à ses côtés, mais Sarian avait insisté pour placer Oria sur son autre flanc. Sécurité, sécurité … La petite navette naviguait sans bruit dans l’espace sans se douter qu’une frégate puissamment armée venait de s’élancer, à leur rencontre, depuis la troisième planète. L’appareil était occulté derrière un écran furtif et tous ses systèmes d’armes et ses senseurs de poursuite étaient verrouillés sur le petit transport civil. * Chapitre 41 Les trois Ildarans entrèrent, à la suite de Sertime, dans la grande salle à manger du palais. Comme ils l’avaient imaginé, le marchand était en train de déjeuner : les couverts étaient disposés et certaines assiettes étaient encore pleines de nourriture. Les différents convives avaient dû être priés de quitter la table, car la salle était totalement vide. Sertime demanda à ses hôtes s’ils avaient mangé et, après une réponse négative, ordonna que l’on apporte des plats chauds et que l’on ne les dérange plus. L’attente fut de courte durée : quatre serviteurs débarrassèrent rapidement les assiettes sales, en disposèrent de nouvelles, et des plats de viandes et de légumes leur furent servis. Sur un geste de Sertime, l’intendant principal quitta la pièce en dernier et referma la double porte derrière lui. Baliran était persuadé qu’il resterait derrière les vantaux, tant que son maître ne l’appellerait pas. - Bien, Messieurs, il est temps de me racontiez votre histoire. Ordonna Sertime encore irrité. Rliostem lui narra qu’ils avaient dû rejoindre leur chef dans le sud du continent et qu’ils avaient emprunté un bateau îlien. Il conta comment ils avaient traversé de nombreux villages dévastés, non loin de la capitale, et insista sur l’organisation manifestement militaire des pillards. Afin de ne pas laisser trop d’ouverture à Sertime, sur leur soi-disant périple, Klosteran renchérit sur le professionnalisme des bandits qui les avaient attaqués et ils confièrent leurs soupçons envers les Tâardian. Comme ils l’avaient imaginé, le sujet souleva aussitôt l’intérêt du prince marchand et le détourna de ses questions sur la partie de leur voyage qui ne le concernait pas directement. - Nous nous doutons depuis le début que le duc est derrière ces pillages, mais le roi ne peut pas intervenir tant que la grande partie de son armée est en exercice aux frontières Est du royaume. Tâardian a bien manœuvré, car l’armée est dispersée et faire revenir plusieurs milliers d’hommes avec l’intendance prendra plusieurs semaines. D’ici là, si le roi ne réagit pas, nous serons isolés et sans nourriture. Le duc aura beau jeu d’intervenir et revendiquer la main de la fille de Mâaspec, pour son fils Tâargrien, s’il donne l’impression d’être un libérateur. Maudit soit-il ! jura le polonian. - Dans ce cas, pourquoi ne pas constituer une force mobile et traquer ces renégats ? Nous en avons éliminé un bon nombre et nous pouvons recommencer. Si nous parvenons à affaiblir leurs forces, le duc sera obligé de revoir son plan, suggéra Klosteran. - Malheureusement, le roi ne dispose plus que de deux cents gardes et il serait hautement risqué de dégarnir la ville de cette protection. Il a déjà perdu plus de cinquante hommes dans des échauffourées avec ces pillards, lui objecta le prince marchand. - Notre chef est en route avec nos hommes, je suis sûr qu’il sera ravi d’aider le roi à sécuriser les environs de Port Gâal. Intervint Rliostem. - Quand pensez-vous qu’il sera ici ? s’enquit Sertime, visiblement intéressé. - Vraisemblablement d’ici une douzaine de jours au plus tard. Avança prudemment l’Ildaran. - J’espère que ce ne sera pas trop tard. Mais pour le moment, concentrons-nous sur le jugement de demain, car vous allez devoir affronter chacun un homme du duc. De nombreux gardes sont arrivés dans les derniers jours et malheureusement nous n’avons pas pu identifier ceux qui ont été choisis pour vous combattre. - Ne vous inquiétez pas pour ce combat, Sertime, nous sommes parfaitement entraînés. Affirma Klosteran avec assurance. - Pourtant la dernière fois vous avez été mis en difficulté, si ma mémoire est bonne, rétorqua Sertime mi-amusé, mi-moqueur. - Vous avez raison, mais la dernière fois nous avions affaire à des membres de notre clan. N’est-ce pas Baliran ? rétorqua Rliostem en se tournant vers l’ex-contrebandier. - Oui Monseigneur, confirma celui-ci en s’adressant à Sertime. À ma connaissance, il n’y a pas d’autres membres de notre nation au service des Tâardian. Le reste de la conversation fut centré sur les techniques de combat, les armes autorisées dans le cercle et les règles ou plutôt l’absence de règles. Malgré leurs Nanocrytes, les trois Ildarans souhaitaient prendre un peu de repos et après le déjeuner, se retirèrent dans l’un des appartements réservés aux invités. Le marchand avait mis à leur disposition un vaste logement, à l’intérieur du palais, comprenant un grand salon commun et quatre grandes chambres. Baliran en profita pour les entraîner une fois encore aux techniques usitées dans la région. Ils ne craignaient pas grand-chose, mais préféraient ne pas compter uniquement sur leur vitesse de déplacement qui pourrait paraître étrange dans cette société moyenâgeuse, emprise de croyances religieuse. Déjà que les Ildarans parlaient couramment la langue des Initiés, inutile d’en rajouter. Ils passèrent ainsi trois heures à échanger des passes d’armes et des assauts au sabre. Ils auraient bien aimé aller se promener en ville, mais Sertime craignait toujours que l’on essaie d’attenter à leur vie et préférait assurer leur sécurité dans son palais. Il était vraisemblable qu’il préfère également les avoir sous la main, même s’il ne le reconnaissait pas ouvertement. L’heure du dîner approchait et un serviteur leur proposa de prendre un bain chaud. Dans une immense salle commune, plusieurs bassins étaient alimentés par une noria de serviteurs, y compris par des femmes. Si Baliran était habitué aux coutumes locales, Rliostem et Klosteran étaient un peu gênés de se faire servir de l’eau chaude par des jeunes femmes, peu habillées. Celles-ci perçurent leur embarras et certaines gloussèrent, dans la limite de la décence, car ils étaient les hôtes de leur maître. Après cet intermède, ils se retrouvèrent tous à table avec Sertime et deux personnages inconnus qui, d’après leurs habits, devaient appartenir à la noblesse. Les deux hommes étaient richement vêtus même si l’un d’eux était d’une extrême sobriété pour le royaume. L’autre, à l’inverse, était habillé de tissus voyants et colorés. Sertime les présenta comme Messire Protal, le conseiller du roi, à l’intendance, et Messire Ystor, le conseiller spirituel, membre éminent du temple. Inutile d'avoir à préciser qui était le religieux. Ses vêtements parlaient pour lui. Les trois Ildarans saluèrent humblement les hôtes de Sertime, les assurant de l’honneur de souper en de si augustes présences. Les deux conseillers leur rendirent leur politesse puis précisèrent leur position dans l’entourage du roi. C’est ainsi que Klosteran et Rliostem apprirent que le roi gouvernait avec l’aide d’une douzaine de conseillers, chargés chacun d’un domaine d’activité. Ystor occupait une position un peu particulière, car il était à la fois membre du collège du temple et délégué auprès du roi pour les affaires spirituelles. Rliostem et Klosteran apprendraient, plus tard, qu’Ystor avait un poids politique très important, car même si la religion n’était pas très pesante dans la société gâalanaise, les croyances y étaient fortes et le temple possédait un pouvoir qui s’étendait au-delà des frontières du royaume du roi Mâaspec. De nombreuses guerres frontalières avaient été évitées sous l’influence des prêtres qui étaient intervenus auprès des souverains respectifs afin qu’ils ne s’entretuent pas. Le rôle de Protal était plus flou. Il semblait qu’il soit à la fois un conseiller politique et stratégique. En tant que responsable de l’intendance, il avait un droit de regard sur de nombreux domaines allant de l’armée à la police, à l’agriculture, aux ponts et chaussées, etc. … En théorie, il fournissait des services à tous les secteurs d’activités, mais, en réalité, il contrôlait tous les besoins, des infrastructures aux approvisionnements. Aucun conseiller ne pouvait lui cacher la moindre activité, car, dès qu’il avait besoin d’approvisionnement, Protal était informé. Une sorte de super conseiller. L’organisation politique du royaume semblait étrange aux Ildarans. Mais ces importants personnages n’étaient, semble-t-il, pas venus dîner uniquement pour le plaisir de voir Sertime ou pour la qualité de sa table et de ses vins. Ils commencèrent à interroger les Ildarans avec minutie. Leur ballet semblait bien réglé tant ils croisaient les questions avec habileté. Le représentant du clergé était tout particulièrement intéressé pour en apprendre un peu plus sur le pays d’origine de ces hommes qui parlaient couramment le langage des Initiés dès leur naissance. Le prêtre était d’autant plus soupçonneux que, contrairement aux autres Gâalanais, il connaissait de nombreux pays et n’avait pourtant jamais entendu parler d’un lieu où la langue natale fut celle des Initiés. Il fut difficile à Rliostem et Klosteran de ne pas se trahir, mais les deux Ildarans détournèrent astucieusement les questions en recentrant la conversation sur l’affrontement avec la bande de détrousseurs. Les deux envoyés du roi partageaient leur avis sur l’origine de ces gredins et avouèrent que le roi Mâaspec avait essayé, plusieurs fois, d’en capturer vivants, pour les confondre devant leur duc, mais que ces tentatives avaient échoué jusqu’ici. Depuis six jours plus aucune caravane de ravitaillement n’était parvenue à rallier ou à sortir de la capitale et les vivres commençaient à manquer. Ystor était donc particulièrement impressionné par le fait que trois hommes peu armés aient réussi à passer, là où des caravanes bien protégées avaient été interceptées et pillées. Ne souhaitant pas attirer l’attention sur leurs aptitudes spéciales, surtout auprès du prêtre, Klosteran suggéra qu’ils avaient certainement eu affaire à une petite troupe, car ils n’étaient que trois et ils avaient dû être repérés de loin. Une caravane aurait certainement été prise à partie par une troupe plus nombreuse. Le reste de la conversation s’orienta sur le jugement que les deux Ildarans auraient à affronter le lendemain. Cette fois-ci, nul conseil sur des stratégies guerrières. Les deux conseillers insistèrent sur les aspects politiques des deux duels. Le duc Tâardian laissait entendre que son fils avait été gravement insulté dans la ville du roi et que celui-ci n’était pas capable de rendre justice à la noblesse, face à des étrangers inconnus. Les gardes des portes de la ville avaient enregistré l’arrivée d’au moins soixante soldats de la garde ducale. Avec la troupe qui protégeait son fils, il y avait maintenant entre cent et cent vingt gardes Tâardian dans la capitale. Sans être particulièrement paranoïaque, le roi était inquiet, car sa propre garde était réduite à deux cents hommes. Il était donc impératif que les Ildarans sortent vainqueurs du jugement du cercle. Rliostem et Klosteran les rassurèrent, avec humour, précisant qu’ils n’avaient pas l’intention d’y laisser la vie et qu’ils feraient tout pour triompher. Ce trait d’humour détendit un peu l’atmosphère après que les deux conseillers se soient laissés aller à des confidences sur leurs préoccupations. Sertime leur proposa un alcool dans un salon jouxtant la grande salle à manger et les Ildarans purent découvrir que la réputation du prince marchand concernant la qualité de sa cave n’était pas usurpée. Ils dégustèrent des alcools totalement surprenants et Sertime leur assura même que deux des bouteilles venaient d’un autre continent, situé, d’après les marins à plus de quarante jours de navigation vers l’ouest. Peu de marins étaient revenus de cette traversée, que Klosteran et Rliostem savaient être longue de quatre mille huit cents kilomètres en son point le plus court, d’après les relevés effectués par l’IA du Randor. La fin de la soirée fut centrée sur les mondanités habituelles de la cour et comme les Ildarans n’y connaissaient personne, ils en étaient réduits à imaginer les physionomies des individus décrits par les trois Gâalanais. Demain serait un autre jour, mais pas n’importe lequel, pour l’avenir du royaume de Gâal et pour les trois Ildarans, exilés temporairement sur cette planète médiévale entourée d’un flamboyant anneau. * Chapitre 42 À bord de la navette, Paul discutait fébrilement avec Mélanie. Les deux adolescents étaient tout excités à l’idée de découvrir les univers-dômes des scientistes. Pendant ce temps, Sarian faisait le point sur la sécurité avec Livion et Darin se renseignait, avec deux de ses voisins de rangées, sur les dernières nouvelles dans l’Empire. Les scientistes étaient informés grâce à leurs drones-espions positionnés au large de presque tous les systèmes administrés par Ildaran. Mais malgré tous ces drones, il n’avait, pour le moment, aucune nouvelle de la flotte de cent dix vaisseaux de combat qui avait transité quelques heures auparavant. Aucun des passagers de la navette ne se doutait qu’une frégate furtive filait à pleine vitesse, sur une trajectoire d’interception. La petite navette n’était pas équipée de senseurs militaires et n’était pas capable de détecter un vaisseau occulté derrière son bouclier. Il ne restait plus que trente minutes avant l’arrivée en orbite de la navette et la planète apparaissait déjà en visuel sur les écrans lorsque Bella interrompit la monotonie du trajet et contacta Sarian directement par l’intermédiaire de ses Nanocrytes de communication. - Sarian, je détecte une signature qui pourrait être un bâtiment rapide sur une trajectoire d’interception. D’après mes senseurs, ses systèmes d’armes sont verrouillés sur votre navette. La détection est imparfaite, car il est occulté derrière un bouclier furtif, mais la technologie scientiste étant moins sophistiquée que celle du Randor et j’enregistre l’activation de senseurs de poursuite. Bella avait transmis l’information via les neurorécepteurs cryptés de Sarian afin que personne d’autre que lui ne puisse écouter. Néanmoins, l’Ildaran ne pouvait pas être certain que les scientistes n’aient pas intercepté la communication. Mais même dans ce cas, il leur faudrait un certain temps avant d’en décrypter le contenu. Sarian resta maître de lui, malgré la gravité du message, et interrogea immédiatement Livion d’un ton badin, ne laissant rien paraître de la tension qui l’habitait. - Livion, pardonnez cette question, mais nous ne connaissons pas les us et coutumes de la république de Scienty. Je m’étonne que nous ne soyons pas escortés par un ou plusieurs appareils de protection. À moins qu’ils ne soient occultés derrière des boucliers furtifs ? - Commandant Sarian, c’est ce qui fait la particularité de notre nation stellaire. Notre population est composée de chercheurs et de scientifiques et notre espace est totalement sûr. Même les plus hauts dirigeants du collège se déplacent sans protection. Répondit le scientiste, légèrement amusé. - Et cette navette, peut-elle détecter un navire furtif ? insista l’Ildaran. - Pourquoi cette question ? Vous craignez que nous soyons attaqués ? sourit l’ancien militaire de l’Empire. - Je m’interrogeais simplement. Si un navire voulait nous intercepter, seriez-vous capable de repérer sa présence ? - Rassurez-vous, vous ne craignez rien dans l’espace scientiste. C’est bien une réaction ildarane, s’amusa Livion. Mais pour répondre à votre question : non. Cet appareil ne dispose pas de senseurs militaires. Ce type de transport ne sort pas du système et est utilisé uniquement comme navette entre nos quatre planètes. - Et au niveau défensif ? renchérit Sarian, de plus en plus inquiet. - Uniquement un bouclier anti-météorites, mais elles sont peu nombreuses dans notre système sur les plans de vol civils. Le renseigna le soldat scientiste. - Donc, en cas d’agression, nous serions totalement sans défense ? s’alarma l’Ildaran. - Détendez-vous Sarian, aucun navire n’ait autorisé à se déplacer armé à l’intérieur du système et les vaisseaux militaires sont cantonnés sur la troisième et quatrième planète. Tenta de la rassurer Livion. La conversation n’avait pas échappé à Darin et à Oria, qui s’étonnaient de l’insistance de leur chef. La jeune femme s’enquit discrètement auprès de lui de la situation, à l’aide d’une gestuelle codée. Elle n’avait pas voulu le contacter via leurs neurorécepteurs craignant l’espionnage des scientistes, malgré leur haut niveau de cryptage. Sarian lui répondit par le même biais en l’avertissant de la présence de la frégate furtive, probablement hostile. Oria chercha immédiatement le contact mental avec Paul, car ce dernier ne connaissait pas le langage gestuel des gardes impériaux et n’avait donc pu suivre l’échange. - [Paul] - Oria ? répondit tout haut l’adolescent, qui ne s’attendait pas à être contacté ainsi par sa voisine de siège. Heureusement il n’avait pas élevé la voix et seule la jeune femme l’entendit. - [Paul, écoute-moi attentivement. D’après Bella, nous risquons d’être attaqués par une frégate militaire qui a verrouillé ses systèmes d’armes sur la navette. Notre appareil est non armé et il faut absolument que tu t’empares de l’esprit du pilote pour neutraliser ce vaisseau] insista-t-elle. - [Mais les scientistes ne peuvent rien faire ?] s’étonna le garçon. - [Il semble qu’ils ignorent la présence de ce navire furtif et de toute façon leurs bâtiments de guerre sont trop éloignés pour intervenir], répondit l’Ildarane. - [Mais comment le repérer dans l’espace ? Je ne détecte aucune pensée], se désespéra Paul. - [Tu dois tendre ton esprit pour trouver cet appareil], lui expliqua la jeune femme - [OK, j’essaie.] Paul se concentra et lança des sondes mentales dans l’éther environnant. La psykane se joint à lui afin de lui apporter sa modeste contribution, mais après plusieurs minutes de recherches infructueuses, l’adolescent ne savait plus quoi faire. La jeune femme lui proposa d’essayer une technique peu usitée : au lieu de lancer des sondes au hasard, avoir recours aux vagues mentales. Ordinairement, un psykan localisait sa cible et lançait une sorte de grappin mental, puis arrimait son objectif pour en prendre le contrôle ou initier une transmission télépathique. Le souci, dans la situation actuelle, était que le croiseur naviguait à grande vitesse et qu’il était presque impossible de le localiser en lançant au hasard des sondes psys. Oria lui révéla qu’il était possible, pour des psykans puissants, de générer des ondes mentales sous forme de vagues concentriques. Cette technique avait l’avantage de rayonner sur un très large espace et d’atteindre des objectifs en mouvement. Elle-même n’était pas capable de pratiquer cette technique, mais elle pensait que Paul le pourrait. Ils n’avaient pas eu le temps d’expérimenter ensemble, la pratique des vagues mentales, mais c’était leur seule chance. L’adolescent se laissa guider mentalement et commença à émettre, lentement mais sûrement, une succession de vagues psychiques. - [Oui, continue] l’encouragea la jeune femme. [Il faut resserrer tes émissions et renforcer leur intensité.] Il intensifia son balayage et sa concentration et au bout de quelques secondes parvint à détecter une conscience brouillée, sans réussir à identifier de pensées déchiffrables. À travers le lien mental, qui les unissait, Oria capta l’information et l’orienta vers la source. À eux deux, ils s’approchaient du point d’émission, mais ils n’avaient aucune certitude qu’il s’agissait de la conscience à bord de la frégate lancée sur leur trajectoire, car leur navette se rapprochait de la planète et le trafic spatial s’intensifiait. En effet, après avoir resserré leur contrôle, il s’avéra qu’il s’agissait d’une autre navette qui venait de les croiser à moins de deux cent mille kilomètres. Il fallait poursuivre les investigations, mais le temps pressait, car cela faisait déjà dix minutes qu’ils recherchaient le vaisseau ennemi sans succès. Ils détectèrent deux autres appareils dans un rayon de trois cent mille kilomètres autour de leur transport : un vaisseau privé et une autre navette à destination de la troisième planète avec des étudiants à bord. Mais toujours rien concernant la frégate armée. Paul intensifia ses efforts et les pierres ornant son front commençaient à briller puissamment, provoquant l’étonnement des scientistes. Le garçon parvint encore à étendre la portée de ses vagues mentales et perçut soudain une pensée malveillante. Le jeune homme fut surpris, car il s’agissait d’une IA. C’était un vaisseau automatique ! Si les autres passagers observaient le scintillent des diamants autour de la tête de Paul avec curiosité, peu d’entre eux étaient conscients de la course contre la montre qui se menait et dont dépendait pourtant leur survie. - [Vite ! Prends le contrôle de l’IA. Toi seul peux y parvenir,] hurla presque mentalement Oria. - [J’essaie, mais tout est brouillé. La vitesse de déplacement me gêne considérablement. Je n’arrive pas à accrocher un canal neuronal vers l’IA. Je perçois ses pensées, elle se prépare à tirer deux torpilles !] Tempêta Paul. - [Vite, remonte vers le centre de décision !] S’alarma l’Ildarane. - [Je l’ai ! Je suis sur le canal neuronal qui contrôle ses senseurs de poursuite. Je brouille sa détection. Elle a suspendu le tir, mais transmet l’ordre au calculateur électronique, là je ne peux pas le bloquer], se lamenta l’adolescent. - [Prends le contrôle du centre de décision, vite !] L’encouragea encore la jeune femme - [J’essaie, mais cela diffère légèrement des modèles ildarans. Je n’arrive pas à atteindre le centre décision. Ah, je comprends pourquoi, ils sont plusieurs ! Les scientistes ont fait évoluer les schémas neuronaux des IA. Je dois les atteindre simultanément. Il y a quatre centres conscients. Pas le temps de prendre le contrôle. Je discerne le centre dévolu aux systèmes d’armes. Je remonte. Là, je l’ai annihilé. L’aviso ne peut plus nous attaquer.] Transmit le garçon, visiblement rassuré. - [Si tu parviens à prendre le contrôle de cette frégate, programme-la pour qu’elle nous suive et reste en orbite. Cela peut toujours servir d’avoir un navire à portée de main. Le Bellator est à plus d’une heure et en cas d’urgence nous pourrons utiliser ce vaisseau.] Suggéra Oria, également soulagée. Elle se hâta d’ailleurs de transmettre l’information à Sarian par langage gestuel. - [Je vais essayer, mais cette IA est plus difficile à contrôler qu’à détruire. J’ai déjà détruit le contrôle des systèmes d’armes. Le navire est inoffensif.] Émit le garçon. - [Il ne peut plus se servir de ses armes ?] Questionna l’Ildarane. - [Non, il faudra remplacer l’IA du calculateur de combat, je le crains.] Affirma Paul. - [Essaie quand même de maîtriser le centre de navigation, on aura au moins un moyen de transport sous contrôle.] - [Je cherche. Un … Deux… Et trois. Oui, ça y est, j’ai le contrôle. Oups, les torpilles étaient verrouillées, c’était limite. Je vais tenter d’effacer les instructions de l’IA et lui ordonner de se mettre en attente en orbite.] Transmit l’adolescent. - [Attends, essaie de connaître ses instructions et de savoir d’où elles viennent], demanda la jeune psykane. - [OK je m’y attelle, mais il va me falloir plusieurs minutes de tranquillité absolue], acquiesça le garçon. - [Je m’en occupe], ajouta la jeune femme qui avait remarqué le visage anxieux de Sarian qui s’étonnait de les voir immobiles depuis de longues minutes et les regards interrogatifs des scientistes au sujet des étranges pierres luminescences entourant la tête de l’empereur. - Tout va bien ? demanda Livion, visiblement inquiet. - Rassurez-vous, il s’agit d’un dispositif d’apparat qu’Ishar voulait tester avant de débarquer sur votre sol. Nous sommes rassurés que tout fonctionne normalement. N’ayez aucune crainte c’est uniquement décoratif, ce sont des pierres précieuses lumineuses, mais c’est sans danger. La jeune femme avait dû improviser et trouvait elle-même ses explications un peu vaseuses, mais n’avait rien trouvé de mieux. Elle avait en même temps informé Sarian, par gestes, du succès de prise de contrôle de la frégate. Les diamants de Paul avaient repris leur teinte normale et même si les scientistes l’observaient encore avec curiosité, il semblait que les explications d’Oria aient suffi à les rassurer, au moins provisoirement. La navette était en approche de la planète capitale et même si les projections holographiques du bord étaient moins performantes que celles du Bellator, ils pouvaient maintenant apercevoir Kriavia en détail. Mélanie distinguait les dômes abritant la vie locale et l’un d’entre d’eux paraissait gigantesque, même à cette distance. Sans connaître la taille exacte de la planète et en l'absence de références, il estimait que ce dôme couvrait une superficie équivalente au quart de l’Europe. Les adolescents distinguaient d’autres dômes plus petits, de la taille de pays comme la France ou l’Espagne. Livion les informa qu’ils seraient en orbite dans huit minutes et dans le dôme principal d’ici quinze minutes. Aucun des scientistes ne se doutait que Paul était maître d’un petit vaisseau armé qui les suivait docilement à trois cent mille kilomètres de distance. Oria était d’ailleurs surprise qu’il n’y ait pas plus de mesures de sécurité autour de la planète principale, n’importe quel navire furtif pouvait attaquer Kriavia. Mais après réflexion, les scientistes se croyaient à l’abri derrière leur bouclier stellaire et étaient les seuls à maîtriser la furtivité, Randor excepté. Paul avait asservi l’IA de l’aviso scientiste comme celle du Bellator, mais, avant de reprogrammer ses neurones artificiels, il avait eu le temps de prendre connaissance de ses instructions initiales. Celles-ci stipulaient que la navette devait être abattue à quatre minutes-lumière de Kriavia afin que l’explosion soit enregistrée depuis la planète et que la mort de l’équipage et des passagers soit indiscutable. L’aviso devait ensuite s’autodétruire. Paul avait pu découvrir qu’un androïde avait implanté les instructions avant le décollage de l’appareil et qu’il avait ensuite été détruit dans l’espace. Le bâtiment était un navire militaire dépendant d’une unité de réserve basée sur la troisième planète. Paul apprit ainsi que la flotte scientiste comprenait une cinquantaine de ces petites frégates rapides. Leurs IA étaient en stase et n’étaient activées qu’en cas de besoin. Il n’y avait donc pas grand-chose à apprendre de celle du bord. Elle était, d’ailleurs, quasiment vierge de toutes données : excepté les informations tactiques de navigation et de combat, communes à tous les appareils. L’avantage était que le vaisseau ne serait vraisemblablement pas porté disparu, car il y était peu probable que les scientistes contrôlent périodiquement leur flotte de réserve. Seuls le, ou les commanditaires de l’attentat manqué s’interrogeraient sur le sort de leur navire. Comme dit l’expression terrienne : tout malheur à du bon, mais ils l’avaient échappé belle. Sans les détecteurs du Bellator, la navette aurait été désintégrée sans qu’ils aient eu le temps de s’en apercevoir. Le piège était ingénieux, car il aurait été extrêmement difficile, voire impossible, de remonter jusqu’au commanditaire, la frégate devant s’autodétruire après l’attaque. Le seul début de piste passait par les personnes ayant accès aux unités de contrôle des codes d’activation des IA en stase sur la troisième planète. Ni Livion ni ses compatriotes ne s’étaient rendu compte de la situation et ne sauraient probablement jamais qu’ils avaient frôlé la mort de si près. Le commanditaire allait s’interroger longtemps sur la raison de l’échec de son action. La navette amorça sa descente vers la planète dépourvue d’atmosphère et se rapprocha du dôme principal qu’ils avaient aperçu depuis l’espace. De plus près, ils pouvaient distinguer un astroport à proximité du dôme illuminé. De nombreux vaisseaux atterrissaient et décollaient de l’immense complexe de transport. L’absence d’atmosphère rendait le paysage un peu sinistre, car, même éclairé par le soleil, le spectre lumineux était limité et les teintes tiraient sérieusement vers le jaune. Livion les informa qu’il existait seize astroports répartis en périphérie de ce dôme. Ils apprirent également que ceux-ci étaient reliés par des réseaux souterrains et que les astroports de surface ne servaient qu’aux déplacements à l'intérieur du système. Les gros navires restaient en orbite ou atterrissaient sur le seul astroport capable d’accepter des croiseurs interstellaires, situé de l’autre côté de la planète. Mélanie et Paul étaient captivés par le ballet incessant des appareils et, sans l’allure étrange des navettes scientistes et l’absence d’atmosphère, ils auraient pu se croire à proximité d’un gros aéroport terrien. L’absence de piste d’atterrissage ne laissait pourtant aucun doute : les appareils qui se mouvaient autour de l’astroport se déplaçaient à l’aide de propulseurs anti gravité et se posaient et décollaient verticalement. La comparaison avec un aéroport souleva cependant une nouvelle vague de nostalgie dans l’esprit des deux adolescents. Reverraient-ils un jour la Terre ? Sans s’être concertés, leurs regards se croisèrent et ils comprirent qu’ils songeaient à la même chose. Un sourire mi-nostalgique mi-amusé éclaira leurs visages, symbolisant leur nouvelle complicité en cet instant extraordinaire. Ils allaient fouler le sol d’une autre planète ! La navette était en approche finale et ils pouvaient observer les appareils au sol. Lorsqu’un vaisseau atterrissait, une nuée de tubes de raccords se fixaient sur sa coque pour permettre la sortie des passagers et le déchargement du fret. Leur navette était annoncée et les procédures d’atterrissage furent des plus expéditives. Le petit engin se dirigea directement vers une aire de stationnement. À peine immobilisée, un tube flexible vint s’accoler à la coque, les pressions atmosphériques furent équilibrées et la porte du sas s’ouvrit dans un léger chuintement. Livion les invita aussitôt à le suivre dans le tube de débarquement. Paul se leva en réajustant son sabre sur son flanc gauche avec un geste fluide qui n’échappa pas au capitaine scientiste. Mélanie observait attentivement son environnement et ne quittait pas Pallaron d’une semelle, consciente du moment historique qu’elle vivait. Le tunnel de débarquement était opaque et ils ne purent malheureusement pas voir l’extérieur de Kriavia de leurs propres yeux. Un tapis de transport les amena directement dans le terminal le plus proche où les attendait une importante délégation de scientistes. Deux membres du collège, reconnaissables à leurs longues robes vert pâle, les accueillirent chaleureusement, mais Quirtan n’en faisait pas partie. Paul percevait de la joie et de la curiosité dans les esprits des personnes présentes : le responsable de l’attaque ne se trouvait donc vraisemblablement pas à proximité. Les présentations furent rapidement faites : les deux représentants du collège se nommaient Korisandre et Hefry et ils les accueillaient au nom de tous les autres membres. Les deux scientistes remarquèrent naturellement les armes portées par Paul et sa délégation et l’un d’eux parut contrarié. - Votre Majesté, je ne souhaite nullement vous offenser, mais il est strictement interdit aux civils de porter des armes dans les dômes sur Kriavia. Vous ne risquez rien ici, intervint Korisandre sur un ton plutôt gêné. - Si vous faites allusion à mon sabre d’apparat et aux poignards de mes gardes, il s’agit simplement de l’uniforme standard de la maison Verakin, nullement d’armes. Je suis ici en tant qu’héritier de l’Empire, je ne suis pas un civil et il est donc normal que je me présente à vous dans mon uniforme ainsi que ma délégation. Non ? répondit Paul sur un ton faussement candide. Korisandre ne voyait pas très bien comment se sortir de cette situation. Ishar Verakin avait atterri et il n’était plus possible de le renvoyer dans l’espace ou de confisquer les armes de la délégation, sans risquer l’incident diplomatique. Heureusement pour lui, Hefry vint à son secours. - Korisandre, je propose que nous réglions cette entorse à nos lois lorsque tous les membres du conseil seront présents. De toute manière, nous nous rendons directement au siège. Qu’en penses-tu ? Hefry avait manœuvré judicieusement en laissant entendre que ce serait une décision collégiale. Si tous les membres du collège voulaient désarmer les Verakin, qu’ils soient solidaires. Korisandre n’insista pas et tous purent garder leurs armes d’apparat jusqu’au siège du collège où une position officielle serait entérinée. Le comité d’accueil comportait également de nombreux civils, proches du collège, qui avaient souhaité apercevoir l’héritier d’Ildaran de leurs propres yeux. Apparemment, Livion et ses hommes représentaient le seul service de sécurité présent, car les deux membres du collège se déplaçaient sans escorte. Il y eut une légère bousculade, car de nombreux scientistes voulaient approcher Paul et beaucoup l’observaient avec une sorte d’incrédulité non feinte. Le garçon ressentit la même interrogation qu’avec Livion : ils se demandaient tous s’il était le véritable héritier de l’Empire. Mélanie était ébahie devant l’accueil réservé à Paul et prit, pour la première fois, la mesure de son rang. Bien qu’étant un peu marginalisée, elle avait cependant surpris le regard appuyé de quelques jeunes scientistes qui la prenaient probablement pour un membre de la famille Verakin. Cette situation la remplit de fierté et conforta sa décision d’avoir accompagné le jeune homme dans cette aventure. Le garçon était un peu submergé par les émotions de la foule qui se faisaient de plus en plus intenses. Korisandre leur expliqua que le choix du terminal d’arrivée avait été tenu secret jusqu’au dernier moment, car sinon des milliers de scientistes se seraient massés à la sortie. Il devait y avoir eu quelques fuites, car le garçon avait déjà l’impression d’être une star internationale. Sarian et Darin resserraient Paul et se tenaient prêts à réagir à toute agression. Depuis l’attentat avorté avec la frégate de combat, ils étaient certains que certains scientistes ne voyaient pas d’un très bon œil la réapparition soudaine d’un Verakin. Le petit groupe se dirigea avec difficulté vers la sortie du terminal qui débouchait à l’intérieur du dôme. Ils étaient encore proches de la paroi translucide et ils purent observer la faible inclinaison du champ de force montant vers le ciel. Hefry leur annonça, fièrement, que ce dôme culminait à cinq mille mètres d’altitude pour un diamètre de mille deux cents kilomètres. Les parois étaient constituées de trois boucliers Horlzson superposés et alimentés individuellement par trois condensateurs à énergie Kin chacun. Oria nota qu’Hefry avait utilisé le mot condensateur à énergie Kin, et non condensateur Verakin. Le schisme avec l’ancien Empire était, semble-t-il, bien installé. C’est dans une joyeuse désorganisation, peu protocolaire, qu’ils parvinrent à atteindre un groupe de trois glisseurs antigrav. Chaque appareil pouvait emmener huit passagers et il fallut se répartir dans les petits transports. Sarian fit monter Darin et Telius dans le glisseur de tête pendant qu’il montait dans le second avec Paul et Oria. Pallaron prit place à bord du troisième avec Mélanie, un peu déçue d’être séparée du garçon. Les gardes scientistes se répartirent dans chacun de glisseurs, sur les instructions de Livion. Hefry avait souhaité embarquer à côté de Paul et Oria lui laissa sa place en s’installant sur le siège de devant pendant que Korisandre, de son côté, avait embarqué dans le glisseur de la jeune fille. Comme à bord de la navette, Paul se retrouva de nouveau embarrassé par son katana. Il en vint même presque à regretter de l’avoir emporté avec lui. Hefry le remarqua et lui proposa ironiquement de le mettre dans le coffre à bagages. Sur quoi l’adolescent lui répondit, sur le même ton ironique, que son rang ne pouvait souffrir de se débarrasser de ses apparats impériaux. La petite joute verbale n’échappa pas à Livion, qui sourit franchement. J’apprécie de plus en plus ce scientiste. Pensa Sarian, qui avait tout observé. Dès que tout le monde fut installé, le groupe de glisseurs s’élança rapidement, suivi par une nuée d’appareils civils, perturbant le trafic autour de l’astroport pendant un court moment. - Sommes-nous loin du lieu d’arrivée ? demanda Paul à Hefry - Nous sommes à environ cent quarante kilomètres du siège du collège. Précisa le scientiste qui se lança dans une large explication sur le fonctionnement dôme principal. La petite navette avait atterri sur l’astroport le plus proche du siège du collège qui pouvait sembler éloigné, mais le scientiste lui précisa qu’ils utilisaient assez peu les vols à l'intérieur des habitats artificiels. Les concepteurs des dômes avaient édifié un très important réseau de transports souterrains, par œufs gravitiques individuels et collectifs, qui reliait tous les habitats et la population disposait de points d’accès pratiquement partout. Dans un souci d’efficacité, les activités industrielles ou commerciales qui échangeaient avec les autres planètes du système avaient été bâties à proximité immédiate des parois des dômes et des astroports ainsi les déplacements en atmosphère étaient donc très rares. - J’ai préféré que nous voyagions en glisseurs afin de vous montrer un aperçu de notre dôme principal. Reprit Hefry, assez fier de faire découvrir Kriavia à l’héritier de l’Empire. Puis-je vous demander où vous étiez toutes ces années majesté ? - Sur une planète isolée et faiblement technologique, mais c’est sans importance, répondit évasivement l’adolescent qui ne souhaitait pas en dévoiler plus. Ce rappel supplémentaire à sa planète d’adoption lui pinça le cœur une nouvelle fois. Cette fois-ci, nulle complicité avec Mélanie qui se trouvait dans un autre appareil, mais Paul était finalement ravi que la jeune fille ait insisté pour l’accompagner au sol, car soudain il se sentait désespérément seul. Hefry n’insista pas sur le lieu de résidence du garçon, mais voulut apprendre un peu plus sur ses intentions. Au fil de la conversation, Paul comprit que le scientiste souhaitait surtout découvrir comment ils avaient réussi à subtiliser un porte-croiseurs à la flotte ildarane. Les drones-espions de Scienty avaient en effet détecté l’appareillage en urgence de ce bâtiment puis l’agitation de la flotte, quelques jours plus tard. Paul éluda du mieux qu’il put, arguant que ces aspects relevaient du domaine de Sarian. Il changea habilement de conversation en faisant mine de s’extasier devant le spectacle autour d’eux, au grand dam d’Hefry. Les glisseurs se déplaçaient à une trentaine de mètres au-dessus du sol et ils parcouraient de magnifiques étendues vallonnées. De nombreux animaux semblaient paître alors que de nombreuses machines automatiques s’activaient sur les espaces cultivés. - Ces paysages sont extraordinaires, comment avez-vous réalisé cela ? demanda Paul réellement impressionné. - Nous avons reconstitué des écosystèmes complets à partir d’ADN de plantes et d’animaux venant de nombreuses planètes. Il est probable que ce soit la plus grande mixité vivante dans la galaxie, car, contrairement aux planètes humano-compatibles où nous avons toujours conservé un écosystème pur, ici nous avons volontairement mélangé les espèces. Répondit fièrement le scientiste. - Il y a des prédateurs ? s’enquit l’adolescent. - Dans certaines zones uniquement, mais dans la plupart des dômes non. Nous n’avons pas cherché à recréer des écosystèmes autonomes, ce sont des lieux de vie. Il y a surtout des animaux d’élevage et quelques herbivores sauvages dans les forêts de loisir. Précisa Hefry. - Je n’ai pas vu beaucoup de monde depuis que nous avons quitté l’astroport. Combien y a-t-il d’habitants dans ce dôme ? questionna le garçon, surpris par la faible concentration humaine. - Dans ce dôme, il y a environ douze millions d’individus, mais c’est toujours un peu compliqué de connaître le nombre exact, car il y a beaucoup de déplacements entre les dômes. - C’est peu pour une si grande superficie, s’étonna le garçon qui comparait la densité de son pays d'origine, avec les douze millions de scientistes répartis sur une surface aussi vaste que l’Europe ou les États-Unis. - Nous sommes peu nombreux, comme a dû vous le dire Sorphir, et nous avons volontairement limité la taille de nos écosystèmes. La majorité des habitants est issue des planètes de l’Empire et les natifs de Kriavia les plus vieux ne sont âgés que de dix ans. Nous avons mis plus de cinq ans pour construire les premiers dômes et celui-ci n’est terminé que depuis deux ans. Nous ne sommes que vingt-cinq millions dans toute la République de Scienty et nous avons dédié notre société à la science. Nous n’avons donc pas besoin de croître en population, énonça le représentant du collège d’un ton solennel. La conversation se poursuivit alors que les glisseurs survolaient silencieusement de grandes étendues de plaines et de bois. Le convoi bifurqua légèrement pour suivre le cours d’une rivière pendant quelques minutes. Ils étaient déjà passés à proximité de quelques habitations qui rappelaient à Paul les grands ranchs nord-américains. Apparemment, les scientistes aimaient vivre isolés les uns des autres. Malheureusement pour le jeune homme qui s’extasiait du paysage, la nuit commençait à tomber et il devenait de plus en plus difficile de distinguer les détails au sol. - Et comment avez-vous fait pour créer des rivières ? s’enquit Paul. - Ah, répondit Hevry tout sourire. Avec cette exclamation, le scientiste avait révélé toute la fierté de son peuple. Ce fut notre réalisation la plus complexe. Le représentant du collège lui expliqua comment, dans un premier temps, les concepteurs avaient recherché des astéroïdes contenant des molécules d’eau. Cela avait permis de créer la première rivière, mais le volume de liquide était trop faible pour paysager tous les dômes et ils avaient dû ensuite tenter de prélever de la glace sur la quatrième planète. Malheureusement, celle-ci était trop chargée en métaux lourds et la dépolluer s’était avéré trop complexe. Heureusement, des vaisseaux de prospection avaient découvert une planète aquatique recouverte de plusieurs kilomètres de liquide, proche de l’eau. Le ph n’était pas totalement parfait, mais ce fut un jeu d’enfant, pour les ingénieurs climatiques de l’adapter à partir des minerais extraits sur des planètes telluriques. Ils avaient reconstitué d’immenses bassins dans l’espace pour adapter le ph avant d’amener l’eau dans les dômes. - Vous avez amené l’eau depuis l’espace ? s'extasia Paul, sidéré. - Sous forme de glace, dans un premier temps, tractée par des grappins gravitiques. Puis dans des sphères, à gravité dirigée, de plusieurs dizaines de millions de mètres cubes. Nous avons ensuite agité les molécules de glace pour les liquéfier et y mélanger nos minerais. Paul, médusé, imaginait des vaisseaux spatiaux tractant des cubes de glace de plusieurs dizaines de kilomètres de côté. Mais Hefry poursuivait ses explications. - Nous avons ensuite créé un tunnel à gravité dirigée reliant l’espace et le sol pour faire fondre la glace et transférer progressivement l’eau dans les dômes. - Vous avez créé une sorte de canalisation depuis l’espace ? Paul imaginait une gigantesque canalisation déversant des centaines de millions de litres d’eau. - Oui tout à fait. Cela nous a demandé beaucoup de recherche en ingénierie, car cela n’avait jamais été réalisé auparavant. Un groupe de scientifiques a conçu des tubes gravitiques reliés entre eux. À la moindre panne, l’eau se serait échappée sans contrôle et nous avons d’ailleurs eu quelques soucis au début, mais, en fin de compte, tout a bien fonctionné. - Tout cela pour avoir des rivières ? s’extasiait l’adolescent. - Pas uniquement pour le plaisir d’avoir des rivières ou des lacs. La présence d’eau liquide en surface participe à l’équilibre hygrométrique des dômes. Nous avons même un lac de trois cents kilomètres de long, en bordure d’une paroi. Il y a également une base de loisirs qui attire des milliers de scientistes. Le garçon essaya d’imaginer le chantier colossal et restait ébahi par le volontarisme de ces hommes, typique d’un peuple en exil ou de pionniers qui ne peuvent pas regarder en arrière. Ces gens méritent une grande considération, ils ont façonné leur avenir. Songea-t-il. Il faudra que je m’en souvienne lors de négociations pour la réparation du Bellator. - Mais comment faites-vous pour que l’eau remonte à la source des rivières ? Le garçon avait tellement de motifs d’étonnement qu’il abreuvait Hefry de questions. - Il y a un système de trop-pleins dans le lac et des pompes acheminent le liquide vers les douze sources différentes, à l’opposé du dôme. De plus, nous créons des nuages artificiels pour arroser régulièrement les sols. Tout cela est géré par des IA climatiques et fonctionne parfaitement. Sourit le scientiste, ravi de voir que son interlocuteur était intéressé par les transformations apportées à la planète. Paul était en effet sidéré par les travaux de génie civil que les scientistes avaient réalisé pour rendre cette planète habitable. Il comprenait mieux que certains d’entre eux ne soient pas prêts à revenir dans le giron de l’Empire, après avoir déployé autant d’efforts. Paul avait fréquemment regardé en direction d’Oria et de Sarian et il semblait qu’ils aient échangé longuement à l’aide de leur gestuelle codée. Il chercha un contact mental avec la jeune femme, mais elle ne répondit pas à son appel. Paul avait encore des dizaines de questions à poser à Hefry sur les écosystèmes artificiels, mais le convoi de glisseurs approchait de ce qui ressemblait à une ville. Le garçon distinguait des bâtiments éclairés comportant de nombreux étages et Hefry changea de sujet. - Nous voici arrivés au siège du collège scientifique de Kriavia. C’est la plus grosse concentration de bâtiments de la planète. Il y a dans ce périmètre trois universités et cinq grands laboratoires de recherche, annonça fièrement le membre du collège. Paul estima que la ville devait faire environ dix kilomètres de diamètre. Hefry lui expliqua que la plupart des chercheurs ou étudiants venant ici résidaient dans un périmètre de moins de trois cents kilomètres, mais qu’avec le système de transport, il fallait moins de dix minutes, pour les plus éloignés, pour s’y rendre. La vie sur Kriavia semblait s’être totalement articulée autour de la connaissance et de la nature. Les habitants logeaient majoritairement dans des résidences isolées visuellement les unes des autres. Avec le réseau de transport qui reliait chaque maison, la distance avait peu d’importance. Les glisseurs se posèrent sur le toit d’un grand bâtiment ovoïde, largement ajouré de baies vitrées. Korisandre et Hefry proposèrent aux Ildarans de les accompagner dans la salle du conseil pour une rapide présentation et une collation. Le cycle journalier de cette ville correspondait au début soirée et Hefry proposa aux Ildarans de se reposer ensuite jusqu’au lendemain matin, des appartements avaient été préparés à leur attention. Mélanie, qui semblait la plus fatiguée du groupe, fut soulagée par le programme et même Paul, malgré ses Nanocrytes, commençait à ressentir le poids de cette longue journée et était impatient de se reposer. Le petit groupe pénétra dans le grand bâtiment du collège, à la suite de leurs deux guides. Paul et Mélanie auraient pu se croire dans n’importe quel immeuble de bureau tant l’architecture était minimaliste et fonctionnelle. Le bâtiment faisait la part belle aux parois transparentes et aux puits de lumière. Le moins que l’on puisse dire était que les scientistes privilégiaient l’efficacité à l’art architectural. Un ascenseur à gravité dirigée les déposa directement au dernier étage, dans une immense salle de verre située sous le toit du building. Ils purent se rendre compte qu’ils se trouvaient au sommet du plus haut bâtiment de la ville. Cet immeuble devait bien atteindre les deux cents mètres de hauteur et ils apprendraient plus tard qu’il s’agissait de la seule construction de ce type sur Kriavia, car les scientistes préféraient les habitats de plain-pied. La tour abritait deux universités de pointe et justifiait la présence du collège, car tous ses membres étaient, avant tout, d’éminents savants. Le panorama était stupéfiant, car ils pouvaient découvrir tous les autres immeubles et bâtiments éclairés ainsi que la légère irisation des champs de force du dôme. Huit membres du collège les attendaient dans un coin de la grande salle rectangulaire. Deux des membres étaient absents, car ils étaient retenus dans d’autres habitats pour des activités dépendant de leurs charges et ils ne pourraient pas être de retour avant deux ou trois jours. Korisandre leur proposa de prendre une collation et leur présenta, tour à tour, les membres présents : Ynair, Waalsynn, Yleb, Cheeris, Ykel, Aaken, Raren et Yjiis. Tous s’inclinèrent très protocolairement devant Paul, qui ne savait pas très bien quelle posture adopter. Ykel tint absolument à leur faire déguster des boissons produites dans les dômes agronomiques, et plus particulièrement une sorte de vin venant de son domaine privé. La boisson était obtenue à partir d’un fruit hybridé pour s’acclimater aux cultures hydroponiques et c’était la première année de récolte de son vin. Ykel semblait très fier et c’était justifié, car, même sans parvenir à identifier les saveurs qui le composaient Paul l’apprécia immédiatement. Il avait discrètement interrogé Oria sur la toxicité éventuelle d’aliments étrangers, mais l’Ildarane l’avait rassuré. Il était lui-même un Ildaran et la compatibilité génétique avec les terriens était totale et il n’y avait pas de risque pour Mélanie non plus. Par ailleurs, il était peu probable que les scientistes cherchent à les empoisonner. De toute façon, les Nanocrytes médicales injectées à la jeune fille devaient commencer à produire leurs effets et seraient capables de neutraliser toute tentative d’empoisonnement. Ils purent ainsi se restaurer autour d’un buffet, tout en échangeant avec les membres du collège. Mais l’heure tardive interféra sur l’emploi du temps et les conversations furent écourtées pour permettre à la délégation de se reposer. Les scientistes proposèrent aux Ildarans de rejoindre leurs appartements mis à leur disposition. De grandes suites contiguës avaient été préparées et Sarian inspecta soigneusement chaque pièce avec un appareil qui ressemblait à une console de jeux, mais que Paul identifia tout de suite comme un détecteur électronique. L’Ildaran ne craignait pas de bombe dissimulée, mais plutôt d’éventuels mécanismes d’écoutes. Sa crainte restait visible même après que son détecteur ait rendu un verdict négatif sur la présence de dispositifs-espions, car les avancées technologiques des scientistes leur avaient probablement permis de développer des systèmes indétectables. Après l’imprimatur de Sarian, Mélanie et Paul purent entrer dans les lieux. Les appartements occupaient tout un étage de la tour et les chambres donnaient toutes sur la périphérie, offrant à leurs occupants une magnifique vue sur les environs. Il n’y avait apparemment aucun autre accès que le couloir principal et Livion affirma que deux gardes assureraient en permanence la sécurité de l’empereur. D’autres gardes surveillaient les entrées du bâtiment et le commandant scientiste assura que personne ne pouvait pénétrer dans l’immeuble sans y être autorisé. Mélanie ne demanda pas son reste et prit possession de sa chambre. Après un bref passage dans la salle d’hygiène corporelle, elle s’endormit profondément. De son côté, Paul était trop excité par la situation pour réussir à trouver le sommeil. Il repensait à leur aventure depuis Marrakech, il songeait à Stéphanie, à Alex et à ses parents. Que devaient-ils s’imaginer ? Et son chat Gribouille ? Une grande bouffée d’émotions contradictoires l’envahit et il émit inconsciemment une grande détresse psychique, immédiatement perçue par Oria. La jeune femme vint frapper doucement à la porte de sa chambre, devinant la situation. Paul balaya mentalement, presque par réflexe, l’espace environnant et identifia la jeune femme. - Entre, j’ai laissé ouvert. L’Ildarane entra dans sa chambre et le découvrit sur son lit, replié en chien de fusil. - Ce n’est pas très prudent de laisser ta porte déverrouillée. Le fustigea-t-elle. - Je ne parvenais pas à dormir. - Oui, je m’en suis rendu compte. S’ils ont des psykans sur cette planète, tu as dû les réveiller en sursaut. - Excuse-moi je ne parviens pas encore à me contrôler. - Ce n’est pas très grave et il est préférable que tu évacues ta tristesse plutôt que de l’accumuler, cela pourrait être plus dangereux. Mais il faut te reprendre, nous sommes en guerre et nos ennemis profiteront de chacune de tes faiblesses. As-tu déjà visionné des programmes holographiques locaux ? fit la jeune Ildarane pour lui changer les idées. - Non, je ne sais pas me servir de ces trucs. Répondit l’adolescent, un peu vexé par son ignorance des technologies de base. Oria perçut sa légère colère et reprit doucement en souriant - Ce n’est pas très différent des serveurs vidéo terrestres. Tu peux demander à l’IA de la chambre de te proposer des programmes par sujets. IA, disposes-tu de programmes représentant la géographie de Kriavia ? interrogea Oria. - Bien entendu, j’ai accès à tous les programmes holographiques disponibles dans la république. Nous avons également des programmes interceptés dans l’Empire d'Ildaran. - Vous avez des holos de l’empereur Seravon ? demanda Paul soudain intéressé. - Bien sûr. Répondit l’IA en initiant une projection holographique au milieu de la pièce. Paul découvrait pour la première fois le visage de son ennemi mortel. La projection tridimensionnelle le représentait lors d’une cérémonie officielle en présence de nombreux Ildarans habillés luxueusement. D’après l’Ildarane, la scène avait vraisemblablement été filmée lors d’une soirée à la cour impériale en présence de nombreux nobles et familiers de Kera Seravon. L’homme était assez petit, selon les normes occidentales terriennes. Pas plus d’un mètre soixante-cinq à première vue. Un visage quelconque, mais qui reflétait une sorte de bestialité. Kera 1er tourna son regard vers Paul, ou plutôt vers l’appareil qui avait enregistré les images et, inconsciemment, Paul eut un léger recul tant le visage lui paraissait malveillant. Pourtant rien dans son attitude ne trahissait qu’il pût être cruel ou tyrannique, mais les pensées de l’émissaire lui revinrent en mémoire : l’Empereur actuel est corrompu par des ennemis insidieux qui veulent la perte de cette région de l’univers dans tous les plans d’existence. Après avoir bien observé son ennemi, Paul préféra changer de sujet et demanda à l’IA de leur exposer la géographie de Kriavia. Il serait temps de s’informer plus avant sur Kera Seravon lorsqu’ils seraient prêts à revenir sur Ildaran Prime. Probablement pas avant de nombreuses années… Songea l’adolescent. La projection holographique leur dévoila la planète à l’extérieur des dômes. La planète tellurique se trouvait à cent vingt-sept millions de kilomètres de son étoile, plus proche, donc, que la Terre du soleil, mais l'astre de Scienty était plus vieux et beaucoup moins énergétique pour que la température de surface soit tolérable pour les humains. La face éclairée enregistrait, en moyenne, une température de -46 C° et la face sombre -138 C°. Pas très accueillant le caillou. Pendant le défilement des images, l’IA leur fournit des informations complémentaires. Ils apprirent ainsi que Kriavia effectuait une rotation complète en cent quatre heures ildaranes, ce qui expliquait le système d’éclairage et de chauffage artificiel des dômes : la journée locale n’était pas alignée sur la rotation planétaire. L’IA leur concaténa ensuite des extraits holographiques de l’intérieur des dômes. Ils purent ainsi survoler virtuellement le grand lac d’eau douce dans lequel les douze rivières artificielles se déversaient. Les scientistes avaient poussé le raffinement à le peupler d’une faune aquatique et Paul identifia des créatures marines qui ressemblaient à des dauphins terrestres et une autre à un gigantesque animal d’au moins trois fois la taille d’une baleine. Il lui sembla reconnaître une sorte de Basilosaurus, le plus grand prédateur marin de l'Éocène supérieur sur Terre, mais l’IA le rassura en précisant que celui-ci n’était pas carnivore, il servait à nettoyer le gigantesque bassin. Le temps s’écoula alors qu’ils découvraient, ensemble, les différents dômes. Sans surprise, ils étaient tous agencés sur le même modèle : de grandes étendues avec des bouquets d’habitations disséminés un peu partout sans réelle logique. Il y avait de nombreux complexes de recherches et l’IA leur précisa que tous les domaines de la science étaient explorés sur Kriavia. Oria demanda à l’IA de leur présenter des données sur le mode de gouvernance scientiste. L’entité artificielle leur projeta des extraits de cours de politique ainsi que des reportages sur l’organisation administrative. Ils apprirent ainsi que les douze membres du collège étaient cooptés par leurs pairs pour une durée de deux ans, renouvelable une fois. Dans les pays démocratiques, Paul aurait dit élus. Chaque membre était en charge d’un domaine précis : éducation, justice, transport, défense, économie, environnement, santé, énergie, recherche, agriculture, prospection spatiale, loisirs. Même si le gros du travail était effectué par des androïdes pilotés par des IA, les décisions finales revenaient aux membres du collège. Les fonctions les plus importantes étaient celles de la recherche, de l’agriculture, de l’environnement et de la prospection spatiale. Le délégué à l’environnement avait la charge de la stabilité des écosystèmes et était responsable de toute la gestion des climats intérieurs des habitats. C’était un poste vital pour la survie des scientistes. Venait ensuite l’agriculture qui fournissait la nourriture à toute la population. Cette charge était en association étroite avec l’environnement et les membres de ces deux charges étaient souvent choisis sur leurs aptitudes à travailler ensemble. La recherche était évidemment primordiale dans la société scientiste. C’était les racines mêmes de leur culture et la responsabilité de cette charge était de veiller à ce que toutes les ressources nécessaires soient disponibles pour tous les chercheurs. Elle aiguillait également parfois certaines recherches en fonction de l’intérêt général même si les scientifiques avaient une totale latitude pour étudier les domaines de leurs choix. La prospection spatiale travaillait étroitement avec la défense, car chaque vaisseau qui sortait du système devenait une cible potentielle pour un appareil de l’Empire. La prospection était orientée vers la découverte de minerais et de matières premières dans tout l’amas. Quelques missions d’exobiologie avaient également été initiées dans l’espoir de trouver des traces d’intervention non humaine, mais, jusqu’ici, aucune n’avait abouti. La défense était moins sollicitée, car, jusqu’à l’arrivée du Bellator, les navires scientistes n’avaient jamais été repérés par l’Empire et les petits vaisseaux restaient soigneusement à l’écart des routes commerciales. Le plus gros travail de cette charge concernait l’espionnage de l’Empire et l’identification de nouveaux scientifiques, susceptibles de les rejoindre. La défense avait organisé de nombreuses opérations d’exfiltrations, y compris depuis Ildaran Prime elle-même. Paul interrogea l’IA sur la séparation entre recherche et éducation, car cela le surprenait. La machine semi-pensante leur précisa que la recherche était orientée vers la découverte scientifique et la production de nouvelles technologies utiles pour la civilisation. L’éducation visait plutôt à inculquer aux citoyens l’histoire, certes courte, de la nation scientiste et les règles communes ainsi, bien entendu, qu’une formation scolaire générale. Cette charge avait été créée dans un second temps, car les naissances n’étaient survenues que depuis une dizaine d’années. Les autres charges étaient moins importantes, car plus routinières. L’énergie était naturellement assurée par la transformation de matière noire et les condensateurs à énergie Kin. La charge visait uniquement à s’assurer que la production énergétique soit suffisante, notamment pour le bouclier stellaire. Pour les transports c’était, peu ou prou, la même chose. Chaque nouvelle habitation nécessitait un raccordement au réseau d’œufs de transports, mais les IA s’en chargeaient automatiquement. Pour les loisirs, il y avait surtout un grand besoin d’imagination, car les possibilités étaient faibles dans une société tournée essentiellement vers la science. Néanmoins, les choses avaient évolué depuis un an, avec la nomination d’un membre du collège qui avait développé les loisirs aquatiques dans le lac, des loisirs aériens : parapente, vol à voile, etc. Urtian, c’était son nom, avait cherché à distraire ses concitoyens. Il existait maintenant des croisières spatiales entre les trois planètes, des résidences de loisirs. Il était le père de l’un des premiers enfants nés sur Kriavia et ceci expliquait probablement sa propension à faire progresser la société scientiste vers un peu d’hédonisme. La charge de l’économie était paradoxalement la moins complexe, car elle se cantonnait à surveiller l’approvisionnement et l’équilibre des comptes. Cela fit sourire intérieurement Paul, qui avait quitté une nation en pleine tourmente économique. Mais le temps s’écoulait rapidement et ils devaient songer à dormir un peu, car, même avec leurs Nanocrytes, leurs corps avaient besoin de sommeil pour éviter de puiser dans leurs réserves. Oria regagna donc sa chambre et laissa l’adolescent l’esprit rempli d’informations sur la société scientiste. L’intermède lui avait au moins évité d’avoir à s’endormir avec des pensées nostalgiques. De leurs côtés, Darin, Sarian et Pallaron s’étaient retrouvés dans une chambre pour partager les informations collectées depuis ces dix dernières heures. Les deux lieutenants de Sarian apprirent ainsi, avec surprise, l’attaque manquée sur la vedette. Ils soupçonnaient que leurs appartements soient sur écoute et utilisaient donc leur gestuelle codée pour communiquer. Cela restreignait un peu la richesse des échanges, mais c’était suffisant pour qu’ils se coordonnent. Ils avaient également visionné des programmes sur la civilisation scientiste, même si leurs centres d’intérêt étaient plus tournés vers les technologies militaires que sur les écosystèmes des habitats. La nuit locale était déjà bien avancée lorsqu’ils décidèrent d’aller se reposer. * Chapitre 43 Dans le palais du prince marchand, les trois Ildarans se réveillèrent à l’aube, en pleine forme. Leurs Nanocrytes avaient éliminé toutes les toxines accumulées et une analyse médicale aurait révélé une santé insolente. Des serviteurs de Sertime se présentèrent devant leurs appartements afin de s’assurer qu’ils étaient bien éveillés. L’intendant principal qui les accompagnait leur signifia que le prince les attendait dans la petite salle à manger, pour le petit-déjeuner. Après avoir fait quelques longueurs dans la vaste piscine intérieure et enfilé une tenue adaptée, les trois extrapolonians se rendirent auprès de Sertime. Celui-ci les accueillit avec son flegme habituel même si Klosteran percevait une légère tension chez leur hôte. - Veuillez me pardonner de vous recevoir dans cette petite annexe, les accueillit le marchand. - Rassurez-vous prince, nous sommes habitués à la simplicité, répondit Rliostem. - Prenez place et restaurez-vous, vous en aurez besoin pour le jugement. Ajouta le prince en leur présentant la table garnie d’un large geste circulaire. - Merci, s’inclina Baliran, qui connaissait mieux les us et coutumes locaux. Après le bref petit-déjeuner, les Ildarans furent invités à se changer pour se rendre au palais de la justice. * Une musique agréable réveilla Paul. Un peu désorienté, l’adolescent mit quelques secondes à prendre conscience qu’il était sur Krivia. La musique lui rappelait de vieilles balades celtiques, bien qu’il ne reconnaisse pas les instruments. Une interface holographique lui signala qu’une communication entrante était en attente. Il s’agissait de Sarian. Paul demanda à l’IA d’accepter la communication. - Votre Majesté, fit Sarian, le plus sérieusement du monde. - Bonjour ! Sarian, je crois que tu peux te dispenser de ces mondanités, surtout au réveil, répondit le garçon, amusé. - Je crains que non, nous sommes en présence d’Ildarans et même s’ils semblent avoir oublié leurs racines, vous êtes leur empereur légitime. Il est important de vous témoigner toutes les marques de respect dues à votre rang, répliqua l’Ildaran d’un air sérieux. - Abstiens-toi au moins en privé alors, concéda Paul. Qu’elle est l’ordre du jour ? - Le secrétaire d’Hefry m’a contacté il y a quinze minutes, c’est pourquoi j’ai demandé que l’on te réveille. Nous allons nous retrouver dans trente minutes pour une collation puis nous sommes attendus dans la salle du conseil dans une heure trente. Toute la petite troupe se retrouva pour petit-déjeuner. Les habitudes des scientistes étaient naturellement très éloignées de celles des deux adolescents. Un androïde apporta des boissons chaudes qui avaient vaguement un goût de thé vert fortement épicé. Il y avait également de nombreux fruits totalement inconnus, présentés dans de grands saladiers et des sortes de crèmes produites à partir de plantes et de lichens. Apparemment pas de sous-produits animaux. Après cette expérience enrichissante, Mélanie songea qu’il serait peut-être opportun de faire venir des graines de café et du thé depuis la Terre. Il y avait certainement un commerce à développer… Ils se retrouvèrent tous dans la grande salle du collège devant dix des douze membres qui avaient l’air extrêmement soucieux. Après le salut rituel, Korisandre entra directement dans le vif du sujet. La flotte impériale de cent dix croiseurs avait été localisée et elle ratissait tous les systèmes solaires à partir d’Epsilon Eridani. Les impériaux avaient envoyé des centaines de drones de chasse et comme l’amas de Pléiades ne se trouvait qu’à quatre cent trente années-lumière d’Epsilon Eridani : ce n’était qu’une question de temps pour qu’un appareil-espion n’émerge dans le système scientiste. Tous les vaisseaux de la république de Scienty avaient été consignés à l’intérieur de la barrière stellaire, mais cela handicapait l’approvisionnement en matière première, car les minerais nécessaires au fonctionnement de la petite république venaient majoritairement des systèmes de l’amas des Pléiades. Il y avait un peu de minerai sur les planètes scientistes et sur leurs satellites, mais il manquait de corodrium et le fonctionnement de Krivia s’en trouverait vite gravement perturbé. La flotte ildarane pourrait même faire un blocus du système solaire si les boucliers furtifs n’étaient plus totalement efficients et qu’elle les repère. La tension des membres du collège était palpable et contrastait singulièrement avec leur attitude bienveillante de la veille. Sans le dire ouvertement, ils reprochaient à Paul et à ses proches d’avoir provoqué cette crise. Yleb et Aaken étaient les plus virulents et souhaitent même expulser immédiatement le Bellator du système. Waalsynn et Ystor y étaient totalement opposés et proposaient au contraire d’offrir une aide massive aux Verakin. Raren et Ykel étaient partagés. Bref, le collège était profondément divisé et il manquait les avis de deux membres : Quirtan et Obvion. Sarian était un peu désorienté par la tournure des évènements pendant que Paul se concentrait pour essayer de percevoir les influx mentaux des dix membres présents. La tension ne lui permettait pas de clarifier si certains étaient hostiles ou uniquement sous pression. Malgré tous ses efforts, il lui fut impossible de savoir avec certitude si le commanditaire de l’attentat était l’un des membres présents. Le garçon n’osait pas intensifier ses émissions mentales de crainte que ses joyaux ne rayonnent de nouveau et suscitent des questions indiscrètes. Finalement, c’est Sarian qui proposa la solution la plus constructive : - Messieurs. Je comprends parfaitement le problème que nous représentons et le risque que nous faisons courir à votre peuple. Inutile de nous voiler la face. Les drones de l’Empire finiront inévitablement par trouver votre système, s’ils continuent leurs recherches. - Que proposez-vous dans ce cas ? Vous voulez quitter la République de Scienty ? interrogea calmement Ystor. - Je crois que cela ne servirait pas à grand-chose. Car tant que Kera Seravon n’aura pas retrouvé le Bellator et surtout Ishar, il continuera à fouiller cette région de la galaxie. Répondit calmement l’Ildaran. - Vous voulez vous livrer ? intervint Hefry, en relevant les sourcils. - Non, n’exagérons rien, sourit Sarian, mais la seule solution, pour que les impériaux cessent leurs recherches, c’est qu’ils trouvent le Bellator loin d’ici. - Si nous leur abandonnons le Bellator, nous perdrons un atout considérable, c’est toi-même qui l’as souligné lorsque nous étions dans le système d’Epsilon Eridani. S’insurgea Paul. - Quelles sont nos chances face aux croiseurs de la flotte impériale ? demanda Oria, qui envisageait un combat spatial comme dans le système solaire. - Face à une cinquantaine, ou même une soixantaine, de croiseurs et avec le Bellator pleinement opérationnel, ce serait jouable. Nous nous en tirerions cependant avec de gros dégâts. Mais avec nos avaries et les systèmes défensifs actuels, nous ne tiendrions pas cinq minutes face à dix croiseurs lourds alors face à cent dix… répondit Darin. - Et si nous nous mettions en orbite solaire dans un système inintéressant ? C’est ce qui était prévu autour d’Epsilon Eridani ? Nous serions indétectables, déflecteurs coupés et propulsion stoppée ? proposa Mélanie. - C’est une stratégie possible lorsqu’un appareil balaye superficiellement un système depuis la périphérie, mais pas lorsqu’un drone s’enfonce en profondeur jusqu’à l’étoile. Les impériaux savent bien que c’est la seule tactique que nous pouvons déployer et tous leurs drones vont scruter méticuleusement tous les systèmes, rétorqua Oria. - Paul a raison, on ne peut quand même pas leur livrer le Bellator. Fit Darin. - Je n’envisage pas de leur laisser reprendre le Bellator, uniquement de le leur montrer puis fuir au-delà de leurs capacités de recherche. Sarian détailla ainsi son plan à l’assemblée. L’idée de l’Ildaran était de leurrer les impériaux, en leur faisant croire que le Bellator n’avait pas été trop endommagé et qu’il était largement opérationnel. La flotte impériale partait du postulat que les capacités de sauts du gros vaisseau étaient limitées à une dizaine d’années-lumière. Un expert militaire avait visiblement conjecturé le remplacement des condensateurs par ceux des croiseurs du bord et, comme les impériaux disposaient des données techniques du Bellator, il n’avait pas été difficile de calculer le rayon d’action du vaisseau et d’arriver à quinze années-lumière maximum. Sarian proposa de rendre caduc ce postulat en leur démontrant que le Bellator pouvait transiter sur de grandes distances. Ainsi la traque méticuleuse et systématique n’aurait plus aucune raison de se poursuivre. - Que suggérez-vous Sarian ? interrogea Ynair, intéressé. - Et bien, je propose que vous remplaciez nos quatre condensateurs par vos modèles les plus performants. Ensuite, nous engagerons un bref combat avec des unités impériales. Puis nous transiterons sur une distance d’au moins cinq cents années-lumière. Les impériaux se poseront certainement la question de savoir comment nous avons pût réparer nos condensateurs, mais ils devraient cesser les recherches dans ce quadrant spatial. Il est vraisemblable que l’empereur continue à larguer des drones dans toute la galaxie, mais plus spécifiquement dans cette zone, proche de l’amas des Pléiades. Nous pourrons même faire une brève incursion à l’intérieur des frontières de l’Empire pour leur laisser croire que nous sommes retournés de l’autre côté de la galaxie. Sarian n’était finalement pas mécontent de la traque initiée par Kera Seravon, cela lui fournissait un excellent argument pour forcer la main des scientistes et faire remplacer les condensateurs du Bellator. Le flottement dans l’assemblée des membres du collège le conforta dans l’idée que les scientistes n’étaient pas prêts à céder facilement certains éléments de leur technologie. Il y eut quelques apartés furtifs entre les membres, mais il leur fallait se décider rapidement, car les drones de l’Empire ne feraient aucune pause. En fin de compte, c’est Aaken qui trancha : - Il semble que nous n’ayons pas tellement d’options. Soit nous vous fournissons des condensateurs soit les impériaux nous trouveront tôt ou tard… À moins que votre porte-croiseurs ne soit détruit au combat face à leur flotte ? lâcha néanmoins le scientiste qui laissa planer le doute sur leurs intentions finales. Sarian réfuta aussitôt l’argument du scientiste. - Cela ne ferait pas cesser les recherches, car Kera Seravon sait que le navire est entièrement piloté par une IA. Si vous envisagez que nous soyons faits prisonnier par l’Empire, vous savez qu’ils découvriront inévitablement votre existence après un interrogatoire avec des psykans. Si le Bellator est détruit, Kera pensera que nous sommes restés à bord de l’un des croiseurs. Mon plan est le seul viable, mais il faut faire vite. De toute façon que représente pour vous la fourniture de condensateurs Verakin ? ajouta l’Ildaran avec un air ingénu, digne d’un acteur de théâtre. - Dans l’absolu, pas grand-chose, face à la survie de notre jeune république, mais cela revient à vous fournir l’accès à nos nouveaux modèles vingt fois plus performants que ceux que vous utilisez. Répondit Yleb visiblement contrarié de se voir forcer la main. Paul avait sondé les membres du collège et même s’il n’avait pas totalement réussi à lire leurs pensées, car ils étaient protégés par l’équivalent de résilles Kries, l’adolescent avait perçu qu’ils avaient déjà envisagé de réparer le Bellator, mais avec des contreparties que Paul n’avait pu déchiffrer. - Avoir à bord du Bellator vos condensateurs ne signifie pas que nous saurons les reproduire, vous le savez bien, objecta Sarian. - En effet, de toute façon, il semble que nous n’ayons pas vraiment d’alternatives. Nous allons changer vos condensateurs, mais nous exigeons en retour un engagement formel de la part d’Ishar Verakin, intervint Korisandre. Ça y est, nous y sommes. Pensa le garçon. - Je vous écoute, répondit Paul, très sérieux. L’adolescent endossait le costume d’héritier de l’Empire d’Ildaran. - Si vous reprenez le trône d’Ildaran, vous vous engagez à nous laisser indépendants et ne pas tenter de reprendre ce système sous le contrôle de l’Empire, intervint Aaken. Paul réfléchit quelques secondes. Il aurait pu refuser, car les scientistes n’avaient pas le choix : soient ils changeaient les condensateurs du Bellator pour appliquer le plan de Sarian soit ils courraient le risque d’être découverts par Kera Seravon. Celui-ci serait certainement moins enclin à leur laisser l’indépendance et ils s’exposeraient à une guerre longue et coûteuse. Néanmoins, Paul entrevit de nombreux avantages à accepter cette proposition : les scientistes seraient beaucoup plus motivés à l’aider à reprendre le trône si cela garantissait durablement leur modèle de société. Plus besoin de se cacher, ils pourraient commercer et échanger avec l’Empire. Une sacrée opportunité pour les deux parties, car le Bellator avait absolument besoin de leurs innovations technologiques. - Je pense, messieurs, que de toute façon vous n’avez pas le choix, car, si nous n’appliquons pas le plan de Sarian, votre jeune république sera découverte par l’Empire et vous savez tous ce qu’il en résultera. La première phrase de Paul figea les scientistes et la colère de plusieurs d’entre eux fut instantanément perceptible, mais le garçon enchaînait déjà : néanmoins j’accepte votre offre, car je crois que c’est le meilleur compromis pour nos intérêts respectifs. En contrepartie, je souhaite que vous équipiez le Bellator et nos croiseurs des dernières technologies furtives, de défenses et d’attaques présentes sur vos appareils, y compris une douzaine de drones furtifs pour le Bellator. De notre côté, nous vous permettrons d’étudier le champ de camouflage du Randor pour améliorer vos boucliers. Avons-nous un accord ? Il y eut un soulagement visible chez les membres du collège, suivi d’un bref conciliabule et leur décision fut rapidement entérinée. Ils savaient, en effet, que leurs options étaient limitées et la certitude de pouvoir conserver l’indépendance de la République de Scienty justifiait, à elle seule, la fourniture de technologies avancées. Pouvoir étudier le bouclier d’occultation du Randor serait la cerise sur le gâteau. - Nous sommes d’accord, Ishar Verakin. Vous avez bien manœuvré, sourit Aaken. Nous sommes maintenant des alliés inconditionnels de la maison Verakin. Nous avons des intérêts communs à ce que vous l’emportiez sur les Seravon. IA, as-tu officialisé l’accord ? - Tout est enregistré dans nos banques de données et une copie est en cours de transmissions vers Bella. Tous notèrent avec surprise que l’IA scientiste avait nommé son homologue par le prénom donné par Paul. Ce pourrait-il que ces intelligences artificielles aient développé des sentiments individuels ? - Parfait. Estimation du délai nécessaire pour remplacer les condensateurs sur le porte-croiseurs et ses appareils ainsi que pour mettre en place des boucliers renforcés ? demanda Ystor, qui était en charge de l’énergie. - Dans le cas d’un remplacement pur et simple des condensateurs, il suffira de douze heures, car il y a des condensateurs en stocks sur Kriavia 4 et je dispose de toute l’infrastructure d’acheminement. Par contre, les appareils ildarans ne pourront pas utiliser les capacités maximums de ces condensateurs, car les faisceaux supraconducteurs de raccordement ne supporteraient pas la surcharge énergétique. Pour mettre à niveau le Bellator avec des faisceaux pouvant encaisser le surplus d’énergie, il faudra remplacer une grande partie du câblage. Je ne dispose pas des plans du Bellator, mais c’est une opération qui nécessitera au moins trois mois d’immobilisation. - Bien, dans ce cas l’affaire est entendue. Coordonne le remplacement des condensateurs avec l’IA du Bellator, en tenant compte de la limitation énergétique cohérente avec les capacités de transport de puissance vers les écrans de protection. Et pour les boucliers furtifs ? s'enquit Cheeris. - Il faudra prévoir le câblage de nouveaux faisceaux, car c’est une technologie très consommatrice en énergie. Impossible de l’installer sans immobiliser les appareils pour une mise à niveau. Dans le cas du Bellator, au moins un mois supplémentaire. - Bien messieurs, je crois que vous allez devoir vous contentez d’un échange standard des condensateurs pour le moment. IA ? Aucune amélioration possible dans un délai si court ? demanda encore Cheeris. L’IA centrale de Krivia concevait en temps réel les plans de mise à niveau, du Bellator et de ses croiseurs, à partir des données fournies par Bella. Les deux machines pensantes avaient interconnecté leurs neurones synthétiques et les améliorations avaient été parfaitement évaluées. Tous les condensateurs des vaisseaux Verakin pouvaient être échangés rapidement et offriraient une capacité de stockage de l’énergie considérablement accrue. Malheureusement, les faisceaux de transport de l’énergie ne pouvaient pas être remplacés dans un délai aussi bref et ils ne pourraient pas débiter plus d’énergie qu’auparavant. Les systèmes d’armes des croiseurs seraient donc uniquement plus endurants, mais pas beaucoup plus puissants. En revanche, sur le Bellator, les évolutions seraient particulièrement efficaces, car le navire possédait originellement des condensateurs surdimensionnés pour lui permettre de faire transiter son énorme masse et les faisceaux de raccordement des boucliers avaient été conçus en proportion. L’échange standard des condensateurs allait donc permettre d’utiliser pleinement la puissance des boucliers tout en conservant assez d’énergie pour la transition quantique. L’IA centrale prévoyait également de remplacer les canons à disrupteur qui bénéficieraient largement du surplus d’énergie. Les systèmes d’armes détruits par les tirs du Carou 4 pouvaient presque tous être réparés et redonneraient au gros vaisseau la quasi-totalité de ses capacités offensives. Enfin, l’amélioration considérable des performances des condensateurs permettrait au Bellator d’utiliser pleinement ses filets surpuissants de captage de matière noire et de ravitailler dans des délais ultra-courts. - Bien. Plutôt positif, ces améliorations techniques. Constata Sarian, visiblement satisfait de l’accord conclu. Mais Paul avait-il mesuré les conséquences, pour l’Empire, de laisser cette république indépendante ? Pour l’exécution de leur stratégie de diversion, le renforcement de la puissance des condensateurs allait permettre de se déplacer sur plusieurs milliers d’années-lumière sans avoir à recharger en matière noire. Un atout considérable face aux navires impériaux. Sarian avait prévu d’émerger à proximité des appareils impériaux après un saut conséquent et d’engager un bref combat. Leurs détecteurs enregistreraient l’intensité de l’ébranlement de la structure de l'espace et les convaincraient que le navire était pleinement opérationnel. Puis le Bellator cesserait le combat pour transiter à, au moins, mille années-lumière du conflit. - Cela devrait laisser perplexes les stratèges de la flotte, affirma l’Ildaran avec un sourire. Certains membres du collège, et en particulier Yleb, n’étaient pas vraiment favorables à la fourniture d’armes au gros navire, car ils craignaient que ces technologies offensives puissent un jour se retourner contre eux. Yleb s’en était d’ailleurs ouvert franchement à Sarian. - Je ne me fais aucun souci pour vous, plaisanta celui-ci, avec le potentiel scientifique que vous avez concentré, vous allez rapidement rendre nos armes obsolètes. Le sourire, à peine dissimulé, de plusieurs membres du collège prouva que Sarian avait visé juste. Les scientistes possédaient certainement déjà des armes plus sophistiquées que celles qu’ils allaient mettre à disposition d’Ishar Verakin. D’un autre côté, il fallait qu’ils l’aident au maximum, car si le Bellator était pris à partie par une flotte importante et qu’il soit détruit, leur accord ne servirait plus à rien. Le risque le plus important étant que l’un des membres de l’équipe de Paul soit capturé et révèle l’existence des scientistes. L’IA centrale avait donc reçu comme instruction de transférer tout ce qui était possible, en une vingtaine d’heures, sur le Bellator et les neuf croiseurs d’attaque. Des milliers d’androïdes de maintenance avaient été mobilisés en urgence pour répondre à ce formidable challenge que représentait ce chantier éphémère. Le séjour des Ildarans sur Kriavia 1 allait être abrégé, car il leur fallait déjà repartir vers Kriavia 4 afin de rallier, au plus, vite le porte-croiseurs. Tous espéraient que l’Empire ne découvrirait pas la république scientiste d’ici les trente-six prochaines heures. Des dizaines de drones furtifs avaient été déployés dans les systèmes de la zone de recherche impériale et rapportaient que les cent dix croiseurs étaient positionnés, à quatre-vingt-cinq années-lumière de l’amas, dans le système d’Aldébaran. Le secteur de recherche s’était déjà élargi à un quadrant de quarante années-lumière autour du système d’Epsilon Eridani et s’entendait sans cesse. Parallèlement, un blocus complet du système solarien avait été mis en place, probablement au cas, où Paul serait encore sur Terre. La réunion avec le collège scientiste fut donc écourtée et tous les membres de l’équipe de Paul regagnèrent leurs appartements afin de rassembler leurs affaires et rejoindre l’astroport au plus vite. Paul était dans la salle de bain lorsque le chuintement caractéristique de l’ouverture de la porte d’entrée de son appartement lui fit dresser l’oreille. Il n’attendait personne d’autant que l’ouverture ne devait, en principe, se déclencher qu’à son initiative. L’adolescent projeta son esprit et ne rencontra que le vide. Il fut donc immédiatement sur la défensive, surtout après l’attentat avorté dans l’espace. L’adolescent enclencha son bouclier défensif et dégaina son katana en Arkrit. Il regrettait, à cet instant, de ne pas avoir un pulseur à aiguilles. Le garçon se déplaça lentement, aussi silencieusement que possible, et s’approcha de la porte de la chambre afin d’avoir une vue directe sur le salon. Il ne dut qu’à son bouclier de ne pas avoir la tête pulvérisée par la salve d’un pulseur à aiguilles. Heureusement qu’il n’était pas chargé avec des fléchettes en Arkrit ! Eut-il le temps de penser avant d’être entraîné dans le combat. - [Oria, on m’attaque, au secours] Paul eut le réflexe de lancer un appel mental avant que ses agresseurs ne soient sur lui. Ils étaient trois, armés de pulseurs à aiguilles et de couteaux en Arkrit. Paul activa aussitôt la résonnance vibratoire de son sabre, car ses agresseurs étaient, eux aussi, protégés par des boucliers Horlzson. Le combat s’engagea immédiatement et l'adolescent ne dut sa survie qu’à sa longue pratique de l’Aïkido, complétée par les entraînements de Darin. Au moins mes adversaires ne sont pas améliorés aux Nanocrytes de combat, se réjouit-il après le premier regard. Ses adversaires ne lui laissèrent pas le temps de réfléchir et se jetèrent sur lui, de concert, avec l’intention évidente d’en finir rapidement. Les réflexes de l'adolescent jouèrent à plein et il plongea dans une chute avant, sabre à l’horizontale. L'attaquant de gauche fut mortellement touché et porta la main à son ventre ensanglanté, ouvert sur vingt centimètres. La surprise fut totale, car les trois assaillants ne s’attendaient visiblement pas à ce que Paul soit armé, avec un sabre en Arkrit de surcroît. L’injection de Nanocrytes, de type six, semblait également avoir commencé à produire ses effets, car le jeune homme avait réagi avec une force et une vitesse qui l’avait, lui-même, surpris. Après un court moment de flottement, ses deux adversaires, restant en état de combattre, se placèrent de part et d’autre de lui, poignards levés. Ils se méfiaient de cette lame de soixante-douze centimètres maniée par un jeune homme manifestement très entraîné. Soudainement, l’un des agresseurs attrapa vivement une petite arbalète à impulsion, accrochée dans son dos, et mit Paul en joue. Paul n’eut que le temps de crier : [NON !]. Ses joyaux se mirent à étinceler et son adversaire porta sa main libre à sa tête en s’effondrant terrassé. Il avait néanmoins eu le temps de décocher la fléchette en Arkrit qui vint se ficher dans l’épaule gauche du jeune homme. La douleur fut aussi fulgurante que brève. Les Nanocrytes avaient instantanément stoppé la circulation sanguine autour de la blessure et bloqué les transmissions nerveuses véhiculant la douleur. Le dernier adversaire n’eut pas le temps de tenter un troisième assaut : la porte de l’appartement de Paul disparue sous l’action d’un disrupteur moléculaire. Sarian et Darin se ruèrent dans la pièce, lame en Arkrit dans la main droite et pulseur dans la gauche. Livion entra à leur suite, suivi de deux de ses soldats, le disrupteur encore à la main. Le dernier agresseur tenta de s’échapper, mais il ne pouvait rien contre des combattants surentraînés, améliorés aux Nanocrytes de combat. Sarian tenta de le prendre vivant, mais, se rendant compte de l’impossibilité de fuir, l’homme se plongea sa propre lame dans la poitrine. Le premier agresseur de Paul, blessé au ventre, activa un dispositif à son poignet en gardant le regard rivé sur Paul. Sarian comprit immédiatement et hurla : - Tout le monde dehors ! Il attrapa Paul et l’expédia à travers la porte, dans le couloir. Grâce à leurs améliorations, les Ildarans eurent le temps de plonger dans le couloir, mais les deux soldats scientistes, moins rapides, n’avaient pas encore atteint le seuil de l’appartement qu’un énorme flash projeta une boule de plasma à travers la porte. Sarian avait percuté Livion et lui avait sauvé la vie, car tout ce qui se trouvait dans l’axe du feu meurtrier fut instantanément vaporisé par la mine plasmatique qui avait dégagé plus de quinze mille degrés. Le bâtiment était heureusement construit dans une structure moléculaire capable de résister à un tir de disrupteur, mais tout ce qui n’avait pas été protégé derrière une cloison n’était plus que particules de gaz surchauffé. À part les deux hommes de Livion, il n’y avait que deux blessés légers et les Ildarans n’avaient à déplorer que quelques brûlures superficielles qui seraient vite guéries par leurs Nanocrytes médicales. Les cheveux d’Oria étaient un peu roussis, mais sans gravité, et Paul avait une légère blessure au coude, suite à son atterrissage brutal contre la cloison. Livion était livide, il n’avait jamais imaginé que l’on puisse attenter à la vie d’Ishar Verakin au sein même du siège du collège scientifique et encore moins avec des armes de cette nature. Il n’y avait pas eu de violence dans la République depuis plus de quinze ans. Il ne comprenait même pas comment des assassins, si bien équipés, avaient pu s’entraîner sur Kriavia. Trois de ses hommes arrivèrent en renfort et restèrent hébétés devant le spectacle de destruction. Les deux gardes postés à l’extérieur avaient été abattus au pulseur et gisaient dans une mare de sang le long du mur. L’appartement de Paul était entièrement vitrifié et il n’y avait plus aucune particule de matière exploitable pour une enquête. Les responsables de l’attentat avaient détruit toute preuve éventuellement compromettante. - Il faut prévenir le collège, réussi à articuler Livion. - Il faut surtout évacuer rapidement Ishar Verakin sur notre vaisseau. C’est le seul endroit où il sera vraiment en sécurité, répondit Sarian d’un air grave. - Mais comment sont-ils parvenus jusqu’ici ? s’interrogeait encore Livion. Ces bâtiments sont totalement sécurisés à cause des recherches qui y sont menées. Seuls les individus très proches de cette unité de recherche peuvent avoir accès à ces étages. - Cela signifie que le commanditaire de cette attaque est proche du collège scientifique ou doit avoir des complices, avança Sarian. - Nous n’avons jamais eu d’actes de violence de cette importance depuis la création de la République ! balbutia l’un des hommes de Livion. - Et bien, il semble que mon arrivée dérange des gens hauts placés, ajouta Paul. La fléchette était toujours plantée dans son épaule, mais il ne ressentait aucune douleur. - Approche, je vais ôter ça de ton épaule, lança Oria, qui s’était avancée. - Ce n’est pas risqué de la retirer comme ça ? Je pourrais faire une hémorragie. S'enquit l'adolescent en fixant la chevelure de l’Ildarane. - Tu ne risques rien. Tes Nanocrytes sont déjà à l’œuvre et ont isolé le trauma. Tout risque d’hémorragie ou d’infection est jugulé. Dans un second temps, elles vont accélérer la reconstitution cellulaire. Dans quarante-huit heures, tu n’auras même plus de traces de blessure. Répondit l'Ildarane en posant sa main gauche sur la clavicule du garçon. Sa main droite empoigna la fléchette et l’arracha d’un coup sec. La pointe était ronde et la blessure propre, mais profonde. À deux centimètres près, le cœur aurait été atteint. Les joyaux de Paul venaient de le sauver une nouvelle fois. - Tu t’en tires bien, fit remarquer Darin. - Oui, mais heureusement que j’ai suivi tes consignes. J’ai activé mon bouclier immédiatement et je portais mon sabre. Sinon ils auraient probablement réussi leur coup. - Heureux de savoir que mes leçons ont porté leurs fruits. Lui répondit le lieutenant de Sarian le plus sérieusement du monde. Mélanie venait d’arriver et fixait la scène d’un air atterré devant l’étendue des dégâts dans la suite de Paul. L’adolescente semblait avoir retenu les leçons de Darin, car son bouclier était activé : Paul décelait la légère irisation, caractéristique du système de protection. La jeune Française ne put même pas articuler un mot lorsqu’elle découvrit les gardes à la poitrine déchiquetée par les pulseurs. Elle eut un sursaut d’écœurement, mais parvint à se contenir en détournant la tête pour ne pas vomir. La température dans la suite était redevenue normale, mais les murs étaient noircis par la chaleur de la mine plasmatique et tous les meubles et objets contenus dans la pièce principale avaient tout bonnement disparu. Pallaron restait à proximité de la jeune fille, prêt à l’évacuer en cas de danger, la main sur son poignard. - Bien, Livion, reprit Sarian. Je pense qu’il est plus qu’urgent que nous repartions vers l’astroport avant que le, ou les, commanditaires de cette agression n’aient le temps de se retourner. En espérant qu’ils n’aient pas prévu de plan B. - Je fais amener immédiatement les glisseurs, réagit le lieutenant scientiste. - Non. Sauf votre respect, je préférerais utiliser les œufs de transport. Ce sera plus rapide et plus difficile à intercepter, car c’est l’IA générale qui régule le trafic et il est impossible de connaître, en temps réel, la position d’un œuf en particulier. Nos adversaires ne pourront donc pas cibler l’œuf dans lequel se trouvera Paul, surtout si nous entrons en groupe dans le terminal de transport. Répliqua Sarian, qui avait déjà évalué la situation. - Vous avez raison, allons-y tous de suite. Rial, Tonon, ouvrez le chemin, arme à la main, prête à tirer, ordonna Livion à ses hommes encore traumatisés. Oria donna la fléchette d’Arkrit à l’un des scientistes en lui demandant de la faire analyser. Si elle venait de Kriavia, il devrait être possible de retracer la source du façonnage moléculaire ayant produit ce petit carreau d’une seule pièce. Sarian les pressa et le groupe complet se dirigea vers l’ascenseur à gravité contrôlée. Un terminal de transport était situé au quatrième sous-sol de la tour et ils y furent en quelques secondes. L’Ildaran avait son air grave des mauvais jours et reprochait directement aux scientistes de n’avoir pas su mettre en place une protection efficace. Comme Sarian s’y attendait, le système de transport de Kriavia était resté presque identique à ce qui existait dans l’Empire. Il suffisait de commander un déplacement en indiquant la destination et le nombre de personnes à transporter. L’IA de régulation du trafic envoyait les œufs disponibles les plus proches et les pilotait jusqu’à l’arrivée. Moins de quarante secondes plus tard, il y avait déjà deux appareils en approche. Livion et ses hommes montèrent dans le premier œuf, quatre places, qui se mit immédiatement en mouvement. À eux d’assurer que le terminal d’arrivée soit sécurisé. Le second était un biplace et cela n’arrangeait pas Sarian, mais ils n’avaient pas le temps de faire le difficile. Il monta avec Paul, laissant le reste du groupe devant le sas d’attente. Heureusement, à cette heure-ci, le trafic était faible et un nouvel œuf se présenta quelques secondes plus tard. Les trois Ildarans et Mélanie l’empruntèrent sans attendre. La durée du parcours fut brève : les cent kilomètres, les séparant de l’astroport, furent parcourus en moins de neuf minutes. Lorsque Sarian sortit de l’œuf biplace, il était extrêmement tendu, ne sachant pas ce qui l’attendait. Aucune mauvaise surprise, néanmoins, car il se retrouva face aux dos de Livion et ses hommes qui scrutaient le terminal, les armes à la main. Sarian soupira, car il avait craint une traîtrise de la part d’un des hommes de Livion ou un plan B des commanditaires de l’attentat. Pallaron, Darin et Telius, accompagnés de Mélanie, émergeaient déjà du sas de transport et Oria suivit quelques instants plus tard. Sarian planifiait déjà leur rapatriement vers le Bellator. - Paul. Fait atterrir le croiseur scientiste, je ne veux pas risquer une autre interception. J’alerte Bella qu’elle envoie les cinq croiseurs opérationnels, à notre rencontre au cas où. Ordonna l’Ildaran sans se rendre compte du ton employé à l'encontre de son empereur. - Tu n’as pas peur d’un incident diplomatique avec les scientistes ? demanda Paul en lançant une injonction mentale à l’IA de la frégate en orbite. - Nous l’avons déjà. Sans tes réflexes, tu serais mort. Ils n’ont pas su te protéger efficacement, qu’ils ne viennent pas se plaindre que l’on cherche à assurer notre protection nous-mêmes. Répondit l’Ildaran en essayant de garder son calme tant il était en colère contre les scientistes. - Compte tenu de leurs avancées technologiques, nos croiseurs ne tiendraient pas cinq minutes devant leurs appareils, intervint Telius. Cela ne servira donc pas à grand-chose de les faire venir. Par contre, cela pourrait différer le remplacement de leurs condensateurs. Tu devrais plutôt demander que le trafic spatial soit complètement dégagé pour notre frégate. Si un appareil enfreint le black-out, qu’il soit considéré comme hostile. Ajouta l’Ildaran. - Tu as raison. Livion, qu’en pensez-vous ? Est-il possible de stopper le trafic spatial sur un plan de vol nous amenant à la base orbitale de Kriavia 4 ? demanda aussitôt le chef de la garde de Paul. - Cela ne s’est jamais fait, mais compte tenu des circonstances je vais en référer immédiatement à Cheeris, c’est elle qui a en charge la défense pour ce cycle directif. Par contre de quelle frégate parlez-vous ? Les appareils militaires ne sont pas autorisés à croiser à proximité de Kriavia, s’étonna le commandant scientiste. - Dites cela à celui qui a commandité la destruction de notre navette à notre arrivée. Le vaisseau de combat qui se pose en face de nous a failli nous anéantir, répliqua l’Ildaran, d’un air un peu sardonique devant la mine ébahie de l’officier. La frégate rapide venait de se poser face à la baie vitrée du terminal qui faisait face au tarmac de l’astroport. Sarian ne chercha pas à savoir ce qu’était un cycle directif, probablement une période pendant laquelle les membres cooptés dirigeaient la République de Scienty. Ce qui l’importait c’était que leur appareil soit assuré d’être seul sur le plan de vol vers Kriavia 4. Livion était un peu dépassé par les évènements et totalement abasourdi de voir se poser un navire militaire sur cet astroport civil, mais il était suffisamment intelligent pour s’adapter à la situation. Il ordonna à l’IA de l’astroport de raccorder un cordon d’embarquement de leur terminal vers la frégate. À peine l’ordre passé, Cheeris appelait sur son communicateur individuel. Livion lui fit un rapport complet et la membre du collège fut visiblement aussi surprise par l’attaque que par la présence d’un navire de combat sur la planète principale, de surcroît sous les ordres d’Ishar Verakin. Elle resta néanmoins parfaitement calme et affirma que le trafic serait exceptionnellement interrompu entre Kriavia et la base orbitale. Le cordon de transfert s’était raccordé et tous s’engouffrèrent dans l’ouverture en direction du petit vaisseau spatial. À peine à bord, le petit appareil s’élança à vitesse maximum vers la quatrième planète du système. Dès qu’il fut en orbite, la frégate scientiste activa ses boucliers furtifs et défensifs au maximum de leurs possibilités en accélérant jusqu’à sa vitesse de croisière de 0,5 C. À cette allure, et compte tenu des vitesses orbitales différentes des deux planètes : le trajet était plus court de deux millions cinq cent mille kilomètres qu’au moment de leur arrivée. Ils seraient à bord du Bellator dans soixante-douze minutes. Cette fois-ci pas de passage par la station orbitale, le petit navire apponterait directement dans un dock libre du porte-croiseurs. Sarian était encore inquiet, mais il commençait à se détendre. Le, ou les, commanditaires pouvaient difficilement avoir anticipé qu’ils repartiraient dans un appareil militaire et que le trafic spatial serait interrompu. Il était également beaucoup plus difficile de retenter le coup de l’attaque en plein vol, car leur navire actuel était équipé de détecteurs capables de repérer un navire furtif. Le danger le plus immédiat était une tentative de sabotage des condensateurs en cours d’installation à bord du Bellator. Mais difficile d’imaginer que leurs ennemis aient pu anticiper la négociation intervenue moins de deux heures plus tôt ainsi que l’échec de leur dernier attentat. Il faudrait certainement surveiller les androïdes d’installation, mais Bella pourrait aisément sonder leurs IA avant qu’ils ne s’approchent du Bellator. Sarian se mit en contact avec elle pour lui ordonner d’interdire toute entrée à bord de porte-croiseurs. Ce serait aux androïdes du Bellator de raccorder les nouveaux condensateurs et de réceptionner les disques-torpilles et drones furtifs. À la charge des scientistes de leur fournir les données techniques nécessaires au montage. Ce surplus de précautions risquait de les retarder un peu, mais c’était le prix à payer pour éviter une nouvelle attaque. Le trajet vers Kriavia 4 fut parfaitement silencieux et extrêmement tendu. Chacun réfléchissait aux conséquences de ce second attentat et Sarian, tout comme Paul ou Oria, espérait vivement que leurs ennemis n’aient pas le temps d’organiser une nouvelle opération. Tout se déroula heureusement sans accroc et ils furent rapidement en vue de la grande station orbitale. Malgré l’impressionnant spectacle offert par la grande sphère habitée, l’ambiance n’était pas au tourisme et personne n’observait les projections holographiques de leur approche en orbite. La frégate était en visuel du Bellator et la porte du dock numéro 7 s’ouvrit pour la laisser apponter. Livion et ses hommes étaient un peu tendus à l’idée de se retrouver à bord d’un bâtiment de la marine ildarane, mais l’officier ne fit aucune remarque. Le petit navire scientiste semblait minuscule dans l’espace réservé d’ordinaire à un croiseur de combat. Le cordon de raccordement fut accolé dès l’appareil immobilisé par les grappins gravitiques et Sarian ne perdit pas une seconde en s’engageant immédiatement dans le tube. - Bella, fais-nous un rapport de la situation depuis notre départ, ordonna l’Ildaran dès qu’il fut à bord du porte-croiseurs. L’unité pensante du gros vaisseau transmit les dernières informations attendues par Sarian. Les détecteurs du bord n’avaient enregistré aucun incident à part de nombreux balayages de senseurs actifs, rien de significatif avant les quatre-vingt-douze dernières minutes. Bella avait été contactée par l’IA de la station orbitale qui l’avait informé que des condensateurs de remplacement étaient attribués au Bellator et aux neuf croiseurs. Conformément aux instructions, l’IA du porte-croiseurs n’avait pas autorisé les androïdes scientistes à monter à bord et ses propres unités de maintenance avaient réceptionné les matériels à proximité des portes d’accès. Les services de maintenance de la station orbitale avaient envoyé des condensateurs utilisés par les grands minéraliers spatiaux. C’était ce qu’ils avaient de plus puissant et de plus modulaire, en stock. Ils étaient moins compacts que les condensateurs militaires, mais pouvaient être connectés en série et avec l’espace dédié dans le Bellator il était prévu d’apparier vingt-quatre condensateurs simultanément. Cela augmenterait la capacité énergétique de quatre cent cinquante pour cent. La remise en état et la mise à jour des systèmes d’arme du gros navire devaient prendre encore seize heures, mais ensuite, tous les boucliers Horlzson seraient pleinement opérationnels. Bella affirma également que quatre-vingts pour cent de ses systèmes d’armes seraient utilisables et qu’avec les nouvelles torpilles autoprotégées plus les faisceaux disrupteurs renforcés, ils bénéficieraient d’un avantage décisif en cas d’affrontement. - Et pour les croiseurs ? s’enquit Sarian. - Le remplacement est en cours et sera terminé dans huit heures. L’approvisionnement en torpilles AP est déjà effectué. Leur compacité permet d’augmenter le nombre de munitions embarquées de trente pour cent. Les scientistes vont également nous fournir quatre drones furtifs par croiseurs. - En plus des douze, fournis sur le Bellator ? s’étonna l’Ildaran - Oui - Parfait. Fais-nous préparer un déjeuner dans la salle à manger principale, on s’y retrouvera dans dix minutes. - Irias est déjà à l’œuvre, il vous attend. Sarian sourit, l’intendant de Paul devait être marri de ne pas avoir pu le suivre à terre, surtout après avoir été informé de l’attentat. Sans attendre, ils se rendirent tous dans la grande salle à manger du vaisseau. Toute l’équipe de Sarian les attendait et était visiblement rassurée de les savoir à bord. Ils avaient suivi leurs pérégrinations sur Kriavia grâce à Bella, qui avait retransmis toutes les informations à sa disposition. L’agression de Paul avait mis le vaisseau en émoi et ils étaient tous remontés contre les scientistes incapables, à leurs yeux, d’assurer la sécurité de leur souverain. Sarian rassura tout le monde et dévoila son plan en détail. Livion et ses hommes avaient débarqué à l’aide d’un tube de transfert brièvement connecté au Bellator. Le commandant scientiste aurait souhaité repartir avec le vaisseau furtif, mais Paul avait considéré qu’il s’agissait d’une petite compensation pour les ennuis rencontrés. En fait, il ne souhaitait pas que les scientistes analysent l’IA et découvrent qu’elle avait été asservie par un psykan. L’officier ne fut pas ravi de la décision unilatérale du garçon, mais resta imperturbable. Ce n’est que grâce à ses talents mentaux que Paul s’en aperçut. Tous attendaient maintenant que les travaux de mise à niveau soient finalisés pour appareiller en direction de la flotte impériale, stationnée au large de la géante rouge du système d’Aldébaran. Les membres de collège avaient successivement présenté leurs excuses à Paul, promettant que tout serait mis en œuvre pour retrouver les commanditaires de ces attentats ignobles. Leur enquête s’annonçait ardue, car il n’y avait aucun commencement de piste. Tous les éléments matériels avaient disparu : que ce soit l’androïde détruit dans l’espace ou les indices vitrifiés dans la chambre de Paul. Ces incidents allaient néanmoins servir la cause de Paul, car les scientistes se sentaient responsables de l’échec de leur équipe de sécurité et l’accord conclu les motiverait encore plus à lui fournir toute l’assistance technique nécessaire. Le fait qu’ils aient livré plus de drones furtifs que prévu semblait accréditer cette thèse et ne déplaisait pas à Sarian. Le plan de l’Ildaran prévoyait de s’éloigner, dans un premier temps, de plus de huit cents années-lumière de l’amas des Pléiades puis de transiter directement vers Aldébaran. Ce stratagème devrait permettre d’induire en erreur les impériaux. Sarian consulta, une nouvelle fois, les derniers relevés sur la flotte impériale provenant des drones furtifs des scientistes. L’Ildaran avait espéré que celle-ci se disperse afin d’accélérer les recherches, mais l’amiral qui commandait cette flotte devait connaître les capacités offensives du Bellator, car il n’avait pas divisé ses forces. Nonobstant, il ne s’attendait certainement pas à une attaque, car ses vaisseaux n’étaient pas en état de défense. Les boucliers étaient désactivés et il était probable qu’ils n’aient pas calculé de procédures de saut d’urgence. Sarian commençait à prendre plaisir au déroulement de cette opération coup de poing. L’arrogance des Seravon allait leur coûter cher si leurs vaisseaux n’étaient pas parés à transiter en urgence. Le montage des condensateurs progressait rapidement et tous les croiseurs étaient prêts à revenir à bord, parés au combat. Les soutes à munitions étaient pleines de nouvelles torpilles AP et les boucliers défensifs avaient augmenté leurs capacités de dix pour cent en plus d’une durée d’utilisation, à pleine puissance, multipliée par quatre. Impossible d’aller au-delà sans risquer de griller les faisceaux supraconducteurs de transmission d’énergie. Cela leur donnait un considérable avantage en défense face à des cibles multiples qui ne pourrait pas venir à bout de leur champ Horlzson sans s’exposer à leurs faisceaux disrupteurs renforcés en cours d'installation. Sur le Bellator, douze condensateurs avaient déjà été raccordés et les douze autres seraient installés sous huit heures. Le déroulement du programme suivait son cours. Du côté des impériaux, les drones avaient déjà contrôlé plus de quarante systèmes solaires à partir d’Epsilon Eridani et ils continuaient inlassablement leur quête. Après un lunch rapide, Paul et Mélanie regagnèrent leurs appartements. Ils écoutèrent un peu de musique sur leurs baladeurs, Bella ayant réussi à produire un courant compatible pour leurs chargeurs. Cela leur fit beaucoup de bien de s’isoler dans une bulle musicale qui leur rappelait leur vie d’avant. Moins d’un mois auparavant, ils étaient encore des adolescents normaux… Paul écoutait The Killers à fond alors que Mélanie, plus mélancolique, s’était immergée dans Apologize, un morceau pop de One Republic. La pause nostalgie fit de nouveau remonter leurs émotions à la surface. Ils pensaient à leurs parents, à leurs amis et bien sûr à Stéphanie et Alex. Contrairement aux fois précédentes, Paul réussit à contrôler ses émotions et n’émit aucune impulsion mentale désespérée. L’adolescent prit la décision de retourner sur Terre, dès que possible, et cet objectif, même lointain, lui redonna du baume au cœur. - Paul ? Darin souhaite que tu le retrouves dans la salle d’entraînement. Bella interrompit la séquence nostalgie. - La barbe avec ses entraînements, j’en ai marre, rétorqua l’adolescent. - Oria pense que cela t’occupera l’esprit. Au fond de lui, le garçon savait que l’Ildarane avait raison et se transporta directement dans la salle d’armes du gros vaisseau. Il songea que c’était la première fois qu’il utilisait ses talents de déplacement à l’intérieur du Bellator. Darin l’attendait avec des armes de toute nature en corodrium. Il y avait, bien entendu, les traditionnels couteaux impériaux, mais également des épées, des sabres, des haches et tout type d’engins médiévaux. - C’est un cours d’histoire ou un entraînement, s’amusa Paul impressionné par cet étalage d’armes anciennes. - Larsen m’a fourni des détails sur les armes utilisées sur Polona et j’ai demandé à Bella de les reproduire en corodrium. Cela nous permettra de nous entraîner sous la protection des boucliers Horlzson sans aucun risque, répliqua Darin très sérieusement. Il voulait que Paul comprenne bien qu’il ne s’agissait pas d’un jeu, mais d’un entraînement nécessaire. - Tu crois vraiment qu’il est indispensable d’apprendre à se servir de tous ces engins, fit Paul, un peu incrédule, en soulevant une masse d’arme hérissée de pointes. - Pas à s’en servir, mais à s’en défendre. Apprends déjà à te servir correctement d’un sabre, pour le reste on verra plus tard. Nous allons voir si tes Nanocrytes ont commencé à produire leurs effets. Sans attendre, l’Ildaran attaqua Paul. Ce dernier ne dut qu’à ses réflexes d’activer son bouclier et de dégainer son katana qui ne le quittait plus. Darin sembla satisfait par la parade et par la riposte que lui porta l’adolescent. La suite ne fut qu’une succession d’assauts, de bottes, d’esquives et d’attaques de plus en plus rapides et complexes. L’après-midi passa ainsi. Mélanie vint les rejoindre et souhaita également apprendre à se défendre. Darin lui enseigna quelques techniques, mais la jeune fille partait de zéro et il lui faudrait un long entraînement pour être capable de se protéger, face à un combattant aguerri. Néanmoins, elle était motivée et semblait avoir de bonnes prédispositions. Darin lui attribua un sabre léger qui pouvait paraître fragile, mais façonné en corodrium, il résisterait, sans problème, à toutes les armes blanches produites sur Polona. Vira, Oria, Telius, Pallaron et Xionnes vinrent se joindre à eux pour s’entraîner et les adolescents purent observer les talents de Darin. Ils étaient tous améliorés aux Nanocrytes de type six, mais Darin surclassait aisément ses amis dans la maîtrise d’armes de toutes sortes. Telius parvint presque à l’atteindre sur un assaut, mais il se retrouva en déséquilibre, le poignard de Darin tenu de la main gauche sous sa gorge. Ce fut le seul instant où Darin fut, un tant soit peu, menacé. Même en l’attaquant à quatre, les Ildarans ne purent le défaire. Mélanie et Paul étaient réellement impressionnés par sa dextérité et leur jugement sur Darin s’en trouva grandi. Ils étaient entraînés par un maître d’armes, cela ne faisait plus aucun doute. Lorsque ce fut, de nouveau, au tour de Paul de l’affronter, l’adolescent chercha à s’appliquer pour lui montrer qu’il avait compris le message. Après une bonne douche, toute l’équipe se retrouva de nouveau dans la grande salle à manger. Sarian en profita pour discuter, avec Paul, de l’accord conclu avec les scientistes. - Cet accord est une excellente chose, à court terme, car il va nous donner accès à des technologies de pointe, mais as-tu songé aux implications à long terme pour l’Empire ? demanda l’Ildaran. - Que veux-tu dire ? répondit l’adolescent en relevant les sourcils. - Comme dans toute décision, il y a souvent un revers à la médaille. Cet accord pérennise l’isolationnisme des scientifiques les plus doués, issus d’Ildaran. Que sera la recherche dans l’Empire sans eux ? Nous risquons de devenir totalement dépendants des scientistes. - J’y ai songé. Ce sera à nous de faire en sorte que l’Empire redevienne plus attractif pour les scientifiques. Je ne pense pas que les générations suivantes se satisferont de vivre sous dômes et je compte faire construire de grandes unités de recherches indépendantes sur une planète accueillante. Quel meilleur moyen de les faire revenir ? rétorqua le garçon en souriant. - Bien. Je suis rassuré que tu aies réfléchi aux conséquences de ta décision. Conclut Sarian. Paul n’était pas mécontent de cet échange avec l’Ildaran qui lui avait permis d’asseoir son autorité, non pas d’une manière purement hiérarchique et héréditaire, mais en lui démontrant la justesse de ses choix. L’adolescent appréciait particulièrement ces instants de complicité dans l’équipe, il lui semblait que tous ces hommes faisaient partie d’une même famille. Ils avaient passé dix-sept ans sur Terre, à veiller sur lui, et il en ressentait une sorte de fierté. Ces hommes et femmes avaient dédié leur vie aux Verakin et aujourd’hui ils étaient traqués dans toute la Voie Lactée. Impossible de revoir leurs proches tant que Kera Seravon serait sur le trône. Il leur devait une attitude exemplaire et ses idées d’adolescent, encore un peu immature, s’évanouirent sous le poids de cette responsabilité. Cette prise de conscience, un peu tardive, lui fit lever son verre - Je lève mon verre à notre réussite, à la chute de Kera Seravon, et j’en profite pour vous remercier tous de ce que vous avez fait pour ma famille. Je partage avec vous la douleur de la perte de Briza et Prag. J’espère être digne de vos attentes envers le trône impérial. Mélanie regarda le jeune homme, surpris de cet élan, mais la réaction des Ildarans lui fit un peu peur, car ils se mirent tous à crier simultanément « Ildaran Verakin Friik ». Paul comprit à cet instant qu’il avait probablement gagné leur respect. Ce groupe-là serait prêt à le suivre en enfer et c’est peut-être cela qui les attendait, car les paroles de l’émissaire lui revinrent une nouvelle fois en mémoire : « Cette galaxie, dans le plan d’existence sur lequel tu vis, est en grand danger… , l’empereur actuel est corrompu par des ennemis insidieux qui veulent la perte de cette région de l’univers dans tous les plans d’existence ». Paul n’avait pas intégré toute la dimension de cet avertissement, mais il était conscient que cela devait être important pour que les Al-Heoxyrians se dévoilent, pour la première fois directement, après des dizaines de milliers d’années. Le reste du repas se déroula plus calmement et ils allèrent tous se reposer dans leurs cabines respectives. Paul eut un peu de difficultés à trouver le sommeil, mais il finit par s’assoupir. Il fut réveillé par la voix de Bella. - Appareillage imminent. Paul, Sarian t’attend dans la salle tactique pour transmettre un message aux scientistes. Le réveil fut un peu brutal, mais Paul avait totalement récupéré et fut instantanément sur pied. Ses Nanocrytes de combat commençaient à produire leurs effets et, même si sa vitesse n’avait pas significativement augmenté, les assauts de la veille avaient démontré que sa condition physique progressait, surtout ses capacités d’endurance et de récupération. Finalement, les améliorations étaient plus rapides que prévu. L’adolescent enfila une tenue de bord et se transporta directement dans la salle tactique. Sarian sursauta à son arrivée, il avait encore du mal à s’habituer aux facéties du garçon qui semblait prendre un malin plaisir à surprendre son mentor. Plusieurs Ildarans étaient présents sur la passerelle et Oria rit franchement alors que Darin se contenta d’un froncement de sourcil amusé. - Paul, j’ai Quirtan en holocom, il souhaiterait te parler. Heureusement qu’il était hors champ, inutile de leur dévoiler tes capacités, souffla Sarian, un rien agacé. Paul entra dans le champ holographique de retransmission et Quirtan l’aperçu. - Majesté, je suis désolé de ne pas avoir eu le loisir de vous rencontrer personnellement. J’ai appris l’agression dont vous avez été victime et sachez que nous ferons tout pour retrouver le ou les commanditaires. J’espère que vous ne nous en tiendrez pas rigueur. Vous serez toujours le bienvenu dans notre république et j’espère que nos accords sont le début d’une fructueuse collaboration. - Merci, Quirtan. Rassurez-vous, je ne vous tiendrais pas responsable de ces tentatives de meurtre. Je suis désolé pour la perte de vos deux hommes et je vous remercie de l’aide que vous nous avez fournie qui sera décisive dans le combat que nous menons contre l’usurpateur. Je tiendrais parole et la République de Scienty restera indépendante. Nous nous reverrons certainement prochainement, car nous avons encore besoin de vos technologies pour améliorer le Bellator. Longue vie à votre peuple, répondit solennellement Paul. - Merci, Votre Altesse. Vos paroles toucheront l’ensemble de nos concitoyens. Nous vous apporterons toute l'aide nécessaire dans votre combat. Certains d’entre nous se demandent cependant comment vous avez détecté la frégate furtive et comment vous l’avez neutralisé depuis une navette civile. Même si la question avait été posée sur un ton policé, la pointe de curiosité qui perçait démontra que les scientistes restaient très intrigués par cet évènement. - Permettez-nous d’avoir, nous aussi, nos petits secrets Quirtan. Nous en reparlerons lors ma prochaine visite. Que les Al-Heoxyrians vous soient favorables, éluda l’adolescent. - Qu’ils vous soient favorables également, répondit Quirtan, visiblement surpris. J’ignorais que vous pratiquiez la religion créationniste. - Je ne la pratique pas, mais j’ai toujours cru en une force capable de régir l’univers. Là où j’ai grandi, ils appellent cela un dieu, nous les appelons les Al-Heoxyrians. Pour ma part, je ne sais pas trop ce qu’ils sont, mais j’ai la certitude qu’ils existent. Répondit Paul d’un ton affirmatif. Quirtan le fixa d’un air étrange, mais n’ajouta rien de plus. Il se contenta de s’incliner et coupa la communication. Paul ne sut pas comment interpréter le salut de Quirtan et il nota de demander l’avis d’Oria à ce sujet. Bella leur annonça le départ. - Appareillage. Tous les croiseurs sont revenus à bord, nous quittons la base orbitale. Un appareil scientiste nous escorte pour nous ouvrir le bouclier stellaire. L’énorme vaisseau accéléra rapidement et, malgré une partie de sa coque encore endommagée, semblait pleinement opérationnel. Il lui manquait néanmoins un quart de ses lance-torpilles et dix pour cent de ses canons à disrupteur, mais ses boucliers renforcés compenseraient largement cette perte de capacité offensive. Le temps s’écoula très vite jusqu’aux frontières de la République, matérialisées par le bouclier stellaire. Le navire scientiste qui les précédait activa le passage de trois mille mètres de diamètre dans la barrière et Bellator s’y engouffra. Sitôt franchie la frontière invisible, l’opercule se referma et le système solaire des scientistes disparut des senseurs. Le Bellator entama, sans attendre, le captage de matière noire. Le délai de conversion en énergie serait d’environ deux heures, mais l’autonomie atteignait maintenant trois mille années-lumière. Largement de quoi donner le tournis aux senseurs impériaux. Tout était prêt pour l’opération « diversion » et Sarian s’adressa à l’IA. - Bella calcule un saut d’environ mille années-lumière en direction du centre galactique. - Nous pourrions nous rapprocher de la nébuleuse d’Orion, elle est à neuf cents années-lumière de notre position. - De là-bas pour atteindre Aldébaran, il faudra transiter de combien ? - Aldébaran se situe à mille trois cent douze années-lumière de la nébuleuse d’Orion. - C’est parfait, un ébranlement de structure de mille trois cents années-lumière devrait impressionner les impériaux. Transite dès que possible. Ordonna l’Ildaran. Le Bellator enclencha le champ Randarion qui replia l’espace et l’énorme vaisseau se retrouva instantanément au large de la superbe nébuleuse d’Orion. Bella afficha une projection holographique dans la salle tactique et tous purent admirer le magnifique nuage de gaz qui caractérisait cette nébuleuse de trente-trois années-lumière de large. - À quelle distance sommes-nous de cette nébuleuse ? demanda Mélanie, les yeux émerveillés par le spectacle grandiose. - À deux années-lumière et demie environ, car la limite du nuage est floue. - On a l’impression de pouvoir le toucher, c’est splendide ! s’exclama Paul - Je détecte plus de deux mille étoiles dans ce nuage moléculaire. Compléta Bella. - Et là, fit Paul et pointant une zone sur la projection holo. Quelles sont ces projections très lumineuses ? - Ce sont des jets de plasma à l’horizon des évènements d’un trou noir d’environ deux cents masses solaires. - C’est vraiment extraordinaire. Quelle chance d'admirer cela d’aussi près ! C’est encore plus beau que l’amas des Hyades. Lâcha la jeune terrienne. - Les filets de captage sont activés, nous serons capables de transiter vers Aldébaran dans soixante-huit minutes. - Merci, Bella, dit Sarian. Je vous propose d’affiner notre stratégie d’attaque. D’après les derniers relevés des drones scientistes, les croiseurs impériaux étaient regroupés au large du système et les simulations tactiques démontraient qu’ils étaient trop proches les uns des autres et allaient se gêner pour utiliser des torpilles à distorsion. Sarian proposait de les engager à une distance de douze secondes-lumière, car ils ne s’attendaient visiblement pas à être attaqués et encore moins à avoir à faire face à des torpilles AP. Les simulations effectuées, selon les stratégies tactiques de l’Empire, prévoyaient que les calculateurs de combats ennemis attendent le dernier moment pour tenter de leurrer les salves de torpilles avec des contre-mesures électroniques puis de les détruire au disrupteur. Cette manœuvre devrait laisser au porte-croiseur plus de dix secondes pour transiter avant que les torpilles adverses n’arrivent à distance d’activation. Quand les impériaux découvriraient la supériorité de leurs munitions, il sera trop tard pour activer un saut quantique et plusieurs croiseurs devraient être touchés. L’IA planifiait de larguer trois drones furtifs chargés de collecter les données tactiques puis de les rejoindre plus tard. - Bella, quels sont les risques pour le Bellator ? Questionna Darin. - Le risque principal est que nous émergions à moins de cent cinquante mille kilomètres de certains croiseurs, car ils nous engageraient immédiatement au disrupteur. Nous n’aurions alors plus l’avantage de nos torpilles autoprotégées. L’IA avait également envisagé que plusieurs appareils ennemis soient en état d’alerte et qu’ils transitent, quelques nanosecondes après leur émergence, pour esquiver les torpilles. Les derniers relevés de drones dataient déjà de plusieurs heures et il était impossible de connaître exactement la position de la flotte impériale à l’intérieur du système d’Aldebaran. Il faudrait environ vingt nanosecondes, à l’émergence, pour établir précisément les signatures gravitiques de toutes les positions et définir un saut à distance de combat. Pendant ces nanosecondes cruciales, le Bellator pourrait être engagé par plusieurs appareils qui pourraient éventuellement saturer les défenses passives et actives. - Probabilité d’une destruction ou d’une avarie majeure du Bellator. S’enquit Darin. - Avec les données en ma possession, probabilité 18,351% d’avaries majeures. - Merci, Bella. Je suis d’accord avec Sarian sur la stratégie, mais le risque est trop grand pour Paul. Ajouta Darin. L’Ildaran proposait que l’essentiel du groupe, incluant Paul, embarque sur un croiseur de combat et que seule une petite équipe attaque avec le Bellator. De cette manière même si le raid était un échec et que le vaisseau était détruit, ou immobilisé, la maison Verakin gagnerait la bataille médiatique en prouvant que l’héritier avait encore des fidèles capables de se sacrifier pour sa cause. - C’est hors de question que je vous laisse y aller sans moi ! protesta Paul avant que quiconque n’ait eu le temps de communiquer son opinion. Que penseraient mes partisans s’ils apprenaient que leur empereur légitime laisse ses hommes aller au combat et qu’il reste soigneusement à l’abri ! Le garçon était en colère et l’affichait sans retenue. - Paul, je comprends ta frustration, mais Darin a raison. Nous ne pouvons pas courir le risque de te voir tué ou capturé par les Seravon. Intervint Oria avec calme, tentant d’apaiser la discussion. - Et moi, je vous dis qu’il est hors de question que je reste en arrière ! fulminait le jeune homme. - Voyons. Soit raisonnable. Darin a raison, tu ne peux pas prendre ce risque. Je commanderai la petite équipe d’attaque. Temporisa Sarian, rallié à l’avis de son lieutenant. - Non. Tu es également indispensable à la résistance et à la formation de Paul, tout comme Oria. J’irai avec une équipe de volontaires. Nous n’avons pas besoin d’être très nombreux. Rétorqua Darin. - Un chef se doit d’être à la tête de ses hommes Darin, répondit Sarian, contrarié par la remarque. - C’est exactement ce que je pense et je reste donc à bord. Fit Paul, profitant de l’ouverture. - Hors de question. Tu restes ici avec les neuf croiseurs de combat. J’accepte les arguments de Darin, mais c’est lui le maître d’armes ainsi qu’Oria pour ta formation de psykan et ils doivent impérativement rester avec toi. Affirma Sarian, avec force. - Cessons d’ergoter. Le coupa Paul, j’ai pris ma décision et je resterai à bord. L’adolescent avait affirmé sa position d’une voix forte avec un air décidé. Il argumenta néanmoins pour tenter de convaincre ses interlocuteurs récalcitrants. Le jeune Verakin envisageait de s’adresser à cette flotte si l’occasion lui en était donnée, car il pensait que certains militaires puissent être encore acquis à sa famille. Le voir apparaître à bord d’un unique navire à l’assaut d’une flotte de cent dix croiseurs d’attaque devrait les impressionner et si le Bellator sortait vainqueur de l’engagement, ce serait une victoire psychologique déterminante. Paul refusait de donner de lui l’image d’un chef envoyant des Ildarans au combat, même s'ils s'étaient portés volontaires, sans être personnellement à bord. Le garçon argua que Kera Seravon pourrait en profiter pour le traiter de lâche d’attaquer des soldats innocents et était persuadé que ce message porterait. - N’oublions pas que les Ildarans sont gouvernés depuis dix-sept ans par cet usurpateur. Ajouta le jeune homme, fermement décidé à prendre la tête de l’attaque et à assumer son rôle. - Sur le plan politique, il a raison, fit remarquer Oria en inclinant la tête. - Peut-être, mais s’il est tué ou capturé, cela n’aura plus aucune importance qu’il ait eu raison, objecta Darin, l’air buté. - Si nous ne sommes pas capables d’infliger une défaire politique aux Seravon, inutile de nous lancer dans cette bataille. Objecta la jeune Ildarane. Elle était persuadée qu’une guerre comme celle-là ne se gagnerait pas uniquement avec les armes. Kera Seravon disposait de toutes les flottes de l’Empire et, même s’ils construisaient d’autres vaisseaux, leur armée ne serait jamais capable de le vaincre par la force brute. Il fallait l’affaiblir pour le faire tomber politiquement et œuvrer pour que les grandes familles l’abandonnent. Cette stratégie imposait d’abord de le décrédibiliser. - Malheureusement, je crains qu’Oria n’ait raison. Je ne suis pas très favorable à la présence de Paul à bord, mais si nous échouons à la première bataille c’est que nous n’aurons pas été dignes de mener la guerre contre les Seravon. Conclut Sarian d’un ton sans appel. Darin était furieux, autant envers lui-même, de ne pas avoir réussi à les convaincre, qu'envers Oria et Sarian. Il considérait toujours que mener l’attaque avec Paul à bord était déraisonnable, mais l’adolescent était décidé à rester et il ne pouvait plus s’y opposer. - Par contre, j’approuve partiellement Darin. Inutile d’être tous présent à bord du Bellator. Mélanie, tu peux rester dans l’amas d’Orion avec les Ildarans non indispensables à l’opération. Ajouta Paul d’un air grave. - Je doute que tu trouves beaucoup de volontaires dans l’équipe pour quitter le bord au moment du danger, fit Darin avec un large sourire. Nous avons tous accepté de mourir pour les Verakin et si le vaisseau était détruit, le restant du groupe n’aurait plus d’idéal à défendre. - Moi non plus je ne veux pas quitter le navire, renchérit Mélanie. Je n’ai pas envie de me retrouver seule et comme je ne pourrai pas retourner sur Terre avec le blocus impérial, je suis condamnée à te suivre Paul. Aucun fanatisme dans les paroles de la jeune fille. Elle avait simplement énoncé un fait. Elle avait saisi l’opportunité d’accompagner l’héritier de l’Empire, mais, si celui-ci venait à disparaître, ses chances de survie dans la société ildarane devenaient quasi nulles. Prenant conscience des responsabilités qui lui revenaient, Paul fut saisi d’un court instant de découragement. Soudainement, il se rendait compte que la vie de tous les humains à bord dépendait de ses décisions. Pour un adolescent de dix-huit ans, élevé dans une société peu familiarisée avec les risques, cela faisait un choc. Il eut brièvement la tentation d’annuler l’opération, mais il revêtit rapidement sa stature d’héritier de l’Empire en songeant aux propos de l’émissaire des Al-Heoxyrians. Ils m’ont choisi pour défendre la galaxie, je dois faire le job. Pensa-t-il. Je ne peux pas me défausser et encore moins décevoir ces Ildarans prêts à donner leurs vies pour moi ! - Bella calcule une transition vers Aldébaran et met le Bellator en état de défense, cette fois-ci on va au combat. Ordonna Paul d’une voix qu’il espérait être ferme. L’adolescent balaya la pièce du regard et décela de la fierté dans les yeux des Ildarans présents. De la crainte aussi dans ceux de Mélanie qui avait compris que leurs vies allaient se jouer dans les minutes à venir. - Nous serons prêts à transiter dans quarante-sept minutes, répondit laconiquement l’IA. Il était plus que temps de se préparer et d’enfiler les combinaisons de combat. Mélanie et Paul n’avaient jamais porté ces puissantes combinaisons renforcées et autonomes dans l’espace. Il s’agissait de véritables armures individuelles équipées d’une batterie de disrupteurs contrôlés par une IA dédiée. La combinaison disposait de leurres électroniques, de boucliers Horlzson et de générateurs d’air permettant de survivre plus de cinquante heures dans l’espace. Un exosquelette permettait d’être très mobile, y compris dans un environnement à forte pesanteur, malgré le poids de trois cents kilos. Il fallut presque trente minutes à Mélanie et Paul pour apprivoiser le fonctionnement du lourd équipement. La jeune fille avait encore le sens de la répartie : - Après ça je pourrai passer mon permis de cariste ? Rit la jeune terrienne. - Transition dans trois minutes. Annonça Bella. L’intervention de l’IA doucha un peu son sens de l’humour, car il était maintenant trop tard pour changer d’avis. Les neuf croiseurs avaient quitté le bord et s’étaient regroupés en mode stationnaire à trois millions de kilomètres du gros vaisseau. Il était prévu qu’ils restent en position et attendent le retour du porte-croiseurs. La mission devait théoriquement durer moins de vingt secondes. Si le porte-croiseurs n’était pas revenu dans les quarante secondes suivant son départ, les croiseurs devraient rallier Aldébaran et tenter de venir au secours du gros navire, ou de ce qu’il en resterait. L’aviso furtif scientiste était resté à bord, il pourrait être utilisé comme navire de secours si l’opération tournait mal. Le petit appareil ne disposait pas de capacités interstellaires, mais sa furtivité lui permettrait de se dissimuler en attendant les secours. La tension était à son comble et les visages légèrement crispés. Mélanie et Paul s’observaient et eurent une pensée pour leur vie passée, vieille d'à peine deux semaines. Ils n’eurent pas le temps d’en discuter, car Bella venait de stabiliser le vaisseau et activa un trou de vers débouchant dans le système d’Aldébaran. - Saut quantique. Le Bellator émergea à quatre-vingt-quatre minutes-lumière de la géante rouge et largua immédiatement trois drones furtifs qui s’éloignèrent aussitôt du gros navire. En moins de vingt nanosecondes, les senseurs actifs détectèrent les positions de plus de soixante croiseurs impériaux dans une sphère de vingt-huit minutes-lumière. La réaction adverse ne fut pas immédiate. Apparemment, les impériaux ne s’attendaient pas à une attaque, car il fallut presque deux centièmes de secondes pour que cinquante appareils transitent à moins de neuf cent mille kilomètres du porte-croiseurs. Les navires impériaux tirèrent aussitôt une salve de quatre cents torpilles, mais vingt-cinq appareils commirent l’erreur d’activer leur propulsion pour engager leur cible en combat rapproché. Trois nanosecondes suivant l’émergence des impériaux dans sa sphère de défense, le Bellator expédia deux salves consécutives de trente-six torpilles AP et transita aussitôt à quatre secondes-lumières des croiseurs précédemment repérés à vingt-huit minutes-lumière de là. Le Bellator tira, de nouveau, deux salves de torpilles AP et transita, cette fois-ci, à cent soixante-quatre minutes-lumières, à l’opposé du système d’Aldébaran. Quatre nanosecondes plus tard, dix bâtiments impériaux se lancèrent à sa poursuite et émergèrent à moins de quatre cent cinquante mille kilomètres, à la limite de sécurité d’un engagement par torpilles à distorsion gravitationnelle. Apparemment, les IA de combat impériales n’avaient pas encore eu le temps d’intégrer la supériorité tactique des munitions du Bellator, car elles attaquaient toujours avec des torpilles. Quatre-vingts disques mortels jaillirent des tubes de lancement des croiseurs en direction du Bellator. À cette distance, il fallait à peine plus d’une seconde pour que les disques-torpilles soient dans la sphère d’activation des cent cinquante mille kilomètres. Avec cette tactique, les dix croiseurs impériaux signèrent leur arrêt de mort, car Bella leur expédia vingt-quatre torpilles AP et transita, en moins de sept centièmes de secondes, hors de portée. À cette distance, les appareils ennemis n’auraient pas le temps d’intercepter les torpilles AP. L’opération se déroulait trop vite pour que les humains puissent suivre les engagements et encore moins intervenir. Moins de dix nanosecondes après sa nouvelle transition, le Bellator était déjà engagé par vingt nouveaux croiseurs d’attaques qui apparurent à deux cent mille kilomètres de l’énorme sphère. Les disrupteurs moléculaires entrèrent immédiatement en action labourant violemment les champs de protection des puissants navires de guerre. La résistance des champs Horlzson du Bellator et l’état de ses réserves énergétiques lui donnaient un avantage décisif dans ce type d’affrontement. Ses rayons disrupteurs surpuissants étaient verrouillés sur deux croiseurs impériaux qui disparurent des senseurs en moins de quatre centièmes de secondes. L’écran de protection extérieur du porte-croiseurs flamboyait sous les tirs des huit survivants qui s’acharnaient malgré leur infériorité énergétique flagrante. Vingt nouveaux croiseurs émergèrent à moins de deux cent cinquante mille kilomètres et ouvrirent le feu immédiatement sur le navire de Paul. Bella avait déjà détruit quatre autres croiseurs, mais la puissance de feu des impériaux commençait à atteindre les limites de résistance de ses champs de protection et l’IA s’attendait à voir émerger d’autres navires de combat. Elle enclencha donc une transition vers le nuage d’Orion et le combat fut terminé. Le Bellator émergea à moins de dix-huit minutes-lumière de la position quittée moins de quatorze secondes auparavant. Les neuf croiseurs n’avaient pas bougé et Bella leur intima l’ordre de regagner le bord. L’IA déploya dans la foulée ses filets de captage de matière noire, car l’engagement et les différentes transitions avaient sérieusement entamé les réserves énergétiques du gros vaisseau de guerre. Il faudrait environ deux heures et demie pour recharger complètement les condensateurs à énergie Kin fournis par les scientistes. La durée du raid avait été tellement brève que les humains n’avaient pas vraiment eu le temps de se rendre compte de l’opération. Le Bellator avait émergé depuis presque dix secondes et il régnait encore un silence religieux dans le centre tactique. La violence du combat retransmis sur les projections holographiques avait impressionné Paul et Mélanie, qui avaient encore l’air hagards. Sarian réagit le premier et demanda à Bella de lui faire un rapport sur les avaries éventuelles. - Nos niveaux d’énergie sont à quinze pour cent, j’ai enclenché le captage dès l’émergence. Nous avons tiré cent soixante-huit torpilles autoprotégées et n’avons aucun dégât identifié. Je fais rentrer les croiseurs à bord. Un cri de soulagement général retentit dans le centre tactique. Ils avaient réussi ! Les yeux de Paul brillaient de fierté. Sarian vint l’enlacer et lui taper sur l’épaule dans une attitude purement occidentale malgré les combinaisons de combat ce qui donna un résultat plutôt cocasse. Mélanie avait les larmes aux yeux, car sa tension nerveuse accumulée venait de retomber. Oria et Darin restaient immobiles, mais Paul percevait leur joie à travers les effluves mentales qu’ils dégageaient involontairement. Tout le groupe d’Ildarans se rua sur la passerelle en hurlant sa joie. Le moral des troupes était au plus haut et Sarian sut qu’ils venaient de remporter une énorme victoire psychologique, même si le plus dur restait à faire. Il restait maintenant à attendre les drones et analyser les données collectées dans le système d’Aldébaran, après le départ du Bellator. Les petits engins furtifs avaient une capacité de saut de deux cents années-lumière et il était plus rationnel d’aller les récupérer plutôt que d’attendre qu’ils reviennent dans le nuage d’Orion, à plus de mille années-lumière d’Aldébaran. Pour les drones, une telle distance nécessitait cinq sauts quantiques, mais surtout cinq heures cumulées de captage de matière noire. Inutile de patienter inutilement alors que les condensateurs du Bellator seraient rechargés en moins de trois heures. - Quelles sont les données disponibles sur notre attaque ? demanda Paul, qui se démenait pour s’extraire de sa combinaison de combat, avec l’aide de deux androïdes. - Nous sommes restés quatorze secondes vingt-trois centièmes dans le système d’Aldébaran. Nous avons engagé plus de quatre-vingt-cinq croiseurs de combat, en trois passages. Je dispose de peu de données sur les dommages occasionnés à la flotte adverse, car nous sommes repartis avant que mes torpilles soient toutes à distance d’activation. Le Bellator a détruit six appareils au disrupteur en combat rapproché. Nous aurons plus de détail après avoir analysé les données des drones furtifs. - Il semble que notre opération ait été un succès. Même si les dommages infligés aux impériaux sont minimes, nous leur avons démontré que nous pouvions être offensifs et que, même face à une flotte importante, ils ne sont pas à l’abri d’un raid. Il est vraisemblable qu’ils se désintéressent, maintenant, de l’amas des pléiades et repartent vers Ildaran. Intervint Telius, le spécialiste tactique du groupe. - Ce vaisseau est extraordinaire, fit Paul, qui n’en revenait toujours pas. Je n’ai même pas eu le temps de comprendre ce qui se passait. - Ne t’emballe pas trop Paul. Lui répondit Telius. Si nous avons gagné ce coup-ci, c’est parce que nos adversaires étaient trop sûrs d’eux. De plus, sans les torpilles AP des scientistes et nos condensateurs renforcés, nous n’aurions pas réussi. Les IA des croiseurs n’étaient pas préparées à affronter notre supériorité tactique. Maintenant qu’ils sont alertés, les données de ce combat vont être analysées par l’adversaire et le prochain engagement sera certainement moins facile. - Bella, peux-tu nous repasser des images de l’affrontement ? interrogea Sarian aussitôt après s’être débarrassé de la grosse tenue de combat. - Bonne idée, comme cela nous pourrons analyser leurs réactions, compléta Telius, qui s’était extirpé de l’encombrante armure sans effort apparent, laissant Paul perplexe, qui observa néanmoins qu’Oria ne s’en sortait pas si bien que ça. Le raid était encore dans tous les esprits, car, même si les combats s’étaient déroulés sur quatorze secondes, l’intensité de l’action avait été telle que tous avaient eu l’impression que la bataille s’était éternisée sur plusieurs minutes. - Il faudra attendre le résultat des données fournies par les drones, mais, lors du premier passage, les vingt-cinq appareils qui ont accéléré à notre rencontre ont dû subir de lourdes pertes. Ils sont venus droit sur nos torpilles AP sans savoir qu’ils ne pourraient les abattre d’un seul tir de disrupteur. La surprise a dû être totale et je ne serais pas surpris que nous ayons abattu presque toute cette escadre. Nota Telius. - Oui, c’est probable. Approuva Sarian, qui analysait l’enregistrement sous plusieurs angles. Une reconstitution tridimensionnelle était projetée au centre de la salle tactique et tous pouvaient découvrir le champ d’espace de combat dans son intégralité. Mélanie et Paul auraient pu se croire dans un jeu vidéo en trois dimensions, tant la fidélité de la restitution spatiale était réaliste. - Lors du second passage, les dégâts ont dû être plus limités, car nous avions affaire à cinquante croiseurs et les données télémétriques avaient déjà été échangées avec la première escadre. Je suis d’ailleurs surpris que les IA nous aient malgré tout engagés avec des torpilles à distorsion. Fit remarquer Telius, dubitatif. - Les IA ont réagi quand même très vite puisque, lors du dernier affrontement, les croiseurs ont émergé à distance de disrupteur pour nous empêcher de tirer nos torpilles, releva Darin. - Cela nous laisse un bon espoir de pouvoir empoisonner sérieusement la vie de Kera Seravon, car nous allons pouvoir mener une tactique de guérilla, ajouta Sarian. - Nous ne sommes restés que quatorze secondes, il n’y a pas de quoi s’exalter, nota Paul. - Tu dis cela, car tu ne connais pas très bien la technologie ildarane. C’est déjà énorme d’être parvenu à rester quatorze secondes dans un système sécurisé par cent dix croiseurs de combat ! affirma Darin. Ildaran Prime est protégé avec deux cents navires et toutes les simulations d’assauts se sont soldées par l’élimination totale des assaillants en moins de neuf secondes. Sans la supériorité de nos torpilles AP et le renforcement de nos boucliers, nous n’aurions pas détruit un seul appareil. - Ah exprimé comme ça, cela change un peu mon point de vue. Plaisanta l’adolescent avec un demi-sourire. Ils étudièrent plusieurs fois les données visuelles et tactiques des combats, laissant Bella commenter les réactions, parfois curieuses, des vaisseaux ennemis. Ils étaient tellement absorbés par ce débriefing qu’ils ne virent pas le temps s’écouler. Le Bellator avait rechargé ses condensateurs et était prêt à transiter vers les Pléiades. Le Bellator émergea à moins de vingt années-lumière du système scientiste. Sans surprise, il fut balayé par des faisceaux de détection, mais cette fois-ci ils en connaissaient l’origine. Parfaitement immobile dans l’espace, en état de défense, le gros porte-croiseurs n’eut pas longtemps à attendre. Au bout de quelques minutes, deux drones émergèrent à moins de six minutes-lumière. Le gros navire effectua une courte transition pour se rapprocher des deux appareils et trois minutes plus tard, les deux drones étaient récupérés. Ils furent aussitôt connectés aux calculateurs de données tactiques pour analyse. Visiblement, le troisième devait avoir été endommagé, mais Bella décida de l’attendre encore quelques minutes. Il avait peut-être été touché pendant un échange de tirs. En effet après avoir analysé superficiellement les données des deux drones, il apparut que le troisième avait été atteint par l’onde de choc d’une torpille à distorsion. Il avait réussi à transiter avec les deux autres, mais ses filets de captage étaient restés bloqués et il n’avait pu effectuer son ravitaillement en matière noire. Suivant son protocole de sécurité, il s’était autodétruit après avoir transmis ses données aux deux autres robots-espions. - Bien, il est temps de rejoindre nos amis dans le système de Polona, proposa Sarian. - Je serais bien allé sonner chez nos amis scientistes pour refaire le plein en munitions AP, déclara Telius pendant que Bella décodait les informations extraites des drones. - Oui, d’autant qu’ils doivent avoir des enregistrements du combat si leurs drones sont rentrés. Compléta Darin. Cela nous permettrait de compléter nos données tactiques sur l’engagement. - Il sera bien temps d’y retourner plus tard ? Pour le moment le plus urgent est de rallier Polona et de se faire oublier un moment. Objecta Sarian. - On met donc le cap sur Polona cette fois ? Questionna Paul. - Oui, nous étudierons les données fournies par les drones pendant le trajet, répondit Sarian. - Ne pourrait-on pas pousser notre avantage psychologique en attaquant immédiatement un système de l’Empire ? Ils ne doivent certainement pas s’attendre à une attaque si rapprochée, proposa Oria. - Ce serait prendre des risques énormes pour un faible résultat, du point de vue militaire. L’attaque d’Aldébaran était motivée, car nous devions distraire les impériaux de leurs recherches, mais attaquer un système de l’Empire serait assurément un coup d’épée dans l’eau, opposa Telius. - Sur le plan militaire probablement, mais sur le plan psychologique, Oria n’a pas tort, songea Sarian à haute voix. - Profitons-en alors. Attaquons-les sur leur terrain, fit Paul, ravi d’en découdre et galvanisé par leur récente victoire. - Ce n’est pas une petite opération Paul. L’Empire est très bien protégé. Souligna Telius, conscient de la complexité d’une telle intervention. - Quel système voudrais-tu attaquer ? demanda Darin, qui épousait la thèse d’une nouvelle attaque. - On ne peut pas se permettre de s’enfoncer trop loin à l’intérieur de l’Empire. Il faudrait cibler un système pas trop éloigné des frontières. Proposa Sarian, qui étudiait sérieusement l’opportunité d’affaiblir un peu plus la position politique de Kera 1er. - Si nous planifions une autre attaque, réapprovisionnons en torpilles AP, nous risquons d’en avoir besoin. Insista Telius. - Oui, tu as raison, essayons de minimiser les risques. Attaquer un système de l’Empire risque d’être très coûteux en munitions et les torpilles scientistes seront déterminantes. Bella, déplace-nous à la bordure du champ scientiste. Ordonna Sarian, sous le regard de Paul qui avait approuvé la position de Telius par un mouvement de tête. - Stabilisation inertielle, transition calculée. Saut. Le porte-croiseur se retrouva instantanément à moins de cent mille kilomètres de la barrière invisible qui protégeait la république de Scienty. Le Bellator émit un appel et, quelques secondes plus tard, une ouverture de trois mille mètres de diamètre apparut dans le bouclier d’occultation. Les scientistes devaient s’attendre à voir revenir le gros navire pour réagir aussi rapidement. En effet, dès franchi la barrière invisible, les senseurs de détection longue portée décelèrent trois frégates à moins de huit secondes-lumière. Comme Sarian s’y était préparé, les scientistes avaient déjà analysé les données de leurs drones furtifs et avaient été impressionnés par l’opération d’Aldébaran. Le collège s’était réuni et tous ses membres avaient décidé, à l’unanimité, d’apporter, à la maison Verakin, toute l’aide nécessaire pour qu’elle retrouve le trône d’Ildaran. Les dirigeants du peuple de scientifiques étaient prêts à fournir immédiatement trois mille torpilles AP au Bellator et toutes les technologies qui lui permettraient de l’emporter. La stratégie de Paul, d’accorder la garantie d’indépendance à la république de Scienty, avait donc porté ses fruits. L’adolescent semblait avoir hérité du talent politique de son père biologique. Il ne fallut que quelques heures au porte-croiseurs pour rallier la base orbitale, ravitailler en torpilles AP et repartir. Les scientistes leur avaient également fourni vingt-quatre drones furtifs et deux avisos supplémentaires. Ils semblaient réellement motivés par la réussite des projets de Paul et l’idée de l’attaque d’un système impérial leur avait paru excellente. Sarian ne se faisait néanmoins aucune illusion sur la motivation des scientistes, cette opération représentait surtout pour eux un très bon moyen de voir les impériaux quitter ce quadrant spatial. La manœuvre de sortie du système de Scienty était devenue une formalité. Un navire les escorta et leur ouvrit la barrière puis le Bellator quitta le système fantôme. - Éloignons-nous rapidement de ce secteur de l’espace, ne prenons pas le risque de croiser des drones impériaux. Bella, ramène-nous dans la nébuleuse d’Orion, nous y ferons le point et nous déciderons de notre stratégie d’attaque. Ordonna Paul, qui commençait à affirmer son autorité sous le regard admiratif d’Oria et de Sarian. Depuis le nuage d’Orion, les premières étoiles appartenant à Ildaran se situaient à quarante et un mille années-lumière, mais, comme il était impossible de traverser le bulbe galactique, il faudrait contourner le centre de la Voie Lactée pour atteindre l’autre côté. Le trajet le plus sûr était de prendre le cap du centre galactique, de traverser les bras spiraux du Sagittaire et d’Écu-Croix du Sud pour atteindre le bras spiral de la Règle puis remonter celui-ci dans le sens inverse de la rotation de la Voie Lactée, vers les étoiles de l’Empire. Un voyage de plus de soixante mille années-lumière. L’autre option était de longer le bulbe galactique dans son épaisseur. Cette route était beaucoup plus risquée, car elle frôlait la zone interdite. Le bulbe ne faisait que trois mille années-lumière d’épaisseur et la zone navigable était très étroite entre le bulbe et l’espace profond entre les galaxies. Trop près du bulbe, le vaisseau risquait la destruction, trop loin il s’aventurerait dans l’espace dépourvu de matière noire, et ne pourrait plus recharger ses condensateurs. N’ayant aucune contrainte d’urgence, Telius proposa de remonter le bras spiral. Il faudrait donc au moins vingt et une transitions pour atteindre la frontière des systèmes ildarans. Compte tenu des temps de captage, Bella estimait pouvoir arriver à proximité du premier système dans un peu plus d’une quarantaine d’heures ildaranes. L’IA afficha la représentation spatiale des frontières de l’Empire dans cette région de l’espace. Il n’y avait que quatre systèmes potentiellement importants dans cette région de l’espace. Le premier était le système d’Orcaphin, administré par la riche maison Uphrasite. Une ancienne famille qui avait assis sa fortune sur la prospection spatiale. Sarian n’était pas partisan d’attaquer Orcaphin, car les Uphrasite avaient toujours été loyaux envers les Verakin et il était inutile de s’en faire des ennemis aujourd’hui. D’ailleurs, leur proximité connue avec les Verakin pourrait amoindrir leur témoignage sur l’attaque et Kera Seravon pourrait toujours arguer d’une propagande visant à le déstabiliser. Le second était le système de Qiotianne. C’était un système hébergeant une planète agricole produisant de nombreuses denrées alimentaires consommées dans l’Empire. Là encore, Sarian ne voyait pas un grand intérêt stratégique à attaquer ce système, de surcroît peu défendu et dans lequel un raid ne serait pas beaucoup médiatisé. Le troisième, situé à cent cinquante années-lumière à l’intérieur des frontières de l’Empire se situait Relican. Il s’agissait d’un système arsenal qui produisait de nombreuses classes de vaisseaux civiles et militaires. Ce système était administré par un gouverneur impérial et par l’amirauté de la spatiale. Oria fut immédiatement favorable à une incursion dans ce système. Comme il s’agissait d’un système arsenal, l’impact médiatique d’une agression de la flotte de protection serait retentissant. L’empereur aurait beaucoup de mal à dissimuler le raid. La nouvelle que l’un des plus puissants systèmes avait été attaqué par les Verakin pourrait faire naître une polémique dans tout l’Empire. Cela serait une excellente caisse de résonnance sur le retour d’Ishar. L’information qu’un héritier Verakin était encore vivant devrait sérieusement perturber les rapports politiques entre les grandes familles et leurs vassaux. De plus, pour Kera, s’être fait dérober son navire personnel serait un camouflet qu’il lui faudrait relever et cela l’amènerait, certainement, à commettre des erreurs. - Attaquons Relican ! acquiesça Paul. - Ce serait en effet une excellente cible du point de vue tactique, mais j’imagine que le système doit être sacrément protégé par la flotte. Souleva Darin. - En effet, confirma Telius, analysant les données affichées sur ses neurorécepteurs, c’est dans ce système que sont fabriqués les plus gros vaisseaux de combat. Le Bellator provient des usines d’armement de Relican II, la seconde planète du système. La flotte de protection est d’au moins cent cinquante croiseurs de combat sans compter les nombreuses plateformes mobiles et les sites de disques-torpilles planétaires, installés sur les lunes des différentes planètes du système. Attaquer Relican, alors que le Bellator n’est pas pleinement réparé, est hautement risqué. Ajouta le tacticien de l’équipe. - Que proposes-tu alors ? demanda Paul, en se retournant vers lui. Le garçon était légèrement déçu, mais était très soucieux de l’avis de Telius. - Je pensais à Zetarian Alpha, tout proche. Il s’agit d’un système industriel, pas spécialement stratégique, mais qui dépend de la famille Malezari. Cette famille a toujours été hostile aux Verakin et, compte tenu de sa nouvelle position dans l’échiquier politique de l’Empire, je la soupçonne d’avoir aidé les Seravon à renverser ton père. Répondit l’Ildaran. - C’est le système mère des Malezari ? s’enquit l’adolescent. - Non, mais il est important comme source de revenus et une attaque, dans ce système, devrait être largement relayée, ajouta Telius. - D’un point de vue politique, je ne partage pas ton point de vue, Telius. Intervint Oria. Nous pourrons attaquer ce système une autre fois. Pour le moment, nous devons marquer les esprits. Il faut infliger une humiliation à Kera Seravon. Si nous attaquons Zetarian Alpha, il s’en moquera comme d’une guigne, alors que si nous attaquons Relican, ce sera clairement une déclaration de guerre. De plus, attaquer un système bien protégé démontrera que personne n’est à l’abri de notre flotte. Insista la jeune femme, sous le regard attentif de Paul et Sarian. - Elle n’a pas tort, s’immisça Darin. C’est clairement très risqué d’attaquer Relican, mais nous sommes sûrs que cela affectera davantage l’empereur et que tout Ildaran sera au courant du retour de Paul. - Sur ce point, vous avez raison tous les deux, mais, attaquer un système comme Relican avec un porte-croiseurs et neuf vaisseaux de combat, c’est du suicide. Objecta Telius. - Pas sûr. Kera Seravon n’a probablement pas encore informé toute la marine spatiale du vol du Bellator. En émergeant dans le système, les IA de contrôle devraient le prendre pour un appareil de la flotte. Argumenta Sarian. - C’est faire un pari très risqué, rétorqua Telius. Si tu as raison, nous aurons le temps d’engager quelques vaisseaux et de repartir, mais, s’ils sont informés sur le Bellator, nous serons pris pour cible immédiatement. Compte tenu du nombre de vaisseaux de guerre et de systèmes d’armes dans ce système, il y en aura forcément un à distance de combat dès l’émergence. Au bout de quelques nanosecondes, il y aura au moins cinquante croiseurs sur nous, car ceux-là sont tous en état de défense prêts à réagir à la moindre alerte. - Bella. Quelles sont précisément les défenses de Relican ? demanda Paul, qui souhaitait reprendre la main de la discussion et étayer son choix. - Ce système est protégé par la huitième flotte impériale qui comprend cent cinquante croiseurs de combat de classe éclair. S’ajoutent à cela deux cents plateformes mobiles de quatre-vingts torpilles et plus de deux mille torpilles planétaires réparties sur les lunes du système. La défense de ce système est dimensionnée pour résister à l’attaque de mille croiseurs de combat. Il fait partie des cinq systèmes les mieux protégés, après Ildaran lui-même. - Quelles sont nos options si nous voulons uniquement engager un ou deux vaisseaux puis repartir ? continua le jeune homme. - En premier lieu, rester en stabilisation inertielle toute la durée de l’engagement afin de pouvoir transiter immédiatement, comme pour le raid d’Aldébaran. Si nous manœuvrons, nous n’aurons plus le temps d’immobiliser le vaisseau pour un saut quantique. En second lieu : repérer quelques vaisseaux isolés à la périphérie et dès l’émergence dans le système, transiter vers eux à distance, d’engagement torpille, de cinq secondes-lumière. Ensuite, tirer avec l’intégralité de notre capacité offensive toutes nos torpilles AP. Phase deux, transiter de nouveau à proximité d’un second groupe de navires, mais à une distance d’engagement au disrupteur et tirer sans sommation puis repartir. - Eh bien, voilà un plan qui me plaît. S’exclama Paul, qu’en pensez-vous ? - Quelles sont les probabilités de s’en sortir sans aucun dommage ? demanda Sarian néanmoins prudent. - Si nous restons moins de cinq secondes dans le système et compte tenu de nos nouvelles capacités de protection, 79,54%. - Quels dégâts occasionnerons-nous à la huitième flotte ? interrogea Darin - Entre dix et vingt navires. Pas plus, car ignorant les capacités AP de nos torpilles, les IA de défense chercheront à les contrer avec des contre-mesures électroniques et les détruire aux disrupteurs. Nos torpilles AP devraient faire quelques ravages avant que les IA de combat ne fassent transiter les navires en procédure d’évitement. Tous les appareils en mouvement devraient être détruits ou très endommagés. - Donc tu vois Telius, on peut leur refaire le coup d’Aldébaran. Assura Paul, ravi - Je maintiens que c’est toujours très risqué, mais c’est toi qui décides. Sarian, Darin, Oria, qu’en pensez-vous ? soupira Telius, d’un geste fataliste en se tournant vers les autres Ildarans. - Je salue ta prudence, mais je suis de l’avis de Paul. Nous devons frapper les esprits avec une attaque, politique et médiatique d’envergure. Répondit Oria. J’ai déjà exprimé mon avis sur Relican. Sarian et Darin approuvaient la position d’Oria et le choix de Relican fut finalement adopté. Cette région de l’espace avait été retenue pour sa proximité, relative, avec la route venant du bras d’Orion. Cela évitait d’avoir à pénétrer en profondeur dans l’Empire. Sarian savait qu’Ildaran possédait des systèmes de surveillance, au large de toutes les étoiles, situées jusqu’à huit cents années-lumière de distance de ses premiers systèmes habités. Il fallait donc que le dernier saut soit supérieur à cette distance pour ne pas être repéré. Tous les appareils qui cherchaient à entrer dans l’espace de l’Empire ayant une capacité de saut inférieure à huit cents années-lumière étaient donc fatalement détectés avant même d’avoir atteint un système habité, car les sondes automatiques transitaient à la moindre alerte. Il était ainsi pratiquement impossible de surprendre l’Empire, car il n’y avait aucun navire connu capable d’ouvrir un trou de vers sur une distance supérieure à six cents années-lumière et d’arriver sur cible avec suffisamment d’énergie pour menacer les escadres impériales de protection. Ce réseau de détection était installé depuis plus de vingt mille ans et n’avait jamais été pris en défaut. Avec une autonomie de trois mille années-lumière, le Bellator allait pouvoir surprendre les escadres de protection de Relican. De quoi inquiéter, encore plus sérieusement, les stratèges militaires de l’usurpateur, après l’affrontement d’Aldébaran. La stratégie retenue consistait à s’approcher prudemment à neuf cents années-lumière dans le système de Frochia. L’étoile de Frochia était une naine rouge parfaitement inintéressante et il n’y avait, en principe, aucun système de surveillance. - Nous rechargerons en matière noire au large de Frochia, ainsi, en cas de soucis nous aurons encore plus de deux mille années-lumière de capacité de saut à l’arrivée. Bella calcule-nous un point de saut d’urgence dans le bras d’Écu-Croix, à mille années-lumière de Relican. Il y a quelques contrebandiers dans cette région et notre distance de saut devrait inciter les impériaux à penser que nous nous sommes repliés dans la bordure. Ordonna Sarian. Tout était réglé et l'homme proposa à toute l’équipe d’aller dormir. De toute façon, il ne passerait rien d’ici les prochaines heures. Paul et Mélanie regagnèrent leurs luxueuses cabines et, malgré une excitation toute naturelle, réussirent à trouver le sommeil. * Chapitre 44 Les Ildarans avaient terminé tranquillement leur petit-déjeuner au côté de Sertime qui les trouva étonnamment calmes, compte tenu des circonstances. Ils furent ensuite invités à se changer pour se rendre au palais de la justice. Une escorte de quarante gardes les attendait pour les accompagner jusqu’aux grandes arènes jouxtant le palais. Les trois Ildarans montèrent sur les grands okorox de combat, mis à leur disposition, et la troupe prit la direction de l’ouest de la ville. Les okorox étaient impressionnants, même si, pour l’occasion, ils n’étaient pas parés de leurs ornements métalliques, habituellement ajoutés aux extrémités de leurs bois. La progression dans la ville fut assez fluide pendant la première moitié du trajet, mais, au fur et à mesure, la foule devenait de plus en plus compacte. Les passants, comme les résidents des habitations environnantes, voulaient tous voir ces étrangers qui avaient osé braver les Tâardian. Les paroles d’encouragement se transformèrent petit à petit en cris de liesse à leur attention. Ils purent ainsi mesurer la faible popularité du duc. Sertime leur avait expliqué que de nombreux habitants du royaume craignaient que Tâargrien n’épouse la princesse et qu’il devienne roi de Port Gâal. La réputation de son père était détestable et l’éventualité de voir le fils couronné roi, inquiétait de nombreux gâalanais. Tous se pressaient donc pour acclamer ces étrangers qui représentaient une forme de résistance nationale, face à des perspectives peu réjouissantes. Les gardes de Sertime avaient les plus grandes difficultés à se frayer un passage dans la population et craignaient un incident, toujours possible au sein d’une foule agitée. Néanmoins, tout se passa normalement et la troupe arriva, sans encombre, devant l’entrée principale du palais. Les gardes royaux les orientèrent immédiatement vers une porte, à l’écart, où leurs okorox furent pris en charge par des serviteurs. Quatre gardes les accompagnèrent dans une pièce où les champions pourraient se préparer. Des tenues de jugement blanches, et sans ornement étaient accrochées, à leur disposition dans des loges particulières. Rliostem et Klosteran n’étaient pas désorientés, par le cérémonial, ayant déjà subi ce rituel lors du précédent combat. Mais cette fois-ci de nombreux gardes protégeaient les bâtiments, preuve de la tension accumulée depuis le dernier jugement. L’excitation de la foule devait encore accroître les enjeux politiques reposant sur les épaules des deux Ildarans qui imaginaient leurs adversaires également mis sous pression par les Tâardian. Ils n’en regrettaient que plus de ne pas pouvoir conserver leur ceinture et leur générateur de champ Horlzson. Ils avaient bien tenté d’argumenter qu’ils s’agissaient d’ornements religieux, mais les règles étaient strictes et l’Assesseur Royal avait catégoriquement refusé qu’ils conservent leurs ceintures. Inutile de demander une fois encore alors qu’ils étaient, de surcroît, responsables du report du jugement. C’est donc revêtu d’une simple tunique courte, sans manches, qu’ils se rendirent, escortés par quatre gardes, devant les portes de l’arène. Cette escorte confirmait que le roi prenait ce jugement très sérieusement pour avoir pris de telles précautions. - Messires. C’est l’heure du jugement, annonça un garde qui semblait être plus gradé que les autres. Il exhibait des décorations multicolores sur son épaule droite. Les Ildarans apprendraient, par la suite, qu’il s’agissait du lieutenant personnel de l’assesseur de la justice du royaume. - Où se trouvent nos adversaires ? Questionna Klosteran. - Ils sont de l’autre côté de l’arène et entreront par la porte opposée. N’ayez crainte, vous allez bientôt les rencontrer. Répondit le militaire, d’un air mi-figue mi-raisin. Un énorme coup de gong retentit, signifiant que les combattants pouvaient s’avancer et faire face au jugement du cercle, chargé de désigner le vainqueur dans ce différend. Les énormes portes, de plus de trois mètres de hauteur, s’ouvrirent lentement et le soleil, déjà haut dans le ciel, aveugla un très bref instant les deux Ildarans. Leurs améliorations visuelles corrigèrent immédiatement la luminosité leur redonnant instantanément une vision précise de la scène. Ils s’avancèrent dans la lumière pour découvrir une arène bondée de spectateurs. Il semblait que toute la ville se soit rendue au jugement, tant les gradins étaient remplis. Mais leur plus grande surprise fut de découvrir leurs adversaires. L’un d’eux était un véritable géant. Il devait bien mesurer deux mètres vingt-cinq. Rliostem et Klosteran étaient des combattants aguerris, mais depuis dix-sept ans ils n’avaient pas eu l’occasion de beaucoup s’entraîner en combat réel. Leurs adversaires les observaient, cherchant déjà des points faibles. Sans leurs Nanocrytes de type six, les deux duels auraient été de vrais massacres. Le tirage au sort désigna Klosteran comme premier combattant et il lui échoua d’affronter le plus grand des deux représentants des Tâardian. - C’est bien ma veine ! C’est moi qui vais devoir me coltiner le monstre, soupira-t-il, d’un ton un peu dépité. - Cela te fera une bonne remise en forme, je trouve que tu t’es un peu ramolli ces dernières années, lui répondit Rliostem, d’un air goguenard. Son ami lui lança un regard désabusé, car il avait conscience que le combat ne serait peut-être pas une simple formalité avec un adversaire de cette carrure. Un second coup de gong retentit, signifiant que les compétiteurs devaient se rejoindre au milieu du cercle du jugement. Ce furent à ce moment que les Ildarans découvrirent que le grand guerrier Tâardian disposait d’un sabre en corodrium. - Baliran, je croyais qu’il n’y avait pas de minerai de corodria sur cette planète ? S’étonna Rliostem. - En effet, je ne comprends pas comment ils ont pu obtenir ces armes. Répondit l’ancien contrebandier, visiblement surpris. - Tu n’as pas connaissance d’autres Ildarans exilés sur la planète qui aurait pu leur fournir ces sabres ? demanda Klosteran. - Non. Mais cela ne veut rien dire. Il y a peut-être déjà eu d’autres hommes de Marvio envoyés ici. Nul n’en a jamais entendu parler et il est possible qu’ils soient morts. Peut-être tués par les gâalanais qui se sont emparés de leurs lames. Suggéra Baliran, qui cherchait une explication rationnelle. - Dans tous les cas, cela ne fait pas notre affaire, car l’un de nos avantages vient de disparaître. Lâcha Rliostem, un peu contrarié. - Votre célérité fera la différence. Je ne vois pas comment un natif de cette planète pourrait vaincre un « type six ». Affirma Baliran, qui tentait de minimiser l’affaire. - Eh bien, nous allons voir puisque c’est à moi que revient l’honneur d’ouvrir le bal avec la grosse brute. Conclut Klosteran, moins enclin à plaisanter que les heures précédentes. L’assesseur royal était au centre du cercle et énonça les motifs du jugement. Il ajouta qu’à la demande des Tâardian, les combattants ne seraient pas stoppés au premier sang, mais qu’il reviendrait aux offensés de décider s’ils étaient satisfaits ou non du jugement. Ainsi comme Klosteran et Rliostem s’y attendaient, les jeunes nobles souhaitaient bien leurs morts. Le premier représentant des Tâardian avait choisi un affrontement à deux armes. Il était armé de son sabre en corodrium et d’un large bouclier légèrement ovale, fabriqué dans un bois que ne connaissait par les Ildarans. Klosteran choisit de combattre avec deux sabres et emprunta celui de Rliostem. Ce fut donc avec une lame dans chaque main qu’il se tint prêt au combat. Les deux adversaires prirent place dans le cercle et l’assesseur de justice leur réitéra les règles. Dans la mesure où il s’agissait d’un combat potentiellement mortel, du moins tant que les offensés ne s’estimeraient pas satisfaits, aucun des combattants ne pouvait quitter le cercle tant qu’il n’y aurait pas de vainqueur reconnu. En cas de transgression, celui qui franchirait en totalité le cercle serait abattu par les gardes disposés en surplomb. La foule hurlait à la victoire de l’étranger et certains criaient même le nom de Klosteran. Des proches de Sertime avaient dû le communiquer. Le nom du premier champion fut rapidement connu dans toute l’arène, car les Ildarans entendaient maintenant des hurlements d’encouragements : Klosteran ! Klosteran ! L’assesseur de justice quitta le cercle en leur signifiant que le combat pourrait commencer dès que le gong retentirait de nouveau. Il s’éloigna tranquillement pour rejoindre un siège en hauteur qui lui donnait une position idéale pour surveiller le combat. Le gong retentit et le colosse se rua sur Klosteran, le sabre levé. * Chapitre 45 Le Bellator émergea dans le système de Frochia. La naine rouge était presque invisible, car elle se trouvait à plus de vingt milliards de kilomètres du point de transition du porte-croiseurs. Bella informa tous les membres de l’équipage qui étaient dans la salle tactique. Les dernières heures avaient permis d’analyser, en détail, les données de la bataille d’Aldébaran. Lors du premier engagement, le Bellator avait détruit douze croiseurs impériaux, lors du second seulement cinq et lors du troisième : quatre. Comme Paul le fit remarquer, le score était de vingt et un à zéro. Sarian calma ses ardeurs en lui rappelant qu’il y avait de nombreux humains à bord et que tous n’avaient pas choisi volontairement le camp des Seravon. Cette remarque eut pour effet immédiat de faire prendre conscience au garçon des contradictions à organiser des opérations de guérilla contre les forces militaires de son propre peuple. Il en vint même à douter et à se demander si le jeu en valait la chandelle. Après tout, serait-il un meilleur empereur que Kera 1er ? Sans le message des Al-Heoxyrians, l’avertissant d’une énorme menace pour la Voie Lactée, Paul aurait peut-être renoncé. Mais les mots de l’émissaire lui revenaient en mémoire : « tu dois reprendre le trône de l’Empire et combattre le danger qui arrive ». Le restant de la journée fut consacré à un entraînement aux armes blanches et la soirée fut plutôt calme. Après un repas préparé par Irias, tous allèrent se reposer dans leurs luxueuses cabines, mais le combat à venir était dans tous les esprits. Après un repos de presque neuf heures, ils s’étaient tous retrouvés pour un petit-déjeuner et les deux terriens avaient eu la surprise de découvrir du pain et de la confiture. À la demande d’Irias, Bella avait réussi à synthétiser de la farine de blé et à fabriquer du pain. Ce petit moment de diversion fut le bienvenu, car les autres membres de l’équipe avaient eu le plaisir d’apprécier cet aliment durant leur séjour en France. Après quelques plaisanteries sur la gastronomie et le caractère français, les discussions se focalisèrent sur des sujets plus sérieux, car le moment du second raid était arrivé. À l’issue du prochain saut, ils émergeraient directement dans un système puissamment défendu. Le Bellator allait rester en périphérie du système, car chercher à approcher la planète humano-compatible de Relican aurait été du suicide avec les capacités militaires déployées qui surclassaient largement le potentiel défensif du Bellator. Dès que des torpilles planétaires seraient lancées, il faudrait fuir le plus vite possible. La signature de saut de plus d’un millier d’années-lumière suffirait probablement à convaincre Kera Seravon que son précieux bâtiment était revenu de ce côté de la Voie Lactée et qu’il était pleinement opérationnel. Son amiral de cousin et les squirs survivants auraient des difficultés à lui faire croire qu’il avait été sérieusement endommagé dans le système d’Epsilon Eridani. Paul enregistra un message avec l’intention de le diffuser dès l’émergence dans le système de Relican. Il annonçait clairement son intention de reprendre le trône, illicitement occupé par Kera Seravon. L’usurpateur aurait du mal à éteindre l’incendie allumé par la réapparition d’Ishar sur la scène politique impériale. Tant que les grandes familles croyaient les Verakin disparus, il n’y avait pas d’alternatives possibles à un nouveau soulèvement pour renverser les Seravon. Mais maintenant qu’un héritier légitime réapparaissait, les divisions, entre les grandes maisons, allaient s’exacerber. Comme les scientistes leur avaient fourni deux avisos furtifs supplémentaires, Sarian comptait en sacrifier un pour harceler les forces de protection de Relican III, la planète principale du système. L’appareil n’avait aucune capacité interstellaire et s’autodétruirait après sa mission, mais il allait semer un peu le trouble parmi l’amirauté. Les neuf croiseurs et l’aviso sortirent du Bellator et la petite flotte entama sa moisson de matière noire. Deux heures plus tard, les appareils étaient revenus à bord, prêts au combat, et le gros vaisseau se prépara à transiter vers le système de Relican. La tension était au maximum, car il s’agissait de leur première offensive au sein des frontières de l’Empire. Jusqu’ici, ils avaient dû subir les évènements. Aujourd’hui, ils allaient inverser la tendance en provoquant les forces vives d’Ildaran et en rendant publique la survie d’Ishar. - Stabilisation inertielle, champ de propulsion Randarion activée, saut. * Le colosse de deux mètres vingt-cinq tenta de couper Klosteran en deux et ce dernier n’eut que le temps de parer l’attaque avec le sabre tenu dans sa main gauche. Sans ses Nanocrytes de type six, qui augmentaient sa résistance osseuse et sa force musculaire, le coup eût été fatal. Le choc entre les deux lames fut effroyable, mais le corodrium résista. Un, « oh ! » de surprise s’éleva des gradins, tant l’intensité du premier assaut avait surpris les spectateurs. Klosteran ne se laissa pas impressionner par ce coup et répliqua aussitôt avec la lame de sa main droite en tentant de couper en deux le bouclier de bois de son adversaire. Malheureusement pour lui, l’Ildaran ne connaissait pas le bois utilisé pour la fabrication de ces boucliers. Il s’agissait d’une sorte d’arbre, appelé Ylten, ayant la forme d’un champignon d’un mètre cinquante de haut. La partie supérieure était découpée dans la masse puis façonnée par polissage. Aucun métal produit sur Polona n’avait réussi à entamer en profondeur ce bois particulier et il fallait des centaines d’heures de polissage pour réaliser un bouclier parfaitement lisse. La lame de corodrium, abattue avec puissance par l’Ildaran, pénétra néanmoins de trois centimètres dans le bois d’Ylten, mais y resta prisonnière. Cet exploit fut salué par la foule, mais le colosse profita du court l’instant de surprise de Klosteran pour lui assener un violent coup de bouclier qui eut assommé tout humain normalement constitué. Klosteran dut plonger sur le côté gauche de son adversaire pour échapper au rapide coup de sabre qui suivit l’attaque au bouclier. L’homme de main de Tâardian s’avérait être redoublement vif et puissant et l’Ildaran dut battre en retraite, malgré sa vitesse supérieure. Klosteran avait perdu un sabre et il réfléchissait à la manière de terrasser cette montagne de muscles en tournant lentement autour de lui. La foule avait apprécié les premiers échanges et hurlait maintenant des encouragements aux deux combattants. L’homme des Tâardian était solidement campé sur ses jambes et étudiait également son adversaire. Son attitude patiente et attentive dénotait une certaine intelligence et renforçait sa dangerosité. Klosteran allait devoir reprendre l’initiative, car, pour le moment, il paraissait plutôt dominé par le grand guerrier. L’Ildaran s’approcha lentement du colosse qui se déplaça légèrement pour offrir son flanc gauche à une éventuelle attaque. L’homme se savait protégé par son bouclier en Ylten dans lequel l’un des sabres de Klosteran était encore fiché. Klosteran chargea en levant son sabre et chercha à atteindre son adversaire avec un coup oblique. Sa rapidité surprit le gâalanais qui ne dut son salut qu’à son grand bouclier, levé par réflexe. Klosteran avait pris soin de frapper avec un angle suffisant pour éviter que son autre sabre ne se coince, lui aussi, dans le bois formidablement dense. Le représentant du cousin de Tâargrien fut un peu déstabilisé par la rapidité de l’assaut et trébucha légèrement. Malheureusement pour Klosteran, il reprit très vite son équilibre et se remit aussitôt en garde. Les deux hommes se jaugeaient et Klosteran, malgré sa rapidité supérieure, se demandait comment traverser la défense de son monstrueux adversaire. Le salut vint de l’attaque prématurée de l’homme des Tâardian. Il leva son sabre avec l’intention de couper en deux Klosteran, dans le sens de la hauteur. L’Ildaran esquiva en se protégeant avec son sabre passé dans sa main gauche, manche vers le haut et lame vers le bas afin de laisser le sabre de son adversaire glisser le long de son flanc gauche. Dans un même mouvement, le grand guerrier tenta une nouvelle fois d’assommer Klosteran avec son bouclier, mais cette fois-ci l’Ildaran était prêt et dévia l’assaut en repoussant avec force, de sa main droite, le bouclier vers le bas. Le colosse fut déséquilibré et Klosteran profita du mouvement pour replier son bras droit et lui assener un formidable coup de coude au visage. Le colosse flancha sous la douleur de sa joue éclatée qui saignait abondamment. Malgré sa blessure et la douleur, le géant se remit vite en position, mais il devait être habitué à vaincre ses adversaires rapidement, car il commençait à se fatiguer et le sang qui lui coulait sur le visage semblait le gêner. Son œil gauche était fermé et sa vision réduite devait commencer à le faire douter de l’issue du combat. Klosteran repartit à l’attaque en feintant de frapper un coup droit sur le bouclier de son adversaire. L’Ildaran avait exécuté son assaut suffisamment lentement pour que le guerrier ait le temps de parer, mais Klosteran feinta en faisant passer, de nouveau, son sabre dans sa main gauche et visa les jambes du colosse en plongeant sur son bras droit dans une chute avant, parfaitement réalisée. La lame tourna autour du genou gauche du guerrier et entama les tendons de la jambe. Celle-ci ne pouvait plus soutenir le poids du grand guerrier qui dut reporter son poids sur sa jambe droite. La foule hurla de nouveau devant la rapidité et la qualité d’exécution de la botte de Klosteran. L’Ildaran s’était déjà relevé face à son adversaire qui dut claudiquer pour se retourner. Klosteran en profita pour l’attaquer sur son flanc droit protégé par le sabre. Comme le guerrier Tâardian ne pouvait plus se reposer sur sa jambe gauche, l’attaque eut pour effet de le déséquilibrer une nouvelle fois et le colosse chuta de tout son poids en jurant violemment. C’en était fini pour l’homme des Tâardian. Klosteran signifia à l’assesseur de justice qu’il se déclarait satisfait de cette victoire et qu’il n’exigeait pas la mort de son adversaire. L’assesseur se retourna alors vers le cousin de Tâargrien afin d’obtenir son assentiment, mais le jeune homme, imbu de lui-même, refusa la capitulation et voulait voir son champion défait, tué par Klosteran. Des cris de violence fusaient des gradins. « Tue-le, à mort ! » Tâargrien lui-même leva la main, pouce vers le sol, signifiant la mort du vaincu. Klosteran leva alors son sabre et frappa la lame de son adversaire avec une telle force que celle-ci voltigea dans les airs. Son adversaire était à sa merci, désarmé, reposant sur le côté gauche. L’homme parla alors pour la première fois depuis le début du combat et lui jeta : « finis-en vite, nous avons combattu avec honneur. » Le colosse ferma alors les yeux attendant le coup de grâce, mais Klosteran lâcha son épée et lui assena un formidable coup de poing droit, de toute sa puissance augmentée par ses Nanocrytes. Le colosse s’effondra : assommé. L’Ildaran ramassa les deux sabres en corodrium et le bouclier puis mit le guerrier estourbi sur son dos. Il s’apprêtait à le ramener à l’intérieur des bâtiments, mais s’arrêta à la limite du cercle, devant l’attitude menaçante des gardes qui avaient déjà bandé leurs arcs. L’Assesseur se leva et prit la parole : - L’étranger répondant au nom de Klosteran est déclaré vainqueur du jugement du cercle. Nulle accusation ne pourra plus être portée et il est libre de circuler dans le royaume. Que le cercle soit levé ! Les gardes remirent instantanément leurs flèches dans leurs carquois et Klosteran put regagner tranquillement la porte du bâtiment, sous les hourras de la foule hystérique. Le colosse pendait mollement sur l’épaule de l’Ildaran qui ne semblait faire aucun effort pour porter le géant qui devait portant peser dans les cent quarante kilos. Rliostem accueillit son ami avec gravité, même s’il n’avait jamais réellement douté de l’issu du duel. Il suspectait même Klosteran d’avoir fait, un peu, durer le combat afin de ne pas éveiller les soupçons sur leurs réelles capacités physiques. - Que vas-tu faire de ce monstre ? lui demanda-t-il. - Je ne pouvais pas le tuer de sang-froid, répliqua le vainqueur. - Ça, je le comprends bien, mais, à mon avis, s’il retourne chez les Tâardian il ne sera pas bien accueilli. Les Ildarans avaient parlé en gâalanais, qu’ils maîtrisaient maintenant assez bien, et les hommes de Sertime les avaient entendus. - Vous auriez dû le tuer, car s’il tombe entre les mains de son maître, celui-ci lui fera payer sa défaite et son l’humiliation publique. Fit l’un des gardes. - Eh bien, nous n’aurons qu’à le prendre avec nous, proposa Klosteran - Un Tâardian ?! s’exclamèrent, incrédules, plusieurs gardes du marchand. - Cela va être à votre tour Rliostem, les héla Sertime, qui venait vers eux. Félicitations, Klosteran ! J’avoue avoir craint pour votre vie lorsque j’ai découvert cette montagne de muscles. Ce doit être un homme du cousin de Tâargrien, car il n’a jamais été aperçu en ville. S’adressant cette fois-ci à Rliostem. Faites attention, car, d’après mes informations, votre adversaire est l’un des meilleurs maîtres d’armes du duc. Il sera d’autant plus motivé à vous tuer que Klosteran a remporté son combat. Les Tâardian ne peuvent pas se permettre d’être humiliés une seconde fois. - Comme je vous l’ai dit hier soir, je n’ai pas l’intention de me laisser occire, Sertime. Répondit Rliostem, cette fois très sérieux. Sauriez-vous, par hasard, d’où provient ce sabre ? Questionna-t-il, car la découverte d’armes en corodrium l’inquiétait. - Non, je n’avais jamais vu ce métal avant d’apercevoir vos propres lames. J’imagine qu’il provient du même armurier qui vous les a forgés. Répondit Sertime, observant la lame parfaitement aiguisée et toujours aussi lisse malgré les échanges violents. En tout cas, je suis impressionné par la solidité de ce métal. Je vous ai vu vous affronter avec force, et même une lame forgée par les armuriers de Damiusin aurait été sérieusement ébréchée. Rliostem ne répondit pas, car il était temps pour lui d’entrer dans l’arène et il se dirigeait déjà vers l’Assesseur. Son adversaire l’attendait déjà au centre du cercle du jugement et observait attentivement sa façon de se mouvoir. L’homme du duc devait mesurer un mètre quatre-vingt-dix, peut-être légèrement plus. C’était le type même du guerrier aguerri, tout en muscles longs et fins. Il devait être très agile et rapide. Son attitude posée et attentive démontrait une longue pratique du combat. Il avait choisi une seule arme et tenait un sabre en corodrium dans sa main droite. Décidément pour une planète censée être exempte de minerai de corodria, il y a beaucoup d’armes extraplanétaires, pensa Rliostem. L’Ildaran s’avança lentement en étudiant son adversaire, mais il ne distinguait aucun point faible. Contrairement à Darin, qui était un véritable maître d’armes, Rliostem était un garde impérial type : analyste, rapide et efficace, mais pas un expert en combats rapprochés. Face à un tel adversaire, il lui faudrait compter sur sa vitesse pour vaincre, car l’homme le surclassait assurément dans les techniques de duel aux armes blanches. Comme lors du duel précédent, les spectateurs encourageaient Rliostem par des cris scandant son nom. Cela ne semblait pas perturber le représentant du fils Tâardian qui attendait patiemment le début du combat. L’Assesseur de justice attendit que Rliostem soit au milieu du cercle et leur rappela que tout adversaire franchissant le cercle serait abattu par les archers. Que le jugement commence ! Contrairement à l’assaut de l’adversaire de Klosteran, le maître d’armes ne se rua pas sur l’Ildaran. Il se contenta de se mettre en garde et commença à tourner lentement autour de lui. Il avait remarqué que son adversaire disposait également d’armes en corodrium et semblait un peu contrarié, mais cela ne modifiait en rien sa détermination de satisfaire son maître. Les deux hommes se jaugeaient prudemment, attendant que l’autre prenne l’initiative du premier assaut. La foule avait fait silence, retenant son souffle. Le face-à-face durait déjà depuis de longues secondes lorsque Rliostem tenta une attaque oblique. La contre-attaque fut cinglante : le maître d’armes évita prestement la lame et se fendit en visant le genou de son compétiteur. Celui-ci ne dut son salut qu’à ses améliorations qui accéléraient sa vitesse de quatre-vingts pour cent. Il déplaça sa jambe droite vers l’arrière en déviant la lame de son adversaire du même côté. D’un même élan, il se colla dos à dos avec celui-ci et attrapa son avant-bras droit à l’aide de sa main gauche. L’Ildaran profita de la rotation induite pour le déstabiliser un peu plus et accélérer leur mouvement giratoire. Le guerrier ne s’attendait pas à cette prise et ne savait plus comment reprendre son équilibre. Rliostem en profita pour accélérer encore leur rotation et le lâcha brutalement, à proximité de la limite du cercle. L’homme des Tâardian ne put ralentir et franchit, bien malgré lui, la limite du cercle du jugement. Il réalisa à peine ce qui s’était passé, qu’il était déjà ciblé de six flèches. Il s’écroula sans un mot, le sabre encore à la main. La foule en délire scanda le nom de Rliostem, car personne n’avait jamais vu une botte pareille. - Le jugement est rendu. Messire Klosteran est lavé de toute accusation. Il est déclaré innocent et libre de ses mouvements à travers le royaume. L’assesseur déclara ainsi la fin du combat pendant que l’Ildaran était acclamé par la foule qui jetait des centaines de pétales bleus dans l’arène. Rliostem ramassa le sabre de son adversaire défait et marcha calmement vers Klosteran, qui l’attendait devant les portes monumentales. Les Tâardian, visiblement furieux, quittaient précipitamment les arènes. L’Ildaran songea qu’il faudrait se méfier de ces serpents qui ne s’avoueraient probablement pas satisfaits du jugement. L’avenir allait malheureusement lui donner raison. Rliostem retrouva son ami à proximité de l’entrée de l’arène. Les deux hommes se dirigèrent vers l’intérieur des bâtiments en direction des loges sous les acclamations de la foule en délire. L’Ildaran n’était pas particulièrement réjoui d’avoir dû tuer le guerrier Tâardian. Contrairement au combat mené contre les pillards qui avaient assassiné des innocents, le maître d’armes s’était retrouvé au centre d’un enjeu politique qui le dépassait. - Tu n’avais pas le choix, Rliostem. Il était trop expérimenté pour le neutraliser sans risque. Il t’aurait tué sans remords. - Je le sais, mais il s’agit de son monde et de sa culture. Nous venons d’ailleurs… Il regrettait surtout d’avoir dû supprimer son adversaire à cause des Tâardian. Rien que pour cette raison, il leur en voulait. - Allons nous changer et retrouver Sertime. Il doit être rassuré de notre victoire, ajouta Klosteran pour tenter de distraire son ami de ses pensées moroses. - Tu as raison, d’autant que je boirais bien un verre de son excellent vin. Acquiesça Rliostem, songeur. Les deux hommes pénétrèrent dans la partie du bâtiment où se trouvaient leurs loges et s’étonnèrent de ne pas retrouver le marchand ni ses gardes. Ils furent immédiatement sur la défensive et fouillèrent prudemment les lieux. Ils découvrirent six gardes de Sertime morts, à l’entrée de leur loge, mais personne d’autre. - On nous a volé nos ceintures ! s’exclama Klosteran, qui fouillait déjà dans leurs affaires. - Personne ne peut activer les générateurs de bouclier, ils sont accordés sur nos empreintes corporelles et nos Nanocrytes. Rétorqua Rliostem. - Peut-être, mais nous sommes sans défense ! s’énerva Klosteran. - Ce n’est pas très grave, on peut s’en faire envoyer par l’IA du Randor. Un androïde peut venir nous en apporter la nuit prochaine. Tempéra Rliostem. - Certainement, mais, en attendant, nous sommes sans protection. En temps normal je ne m’inquiéterais pas, mais, avec Sertime absent et surtout Baliran, qui était censé nous attendre, je ne suis pas tranquille. Ajouta Klosteran, visiblement nerveux à l’idée de devoir rester sans bouclier énergétique jusqu’à la nuit. S’il ne craignait pas un combat frontal, personne n’était à l’abri d’une flèche et les archers du coin étaient plutôt efficaces. Même le colosse vaincu par Klosteran avait disparu, ce qui sous-entendait de nombreux hommes de main pour avoir pu porter le géant, car tout le monde n’avait pas la force d’un Ildaran amélioré aux Nanocrytes militaires. - C’est surtout l’absence de Baliran qui m’inquiète. Il n’a pas pu être surpris d’autant qu’il avait un bouclier. Il est donc parti volontairement. Releva Rliostem. - Peut-être que Sertime était menacé et qu’il a dû céder sous la contrainte ? suggéra Klosteran. - J’ai du mal à croire que des agresseurs aient pu neutraliser tous les hommes de Sertime ainsi que Baliran sans y laisser des plumes. Il n’y a aucune trace de combat. Objecta l’Ildaran en faisant le tour de la pièce, à la recherche du moindre indice. - Oui, tu as raison. C’est pourtant étrange, car je ne vois pas Sertime nous laisser sans protection après notre combat d’autant que nous ne savons même pas comment retourner à son palais. Renchérit Klosteran. - Ce devait être le rôle des six gardes morts. Supposa Rliostem, en désignant les corps. - Vraisemblablement et ce n’est pas pour me rassurer. Du bruit venant de la porte extérieure les mit de nouveau sur la défensive. Il s’agissait d’un des lieutenants de Sertime qui revenait avec un garde. - Ah ! Vous êtes là, le prophète en soit remercié. Où sont Risai et ses hommes ? S’étonna aussitôt l’envoyé du prince marchand. - Si vous faites référence à vos gardes, il y a six hommes morts derrière ces bancs, lui répondit Rliostem en désignant le fond de la pièce. - Maudits soient les Tâardian, c’est un coup de leurs assassins ! Vite, suivez-moi, il faut regagner le palais du prince Sertime vous êtes en danger. L’homme semblait très agité, mais les Ildarans étaient des professionnels et ils exigeaient des réponses avant de se lancer tête baissée, à la suite d’un garde aperçu le matin pour la première fois. - Que ce passe-t-il ? Où sont Sertime et Baliran ? Les interpella sèchement Rliostem. - Il y a eu un feu au palais. Mon maître a dû partir sans attendre et, comme il s’agit probablement d’un incendie volontaire, Baliran a voulu l’accompagner pour le protéger. Répondit le gâalanais en tournant la tête dans tous les sens, par crainte de nouveaux ennemis. - Il a bien fait. Approuva Klosteran, qui commençait à se détendre. Pourquoi êtes-vous revenu ? - Nous sommes tombés sur un grand nombre de gardes Tâardian sur l’avenue principale. Ils n’ont pas osé s’en prendre au prince marchand à cause de la guilde, mais ils n’hésiteront pas à vous attaquer. Je suis venu vous avertir de prendre un autre chemin ? Je vais vous guider par les petites rues. Proposa l’homme d’un ton agité. - Bien nous vous suivons, accepta Klosteran. Les deux Ildarans se demandaient ce que leur réservaient encore les Tâardian, car nul doute qu’ils soient mécontents du jugement. Ils jetèrent un regard circulaire afin de vérifier, une fois de plus, si leurs générateurs de champs Horlzson n’avaient pas été abandonnés, mais durent se résoudre : ils avaient bien été dérobés. La question était de savoir s’il s’agissait d’un vol intentionnel ou uniquement d’un geste de rapine. La première hypothèse était beaucoup plus fâcheuse, car elle impliquait que quelqu’un, sur cette planète, ait connaissance des technologies ildaranes. La présence d’armes en corodrium semblait valider cette conjecture et ce n’était pas pour rassurer les deux hommes. - Suivez-nous vite ! insista le lieutenant de Sertime en sortant rapidement de l’enceinte de l’arène, par une porte secondaire. Ils observèrent attentivement les alentours afin de vérifier qu’il n’y avait pas de guetteurs, mais apparemment les Tâardian n’avaient pas envisagé de plan B. Les quatre hommes s’engagèrent, au pas de course, dans une succession de ruelles étroites. Les deux gâalanais ouvraient la marche et Klosteran fermait la procession en surveillant leurs arrières. Rliostem n’appréciait pas tellement la configuration des lieux, car, en cas de combat, l’étroitesse des ruelles les gênerait considérablement pour développer toute leur vitesse. Un guet-apens était toujours possible et des archers embusqués pourraient les cibler avant qu’ils n’aient le temps de se dissimuler dans une ruelle adjacente. Non, décidément la situation déplaisait fortement à l’Ildaran. Assuré que Klosteran surveille leurs arrières, Rliostem se concentrait sur les hauteurs des maisons bordant les ruelles. Ses Nanocrytes de combat lui permettaient d’analyser tous les spectres de couleurs, mais, même aux infrarouges, la chaleur extérieure pouvait masquer la chaleur corporelle d’un être humain. Leur progression était rapide et les deux Ildarans craignaient trop de précipitation qui pourrait les conduire dans un piège. Si leurs ennemis bloquaient leur chemin, il serait difficile de s’extirper de cette souricière. Quelques citoyens les regardaient passer, mais ils n’avaient pas été reconnus. Cela convenait parfaitement aux quatre hommes qui souhaitaient, le moins possible, attirer l’attention sur eux. - Nous sommes encore loin ? demanda Rliostem à l’homme qui le précédait. - Encore deux kilomètres, mais si vous voulez, nous pouvons accélérer l’allure. Proposa l’homme. - Non, inutile de nous jeter stupidement dans une chausse-trappe. - Une quoi ? Visiblement la traduction ne devait pas correspondre à un terme connu sur Polona. - Un traquenard si vous préfér…. Rliostem ne put terminer sa phrase. Il eut le temps d’enregistrer des mouvements sur les hauteurs d’une maison face à eux et les deux hommes de tête s’écroulèrent, mortellement atteints par deux flèches chacun. Les deux Ildarans avaient plongé simultanément, mais aucune flèche ne les avait apparemment visés. Ils se relevèrent dans un même mouvement fluide et se mirent dos à dos, prêts à affronter tout assaillant, mais ils étaient à découvert, sous la menace des archers. Ils distinguaient déjà plus de dix hommes devant et derrière eux. Le piège avait été bien préparé, car il n’y avait aucune échappatoire possible et les maisons de chaque côté étaient toutes closes. Les archers les avaient mis en joue, mais retenaient leurs traits. Leurs agresseurs devaient vouloir les prendre vivants, mais les deux Ildarans n’avaient pas l’intention de se laisser capturer sans combattre. Rliostem songea que l’étroitesse de la ruelle ne permettrait pas à plusieurs adversaires de les affronter simultanément et que cela pourrait certainement combler leur important déficit numérique. Non pas qu’affronter cinq hommes chacun soit un problème avec leur physique augmenté, mais il n’avait pas beaucoup d’espace pour exprimer tout leur potentiel. Mais avant même que le combat ne s’engage, un filet de cordes, lesté de métal, s’abattit sur eux. Les deux Ildarans étaient prisonniers ! Malgré leurs améliorations physiques, les cordes étaient trop épaisses et trop solides pour pouvoir être rompues à mains nues. Ils s’attelèrent à essayer de les couper avec leurs lames en corodrium, mais leurs ennemis ne leur en laissèrent pas le temps. Sans la protection de leurs boucliers Horlzson, ils durent se résoudre à capituler devant les lances pointées sur leurs gorges et les archers qui les mettaient en joue à bout portant, prêts à les cribler de flèches. Leurs assaillants ne perdirent pas de temps en parlottes et leur ordonnèrent de se mettre sur le ventre. Avec le poids du filet qui entravait leurs mouvements, la tâche ne fut pas aisée, mais ils parvinrent à s’exécuter. Leurs mains furent immédiatement entravées avec des liens de métal consolidés par de grosses cordes. Il semblait que leurs adversaires ne veuillent prendre aucun risque pour prendre de telles précautions. Le filet fut ôté précautionneusement, ne laissant aucune possibilité aux deux hommes de tenter quoi que ce soit. À peine libérés, ils furent saucissonnés avec de nouvelles cordes et une entrave métallique fut posée sur leurs chevilles. - Ils nous prennent pour des super héros ou quoi ? persifla Klosteran du bout des lèvres. - Taisez-vous ! beugla l’un des gardes qui leur enfila un sac sur la tête qui les aveugla totalement. Les hommes de main agissaient avec professionnalisme et ne se parlaient pas entre eux. Dès que les deux Ildarans furent considérés comme neutralisés, la petite troupe se mit en route à travers les ruelles. Rliostem et Klosteran se demandaient bien comment se sortir de cette situation, car leurs liens étaient trop parfaitement noués pour leur laisser le moindre espoir de s’en débarrasser sans intervention extérieure. Ils ne voyaient rien et étaient entraînés chacun par deux gardes chargés de les diriger. Que leur voulaient leurs ravisseurs pour qu’ils soient encore en vie ? Il leur faudrait attendre d’être conduits devant le commanditaire de leur enlèvement, quel qu’il soit, pour obtenir des réponses. Cette planète recelait visiblement encore de nombreuses surprises. * Chapitre 46 Le Bellator émergea à onze heures-lumière du soleil du système de Relican et expulsa immédiatement ses croiseurs d’attaques qui se positionnèrent à distance de combat. Le petit aviso furtif sorti à son tour, suivi par trois drones dissimulés derrière leurs champs d’occultation. L’aviso prit aussitôt le cap de la troisième planète alors que les drones se positionnaient en observation, au large du système. L’opération avait pris moins de deux secondes, mais vingt croiseurs impériaux avaient déjà encerclé la flotte de Sarian et exigeaient une identification. Il y avait quarante-neuf autres navires de guerre dans un périmètre de trois minutes-lumières, mais aucun appareil n’avait ouvert le feu. Paul avait eu raison : le Bellator n’était pas encore enregistré comme hostile. L’amirauté exigeait néanmoins des précisions sur cette arrivée inopinée dans ce système sensible. L’appareil avait vraisemblablement été identifié comme le vaisseau de l’empereur, car les demandes, bien que pressantes, auraient pu s’accompagner de tirs de semonce. Les responsables de Relican craignaient-ils une inspection surprise de Kera 1er ? Les calculateurs tactiques du Bellator identifièrent immédiatement les vaisseaux civils évoluant dans le système et prirent pour cible les bâtiments militaires. La surprise fut totale, mais les systèmes de défense du système de Relican réagirent à la vitesse d’un calculateur quantique. Il était déjà trop tard pour les croiseurs encerclant le Bellator à moins de neuf cent mille kilomètres. La salve tirée du porte-croiseur fut sur eux en quatre secondes et les réduisit à l’état de nuages de particules broyées par les mini-trous noirs. Avec des torpilles classiques, leurs systèmes de défense à rayons disrupteurs auraient intercepté les torpilles, mais avec des munitions AP ils n’avaient eu aucune chance, car ils étaient trop proches pour utiliser des missiles d’interception. Les croiseurs du Bellator s’éparpillèrent sur les cibles prédéterminées par l’IA pendant que le vaisseau mère attaquait le groupe de quarante-neuf croiseurs, repéré quatre secondes plus tôt. Ils étaient tous en mouvement et trop à l’intérieur du système pour transiter. Mais le Bellator ne pouvait pas non plus s’enfoncer dans le système et il dût expédier ses torpilles à une distance de vingt-huit secondes-lumière. Les IA des croiseurs avaient eu le temps d’analyser l’affrontement précédent et ne perdirent pas de temps à essayer de détruire les torpilles au disrupteur. Ce ne furent pas moins de cent soixante missiles d’interception qui se ruèrent à l’assaut des torpilles du Bellator. Malgré leurs protections, elles furent toutes détruites avant d’atteindre leur distance d’activation. Le porte-croiseurs allait maintenant devoir faire face à plus de huit cents torpilles expédiées par les croiseurs impériaux. Bella n’hésita pas et transita immédiatement hors d’atteinte. Moins de dix nanosecondes plus tard, une escadre de vingt-cinq vaisseaux d’attaque transita à distance de combat et ouvrit le feu immédiatement sur le gros vaisseau au rayon disrupteur. Les puissants rayons commencèrent à lacérer l’écran extérieur du porte-croiseurs qui étincela comme un phare stellaire. Le Bellator répliqua et entreprit de détruire méthodiquement les bâtiments les plus proches, mais il fallait maintenant se replier, car les senseurs enregistraient de nombreuses signatures gravitiques à proximité des points de sauts et plus de quatre-vingts croiseurs allaient potentiellement émerger dans la sphère de défense du gros navire de combat. Même avec ses écrans surpuissants, il ne pourrait pas résister à une telle puissance de feu. Le petit aviso furtif commença alors son travail de diversion et attaqua sa première cible. L’apparition soudaine de torpilles à l’intérieur du système provoqua un léger flottement dans la défense adverse. Bella en profita pour transiter vers le point de ralliement prévu avec ses croiseurs. Les dix appareils apparurent presque simultanément à deux cent vingt années-lumière du système de Relican. Ils avaient émergé éparpillés, au large d’une géante bleue, mais moins de six nanosecondes plus tard les neuf croiseurs avaient transité à proximité du Bellator et étaient alignés dans l’axe arrière des docks d’appontement. Il fallut néanmoins sept longues secondes pour que les navires d’attaque soient amarrés dans le Bellator. Tous les systèmes de combat du gros porte-croiseurs étaient activés, car, s’il était impossible aux impériaux de suivre leur saut quantique, les drones de surveillance avaient déjà dû transmettre leur message d’alerte. En effet, alors que le Bellator s’apprêtait à transiter, une flotte de cent croiseurs d’attaque émergea dans le système. Bella ne chercha pas à engager un combat perdu d’avance et sauta dans le bras Écu-Croix, également appelé bras du centaure. L’IA avait eu le temps d’enregistrer le tir de plus de deux cents torpilles avant d’activer le trou de vers repliant l’espace, mille cent deux années-lumière plus loin, en direction du grand vide entre les galaxies. Dans cette région de l’espace, les étoiles étaient moins nombreuses et plus vieilles. Il y avait de nombreuses naines rouges et naines brunes. Tout un pan de l’espace paraissait vide d’étoiles, mais la galaxie d’Andromède se distinguait mieux à près de deux millions d’années-lumière, au-delà du grand vide. Les senseurs longue portée du gros vaisseau n’enregistraient aucune activité énergétique. Le secteur était désert. Ils allaient devoir attendre probablement plus d’une dizaine d’heures que les drones furtifs les rejoignent. La tension était retombée à bord du Bellator, le navire avait été sévèrement atteint par des rayons disrupteurs et les sécurités du bouclier extérieur avaient sauté. Il faudrait plusieurs heures aux androïdes de maintenance pour réparer, mais tout serait redevenu opérationnel d’ici le retour des drones. Bella leur annonça qu’Irias avait préparé quelques surprises. Ce fut donc dans la bonne humeur et le soulagement que tous se rendirent dans la grande salle de dîner. Ils découvrirent de nombreuses boissons et un Irias joyeux qui les accueillit avec un soulagement bien visible. Bella avait activé les projections holographiques et ils pouvaient admirer l’espace environnant. Mélanie et Paul étaient particulièrement captivés par le vide entre les galaxies. Ils n’avaient jamais vu une noirceur aussi totale et cela avait quelque chose de fascinant, proche de l’appel du vide devant un gouffre. Les pensées de Paul étaient désordonnées, il songeait aux combats passés et aux paroles de l’émissaire des Al-Heoxyrians qui souhaitaient qu’il se rende sur Polona. L’adolescent se demandait ce qui les attendait et la raison pour laquelle ils souhaitaient qu’il aille sur cette planète. Sarian pensait à Klosteran et Rliostem, qui devaient les attendre avec impatience. Oria observait Paul et se demandait quelles seraient ses limites psys, car elle avait déjà décelé un énorme potentiel renforcé par ses joyaux. Telius repensait aux combats et au potentiel offensif des armes des scientistes. Il entrevoyait de nombreuses possibilités pour l’avenir et échafaudait déjà des stratégies guerrières. Darin était impatient de reprendre les entraînements et presque heureux d’avoir à affronter les dangers d’une planète médiévale où son potentiel de maître d’armes pourrait s’exprimer pleinement. Mélanie les observait tour à tour et se demandait un peu ce qu’elle faisait là : à l’opposé de la galaxie dans un vaisseau spatial, elle qui était encore à Paris, moins d’un mois auparavant, savourant une petite vie d’étudiante. Paul observait la grande galaxie spirale d’Andromède, quasi-jumelle de la Voie Lactée, bien que plus grande, sans se douter qu’elle recelait un danger mortel pour les humains. Mais pour le moment, tous savouraient leur première victoire contre Kera Seravon. Fin du cycle de l’héritier. Prochain cycle à paraître : « Le Cycle des Initiés » Glossaire Aaken : membre du collège des Scientistes, Al-heoxyrian : nom donné à une entité ? Race ? Qui serait, selon les Ildarans, à l’origine de l’uniformisation de la vie humaine dans la galaxie Voie Lactée. Voir Charte des Al-heoxyrians qui interdit le recours au saut quantique à proximité des étoiles ainsi que l’intervention dans les civilisations préspatiales. Amaridinia : planète mineure de l’Empire d’Ildaran. Arkrit : minerai découvert sur un planétoïde possédant des propriétés uniques lorsqu’il entre en résonnance. Asuyâata : maître armurier de la planète Polona. Averdin : clan ayant découvert la planète Terre, vassal de la famille Uphrasite. Baliran : ancien garde impérial, a trouvé refuge dans la guilde des contrebandiers. Bella : prénom donné à l’IA du Bellator. Bellator : nom donné au vaisseau impérial conquis par Ishar Verakin. Brasky : système de Brasky. Système solaire ayant violé la Charte des Al héoxyrians. Détruit par explosion de son étoile. Briza : ancien garde impérial, membre de l’équipe de protection d’Ishar Verakin. Carou 4 : croiseur d’attaque embarqué sur le Bellator. Carusif : croiseur léger détaché auprès de la garnison en poste sur la planète Terre. Cavon Seravon : découvreur de la matière noire, ancêtre de Kera 1er. Cheeris : membre du collège des Scientistes, Coren Faraï : inventeur des Nanocrytes. Corodria : minerai permettant de produire le corodrium. Corodrium : alliage, à base de Corodria, particulièrement résistant permettant un façonnage moléculaire. Corvin : capitaine d’une brigade squir, chef de la sécurité de Kera 1er, psykan de haut niveau. Damiusin : ville sur Polona, réputée pour les artisans qui fabriquent des armes de très haute qualité. Darin : maître d’armes, ancien garde impérial, membre de l’équipe de protection d’Ishar Verakin Écu-Croix : bras spiral de la Voie Lactée (également appelé bras du Centaure). Se situe entre le bras Sagittaire-Carène et le bras de la Règle. Extrapolonian : humain, étrangé à Polona. Facel Randarion : Inventeur de la technologie de déplacement par trou de vers, appelé également saut ou transition quantique. Faraï : famille majeure de l’Empire d’Ildaran, spécialisée dans la recherche médicale, inventeur des Nanocrytes, de la prolongation de la vie et des glandes psykanes. Farmien Horlzson : inventeur du bouclier énergétique qui porte son nom. First Episode : navire de plaisance à moteur Florilius : commandant de la base ildarane stationnée sur la planète Terre. Frochia : (système de) système solaire situé proche des frontières de l’Empire, étoile de type naine rouge. Gâal : (royaume de), situé sur Polona. Gâalanais : habitants du royaume de Gâal. Golchem : directeur scientifique de la base ildarane installée sur la planète Terre. Gorantim : lieutenant du commandant Florilius. Hefry : membre du collège des Scientistes Hertocha : système mineur de l’Empire d’Ildaran. Hevry : membre du collège des Scientistes Holocom : technologie de communication en 3D. Horlzson : (champs) nom du bouclier énergétique utilisé par les Ildarans. Humano-compatible : terme utilisé pour désigner les planètes habitables par les humains et aux conditions presque similaires à la planète mère des Ildarans. Ika Seravon : amiral de la flotte envoyée dans le système solaire, cousin de l’Empereur Kera 1er. Ikon Seravon : frère cadet de l’Empereur Kera 1er. Ildaran : peuple de l’Empire d’Ildaran. Ildaran Prime : planète mère des Ildarans et capitale de l’Empire. Ilvaran Verakin : ancêtre d’Ishar, inventeur de la technologie qui convertit les particules de matière noire en énergie et la stocke dans des condensateurs. Irias, intendant impérial de la famille Verakin, proche du père d’Ishar. Ishar : dernier descendant de la famille Verakin. Jilien : membre du détachement militaire commandé par Florilius. Karyo : capitaine du vaisseau amiral du cousin de l’empereur, l’amiral Seravon. Kera : prénom de l’empereur Seravon. Kharitra : planète mineure de l’Empire connue pour ses élevages. Kin : abbréviation de Verakin, symbolisant l’énergie produite par les condensateurs Verakin. Klosteran : ancien garde impérial, a trouvé refuge dans la guilde des contrebandiers. Korïn Faraï : inventeur des glandes psykanes. Korisandre : membre du collège des Scientistes. Kriavia : planète mère des scientistes située dans l’amas des Pléiades. Kries : résille Kries, dispositif de neutralisation des ondes cérébrales et de protection contre les psykans. Liar : membre du commando Squir de Corvin. Livion : commandant scientiste. Lorka : (fédération de), système solaire indépendant situé à 800 années-lumière de la Terre. Mâarleen : princesse gâalanaise, fille du roi Mâaspec Mâaspec : roi de Gâal. Malezari : famille majeure de l’Empire d’Ildaran, proche des Seravon. Mariq : membre de l’équipe de Sarian. Marvio : chef des contrebandiers installé sur Polie, la septième planète du système de Polona. Milpars : chef de la garde du prince Sertime. Miol : membre de l’équipe de Florilius. Nanocryte : nanorobots biologiques améliorant les performances physiques des porteurs. Nanotraqueur : dispositif de suivi de la taille d’une nanoparticule. Narvin : membre de l’équipe de Sarian. Neurorécepteur : dispositif artificiel biologique lié aux Nanocrytes. Neutralisateur : (de champs quantique) dispositif de brouillage qui bloque tout déplacement par trou de vers. Niir : adjoint de Corvin. Numarion : membre de l’équipe de Sarian. Obvion : membre du collège des Scientistes. Okorox : animal de couleur fauve, orné d’une crinière de lion, ressemblant à un croisement entre un Wapiti et un cheval frison. Oprius : croiseur d’attaque embarqué à bord du Bellator. Orcaphin : système mineur de l’Empire, administré par la famille Uphrasite. Oria : membre de l’équipe de Sarian. Orikan Verakin : ancêtre de Paul qui comprit, parmi les premiers, le potentiel des glandes psykanes. Pallaron : membre de l’équipe de Sarian. Perculio : second de Marvio, connu pour être intelligent et perfide. Perti : membre de l’équipe de Florilius. Polona : (système de) et planète habitable. Polonian : habitants de Polona Port Gâal : capitale du royaume de Gâal. Prag : membre de l’équipe de Sarian. Psykan : humains ayant reçu des glandes psykanes qui amplifient leur potentiel psychique. Qiotianne : (système de) abritant une planète agricole. Quirtan : membre du collège des Scientistes. Randarion : inventeur de la technologie de déplacement par trou de vers, appelé également : transition ou saut quantique. Randor : navire furtif, au stade de prototype, ayant permis la fuite d’Ishar Verakin. Raren : membre du collège des Scientistes. Ravokâan Tâardian : duc, vassal du roi Mâaspec. Relican : système impérial majeur, base de construction de vaisseaux militaires. Rliostem : membre de l’équipe de Sarian. Sarian : ancien chef de la garde du père d’Ishar. Sariote 2 : croiseur d’attaque embarqué à bord du Bellator. Scienty : République de Scienty, système refuge des scientistes ayant fui l’Empire. Sécurité Impériale : unité d’élite de l’empereur. Seravon : famille majeure de l’Empire, rivale des Verakin. Sertime : prince marchand sur Polona. Sertone Prime : planète principale de la famille Seravon. Sorphir : membre du collège des Scientistes. Squir : groupe de protection psykan de l’empereur. C’est également un reptile très rapide et partiellement intelligent découvert sur Sertone Prime Squir Prime : aviso rapide embarqué à bord du porte-croiseurs. Sylphiria : planète mineure de l’Empire connue pour ses épices. Tâalent : monnaie en vigueur dans le royaume de Gâal. Tâardian : famille majeure du royaume de Gâal, vassaux de Mâaspec. Tâargrien Tâardian : fils du duc Ravokâan. Tar 6 : croiseur d’attaque embarqué à bord du Bellator. Telius : membre de l’équipe de Sarian. Teraflonis : système solaire dans lequel fut découverte l’unique source d’Arkrit. Uphrasite : famille majeure de l’Empire. Utuis Seravon : oncle de Kera 1er. Varle : membre de l’équipe de Florilius. Verakin : famille impériale depuis la création de l’Empire jusqu’au putsch des Seravon. Verakin Ildaran Frîîkr : cri de ralliement des gardes Verakin signifiant leur allégeance à la famille et à l’Empire. Vernissos : (système de), système solaire détruit par un vaisseau braskyien qui effectua un saut quantique trop près de l’étoile. Vira : membre de l’équipe de Sarian. Virlin : membre de l’équipe de Corvin Waalsynn : membre du collège des Scientistes. Wimp : acronyme de -Weakly interacting massive particles- ou « particules massives interagissant faiblement ». Les hypothèses scientifiques en font une particule probable de la matière noire. Wooratoo II : système solaire impérial le plus proche de la Terre. Xionnes : membre de l’équipe de Sarian. Yjiis : membre du collège des Scientistes. Ykel : membre du collège des Scientistes. Yleb : membre du collège des Scientistes. Ylten : membre du collège des Scientistes. Ynair : membre du collège des Scientistes. Ystor : membre du collège des Scientistes. Zetarian Alpha : système solaire industriel appartenant à la famille Malezari. Remerciements à tous ceux qui m’ont soutenu dans l’écriture de ce roman et tout particulièremenr ceux qui ont lu les premiers jets et ont apporté leurs idées : Alice, Denis et René. Ils se reconnaîtront